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Le for au lieu de l’exécution dans la jurisprudence récente de la Cour de justice de l’Union européenne

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Proceedings Chapter

Reference

Le for au lieu de l'exécution dans la jurisprudence récente de la Cour de justice de l'Union européenne

ROMANO, Gian Paolo

ROMANO, Gian Paolo. Le for au lieu de l'exécution dans la jurisprudence récente de la Cour de justice de l'Union européenne. In: A. Bonomi / D. Tappy / D. Gaulis / E. Kohler. Nouvelle

procédure civile et espace judiciaire européen, Actes du colloque du 27 janvier 2012, Genève, 2012. Genève : Georg, 2012. p. 63-94

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:135611

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la Cour de justice de l’Union européenne Gian Paolo Romano*

Laissez-moi d’abord féliciter les organisateurs de cette belle journée d’étude. La présence d’un public aussi nombreux est le signe, ou plutôt la confirmation, d’une réussite annoncée. Je tiens aussi à remercier cha- leureusement le Professeur Bonomi de m’avoir offert l’occasion de re- venir sur le site enchanteur de Dorigny, auquel me lient tant de sou- venirs, répartis d’un côté et de l’autre de la Chamberonne.

Il m’a été demandé de vous entretenir des quelques arrêts de la Cour de Luxembourg qu’a suscités l’article 5 ch. 1 du Règlement dit « Bruxelles I »1. Article dont je ne dirais pas qu’il est « nouveau », car il a dix ans

* Professeur à l’Université de Genève. Si le style de la présentation orale a été largement maintenu, la teneur de celle-ci a été non moins largement remaniée.

1 La littérature qu’a inspirée le for de l’exécution est considérable. Contentons- nous de citer, parmi les travaux monographiques, en Suisse : A. Markus, Ten- denzen beim materiellrechtlichen Vertragserfüllungsort im internationalen Zivil- verfahrensrecht, Basel, 2009 ; R. Rodriguez, Beklagtenwohnsitz und Erfüllung- sort im europäischen IZPR, Fribourg, 2005 ; L.E. Valloni, Der Gerichtsstand des Erfüllungsortes nach Lugano und Brüsseler Übereinkommen, Zürich, 1997, et à l’étranger : F. Wipping, Der europäische Gerichtsstand des Erfüllungsortes – Art. 5 Nr. 1 EuGVVO, Berlin, 2008 ; P. Franzina, La giurisdizione in materia contrattuale: l’art. 5 n. 1 del Regolamento n.

44/2001/CE nella prospettiva della armonia delle decisioni, Padova, 2006 ; M.

Klemm, Erfüllungsortsvereinbarungen im Europäischen Zivilverfahrensrecht, Jena, 2005. Deux spécialistes contemporains de la procédure civile internatio- nale et européenne ont mesuré aux difficultés du sujet leurs forces de jeunesse : H. Schack, Der Erfüllungsort im deutschen ausländischen und internationalen Privat- und Zivilprozessrecht, Frankfurt A.M., 1985 et Th. Rauscher, Verpflichtung und Erfüllungsort in Art. 5 Nr. 1 EUGVÜ, München, 1984. Tous les commentaires du Règlement n° 44/2001 et de la Convention de Lugano révisée consacrent bien sûr au for du contrat des développements substantiels : v.

en Suisse, A. Bonomi, in : A. Bucher (ed.), Commentaire Romand, Loi sur le droit international privé – Convention de Lugano, Bâle, 2011, ad Art. 5 CL, p.

1809 s. ; D.A. Hofmann / O.M. Kunz, in : Ch. Oetiker / Th. Weibel (Hrsg.), Basler Kommentar, Lugano-Übereinkommen, Basel, 2011, ad Art. 5, p. 113 s. ; et dans les pays voisins de la Suisse, H. Gaudemet-Tallon, Compétence et exécution des jugements en Europe : règlement n°44/2001 – Conventions de Bruxelles et de Lugano, Paris (L.G.D.J.), 4e éd., 2010, p. 162 s. ; J. Kropholler /

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révolus2, mais dont je rappellerai qu’il est identique à l’article 5 ch. 1, nouveau celui-là, de la Convention de Lugano révisée. Et quoi de plus naturel, pour apprivoiser ces nouveautés, que de commencer par scruter le fruit du travail qu’a accompli jusque-là la Cour de justice pour les mettre en œuvre. On sait en effet qu’à défaut d’être parfaitement contrai- gnante pour le Tribunal fédéral, la jurisprudence des juges du Kirchberg est assez fidèlement suivie par leurs collègues de Mon-Repos3 : plus que ne le font parfois les juridictions suprêmes de certains Etats membres, lesquelles, spécialement à l’égard du for de l’exécution, ont manifesté des tendances sinon rebelles, au moins centrifuges4. Ici et là, j’évoquerai quelques unes, mais quelques unes seulement, des questions dont la Cour de justice n’a pas encore eu à s’occuper, mais dont il faut tenir pour cer- tain qu’elle aura tôt ou tard à le faire.

Je vous propose un plan quadripartite : et de passer d’abord en revue le sens et la portée du for de l’exécution (I) avant de se pencher sur le ré- gime auquel sont soumis les contrats « nommés » que constituent désor- mais la vente et le contrat de services (II). Un bref rappel de celui qui

J. von Hein, Europäisches Zivilprozessrecht, 9. Aufl., Frankfurt a.M., 2011, p.

145 s. ; P. Mankowski, in : U. Magnus / P. Mankowski, Brussels I Regulation, München, 2007, ad Art. 5 (1), p. 100 s. ; R. Geimer / R.A. Schütze, Euro- päisches Zivilverfahrensrecht, 3. Aufl., München, 2010, ad Art. 5 Nr. 1 ; S. Lei- ble in : Th. Rauscher (Hrsg.), Europäisches Zivilprozessrecht, 2. Aufl., Mün- chen, 2006, ad Art. 5 Nr. 1 ; F. Salerno, Giurisdizione ed efficacia delle decisioni straniere nel regolamento (CE) n. 44/2001, Padova, 2006 ; L. Mari, Il diritto processuale civile della Convenzione di Bruxelles, I, Il sistema della competenza, Padova, 1999, p. 253 s. V. ég. le rapport à la Convention de Lugano révisée établi par F. Pocar, JOUE, 2009, C 319.

2 Cf. M.A. Lupoi, « The ‘New’ Forum for Contractual Disputes in Regulation (EU) 44/2001 », Festschrift K. Kerameus, Athen/Brussels, 2009, p. 733.

3 V. p. ex. G. Jegher, « Luganer Gerichtsstand am Erfüllungsort – Quo vadis ? », Festgabe A.K. Schnyder, Zürich, 2002, p. 117, p. 129. Dans un arrêt récent, le TF met en oeuvre la méthode De Bloos-Tessili tout en relevant le caractère com- plexe et peu satisfaisant de celle-ci : v. TF, 21 oct. 2009, 4A.386/2009, in Clunet, 2011, p. 682. Pour un aperçu récent, v. Etude Lalive, B. Dutoit et al.,

« Chronique de jurisprudence suisse (2005-2010) », Clunet, 2011, p. 661 s.

4 Cf. en France, Cass. civ. 11 mars 1997, Medrafina, Rev. crit., 1997, p. 585, note H. Gaudemet-Tallon, et Clunet, 1998, p. 129, note A. Huet, et Cass. com., 9 déc.

1997, Groupe Concorde, Rev. crit., 1998, p. 117, rapport J.-P. Rémery ; cf. ég.

B. Ancel, sous CJCE, 28 sept. 1999, Groupe Concorde, Rev. crit., 2000, p. 253 s. ; en Belgique, Hof van Cass., 4 déc. 1997, [1997] I.L.Pr. 505.

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continue de s’appliquer aux autres contrats (III) précédéra quelques con- clusions (IV).

I. – Sens et portée du for de l’exécution

Quelques mots d’abord sur le fondement du for de l’exécution (A), puis sur la notion de « matière contractuelle » à laquelle il se rapporte (B).

A. – Fondement du for de l’exécution

Quelle est la justification, l’idée fondatrice du chef de compétence qui nous occupe ? Gardons-la en mémoire car la Cour, de manière quelque peu litanique d’ailleurs, l’appelle à la rescousse quand il s’agit de démê- ler les difficultés que soulève le texte, d’en établir le mode d’emploi :

« Il convient – nous recommande-t-elle – d’interpréter l’article 5 point 1 [sous b)] à la lumière de la genèse, des objectifs et du système du Règle- ment »5. A quoi sont venus s’ajouter la « genèse » et les « objectifs » de la révision, y compris l’intention de rompre en partie avec, justement, l’esprit originaire. Deux concepts condensent tout cela, que désignent, dans le langage de la Cour, les maîtres-mots « proximité » (1°) et « pré- visibilité » (2°).

1. Proximité

C’est d’abord de la proximité que le for de l’exécution tire sa légitimité.

Et de fait l’opération contractuelle s’inscrit dans le milieu social et éco- nomique de l’Etat – et d’abord du lieu6 – où elle se réalise. Notons que ce lien de proximité ne concerne pas directement les contractants, les sujets de la relation contractuelle, mais bien l’objet de celle-ci : c’est là un chef de subject-matter jurisdiction7. Notons aussi que le lien dont il est question traduit une Sachnähe, une proximité substantielle, c’est-à- dire qu’il s’instaure entre la relation et le lieu où celle-ci se déroule indé-

5 CJUE, 3 mai 2007, C-386/05, Color Drack, pt. 18 ; CJUE, 23 avril 2009, C- 533/07, Rehder, pt. 20 ; CJUE, 25 févr. 2010, C-381/08, Car Trim, pt. 57.

6 On sait en effet que l’art. 5 ch. 1 concerne la compétence internationale et locale à la fois.

7 Ce qui n’empêche pas, on y reviendra, que cet objet puisse, ne serait-ce que par présomption, être parfois « localisé » au siège de l’un ou de l’autre sujet.

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pendamment de tout procès. La proximité ainsi entendue n’est au fond pas vraiment différente de celle que, sur le terrain du droit applicable, re- cherche le rattachement dit « objectif ». Je reviendrai dans un instant sur cette analogie.

Au plan plus immédiatement procédural se rapporte le constat qu’au lieu d’exécution se situent souvent des éléments de preuve. C’est alors à la

« bonne admistration de la justice » que le for d’exécution serait asservi.

C’est la relation procédurale, dont on sait qu’elle est tripartite et se com- pose, en sus des plaideurs, du juge, chargé d’administrer la procédure et les preuves, que vise cette autre manifestation de la proximité8. Seule- ment, la contiguïté entre le juge et le lieu des preuves, cette Beweisnähe, peut faire complètement défaut – a-t-on relevé souvent – notamment lorsque c’est la validité du contrat qui est en cause ou que celui-ci n’a pas été exécuté9. Compatible avec le projet d’une opération non encore réalisée, la proximité substantielle subsiste dans ces cas également et c’est pourquoi il me paraît important de distinguer et de hiérarchiser l’un et l’autre aspect de la proximité, souvent confondus.

2. Prévisibilité

L’argument de la prévisibilité est plus délicat à saisir. D’abord car ce terme – et aussi le terme voisin de « sécurité juridique » – n’est, dans le langage de la Cour, pas exempt d’ambiguïté. Ne lui cherchons pas que- relle, car ces notions sont tout aussi souvent brandies qu’elles sont rare- ment explorées par la doctrine elle-même10. La prévisibilité peut d’abord traduire les attentes naturelles – « prépositives » dirait-on – des parties, dont on peut soutenir que, si elles sont de bonne foi, elles ne peuvent pas ne pas s’être orientées psychologiquement vers le lieu de l’exécution, en raison, précisément, de la proximité dont il vient d’être question. Prise

8 C’est surtout la proximité entre la « contestation » et le « tribunal » du lieu de l’exécution que la Cour a à l’esprit : v. CJCE, 17 janv. 1980, 56/79, Zelger, pt.

3 ; CJCE, 26 mai 1982, 133/81, Ivenel, pt. 11 et 15 ; CJCE, 22 mars 1983, 34/82, Peters, pt. 11 ; CJCE, 15 janv. 1987, 266/85, Shenevai, pt. 6 et 18 ; CJCE, 29 juin 1994, C-288/92, Custom Made, pt. 13 et 21, CJUE, 23 avr. 2009, C-533/07, Falco Privatstiftung, pt. 24 s. ; CJUE, 25 févr. 2010, C-381/08, Car Trim, pt.

61 ; CJUE, 11 mars 2010, C-19/09, Wood Floor, pt. 22.

9 H. Schack (note 1), n° 335 ; L.W. Valloni (note 1), p. 159.

10 G.P. Romano, « Le principe de sécurité juridique à l’épreuve des arrêts Gasser et Owusu », Cah. dr. eur., 2008, p. 175 s.

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sous ce jour, la prévisibilité est en étroite dépendance de la proximité, dont elle n’est peut-être en définitive qu’un avatar.

Mais la prévisibilité du for de l’exécution peut aussi se référer à la teneur de la règle positive qui le consacre. C’est alors moins pour justifier un tel for dans son principe que pour en aménager la mise en œuvre que la pré- visibilité mérite d’être convoquée. C’est sous cet angle que proximité et prévisibilité peuvent entrer en tension11. Ainsi entendue la prévisibilité est atteinte, nous dit la Cour, lorsque le demandeur est raisonnablement à même de connaître à l’avance le for qu’il peut saisir et le défendeur celui devant lequel il peut être assigné12. La prévisibilité du for suppose alors celle du lieu de l’exécution et par-là du mode de détermination de ce lieu. Aussi les critères pour l’identifier doivent-ils habiliter les parties à le localiser à l’avance avec une certitude raisonnable13.

Quoique l’on pense de ces arguments, le fait est qu’ils n’ont pas emporté la conviction de tous. Plusieurs voix se sont élevées en faveur de la dis- parition pure et simple du for de l’exécution14 et un tel vœu a été parfois

11 Cela n’a pas de quoi surprendre car la proximité traduit souvent, en droit interna- tional privé, ce que recouvre en droit tout court la justice du cas concret (Ein- zefallgerechtigkeit). On sait que justice et prévisibilité font rarement un ménage sans heurts.

12 CJUE, 23 avr. 2009, C-533/07, Falco Privatstiftung, pt. 23.

13 Cela n’est pas sans ironie, diront certains : car du fait que le régime est large- ment nouveau, que les critères se dégageant du texte et des objectifs affichés laissent persister des incertitudes quant à sa mise en œuvre, et que ces incerti- tudes devront être tranchées par la sagesse et la discrétion des juges et notam- ment de la Cour de justice, la prévisibilité du for de l’exécution n’a sûrement pas atteint à ce jour la mesure désirable.

14 En ce sens parmi d’autres, G.A.L. Droz, « Delendum Est Forum Contractus ? Vingt Ans après les arrêts de Bloos et Tessili interprétant l’article 5-1° de la Convention de Bruxelles du 27 sept. 1968 », D. 1997, chron. 351 ; A. von Overbeck, « L’interprétation traditionnelle de l’article 5-1° des conventions de Bruxelles et de Lugano : le coup de grâce ? », Liber amicorum G.A.L. Droz, La Haye (etc.), 1996, p. 287 s. V. ég. V. Heuzé, « De quelques infirmités congénitales du droit uniforme : l’exemple de l’article 5.1. de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 », Rev. crit., 2000, p. 595 s.

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renouvellé à l’encontre de la mouture rénovée de l’article 5 ch. 115. Que la pratique se rassure : l’abandon de ce for n’est plus vraiment d’actua- lité, le projet de réforme de Bruxelles I ne devrait pas intervenir à nou- veau sur cette disposition tourmentée16. Je n’entends pas par là porter un jugement mais tout bonnement dresser un constat. On peut en effet pen- ser que l’abondance des décisions rendues à propos de l’article 5 ch. 1, souvent soulignée, n’est pas seulement le signe des difficultés que pose ce texte, mais également de l’utilisation importante qui en est faite, c’est- à-dire de son utilité pratique, en quelque sorte de son succès17.

B. – Champ d’application du for de l’exécution

Toujours en guise de généralité, disons un mot de la notion de « matière contractuelle ». La Cour a assez tôt éprouvé le besoin d’y donner une in- terprétation autonome18. C’est là le moyen le plus sûr d’en assurer une lecture uniforme. Il convient d’éviter qu’une question, par exemple, soit qualifiée de contractuelle dans un pays et extracontractuelle dans un au- tre. On sait que les frontières du phénomène contractuel sont diverse- ment tracées d’un Etat à l’autre. Pour ne prendre que l’exemple peut-être le plus connu, le droit français qualifie la responsabilité précontractuelle plutôt de nature délictuelle, alors que les droits allemand et suisse inclinent à la ranger du côté des contrats19.

Force est de constater cependant que la Cour n’a pas jusque-là fourni beaucoup de précisions. Le pivot de la matière contractuelle est, pour elle, l’« obligation librement assumée »20. Pas besoin de contrat propre-

15 H. Gaudemet-Tallon (note 1), p. 209 ; R. Rodriguez (note 1), p. 240 ; cf. C.

Nourrissat, obs. sous CJUE, 11 mars 2010, C-19/09, Wood Floor, Procédures, n° 7, 2010, comm. 270.

16 Cf. P.A. Nielsen, « European Contract Jurisdiction in Need or Reform », Liber F. Pocar, Milano, 2009, p. 781 s.

17 L’adhésion du CPC au for de l’exécution va dans ce sens : v. la contribution de A. Bonomi, dans ce même volume.

18 CJCE, 22 mars 1983, 34/82, Peters, pt. 9 s.

19 H. Gaudemet-Tallon (note 1), p. 165 s.

20 CJCE, 17 juin 1992, C-26/91, Handte, pt. 15 ; affirmation reprise dans CJCE, 27 oct. 1998, C-51/97, La Réunion européenne, pt. 19, et puis encore dans CJCE, 11 juill. 2002, C-96/00, Rudolf Gabriel, pt. 18 ; CJCE, 17 sept. 2002, C-334/00,

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ment dit, encore moins de contrat valablement conclu. Car « un litige sur la validité du contrat est toujours un litige en matière contractuelle »21 et il semble qu’il devrait en aller de même du contentieux se nouant au sujet des conséquences de la nullité ou de l’inexistence du contrat22. La Cour a pu dès lors qualifier de contractuels un certain nombre de litiges opposant les personnes morales, d’une part, et leurs associés, sociétaires ou actionnaires, d’autre part23. Ainsi, de même, une promesse unilatérale évolue dans l’orbite contractuelle24. Autant dire que l’exigence d’une contreprestation (« consideration ») est écartée. Ne sont en revanche pas contractuels les litiges mettant en cause la responsabilité du producteur ou la responsabilité précontractuelle25 : il n’y a pas pour la Cour d’« obli- gation librement assumée » entre le producteur et le sous-acquéreur, pas plus d’ailleurs qu’entre les parties à des tractations. Les questions ouvertes demeurent nombreuses. Je ne m’y attarderai pas, car la révision n’a pas voulu les trancher. C’est l’apport de celle-ci que je voudrais mesurer avec vous.

II. – Les deux contrats nommés : vente et service

C’est un changement de paradigme, comme on dit aujourd’hui, en tout cas un Konzeptwechsel26, qu’opère la révision à l’égard des contrats de vente et de service (A). Il convient alors d’étudier ces deux notions (B) avant de se pencher sur le nouveau mode de détermination du lieu où ils sont exécutés (C).

Tacconi, pt. 23, CJCE, 5 févr. 2004, C-265/02, Frahuil SA, pt. 24, CJCE, 20 janv. 2005, C-27/02, Petra Engler, pt. 50.

21 A Huet, note sous Paris, 29 janv. 1981, Rev. crit., 1982, p. 383.

22 C’est la solution du Règlement Rome I (art. 12 § 1).

23 CJCE, 22 mars 1983, 34/82, Peters, pt. 9 s.

24 CJCE, 20 janv. 2005, C-27/02, Engler, pt. 52-59.

25 CJCE, 17 sept. 2002, C-334/00, Tacconi, pt. 18.

26 L’expression est de P. Mankowski, « Mehrere Lieferorte beim Erfüllungsort- gerichtsstand unter Ar. 5 Nr. 1 lit. b EUGVVO », IPRax, 2007, p. 404.

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A. Changement de paradigme

Les Conventions de Bruxelles et de Lugano n’envisageaient pas le con- trat comme unité mais bien en tant que somme d’obligations individuel- les. A chaque obligation, son lieu d’exécution. C’est donc à partir de celle qui, dans chaque cas, « sert de base à la demande », de l’obligation in concreto litigieuse, que le for au lieu d’exécution se devait d’être localisé. C’est là, on le voit, moins le for contractuel (forum contractus) que le for de l’obligation prise isolément (forum obligationis)27. Il en résultait un éclatement des fors, une dispersion potentielle du con- tentieux et le risque corrélatif d’incohérence du règlement judiciaire : ris- que que ne conjuraient pas toujours les règles communautaires sur la connexité et la demande reconventionnelle.

Notons que cette appréhension morcelée du contrat sur le terrain du con- flit de juridictions correspond en substance à celle que consacre au plan du conflit de lois la méthode de la « petite coupure » (kleine Spaltung) proposée en son temps par F.C. von Savigny. On se souviendra que cette méthode consistait à rechercher le « siège », non point, justement, du contrat mais de chaque obligation qui résulte de lui et aussi que d’impor- tants systèmes de droit international privé, suisse compris, y ont pendant longtemps adhéré en dépit des sérieuses réserves qu’elle suscite28. Il était fatal que l’analyse du contrat en un faisceau d’obligations auto- nomes exerce une influence décisive sur la détermination du lieu d’exé- cution. Compte tenu de la variété des obligations potentiellement liti- gieuses, il est impossible – la Cour a-t-elle en substance décidé dans l’ar- rêt de Bloos29– de forger une notion communautaire de ce lieu : ou du moins ce n’est pas à elle qu’il appartient de le faire, et de fixer, par ex- emple, le lieu de paiement d’une somme d’argent en supprimant les dis- parités entre les législations dont on sait qu’elles sont à ce sujet on ne

27 Il a été aussi question d’une « méthode analytique » par opposition à « synthé- tique » : v. p. ex. P. Franzina, « Struttura e funzionamento del foro europeo della materia contrattuale alla luce delle sentenze Car Trim e Wood Floor della Corte di giustizia », RDIPP, 2010, p. 655 s.657 s.

28 Jusqu’à l’arrêt Chevalley, ATF 12 févr. 1952, Rev. crit., 1953, p. 390, note G.

Flattet. Sur cette évolution, v. P. Lagarde, « Le principe de proximité dans le droit international privé contemporain », Rec. cours, 1986, 184-III, p. 36 s.

29 CJCE, 6 oct. 1976, 14/76, De Bloos, pt. 7-15.

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peut plus accusées. Aussi les juges de Luxembourg ont-ils estimé ne pas avoir d’autre choix que de s’en remettre à la loi applicable au contrat.

C’est ce que l’on dénomme « méthode conflictuelle » qu’a consacrée un arrêt Tessili30, rendu le même jour que l’arrêt de Bloos.

Le neuf qu’apporte la réforme consiste à rendre de facto subsidiaire le régime résultant de la jurisprudence de Bloos-Tessili en le cantonnant à des situations que l’on peut penser minoritaires. Après avoir confirmé ce régime à la lettre a), l’article 5 ch. 1, à la lettre b), désolidarise en effet deux figures contractuelles, de vente et de service, sans doute les plus importantes dans le commerce international, et souscrit à leur endroit à une philosophie différente. Le contrat y est appréhendé comme un tout, il est restitué à son unité structurelle. La solidarité systématique reliant les obligations qu’il génère – celles d’une partie à celles de l’autre, mais aussi, entre elles, celles incombant à chacune – y est enfin respectée et valorisée31. On est tenté de parler d’« approche holistique », selon un mot à la mode. Le forum contractus porte enfin bien son nom.

Il est piquant de constater qu’une fois de plus, une telle évolution fait mi- roir à celle que l’on rencontre sur le terrain du conflit de lois, dont elle partage au demeurant les mobiles. L’éclatement des lois applicables que favorise la « petite coupure » provoquait maints problèmes, dont le plus largement dénoncé était précisément le risque d’incohérence qu’il en- traîne dans le règlement contractuel.

Il n’est dès lors pas surprenant que ce soit, sur un terrain comme sur l’au- tre, autour de la prestation qui donne son « cachet » au contrat, la « pres- tation caractéristique », que s’est reconstituée l’unité contractuelle32. Bien sûr, l’alignement des deux plans n’est pas parfait : c’est le lieu de l’exécution de cette prestation qui détermine le for tandis que c’est la ré- sidence habituelle ou le siège de la partie s’engageant à la fournir qui dé- signe le droit applicable33. Pour net qu’il soit sur le terrain des principes,

30 CJCE, 6 oct. 1976, 12/76, Tessili, pt. 14.

31 Cf. G. Broggini, « Il forum destinatae solutionis : passato, presente, futuro », RDIPP, 2000, p. 15 s., p. 24. Pour l’analyse du contrat en « système » (« siste- ma-contratto »), v. F. Salerno, « La nozione autonoma del titolo di giurisdizione in materia di vendita », RDIPP, 2008, p. 245 s.

32 Cf. Rapport F. Pocar (note 1), n° 5 : « Sans utiliser le terme, il adopte donc le principe de l’obligation caractéristique ».

33 A. Bonomi (note 1), p. 1819, n° 36.

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cet écart résiduel peut néanmois assez souvent se résorber dans les faits.

Non seulement car, au plan du conflit de lois, la présomption en faveur de la résidence ou du siège du prestataire peut être écartée au profit du lieu de la prestation, mais aussi et surtout car, au plan du conflit de juri- dictions, la prestation peut être localisée au lieu du siège du prestataire en application des critères retenus pour identifier ce lieu, eux aussi pou- vant, on va y revenir, reposer sur des présomptions.

Il n’est au demeurant pas certain que l’évolution du for du contrat s’ar- rêtera là au stade que le Règlement de Bruxelles et, dans son sillage, la Convention de Lugano lui ont fait atteindre. Car si le recours à la pres- tation caractéristique recueille bon nombre des suffrages, sa localisation au lieu d’exécution suscite des réserves grandissantes du fait des diffi- cultés d’identifier ce lieu et parfois aussi en raison de son caractère for- tuit, c’est-à-dire peu proche de l’économie de l’opération contractuelle34. Mais avant de rendre compte de ces difficultés, il convient de cerner l’es- sence « communautaire » des contrats de vente et de service.

B. – Notions de vente et de service

Les deux types contractuels nommés méritent d’être distingués car ils ne soulèvent pas les mêmes difficultés. Cela se vérifie déjà en matière de

34 Bien sûr, il n’échappe à personne que les exigences qui sous-tendent une règle de conflit de juridiction et celles qui sous-tendent une règle de conflit de lois peuvent ne pas être les mêmes : il suffit de songer à ce que les fors peuvent être plusieurs alors que le droit applicable ne peut qu’être un seul. Mais il serait bien excessif de soutenir que ces préoccupations sont toujours différen- tes. Et si, précisément, l’un des fors prend déjà en charge les besoins propres à la procédure – et c’est le cas du for général au domicile du défendeur –, et que l’on s’attend surtout du for alternatif qu’il recherche et soit vecteur d’une proximité substantielle avec l’opération contractuelle, faut-il s’étonner et se récrier si le for du contrat opérant à défaut de « for d’autonomie », se localise au sein de l’Etat dont la loi est, à défaut de « loi d’autonomie », applicable au contrat en tant que loi ayant les liens les plus étroits avec celui-ci, c’est-à-dire si, en recherchant la même chose, la règle de conflit de lois et la règle

« alternative » de conflit de juridiction débouchent sur le même résultat, que celle-ci désigne comme compétent le juge de l’Etat dont celle-là désigne comme compétente la loi ?

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définition. Abordons donc successivement celle de la vente (1) puis celle, plus délicate, du contrat de service (2).

1. Notion de vente

Puisque c’est d’une vente de marchandises qu’il doit s’agir, ce sont des biens mobiliers qui en font l’objet. Une vente suppose aussi une rémuné- ration. Autorisons-nous, pour ne pas être en reste d’actualité, une première incursion sur le terrain des contrats exécutés par internet. Si je télécharge un logiciel gratuitement – pensons à Skype et supposons que j’opère dans un cadre professionnel –, je ne conclus en tout cas pas une vente. Quid si le téléchargement a lieu contre paiement d’un prix ? Il semble que le software puisse être qualifié de « marchandise », mais est- il en l’occurrence vraiment « vendu » ou fait-il plutôt l’objet d’une licence ? Les spécialistes de l’environnement numérique ont tendance à pencher pour la première solution, à considérer que j’ai bel et bien « a- cheté » un exemplaire, encore que dématérialisé – qui vient par ailleurs s’installer sur le support matériel (PC, tablette, smartphone) – peu important que le fournisseur qualifie l’accord autrement, et notamment de licence agreement. L’enjeu est de taille parce que le contrat de licence peut, on le dira tout à l’heure, ne pas être un contrat de services, c’est-à- dire que, si la vente est écartée, c’est dans le giron des contrats innom- més que l’on bascule.

Une autre difficulté se rencontre du côté des contrats mixtes. Une affaire Car Trim a mis la Cour au contact du problème35. L’accord litigieux a- vait pour objet la livraison d’airbags d’automobiles qui devaient être fa- briqués selon un grand nombre de prescriptions imposées par le client.

Contrat de vente ou de services, ou ni l’un ni l’autre ? La démarche ad- optée par la Cour pour y répondre mérite d’être relevée. Si l’objectif est la recherche de la prestation caractéristique, recommande-t-elle en sub- stance, cette recherche doit se prolonger lorsque le contrat conjugue prestations de vente et de service. Il faut dès lors repérer la prestation la plus caractéristique, pourrait-on dire, c’est-à-dire rechercher si l’élément vente ou l’élément service est prépondérant36. Et les juges du Kirchberg de s’inspirer des sources européennes et internationales, notamment,

35 CJCE, 25 févr. 2010, C-381/08, Car Trim.

36 CJCE, 25 févr. 2010, C-381/08, Car Trim, pt. 32 s.

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mais pas seulement, de la CVIM37. La conclusion s’est, en l’espèce, imposée : l’élément de la vente prédomine. Dans d’autres situations, il peut en aller différemment. Dans le contrat que je passe avec un restau- rant, c’est l’élément service qui semble l’emporter. Il en va de même lorsque j’achète un modem chez un fournisseur d’accès internet pour na- viguer sur la toile : encore que facturée à part, cette vente est absorbée par la prestation de service. Encore faut-il être sûr qu’il y va là d’un seul contrat et non de deux contrats. Si le modem que j’achète chez Sunrise peut être utilisé lorsque je passe chez Swisscom, il y a là probablement deux contrats. Je reviendrai sur ce nouveau problème. Tournons-nous à présent vers la notion de services.

2. Notion de service

C’est sans surprise que la Cour a, dans un arrêt Falco, conclu à l’auto- nomie d’une telle notion38. C’est d’ailleurs ce qu’avaient fait les juridic- tions suprêmes de certains Etats membres39. Contrairement à ce que les juges nationaux avaient pu suggérer cependant40, ceux de Luxembourg ont cru devoir pousser l’autonomie de la notion de services jusqu’à ren- dre cette notion indépendante de celle qui, en droit matériel commu- nautaire, se dégage des dispositions tout autant du Traité, et spécialement de l’article 50, que de certaines directives, notamment en matière de TVA41. La délimitation généreuse de la notion de services que consa- crent ces textes – a-t-elle décidé en substance – n’est pas transposable à l’article 5 ch. 1 du Règlement. Il n’y a pas de raisons suffisantes pour s’écarter du principe d’interprétation stricte des chefs alternatifs de com- pétence.

On peut certes regretter la prolifération de notions qui en résulte. Mais n’oublions pas qu’il n’est pas rare que le droit matériel et le droit interna-

37 CJCE, 25 févr. 2010, C-381/08, Car Trim, pt. 34 s.

38 CJUE, 23 avr. 2009, C-533/07, Falco Privatstiftung, pt. 38 s.

39 V. par exemple pour l’Autriche, OGH, 18 nov. 2003, 1 Ob 63/03a, EvBL, 2004, p. 83, ZfRV-LS, 2004, p. 27 et OGH, 17 févr. 2005, 6 Ob 148/04i, EvBL 2005, p.

147 ; et pour l’Allemagne, BGH, 2 mars 2006, NJW, 2006, p. 1806.

40 V. not. les arrêts allemands et autrichiens cités supra, note 39. Cf. ég. R. Ro- driguez (note 1), n° 667.

41 CJUE, 23 avr. 2009, C-533/07, Falco Privastiftung, pt. 39.

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tional privé d’un seul et même Etat assignent aux termes identiques qu’ils emploient des significations différentes. A défaut d’être toujours désirable, il n’est dès lors pas étonnant qu’une telle disparité se rencontre parfois entre droit matériel communautaire et droit international privé communautaire.

Le fait est, en tout cas, que les contrats de service ne sont pas, aux fins du moins de la compétence juridictionnelle, cette catégorie « bonne à tout faire » à laquelle les ramènent certains droits nationaux : je pense au contrat de « louage d’ouvrage » du Code civil français42. Mais si ni le droit matériel européen ni le droit matériel uniforme n’y offrent d’appuis exploitables, comment faut-il s’y prendre pour appréhender les services ? La définition que propose la Cour est frappée au coin du bon sens. « La notion de services – je cite l’arrêt Falco – implique, pour le moins, que la partie qui les fournit effectue une activité déterminée en contrepartie d’une rémunération »43. Deux éléments également essentiels composent semble-t-il la catégorie, que traduisent les termes « activité » et « rému- nération ».

Le premier est que la prestation incombant à l’un d’eux se doit d’être un facere, constitutif du service lui-même. Un laisser faire (pati) ne suffit pas. Il s’ensuit pour la Cour que le contrat par lequel le titulaire d’un droit de propriété intellectuelle concède le droit de l’exploiter, n’est pas un contrat de services, car le titulaire, lit-on encore dans l’arrêt Falco,

« n’accomplit aucune prestation en concédant l’exploitation, et s’engage seulement à laisser son cocontractant exploiter librement son droit »44. Observons au passage que la Cour semble s’engager dans la direction préconisée par ces spécialistes contemporains de la propriété intellec- tuelle qui proposent désormais de créer une catégorie « autonome » sui generis, qu’ils dénomment contrats de propriété intellectuelle, qui ne se- raient pour eux ni des ventes ni des locations ou de licences45.

42 Cf. P. Berlioz, « La notion de fourniture de services au sens de l’article 5-1 b) du règlement Bruxelles I », Clunet, 2008, p. 675 s.

43 CJUE, 23 avr. 2009, C-533/07, Falco Privatstiftung, pt. 29.

44 CJUE, 23 avr. 2009, C-533/07, Falco Privatstiftung, pt. 31.

45 V. p. ex. A. Ragueneau, Les contrats de mise à disposition d’œuvre sur les réseaux numériques – Etude de droit matériel et analyse de conflit de lois en droit américain et français, th. Nantes, 2008.

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Force est cependant de constater que le critère de l’activité soulève une foule d’incertitudes. Un contrat d’accès à internet demeure semble-t-il un contrat de services : ce n’est pas parce que le fournisseur « laisse surfer librement » l’utilisateur qu’il ne se livre pas à un facere. Il est sans doute judicieux d’attacher du prix aux activités de préparation, d’organisation, d’entretien, de support et ne pas se confiner à la prestation finale, qui peut consister en effet à « concéder » au client l’utilisation de quelque chose. En achetant un forfait journalier, je conclus avec l’exploitant d’un domaine skiable un contrat de services, encore qu’il s’engage surtout à me laisser utiliser ses installations. On peut en revanche hésiter devant un contrat de bail : l’opinion qui semble dominante est qu’il ne s’agit pas de contrat de service, car il n’y a pas là d’« activité » de la part du bailleur.

La seconde condition pèse sur l’autre prestation. Celle-ci doit consister en une « rémunération », ce dont certains avaient au demeurant pu dou- ter, qui souhaitaient y inclure les services fournis à titre gratuit46. Est-ce à dire que la contrepartie du facere constitutif du service doit s’épuiser dans la rémunération, dans un solvere ? Il semble que deux services synallagmatiques ne font pas un contrat de service au sens de la disposi- tion visée pas plus d’ailleurs que deux transferts réciproques de biens – l’échange ou troc – ne font un contrat de vente. C’est en tout cas un rai- sonnement de ce type qui, semble-t-il, a motivé la Cour de cassation française à décider, dans une série d’arrêts remarqués, que les contrats de concession et de distribution exclusive ne formaient « ni un contrat de vente, ni un contrat de fourniture de services »47 : fournisseur ou con- cédant et distributeur s’obligent l’un et l’autre à un facere. Mais quid dans l’hypothèse où, comme il arrivera souvent, s’agissant par exemple du contrat de franchise, l’un des deux facere réciproques s’accompagne d’une prestation monétaire ? Faut-il identifier à tout prix la prestation prédominante – comme on doit, pour la Cour, le faire s’agissant des prestations mêlant facere et dare ? Les exemples soumis aux juges de Luxembourg ne sont pas révélateurs. Car il fait peu de doute que dans le contrat d’agent commercial, mis en cause par l’affaire Wood Floor48, et

46 P. Berlioz (note 43), p. 714.

47 Cass. 1e 23 janv. 2007, Bull. civ., 2007, I, n° 30 ; D. 2007, p. 1575, note H.

Henfack, et D. 2007, 2562, note S. Bollée ; JCP G. 2007, II, 10074, note T. Azzi, Cass. 1e civ. 5 mars 2008.

48 CJUE, 11 mars 2010, C-19/09, Wood Floor.

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dans le contrat de transport aérien de passagers, mis en cause par l’af- faire Rehder49, dont on rappellera au passage qu’il n’est pas concerné par les fors protecteurs du consommateur, la prestation de l’agent respec- tivement du transporteur aérien implique une « activité », un facere et la contreprestation incombant au mandant respectivement au passager une

« rémunération », un solvere.

La question est délicate. Contentons-nous de l’avoir signalée. Et de con- stater que l’article 5 ch. 1 lit. b) astreint non seulement et non pas tant – car la lettre y aide déjà – à identifer la prestation caractéristique du contrat entre celle que fournit un contractant et celle que fournit l’autre contractant, mais aussi et surtout – car le texte est muet sur ce point – à i- dentifier, parmi les différentes prestations incombant à une partie, celle qui est caractéristique de l’apport qu’elle fournit à la réalisation de l’opé- ration contractuelle dans son ensemble.

C. – Lieu d’exécution

L’avantage escompté de la révision consiste en la détermination sim- plifiée du lieu d’exécution. Un tel espoir a-t-il été réellement comblé ? Oui et non. Simplifiée, cette détermination l’est assurément en ce sens que la seule obligation dont il faut rechercher le lieu est la livraison de la marchandise respectivement la fourniture des services. Exit notamment l’obligation de payer : « à obligation indifférente, lieu d’exécution indif- férent »50. La source de bien des difficultés suscitées par la méthode Tes- sili s’étant ainsi tarie, pouvait-on préserver le renvoi à la lex contractus qu’elle recommande pour localiser la seule prestation pertinente ? C’est ce qu’à la suite de nombre d’auteurs51, ont pensé certaines juridictions nationales. Dans l’arrêt Color Drack cependant, en suivant d’autres voix, non moins nombreuses, la Cour a décidé que l’esprit de la révision

49 CJUE, 9 juill. 2009, C-204/08, Rehder.

50 J.-M. Jacquet, note sous Cass. 1e civ. 23 janv. 2007, Sté Waeco International GmbH et al., Clunet, 2008, comm. 8.

51 Parmi d’autres, Th. Rauscher, « Zuständigkeitsfragen zwischen CISG und Brüssel I », Festschrift A. Heldrich, Tübingen, 2005, p. 933 s., p. 944 ; P.

Franzina (note 1), p. 383 s.

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acheminait vers une définition autonome52. Il en résulte un double régime de détermination du lieu d’exécution53, correspondant à la double fonction qui lui est assignée, substantielle et procédurale. Dans la mesure où il détermine le for contractuel, le lieu d’exécution est soumis au droit communautaire ; s’agissant des questions de fond pour lesquelles il est utile de le déterminer – contrôle de l’exactitude de l’exécution, passation du risque… – le lieu d’exécution demeure sous l’emprise de la lex con- tractus. Distinguons, pour mesurer les conséquences du principe des

« deux fonctions, deux régimes », la vente et les services et attachons- nous à identifier le for de la livraison (1) puis le for de la fourniture des services (2).

1. For de la livraison

Il ressort de la jurisprudence de la Cour que le lieu de la livraison peut faire l’objet d’un accord des parties (a) ou identifié selon un mode de dé- signation objectif (b).

a) Désignation conventionnelle ou subjective

C’est avec énergie que l’article 5 ch. 1 lit. b) proclame la liberté des con- tractants de convenir du lieu où les marchandises devront être livrées54. C’est le lieu de livraison et non le lieu du for qui doit faire l’objet d’un tel accord55. Bien sûr, ce n’est pas parce que les parties ont eu conscience

52 CJUE, 3 mai 2007, C-386/05, Color Drack, pt. 42 s. ; CJUE, 9 juill. 2009, C- 204/08, Rehder, pt. 41 s. ; CJCE, 25 févr. 2010, C-381/08, Car Trim, pt. 60.

53 Sans doute, on y a déjà fait allusion, cette dissociation n’est pas une nouveauté absolue. La « double vérité » – comme la doctrine italienne l’appelle parfois, par opposition au « principio dell’‘unica verità’ » : v. p. ex. F. Salerno (note 32), p.

391 – s’insinue d’ailleurs même au sein du droit communautaire de la compé- tence : la définition du siège d’une société ne varie-t-elle pas suivant que la compétence qu’il fonde soit générale (article 2) ou exclusive (article 22) ?

54 V., dans le corps de l’art. 5 ch. 1 lit b, les deux expressions « sauf convention contraire » et « en vertu du contrat », et ce quelle que soit la signification exacte à attribuer à chacune de ses expressions.

55 Si celle-ci a pour objet le for, par le biais d’une élection de for notamment exclusive, une telle désignation, pourvu qu’elle soit valable au sens de l’article 23, écarte les règles sur la désignation objective du for compétent, donc tout autant le for du domicile du défendeur de l’article 2 que le for du contrat de

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de ce que le lieu qu’elles ont désigné pour la livraison détermine aussi, en cas de litige, le for compétent, que la désignation conventionnelle ces- se de viser le lieu de livraison. Si l’on tient à ce que le for soit prévisible, l’on ne peut que se réjouir de ce qu’il ait été réellement prévu par les parties. On peut même sûrement admettre la liberté de celles-ci de fixer le lieu de livraison compte tenu de l’effet qui s’y rattache sur le plan de la compétence, et d’éviter par exemple une livraison à tel endroit pour en éviter le for. Ce qui seul importe, c’est que le lieu de livraison désigné soit voulu, entendre : qu’il soit voulu comme lieu de livraison. Si la li- vraison s’est effectivement réalisée, il sera aisé d’établir qu’une telle vo- lonté était réelle, si elle ne l’a pas encore, il s’agira de prouver que les parties entendaient effectivement que la livraison s’opère à l’endroit qu’elles ont désigné. Si les parties indiquent un lieu de livraison dont elles s’accordent pour ne pas le vouloir comme lieu de livraison mais pour le vouloir comme lieu du litige, il n’y a pas désignation convention- nelle du lieu de livraison, mais désignation conventionnelle, non ex- clusive le cas échéant, du for dont il faudrait alors apprécier la validité d’après l’article 23.

La possibilité d’une désignation conventionnelle du lieu de livraison n’était-elle pas déjà admise sous l’empire du régime antérieur, par la grâce notamment de la jurisprudence Zelger-Les Gravières Rhénanes56 ? Elle l’était, certes, mais dans les limites que lui traçait la loi applicable au contrat57. La consultation de celle-ci demeurait incontournable. Le pouvoir des parties de s’accorder sur le lieu de livraison puise désormais sa légitimité dans une règle communautaire58. La nouveauté est peu pal- pable, peut-on objecter, car les règles nationales et uniformes recon- naissent aux parties un tel pouvoir. Distinguons, pour mesurer la per- tinence de l’objection, entre désignation directe (i) et désignation indi- recte (ii).

l’article 5 ch. 1. Auquel cas il importe peu de savoir si le lieu de la livraison procède lui-même d’une désignation subjective ou objective.

56 CJCE, 7 janv. 1980, 56/79, Zelger, confirmé par CJCE, 20 févr. 1997, C-106/95, Les Gravières Rhénanes, pt. 30 ; v. p. ex. A. Mittmann, « Compétence internationale en matière contractuelle : quelques éclaircissements récents dans l’obscurité de l’article 5, 1, du Règlement Bruxelles I », D. 2011, p. 834.

57 V. justement CJCE, 7 janv., 1980, Zelger.

58 Avec beaucoup de vigueur, v. CJUE, 25 févr. 2010, C-381/08, Car Trim, pt. 45.

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(i) Désignation directe α. Livraison à un seul lieu

Les parties peuvent d’abord préciser que la marchandise sera livrée à un endroit précis, un seul. Voilà qui peut fort bien faire l’objet d’une stipu- lation contractuelle, que l’on peut appeler clause de désignation du lieu de livraison. De mise en œuvre simple en apparence, une telle clause n’en est pas moins susceptible de soulever quelques interrogations. Car si le principe de l’autonomie des parties est, lui, largement admis, son a- ménagement peut varier d’un système à l’autre. Conditions matérielles et formelles de validité de la clause en question, interprétation, révocation et modification de celle-ci, circonstances d’un accord tacite, notamment par un comportement concluant, conditions habilitant le vendeur à livrer à un autre endroit lorsqu’une livraison au lieu convenu est devenue trop onéreuse : voilà autant de points au sujet desquels la convergence des lé- gislations n’est point entière59. Cet aménagement est-il lui aussi, pour ce qui est de la fonction que nous avons appelée procédurale du lieu de li- vraison, désormais entièrement soustrait à la lex contractus et confié au régime communautaire ? Ici de nouveau les esprits se divisent. Trois ex- emples illustreront l’enjeu.

Exemple n° 1. Le premier, tiré d’une affaire Electrosteel60, concerne moins la validité que l’existence même d’une désignation conventionnel- le du lieu de livraison. Était ici en débat l’interprétation qu’il convenait de donner à une stipulation contractuelle indiquant « resa : franco ns. se- de ». L’accord des contractants – une société italienne, le vendeur, et une société française, l’acheteur – portait-il sur le lieu de livraison ou sim- plement sur celui de la remise aux fins de passation du risque ? On sait que l’objet exact de la volonté des parties tout autant que la concordance de cette volonté peuvent parfois prêter à controverse, et qu’il convient dans pareil cas de recourir aux règles d’interprétation du contrat. Faut-il convoquer celles qu’offre la lex contractus ou en poser de nouvelles, au- tonomes ? C’est cette seconde voie que la Cour semble vouloir privilé- gier. D’abord, elle invite à « prendre en compte tous les termes et toutes les clauses pertinentes du contrat qui sont de nature à désigner de ma-

59 V. entre tous A. Markus (note 1), p. 11 s.

60 CJUE, 9 juin 2011, C-87/10, Electrosteel.

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nière claire [c]e lieu [de livraison] »61. C’est là une première règle posée par la Cour, dont la teneur n’est cependant sans doute pas différente de celle qu’établit la loi régissant le contrat. La seconde règle posée par la Cour habilite l’interprète à s’en rapporter aux usages internationaux aux- quels se sont référées explicitement ou implicitement les parties et plus particulièrement, s’agissant d’une clause reproduisant ou s’apparentant à un Incoterm, à la signification que lui donnent les organisations qui les

« assemblent, précisent et publient »62. L’application de la lex contractus pourrait ici déboucher sur une solution différente. Mais une telle hypo- thèse sera rare. Car, d’une part, si la lex contractus intègre la CVIM, l’article 9 de celle-ci renvoie aux usages du commerce international, y compris semble-t-il pour l’interprétation du contrat et de ses clauses63. Et d’autre part, si la CVIM n’est pas applicable, les règles nationales d’interprétation des contrats en appellent souvent aux us et coutumes.

Si elle est envisageable sans trop de peine sur le plan de son interpré- tation, l’autonomie de la clause de désignation du lieu est moins facile à admettre lorsqu’est en jeu la validité, formelle ou matérielle, de celle-ci.

C’est vers le second exemple qu’il convient de se tourner.

Exemple n° 2. Supposons qu’un vendeur italien et un acheteur anglais, dans le document contractuel qu’ils ont signé en Italie, aient convenu d’une livraison en Italie et que, lors d’une réunion ultérieure également en Italie, ils en aient modifié le lieu en le fixant en Angleterre sans toute- fois mettre par écrit une telle modification. Supposons que le vendeur in- siste par la suite pour livrer au lieu italien prévu dans le contrat originaire en se prévalant du droit italien qui invalide les modifications orales ap- portées à une convention écrite, et que l’acheteur insiste de son côté pour que la livraison soit faite en Angleterre en se réclamant du droit anglais qui valide de telles modifications. Faut-il appliquer ici la loi applicable

61 CJCE, 9 juin 2011, C-87/10, Electrosteel, pt. 21 et dispositif.

62 CJCE, 9 juin 2011, C-87/10, Electrosteel, pt. 21.

63 En voici le texte : « Art. 9 Les parties sont liées par les usages auxquels elles ont consenti et par les habitudes qui se sont établies entre elles.2 Sauf convention contraire des parties, celles-ci sont réputées s’être tacitement référées dans le contrat et pour sa formation à tout usage dont elles avaient connaissance ou auraient dû avoir connaissance et qui, dans le commerce international, est largement connu et régulièrement observé par les parties à des contrats de même type dans la branche commerciale considérée ».

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au contrat et notamment à sa forme ?64 Cela est certainement le cas pour déterminer le lieu de livraison aux fins substantielles, c’est-à-dire le lieu où le vendeur est tenu de livrer pour ne pas se rendre coupable d’inéxe- cution, respectivement où l’acheteur est tenu d’accepter la livraison. En va-t-il autrement de la détermination du lieu de livraison générateur du for de livraison ? La solution alternative consisterait à établir des règles autonomes sur la forme que doit revêtir la clause de désignation du lieu aux fins de compétence. De façon intéressante encore que quelque peu énigmatique, la Cour, dans l’affaire Electrosteel, évoque, à titre d’ana- logie, l’article 23, et notamment le recours aux usages du commerce international que celui-ci consacre en matière de forme de la clause de désignation du for65. Peut-on, voire doit-on, avoir recours à ces usages s’agissant de la forme de la clause de désignation du lieu sur le terrain de la compétence et, par exemple, conclure à la validité de la modification orale dont il est question dans l’exemple, ce qui aboutirait à localiser en Angleterre le lieu et par-là le for de livraison, et ce alors même que, le contrat étant régi par le droit italien, le lieu de livraison serait, aux fins substantielles, l’Italie66 ?

Exemple n° 3. Supposons enfin que la validité matérielle du contrat soit elle-même contestée et qu’un examen sommaire révèle au juge qu’une telle contestation pourrait, au regard de la lex contractus, être bel et bien fondée. Ainsi qu’on l’a dit plus haut, le for contractuel de l’article 5 ch. 1 ne cesse pas d’opérer du seul fait que l’invalidité du contrat est alléguée et même établie. Mais le régime de validité matérielle de la clause de dé- signation du lieu peut-il, du moins pour ce qui est de la fonction que lui assigne l’article 5 ch. 1 lit. b de déterminer le for de livraison, être réelle- ment différent de celui qui régit la validité matérielle du contrat lui-

64 Sur ce que « le texte du littera b) n’impose à cette fin aucune condition de for- me », v. E. Lein, « La compétence en matière contractuelle : un regard critique sur l’article 5 § 1er de la nouvelle Convention de Lugano », E. Cashin-Ritaine / A. Bonomi / G.P. Romano, La nouvelle convention de Lugano : passé, présent et devenir, Zurich, 2008, p. 41 s., p. 59.

65 CJUE, 9 juin 2011, C-87/10, Electrosteel, pt. 19-20.

66 En ce sens Petruzzino, « Il valore degli Incoterms ai fini dell’accordo sul locus solutionis nella compravendita intracomunitaria », Int’l Lis, 2011, p. 123 s., spéc.

p. 138. Cf. ég. T. Ballarino, « Destino del forum destinatae solutionis nella compravendita transnazionale », Liber amicorum Sinagra, sous presse.

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même, y compris de la clause du lieu de livraison, prise ici dans ses fonctions substantielles ? On sait qu’une telle autonomie est l’apanage de la clause attributive de juridiction mais on a vu que les deux clauses n’ont point le même rôle. Si l’on retient ici de nouveau l’autonomie du régime, il faut bien élaborer un tel régime et sur ce terrain de la validité matérielle plus encore que sur le terrain des formes, il paraît difficile de le faire sans avoir recours à une loi qui, à défaut d’être la lex contractus, n’en demeure pas moins une loi nationale. Et quid des conséquences de l’invalidité de la clause de désignation, quel que soit le régime qui lui est applicable ? Faut-il avoir recours au régime objectif d’identification du lieu de livraison ou bien conclure que l’article 5 ch. 1 lit. b n’est pas ap- plicable, faute de pouvoir identifier un lieu de livraison en vertu du contrat, ce qui suppose un contrat valable, si bien que le for contractuel n’est pas le for de livraison mais bien celui que désigne l’article 5 ch. 1 lit. a ?

On voit donc que les incertitudes demeurent. L’examen d’une livraison à des multiples lieux en fait découvrir d’autres et non moins redoutables.

β. Livraison à de lieux multiples

Il se peut que les contractants aient stipulé une livraison à de multiples endroits, au sein du même Etat ou de plusieurs. Il est ici question des situations mettant en cause un seul contrat de vente, encore qu’à livrai- son plurilocalisée, et non pas une pluralité de sous-contrats liés mais au- tonomes, dont chacun serait à livraison monolocalisée. La ligne de parta- ge entre Vertragseinheit et Vertragsmehrheit pouvant être diversement tracée selon les systèmes, faut-il avoir recours, dès lors, à une définition autonome ? La question n’a pas été encore abordée par la Cour et les au- teurs ne lui ont jusque-là consacré que peu d’attention67. Elle n’est pas pourtant oiseuse car, en cas de pluralité de contrats, le for de livraison est déterminé pour chacun d’eux séparément, ce qui entraîne que le for de la livraison de la marchandise objet d’un sous-contrat n’est en principe pas compétent pour le contentieux s’élevant d’un autre sous-contrat.

Si c’est d’un seul contrat de vente qu’il s’agit – et tel était le cas, en l’absence semble-t-il de contestation, dans l’affaire Color Drack –, la dé- signation conventionelle du lieu de livraison n’est ici pas encore détermi- nante, car les parties en désignent par hypothèse plusieurs. Doit-on se

67 V. P. Mankowski (note 26), p. 405 (« gern übersehene Frage »).

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résigner, pour départager ces lieux multiples de livraison et identifier ce- lui ou ceux qui détermineront le for de livraison, à en appeler au mode objectif de désignation ? La Cour s’est en effet, dans l’affaire citée, re- pliée sur celui-ci, en entreprenant d’ailleurs par la même occasion de le forger : on en verra plus loin la teneur. Relevons cependant que les con- tractants – en l’espèce un vendeur allemand et un acheteur autrichien – n’avaient pas poussé plus loin leur accord. Supposons qu’ils aient vu ve- nir le problème et que, tout en ne parvenant pas à s’accorder sur le for par une clause, notamment exclusive, d’élection de for, ils aient tout de même convenu de privilégier, parmi les lieux de livraison effective – qui étaient en l’occurrence situés dans le même Etat – un seul d’entre eux aux fins de la compétence. Ce supplément d’accord doit-il être respecté ? Et plus exactement, est-il constitutif d’une désignation conventionnelle du lieu de livraison ou bien d’une désignation conventionnelle du for, dont la validité devra être appréciée au regard de l’article 23 ? D’une part, la volonté des parties a pour objet non seulement le lieu de livraison mais également le for. D’autre part, on peut penser que le for désigné n’en demeure pas moins un for de livraison : et ce non pas seulement car le lieu n’est point fictif, effectué aux seules fins de la compétence, car la livraison s’y effectue réellement, encore que partiellement, mais aussi et surtout car le but de cette désignation ultérieure peut bien être de con- tourner les difficultés auxquelles se heurte le régime objectif d’identifi- cation du for de livraison en cas de plusieurs lieux de livraison, si bien que la prévisibilité y trouverait son compte.

Apparentée à cette hypothèse est celle, typique des ventes à distance, où les parties s’accordent sur l’itinéraire que suivra la marchandise en pré- voyant que celle-ci sera livrée à tel intermédiaire – à l’endroit A, siège du vendeur – qui la livrera à tel autre intermédiaire – à l’endroit B, un port de départ par exemple – qui la livrera à un troisième intermédiaire – à un endroit C, un port d’arrivée par exemple – qui la livrera enfin au siège de l’acheteur. L’affaire Car Trim, déjà citée, mettait en cause une configuration de ce type, bien que les maillons de la chaîne en fussent ré- duits, puisque les contractants, un vendeur allemand et un acheteur ita- lien, avaient stipulé que les pièces objet de la vente seraient remises à un intermédiaire en Allemagne, lequel était le premier mais aussi le dernier transporteur, puisque celui-ci était chargé de les remettre directement à l’acheteur en Italie. L’on est en présence ici d’une chaîne de livraisons successives, et donc de plusieurs lieux de livraison. Puisque ceux-ci sont déterminés par les parties, c’est dans le cadre d’une désignation conven- tionnelle que l’on évolue. Faut-il ouvrir aux parties également la dési-

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gnation de celui, parmi ces différents lieux de livraison, qui déterminera seul le for de livraison ? Dans l’affaire Electrosteel, la Cour a clairement dissocié le lieu de remise de la marchandise aux fins de passation du risque, du lieu de livraison aux fins de la compétence, et laissé entendre que les parties peuvent déterminer librement le premier indépendamment du second68. Faut-il leur permettre également d’isoler, dans la suite des transmissions de la marchandise, le lieu de livraison aux fins de com- pétence, et l’identifier à un endroit autre que celui où a lieu la passation du risque ? C’est parce qu’elle a constaté que les parties n’avaient pas convenu du lieu de livraison aux fins de compétence mais seulement de celui de passation du risque que la Cour, dans l’affaire Car Trim, s’est repliée sur le lieu de la remise matérielle à l’acheteur, lieu de la desti- nation finale, en l’espèce l’Italie. Mais si les parties avaient, dans le contrat, précisé que la livraison devrait, aux fins de la compétence égale- ment, s’entendre faite au lieu de la remise au premier transporteur, comme l’article 31 CVIM le précise pour la passation du risque, il est permis de penser que cet accord aurait dû être respecté. Ce serait alors admettre une désignation conventionnelle tout à la fois des lieux de li- vraison et du for de la livraison sans pour autant tomber dans l’ornière de l’élection de for au sens de l’article 23. Il resterait à préciser si le for de livraison peut, par volonté des parties, ne correspondre ni au lieu de dé- part ni au lieu d’arrivée de la marchandise mais être celui d’une simple escale.

Observons enfin qu’une désignation ne cesse pas d’être directe lorsque les parties ne désignent pas le lieu par une clause expresse mais que ce lieu ressort des circonstances ou bien d’un comportement concluant des parties. C’est le cas lorsque le vendeur livre à tel endroit la marchandise à l’acheteur qui l’accepte sans contester l’exactitude quant au lieu. Il faut bien admettre que dans ce dernier cas, il est rare que la désignation ne procède elle-même d’un accord, par lequel les parties ont pu modifier la convention antérieure.

(ii) Désignation indirecte

La désignation conventionnelle du lieu de livraison est indirecte lorsque les contractants, pour le déterminer, s’en remettent à une source extérieu-

68 CJUE, 9 juin 2011, C-87/10, Electrosteel, pt. 23.

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