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En ce temps-là j'avais vingt ans...

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Academic year: 2022

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En ce temps-là

j'avais vingt ans...

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PIERRE BACHELET

En ce temps-là

j'avais vingt ans...

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© Copyright mars 1989 Éditions Michel Lafon, 9 bis, rue de Montenotte 75017 Paris Tous droits réservés, y compris l'U.R.S.S.

La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41, d'une part, que les « copies ou reproduction strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation colelctive » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration. «Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de l'éditeur, ou de leurs ayants cause est illicite» (alinéa premier de l'article 40).

Cette représentation ou reproduction par quelque procédé que ce soit conxtituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.

ISBN 2-86804-634-7

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Que sont mes amis devenus que j'avais de si près tenus et tant aimés?

L'espérance des lendemains ce sont mes fêtes...

RUTEBEUF.

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... j'ai grimpé la «Mouff»

comme on monte au paradis

J'ai grimpé la « Mouff » comme on monte au paradis.

Tranquille, en badaud. Sans même imaginer un seul instant que «là-haut» m'attendait peut-être quelque chose d'important, voire d'irréversible.

« Là-haut », presque rien! Un de ces petits coins pei- nards du vieux Paris, rien qu'une petite place en triangle, avec trois platanes, histoire de voir passer les saisons: c'est la Contrescarpe, tout au bout de la rue Mouffetard avec la Montagne Sainte-Geneviève, de l'autre côté du Panthéon. Elles dominent le Quartier Latin comme le Sacré-Cœur, là-bas vers le Nord, veille sur Montmartre.

Tu peux t'y promener dans la journée avec l'impres- sion qu'il ne s'y passe jamais rien d'exaltant, que le calme d'ici frise l'ennui, et que la crémière n'aura rien de croustillant à distiller dans l'oreille des vieilles dames qui, à petits pas lents, vont prier du côté de Saint-Médard.

Et pourtant, que personne ne s'y trompe! Ce n'est ni l'érosion des années, ni la vieillesse du cœur qui pèsent sur les rues silencieuses, inertes à cette heure-là, mais plutôt une sorte de présence maternelle qui protège le sommeil de ceux-là...

Ceux qui en sont l'âme et l'essence, ceux qui illu-

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minent les façades, la nuit, ceux qui font vibrer l'espoir de tous, ces enfants fous, à la recherche d'eux-mêmes, d'un monde qui leur ressemblerait, et qui achèvent un rêve merveilleux dans des draps presque trop blancs d'innocence.

Surtout ne les réveille pas! Attends encore un peu que le soleil leur cède la place. Ils vont bientôt sortir, ne t'inquiète donc pas! Parce qu'ils viennent ici, chaque soir, crier, au monde qui s'en fout bien, leur souffrance, l'envers de leurs rêves de tout à l'heure, et parce que malgré tout, ils ont envie de chanter et de danser pour mieux s'aimer jusqu'au petit matin.

Si tu as la patience de guetter, si ta vie quotidienne ne te rappelle pas à d'autres tâches plus importantes ou plus sérieuses, si tu as encore le goût de la fête, alors tu verras ces lieux magiques s'embraser soudainement.

Attention, pourtant, je t'aurais prévenu! Garde-toi bien, car d'autres, aussi impatients que toi, ne se sont pas méfié et, dans le matin blanchissant, on les a re- trouvés errant comme des enfants fous, subjugués à l'idée d'aborder une prochaine et nouvelle nuit!

Vingt-deux heures passées, les restaurants de poche battent le plein et, devant les épiceries exotiques, les étalages débordent toujours sur le trottoir. Le mélange de senteurs des fruits et des épices te cueille gentiment au passage. Tous les coins du monde ensemble, et pourtant tu n'es pas n'importe où!

Le petit théâtre de la Mouff... Je stoppe un peu pour regarder les affiches. Montages poétiques d'auteurs anonymes, ballets venus d'un îlot perdu sous les tro- piques, une culture différente, marginale pour certains.

Un stencil, un dessin à la plume, on annonce avec les moyens du bord. On vend, on troque, on recherche... Il

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y en a plein la devanture du théâtre, mais ici, rien ne choque. Un collant de danse (taille quinze ans) et les chaussons qui vont avec... des heures de ménage pour une dame parlant français avec certificat de travail...

On demande un plongeur pour un restaurant antillais de la rue du Pot-de-fer...

Juste en dessous on propose une guitare électrique, une Stratocaster en bon état... La Strato, reine des gui- tares! Vieux rêve de gosse! Je la repérais partout sur les pochettes de disques. Tiens, tu te souviens? les Sha- dows avec le grand Marvin, Monsieur Strato en per- sonne, et Buddy Holly, les Spootniks, les Fantômes, les Pirates, les Chats Sauvages, tous, ils me narguaient avec leur Strato rutilante! Dans notre petit groupe de rock on avait eu du mal à payer la caisse claire et les cymbales du batteur... pas question d'attaquer encore un crédit pour une Strato! Alors bon marché les gui- tares...

La mienne, je l'avais négociée pour vingt mille francs. Enfin deux cents francs si tu préfères! Un manche rèche où on se défonçait les doigts... Même pas juste en haut et en bas, mais verte, scintillante, presque comme une guitare électrique, et ce que j'en sortais res- semblait à du rock! A quatorze ou quinze ans, je n'en demandais pas plus c'était ma musique, celle dont je me goinfrais jour et nuit, avec mes copains, celle d'Elvis, de Cochran et des autres... Celle que je voulais jouer, plus tard... La bande-son qui collait à l'image de James Dean, celui que l'on ne voulait pas oublier, bien qu'il nous ait lâchés un peu trop tôt.

Pendant de longs moments on bavait devant la vitrine de chez Paul Beuscher, parfois même on osait rentrer, pour se faire jeter par un vendeur excédé qui

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nous répétait pour la x-ième fois de ne pas toucher aux instruments. Déçus? Même pas! On était tellement heureux de l'avoir caressée des yeux, en vrai!

Comme ce soir je me sens tellement heureux de pou- voir respirer ici cet air si particulier. Ça sent l'envie d'empoigner sa vie et l'espoir de la réussir... Réussir son existence, c'est éprouver ce besoin impérieux de faire autre chose que de vaguement subsister. C'est laisser derrière soi une petite trace de son passage, si infime soit-elle, un petit signe, une modeste contribution dans la grande histoire des hommes, ce petit truc qui pour- rait changer le monde de demain, le rendre plus conforme à l'attente de tous ceux qui cherchent ensemble ce que n'ont pas trouvé les générations pré- cédentes. Cette solution miracle après laquelle nous courons d'illusions en illusions...

- J'y serai vers minuit!

Pas la peine de me presser donc. Encore une heure pour flâner avant de retrouver Bastien. Encore une heure pour me remplir les mirettes de cet univers que je découvre sans savoir qu'il va bientôt me devenir familier.

Je rôde autour des cabarets où je débuterai ma vie d'artiste, et pourtant, ce soir, je suis à mille lieues de m'en douter!

L'Escarpe, la Contrescarpe, le Cheval d'or, le Bateau ivre, la Méthode... Et la Montagne pelée, le fief de la famille Ferret : Matelo, Sarrane, Boulou... combien de

«grandes nuits» à pleurer ou à rire au son de leurs valses tziganes? Grandement aidés, est-il besoin de le préciser, par la Zubrowska, leur vodka polonaise qui transformait le banal en un poème symphonique, au bout du deuxième verre.

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Trois clodos s'affalent sur le terre-plein, au centre de la place. Quelque part je les envie. Ils sont libres, eux!

Pourtant, honnêtement, je ne suis pas sûr de faire échange. L'hiver, en tout cas!

La Contrescarpe, manifestement, c'est leur « chez eux ». Ils sont installés pour une nuit de spectacle. Ils regardent passer. C'est leur dernière liberté. Le plus allumé fait les commentaires.

- T'as vu le valseur! Eh, ben, mon petit pigeon, va pas s'ennuyer ton monsieur!

La fille passe indifférente. C'est vrai qu'elle est mignonne. Les autres aussi, toutes les autres... Ça fait du bien de les regarder. Des semaines et des semaines d'armée, les premières, les plus longues, avec juste des mecs. Et là toutes ces nanas bronzées. Je me coince l'œil dans l'entrebaîllement indiscret d'un tee-shirt, et je reçois, en souvenir, une petite traînée d'ambre solaire et de bergamote mélangés.

Quand on s'impatiente avant un rendez-vous, une heure ça dure des heures! Et pourtant c'est si peu de temps pour aborder, observer, absorber ce nouveau décor. Jamais plus après je ne le verrai avec les yeux de ce soir. Je ne sais rien de la suite, mais je ressens une furieuse envie de profiter de tout cela, et aussi, d'un seul coup... de boire un café.

A la terrasse de la Chope, la grande brasserie sur la place, ça grouille de monde. Normal, c'est samedi! Je me faufile. Un couple abandonne sa table, je fonce et j'occupe.

- Un café, s'il vous plaît!

Je regarde un peu mieux la tête des gens qui m'entourent. Je m'imprègne de l'esprit du lieu. Mon futur Quartier Général! Plus tard, je viendrai échouer à

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ce même endroit, au terme de mes nuits blanches de refaiseur de monde, au terme de ces virées où l'aven- ture consistait à se construire une image de poète et à le faire savoir aux « autres ».

A l'orée de ce vieux Quartier Latin, au cœur de Paris que j'aime, j'attends l'heure d'aller écouter Bastien. Ce soir il doit chanter une de mes chansons dans une boîte du coin, la Cage. Cette boîte, ma véritable rampe de départ, j'y chanterai presque tous les soirs pendant plus de deux ans!

Allez, chut! Ne m'en dis pas plus. Je n'ai pas envie de savoir à l'avance. Je veux être surpris, étonné, enthou- siaste ou déçu à pleurer, mais par pitié, je ne veux rien savoir de la suite avant de la vivre en direct!

Tiens, pour le moment je bois mon café sur la Contrescarpe, et, il y a trois semaines seulement, je croyais encore que l'armée m'enverrait sur le tournage d'un film bien loin d'ici. Tu sais, un coin insensé où seuls les militaires peuvent tourner. Dans ma tête, je rêvais déjà à de nouvelles mises en scène, aux expé- riences que je voulais tenter, l'occasion était trop belle de se lancer, d'apprendre son métier!

Quand un appelé, jeune cinéaste de surcroît, apprend qu'il est affecté au service cinématographique des armées, il ne peut deviner qu'il se retrouvera à pourrir dans un service de comptabilité!

Moi, en plus, je me suis brouillé à vie avec les chiffres!

Qui décide de la croisée des chemins et de celui qu'il faut prendre? En principe, chacun choisit son destin, mais le hasard d'une rencontre, une erreur de fiche, un contretemps dans le parcours et le jeu change. Ta vie aussi. Tu pars sur une autre voie, juste le temps de te

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ressaisir, mais cette direction nouvelle te mène à une autre, encore plus nouvelle, et, dans ton dos, le dessin des pistes s'est déjà modifié. Alors tu avances, bien obligé!

J'ai pesté. J'ai réclamé. J'ai prouvé, en montrant le résultat des tests et tout. Mais... mais, rien!

A la compta, la déprime me guettait. Ça n'a pas raté.

Quatorze mois à tirer dans ce fort d'Ivry, je ne pensais pas tenir le coup! Après quinze jours de solitude, un joli soir du mois de juin, plus difficile encore parce que, justement, c'était le mois de juin, j'ai risqué un pied en dehors de ma piaule, à la recherche de quelque chose.

Quoi? Ne me demande pas, je n'en savais fich- trement rien...

Un peu de compagnie, des gens qui bougent, qui parlent, va savoir! Un couloir sinistre, un autre qui s'emboîte au premier, et du bruit au bout : J'ai poussé la porte du foyer, plus par instinct que par goût. Sans ima- giner la suite...

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... juste la guitare de Bastien sa chanson et moi qui siffle en face de lui

― Bastien, une bière!

Odeur âcre des bières renversées, des Gauloises mili- taires, du sol mal lavé et de tous ces soldats qui marinent dans leurs treillis. Faut s'habituer!

Derrière son zinc, ce Bastien, avec son air d'attendre que ça passe, il ne chôme pourtant pas.

― Bastien! Eh! Bastien!

Il ouvre les cannettes par rangs de cinq au moins!

Les capsules tombent en pluie dans un bac en ferraille.

Ça fait un bruit de jackpot.

Me lance un regard interrogatif.

― Une bière aussi?

― T'as pas un café?

― Ben, heu... faut que j'en fasse...

L'emmerdeur de service. Je ne me sens pas à l'aise, je n'aime pas trop me faire remarquer pour des trucs comme ça.

― Bon, écoute...

― T'inquiète pas! Je vais en faire!

― Sympa, merci!

Il me jette un regard plutôt amical et ça me rassure.

Son café sent bon. Même que je me brûle un peu en l'avalant trop vite. Dans la salle, les bidasses solidement lestés se calment un peu. Encore quelques cannettes...

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Bastien souffle enfin et se sert une tasse de café à son tour. Avant de boire, il arrête son geste et me lance un sourire en coin, comme pour trinquer avec moi.

Sous le comptoir, il planque une guitare. La clope au bec, il saisit le manche et cherche la meilleure position, assis sur deux casiers à bouteilles. Quelques accords, comme pour lui tout seul. L'oreille tendue vers la caisse de sa guitare. Une bouffée de tabac, il retend la deuxième corde, écoute... donne aussi un petit tour à la troisième... Encore un petit nuage de fumée.

Derrière les gars ont pigé qu'il y avait attraction. Ça gueule :

― Vas-y Bastien, la digue, la digue...

Je redoute le pire. Ça sent l'ambiance « noces et ban- quets » à plein nez. Impassible, il continue de s'accor- der. Une ultime bouiffe qu'il prolonge au maximum.

J'ai soudain l'impression que le film tourne au ralenti.

Un film où on te mâche l'imagination en te télé- phonant à l'avance tous les effets. Je mate, indifférent en fait, moi, je n'attends rien.

Il daigne enfin poser son mégot sur un coin du comptoir. Bon, il va démarrer...

Erreur! Il restait encore du café dans sa tasse. Il la vide d'un trait. Cette fois, ça y est!

Premiers accords. Je reconnais tout de suite : I can't give you anything but love.

J'aime. Je l'ai écouté souvent, chez moi, sur un vieux vingt-cinq centimètres de Louis Armstrong que je conserve avec soin. Je ne le voyais pas dans ce réper- toire-là, mais quelle bonne surprise! Machinalement je siffle le contrechant de la trompette. Bastien me lance un coup d'œil de connivence.

C'est OK, je continue. Je crois même que ce soir-là, j'ai dû le siffler à peu près juste!

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Les cris, les rigolades, les insultes de tous les mecs pétés à la bière... plus rien d'un seul coup! Arrêt complet sur l'image. Silence immédiat. Tous les regards convergent vers nous. Ça me fait comme un poids dans le dos.

Juste la guitare de Bastien, sa chanson et moi qui siffle en face de lui.

Je ne la lâche pas du regard. Sourire complice. Son œil tout noir, le mien tout bleu. Lui, le p'tit brun, moi, le grand blond... tandem classique, comme dans les films burlesques. C'était parti! Je ne savais pas encore très bien pourquoi, mais j'avais envie de me glisser dans cette amitié entrouverte.

Un bidasse armé d'une autre guitare l'a rejoint pour un deuxième morceau.

After you've gone! Quel pied! J'ai les doigts qui me démangent. M'adressant à Bastien :

-Tu peux me faire une grille d'harmonie du pro- chain? Je monte chercher ma gratte!

Et moi... l'ex-rocker des Volts - j'ai un passé glorieux dans les boums de mon quartier - je me suis retrouvé, pour la première fois, à accompagner du jazz, dans ce foyer un peu miteux de la caserne!

Blueberry Hill..., quelques notes sur un rond de bière... un grand moment! Une sorte de privilège...

entrer comme ça dans le jeu. Avec les copains autour.

Ils aspirent la bibine à la paille. Pour partir plus vite. Ils aspirent ta musique avec. Comme une dope.

Prendre le tempo avec les premières notes...

Et puis, d'un coup je me sens juste, en même temps que les autres, et je glisse dedans. Comme sur le grand toboggan quand j'étais tout petit.

Les notes arrivent, je ne comprends pas d'où. Elles

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s'imposent. Les doigts faciles sur les cordes, je n'y pense même plus. C'est dans ma tête, autour de moi, tout danse, tout flotte. Je sais que c'est moi qui gratte, et j'ai quand même du mal à le croire, tellement c'est bien, tellement c'est fort!

Je plane. La musique, je ne la joue pas, je la vis.

Jamais été aussi heureux. La tête, les doigts, les oreilles, je ne suis plus qu'un dans ma peau. Je vibre pareil par- tout. Ça me court le long des nerfs, ça me vrille au plexus.

Les gars s'accrochent de plus en plus à notre rythme.

Heureux, béats. Déjà plus rien dans leus mirettes, rien qu'un gros coup de plaisir. Ils se laissent gagner par l'émotion. La nostalgie vient les prendre par la main.

Celle qui donne envie de chialer sans que tu saches très bien pourquoi.

Les souvenirs crèvent comme des bulles au ras des yeux. Le blues du passé. De la vie dehors. De la vie d'avant, chez soi... enfin souvent chez les parents.

Une sensation nouvelle.

L'enfance interminable parce qu'on voulait être grand tout de suite... L'adolescence tristounette entre le transistor et le Teppaz, la bande de copains et les filles qui jouaient aux saintes-nitouches... Tout ça, finale- ment c'était drôlement chouette. Terminé un peu vite, trop vite tout compte fait. On n'a plus le droit d'attendre encore un petit peu.

L'armée... après t'es un homme, que ça te plaise ou non!

- Tu re-veux du café ?

- Non... tiens, finalement, donne moi une bière aussi!

Ils en ont joué beaucoup d'autres, j'essayais de suivre

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tant bien que mal. Les harmonies jazz, c'est coton. Je suis ressorti de là, avec une douzaine de ronds de bière annotés, contenant chacun un «trésor de la zizique»

comme dit Boris Vian... et un peu de vague à l'âme.

Quand je me suis endormi, cette nuit-là, j'avais encore plein de musique au bout des doigts.

Le lendemain soir, je me suis pointé directement avec ma gratte et les autres soirs aussi. Ça devenait un rite. Très vite, je me suis mis au jazz. Django, bien sûr, pour la guitare c'est évident. Mais aussi les grands stan- dards. Armstrong, Saint-Louis Blues, On the sunny side of the street, etc. Le Duke, Solitude, Black Beauty, the Mooche... Petite Fleur de Sydney Bechet, inratable comme Maria Elena!

Dans mon hit, pourtant, Stardust reste la plus belle mélodie du monde, je ne me privais jamais de ce plaisir.

Sometimes I wonder: Why I spend the lonely nights, dreaming of a song?

The melody haunts my reverie, I'm once again with you when our love was new...

Et vlan! Chair de poule pour tout le monde quand je coule dans les basses!

En fin de soirée, Bastien taquine le répertoire de Brel. Il envoie «au suivant!» d'une façon magistrale.

Moi, j'entonne Brassens, Ferré surtout. L'autre soir, emporté par le bonheur d'être là ou tout simplement par une bière de plus, je me suis risqué à chanter du Bachelet...

Bastien n'en revenait pas.

- Mais t'écris des chansons? Et tu dis rien?

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J'en ai chanté une autre, une autre encore... Les gars ont eu l'air d'aimer. Pas peu fier, le Pierrot, heureux à n'en plus pouvoir!

C'est là que Bast m'a pris à part. Il m'a raconté ce qu'il faisait le samedi soir avec ses copains dans cette boîte...

- Est-ce que ça t'ennuie si je chante une de tes chan- sons? La Petite Sœur, par exemple?

- Est-ce que ça t'ennuie si je vais t'écouter, ce samedi soir, par exemple?

Eclat de rire. Il y a quand même des grands moments dans la vie!

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En ce temps-là, j'avais vingt ans. Sur les murs de Paris une affiche disait : "L'Armée vous offre un métier". Je l'ai prise au mot et c'est grâce à elle que j'ai fait mes débuts dans la chanson.

Merci, mon colonel !

Je ne vous ai pas vu souvent au lever des couleurs, parce que c'est l'heure à laquelle je me couchais...

J'ai fait mes classes en chantant mes petites chansons sur le pavé de la Contrescarpe, du Marais et du quartier Latin, la guitare à l'épaule A vos armes, j'ai préféré la tendresse, l'ironie et la poésie pour remodeler ce monde que je ne trouvais pas bien beau.

Et puis, pour vous parler franchement, ça manquait de filles chez vous ! Raison de plus pour faire le mur.

Sur la Montagne Sainte-Geneviève, nos petites amies nous tenaient le cœur au chaud, et c'était bon !

Bon comme la fête, comme la vie, comme la liberté...

Alors, mon colonel, sans rancune, l'artiste vous salue bien bas...

Pierre Bachelet.

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