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Conflits en matière d'obtention de preuves à l'étranger

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Conflits en matière d'obtention de preuves à l'étranger

KAUFMANN-KOHLER, Gabrielle

KAUFMANN-KOHLER, Gabrielle. Conflits en matière d'obtention de preuves à l'étranger.

Annuaire suisse de droit international , 1985, vol. 41, p. 110-120

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:44106

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CONFLITS EN MATIERE D'OBTENTION DE PREUVES A L'ÉTRANGER*

par

GABRIELLE KAUFMANN-KOHLER

Docteur en droit, avocate aux barreaux de Genève et New York

1. Introduction

Vous ne m'en voudrez pas de bousculer les préliminaires d'usage pour entrer d'emblée dans le vif du sujet en l'illustrant par un exemple concret de conflits en matière d'obtention de preuves à l'étranger.

M. Falzon, citoyen américain domicilié dans l'Etat du Michigan, a un acci- dent de la route non loin de chez lui, alors qu'il se trouve au volant de son bus VW. Il pense que l'accident est dû à un défaut de fabrication de son véhicule et intente sur cette base une action en dommages-intérêts contre le fabricant al- lemand dans le Michigan. En vertu des règles de procédure américaine, il de- mande à entendre par l'intermédiaire de son avocat plusieurs ingénieurs de VW sur leur lieu de travail en Allemagne. VW refuse. Falzon a recours au juge, qui or- donne l'audition des ingénieurs1l. Or, en droit allemand, comme en droit suisse d'ailleurs, l'audition de témoins et l'administration des preuves en général est une fonction judiciaire que seuls les tribunaux peuvent exercer.

D'où conflit entre le juge américain qui ordonne l'audition et l'Etat alle- mand qui s'y oppose. A ce conflit s'ajoute en l'occurrence que l'audition des té- moins par le demandeur était contraire à la Convention de La Haye sur l'ob- tention des preuves à l'étranger, sur laquelle nous reviendrons.

On pourrait bien sûr multiplier les exemples de ce type. Mais nous nous ar- rêterons là pour nous interroger tout d'abord sur les causes de ces conflits, puis pour examiner de plus près les grandes lignes de la pratique américaine et me- surer ensuite cette pratique aux règles du droit international avant de conclure.

* Texte (complété par des notes) d'un exposé présenté à Berne le 10 novembre 1984 à l'occa- sion de !ajournée de la Société suisse de droit international et du groupe suisse de !'International Law Association ayant pour sujet les limites de la compétence des Etats en droit international public et privé

1> Falzon v. Volkswagmwerk Aktiengesellschafl, mémoire déposé par le gouvernement américain

devant la Cour Suprême publié XXIII ILM (1984) 412.

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OBTENTION DE PREUVES A L'f:.TRANGER 111

2. Causes des conflits

Les causes profondes de ces conflits sont probablement multiples et d'ordres très différents. Cela étant, dans le présent contexte, j'en discerne deux princi- pales2l.

La première relève d'une différence fondamentale dans la conception de l'ad- ministration des preuves. Dans les pays de civil law, l'administration des preuves est de la compétence exclusive des tribunaux alors qu'aux Etats-Unis, elle est du ressort des parties3>. En droit américain, après l'introduction de l'action et avant la seule et unique audience sur le fond, appelée trial, les parties se lancent dans une vaste exploration inquisitoriale, que l'on nomme généralement pretrial discovery4>.

Elles peuvent ainsi procéder à des interrogatoires de la partie adverse ou d'éventuels témoins et exiger la production de documents5l. Cette exploration n'est pas limitée aux faits pertinents. Elle peut s'étendre-etje paraphrase là la formule d'un juge anglais - à «tout élément dont on pourrait penser qu'il pour- rait conduire à une information pertinente»6l.

Cette grande liberté probatoire n'est pas restreinte à la procédure civile dans le sens où nous comprenons ce terme. Tout le paysage juridique américain en est empreint. La même procédure exploratoire s'applique lorsqu'une agence du gouvernement, telles par exemple la SEC ou la division antitrust, intente une action judiciaire contre un particulier. En effet, de telles actions, que nous qualifierions de contentieux administratif, sont considérées comme «civiles»

aux Etats-Unis7>. En outre, des principes de discovery analogues régissent les pouvoirs d'investigation en matière d'enquêtes administratives6>.

2) Outre celles-là, on pense notamment au fait que la procédure américaine favorise le deman- deur, alors que les droits d'Europe continentale protègent plutôt le défendeur. Ou encore à l'exis- tence aux Etats-Unis de puissantes agences gouvernementales aux larges pouvoirs d'investiga- tion, qui ont la possibilité d'intenter des actions •civiles» en qualité de partie.

3) Pour une description générale de la procédure civile américaine, voir p. ex. SCHURTMANN/

WALTER, Dtr amtrikanische ZivilprouB, Francfort 1978.

4) Destinée à l'origine à faciliter la recherche de la vérité, à activer et simplifier la procédure (ou, dans les termes de la Cour Suprême, •make a trial less agame ofblind man's buff•, United Statesv. Procwr& Gambit Co., 356 U.S. 677), la pretrial discovery a failli àsa tâche et a aujourd'hui pour principal avantage d'amener les parties à transiger pour y échapper. Voir notamment VON HOLSEN, Gcbrauch und Millbrauch US-amerikanischcr •pre-trial discovery• und die internatio- nale Rcchtshilfc, RIW 1982, p. 225.

5) Les moyens très larges qu'offre la pretrial discovery sont codifiés, en cc qui concerne la pro- cédure fédérale, dans les Fcdcral Rules of Civil Procedurc.

6> Radio Corporation of America v. Rau/and Corporation [ 1956] l Q. B. 6181643-644, repris par

l'arrêt de la Chambre des Lords du 2.12.1977 in re•Westinghoust Electric Corp. Uranium Contract Litigation XVII ILM (1978) 38139.

7> Report of the United States Delegation to the Spccial Commission on the Operation of the

Convention ofMarch 18, 1970 on the Ta king of Evidence Abroad in Civil and Commercial Mat-

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Différence dans l'administration des preuves, donc, telle est la prerruere source de conflits. La seconde tient à ce que certains appelleront l'impérialisme juridique des Etats-Unis et que d'autres préféreront qualifier de différence dans l'appréhension de l'ordre juridique international. Quel que soit le nom qu'on lui donne, ce phénomène se concrétise par une mainmise des Etats-Unis sur des situations de fait plus étroitement liées à d'autres pays qu'aux Etats-Unis eux- mêmes. En réaction à cette mainmise, nombre d'Etats ont promulgué des

« blocking statu tes», qui - comme leur nom l'indique - bloquent l'accès à toute information se trouvant sur le territoire de l'Etat auteur de la législation9>.

D'autres pays, dont la Suisse, disposent depuis plus longtemps déjà de règles ou institutions ayant le même effet, tels les articles 162 ou 273 CPS et le secret ban- caire10>.

3. Examen de la pratique américaine

Les sources de conflit identifiées, il nous faut maintenant examiner de plus près la pratique américaine.

Les tribunaux américains admettent que dès qu'en vertu de leur droit interne ils ont la compétence judiciaire sur une personne, ils ont également le pouvoir d'ordonner à cette personne d'apporter des preuves quel que soit le lieu où ces preuves sont situées11>. Les problèmes surgissent bien sûr quand les documents requis se trouvent à l'étranger et que le droit étranger en interdit la production.

Mais cette difficulté - nous le savons - n'arrête pas le juge américain. Pour savoir s'il doit insister malgré le fait que le comportement exigé est illégal à l'étranger, le juge fera tout d'abord appel aux principes fixés dans le Restatement of Foreign Relations Law. Selon le paragraphe 40 du Restatement, il y a lieu de tenir compte de divers éléments, dont deux surtout jouent un rôle déterminant:

tcrs,June 12-15, 1978, XVII ILM (1978) 1418; FREI, The Service of Processandthe TakingefEvidenct on Behalf ef US. Proceedings, WUR 1983 Heft 2/3, 200.

8) A titre d'exemple, voir Federal Trade Commission v. Compagnie de Saint-Gobain-Pont-à-Mousson, 639 F. 2d 1300 ss (D. C. Cir. 1980).

9) Selon des modalités qui varient d'après les pays. Ainsi notamment l'Australie (Foreign Pro- ceedings [Prohibition of Certain Evidence] Act de 1976), la Grande-Bretagne (Protection of Tra- ding Interests Act de 1980) ou la France (loi No 80-538 du 16 juillet 1980 relative à la communi- cation de documents et renseignements d'ordre économique, commercial ou tcchrùque à des per- sonnes physiques ou morales étrangères).

IO) FREI, Discovery, Secrecy, and International Mutual Assistance in Civil Matters, US-Business Law, 1983; GERBER, Einige Probltme des wirtscha}Uichen Nachrichtendienstes, ZSR 1977 257.

11) Voir p. ex. Marc Rich & Co. v. United States, 707 F. 2d 663 (2nd Cir. 1983); United States v.

Field, 532 F. 2d 4041407-410 (5th Cir. 1976), cert. dcnied 429 US 940 (1976); United States v. Firsl National City Bank, 396 F. 2d 8971900-901 (2nd Cir. 1968).

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OBTENTION DE PREUVES A L'f:TRANGER 113

le premier élément, celui de la pesée des intérêts nationaux en cause, ou balancing test, est probablement le plus important12l. C'est aussi le plus frustrant. Frus- trant tout d'abord, parce que la pesée est faussée d'emblée. Un juge national aura toujours tendance à faire pencher la balance en faveur de ses propres in- térêts nationaux13l. Frustrant aussi, parce qu'il peut arriver que les seuls élé- ments décisifs de la pesée soient d'ordre politique et que ce n'est pas l'affaire des juges de faire des choix politiques14>. Frustrant encore, parce que quelque fois, comme le disait Lord Wilberforce dans l'arrêt Westinghouse, «the policy of one state may be to defend what it is the policy of another state to at- tack» 15>. Frustrant donc, parce qu'alors les intérêts en concours sont si dia- métralement opposés que la pesée n'a pas de prise. Cette frustration, la Cour d'appel du District de Columbia l'a d'ailleurs faite sienne dans un arrêt rendu en mars de cette année dans la procédure antitrust Laker, procédure où une fois de plus l'antagonisme culmine16>.

Le second critère d'importance énuméré par le Restatement concerne le risque qu'encourt la personne sujette à des injonctions contradictoires11>.

L'existence d'une menace de sanction pénale n'est pas suffisante. L'immé- diateté de la menace l'est peut-être un peu plus. Mais il ne faut pas oublier que les juges américains sont avant tout des pragmatistes. Exemple: le seul fait que notre code pénal contienne un article 273 qui pourrait théorique-

12) § 40 (a), Restatement of the Law, Second, Foreign Relations Law of the United States (1965). L'intérêt national sera bien évidemment plus facilement admis dans une procédure pénale ou administrative (au sens donné en droit suisse) que dans une action civile entre particu- liers (ainsi United States v. Vetco, Inc. et al., 691 F. 2d 1281/ 1289 (9th Cir. 1981 ), cert. denied, 454 U.S. 1098; Arthur Andersen & Co v. Finesilver, 546 F. 2d 3381342 flOth Cir. 1976), cert. denied 429

u.s. 1096).

13} Exemples: Uniltd States v. Vetco, lnc. précité, p. 1289, Suurilies and Exchange Commission v.

Banca della Svizzera ltaliana et al. (S.D.N. Y. 1981 ), pp. 19-20, où le juge attache une importance considérable à l'absence de protestation diplomatique (à noter toutefois que quand le gouver- nement étranger prend position, les tribunaux n'y accordent pas toujours beaucoup de poids - ainsi, p. ex., dans l'affaire Krupp où le juge va jusqu'à dire que si les représentants du gouverne- ment allemand ayant protesté avaient connu au préalable les raisons poussant les Etats-Unis à re- quérir les docwnents situés en RFA, ils auraient certainement •given their customary respect to the legitimate efforts of the Arnerican govemment to enforce its cri minai laws• (in re Grand Jury

81-2, W.D. Mich. 1982, XXII ILM( 1983), 742/747). En outre, l'intérêt national du pays du juge saisi est parfois admis sur la base d'une analyse assez superficielle se résumant à admettre un

•public interest in effective law cnforcement• (in re Grand jury 81-2, précité, p. 748 et citations);

dans le sens contraire, voir néanmoins Westinghouse Elutric Corp. Ura11ium Contract Litigation, 563 F.

2d 9921999 (lOth Cir. 1977).

li) Laker Airways Ltd. v. Sabena, Belgian WorldAirlineselal. (D.C. Cir. 1984), XXIII ILM (1984) 5191562 el 563.

1~) Arrêt Westinghouse, précité note 6, p. 43.

16) Arrêt Laker, précité note 14, pp. 556-559 et 563; sur ce conflit flagrant, voir les décisions publiées dans XXIII ILM (1984) pp. 517 ss et 727 ss.

17) § 40 (b).

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ment être mis en œuvre ne les impressionne pas. Pour ceux qui en auraient encore douté, Marc Rich et Vetco l'ont amplement prouvé18l.

Mais les tribunaux américains ne se contenterons pas d'appliquer- avec plus ou moins de bonheur - les principes du Restatement. Au fond, on pourrait même dire que ce sont souvent des considérations d'un autre ordre qui l'emportent.

Ces considérations-là je les rangerais dans deux catégories. La première a trait à la personne sujette à discovery. Ici, il y a avant tout la bonne foi~ soit les "good faith ef- forts» qu'a pu déployer la partie victime d'injonctions contradictoires pour sur- monter le conflit, good faith efforts consacrés par la Cour Suprême dans la fa- meuse affaire lnterhandel19J.

Outre les efforts de bonne foi tendant à résoudre le conflit, les tribunaux atta- chent de l'importance à la mauvaise foi ayant pour but de créer le conflit, autre- ment dit qui consisterait à volontairement stocker des documents compromet- tants dans un pays «SÛr», ou comme le dit la Cour Suprême à «deliberately court legal impediments»20l.

Enfin, toujours dans la première catégorie, les tribunaux tiendront compte du rôle de la personne sujette à discovery. Est-elle demandeur? Défendeur? S'agit-il d'un tiers? A-t-elle un avantage à ne pas produire les preuves requises? Il coule de source qu'un défendeur qui a intérêt à ne

pas

remettre les documents en cause sera plus facilement soumis à discovery qu'un tiers qui n'a aucun rapport avec l'action en cours2'l.

18) Arrêts précités notes 11et13. Toutes les deux décisions s'appuient notamment sur l'art. 34 CPS. Vetco cite en outre l'absence de décision suisse par laquelle une personne ayant obtempéré à un subpoena de l'IRS aurait été condamnée pour violation de l'art. 273 CPS. Cela dit, il n'y a pas que les juges américains qui ne se laissent pas impressioner par une menace de sanction pénale à l'étranger; voir aussi une décision anglaise dans l'affaire Santa Fe où l'entraide civile requise par les Etats-Unis fut ordonnée malgré le risque de sanctions pénales pour violation du secret bancaire du Luxembourg (Securities and Exchange Commission v. Certain Unknown Purchasers of Stock of Santa Fe lnt'I. Corp., Q.B. 1984, XXIII ILM (1984) 5111515) ainsi qu'une décision allemande dans l'af- faire Krupp Maschinenbau GmbH v. Deutrche Bank AC, Landgericht Kiel 1982, RIW 1983 206120 7.

19) Société Internationale v. Rogers, 357 U. S. 197 (195 7) noter que cette décision concerne, non l'admissibilité d'une ordonnance exigeant la production de documents situés à l'étranger, mais uniquement les conséquences procédurales de la non-production); ce même critère joua un rôle important dans l'affaire BSI, précitée note 13, ainsi que dans la décision in re Westinghouse E/ectric Corp. Uranium Contract Litigation, précitée note 13, pp. 916 et 998 et United States v. The Bank of Nova Scotia, 691 F. 2d 1384 ( 11 th Cir. 1982).

20) Arrêt Sociétélnternationale, précité note 19, pp. 208-209; voir aussi United Nuclear Corp. v. Gen.

Atomic Co., 629 P. 2d 231I309 (Sup. Ct. N. M. 1980) où il est question de cdeliberate policy of sto- ring cartel documents in Canada•, ce qui •amounted to courting legal impediments to their pro- duction•.

21> Concernant un tiers, voir Federal Trade Commission v. Cie de Saint-Gobain-Pont-à-Mousson, 636

F. 2d 1300/ 1311 (D. C. Cir. 1980); United States v. First Nat'/ Bank of Chicago, 699 F. 2d 341 (7thCir.

1983); Application of Chase Manhattan Bank, 297 F. 2d 611 (2d Cir. 1962); lngs v. Ferguson, 282 F. 2d 149 (2d Cir. 1960); First Nat'/. Bank of New York v. Internai Revenue Service, 271 F. 2d 616 (2d Cir.

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OBTENTION DE PREUVES A L'ETRANGER 115

La seconde catégorie de considérations qui guident le juge américain en sus du Restatement se rapporte aux documents requis. Sont-ils pertinents? Sont-ils nécessaires à l'établissement de certains faits? Ne font-ils que corroborer des faits déjà prouvés par ailleurs? Y a-t-il d'autres moyens d'obtenir ces docu- ments22>?

Cette seconde catégorie a été reprise dans le cadre de la révision du Resta- tement qui est actuellement en cours. En effet, le projet de révision exige no- tamment que les documents soient «directly relevant, necessary and mate- rial»23>. La révision restreindrait ainsi le champ de l'administration de preuves en matière internationale par rapport à la pratique interne.

Cette incursion dans la jurisprudence américaine serait incomplète si j'omet- tais de mentionner certaines décisions concernant la Convention de La Haye de 1970 sur l'obtention des preuves à L'étranger, convention qui nous intéresse tous direc- tement puisque la Suisse va y adhérer. Le grand mérite de cette Convention, à laquelle tant les Etats-Unis que de nombreux pays européens sont parties, est d'avoir concilié les divergences de conception dans l'administration des preuves, divergences que je citais précisément comme première source de con- flit. Mais même conciliées, ces divergences restent hélas le point faible de la Convention. Une seule illustration suffira24>. L'article 23 de la Convention permet aux Etats membres d'exclure toute assistance judiciaire lorsque la re- quête d'assistance a pour objet une «pretrial discovery of documents». Divers Etats, tels la France et l'Allemagne, en ont fait usage. Or, on le sait, la pretrial discovery de documents est un élément essentiel de toute procédure judiciaire américaine. Si les documents ne sont pas obtenus à ce moment-là, soit avant le trial, ils ne le seront plus par la suite. Pas question d'interrompre le trial pour

1959), cert. denied 361 U. S. 948 ( 1960). Pour la distinction entre la situation du défendeur et celle du demandeur, voir Sociiti Internationale, précité note 19, p. 210. Sur l'avantage qu'une partie peut avoir à ne pas produire certains documents, voir p. ex. United Nuclear Corp., précité note 20, p. 309.

22) Voir p. ex. la décision in re Westinghouse Electric Corp., précité note 19, p. 999; United Nuclear Corp. v. General Atomic Co. et al., XVII ILM (1978), p. 3761388 (D.C. N.M. 1978), afl'd 629 P. 2d 231, précité note 20; United States v. Vetco, précité note 13, p. 2028.

23) § 420 (1) (a), Restatement of the Law, Foreign Relations Law of the United States (Re- vised), Tentative Draft No 3, 1982.

24) Pour d'autres exemples, voir STIEFEL, «Discouery• -Probleme und Erfahrungen im Deutsch-Ame- rikanischen Rechtshi!feverkehr, RIW 1979, p. 509; SnEFEL/PETZINCER, Deutsche Parallelprozesse zur Abwehr amerikanischer B~iserhebungsverfahren? RIW 1983, p. 242; VON HüLSEN, Kanadische und Eu- ropiiische Reaktionen au/ die US •Pre-trial discouery-, RIW 1982 p. 537; STüRNER, Die Gerichte und Behorden der U.S.A. und die Beweisaiifnahme in Deutschland, ZVglRWiss. 81 (1982), p. 203-205. A titre de jurisprudence européenne prise en application de la convention, voir notamment OLG Munich du 31.10.1980, RIW 1981, p. 554; OLGMunich du 27.11.1980, RIW 1981, p. 555; LG Kiel du 30.6.1982, RIW 1983, p. 206; décision de la High Court of Justice (Queen's Bench Divi- sion) du 23.2.1984, XXIII ILM ( 1984) p. 511; décision Westinghouse de la Chambre des Lords, précitée note 6.

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requérir des pièces. D'où les protestations de la délégation américaine à La Haye, qui faisait valoir à juste titre qu'avec la réserve de l'article 23, la Conven- tion devenait une voie à sens unique25l. D'où également la réaction de certains tribunaux américains qui font le raisonnement suivant: si la Convention ne prévoit pas d'assistance en matière de «pretrial discovery of docwnents», alors il faut nécessairement laisser subsister les moyens de discovery prévus par le droit interne américain, faute de quoi les parties se retrouveraient démunies de moyens de preuves essentiels26l.

D'ailleurs, savoir si la Convention exclut le recours aux méthodes de disco- very du droit interne est la question principale que se posent actuellement les tribunaux américains. Question qui a donné lieu à des décisions contradic- toires27l. Le dilemme sera peut-être prochainement tranché par la Cour Su- prême. En effet, celle-ci est actuellement saisie d'un recours qui devrait l'amener à déterminer s'il est loisible à un plaideur américain de soumettre une partie adverse étrangère à un interrogatoire écrit, mode admissible en droit in- terne, mais non prévu par la Convention28l.

4. Règles de droit international public

Voilà le tableau, plutôt l'esquisse un peu hâtive, de la pratique américaine. Il s'agit maintenant d'apprécier cette pratique au vu des règles de droit interna- tional public.

La doctrine, anglo-saxonne surtout, distingue en la matière deux aspects de la compétence d'un Etat, qu'il s'agisse de compétence personnelle ou territoriale, peu importe. D'une part, le pouvoir d'émettre des règles, soit la jurisdiction to prescribe, ou Regelungsbefugnis en allemand. D'autre part, le pouvoir de mettre en œuvre ces règles, soit lajurisdiction to eeforce, ou Durchsetzungsbefugnis29l. En

25) Rapport précité note 7, p. 1421.

26) Laktr Airways Ltd. v. Pan Amaican Wcrld Ain.vays tl al. (D. D. C. 1984) XXIII ILM (1984) 7481752-755 et citations.

27) Pour l'exclusivité de la convention, voir p. ex. Gtntral Electric Co. v. North Star /nltmational, /ne., No 83 C(N. D. Ill. 1984); Philadtlphia GtarCorp. v. AmtricanPfauterCorp., 100 F. R. D. 58 (E.D.

Pa. 1983); mémoire du gouvernement des Etats-Unis précité note l, p. 415. Dans le sens con- traire, Graco, !ne. v. Krtmlin, /ne. tl al. (N.D. Ill. 1984) XXIII ILM (1984) 757; Lasky v. Continental Products Corp., 569 F. Supp. 1227 (E. D. Pa. 1983).

28) Club Miditerranie SA v. Dorin, see U.S. brief submitted to the Supreme court, reported in XXIII ILM (1984) 1332; il s'est toutefois avéré par la suite que la Cour suprême refusait l'entrée en matière, 105 S. CT. 286.

29) MANN, The Doctrine of Jurisdiction in International Law, RdC 111 (1964) III, p. 131 et réfé- rences.

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OBTENTION DE PREUVES A L'BTRANGER 117 ordonnant l'apport de preuves, un Etat exerce ce second type de pouvoir qu'est la jurisdiction to enforce3o>.

Il est admis qu'il n'y a pas de jurisdiction to enforce sans jurisdiction to pres- cribe31>. En revanche, l'inverse n'est pas toujours vrai. Il peut y avoir jurisdic- tion to prescribe sans jurisdiction to enforce32l. Par ailleurs, l'existence de juris- dictions concurrentes n'est pas exclue33l.

En conséquence, pour déterminer si une ordonnance d'obtention de preuves est conforme au droit international public, il faut procéder en trois temps. Il faut commencer par examiner si l'Etat qui l'a rendue a le pouvoir de régler le com- portement en cause, soit s'il a lajurisdiction to prescribe. C'est là une démarche dif- férente de celle qu'adopte la jurisprudence américaine, qui se contente d'exa- miner s'il y a compétence judiciaire au sens du droit interne. S'il n'y a pas de prescriptive jurisdiction, l'examen peut s'arrêter là. Il n'y aura pas de jurisdic- tion to enforce et l'ordonnance sera nulle au regard du droit international.

En revanche, s'il y a jurisdiction to prescribe, il faut alors se demander dans un deuxième temps s'il y a égalementjuriSdiction to enforce. Dans la négative, l'or- donnance sera nulle. Dans l'affirmative et lorsque le comportement requis est contraire au droit du lieu où il doit s'effectuer, il faudra poursuivre le raison- nement - et c'est là le troisième temps - pour établir que l'Etat étranger a une jurisdiction concurrente et pour trancher le conflit en faveur de l'une ou l'autre des

compétences concurrentes.

Si la démarche paraît simple, sa mise en œuvre l'est beaucoup moins. Elle se heurte à trois difficultés, qui chacune s'attache à un des trois temps du raison- nement. Premièrement, on le sait, les limites de la jurisdiction to prescribe sont floues34>. Sans entrer ici dans les détails, retenons simplement que ce flou se ré- percutera nécessairement sur la première étape de raisonnement.

La deuxième difficulté se situe au niveau de l'examen de 1ajurisdiction to erifor- ce. Si la jurisdiction to prescribe en est une condition nécessaire mais non tou- jours suffisante, comment déterminer quand elle est suffisante, quand elle ne

l'est pas, et pour quelles raisons?

30) Si l'apport de preuves dans le cadre d'une procédure contentieuse relève de la jurisdiction to enforce, on peut se demander s'il en va de même de la recherche d'informations dans le cadre d'une enquête administrative qui a précisément pour but de déterminer s'il y a lieu d'ouvrir une procédure. Ne s'agirait-il pas là plutôt d'un troisième type de jurisdiction qu'il resterait à définir?

31) International Law Association, rapport de la 52< conférence, Helsinki 1966, p. 112; MANN, Staatliche Aufkliirungsansprüche und Viilkerrecht, in Festschrift far Hermann Mosler, Berlin 1983, p. 532.

32) Ex.: si, en vertu de la jurisdiction to prescribe fondée sur la nationalité, un Etat peut assu- jettir ses nationaux domiciliés à l'étranger à des obligations militaires, il n'a pas la jurisdiction to enforce qui lui permettrait d'arrêter sur sol étranger ses nationaux réfractaires à l'armée.

33) MANN, RdC précité note 29, p. 10; International Law Association, rapport précité note 31, p. 112.

34) Que l'on songe simplement aux incertitudes qui entourent la théorie des effets.

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Enfin, troisième difficulté, lorsque deux Etats ont la juriscliction to enforce, en faveur duquel trancher? Selon quels critères? En fonction du seul principe de terri-

torialité? Ou en vertu du balancing test? Ou encore en se fondant sur l'intensité des liens entre la situation de fait et l'Etat30l?

5. Etats de fait donnant souvent lieu à conflit

Ces questions, je les livre beaucoup plus à votre réflexion que je ne cherche à y répondre ici. Je tenterai plus simplement d'examiner à la lumière des prin- cipes énoncés quelques états de fait typiques.

Imaginons, en premier lieu, une société A fondée et exerçant ses activités dans l'Etat A. Elle accomplit dans l'Etat A des actes qui produisent certains effets économiques dans l'Etat E. Tous les documents ayant trait à ces actes se trouvent tout naturellement dans l'Etat A. L'Etat E- il s'appelle d'ailleurs E parce qu'il a des velléités extra-territoriales - enquête sur ces actes et ordonne l'apport des documents situés dans l'Etat A.

Quid? Si l'on suit le consensus des non-américains, la production d'effets éco- nomiques dans un pays ne confère pas le pouvoir d'émettre des règles régissant les actes à l'origine de ces effets36l. Donc, faute de juriscliction to prescribe, pas de jurisdiction to enforce.

Quid, dans une situation de fait un peu différente, si, au lieu d'être adressée directement à la société A, l'ordonnance visant les mêmes actes et les mêmes documents est notifiée à la succursale de A, qui exerce son activité sur le terri- toire de l'Etat E? La réponse sera très probablement la même, car elle dépendra toujours de savoir si l'Etat E a le pouvoir de légiférer concernant les actes que la société A accomplit sur le territoire de l'Etat A37l.

Poursuivons en imaginant, cette fois, que notre société A, toujours incorporée et exerçant ses activités dans l'Etat A, est la fille d'une société B, qui elle- on le

35) La critique du principe de tmitoria/ité n'est plus à faire (voir notamment International Law Association, rapport précité note 31, p. 113). S'il est encore utile dans bien des cas, le principe de territorialité est souvent inadapté. Il est notamment dépassé par l'évolution des moyens de com- munication, par la réalité économique des sociétés multinationales. En effet, il devient de plus en plus difficile de déterminer où un comportement a eu lieu. Quel est le lieu de commission d'une fraude boursière ou d'une •Conspiracy• fiscale comme dans l'affaire Marc Rich? Quant au balan- cing test-nous l'avons vu-il est inadéquat. Reste l'intensité des contacts entre un état de fait et un pays, critère qui pourrait peut-être fournir à longue échéance une solution praticable en droit in- ternational public, un peu à l'instar de l'évolution suivie par le droit international privé.

36) Et ce indépendamment de savoir si les effets étaient voulus ou non. Sur la théorie des effets, voir les exposés qui accompagnent celui-ci.

3 7) Quid si l'ordonnance est adressée, non à une succursale, mais à la filiale de la société B?

Quid dans le cas inverse, à savoir lorsque l'ordonnance de l'Etat A est notifiée à la société-mère située dans l'Etat A et a pour objet des actes commis par (i) une filiale ou (ii) une succursale dans l'Etat B?

(11)

OBTENTION DE PREUVES A L'ITRANGER 119 devine - est située dans l'Etat B. Un tribunal de l'Etat A saisi d'une action contre la société A en raison d'actes de cette dernière ordonne à A de produire des documents ayant trait aux actes incriminés. Or, il se trouve que les docu- ments en question sont conservés au siège de la société-mère dans l'Etat B. De toute évidence, l'Etat A a jurisdiction to prescribe et enforce concernant les ac- tivités de la société A Partant, la société A est dans l'obligation de se procurer les documents où qu'ils se trouvent, à défaut de quoi elle subira les conséquences de la non-production38>.

On parvient à une conclusion analogue lorsque l'ordonnance rendue par un tribunal de l'Etat A n'a pas pour objet les actes de la filiale mais ceux de la maison-mère elle-même, qui les a accomplis non sur son territoire mais sur celui de l'Etat A En effet, pour ces actes-là, la société-mère est soumise aux lois et à la jurisdiction de l'Etat A39>. C'est d'ailleurs là la raison pour laquelle, sauf à attri- buer au secret bancaire suisse un effet extra-territorial, une banque suisse fai- sant des opérations en bourse de New York ne saurait invoquer le secret ban- caire suisse au sujet de ces opérations40>.

6. Conclusion

Voilà, on pourrait bien sûr poursuivre ce petit exercice et compliquer les hypothèses à loisir. Mais il est temps de conclure.

En procédure civile, l'adhésion de la Suisse à la Convention de La Haye sur l'obtention des preuves constituera un progrès considérable dans l'atténuation de l'affrontement actuel, à condition toutefois de ne pas annuler simultanément le progrès ainsi réalisé par des réserves trop absolues. En revanche, l'antagonis- me présent, ce «Kriegmitjuristischen Waffen» cornmel'appelaitMann4Il,sub- sistera en matière administrative. Dans ce domaine, ce n'est que par une con- sultation accrue et des solutions bi-ou multilatérales que l'acuité du conflit sera modérée.

38) Il en irait de même si l'action intentée dans l'Etat A visait des actes commis dans cet Etat par la succursale située en A d'une société B située en B.

39) De manière analogue, un ressortissant de B qui introduit action devant les tribunaux de A se soumet par là aux règles procédurales de A et, si les lois de B l'empêchent de produire certaines

preuves, il en subira les conséquences.

40> Dans le même sens, MANN, Aujkliimngsansprücht, précité note 31, p. 532, notamment note

1 O. Autrement dit, bien que mal motivé, le jugement SEC v. BSI, précité note 13, est juste dans son résultat. La même idée se retrouve dans la théorie du «waiver by conduct• prônée par la SEC, voir p. ex. International Financial Law Review 1984 No 9 p. 10.

41 ) Aufklarungsansprüche, précité note 13, p. 543.

(12)

120 G. KAUFMANN-KOHLER

Par ailleurs, si l'on peut regretter les abus de la procédure américaine, il faut bien admettre que certains blocking statutes et autres dispositions semblables pêchent par l'excès contraire. Des règles comme l'article 273 CPS débordent largement les besoins légitimes de l'économie suisse et des intérêts privés.

L'adoption d'une règle plus adéquate pourrait aussi constituer un facteur d'apaisement. Enfin, et c'est là-dessus que je terminerai, on peut se demander si la possibilité de soumettre de tels conflits de compétence à une autorité supra- nationale ne stimulerait pas l'élaboration de règles de droit international mieux acceptées par l'ensemble des Etats.

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