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DE LA COLONISATION AU QUEBEC AMENAGISTE DISCOURS

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28 Vincent Berdoulay et Cilles SCniical

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VINCENT BERDOULAY et GILLES S ~ N E C A L

Universite de Pau et des Pays de I’Adour et CNRS-URA 91 1 Pau France

PENSEE AMENAGISTE ET DISCOURS DE LA COLONISATION AU QUEBEC

By conceptualizing and encouraging colonization, geo- graphic discourse has greatly contributed to the structur- ing of essential themes of spatial planning thought in Quebec. A territorial horizon specific to French Canadi- ans was defined in terms of limits and land for expansion, and in terms of northern destiny. Spatialplanning thought has also dealt with the issue of how to give structure to the whole. In order to do so, an overall regional structure was devised at the time of colonization. The lived space of the parish was also viewed as an operational spatial

unit, through which social and economic modernization could occur. The stability of the then-introduced repre- sentations testifies to the efficacy of this spatial planning, though it is related to the geographic discourse on colo- nization in structuring Qu6b6cois territoriality.

En concevant et en encourageant la colonisation, le discours gbographique a beaucoup contribue‘ ,?Istructurer des grands thhemes de la pensCe amknagiste au Qu6bec.

C e l l e d d6finit un horizon territorial propre aux Cana-

The Canadian Geographer / Le GBographe canadien 37, no l (1993) 28-40

0 / 1993 Canadian Association of Geographers I L’Association canadienne des geographes

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Pensee amenagiste et discours de la colonisation au QuCbec 29

diens francais tant en termes de limite; que d‘espaces d investir ou encore en terrnes de vocation nordique. Elle s‘est aussi orient6e vers la structuration de I’ensemble.

Ainsi, les articulations rggionales ont gtgprojet6es lors de la colonisation. La paroisse, espace V~CU, a aussi 6t6 vue comrne un espace op6rationnel qui devait structurer la modernisation sociale et Cconomique du pays. L ‘aspect durable des repr6sentations ainsi introduites t6moigne de I’efficacit6 de cette pens6e arne‘nagiste, forg6e par le discours de la colonisation, d structurer la territorialit6 qu6becoise.

Depuis ses origines, le Quebec n’a cesse de penser son avenir en termes geographiques. Sans nier le poids de I’histoire comme facteur identitaire, le present article met I’accent sur les ideologies territoriales. En reflechissant sur I’espace et le territoire, les Canadiens franGais ont voulu repondre aux exigences de leur environnement, elaborer des strategies, baliser une aire sur laquelle se projeter, tisser les elements constitutifs d‘une vision spatiale (S6necal 1992a). Une telledemarche, qui fait de la pensee geographique un pilier du projet quebecois, met en evidence tant les aspects materiels de la production d‘un espace social que les fondements imaginaires par lesquels ceux-ci s’instituent. La pensee geographique puise, en effet, dans la culture globale de la societe quebkcoise. Et inversement, cette pensee a une capacite 2 instituer une vision, des ideologies, des referents 2 finalite territoriale (Berdoulay 1985, 1988). Qui plus est, elle appelle 2 la conquete d’un nouvel espace, hi-m&me porteur d’un nouvel imaginaire, pour trouver 3 s‘exprimer dans les formes et structures qui faconnent le territoire en cons- truction. Sa portee geopolitique est evidente puisqu’elle s’interroge sur la place de la francophonie en terre nord- americaine, de mCme que sur la definition d‘un espace- foyer, consecutif 2 la conquhe territoriale et prealable 2 la formation d’un pouvoir politique. Cette pensee fait de la colonisation le moteur de I’bvolution par laquelle se materialise le systPme territorial nord-americain et, correlativement, se construit le territoire quebecois. Elle relPve d’un discours geographique dont le but est non seulement de promouvoir le projet de colonisation, mais aussi d‘en preciser les formes concretes et d’en reveler le sens.

Dans cet article, nous desirons explorer le discours geographique lie 2 la colonisation afin d’y reperer les traces d‘un processus de mise en forme du Quebec contemporain. Nous nous proposons de mettre en lu- mihre les formes de ce paysage quebecois en construc- tion. Nous chercherons ainsi 2 eclairer I’emergence des

frontieres et des divisions regionales, le projet 6conomi- que et social qui sous-tend la colonisation, les articula- tions commerciales. Nous nous proposons egalement de degager les aspects idkologiques et imaginaires, contenus dans le discours geographique, qui servent de support et de referent & I’action. Sous-jacent au grand dessein de la conquete du sol, un tel discours est ax6 sur I’idee d’un espace quebecois kconomiquement autonome. Celui-ci, sit& au nord, est dit regorgeant de ressources. II est present6 comme une entite transformable, ouverte 2 une action concertbe, en fonction d‘un developpement economique en accord avec les aspirations nationales du Canada frangais. On formule ainsi une mani6re d’organiser I’espace, mais aussi d‘y habiter: le rapport2 la nature (plus specifiquement 2 la forst et 2 la terre), les genres de vie et I’habitat participent de la dkfintion d‘un paysage, d‘un territoire, d’une territorialite.

Dans le corpus etudie, on notera I’importance des monographies regionales realisees pour les fins de la colonisation (Seneca1 1992b). Ouvrages parageographi- ques, aux marges de la scientificite selon les canons de I’epoque, ces monographies se voulaient

A

la fois des soutiens au mouvement de colonisation et un traitement objectif des donnees geographiques. II s’agit d’un genre, au sens oir I’entend Berdoulay (1 988, 16-20), 3 la fois de types descriptif et prospectif, c‘est-&-dire qu’il Gnumitre les faits observes tout en visant 2 transformer et remodeler I’espace selon un projet preetabli 2 la constitution duquel il participe. Le discours geographique a support6 la colo- nisation dans le souci d’assurer I’avqir des Canadiens francais et, du meme souffle, iI a aspire au niveau d’un savoir objectif et normatif, servant alors de creuset 2 la pensee amenagiste quebecoise.

Sur les pratiques amenagistes

Depuis le regime frangais jusqu’aux mouvements de peuplement des regions peripheriques aux XIXe et XXe siecles, la colonisation a introduit des pratiques amenagistes particulieres. L’daboration d’une politique spatiale et la planification des axes de peuplement sont I‘expression d’une pensee territoriale qui a guide les interventions des differents dirigeants qui se sont succedes dans le temps. Associee la colonisation, li6e aux imperatifs de dCveloppement et d’accroissement demographique, une telle pens6e territoriale met I’accent sur la rationalisation des formes de peuplement et I’exploitation des ressources 2 des fins economiques. Les commentateurs ont d’ailleurs souligne de tels aspects dans leur bilan de lacolonisation: Salone (1 905) etablit un parallele entre le peuplement et I’exploitation des res-

The Canadian Geographer/ Le CBographe canadien 37, no 1 (1993)

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30 Vincent Berdoulay et Gilles SCnCcal

sources, laissant entendre que I’organisation sociale et politique elaboree durant le Regime franGais a servi le developpement economique et entrain6 de grandes rba- lisations dans les domaines de I’agriculture, de I’industrie et du commerce. Dans la meme optique, Caron (1916, 1923) evalue positivement I’extension de I’aire occup6e par la colonie franqaise du point de vue de I’essor 6cono- mique: agrandissement de I’aire cultivee, augmentation de la production agricole, transformation des produits de la terre, exploitation des mines et du bois, mise en place d‘une politique commerciale. La marche vers le progres aurait 6t6 telle que Salone (1905, 437) pense la colonie capable, au moment de la Conqu@te en 1760, de s’emanciperde toute domination metropolitaine. Par leur nombre suffisant, par leur propre vitalit6

A

se d6fendre seuls, les colons ‘sont assez avances dans I’exploitation des richesses de leur sol pour vivre largement. En meme temps, ils n’ont pas besoin de ’tutelle’ (lbid.). Malgr6 la Conquete, I’expansion territoriale a pu se poursuivre sous le regime anglais et jusqu’a I’avenement de la federation canadienne, en particulier dans les Cantons de I’Est (Caron 1 927). Certes, cette colonisation se caracterise par sa lenteur; mais elle frappe aussi par sa constance (Vattier 1928, 47).

Les geographes se sont rapidement interesses

a

cette

relation entre la colonisation et I’amenagement, autre- ment dit entre le projet economique et les formes socio- spatiales qui en decoulent. Miller (1 91 3, 84) avait deja etabli des correlations entre I’etat de nature qui marque le pays laurentien et l’etat de la nation quebecoise, identifiables dans des formes particulieres, tels le rang quebecois, la strategie du peuplement lineaire suivant les couloirs fluviaux et le type de paroisse. Les formes typiques du paysage quebkcois et les questions sous- jacentes

A

leur emergence offrent ainsi aux geographes des champs d’etude touchant

a

la fois les aspects geohistoriques, morphologiques et sociaux.

Pour le rang en particulier, Blanchard (1935), Deffontaines (1 953), Derruau (1 9561, Harris (1 968) et Courville (1 981 ont voulu mettre en parallele la configu- ration du paysage et la politique spatiale mise de i’avant, pour conclure

A

I’importance de la planification et de I’amenagement. Bureau (1 984, 237) va plus loin et pr6- sente le rang comme une ‘production utopique,’ dont la forme orthogonale temoignerait d’une pensee inspiree du rationalisme cartesien. Quoi qu‘il en soit, la colonisation impose une configuration

A

I’espace quebecois, dont les grands traits perdurent malgre les soubresauts politiques et economiques. Comme le souligne S6guin (1 977, 181- 84), le rang continue d’etre le modele exclusif, m@me apres I’abolition du regime seigneurial en 1856: dans les

cantons situes en milieu francophone, il commande en- core la trame du peuplement. L’adaptabilite de la forme du rang se traduit par des modifications successives en accord avec les transformations socio-politiques surve- nues (Hamelin 1988). Seguin (1977, 181-83) d h o n t r e notamment que le phenorngne de conquete du sol, qui prend de I’ampleur au milieu du XIXe siecle, est le prolongement du systeme de colonisation @labor& un siecle plus t8t: le rang fournit la base territoriale des municipalites; iI constitue I’espace de sociabilite par excellence; les structures administratives, comme I’organisation scolaire, se moulent dans la trame spatiale qu’il a instituee.

Sur la question des villages, iI faut dire que si le systgme du rang semble fonctionner

a

I‘origine en I’absence de villages, iI permettra neanmoins I’eclosion de noyaux villageois (Courville 1984). D’ailleurs I’essor des mouve- ments de colonisation, sensible depuis 1840, coi’ncide avec I’ampleur du developpement villageois. L’extension de I’aire seigneuriale s’est en effet produite en meme temps qu‘une organisation du territoire en districts parois- siaux (Courville et Mathieu 1987,9-10). C’est la paroisse qui fournit une des principales bases au processus de municipalisation (Seguin 1977, 181). Courville ( 1 984) situe entre 181 5 et 1831 une expansion rapide du pheno- mene villageois dans I’aire seigneuriale. Simultanement, en territoire de colonisation, le noyau villageois devient un element important du systeme spatial, puisqu’il joue le r d e de centre du d6veloppement. Le mouvement de colonisation des regions pkripheriques valorise le noyau villageoisensa qualitede lieu decommerce et d’echange, mais aussi comme foyer de la communaute locale.

Paralklement, la colonisation decouvre un nouvel espace de reference: la region (Seneca1 et Berdoulay 1992). Longtemps a perdure une ambigu’ite entre paroisse et region, comme le souligne Verdon (1973, 87) qui affirme que le village de colonisation n’appartient pas

a

la

region, puisque replie sur lui-meme: ‘La region n’a pas de vie propre; elle est plus une somme qu‘un ensemble interdependant de villages‘ (lbid.). Pourtant, le discours de la colonisation fait de plus en plus appef au concept de region. Des 1852, Drapeau divise le Quebec en regions socio-economiques. Par la suite, une pleiade de monographies prennent I’echelle regionale pour cadre d’analyse (Seneca1 1992b). Ces travaux creent un dis- cours regional nouveau dans la societ6 quebecoise. De plus, ils recourent au langage scientifique et, par ce souci de methode, its s’inscrivent dans le creuset des sciences coloniales emergentes de la fin du XIXe siecle (Berdoulay, Seneca1 et Soubeyran 1992). Comme le souligne Hamelin (1 988,377 et suivantes), les fondements id6ologiques du

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nationalisme quebecois ont pu servir le projet de coloni- sation et permettre la perpetuation de certaines formes spatiales. L’ideologie ruraliste notamment n’a-t-elle pas dkfendu une certaine structure sociale et son inscription dans le paysage!

La colonisation a donc evolu6 du regime francais jusqu’au XXe siecle autour de certaines formes spatiales precises, generalement planifiees, quelquefois sponta- nees, nourries autant de pratiques que de discours. Bien sOr, iI existe des ecarts entre les resultats de la colonisation et l e discours - qu’il soit de type litteraire ou scientifique - qui a support6 ce mouvement. l o i n de les fuir ou d’invalider une approche mettant I’accent sur I’etude de terrain faisant des bilans du discours, ces &arts, par leur reperage, permettent de nouveaux questionnements quant i leur origine. Quoi qu‘il en soit, le discours geographique participe i la fonction instituante des formes spatiales. II cherche 3 creer un ordre social et spatial futur, reflet d‘une sorte d’imaginaire en construc- tion, tisse

a

la fois d’experience, d’utopie et de memoire.

Le discours geographique de la colonisation introduit dans le systeme territorial des referents nouveaux qui hi confgrent une pregnance sociale et gCopolitique: le dis- cours balise la conqu6te des terres neuves en formulant les 6l6rnents structurants de I’espace et en leur attribuant une signification nationale. La colonisation a pu, certes, s’instruire sur le mode mythique, surtout par I’appel au messianisme et i des ideaux nationaux. Ces aspects du discours, qui surgissent comme des supports imaginaires et ideologiques, ont ete bien illustres par Morissonneau (1978). II reste que, plus trivialement, le discours decrit, propose et ordonne la formation territoriale du domaine de la colonisation. En mettant I’accent sur cette projection territoriale qui impregne le contenu du discours geogra- phique, on cherche

A

degager une perspective comple- mentaire aux etudes empiriques deja citees. L’analyse critique du discours geographique de la colonisation, principalement des monographies regionales qui h i sont liees, permettra d’identifier certaines formes, structures et configurations d‘un projet qui, bien sOr, ne sera que t r b partiellement concretise.

Cuillaurne levesque: Un nouvel horizon territorial La Description topographique du Bas Canada de Joseph Bouchette (1 81 5) definit avec precision I’espace du Bas- Canada dans les limites imposkes par la Loi constitution- nelle de 1791 qui creait deux Canadas distincts. II s’agit d‘un espace compact, version legerement agrandie de la province de Quebec telle que definie par la Proclamation Royale (1 763). Ce que decrit Bouchette comprend les

districts de Montreal, Trois-Rivieres, Quebec et Gaspe, divises en seigneuries, fiefs et cantons. On est donc trPs loin d’une vision territoriale du Quebec telle que I’on peut la concevoir aujourd’hui. N‘y figurent pas le Nord quebecois et les regions qui viennent se greffer

a

I’axe

laurentien, pas plus qu’une quelconque structure interne, autreque le systeme seigneurial, qui viendrait conferer un semblant de coherence et d’organisation au territoire. II faut attendre I’echec de la Rebellion de 1837 - moment qui coi’ncide avec les premieres vagues de I’exodevers les Etats-Unis

-

pour prendre conscience du poids des con- traintes pol itiques et territoriales (comme le surpeuple- ment relatif de I’aire canadienne-francaise) pour que l’on se mette

i

reflechir en termes territoriaux.

Avec Guillaume Levesque (1 848) s’ebauche une nou- velle representation du territoire reposant sur une vision gCopolitique du continent nord-americain et de ses parta- ges ethno-territoriaux. Dans un texte fondamental et trop oublie, cet ancien Patriote dessine une image globale du pays. Son premier constat: les frontieres restent encore floues et iI importe d’en tracer les contours rapidement.

Certes, I’axe maritime, le Saint-Laurent, constitue la dor- sale ou s’accote le peuplement; iI court de Cap Rosier (Gaspbie) jusqu’i Detroit. Mais en profondeur, vers I’arriere-pays, ’je ne sais ou m‘arrgter’ dit-il: la frontiere n’est pas definie de ce c6te. II degage tout de meme le centre de cet espace en construction, Montreal. C’est le noeud des voies de penetration tant vers le continent que vers I’arriere-pays ou I’ouest. Toutefois, la penetrante continentale conduit tout droit vers un espace d e j i perdu.

En consequence, comme ‘nous sommes adosses au pde,’

iI faut plut6t viser les terres du Nord. II reste de ce c6t6 des espaces non appropries, non colonises et disponibles.

‘Voila pour nos limites: d u n c6t6, le golfe et la mer; i I’ouest, vers le milieu du continent, les pays d‘en haut encoredeserts; au nord, une ligne indefinissable qui peut se reculer jusqu’au p6le; et au midi, les Etats-Unis, i quelques lieues de cette ville (St. Regis)’ (LCvesque 1848, 290-91 ).

La position et I’etendue qu’occupent les Canadiens francais semblent jouer un r61e decisif quant i la destinhe nationale de ce peuple. Cette position n’est-elle pas strategique car au contact du centre du continent et du grand Ouest? Tout le long du couloir fluvial, les affluents sont autant de portes vers les espaces ouverts du Nord; tels I’Outaouais et le Saguenay, i l s partent vers des terres neuves, encore couvertes de forhs, et qui sont le pro- longement territorial du Quebec meridional. Aller au Nord commande aux Canadiens francais de changer leur conception du paysage et leurs rapports i I’espace: iI faut apprivoiser ces terres hostiles, sauvages et

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climatiquement plus difficiles. Levesque propose A ses compatriotes un nouveau paradigme territorial: le froid, la neige, I’hiver deviennent desormais les facteurs identitaires d‘une culture en devenir.

La rigueur et la longueur de nos hivers, en dominant la physionomie de notre pays, Iui donnent son caractere: celui de toutes les contrees septentrionales; du reste, caractere Apre et severe, mais empreint de grandeur et de sublimite, car partout ou se fait sentir une grande puissance de la nature, oh elle regne seule et sans resistance, I’homme admire et s’efface (Ibid., 299).

Cette conception de I’espace est garante non seulement de la survie du Canada francais, mais aussi du caractere de ses habitants, creant un rapport de connivence et d’identite entre le peuple et le sol sur lequel iI se trouve.

Plus encore, le peuple finit par interioriser un paysage devenu sien: ‘[

...

] les paysages du golfe et les lacs, nos immenses for& vierges, le cours majestueux du grand fleuve, les cataractes sans nombre de nos rivieres, les rochers Spres et sauvages qui en bordent quelques-unes des principales, ne sont-ils pas une compensation qui suffise?’ (Ibid., 293). Et de rajouter:

Ce sont les fleuves, les lacsqui font la physionomie de notre pays, et c’est I’hiver qui Iui donne son caractere; et ces deux traits de notre contree et de notre climat, I’abondance des eaux et les frimas rigoureux, qui influent si fortement sur notre prosperit6 sociale et politique, sont egalement des agents puissants qui determinent nos habitudes et notre caractere national (1 848, 293).

Une cartographie nouvelle vient appuyer de tels argu- ments: elle est faite du renoncement A de vastes parties d‘une Amerique iI n‘y a pas si longtemps francaise, qui s’arr&te A Saint-Regis, mais qui s’etend ‘jusqu’A la source de I’Outaouais qui nous restera par la force des choses’

(Ibid., 302-03). Levesque dessine une carte OD sont rbunies, selon hi, des parties qui s’assemblent parfaite- ment pour former un territoire homogene. Le m6me genre de vie, le m&me esprit, la meme identite pour parler en termes actuels, soudent societe et espace:

Je veux parler de cette uniformite de moeurs, d’habitudes et de langage qui s’est etablie et se maintient dans tout le pays:

uniformit6 s i grande qu’elle fait I’admiration de tous les voyageurs qui I’ont parcouru. Le Canadien de Gaspbest le m&me que celui des bords de I’Outaouais, celui de Eeauharnois le mGme que le montagnard du Saguenay. Et cette uniformite dans les moeurs, les habitudeset le langage qui n’est que le resultat de la distribution des Btablissements suivant lesexigencesdu terrain

et du climat, est d’autant plus admirable qu’elle entraine cette unanimite de sentiment et de pensee, qui font de tous les Canadiens pour ainsi dire un seul homme (Ibid., 31 1 ).

Cette longue citation illustre deux choses: iI y a d’une part I’idCe de representer le Canada francais (le Quebec d’aujourd’hui) en fonction d’une grande uniformite ca- racterisant les differentes parties du territoire et, d’autre part, la volontk de fonder cette uniformite sur un senti- ment national partage par chacun. Surtout, ce sentiment national commun reste etroitement lie A I’espace occupe, voire A I’espace projete. En fait, Levesque appelle a I’appropriation de nouvelles terres pour agrandir I’aire canadienne-francaise et reproduire le meme modele d’occupation du sol dans toutes ses nouvelles parties.

Un dCcoupage rCgional

Quand en 1852 Francois Pilote parle du Saguenay, iI trouve une nouvelle facon d’apprehender le territoire. Les bassins des differentes rivieres, les affluents du Saguenay, le pourtour du lac deviennent une facon habile de subdi- viser I’espace, d‘en organiser les parties, d’en dbtacher des zones. L’organisation du territoire est alors regie par le principe du couloir de penetration et, par consequent, depend des valkes fertiles qui generalement bordent les cours d’eau. Stanislas Drapeau (1 863) dresse le portraitde chacun de ces bassins, qui constituent autant de ‘voies interieures,’ qui se ramifient en tributaires et creent ainsi un reseau anastornose, complete ulterieurement par les chemins de fer, pour peupler, developper, exploiter le bois, Ctablir des industries, cultiver la terre, engager le commerce.

On s’entend, bien sOr, pour reconnaitre que le moyen privikgie pour agrandir le domaine canadien francais sera la colonisation. O n veut suivre les penetrantes fluvia- les pour arriver A contrdler de vastes &endues. En cons&

quence, iI ne faut pas voir les regions de colonisation comme des e n t i t b autonomes dont on se plairait

a

souligner les particularismes, A la maniere d’une geogra- phie regionale classique ‘A la francaise,’ mais bien plutbt comme des espaces projets visant le d6veloppement et I’exploitation des ressources:

Aujourd’hui, surtout, que I’esprit public est pr6occupB de I’importante question de la colonisation, il devient imperieux d’Btudier plus profondement encore les immenses ressources que renferme le pays, afin que cette connaissance nous fasse developper avec plus de sucds et un haut degr6 les diverses branches commerciales, industrielles et agricoles qui nous occupent et qui font notre richesse nationale (Drapeau 1863,s).

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Pensee amenagiste et discours de la colonisation au Quebec 33

Sans velleites de difference, la region evoquee par Drapeau est donc avant tout un espace de developpe- ment et d’amenagement. Elle releve d’un paradigme planificateur. Le bilan de la colonisation se mesure selon I’accroissement de la population (par ethnies, par reli- gions, par le nombre de nouveaux colons), selon les superficies cultivees, la valeur de l a propriete fonci&re rurale, la rente fournie par les recoltes et le betail, le developpement industriel, I’ouverture des chemins et des autres infrastructures:

Le Bas-Canada - pour ne parler que de cette section de la province-serait diviseen sept regions, 2 peu pres les m h e s que celles qui se partagent ce volume, dans chacune desquelles un bureau d’agence serait ouvert pour faire progresser la colo- nisation qu’un bon systeme favoriserait (Drapeau 1863, 566).

Le decoupage de ces sept regions parait astucieux. II tient compte d’abord de I’axe fluvial - la Caspesie, la region est du Saint-Laurent (le Bas Saint-Laurent), la region centrale du Saint-Laurent (en amont de Quebec), la region ouest du Saint-Laurent (du Richelieu

A

Saint- Regis) - et ensuite des axes de penetration - soit la region de I’Outaouais et du Nord de Montreal (le Pontiac, les Laurentides et Lanaudiere d’aujourd’hui), la region du Saint-Maurice et la region du Saguenay et du Labrador.

Cette premiere tentative, un peu grossiere, de structurer un espace en partie dejA conquis, en partie encore 3 prendre, n’est pas reprise par la suite, probablement parce que le Quebec n‘est pas encore p r h

a

se doter d‘une telle structure administrative.

Malgre cela, I’idee d‘un decoupage regional fait son chemin. La litterature geographique en suggere un, au fil des monographies qui prennent pour cadre les nouvelles regions, telles celle de Buies 1880, 1889, 1890) sur le Saguenay ou I’Outaouais superieur, Langelier (1 883) sur la Gaspesie, Montigny ( 1 886) et Nantel (1 887) sur le Nord. Vakeman (1882) met I’accent sur les vallees du Saguenay, du Saint-Mauriceet de I’Outaouais, et differen- cie le Bas-Saint-Laurent de la Caspesie. Plusieurs ouvra- ges mentionnent la C6te-Nord pour en vanter les res- sources (Langelier 1882; Rouillard 1908). Apparaissent ainsi les regions des Laurentides (ou Nord de Montreal, ou encore Labelle), de I’Outaouais Superieur (I’Ou- taouais d’aujourd’hui, les Hautes Laurentides, plus le Temiscamingue et I’Abitibi), du Saint-Maurice, du Saguenay-Lac-Saint-Jean, du Bas-du-Fleuve et de la Caspesie, de la C6te-Nord, qui deviennent des entites connues, reperables sur la carte du Quebec, reconnues par I’administration provinciale dam ses efforts de colo- nisation. Certes, chacune de ces regions est dhcoupee au

gre des auteurs. Mais quand vient le temps de dresser la carte des regions du Quebec, on observe une convergencedescriteres sur lesquels la division regionale doit se fonder, afin d’eviter les chevauchements, de respecter les configurations naturelles et les ensembles economiques. Puisqu’il s’agit de structurer et organiser un vaste espace

A

peupler, au nord du Saint-Laurent, ces criteres geographiques relevent du potentiel pour la colo- nisation offert par le milieu naturel. Ainsi, si celui-ci est mis de I’avant, iI ne ressortit pas d’un determinisme de I’environnement sur I’evolution de la societe, mais plut6t d’une vision possibiliste.

Langelier (1882) concoit un cadre geographique

A

double entree: d‘abord il decoupe le territoire en unites physiographiques, tels le bouclier de la zone septentrio- nale, la chaine des monts Laurentides de la zone des lacs et I’ensemble de la zone meridionale du bassin inferieur de I’Outaouais et la plaine du Saint-Laurent; mais iI fait aussi un second decoupage en fonction des bassins hydrographiques, lesquels servent de penetrantes au mouvement colonisateur. Son attention est dirigee vers les vallees qui presentent le meilleur potentiel agricole.

Honor6 Mercier (1 889) se conforme 3 un tel decoupage, lorsqu’il divise le Quebec en deux systemes orogeniques, les Laurentides et les Alleghanys (Appalaches), et en trois grands bassins hydrographiques, ceux des principaux affluents du grand fleuve, soit I’Outaouais, le Saint- Maurice et le Saguenay. Arthur Buies (1 900) d6finit

A

son tour le territoire traverse par le Saint-Laurent et ses trois grands tributaires:

Ces tributaires, avec leurs affluents et affluenticules en nornbre incroyable, arrivent du nord lointain, des plaines immenses et marecageuses qui foment, entre le bassin de la mer de Hudson et celui du Saint-Laurent, une sCparation indecise; ils ont dans leur course puissante, traverse la barriere que leur opposait la chaine des Laurentides, et 3 travers les rochers se sont fait un chemin qui les conduit jusqu’au fleuve

I...]

(Buies 1900, 7)

Buies (1 900) en arrive

A

proposer un decoupage regio- nal qui tient

A

la fois compte du milieu naturel (hydrogra- phie et ensembles geophysiques) et des espaces de colo- nisation. Ce sont la region du Lac-Saint-Jean, des cantons

A

l’ouest de ce lac (Normandin, Albanel et Parent), la Region Labelle (le Nord de Montreal, les Laurentides, Lanaudiere et I’Outaouais), la Caspksie et les Cantons, de I’Est. Pelland (1908, 56) se fait plus precis; au nord, il distingue le Temiscamingue, la region Labelle, la Mattawinie et la vall6e du lac Saint-Jean, sur la rive-sud, le TCmiscouata, la vallee de la MatapCdia et la region de la Baie-des-Chaleurs. Toutes ces regions rekvent du

The Canadian Geographer/ Le GBographe canadien 37, no 1 (1993)

(7)

34 Vincent Berdoulay et Gilles S6n6cal

mouvement de colonisation, au point que region et colonisation apparaissent comme des termes quasi indissociables. Toujours est-il que Rouillard (1 901- 1902) identifie sept regions (Lac-Saint-Jean-Saguenay;

Matapedia-Gaspesie; Outaouais et Temiscamingue;

Saint-Maurice; Beauce; Cantons de I’Est; Rive-Sud du Saint-Laurent). Avec I’agrandissement des frontieres en 1898 et en 191 2, le tableau regional du Quebec semble dorbnavant complet. Les regions hudsonienne et ungavienne s’ajoutent donc, augmentant d’autant les ressources hydrauliques, ’la houille blanche,’ ce gage de prosperit6 (Rouillard 1909). Miller ( 1 91 3, 86-94) croit trouver une grande unite geographique h I’interieur du territoire quebecois; iI trace le portrait des differentes regions sous I’angle de leur compl6mentarit6, soulignant les gains territoriaux, identifiant les ressources disponi- bies et leur exploitation.

Si bien que lorsque Raoul Blanchard (1935, 1948, 1953) debarque au Quebec, iI n’a finalement qu’h relire le corpus des monographies regionales pour se donner une bonne idee du Quebec et de son decoupage geogra- phique. II partage le Quebec en zones geophysiques, essentiellement: (1 ) la Plaine du Saint-Laurent partagee en region de Montreal, du centre de la plaine (du lac Saint-Pierre aux abords de I’estuaire) et les abords de I’estuaire (de Levis h Matane); (2) l a region appala- chienne partaghe en Cantons de I’Est, Plateaux du sud de I’estuaire et Caspesie; (3) le Bouclier canadien partage en Laurentides, Lac-Saint-Jean-Saguenay, CBte Nord, Abitibi-Terniscamingue, Outaouais. Fidele

A

I’ecole fran- qaise, Blanchard entend etablir une certaine concor- dance entre region naturelle et region de peuplement.

Donc, au decoupage gkophysique se superpose une division plut8t conforme h la carte des regions de coloni- sation, comprenant notamment I’Abitibi, le Ternis- camingue, le Saguenay, I’Outaouais, mais aussi la Mattawinie, le Terniscouata et la Matapkdia. Suite h quoi, Brouillette (1 959) compare les regions geographiques aux regions economiques, pour n’y trouver, somme toute, que peu de differences, sinon pour arnalgamer des entites dissemblables mais contigues, comme la Gaspesie et la Rive Sud de I’estuaire ou le Saguenay-Lac-Saint-Jean, ou bien, a contrario, pour diviser la plaine du Saint-Laurent en regions de Montreal, Quebec et Trois-Rivieres sur des criteres economiques. Ceux-ci avaient aussi conduit Blanchard A partager la plaine en trois zones d’influence, suivant les grands centres urbains (Montreal, Quebec, Trois-Rivieres). De telles regions, qui considerent les criteres economiques comme importants, preludent au partagedu Quebec en dix unites regionales construites en

fonction des zones d‘influences urbaines et des pales regionaux, numerotees de 1

A

10 et ainsi nommees (Ibid., II est donc clair que les regions administratives du Quebec s’inscrivent dans le prolongement de la geogra- phie de la colonisation. La finalite administrative des regions instituees par la Revolution tranquille ne peut cacher qu’elles ont bt6 conques dans la m h e logique de developpement et suivant le m h e paradigme planificateur que leurs anchres: les regions de colonisa- tion. L’armature des regions fut d’abord les voies d’eau, ces penetrantes de la colonisation vers I‘arribre-pays, puis, comme le pretend Brouillette, ’les moyens de com- munication, les routes et voies ferrees’ qui assuraient les reseaux de diffusion et de commerce. En somme, au Quebec, I’idee de region ne fut jamais associee i un regionalisme de difference culturelle, mais bien h un projetde’miseen valeurdu terroir’(Brouil1ette 1959,65).

80-81 1.

La paroisse: Espace v k u , espace opbrationnel

Avec la colonisation, un vaste espace se rajoute au tronc initial du domaine seigneurial. DCployees vers le nord, des zones de peuplement suivent les axes de migration interieure, qui sont configures dans un vaste systbme hierarchique, fait de nervures qui drainent vers I’arriere- pays. Cet espace se construit suivant la strategic de la t%che d’huile: iI doit s‘etendre paroisse par paroisse et, faute d‘occuper I’ensemble, on dissemine des centres de peuplement sur de vastes &endues dans I’espoir de les voirse relier au fil du temps. Ces paroisses de colonisation sont destinees h ’creer

I...]

de proche en proche

[...I

d‘autres cellules de la vie nationale et catholique, jusqu‘i relier deux fiefs, jusqu’h etendre la profondeur des champs cultives sur tout le bassin imrnediat du Saint- Laurent’ (Miller 1913, 85).

Un tel systeme repose donc sur une unit6 de base, qui est d’abord un espace vecu, l a paroisse. Le discours de la colonisation met en effet I’accent sur I’entite paroissiale comme cadre de vie et d’organisation de la societe canadienne-franqaise. Cet espace local est compris comme I’esperance de la prosperit6 individuelle: on dit que le colon y trouvera ‘du pain, de I’espace et la liberte’

(Pilote 1952,3). En pays de colonisation, la terre n’est-elle pas libre de toute redevance? Le developpement econo- mique y reste une preoccupation centrale. La paroisse doit promouvoir I’exploitation des ressources agricoles, forestibres et minieres. Dans ce contexte, PIUS qu’un simple moyen de reproduction d‘une societe qudbecoise traditionaliste, elle apparait comme le pivot d’une societe

The Canadian Geographer / Le GBographe canadien 37, no 1 (1993)

(8)

Pensee amenagiste et discours de la colonisation au Quebec 35

que I’on cherche

A

developperet moderniser. C’est tout le contraire du tableau passeiste et conservateur qu‘on en a longtemps brosse.

Le plan de colonisation doit prevoir un arpentage correct, un encadrement religieux et villageois, des moyens de communication sh-s et efficaces. Cette pro- messe d’une sociabilite villageoise, communautaire et solidaire, tournee vers le dCveloppement bconomique, Buies (1 889) I‘Cvoqueclairement lorsqu’ilenoncecequ’il appelle la methode du cure Labelle: ’Le colon, disait le cure dans une petite brochure datee de 1878, en aperce- vant le clocher et le prCtre dans la forh, entrevoit, dans un temps rapprochk, I‘augmentation de la valeur de la pro- priete, A l a suite le mkdecin, le notaire, le marchand, le moulin, la municipalit6 religieuse, scolaire et civile

[...I‘

(Ibid., 29). Le systPme paroissial, tel que I’entrevoit le cur6 Labelle, est vu comme, ‘levier’: le petit noyau villageois offre bien des avantages dont celui de se situer sur ’[

...I

une route de communication avec les grands centres de commerce’ (Ibid., 30). On laisse ainsi entendre au colon que ses produits trouveront un acces facile vers les marches locaux, nationaux et mCme mondiaux, oh i l s ne manqueront pas de trouver preneur. La paroisse est donc decrite, dans le discours monographique, cornme un lieu de production accroche

A

I’essor du capitalisme mar- chand.

Une nouvelle organisation du paysage s’affirme. Si le rang persiste, mCme

A

I’interieur du canton comme forme typique, un nouvel aspect de la vie en societe s’instaure:

la communaute villageoise. Le discours decrit et prbsente la paroisse comme un espace social centr6 sur la vie villageoise. Et t‘organisation de celle-ci est r6vClatrice de l a preoccupation konomique. Lorsque Pilote (1 852,67- 70) presente l a paroisse de Chicoutimi, iI met I’accent sur un aspect nouveau, la centralitk, qui devient mCme un principe d’ordre, puisque c’est lA que se tient la cour de justice et les institutions religieuses. C’est aussi un gage de prosperit6 car s‘y retrouvent le rnoulin ?i scie, ernployant 1 20 travailleurs, I’etablissement de commerce, I’h6te1, un quai de chargement et, tout autour, un ensemble residen- tiel en croissance.

Comme hi, Drapeau (1 863) decrit la GaspCsie, d’abord comte par comte, pour dire l a population, les acres possedes et cultives, les produits de I’industrie, les che- mins, bref les avancees de la colonisation; mais rapide- ment iI passe

A

la description des paroisses les unes aprPs les autres, suivant la boucle riveraine, denombrant les familles par ethnies et religions, par sites et par types d’occupation. LA encore, 1’6glise et I’bcole occupent la premiere place dans I’ordre d’enumeration, bient6t sui-

vies par l e nombre d’acres possCdes, cultives, et les produits qui en decoulent. Ces villages sont des centres de peuplement, des noyaux constitues de ’familles grou- pees autour de quelques etablissements’ (Ibid., 22) occu- p6s au commerce et A la production (comme un moulin

A

farine). IIs combinent la peche, I’agriculture et la for&

pour assurer leur developpement. A telle enseigne, la colonisation se mesure en fonction des defrichements, des recoltes, du betail, et pourconclure, de lavaleur totale des biens et produits. II n’est pas inutile de citer l a conclusion de I’etude de Drapeau (1 863,43) sur la region gaspesienne:

’1 ...

] nous verrons que la richesse totale des habitants de cette peninsule s ’ e l k e A 3 941 131 $, soit une valeur de pr6s de 145 $ par tCte

I...]

(chiffres qui ne comprennent pas) les revenus des usines, moulins et manufactures et le capital employe dans diverses indus- tries.’ On parle ici d‘une industrie locale de transforma- tion des produits agricoles, souvent quasi artisanale, mais

A

I‘occasion on ne manque pas de mentionner de verita- bles etablissements industriels.

La compilation statistique de Drapeau tient compte

A

la fois d‘un espace agricole, distribue sur toute la pbninsule dont la principale caracteristique est son &endue, et d’un espace de regroupement autour des usines, des moulins, des quais et notamment du port de Gasp6 A qui I‘on prhe un r6led’envergure internationale. Cetteconception de la centralit6 villageoise est encore plus manifestechez Buies (1 891, 24-25), parlant du Saint-JerGme du cur6 Labelle comme d’un centre prospPre duquel depend I’ensemble des paroisses de la region des Laurenticles.

M@me chez les auteurs faisant partie du clerge, les pr6occupations economiques affleurent. Barbezieux (1 897) decrit Notre-Dame du Rosaire de Temiscamingue au contact de la civilisation et de la nature encore sauvage, faisant &at du recul des Indiens, situant le noyau villageois. On y apprend qu‘un arpenteur ‘traGa les plans d’un village

[...I

determinant I’emplacement oh l’on devait b%tir ?i la fois, I’eglise, l e presbytgreet la maison des soeurs grises’ (Ibid., 438). S’ajoutent une ecole et un h6pital sous les auspices des soeurs grises, noyau autour duquel gravite ‘un commencement de village d‘une vingtaine de maisons’ (lbid., 439). La colonisation est ici tournee vers I’agriculture, mCme si l a forst et les mines sont 6voquees et si la creation d’une compagnie de chemin de fer est souhaitee pour assurer la survie de la colonie.

EugPne Rouillard (1 899), de la Societe de geographic de Quebec, rkalise pour le compte du Departement de la colonisation et des mines une etude sur les comtes de Pest du Quebec. II decrit la vaste region decoupee en comtes,

The Canadian Geographer / Le Geographe canadien 37, no 1 (1993)

(9)

36 Vincent Berdoulay et Cilles Sbnbcal

formee de paroisses florissantes (Ibid., 3). Les anciennes seigneuries et les domaines forestiers s’ouvrent sur les nouveaux cantons ou les paroisses sont mentionnees pour leur population, I’espace cultivb, le boiset ses transforma- tions. Ainsi, Sayabec, situ6a latdedu IacMatapediaetsur les rives de la riviPre Sayabec, se trouve A quelques arpents de l a station de chemin de fer. Le village reven- dique une population de 600 personnes, concentrees autour de I’eglise et son cure. Son essor tient

a

I’industrie:

’[

...

] un grand commerce de bardeaux

I...]

a considbra- blement contribue au developpement du village. Celui-ci possede actuellement deux marchands, un bureau de poste, deux ecoles’ (Ibid., 50). I I est I’epicentre des rangs de colonisation de I’interieur et le siege de I’agence des terres du canton. A Saint-Damase, iI y a une fromagerie dans l e centre du village, tandis que Saint-Pierre-du-Lac recPle des scieries (Ibid., 52). Rouillard entrevoit qu’une telle prosperit6 pourrait supporter aisement, dit-il, une population de 300 000 dmes.

Des compilations couvrant I‘ensemble des paroisses et municipalites du Quebec sont realisees, indiquant les limites, les etendues et leurs modifications (Deschamps 1886; Magnan 1925). Paralldement, les monographies paroissiales du Departement de la colonisation s’inte- ressent aux conditions agricoles comme aux forGts ou aux mines dans une logique qu’on pourrait aujourd‘hui qualifier d’exploitation rationnelle des ressources. En 1912, Hormisdas Magnan poursuit dans la voie agriculturiste - I’agriculteur est privikgie, dit-il, vis-a-vis de I’ouvrier des villes -quoique son bilan de la colonisa- tion insiste sur les industries laitiere, forestiPre et miniere.

Ses monographies regionales 6num6rent les moulins (de pulpe, scie, i farine), les tanneries, fromageries et beurreries, tout comme les manufactures et fabriques de toutes sortes, identifiant les possibilites de developpe- ment touristique liees

A

la chasse et

A

la p6che sportives, les amenagements hydro-dectriques et les gisements mineraux potentiels. Magnan decrit, par exemple, Port- Daniel pour son sol de bonnequalite, ses terresen culture, les essences ligneuses diversifiees de sa for&

environnante, et dit enfin que ’les principales industries sont le commerce du bois, la p k h e et la culture’ (Magnan 191 2, 33-34).

Alfred Pelland propose une recension systematique des travaux portant sur la colonisation de la Gaspesie en 191 4. II met tout en oeuvre pour demontrer les potentiels, les qualitbs du climat, l a fertilite des sols: les temoignages et les donnees chiffrees attestent de la viabilite economi- que de la region, surtout si on vise ‘une exploitation raisonnee, scientifique des for&’ (Pelland 191 4,101

I.

En

outre, le systeme hydrographique permet d’entrevoir

des amenagements hydrodectriques ‘au profit de I’industrie’ (Ibid., 90). Les besoins en energie sont grands.

Les ressources en bois de pulpe et de sciage laissent presager de bons debouches, d’ailleurs on recense pas moins de seize moulins

a

scier et neuf marchands de bois (Ibid., 109). L’industrie de la p@che est

a

son tour decrite, par tonnage et valeur des prises selon les especes (Ibid., 133). En Gaspesie, agriculture, peche et forGt font bon menage. Elles offrent donc des ressources, facilement exploitables et facilement commercial isables; le transport est assure par trois lignes de chemins de fer qui placent la region sur la route des echanges entre le centre du continent et la facade atlantique. Si la voie la plus an- cienne, celle de I’lntercolonial, reliait Montreal 2 Halifax en ignorant legrandportde lapeninsule, c’est-A-direcelui de Gaspe, le chemin de fer de la baie des Chaleurs remedia i la situation. On garda longtemps I’espoir de refaire de Gasp6 la grande porte d’entr6e maritime sur la cbte est.

Un espace projet: Le plan Labelle

Le projet de la colonisation porte implicitement, en sa logique meme, un dessein pour le Quebec tout entier.

Bien que la plupart des monographies osent

a

peine sortir du cadre 6troit de la region et se limitent

a

decrire les ressources et les progrPs, on reconnaft que I’entreprise transcende les efforts particuliers et locaux. Plusieurs auteurs discutent en effet de la question du developpe- ment et inscrivent leur bilan

A

I’echelle du Quebec. Leur vision mobilise toutes les energies et tous les secteurs d’activitbs. D’entree prime I’idke d’amorcer un deploie- ment industriel (industries domestiques associees

a

I’agriculture et

a

la forh, mais aussi I’industrie manufacturiPre). Les apbtres de la colonisation r8vent de grandes industries, de chemins de fer, de commerce international. C‘est le cas du cur6 Labelle (dans Buies 1889) ou d’Edmond de Nevers (1 896). C’est aussi le cas d’Errol Bouchette ( I 907) qui appelle

A

I’independance economique des Canadiens francais: ‘emparons-nous de I’industrie’ oppose-t-il

A

ceux qui entendent se limiter

a

s’emparer du sol. Le nord, n’est-ce pas aussi de I’energie hydraulique! L’acces de telles ressources se veut une garantie de developpement. Tout cela assurera la prosp6- rit6 et l’autonomie economique

a

la communaute.

L’industrie supporte ainsi I’kconomie de l a colonisation.

Projet economique, projet amenagiste, le discours de la colonisation appelle une structuration particuliPre des rkseaux d’bchanges que Buies (1889, 28 et suivantes) Cnonce dans I‘Outaouais Supgrieuren decrivant le projet du cure Labelle. Le squelettede I’entreprise, c’est bien sOr

The Canadian Geographer I Le Geographe canadien 37, no 1 (1993)

(10)

Pensee amenagiste et discours de la colonisation au Quebec 3 7

le chemin de fer. Pour tout dire, Labelle cherche 2 orchestrer un rQeau ferrC dont toutes les articulations partent du principe qu’il existe une plate-forme territo- riale en formation. Le train du Nord ouvre la voie ‘depuis la baie d’Hudson jusqu’aux Montagnes Rocheuses‘ (Ibid., 36). Vers I’est, iI traverse les Laurentides pour se souder 2 des chemins de descente du Haut-Saint-Maurice vers Trois-Rivieres, du Saguenay vers Tadoussac. Le Quebec se situe ainsi 5 l’interconnexion ‘de la grande voie ferr6e transcontinentale, le Pacifique Canadien, [d’lune future ligne de steamers transatlantiques, dont la t&te de ligne, pendant la belle saison serait Tadoussac‘ (Ibid., 40).

Labelle entrevoit Tadoussac comme un futur grand port, comme ’le point d’aboutissement‘ (Ibid.) des tronGons de chemin de fer en construction appeles

A

former le Grand Tronc du Nord, ce grand axe de peuplement et de commerce. Le Nord comme voie de commerce ne doit pas, par ailleurs, attPnuer le r61e de la route du Saint- Laurent et des Etat-Unis:

Si nous voulons garder la grande voie commerciale pour nous, s i nous voulons que le trafic du Pacifique Canadien ne sedbtourne pas vers le sud, colonisons le nord, peuplons les vallees de la Catineau et de I’Outaouais; rendons les anciennes provinces plus fortes en rayant le nord de chemins defer qui seront autant devoienourricieresde lagrandevoienationaledu Pacifique

[...I

le cure Labelle demandait la creation de petits embranchements partantdechaqueparoisseetvenantaboutirh la Iigneprincipale, en couvrant ainsi toute la r6gion en voie d’dablissement d’un r6seau de communication qui relierait entre eux les points les plus &art& (Ibid., 42).

Ce chemin de fer projet6 se ramifie donc i I’interieur de toutes les regions de colonisation du Nord. II vise ainsi

A

rkorganiser les reseaux d’kchanges rnarchands, notam- ment en modifiant les axes et en renversant le sens des flux. I I s’agitd‘attenuer lepoidsdu couloir fluvial du Saint- Laurent, sans abandonner pour autant la penetration vers I’interieur du continent, pour developper un axe Nord- Nord-Ouest qui monte vers la baie d’Hudson et va jusqu’au Pacifique par le Nord-Ouest, en centrant le projet de developpement sur I’espace quCbCcois. L’idCe est d’orienter les flux en partance des nouvelles regions, par exemple de I’Abitibi et du Saguenay, vers le port de Tadoussac qui se situe en plein centre du QuCbec (ce port resta toutefois 2 I’etat de projet). Ace sujet, le rB1e que I’on veut assigner au port de Gasp6 est revelateur. I1 faut rappeler d‘abord que Gasp6 est, un temps, la grande fen&re maritime sur la facade atlantique, d’autant plus qu’elle reste libre de taxes. D’aucuns croient qu’elle pourrait rivaliser avec Halifax pendant la saison hivernale

(Langelier 1883, annexe; Miller 191 3,881. Le projet estde bstir un axe reliant le nord-ouest quebecois et le port de Gasp6 pour drainer une plate-forme territoriale qui epouse les contours de ce que l’on nomme aujourd‘hui I’espace quebecois. A ses deux extremites se trouvent deux routes commerciales d’importance, soit vers I’ouest par train, la longue dorsale du Nord-Ouest qui se pro- longe jusqu’au Pacifique et, vers I’est, par bateau, I’Europe qui exerce encore une attraction culturelle et 6conomique.

Au terme des dkbats et des projets, Montreal conservera son rBle de noeud ferroviaire du nord-est americain. La voie du Nord sera toutefois inaugurbe: le Transcon- tinental 6vite Montreal et se raccroche aux chemins du Saguenay, au Canadien-Nord et

A

I’lntercolonial, et il rejoint I’Atlantique, directement sur Halifax. Mais ce ne sera pas le grand axe commercial destine

A

assurer une 6conomie quebecoise autocentrbe. De surcroit, ni Tadoussac ni Gaspe ne parviennent

A

sortir des portefolio des visionnaires. En fait, le projet de Labelle ne se mate- rialise qu’i moitie: la voie du Nord s’ouvre, les relais regionaux se dkploient en reseaux, mais sans que le Quebec comme territoire ne s’impose autrement que comme une &ape parmi dautres te tong du couloir est- ouest. En d’autres termes, le projet ne parvient pas 5 parachever sa perspective territoriale qui etait un autocentrage kconomiqueet une appropriation du reseau nordique. La vision globale de I’espace du Canada fran- Gais y perd un peu. On repond neanmoins 5 I’objectif principal, celui d’agrandir I’aire d’occupation des Cana- diens francais. Le Nord qukbkcois s’avPre 6tre I’assise du domaine national, son rempart, voire‘l’asile invulnerable de l a nationalit6 franco-canadienne’ (Buies 1889, 36).

Toutefois,

A

I’encontre des pronostics de Labelle et Buies, la colonisation canadienne-francaise ne se raffermit pas vers I’Ouest, n’atteint pas le Pacifique, ne laisse pas ‘une succession de villes et villages echelonnes sur le parcours de cette ligne’ (Ibid., 41).

D u fait de leur logique amenagiste, les rnonographies decrivent le milieu et ses ressources pour en degager les moyens d‘exploitation et le meilleur arnenagement possi- ble. Les monographies des regions de colonisation s’avgrent de veritables essais de geographie appliquee, axes sur I’exploitation des ressources et I’expansion du domaine cultive, et n’ont de port6e que celle de justifier, chiffres et temoignages 2 I’appui, les possibilities de transformer I’espace selon ses voeux. Le passage

A

I‘acte relbve d’autres demarches.

O n aura toutefois compris que le discours g6o- graphique de I’epoque est traverse d’intentions economi- ques. Ses objectifs sont ouverts

A

toutes les pratiques de

The Canadian Geographer / Le Ceographe canadien 37, no 1 (1993)

(11)

38 Vincent Berdoulay et Gilles SCn6cal

developpernent. En s’attardant sur I‘espace & &re, plus qu’en decrivant I’espace tel qu’il est, ce discours geogra- phique verse dans la prospective. Plusieurs faits &hap- pent ainsi & la description monographique. A certains egards, I’observation attentive des conditions materielles d’existence peut aussi servir

A

dementir le projet tel que vehiculC par la monographie regionale. On peut citer & ce chapitre les travaux de Leon GCrin (1 898) qui identifie A Saint-Justin un mode d’existence qualifih de rustique et mi-traditionnel. Cet auteur n‘y trouve guere I’unite de production et I‘essor commercial voulus par les tenants de la colonisation. Gauldr6e-Boilleau (1 875) & Saint-Irenee de Charlevoix et plus tard Miner (1 937)

A

Saint-Denis de Kamouraska arriveront sensiblement aux m h e s conclu- sions, c’est-&-dire, & reconnaitre une societe rurale encore sournise aux schemes traditionnels sur bien des aspects.

Un tel &art entre discours et realit6 meriterait certaine- ment un approfondissement qui depasse le cadre de cet article. Quels que soient les echecs de la colonisation, il n’en demeure pas rnoins qu‘elle a favoris6 I’eclosion d‘une pensee territoriale et d‘un mode de gestion du spatial.

En guise de conclusion: Le territoire quCbCcois L’idee du territoire quebecois se tisse au fur et h mesure que se precise le contenu d‘un projet sous-jacent h un certain type d’organisation territoriale, de division in- terne et de frontieres. Si on compare la Description topographique du Bas-Canada de Joseph Bouchette (1 81 5 ) et les monographies desannees 1850-1 880, on est frappe deconstater combien l a representation de I’espace du Canada franGais a pu Ctre rnodifiee. Le discours geographique trace lentement la carte du Quebec con- temporain. Les representations et le discours geographi- ques integrent desormais les differentes regions de colo- nisation, de m@me que la peninsule ungavienne et le Labrador. Le trace des frontieres provinciales ne tarde d’ailleurs pas & rattraper la vision territoriale en emergence: I’espace quebecois reconnu en 1867 en- globe les limites anciennes de I’aire seigneuriale et des regions de colonisation, puis accapare le Nord avec les annexions de 1898 (Abitibi et JamCsie) et de 1912 (Ungava). Bient6t un decoupage regional formel vient organiser I‘espace et donner une certaine coherence

A

I’ensemble. Toutes les regions semblent participer du m@me plan d’ensemble. On prevoit de structurer les articulations inter-regionales et d’assurer les rapports commerciaux avec le Pacifique et I’Europe. C’est ainsi que le discours geographique compose une image cohe- rente de ces regions de colonisation, au depart separees

et 6loignees I’une de I’autre, mais soudees par le m&me projet, plus tard reunies dans un territoire compact reperable sur la carte, engagees toutes dans une dynarni- que d‘echanges economiques.

Le discours du projet de colonisation porte donc en lui la carte mentale d‘un Quebec en devenir. II en trace les grandes lignes. II decrit sa forme et ses fonctions. Plus encore, iI se propose d’en donner le sens cache, celui d‘une societe en qu@te de son independance Cconomi- que, qu’elle croit trouver par I’appropriation de terres nouvelles. Pourtant, I’emergence de I’idCe du Quebec ne s’accomplit pas sans une rupture vis-a-vis des concep- tions continentalistes qui ont longtemps impreg& les representations collectives. Faut-il inverser les flux 6co- nomiques, ouvrir la route du Nord? L’axe du Saint- Laurent doit-il perdre en faveur? II importe en tous cas de detourner les flux migratoires vers I’arri6re-pays. A I’espace economique dominant, articule en fonction du centre du continent,

A

ce systeme dont Montreal est un pivot important, on veut opposer une conception autocentree sur le Quebec, qui reduit le r61e de la metropole et h i substitue des p6les regionaux. Cette opposition entre Montreal et les regions s’exprirne nette- ment dans le discours de l a colonisation. Des le tournant du siecle dernier, les petits centres r6gionaux comrne Chicoutirni sont presentb cornme des lieux centraux de I’economie en devenir. O n avalise ainsi le projet de crber une economie quebecoise autonome, autosuffisante, structuree autour de pdes de developpernent et d’bchanges distribues & travers le Quebec et in- terdependants I’un & I‘egard de I’autre. Avec la colonisa- tion, le Quebec se dote d‘un cadre territorial, construit autour des espaces regionaux et paroissiaux, esperant ainsi exercer un meilleur contr6le sur I’espace. II tarde toutefois & emprunter la voie politique, & se tourner r6solurnent vers les questions de pouvoir. La colonisation est h cet egard revelatrice d‘une strategie qui appelle &

prendre d’abord possession du sol, plut6t que du pouvoir pol itique.

Le Quebec poursuivra neanmoins sa quCte d’in- dividualite territoriale h I’intCrieur de la federation canadienne. Utilisant les pr6rogatives d6volues & une province, ses dirigeants pr6neront la th6se de I’autonomie provinciale. Parlant souvent au norn de I’histoire, ils evoqueront la difference quebecoise. Un projet nationa- liste 6voluera lentement, au fil d‘un XXe si6cle mouve- ment6, vers une conception territoriale du Canada fran- Fais, en esquissant les formes et structures de cet espace en devenir. Dans les origines et I’evolution de cette pensee amenagiste, iI sernble bien que le projet de colonisation ait jou6 un grand r6le pour faire emerger un

The Canadian Geographer/ Le Geographe canadien 37, no 1 (1993)

Références

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