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Le cardinal de Lorraine et la Réforme catholique

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LE CARDINAL DE LORRAINE ET LA REFORME CATHOLIQUE

Si l’université de Reims devait céder à la mode qui veut donner un héros éponyme aux établissements d’enseignement supérieur, elle devrait en toute justice choisir de s’appeler “université Charles de Guise”. La réputation encore sulfureuse aujourd’hui du “tigre de France” rend peu probable un tel choix, mais il n’en reste pas moins que sans le jeune cardinal de Guise, qui après la mort de son oncle en 1550 se fit appeler le cardinal de Lorraine, Reims n’aurait pas eu son université. Le cardinal fut en effet le principal acteur de cette création, relativement insolite dans la France du XVIe siècle. Non seulement en effet le réseau universitaire semblait relativement complet, mais - déjà ! - la formation reçue dans les universités était l’objet de critiques venant de toutes parts : les humanistes lui reprochaient son caractère scolastique, les autorités religieuses comme laïques appréciaient peu l’indépendance des maîtres et des étudiants, les protestants voyaient dans le monde universitaire le bastion du “parti conservateur” et la naissante Réforme tridentine préférait l’ignorer pour chercher ailleurs les moyens du renouveau.

Pourquoi alors Charles de Guise voulut-il fonder une université dans sa ville de Reims ? Doit-on y voir un simple souci de prestige ? De la part d’un homme à la vanité soulignée par ses contemporains, le souhait de posséder son université n’étonnera pas. Mais l’explication semble toutefois un peu courte : elle ne saurait en effet rendre compte de la persévérance du cardinal, qui profite d’une importante mission diplomatique à Rome en 1547 pour convaincre le pape Paul III d’accorder une bulle de fondation et sait utiliser tout son crédit auprès du roi pour surmonter l’opposition du parlement, choqué par les termes du document pontifical. Il faut donc chercher ailleurs des éléments d’explication.

Cette tâche est cependant ardue : le cardinal de Lorraine, un des hommes les plus importants du seizième siècle français, reste largement un inconnu pour l’historiographie actuelle. Sa biographie la plus récente en français remonte à 18471 et l’ouvrage de l’historien anglais H. O. Evennett, The cardinal of Lorraine and the

Council of Trent, paru en 1930, se concentre sur la période 1560-1562. L’édition

partielle de sa correspondance par Daniel Cuisiat nous est d’un mince secours2. Comme le souligne l’éditeur, les lettres du cardinal de Lorraine parvenues jusqu’à nous “ne constituent que des épaves”3. Les hasards de la conservation ont fait disparaître 1 GUILLEMIN (J.J.), Le cardinal de Lorraine, son influence politique et religieuse au 16e siècle, Paris, 1847, LIII-505 p.

2 CUISIAT (D.) éd., Lettres du cardinal Charles de Lorraine (1525-1574), Genève, 1998, 711 p. 3 Ibid., p. 42.

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l’essentiel de l’une des correspondances les plus fournies du siècle. Ce qui reste donne une image tronquée du personnage : les activités politiques et diplomatiques semblent absorber l’essentiel de son temps pendant les années qui nous intéressent et les problèmes religieux ne font leur apparition qu’après 1559. Cela a conduit l’éditeur des lettres à faire une césure importante dans la vie du cardinal : avant la mort de Henri II, Lorraine apparaît comme un prélat de cour, avant tout occupé par les affaires du siècle. Après, il devient le champion français de la Réforme catholique dans sa version tridentine. La fondation de l’université de Reims ne correspond ni à l’un, ni à l’autre de ces aspects. Pourquoi en effet le jeune favori de Henri II aurait-il eu de tels projets universitaires, s’il n’avait eu que des soucis mondains ? Quant au modèle tridentin, on sait qu’il passe par d’autres centres de formation que les universités traditionnelles. Celles-ci ont été tenues à l’écart du concile : quand à l’automne 1546, l’ambassadeur de Charles-Quint à Trente propose de soumettre le projet de décret sur la justification aux facultés de théologie de Paris et Louvain, les légats pontificaux refusent fermement4. Aucun décret de réforme n’est consacré aux universités et si le concile a bien des projets pédagogiques, ils concernent les anciennes écoles cathédrales et les nouveaux séminaires, tous deux mis ainsi en concurrence avec l’Alma mater.

La fondation de l’université de Reims n’a-t-elle donc été que le caprice anachronique d’un jeune prince de l’Église, qui devait par la suite se rallier au modèle tridentin ? C’est ce que semble suggérer Michel Pernot quand il étudie l’autre grande fondation universitaire du cardinal de Lorraine, au soir de sa vie, l’université jésuite de Pont-à-Mousson : “L’université de Reims, organisée sur le modèle de celle de Paris, avec ses quatre facultés, arts, théologie, droit canon et droit civil, médecine, était une institution de type ancien, mal adaptée par son recrutement et ses méthodes aux nécessités de la Contre-Réforme militante et du renouveau de l’enseignement théologique selon l’esprit tridentin, dont les jésuites étaient devenus les champions valeureux”5. Il me semble qu’un tel constat est inspiré par une vision trop uniforme de la Réforme catholique et méconnaît les intentions du cardinal, sans doute parce qu’elles sont particulièrement difficiles à déchiffrer, faute de sources directes et fiables. L’hypothèse que je voudrais ici développer permet toutefois de rendre sa cohérence à l’action du cardinal de Lorraine, en considérant la fondation de l’université de Reims non comme une erreur de jeunesse, mais comme le révélateur de sa conception de la Réforme catholique, conception qui évolue au cours de sa vie, mais garde les mêmes principes fondamentaux.

4 Concilium Tridentinum, t. X, p. 721, lettre des légats au cardinal Santa Fiora, Trente, 10

novembre 1546.

5 PERNOT (M.), “Le cardinal de Lorraine et la fondation de l’université de Pont-à-Mousson”, L’université de Pont-à-Mousson et les problèmes de son temps, Actes du colloque de Nancy, 16-19

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Quand un jeune homme de 22 ans décide de fonder une université, il y a fort à parier qu’il se souvient de sa propre formation universitaire. Charles de Guise ne prend pas modèle sur l’université de Paris uniquement en raison du prestige de celle-ci. Il en a été un des élèves au collège de Navarre, où il a pu apprécier les leçons de deux maîtres fort différents, François Le Picart6 et Claude d’Espence7. L’ambiance qui régnait à l’université de Paris à la fin des années 1530 et au début des années 1540 a sans aucun doute marqué le jeune prince. On ne peut facilement la caractériser : la crainte de l’hérésie joue un rôle grandissant, mais il n’est pas certain qu’elle soit dominante, notamment dans la minorité humaniste qui n’a nullement été réduite au silence après l’affaire Nicolas Cop ou celle des placards. Claude d’Espence en est le meilleur exemple. En 1543, il n’hésite pas à dénoncer en chaire les abus qui règnent dans l’Église et à proposer un programme de réforme profondément érasmien8. Malgré la condamnation de la faculté de théologie qui l’oblige à une rétractation, d’Espence continue de professer ses idées, avec le soutien de la monarchie. François Ier fait même appel à lui en 1544 pour préparer la contribution française au concile de Trente9. D’Espence est alors la figure de proue des “jeunes théologiens”, pour reprendre une expression de l’ambassadeur du duc de Ferrare Giulio Alvarotti10, qui comprennent certaines des revendications protestantes sans pour autant vouloir rompre avec l’ancienne Église. Indifférents aux formulations dogmatiques trop rigides, les membres de ce groupe minoritaire, mais influent, veulent avant tout restaurer la prédication et assurer une formation convenable du clergé. Membres de la corporation universitaire, ils aspirent à ce qu’elle soit à l’origine de la réforme tant attendue. En ce sens, ils sont les héritiers de Gerson tout autant que d’Erasme.

Dans quelle mesure Charles de Guise fut-il influencé par d’Espence et ses amis ? On connaît les liens entre le théologien et les Lorrains, qu’il s’agisse du cardinal Jean de Lorraine ou de son neveu. Le jeune archevêque de Reims, quand il obtient de Paul III la bulle de fondation de l’université de Reims, y fait figurer expressément que les langues

6 Sur Le Picart, voir TAYLOR (L. J.), Heresy and Orthodoxy in Sixteenth-Century Paris. François Le Picart and the Beginnings of the catholic Reformation, Leyde, 1999. Je remercie très

vivement le professeur Taylor de m’avoir communiqué son travail.

7 EVENNETT (H. O.), The cardinal of Lorraine and the Council of Trent, Cambridge, 1930, p.

3-4.

8 VENARD (M.), “L’abjuration de Claude d’Espence” dans Les dissidents du XVIe siècle entre

l’Humanisme et le Catholicisme. Actes du colloque de Strasbourg (5-6 février 1982), édités par M.

LIENHARD, Biblioteca Dissidentium I, Baden-Baden, 1983, p. 111-126. Cet article peut être utilement complété en consultant l’interrogatoire de Claude d’Espence, BN, ms. latin 9960, p. 77-111.

9 TALLON (A.), La France et le concile de Trente (1518-1563), Rome, 1997, p. 127 sq.

10 Modène, Archivio di Stato, Archivio segreto Estense, Ambasciatori, Francia 20, fasc. 2, fol.

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anciennes, latin, grec, hébreu et chaldéen, y seront enseignées11. Ce point rappelle plus le Collège royal que la vieille université parisienne et permet d’étayer l’hypothèse d’une influence de l’humanisme universitaire parisien aux origines du projet rémois.

La fondation de l’université de Reims s’inscrit donc dans un mouvement de Réforme gallicane qui préexiste aux orientations tridentines et même aux préoccupations de Contre-Réforme. Dom Marlot avait insisté sur ces dernières12. D’après lui, les premières manifestations de l’hérésie dans la province ecclésiastique de Reims auraient eu lieu dans la ville natale de Calvin, Noyon, en août 1547 : un crucifix est alors arraché dans un cimetière. L’année suivante, ces gestes iconoclastes se renouvellent. Toujours suivant Marlot, le cardinal de Guise, “pendant ces désastres”, “disposa le peuple de recourir à Dieu par la pénitence, et fit faire une célèbre procession le jour de Pasques (...) où l’on porta le Saint-Sacrement, environné d’un grand nombre de flambeaux, le poêle estant soutenu par quelques princes de sa maison”. Le lendemain, l’archevêque assemble le clergé pour lui annoncer son intention de fonder université et les personnes qu’il voulait y voir enseigner. Après un séjour à Paris où il assiste à une procession solennelle contre l’hérésie, il retourne à Reims où il ordonne des prières “pour l’union des princes catholiques contre l’hérésie”.

L’université de Reims aurait donc eu avant tout une fonction de Contre-Réforme. Il me semble que cette assertion mérite au moins d’être nuancée. Il ne fait pas de doute que le cardinal ait pensé au modèle de son maître François Le Picart, à la fois universitaire et prédicateur populaire. Si les doctes acceptent de se préoccuper de pastorale, l’hérésie sera efficacement contenue chez les simples. Il ne faut cependant pas surestimer l’importance qu’accordait alors l’élite catholique à la dissidence religieuse. À la fin des années 1540, personne au sommet de l’État royal comme de l’Église gallicane ne soupçonnait l’ampleur de l’adhésion qu’allait rencontrer dans la décennie suivante le protestantisme sous sa forme genevoise. Au contraire, le souverain, ses évêques et ses conseillers étaient persuadés que, tel bien plus tard le nuage de Tchernobyl, la déferlante protestante s’arrêterait aux frontières françaises. En 1548, le cardinal Du Bellay peut affirmer à Henri II que “en vostre royaume est la fleur de théologie” et que “vostre Église gallicane est celle qui aujourd’huy est des plus grandes, plus entières et moins contaminées en ce qui touche la foy et les mœurs”13. Certes, les signes individuels de dissidence religieuse choquent profondément les dirigeants laïcs et ecclésiastiques du royaume, mais ceux-ci restent persuadés que la répression royale

11 MARLOT (G.), Histoire de la ville, cité et université de Reims, métropolitaine de la Gaule Belgique, Reims, 1846, p. 680.

12 Ibid., p. 311.

13 RIBIER (G.) éd., Lettres et mémoires d’Estat des roys, princes, ambassadeurs et autres ministres sous les règnes de François premier, Henri II, et François II (...), Paris, François Clouzier et la

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constitue une réponse efficace. Charles de Guise, quand il fonde l’université de Reims, n’a pas plus que ses pairs le sentiment d’une menace pressante de l’hérésie. S’il fait œuvre de Contre-Réforme, c’est, pour reprendre une distinction classique, parce qu’elle est partie intégrante dans son esprit de son objectif essentiel, qui est une Réforme catholique.

Cette Réforme catholique prend alors forme au concile de Trente, dont la première période se termine dans la confusion du transfert à Bologne, au moment même où le cardinal songe à fonder son université. Charles de Guise ne pouvait manquer d’être au courant des travaux conciliaires. François Ier avait songé un temps en 1546 à envoyer à Trente le jeune archevêque de Reims à la tête d’une importante délégation française censée renforcer le maigre effectif des trois prélats français présents au concile14. Le roi s’étant ravisé, Guise dut attendre l’année suivante pour découvrir lors d’un bref passage à Bologne une assemblée alors mise en sommeil. Il est difficile de savoir sa réaction devant les décisions des premières sessions conciliaires et l’influence que celles-ci purent exercer sur sa propre conception de la Réforme catholique. Un seul exemple, relativement bien documenté, nous permet d’émettre quelques hypothèses. Il concerne le cumul des évêchés, abus régulièrement dénoncé par tous ceux qui souhaitaient sincèrement une réforme de l’Église, mais aussi pratique courante chez les cardinaux français et principalement chez ceux de la maison de Lorraine. Le concile l’avait interdit et le pape Paul III, pour mettre en application la décision conciliaire, avait ordonné à tous les cardinaux, dans un décret du 18 février 1547, de ne conserver qu’un seul évêché et de résigner tous les autres. Cette mesure drastique était adoucie par la possibilité de conserver sous forme de pension tout ou partie des revenus des évêchés résignés. Même sous cette forme, l’ordre pontifical se heurta à une opposition résolue du gouvernement français, dont le cardinal Jean Du Bellay se fit le porte-parole obstiné à Rome. Un représentant de Henri II affirma même à Paul III qu’une telle mesure, si elle était appliqué, menait tout droit à une sorte de communisme avant la lettre ! La rétroactivité du décret était en effet pour lui un dangereux précédent qui bouleversait l’ordre social : “Il vaudroit quasi autant introduire la communauté de toutes choses ; car les princes et tous ceux qui ont pouvoir de faire des loix, pourroient par ce moyen abolir et annuller tous les contracts et traitez faits par leurs prédécesseurs, et se seroit tous les jours un monde nouveau”15. Le roi invoque alors son rôle de protecteur de l’Église gallicane, qui lui interdit de tolérer des pensions trop lourdes grevant les revenus épiscopaux. Enfin, le représentant français évoque ce qui est sans doute le véritable motif de l’opposition du roi très chrétien et de ses conseillers : comme il le

14 TALLON (A.), op. cit., p. 167-168.

15 RIBIER (G.) éd., op. cit., t. 2, p. 214, Jean-Paul de Selve, sieur de Gournay, au roi, Rome, 14

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rapporte à Henri II, si tous les cardinaux titulaires d’évêchés dans le royaume les résignaient en même temps, “il faudroit necessairement (...) que la nomination vous fust ostée aux plus riches bénéfices de vostre royaume, lesquels estant la plus part ès mains de personnes âgées, et qui ne peuvent longuement vivre, viendroient à estre résignez par eux à leurs parens jeunes qui estoient pour vivre autant que vostre Majesté, de sorte qu’il vous seroit osté un des meilleurs moyens que vous ayez de récompenser vos serviteurs”16.

Le cardinal de Guise ne pouvait se tenir à l’écart d’un tel conflit. Il semble bien qu’il ait approuvé l’ordre pontifical, puisqu’il l’appliqua. Mais il trouvait sans nul doute intempestif un tel zèle, d’autant plus qu’il ne se limitait pas au cumul des évêchés, mais attaquait sur d’autres points le privilège royal de nomination, notamment en Bretagne et en Provence. La correspondance du cardinal avec Du Bellay montre clairement sa position : appliquons simplement les décrets du concile, sans que la papauté en profite pour ajouter de nouvelles dispositions qui la favorise17. Cette prise de position très pragmatique illustre bien l’état d’esprit du cardinal de Guise face à la naissante Réforme conciliaire : il en admet la nécessité et se plie volontiers aux décrets de réforme, sans y opposer la mauvaise volonté et le souci de conserver des avantages choquants que manifestent ses confrères français, à commencer par le cardinal Du Bellay, dont la réputation historiographique de “réformateur” paraît bien usurpée. Mais Guise n’admet pas plus l’intervention romaine dans les affaires françaises. L’Église gallicane n’a pas besoin de la papauté pour appliquer les dispositions conciliaires. Ces dernières peuvent parfaitement s’intégrer aux efforts de réformes déjà en œuvre depuis longtemps dans le royaume.

Les décrets conciliaires n’ont donc pas été accueillis par le cardinal de Guise comme une révélation, qui aurait provoqué sa conversion à la Réforme catholique. Il les a certes vus favorablement, mais dans la mesure où ils rejoignaient ses propres préoccupations et celles de tout le courant réformateur gallican, qui n’avait pas attendu le concile pour forger sa conception des réformes nécessaires. On peut en dire autant pour l’influence de l’autre grand acteur que l’historiographie de la Réforme catholique retient traditionnellement : la Compagnie de Jésus. Son absence dans la fondation de l’université de Reims a pu faire conclure au caractère anachronique de l’entreprise du cardinal. Les deux autres tentatives contemporaines de création universitaire, à Billom et à Tournon, ne se soldèrent-elles pas par l’installation d’un collège jésuite au lieu de l’université projetée18 ? On peut se demander alors pourquoi le cardinal ne fit pas appel aux fils d’Ignace.

16 Ibid., p. 215.

17 CUISIAT (D.) éd., op. cit., p. 122, 123-124, 127-128.

18 GUENÉE (S.), Les universités françaises des origines à la Révolution. Notices historiques,

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La réponse vient tout d’abord de la faible notoriété de la toute jeune Compagnie dans le royaume, malgré son origine parisienne. Reconnue par Paul III en 1540, la Compagnie ne compte presque pas de membres français et l’essentiel de son activité se concentre sur l’Italie et surtout Rome. Il est plus que probable que le cardinal de Guise fit la connaissance des jésuites lors de son séjour dans la Ville éternelle, mais leurs premiers rapports furent sans doute assez formels. Le cardinal, qui poursuivait alors son projet de fondation universitaire, n’eut en tout cas à aucun moment l’idée de faire appel à la Compagnie. De retour en France, il ne s’intéresse guère à elle même s’il peut à l’occasion lui manifester une certaine sympathie. Ce n’est qu’à partir de 1555, à l’occasion d’un autre séjour romain, que Charles de Guise se lie vraiment aux jésuites et souhaite faciliter leur introduction dans le royaume. Il ne faut donc pas céder à la tentation de voir la main d’Ignace dans toutes les initiatives du cardinal, comme le firent trop d’historiens fascinés par le dynamisme jésuite qui eurent tendance à exagérer la précocité et l’importance de son influence. Lucien Romier expliqua ainsi la position conciliatrice du cardinal lors de la crise gallicane de 1551, où Lorraine sut empêcher Henri II de rompre avec Rome, par des liens imaginaires avec la Compagnie19. H. O. Evennett fit avec raison justice de cette interprétation fantaisiste20.

Si le cardinal de Guise ne fit pas appel aux jésuites, c’est qu’il les connaissait peu. Mais il n’en reste pas moins que l’on peut noter une parenté entre son projet et l’idéal jésuite d’un enseignement tourné vers la pastorale. Tous deux ont une origine commune, le milieu universitaire parisien et ses éléments les plus réformateurs. De leur naissance parisienne, les premiers jésuites avaient gardé une certaine indignation devant la coupure entre monde universitaire et pastorale. Jerónimo Nadal posait ainsi la question : “Pourquoi dans une population aussi infiniment abondante que celle de Paris les docteurs qui prêchent et travaillent avec zèle pour le salut des âmes sont-ils si rares ?”21. Mais Nadal, sévère à l’égard de la majorité de ces docteurs, note tout de même des exceptions, notamment celle de François Le Picart, modèle pour lui de ce que devrait être un universitaire : un savant et un prêcheur22. L’idéal jésuite est donc l’héritier de ce courant réformateur parisien, que Larissa Taylor a excellemment situé en le baptisant “génération de 1490”23. C’est cette même génération qui forma le cardinal de Guise et lui inculqua les mêmes aspirations.

Cette parenté intellectuelle entre le projet rémois et l’action éducative de la Compagnie se comprend mieux si l’on examine les conditions dans lesquelles les

19 ROMIER (L.), “La crise gallicane de 1551” dans Revue historique, t. 109 (1912), p. 35-36. 20 EVENNETT (H. O.), op. cit., p. 39-41.

21 Cité par TAYLOR (L. J.), op. cit., p. 119. 22 Ibid., p. 121.

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premiers établissements jésuites s’implantèrent dans le royaume, au moment même de la création de l’université de Reims. L’évêque de Clermont Guillaume Duprat avait été séduit au concile de Trente par la qualité et la piété des représentants de la Compagnie. Il poursuivait depuis longtemps le projet d’une création universitaire à Billom. Quand Claude Le Jay lui présenta l’ordre que les jésuites adoptaient dans leurs collèges, Duprat y vit le moyen de réaliser cette fondation. Contrairement à une présentation historiographique traditionnelle, il ne s’agissait nullement d’une conversion au modèle ecclésiologique défendu par la jeune Compagnie : Duprat continua au concile de défendre les positions gallicanes les plus intransigeantes contre la curie romaine24. Il ne s’agit pas non plus d’un ralliement à une Réforme catholique méditerranéenne dont le dynamisme viendrait revivifier une Église de France essoufflée. Au contraire, si les jésuites purent ainsi trouver une première implantation dans le royaume, c’est parce que s’y épanouissait une Réforme catholique originale, dans laquelle ils surent se fondre.

La fondation de l’université de Reims est, malgré la faiblesse des sources, un élément important pour mieux comprendre l’engagement du jeune cardinal de Guise dans la Réforme catholique, et avec lui, chef naturel de l’Église gallicane par sa naissance et ses fonctions, de toute l’Église de France. Cette dernière n’attend pas le défi protestant, ni l’impulsion tridentine pour s’engager dans une voie que lui indiquait toute une tradition remontant au moins au siècle précédent. Cette tradition encore vive dans le milieu universitaire parisien s’est enrichie des apports de l’humanisme, malgré une défiance toujours nourrie à l’égard de l’érasmisme. Elle souhaite la réorientation de toute l’Église vers l’activité pastorale et cette réorientation passe d’abord par l’université. Des clercs mieux formés seront à même de mieux catéchiser le peuple et d’en finir avec de nombreux abus. C’est parce qu’elle retrouve cet idéal dans la Réforme catholique élaborée à Trente ou mise en œuvre par les jésuites que l’Église gallicane, à commencer par le cardinal de Lorraine, se rallie au grand mouvement qui commence à rénover le visage de l’Église catholique un peu partout en Europe. Les engagements ultérieurs du cardinal de Lorraine au sein de la Réforme catholique, son soutien aux jésuites dans les années 1550, sa participation à la phase finale du concile de Trente trouvent alors de nouvelles traductions concrètes, notamment à Reims. La création d’un séminaire dans cette ville en 1564, celle de l’université jésuite de Pont-à-Mousson en 1572 ne sont pas à opposer à la fondation de l’université de Reims. Elles se situent dans son prolongement sans heurt ni contradiction et témoignent comme elle de la permanence d’une Réforme gallicane bien vivante qui se fondit avec la Réforme tridentine non pour y perdre son originalité, mais parce qu’elle y voyait au contraire le moyen le plus sûr d’atteindre ses objectifs.

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