Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 9 novembre 2011 2203
Lymphome non hodgkinien
Je sais la bonne raison de sa demande de consultation. Des amis à elle me connais- sent comme psychiatre ayant travaillé dans les soins palliatifs. A trente-trois ans, elle a accouché d’un bébé en pleine forme. Elle est comblée. Neuf mois après, elle s’est adres- sée à un neurologue pour des amauroses transitoires. Ce dernier, après les examens d’usage, l’a envoyée directement en oncolo- gie. Un body scan a en effet mis en éviden ce une masse dans le médiastin. Diag nostic : lymphome non hodgkinien. Elle n’aurait pas consulté de médecins sans l’atteinte sérieu se de la vision. Aucune relation n’est trouvée entre celle-ci et le lymphome.
Elle fait face courageusement à la nou- velle. Sa famille, son mari se mobilisent et elle traverse la chimiothérapie d’abord et la radiothérapie ensuite, décidée à s’en sortir.
Elle a une amie pédiatre cancérologue qui est devenue de facto sa conseillère. Ça a été précieux pour elle. Maintenant qu’elle sait que le lymphome n’est plus actif, que les oncologues espacent les consultations en se frottant les mains – légitimement – de sa- tisfaction, elle se sent moins bien. Plus irri- table, elle s’énerve avec son fils et son mari. Pourtant, ce dernier a fait preuve d’abnégation durant les longs mois du traitement. Il a renoncé en partie à ses obligations profession- nelles pour l’accompagner à chaque fois à l’hôpital, pour être proche de leur bébé.
La menace de la mort, l’expérience de la vulnérabilité, les affres de l’incer- titude l’ont marquée. La crainte d’une récidive, moins cons tamment présen- te, ravive ce vécu douloureux. Elle a pourtant l’habitude de faire face avec une tranquille détermination aux aspérités de l’existence et elle ne veut pas recouvrir son histoire actuelle d’un voile d’opa cité. Au moment où elle aurait toutes les raisons de se réjouir, de montrer de la reconnaissance à l’égard de tous ceux qui se sont engagés dans la lutte à ses côtés, elle n’éprouve que fatigue, tristesse, irritabilité. Et elle se sent doublement coupable. C’est pour compren- dre cela qu’elle vient.
Le retour de manivelle après le succès d’un traitement anticancéreux, je le connais.
Je lui suggère alors de trouver un médecin de famille hors de son cercle amical : des vi- sites régulières sont nécessaires d’un point de vue existentiel, même si elles ne sont pas strictement indiquées d’un point de vue onco- logique – n’en déplaise à nos assureurs.
Il y a longtemps, j’ai traversé une expé- rience douloureuse : j’ai soigné un collègue qui souffrait d’une grave dépression jusqu’au jour où on lui a annoncé le diagnostic de lymphome non hodgkinien. Cette nouvelle a miraculeusement effacé l’ensemble de ses symptômes thymiques. Son médecin traitant – je m’en rappelle comme si c’était aujour- d’hui – m’a annoncé : peu d’espoir. Troublé, j’ai suivi mon patient pendant encore deux ans. La dernière séance a eu lieu la veille de son décès : ce jour-là, je l’ai moi-même rac- compagné en voiture à la maison.
Naturellement, je sais que le lymphome de ma patiente n’est pas au même stade, que les traitements sont devenus plus per- formants. N’empêche ; mon cœur s’est serré en entendant la jeune femme me parler d’un mê me diagnostic. J’ai craint qu’elle s’en aper- çoive. Heureusement, elle me pose une ques- tion. Quelle relation pourrait exister entre les troubles de la vue et son lymphome ?
Quelle chance d’être psychiatre en pa- reilles situations ! Ma prompte réponse : son corps lui a dit qu’elle était aveugle face à la maladie qui la menaçait. Et la cécité lui a per- mis de voir et de se faire soigner.
Je l’encouragerai à croire à son bon droit de survivre, à exprimer sa tendresse mater- nelle, à accomplir son chemin. Elle en a toutes les capacités. Nos yeux resteront grands ouverts sur l’éblouissement de la vie.
carte blanche
Pr Marco Vannotti CERFASY Ruelle Vaucher 13 2000 Neuchâtel mvannotti@cerfasy.ch
D.R.
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