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Quelques notes sur le for du lieu de l’exécution dans la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne

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Quelques notes sur le for du lieu de l'exécution dans la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne

ROMANO, Gian Paolo

ROMANO, Gian Paolo. Quelques notes sur le for du lieu de l'exécution dans la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne. In: Journée d'étude organisée par le Centre de droit comparé, européen et international et le Centre de droit privé de l'Université de Lausanne sur « Nouvelle procédure civile et espace judiciaire européen », Lausanne, 27 janvier 2012, 2012, p. 1-13

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:135136

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Quelques notes sur le for du lieu de l’exécution

dans la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne

Gian Paolo Romano

Professeur à l’Université de Genève intervention prononcée dans le cadre de la

Journée d’étude organisée par le Centre de droit comparé, européen et international et le Centre de droit privé de l’Université de Lausanne sur

« Nouvelle procédure civile et espace judiciaire européen » Lausanne, 27 janvier 2012

Mesdames et Messieurs, Je tiens d’abord à féliciter les organisateurs de cette belle journée d’études.

La présence d’un public aussi nombreux, c’est là le signe, ou plutôt la confir- mation, d’une réussite annoncée.

Je tiens aussi à remercier très chaleureusement le Professeur Bonomi de m’avoir invité à y participer et de m’avoir ainsi permis de revenir sur le site enchanteur de Dorigny, auquel me lient tant de souvenirs, « localisés » d’un côté et de l’autre de la Chamberonne.

***

L’objet de mon intervention est de présenter la jurisprudence de la Cour de Lu- xembourg qu’a suscité l’article 5 ch. 1 du Règlement Bruxelles I.

Article dont je ne dirai pas qu’il est nouveau, car il a dix ans révolus, mais dont je rappellerai qu’il est parfaitement identique à l’art. 5 ch. 1, nouveau celui-là, de la Convention de Lugano révisée.

Il n’est alors pas inutile pour les juristes suisses de se familiariser avec ces nou- veautés.

Et quoi de plus naturel que de commencer par scruter le travail, plutôt le fruit du travail, qu’a accompli jusque-là la Cour de justice.

On sait qu’à défaut d’être contraignante pour notre Tribunal fédéral, la jurispru- dence des juges du Kirchberg est assez régulièrement suivie par lui ; plus d’ail- leurs que ne le font parfois les juridictions suprêmes de certains Etats membres

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qui ont parfois manifesté des tendances, sinon « rebelles », au moins « centri- fuges », y compris en matière de for d’exécution.

Je me propose de suivre un plan quadripartite. Et de dire quelques mots d’abord le sens et le champ d’application du for de l’exécution.

Je me pencherai ensuite sur les contrats de ventes et de services, les deux « con- trats (désormais) nommés », si je puis dire.

En troisième lieu, je vous propose d’aborder les autres contrats – il s’agira largement d’un rappel de solutions connues.

Je vous proposerai enfin quelques conclusions.

***

Mais, en préambule, il me semble important de s’arrêter sur les fondements mêmes du for de l’exécution.

La question n’est pas oiseuse : car plusieurs voix se sont élevées en faveur de sa disparition pure et simple. Vœu qui a été renouvellé par certains à l’encontre de la nouvelle mouture de l’art. 5 ch. 1.

Que la pratique se rassure.

L’abandon de ce for n’est plus vraiment d’actualité. Le projet de réforme de Bruxelles I ne promet aucune réforme du texte réformé.

Pourquoi j’invite la pratique à se rassurer ?

Car on peut penser que l’abondance des décisions rendues à propos de l’art. 5 ch. 1, souvent soulignée, n’est pas seulement le signe des difficultés que pose ce texte, mais également de l’utilisation importante qui en est faite, c’est-à-dire de son utilité pratique, bref de son succès (peut-être insuffisamment souligné celui- là).

Mais un relevé des objectifs du for d’exécution est utile aussi parce que la Cour, de manière quelque peu litanique d’ailleurs, les appelle à la rescousse quand il s’agit de résoudre les difficultés que pose le texte, d’établir le « mode d’em- ploi » de celui-ci.

Quels sont donc ces objectifs ?

Proximité d’abord : constat du lien étroit unissant le contrat et le pays de son exécution.

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Ensuite, asservissement du for d’exécution à la « bonne administration de la jus- tice ». C’est à ce lieu que se situent souvent des éléments de preuve.

La prévisibilité du for auquel la Cour tient tant, est assurée par le fait qu’en général, le lieu d’exécution est prévisible pour les parties.

Enfin, la Cour rappelle aussi le principe d’une application restrictive du for con- tractuel, compte tenu de son caractère dérogatoire.

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Quelle est au juste la notion de « contrat » qu’il faut retenir ?

Le texte parle, plus exactement, de « matière contractuelle ». On sait que la Cour a assez tôt éprouvé le besoin d’y donner une interprétation autonome.

C’est-là le moyen le plus sûr de garantir une mise en œuvre uniforme. Car les

« frontières du phénomène contractuel » (je reprends là le titre d’un colloque co- organisé par cette faculté) sont tracées différemment d’un Etat à l’autre.

Pour ne prendre que l’exemple peut-être le plus connu, le droit français qualifie la responsabilité précontractuelle plutôt de délictuelle, alors que les droits alle- mand et suisse la range plutôt du côté des contrats.

Le « pivot » de la matière contractuelle est, pour les magistrats du Kirchberg, l’« obligation librement assumée ». Pas besoin de contrat proprement dit, encore moins de contrat valable.

Ainsi, la Cour a pu qualifier de contractuels les litiges opposant les personnes morales, d’une part, et leurs associés, sociétaires ou actionnaires, d’autre part.

Ainsi, de même, une promesse unilatérale a trait à la « matière contractuelle ».

Autant dire que l’exigence d’une contreprestation (« consideration ») est écar- tée. Une donation relève bien de la « matière contractuelle ».

Ne sont en revanche pas contractuels les litiges mettant en cause la responsabi- lité du producteur ou la responsabilité précontractuelle. Il n’y a pas pour la Cour d’« obligation librement assumée » entre le producteur et le sous-acquéreur pas plus qu’entre les parties à des tractations.

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Il est grand temps d’évoquer l’évolution du régime. La nouveauté apportée par la révision consiste à rendre de facto subsidiaire le régime ancien, en le canton- nant à des situations que l’on peut penser, ou espérer, minoritaires.

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Le régime ancien n’envisage pas le contrat comme unité mais bien comme som- me d’obligations individuelles.

A chaque obligation, son lieu d’exécution.

C’est l’obligation qui « sert de base à la demande », l’obligation in concreto li- tigieuse, qui est pertinente. C’est là moins le for contractuel (forum contractus) que le for de chaque obligation (forum obligationis).

Cette appréhension du contrat a déteint sur le mode de détermination du lieu d’exécution.

Compte tenu de la variété des obligations pertinentes, la Cour s’est refusée à forger une notion autonome et communautaire du lieu d’exécution.

Paresse ou sousestimation de ses forces ?

Tout simplement – laisse-t-elle entendre – c’est là la tâche du pouvoir législatif.

Si bien qu’elle a estimé ne pas avoir d’autre choix que de s’en remettre à la loi applicable au contrat.

C’est ce qu’on appelé « méthode conflictuelle ».

Le neuf qu’apporte la réécriture de l’art. 5 ch. 1 consiste à « désolidariser » deux contrats, de vente et de service et à souscrire, pour eux, à une philosophie diffé- rente.

Ces contrats sont envisagés dans leur unité – on est tenté de parler d’« approche holistique », selon un mot à la mode.

C’est véritablement le for du contrat, non plus de chaque obligation.

Même lorsque le contrat est exécuté à plusieurs endroits, il faut respecter l’unité du contrat et rechercher un for contractuel unitaire.

C’est donc tout naturellement la prestation qui donne son « cachet » au type contractuel, la « prestation caractéristique », qui détermine le for de l’exécution.

Cette appréhension du phénomène a conduit à revoir le constat de l’impossibilité d’une définition communautaire du lieu d’exécution.

Tournons-nous vers ces « contrats nommés ».

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D’abord, ici de nouveau, les notions de vente et de service.

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Vente d’abord. Il doit s’agir d’une vente mobilière. Une vente suppose aussi semble-t-il une rémunération.

En faisant une incursion sur le terrain de contrats exécutés par internet, si je télé- charge un logiciel gratuitement – pensons à Skype et supposons que j’agisse dans le contexte d’une activité professionnelle –, je ne conclue de toute façon pas une vente.

Quid du téléchargement d’un logiciel (jeu vidéo) contre paiement ? Le logiciel vient s’installer sur le support matériel (PC, smartphone, tablette).

Les « cyberjuristes » ont tendance à considérer que j’ai là conclu une vente – d’un exemplaire dématérialisé – et non pas un contrat de licence, sans qu’il importe que le fournisseur le qualifie de licence agreement.

Différence importante parce que le contrat de licence peut ne pas être un contrat de services.

Autre difficulté : quid des contrats mixtes, impliquant à la fois une vente et un service ? Une affaire Car Trim a mis la Cour au contact du problème. Le contrat litigieux avait pour objet la vente d’airbags d’automobiles qui devaient être fabriqués selon un grand nombre de prescriptions imposées par l’acheteur.

Contrat de vente ou de service ?

La démarche adoptée par la Cour mérite d’être relevée. Si l’objectif est la re- cherche de la prestation caractéristique, cette recherche doit se prolonger lors- que le contrat mélange prestation de vente et de service.

Il faut donc repérer la prestation « la plus caractéristique ».

La Cour s’inspire à cet égard des sources européennes (directives) et internatio- nales (notamment, mais pas seulement, la CVIM). Cet effort de coordination me paraît aussi à souligner.

Dans l’affaire des airbags, la conclusion s’est imposée. L’élément de vente l’emporte. Dans d’autres situations, il peut en aller différemment. J’achète un modem chez un fournisseur d’accès internet pour bénéficier du service internet.

Eh bien, on peut penser que cette vente – qui est facturée à part – est absorbée dans la prestation de service.

Encore faut-il savoir s’il y a un contrat unitaire ou deux contrats.

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Mais qu’en est-il du modem que j’achète chez Sunrise, en sus de l’abonnement proprement dit, si ce modem peut être réutilisé lorsque je passe chez Swisscom ? Ne faudrait-il y voir deux contrats ?

Cette « approche unitaire » du contrat a rendu plus redoutable le problème de sa- voir quand on est en présence d’un seul contrat ou de plusieurs contrats encore que liés.

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Pour ce qui est des « services », la Cour a bénéficié de moins d’appuis dans le droit uniforme ou européen.

Dans un arrêt Falco, elle a exclu que la notion de « services » tel qu’elle se dé- gage des dispositions du Traité sur la libre prestation des services et d’autres di- rectives (notamment en matière de TVA), est exploitable.

La délimitation génereuse de la notion de services que consacrent ces textes n’est pas transposable à l’art. 5. Pas de raison de s’écarter du principe d’inter- prétation restrictive.

Les « contrats de service » n’est pas donc cette catégorie « bonne à tout faire » qu’elle l’est dans certains droits nationaux ; je pense au contrat de « louage d’ouvrage » du Code civil français.

« La notion de services – je cite l’arrêt Falco – implique, pour le moins, que la partie qui les fournit effectue une activité déterminée ».

C’est donc une prestation de faire qui le caractérise. Une prestation consistant à un laisser faire (pati) ne suffit pas.

Conséquence : un contrat par lequel le titulaire d’un droit de propriété intel- lectuelle concède le droit de l’exploiter, n’est pas un contrat de services.

La Cour semble ainsi faire un pas dans la direction préconisée par ces spé- cialistes contemporains de la PI qui proposent désormais de créer une catégorie

« autonome » sui generis – qu’ils dénomment contrats de propriété intellec- tuelle, qui ne seraient pour eux ni des ventes ni des locations ou de licences.

En revanche, les juges de Luxembourg n’ont eu la moindre hésitation à qualifier de contrats de services, le contrat d’agence commerciale (affaire Wood Floor) ou le contrat de transport aérien de passagers (affaire Rehder).

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Le critère de l’activité soulève une foule d’incertitudes. Il me semble qu’un con- trat d’accès internet demeure un contrat de services : ce n’est pas parce que le fournisseur « laisse surfer librement » l’utilisateur qu’il n’effectue pas d’« ac- tivités ».

Il faut avoir égard aussi aux activités de préparation, d’organisation, d’entret- ien, de support technique : et ne pas se cantonner à la prestation finale, la plus

« visible », qui consiste à « concéder » au client l’utilisation de quelque chose.

Le contrat qu’en achetant un forfait journalier je conclue avec l’exploitant des pistes de ski est un contrat de service, encore que je demande surtout que l’on me laisse utiliser les installations.

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La prestation déterminante est la livraison des biens ou la fourniture des services et ce pour tous les litiges surgissant du contrat.

Lorsque le litige concerne le paiement du prix, alors que la prestation de li- vraison a été régulièrement exécutée, le for d’exécution est tout de même celui de livraison, donc en l’occurrence celui de la prestation non litigieuse.

Quels sont les avantages de cette approche holistique ? Plusieurs, que la Cour d’ailleurs rappelle assez souvent. Il s’agit d’une part de permettre la concen- tration des litiges et éviter le morcellement du contentieux relatif au même con- trat. Il s’agit d’autre part de faire l’économie du détour par la règle de conflit et notamment d’éviter à avoir à déterminer le lieu de l’obligation de paiement.

J’ajouterai aussi que ce nouveau régime fait bon marché des difficultés liées à la localisation d’une obligation négative.

Une prestation de non vente (c’est-à-dire d’obligation ne pas vendre), n’est pas un contrat de vente.

Et si un contrat n’est de services que lorsqu’il implique un facere, une activité négative, une non-activité, exclut d’emblée que l’on soit en présence d’un con- trat de services.

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Autre avantage : l’identification du lieu d’exécution s’est aussi simplifiée.

Il se peut d’abord que les parties ont expressément désigné le lieu d’exécution.

Cet accord – nous dit la Cour – doit être respecté.

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C’est ce qui se dégage d’ailleurs de deux éléments textuels de la lettre b) : « en vertu du contrat » ou « sauf convention contraire ».

Pour vérifier cette volonté concordante, la Cour a invité à « prendre en compte tous les termes et toutes les clauses pertinentes du contrat » (arrêt Electrosteel).

Il peut ne pas être facile d’interpréter la référence que les contractants ont fait aux Incoterms. Et encore moins l’utilisation qu’ils ont fait des expressions des Incoterms.

Ont-elles entendu renvoyer aux Incoterms et, si oui, ont-elles entendu les incor- porer dans la seule mesure où ils établissent la passation du risque ou également pour fixer le lieu d’exécution ?

La Cour se tire d’affaire en disant que tout est affaire d’interprétation de ces clauses.

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Au cas où le lieu d’exécution ne ressort pas du contrat pas plus que des circonstances, il est déterminé par une « méthode normative ».

La méthode n’est pas pour autant conflictuelle. C’est en effet une notion commu- nautaire du lieu d’exécution que la Cour s’est attachée à édifier.

Force est de constater que l’œuvre de construction est en cours.

Dans l’arrêt Electrosteel, elle a autorisé à faire référence aux usages commer- ciaux.

Plus précises les consignes qu’elle nous donne à propos des ventes à distance.

Le lieu d’exécution est – je cite l’arrêt Car Trim – celui de la « remise matérielle des marchandises par laquelle l’acheteur acquiert le pouvoir de disposer effectivement de [celles-ci] à la destination finale de l’opération de vente ».

C’est donc plutôt du côté du domicile de l’acheteur que la Cour semble pencher.

Ce qui ne va pas de soi, la CVIM prévoyant la solution opposée.

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Mais le problème qui a retenu davantage l’attention de la Cour est celui de la pluralité des lieux d’exécution.

Distinguons les contrats de vente et de service.

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Dans une affaire Color Drack, l’acheteur autrichien avait demandé au vendeur allemand de livrer les marchandises à plusieurs distributeurs sis en Autriche, mais à des lieux différents (Vienne, Graz, Innsbruck…).

Multitude de lieux d’exécution à l’interieur d’un même pays. La question se po- sait tout de même puisque le for contractuel identifie également la compétence locale.

La Cour a invité à rechercher le lieu de la « livraison principale ». Solution de bon sens, sans doute.

De façon intéressante, mais quelque peu troublante, la Cour a renvoyé à des

« critères économiques ».

A défaut de pouvoir identifier la livraison principale, il convient - a-t-elle dit – d’offrir une option au demandeur : lieu de livraison de son choix.

On a pu s’interroger sur l’applicabilité de ces principes aux contrats de services.

La Cour n’a jusque-là eu affaire au transport passagier aérien, d’une part, et au contrat d’agence commerciale, d’autre part.

Dans le premier, la Cour a retenu deux prestations également principales, égale- ment caractéristiques : celle au lieu de départ, où le passager est pris en charge ; et celle au lieu de destination, où la compagnie aérienne s’engage à le « trans- porter » sain et sauf.

Le siège de la compagnie aérienne ne présente en revanche pas de lien suffisant avec le contrat.

S’agissait de l’agent commercial, il faut détecter le lieu de la fourniture prin- cipale des services tel qu’il ressort des dispositions du contrat, de l’exécution effective ou, en dernier lieu, du domicile de l’agent.

C’est surtout cette espèce de présomption que la Cour a posé en faveur du do- micile de l’agent qui me semble peu extensible à d’autres contrats. Je reviendrai tout à l’heure.

On en retire l’impression d’une approche un peu casuistique, du cas par cas.

Mais si l’on ne retient pas le domicile du fournisseur, quel est le critère subsi- daire ?

Différentes solutions ont été proposées dont chacune ne va pas sans difficultés et entre lesquelles la Cour n’a pas eu encore à choisir…

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J’aimerais bien évoquer une difficulté à laquelle je me suis heurté il y a quelques jours.

Une cliente domiciliée en Italie me demande une consultation à propos d’un contentieux transfrontère. Réunion en Suisse avec la cliente et les autres avocats.

C’est en Suisse que je produis ma consultation. Je l’ai envoyé à l’adresse email de Madame.

Que faut-il entendre par fourniture du service ? C’est le lieu de l’activité, le lieu où j’effectue la prestation intellectuelle ? Ou c’est le lieu auquel je transmets le document qui recueille les fruits de cette prestation, où je mets à disposition du client le résultat ? Ou les deux ?

Pour des raisons fiscales, Madame m’a demandé d’indiquer le lieu prépondérant de l’activité. Si c’est l’Italie, elle est hélas obligée de pratiquer une retenue de 30

% sur mon honoraire. Je la rassure : c’est la Suisse, pas besoin de me « retenir » quoique ce soit.

Mais s’agissant du lieu de fourniture du service, la solution est peut-être différente.

Ceci est sans compter les difficultés liées à l’envoi par email. Madame a pu re- cevoir sur sa boîte et lire le document et profiter du service lors d’un voyage en France.

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Deux mots sur le régime applicable aux contrats innommés.

Côté prestation déterminante, celle-ci est « l’obligation qui sert de base à la de- mande ».

Si plusieurs obligations sont litigieuses, l’obligation principale attire les obli- gations accessoires.

A défaut de pouvoir instituer une telle hiérarchie, il y aura un éclatement du con- tentieux. A moins, bien sûr, que le demandeur ne préfère concentrer le litige au domicile du défendeur.

S’agissant des obligations négatives, s’il n’y a pas de limitation géographique, il faut conclure à l’inapplicabilité du for contractuel, comme il ressort de la jurisprudence Besix.

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Si une telle limitation se déduit du contrat ou des circonstances, c’est à ce lieu (ou ces multiples lieux) que se localise la prestation litigieuse.

Lorsque le litige porte sur la validité du contrat, on a proposé le lieu de l’obli- gation principale incombant au défendeur si le contrat était valable.

Un arrêt du TF se prononce d’ailleurs en ce sens.

Quant au lieu d’exécution, il faut, on l’a dit, identifier le droit applicable.

L’identification du lieu de paiement est me semble-t-il moins problématique qu’autrefois.

Encore il y a quinze ans, quand j’aidais à l’étude de mon oncle, qui est avocat, j’ai dû une fois emmener un cheque circulaire à un de ses collègues. Voyage de Milan à Padoue. Pourquoi ne vient-il pas le chercher lui-même, ai-je demandé à mon oncle ? Et mon oncle de m’expliquer la différence entre créance quérable et créance portable.

La prestation de paiement ne consiste plus vraiment à emmener matériellement l’argent ou à le remettre au créancier.

Le paiement se dématérialise, se fait par virement bancaire, souvent par e- banking.

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Deux remarques pour conclure.

La première est que la voie des définitions communautaires et uniformes est tout aussi nécessaire que laborieuse. Le chemin n’est qu’amorcé. La Proposition de Règlement relatif à un droit commun européen de la vente, publiée en octobre dernier, peut fournir un appui précieux. L’utilisation que la Cour fait du droit uniforme est assez sélective.

La seconde remarque est que l’ensemble peut sembler manquer cohérence. Et ce à un double point de vue.

D’abord, entre le régime de la vente et le régime du contrat de service. Au lieu de destination finale de la marchandise, souvent donc lieu du domicile de l’a- cheteur, semble s’opposer le lieu du domicile du fournisseur dans le contrat de service, à tout le moins du contrat d’agent.

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Cette incohérence ne serait qu’apparente si l’on admettait franchement que les deux contrats nommés sont suffisamment différents pour que des différences de régime ne soient pas toujours injustifiées.

Si dans une vente, c’est le lieu de livraison qui compte et pas le lieu de produc- tion, dans un service, la prestation de conception, d’élaboration et de confection du service peut être plus caractéristique que celle de la mise à disposition du fruit de cette activité.

Ensuite, incohérence dans le régime des contrats de service. Lieu du siège du fournisseur refusé dans Rehder et entériné dans Wood Floor.

L’incohérence est ici de nouveau peut-être apparente.

On notera que le choix de la Cour a abouti dans les deux cas à permettre au demandeur (agent et passager) d’ouvrir une action au for de son domicile.

Forum actoris dissimulé ?

Si c’est le cas, on doit bien reconnaître que ces deux contrats sont particuliers, et attestent souvent d’un déséquilibre entre les contractants : le passager est souvent un consommateur (c’était le cas de M. Rehder) ; l’agent est souvent en- trepreneur individuel ou petite entreprise et on sait que la législation nationale et européenne à de plus en plus tendance à le protéger.

Reste enfin tout le domaine des contrats exécutés par internet. J’ai évoqué les difficultés de qualification. Je n’ai fait qu’une allusion au lieu d’exécution. Les difficultés sont nombreuses et redoutables.

Mais je ne suis pas certain qu’il faille toujours conclure à l’impossibilité de dé- terminer ce lieu d’exécution. Et ce d’autant que les progrès technologiques per- mettent de surmonter certains obstacles naguère tenus pour insurmontables : comme la prévisibilité pour le fournisseur du lieu de téléchargement de l’œuvre numérique.

Et il n’est peut-être pas exclu que l’idée de « focalisation » ou de la « direction des activités » que consacre le régime des contrats de consommation (dont il sera question dans un instant), ne puisse rendre en la matière quelques services.

Mesdames et Messieurs, je vous remercie.

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