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Academic year: 2022

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Travail et territorialité

RAFFESTIN, Claude

Abstract

compte-rendu du premier Colloque organisé par les Rencontres de la Barbariga et l'ISE en 1981 à Venise

RAFFESTIN, Claude. Travail et territorialité. In: Demain le Travail . Paris : Economica, 1982. p.

147-154

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:4413

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par Claude Raffestin

Rapprocher ces deux termes, c'est sans doute poser l'un des problèmes essentiels de notre époque car le travail tout autant que la territorialité sont en pleine transformation ou même sont déjà transformés, à notre insu. Pourtant, pour l'homme singulier, vous, lui, moi, cette transformation ne se comprend, ne s'appréhende qu'à travers ce référentiel obligé qu'est la quotidienneté, « lieu des conflits entre le rationnel et l'irrationnel » (1). La quotidien- neté nous éclaire mais aussi nous égare ; elle est le lieu dans lequel nous nous approprions les choses mais le lieu, aussi, dans lequel nous sommes appropriés par les choses : « le quotidien c'est l'hum- ble et le solide, ce qui va de soi, ce dont les parties et fragments s'enchaînent dans un emploi du temps » (2). Inévitable référentiel, la quotidienneté constitue le système de coordonnées concret par rapport auquel nous nous situons et qui nous situe... malgré nous. Ambivalente et ambiguë, la quotidienneté adhère à l'homme singulier qui naît dans des conditions sociales concrètes et qui doit apprendre à utiliser les « choses » selon un mode nécessaire et possible dans le contexte d'une époque historiquement déter- minée.

Utiliser les « choses »? Le mot est peut-être mal choisi car les choses c'est, tout ce qui n'est pas « moi » ; c'est L'altérité, soit le monde auquel j'ai effectivement accès ou auquel je peux avoir accès, monde des êtres, des mots et des objets. Dans ce sens, le mot « chose » retrouve une valeur générale essentielle.

Mais qu'est-ce qui nous donne accès aux choses, qu'est-ce qui nous donne la « clé des choses » ? Avoir un rapport aux choses c'est immédiatement savoir les mobiliser et les ordonner. Savoir mobiliser et ordonner c'est disposer d'un médiateur, d'un pouvoir qui est le travail « grâce auquel l'homme peut s'extérioriser et par lequel il peut accomplir, c'est-à-dire achever au sens étymolo- gique son programme intérieur fixé par l'hérédité (3).

(1) Henri Lefebvre, La vie quotidienne dans le monde moderne, Paris, 1968, p. 50.

(2)Ibid.,p. 51.

(3) Claude Raffestin et Mercedes Bresso, Travail, Espace, Pouvoir, l'Age d'Homme, Lau- sanne 1979, p. 8.

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Si le travail « mobilise » et « ordonne » les choses c'est qu'il est énergie et information. Chacun de nous peut et doit exercer ce pouvoir originel qui, d'une part, le transcende et d'autre part, fonde son rapport à l'altérité. Rapport qui déclenche tout autant des créations que des destructions qui ont jalonné les millénai- res (4). Par le travail, on peut construire et anéantir, affirmer et nier ; il me revient en mémoire le mot d'un poète québecois :

« le travail était peut-être leur langage... ». Il est véritablement langage dans la mesure où c'est par lui qu'on s'approprie les choses ; il est ce couple originel dont les deux faces, énergie-information, sont distinctes mais non dissociables. En tant que catégorie na- turelle, le travail est une unité bio-sociale qui est devenue la con- dition de l'évolution de cet interface nature-culture (5). Les inter- relations entre éco-système physique et éco-système humain ne sont possibles par le travail lui-même soumis aux éco- bio- et socio- logiques. Dans cette perspective de catégorie naturelle, le travail est l'une des substances complexes et essentielles de la société.

Il n'est pas nécessaire d'être marxiste pour adhérer à ce point de vue. Conçu comme catégorie naturelle, le travail entretient des relations étroites avec l'attitude technique qui contrairement à l'économie se réfère au concept de « convenance » et non à celui de « coût » (6). Pourquoi ? Parce que « la technique envisage les moyens en fonction des fins à réaliser » tandis que « l'économie traite les fins en fonction des moyens à dépenser ». Ainsi, comme le montre Radkowski « dans le cas d'une relation technique, les fins représentent une variable indépendante, les moyens une variable dépendante ; c'est l'inverse dans le cas d'une relation économi- que » (7).

Ceci est d'une extrême importance car cela signifie que le travail- catégorie naturelle et la relation technique sont véritablement sous-tendus par les éco- bio- et socio-logiques et donc régulés à l'intérieur d'un territoire concret. C'est pourquoi dans beaucoup de sociétés, l'espace a longtemps réfléchi le travail, et réciproque- ment, tant que l'homme s'est ajouté dans un lieu donné des habi- letés, pour assurer son existence, à partir des conditions ambiantes, desquelles il tirait son énergie, et sur lesquelles il accumulait de l'information (8). Les moyens, autrement dit les substances so- ciales essentielles à savoir le travail et la terre, étaient véritable- ment des variables dépendantes dont la gestion était assurée par le travail.

(4) Cf. Serge Moscovici, Essai sur l'histoire humaine de la nature, Flammarion, Paris 1968.

(5) Cf. Raffestin, Bresso, op. cit.

(6) Georges-Hubert de Radkowski, Les jeux du désir, P.U.F., Paris 1980, pp. 47-48.

(7)Ibid.

(8) Raffestin, Bresso, op. cit., p. 79.

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Au fond, il est possible de considérer la territorialité, structure relationnelle, comme un mécanisme de régulation dans l'exacte mesure où la fonction économique est profondément enracinée dans le système social, dans la mesure aussi où la fonction écono- mique est véritablement contenue dans la société au même titre que d'autres fonctions. Dans ce cas, le travail est une catégorie naturelle car il est un médiateur indispensable qui donne accès à toutes les « choses » de la société.

Si le travail a longtemps assuré la cohérence de la territorialité c'est qu'il n'était pas lui-même une marchandise. Lorsqu'il devient une marchandise, au même titre que n'importe quel autre bien, il n'est plus une catégorie naturelle qui irrigue toute la société mais bien une catégorie économique qui s'achète et se vend. A la territorialité, mécanisme de régulation primitif se substitue un autre mécanisme de régulation, celui de marché dont la vulgarisa- tion est relativement récente si l'on suit la thèse de Karl Pola- nyi (9). En effet, pour qu'il existe une économie de marché, il est nécessaire, entre autres choses, que tous les éléments utiles, autre- ment dit tous les enjeux intéressants soient absorbés dans la fonc- tion économique. Mais les conséquences de ce processus sont énormes.

En effet, pour que le travail devienne une marchandise, il a fallu accréditer une fiction et réaliser une fission. Accréditer une fiction, c'est-à-dire considérer que le travail n'était pas cette unité à double face énergie-information, dont l'existence était due à l'interface écosystème physique-écosystème humain, mais qu'il était tout simplement une « force » donc un flux quantifiable : « Dans la société capitaliste la victoire appartient au calcul, à la quantifica- tion, à la formation des prix quand il s'agit de l'échange des mar- chandises, à un univers quantitativement nivelé » (10). D'hété- rogène qu'il est, le travail devient homogène, donc aisément mesu- rable ; il est littéralement « décollé » de l'interface nature-culture et dans la relation économique en tant que moyen il est une varia- ble indépendante. Décollé du territoire concret, il est dès lors utilisable et projetable n'importe où. Mais si cette fiction a été une condition nécessaire, elle n'a pas été une condition suffisante.

La seconde étape du processus a été la réalisation d'une fission.

Un marché autorégulé exige une dichotomie radicale : d'un côté la sphère économique et de l'autre la sphère politique (11). La fonction économique est évidemment corrélée avec le système socio-politique mais elle n'est plus contenue dans celui-ci. Les fins du système constituent une variable dépendante. La fonction

(9) Cf. Karl Polanyi, The great transformation, New-York 1944.

(10) Ernst Bloch, La philosophie de la Renaissance, Payot, Paris 1974, p. 81.

(11) Cf. Polanyi, op. cit.

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sécrète ses propres fins en puisant les moyens pour les réaliser dans les marchés à disposition. Les objectifs économiques ont, alors, leur dynamique propre uniquement régulée par le mécanisme du marché.

Substituer au mécanisme éco- bio- et socio-logique, soit la terri- torialité, le mécanisme purement anthropologique du marché revient à transformer en marchandises non seulement le travail mais encore la terre, c'est-à-dire les substances essentielles du corps social. Dans ces conditions, il n'y a plus de régulation décen- tralisée ; elle est tout entière concentrée dans le mécanisme du marché. Seuls les signaux, que sont les prix, déterminent les « mou- vements ». Mesurable, quantifiable, le travail devient une variable continue à laquelle le marché peut attribuer toutes les valeurs possibles. C'est la conséquence de la fiction et de la fission dé- crites plus haut. En quelque sorte, le travail est dégagé de toute allégeance, il n'est plus marqué, il est « libre » et« mobile ».

La liberté et la mobilité apparentes du travail vont permettre de s'emparer de cet enjeu, c'est-à-dire de le détacher du corps social pour en faire un instrument pur : n'appelait-on pas l'esclave

« instrumentum vocale » dans l'Antiquité ? De l'appropriation par le travail on est passé à l'appropriation du travail ; du pouvoir du travail on a glissé au pouvoir sur le travail.

La responsabilité qu'assumait le travail dans la territorialité fait place à une fonctionnalité pure qui intervient au gré des in- jonctions du système économique qui détermine les fonctions de production par référence à ses seules fins, qui impose les « mo- dernités » et les « obsolescences » : « Si la relation technique est créatrice, la relation économique, qui se déploie à l'intérieur de l'horizon des cibles déjà présentées par la technique, est toujours réductrice. Confrontée à ces cibles, elle opère par suppression... ».

« Cette réduction, par la mise en perspective des cibles les unes par rapport aux autres, s'effectue parce que l'économie ne porte jamais sur les fins (production de richesses), mais uniquement sur les moyens. Seuls les moyens possèdent une « valeur » économique et non les fins » (12).

Dans cette perspective, le travail humain est chargé de valeur ou non. Selon les fonctions de production choisies qui dépendent d'une rentabilité et d'une rationalité, dont les critères ne sont pas issus du corps social mais de la fonction économique, le travail humain est valorisé ou dévalorisé. En effet, ne participant plus à la régulation mais étant lui-même objet régulé, le travail ne présente plus un caractère absolu d'utilité ; il est relativisé.

A cette fission sociale, évoquée plus haut, correspond une fission

(12) Radkowski, op. cit., p. 49.

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de l'enveloppe spatio-temporelle qui s'est traduite par un émiet- tement des espaces et des temps que le travail ne sait plus et ne peut plus recomposer. Pourquoi ? Parce que le travail de l'homme in- dividuel, singulier, n'a plus de signification sociale, n'a plus de finalité puisqu'il est entièrement surdéterminé par la fonction éco- nomique. On « extrait » de l'homme une certaine quantité de travail, comme on « extrait » du sang de son corps. La comparaison n'a rien de mélodramatique, malgré les apparences ; on a pu lire dans le Monde des 4-5 novembre 1979 à propos de trafic et de contrebande de sang humain la petite phrase suivante : « M. Loura- da a expliqué qu'il vendait son sang depuis cinq ans, faute de trou- ver un emploi ». Le travail potentiel de cet homme n'avait donc aucune valeur, en revanche son sang avait une valeur, pour les la- boratoires multinationaux, faible, il est vrai ! Les progrès de la

« marchandisation » ne s'arrêtent pas.

Le résultat est une énorme discordance dont le point de rupture est atteint ou pas loin de l'être. Toutes les valeurs de la société dans laquelle nous vivons ont été produites par le travail en tant que catégorie naturelle ; non seulement les valeurs mais aussi toutes les œuvres mineures ou majeures qui constituent notre environne- ment. Tout ce à quoi nous nous référons ou essayons de nous réfé- rer est produit par ce travail. Mais le travail-catégorie naturelle est mort, seul existe le travail-catégorie économique, seul existe le travail-marchandise. Comment, dès lors, interpréter des valeurs produites par le travail-catégorie naturelle à l'aide du travail-mar- chandise ? Il n'y a pas d'interprétation possible. La discordance devient désespoir qui prend des formes multiples qui affectent toujours plus notre quotidienneté.

Cette discordance génère ainsi l'un des paradoxes de la société contemporaine : la sphère politique, au sens large, qui comprend le social et le culturel également, se réfère consciemment au travail- catégorie naturelle et se nourrit du mythe de ce travail disparu tandis que la sphère économique ne s'intéresse qu'au travail-mar- chandise, celui marqué du sceau de la mobilité, de la fluidité. D'un côté, est glorifiée la valeur d'usage du travail tandis que de l'autre est prise en compte la seule valeur d'échange du travail. En quel- que sorte, nous vivons encore dans la sphère culturelle sur cette conception de la Renaissance que rappelle si justement Ernst Bloch : « L'activité est le nouveau mot d'ordre. L'homme nouveau travaille, il n'a plus honte de travailler. L'interdit que la noblesse avait jeté sur le travail, considéré comme dégradant et déshono- rant, est levé ; on assiste à la naissance de l'homo faber qui, sans avoir pleinement conscience du changement survenu, transforme le monde par son activité » (13). Mais cette conception a été

(13) Ernst Bloch, op. cit., p. 6.

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balayée et l'on assiste à la régression de l'homo faber qui ne trans- forme plus le monde par son activité, tout au plus assiste-t-il à des transformations qu'il ne comprend pas ou qu'il comprend mal.

Je ne mets pas en question par les lignes qui précèdent la relation technique mais bien la relation économique qui s'est mise entre parenthèses et s'est volontairement isolée pour réaliser son rêve de puissance et de pouvoir, sous le couvert de la gestion des riches- ses. La gestion des richesses suppose, on l'a vu, que les moyens soient des variables indépendantes de telle sorte que l'on puisse imaginer toutes les combinaisons possibles en faisant varier les critères au gré du pouvoir qui s'exerce. La sphère politique crée des êtres identifiés, la sphère économique les dépersonnalise et produit des « hommes an-onymes (an-onuma), sans nom propre, (qui) sont aussi des hommes a-topiques, hommes sans lieu. Indi- vidus dépourvus de propre - de ce propre qui confère à l'homme son nom — ils ne disposent pas dans l'étendue habitable d'un lieu qui puisse leur être assigné en propre ; non repérables en eux- mêmes socialement, ils sont non situables spatialement » (14).

Seul le travail des immigrants dans les pays industriels relève de cette description, dira-t-on. Qu'on ne s'y trompe pas, elle com- mence à pouvoir s'appliquer à ceux qu'on pourrait qualifier « d'im- migrants de l'intérieur » qui doivent se soumettre à la mobilité géographique et à la mobilité sectorielle pour échapper à cette ultime perte d'identité que représente le chômage.

Il y a donc toujours pire ! A la formule métro-boulot-dodo on a substitué pour les chômeurs métro-journaux-dodo. Eplucher les petites annonces et se précipiter pour trouver un travail hy- pothétique constitue une activité que connaissent aujourd'hui dans le monde des millions d'hommes et de femmes. Certes l'Etat

« rachète » le travail-marchandise invendu et laissé pour compte mais n'est-ce pas l'aveu suprême de la discordance entre la sphère politique et la sphère économique ? N'est-ce pas l'aveu que l'Etat a atteint le point ultime où il accepte de mimer l'économique (15) ?

De tout cela, le progrès technique ou mieux l'attitude technique est rendue responsable, du moins cherche-t-on à nous le faire accroire. C'est totalement erroné. L'attitude technique est l'ex- pression d'une rationalité que l'homme a mis des millénaires à forger et elle est irréversible (16).C'est la relation économique qui est à mettre en cause en tant qu'elle gère par rapport à ses fins propres et non par rapport au système social, avec lequel elle est en liaison, mais en dehors duquel elle se situe.

(14) Radkowski, op. cit., p. 38.

(15) Sur ce sujet, Cf. Marc Guillaume, Le capital et son double, P.U.F., Paris 1975.

(16) Raffestin, Bresso, op. cit., p. 159.

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Mais, c'est absurde dira-t-on, vous présentez la sphère économi- que comme quasiment indépendante alors qu'elle est là pour satis- faire les besoins sociaux. Non, le système économique depuis un siècle, deux siècles peut-être, « est un outil forgé de toutes pièces pour rendre possible la prise du pouvoir » (17).

Depuis 1968—que cette année paraît lointaine — beaucoup, par leurs actions, leurs questions et leurs textes, ont mis en question l'équation de l'illusion : travail parcellarisé = efficacité + abondance + loisir et ont dénoncé celle plus près de la réalité : travail parcel- larisé = efficacité + pouvoir (18). Entre temps l'autogestion est devenue une tarte à la crème, expression qui n'a rien de péjoratif, bien au contraire, sous ma plume mais n'est-elle pas vécue comme telle. Il y a tout juste trois ans un groupe de travail a analysé le système productif et est arrivé à la conclusion qu'il serait possible de travailler deux heures par jour à condition que tous travaillent, travaillent mieux, éliminent le gaspillage des objets à courte durée et tranfèrent une partie du travail obligé au travail libre (19). Tout cela est vraiment « lointain » et « vieux ». Est-ce coïncidence ou plan calculé avec la plus extrême perversité si c'est au moment où foisonnent les idées pour « retrouver » le travail qu'une crise, ô combien bienvenue, fasse retrouver avec les économistes, épigones de l'école de Chicago, les vertus du marché autorégulé et du libé- ralisme le plus effréné et le plus débridé. Que c'est beau le marché ! Que c'est beau la concurrence ! Les résultats ont dépassé les plus belles espérances : par le chômage accru, la sphère économique, les entreprises sont en train de ressaisir le pouvoir qu'elles ont perdu. Cette crise qui dure depuis 1975, et donc déjà longue, va du- rer encore car il n'est pas nécessaire d'être grand prophète pour l'annoncer. Vous exagérez, personne ne veut de crise, c'est absurde une fois de plus. Que non, la crise est utilisée et prolongée comme

« catharsis sociale ». Les « nouveaux économistes » extraient de l'arsenal de l'économie néo-classique les formules, les modèles et les théories dont le caractère réducteur est le plus accusé.

Purification qui se traduit par un reflux, un vaste mouvement rétro qui atteint l'ensemble social : économie, politique, culture, tout est touché. Néo-modernité qui est une énorme inversion des valeurs pour retrouver cette espèce d'adéquation entre le marché, un moment mis en cause, et les aspirations sociales qui s'en éloi- gnaient dangereusement. On a compris que pour soumettre un homme, il suffisait de le priver de son travail pour lui rappeler que tout était marchandise et que lui aussi était marchandise.

Il n'y a rien à attendre de la sphère économique qui vise le

(17) Radkowski, op. cit., p. 241.

(18) Cf. Raffestin, Bresso, op. cit.

(19) Cf. Adret, Travailler deux heures par jour, Paris 1977.

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pouvoir ; seule la sphère politique, lorsqu'elle aura cessé de mimer la précédente et lorsqu'elle aura compris qu'elle n'exerce plus le pouvoir, pourra effectivement, dans un mouvement d'implosion plus que d'explosion, proposer des objectifs nouveaux à la société dont elle n'est que la représentante formelle et finalement de plus en plus contestée. Si le travail risque d'être complètement dominé à l'issue de cette crise, l'Etat ne semble pas se rendre compte que lui non plus n'en sortira pas indemne dans l'exacte mesure où il est en train de brader volontairement les substances essentielles de la société dont le travail. Comme dirait Michel Serres, l'Etat joue le contenu mais l'économique joue la position. Or, c'est toujours celui qui joue la position qui gagne.

La sphère politique, pour subsister, doit s'enraciner dans une territorialité, elle doit prendre en compte une régulation complète dans laquelle les moyens sont une variable dépendante, tel le tra- vail par exemple ; ses seules ressources réelles sont le travail et l'interface nature-culture dont la sphère économique s'est empa- rée avec la bénédiction de l'Etat.

Dès lors elle est condamnée à recréer une territorialité en s'ap- puyant sur le travail libéré ou à disparaître dans sa forme actuelle.

L'accentuation des « doctrines bourgeoises classiques du laisser- faire, avec leur séparation formelle des systèmes politiques et éco- nomiques » (20) des XVIIIe et XIXe siècles a conduit à l'étape ultime de la domination de l'économique sur le politique non pas absolument mais relativement.

La destructuration politique, sociale, culturelle, la destructura- tion de l'interface écosystème physique-écosystème humain ne sont finalement pas les faces visibles de la destructuration du travail.

Il faut renverser les séquences comme l'écrit Radkowski : « La sé- quence fondamentale sous-jacente à la praxis des sociétés modernes conduit de la technique comme puissance du faire, en passant suc- cessivement via l'économie et le travail, à la domination de l'homme sur la nature : technique - économie - travail - domination. Elle s'oppose à celle qui sous-tend la praxis des sociétés traditionnelles...

La séquence est inversée : dépendance - travail -économie - te- chnique » (21).

Le travail, porteur de l'information régulatrice, doit commander les séquences sociales si l'on veut préserver la société dans la pers- pectivs d'une régulation complète conditionnée par les éco-bio- et socio-logiques. Sinon...

(20) Perry Anderson, L'Etat absolutiste, I - L'Europe de l'Ouest, Maspero, Paris 1978, pp. 37-38.

(21) Radkowski, op. cit., p. 252.

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