• Aucun résultat trouvé

Les spatialités des mémoires

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Les spatialités des mémoires"

Copied!
4
0
0

Texte intégral

(1)

1 LES SPATIALITÉS DES MÉMOIRES

Numéro thématique de la Revue Géographie et Cultures Coordination Dominique Chevalier et Anne Hertzog

Argumentaire

Le champ mémoriel occupe de nouvelles fonctions sociales. Si la mémoire, abordée dans ses dimensions individuelles et collectives, exprime d’emblée un rapport au passé, elle articule et produit conjointement des interactions entre soi et les autres, entre temps et espace.

La mémoire d’un passé, réactivé et investi dans des enjeux actuels, n’est pas sans lien avec les stratégies d’acteurs diversifiés.

Les trente dernières années ont été fructueuses en études portant sur la question des mémoires (Klein 2000, Radstone 2000, Zelizer 1995). En histoire (Nora 1984-1992, Assmann 1995) tout comme en anthropologie (Berliner 2005, Candau 1998, Climo et Cattell 2002, Olick et Robbins 1998), le Memory boom s’est imposé avec force dans le monde académique des sciences humaines et sociales (Nicolas 2014, Lavabre 2000).

En histoire, la considération pour la mémoire comme objet d’étude s’est opérée dans le cadre d’un renouvellement épistémologique qui a remanié la notion de « mémoire collective » étudiée bien auparavant par le sociologue Maurice Halbwachs (Halbwachs, 1925 et 1950).

Les historiens ont ainsi questionné plus précisément les mémoires, le « devoir de mémoire » (Lalieu, 2001 ; Ledoux, 2009) et les pratiques mémorielles telles que la commémoration (Garcia, 2000, Garcia, Lévy et Mattéi, 1991, François et Serrier, 2012).

La géographie, et tout particulièrement la géographie culturelle, se sont logiquement quoique plus tardivement, emparées de ces questions mémorielles, au point que désormais le phénomène mémoriel fait l’objet de réflexions géographiques de plus en plus nombreuses, comme en témoignent l’usage (désormais spatial) de la notion de « lieux de mémoire », l’étude de la territorialisation des politiques mémorielles ou encore l’analyse de la visibilité inégale des mémoires sociales dans l’espace (Chevalier, 2011, 2015, 2016, Hertzog, 2013, 2016, Lazarotti, 2012 ; Tratjnek, 2009, 2011, Veschambre, 2008). Les politiques publiques liées au souvenir ou à la commémoration sont également interrogées, sans oublier les pratiques spatiales mémorielles plus ordinaires, comme le montrent les travaux d’Emmanuelle Petit sur la montagne (Petit, 2016). Par ailleurs, la mémoire des mobilités, pensée à la fois comme (im)matérielle et comme « entre-deux mémoriels » permet d’appréhender

(2)

2 l’investissement culturel des migrant.es pour de nouveaux espaces de vie et la manière dont les mobilités et les migrations transforment les relations de la mémoire à l’espace. En situation d’exil ou de diaspora, la mémoire de la terre quittée, des lieux traversés ou parcourus, des espaces d’accueil ne participent-ils pas de la construction d’un nouveau rapport au monde, tout en contribuant à façonner des identités complexes, comme l’ont montré Michel Bruneau dans ses travaux sur les diasporas (Bruneau, 2006) ou, plus récemment, Pierre Sintes (2017) au sujet des nouvelles mobilisations du passé en lien avec les mutations géopolitiques des Balkans.

Ce numéro de Géographie et cultures propose de poursuivre les voies ouvertes par ces différents chercheurs, et d’examiner comment la géographie contemporaine se situe dans le champ des Memory Studies, aujourd’hui très investies par d’autres disciplines comme la sociologie ou l’anthropologie.

Dans un monde marqué par les recompositions politiques, sociales et économiques liées à la mondialisation, l’approche géographique des phénomènes mémoriels permet d’aborder les diverses (re)constructions identitaires qui leur sont liées, de saisir leurs dynamiques et de les situer à différentes échelles. En outre, le contexte postcolonial et la généralisation de revendications mémorielles liées à l’affirmation d’identités multiples et aux registres des « droits » et « justice », conduisent à la remise en question des « cadres spatiaux » traditionnels de la mémoire.

Les textes proposés pourront être de nature théorique, épistémologique ou empirique et suivre plusieurs pistes de questionnements : comment pratiques et politiques mémorielles façonnent-elles les espaces (lesquels sont parfois produits précisément pour « faire mémoire ») ? Comment l’espace se trouve-t-il mobilisé dans les pratiques mémorielles, à la fois comme ressource symbolique et support matériel, enjeu et dispositif, et en quoi ces pratiques jouent-elles précisément un rôle important dans la production des espaces publics – urbains et non urbains. Par ailleurs, on pourra s’interroger sur les transformations permanentes ou éphémères d’habiter les lieux, produites par la réminiscence et la résurgence de mémoires diverses. Recomposent-elles les paysages, génèrent-elles des conflits entre acteurs, s’articulent-elles à des pratiques d’aménagement et de développement des territoires ? Comment les espaces mémoriels permettent-ils de saisir les inégalités et rapports de domination entre différents groupes d’acteurs et peuvent-ils contribuer à atténuer/reproduire ces inégalités ? Enfin, le rôle de la mémoire (et son instrumentalisation parfois) dans les constructions d’imaginaires spatiaux, dans les expressions identitaires, dans le rapport à soi et

(3)

3 à l’Autre, à différents niveaux d’échelles constituera également un axe de réflexion intéressant pour ce numéro thématique.

Modalités de soumission et d’évaluation

Les textes (entre 35 000 et 50 000 signes) sont à soumettre à la rédaction de la revue Géographie et cultures (gc@openedition.org) au plus tard le 2 novembre 2017 pour une publication début 2018.

Les instructions aux auteur.e.s sont disponibles en ligne : http://gc.revues.org/605 Les articles seront évalués en double aveugle.

Références citées

ASSMAN J., 1995, “Collective Memory and Cultural Identity”, New German Critique, n° 65, p. 125-133.

BERLINER D., « The Abuses of Memory: Reflections on the Memory Boom in Anthropology », Anthropological Quarterly, vol. 78, n° 1, 2005, p. 197-211.

BRUNEAU Michel, « Les territoires de l’identité et la mémoire collective en diaspora », L’Espace géographique, 2006, n° 4, tome 35, p. 328-333.

CANDAU J., Mémoire et identité, Paris, Presses Universitaires de France, 1998.

CHEVALIER Dominique, « Les mémoires douloureuses appréhendées comme ressources patrimoniales. Quels impacts sur les territoires ? », in J. Spindler (dir.), Le tourisme de mémoire : un atout pour les collectivités territoriales ?, L’Harmattan, p. 101-116, 2015.

CHEVALIER Dominique, « Retour réflexif sur la construction d’un objet géographique mémoriel. Tourments, ancrages et circulations des mémoires douloureuses de la Shoah », Géographie et Cultures, n° 93-94 « Géographie et Cultures à Cerisy », p. 347-366, 2016.

CHEVALIER Dominique, « Yad Vashem, un lieu entre mémoires et espoirs », Territoires en mouvement, 13/2012 « Religions et Territoires en mouvement. Visibilité et invisibilité, emplois et réemplois du religieux », p. 56-69, 2011.

CLIMO J., CATTELL M., Social Memory and History. Anthropological Perspectives, Walnut Creek, CA : Altamira Press, 2002.

CRIVELLO Maryline, ISNART Cyril, NEVEU Norig, SINTES Pierre, « Imaginaires, conflits et mémoires en Méditerranée : de l’État-nation aux communautés ? », Tiers monde, n° Hors série, Armand Colin, p. 175-198, 2016.

FRANÇOIS Étienne, SERRIER Thomas, « Lieux de mémoire européens », Documentation photographique, n° 8087, 2012.

GARCIA Patrick, « Les lieux de mémoire : une poétique de la mémoire ? », EspacesTemps, n° 74/75, 2000, p. 122-142.

GARCIA Patrick, LÉVY Jacques et MATTEI Marie-Flore, « Révolutions, suite et fin. Les mutations du changement social et de ses représentations saisies à travers l’image de la Révolution française et les pratiques du Bicentenaire », Cahiers de géographie du Québec 38104 (1994), p. 211–212.

HALBWACHS Maurice, Les cadres sociaux de la mémoire, Paris, Albin Michel, 1994 (1e éd.

Alcan, 1925).

(4)

4 HERTZOG Anne, « Musées de la Grande Guerre : reconfigurations, territorialisation, circulations. Une approche géographique des dynamiques mémorielles et patrimoniales, entre ancrage et mobilités », in Rousseau F. et Mary J. (dir), Entre histoire et mémoire, la guerre au musée. Essais de muséohistoire (2), Michel Houdiard Editeur, p. 139-157, 2013.

HERTZOG Anne, AHMAD Rafiq, “Memory Tourism and Place in a Globalizing World”, Journal of Tourism and Hospitality Research, vol. 16, n°3, July 2016.

HERTZOG Anne, « Quand le tourisme de mémoire bouleverse le travail de mémoire », Les Cahiers Espaces, juillet 2013.

KLEIN L., “On the Emergence of Memory in Historical Discourse”, Representations, n° 69, p. 127-150, 2000.

LALIEU Olivier, « L’invention du “devoir de mémoire” », Vingtième siècle. Revue d’histoire, n° 69, janvier-mars 2001, p. 83-94.

LAVABRE Marie-Claire, « Usages et mésusages de la notion de mémoire », Critique internationale, 2000, vol. 7, n° 1, p. 48-57.

LAZZAROTTI Olivier, Des lieux pour mémoires. Monuments, patrimoines et mémoires-Monde, Armand Colin, Coll. « Le temps des idées », 2012.

LEDOUX Sébastien, « Pour une généalogie du “devoir de mémoire” en France », Centre Alberto Benveniste, EPHE-Sorbonne, février 2009.

NICOLAS Serge, « Un siècle d’étude de la mémoire : les hommes et les idées », Les Cahiers de Framespa [en ligne], n° 16, 2014, mis en ligne le 01 juillet 2014, consulté le 01 avril 2017.

URL : http://framespa.revues.org/2889

NORA Pierre (dir.), Les lieux de mémoire, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque illustrée des histoires », 1984-1992, 3 tomes.

OLICK J. and ROBBINS J., “Social Memory Studies: From ‘Collective Memory’ to the Historical Sociology of Mnemonic Practices”, Annual Review of Sociology, n° 24, p. 105-140, 1998.

PETIT Emmanuelle, Se souvenir en montagne. Guides, pierres et places dans les Alpes, Presses Universitaires de Grenoble, 2016.

RADSTONE S., Memory and Methodology, Oxford/New York, Berg, 2000.

SINTES PIERRE,En présence du passé. Géopolitique de la mémoire aux frontières de la Grèce, Publication de l’Université de Provence, 2017

TRATNJEK Bénédicte, « Les lieux de mémoire dans la ville en guerre : un enjeu de la pacification des territoires », Diploweb, 31 octobre 2011 (en ligne).

TRATNJEK Bénédicte, « Questionnements géographiques sur les monuments aux morts », Les Cafés géographiques, rubrique Vox geographie, 21 novembre 2009.

VESCHAMBRE Vincent, Traces et mémoires urbaines, enjeux sociaux de la patrimonialisation et de la démolition, Presses Universitaires de Rennes, 2008.

ZELIZER, B., “Reading the Past Against the Grain: The Shape of Memory Studies”, Critical Studies in Mass Communication, n° 12, p. 214-239, 1995.

Références

Documents relatifs

Au contact de l’environnement dans lequel nous baignons, nous éprouvons des sensations, mais celles-ci sont le plus souvent informées par ce que nous savons déjà de ce que nous

17 J’ai centré ma discussion de la corporalité sur un film d’art plutôt que sur un travail de recherche géographique parce que, en retravaillant ma propre compréhension de

À une époque où les nouvelles branches de la géographie (consacrées à la démographie, l’écologie, aux crises et aux renouveaux...) paraissent

16 La culture n’est pas qu’héritage. Elle comporte des éléments nouveaux, elle est le fruit d’une activité inventive incessante. Pour imaginer des solutions originales à

1 Les leçons que Denis Cosgrove a données en 2005 à l’université de Heidelberg dans Je cadre des conférences Hettner viennent d’être publiées sous la forme

Gaetano Ferro, Calogero Muscarà, Costantino Caldo et plusieurs autres géographes abordent le sujet (1983, vol. Ferro examine les cultures locales en tant qu’expressions

Toutefois, en définissant au sens large l’identification géographique comme une pratique dynamique, symbolique et multiscalaire, il doit être possible de retrouver

Dans la mesure où les valeurs naissent de la croyance en des au-delàs d'où l'on découvre le sens des choses et les impulsions à donner pour aller vers des situations