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C Le jeu en réseau dans l’entreprise

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Academic year: 2022

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Une forme d’appropriation d’internet au travail David Weinberger

elui qui croit que l’entreprise n’est pas un lieu où l’on joue risque d’être étonné par les différentes pratiques ludiques en réseau que nous avons pu observer au sein des entreprises. De nombreux auteurs notent que les pratiques d’internet en situation professionnelle s’entrelacent avec des pratiques extra-professionnelles. Certes, les membres d’une entreprise correspondent souvent depuis leur lieu de travail avec le cercle de leurs relations privées (Carmagnat, 1996), mais d’autres utilisations des réseaux informatiques existent en dehors de l’activité de travail.

Dans cette communication, nous nous proposons de montrer que le jeu au bureau est une pratique non professionnelle fréquente.

Nous allons présenter, dans un premier temps, les entreprises observées et les différentes formes de jeux que nous avons pu y identifier. Deux grands types de jeux sont distingués : les jeux solitaires et les jeux en groupe. Nous postulerons notamment que les profils sociaux des joueurs ainsi que les stratégies liées au besoin de préserver le « rôle » professionnel structurent en partie les choix de types de jeux adoptés. Dans un deuxième temps, nous nous intéresserons exclusivement aux jeux de groupe en décrivant comment se constituent les collectifs de joueurs. Dans un troisième temps, nous montrerons comment s’établit un espace de sociabilité qui construit un lien spécifique dans l’entreprise avec ses contraintes et ses avantages. Dans un

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dernier temps, nous soutiendrons que cette sociabilité ludique incite les membres du groupe de joueurs à adopter les normes, les représentations et les savoir-faire qui favorisent les acquisitions de compétences propres à l’informatique communicante1 dépassant la simple pratique du jeu et donc, in fine, pouvant servir l’entreprise.

Pour ce faire, nous postulons que l’approche des pratiques d’internet en milieu professionnel doit être ouverte et dépasser les approches classiques des études gestionnaires et micro-économiques. Celles-ci sont traditionnellement centrées sur les perspectives de développement économique de la technologie internet. Nous soutenons ici que l’approche sociologique compréhensive permet de contourner ces limites pour offrir un panorama plus global des usages de l’informatique communicante.

Les développements qui suivent mobilisent différentes sources de terrains de 1997 jusqu’en 2002 : lors d’une étude sur trente Très Petites Entreprises françaises, nous avons constaté que dans dix d’entre elles certains membres s’adonnaient au jeu en réseau. Cette observation a pu être élargie par d’autres exemples de jeu en réseau que nous avons étudiés dans des entreprises plus importantes. Deux témoignages de collectifs de salariés qui jouent régulièrement dans leurs entreprises sont examinés ici. Le premier porte sur l’observation de jeu en réseau datant de 1998 dans une entreprise de production audiovisuelle de la banlieue parisienne. Celle-ci offre un double intérêt : souligner que le phénomène existait il y a cinq ans et montrer comment le jeu s’est diffusé à l’intérieur d’un service. Le second fut recueilli lors d’une observation au sein d’une firme de télécommunications en 2001-2002. Deux autres entretiens plus récents de salariés jouant régulièrement en groupe dans leurs firmes nous ont servi à confirmer nos travaux de terrain précédents.

Tout ce que nous avons pu observer nous invite à penser que les pratiques ludiques sont loin d’être négligeables dans les usages d’internet en situation de travail. En plus d’autres pratiques ludiques ou de divertissement, comme la recherche et le téléchargement de musique, par exemple, la pratique du jeu semble être un des éléments des sociabilités tissées dans l’entreprise et de l’appropriation d’internet dans un lieu traditionnellement éloigné, voire hostile à ce type d’activités.

1. Nous entendons par informatique communicante, les ordinateurs connectés entre eux (Flichy, 2001).

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Jeux en solitaire, jeux en groupe

Nos différentes observations nous conduisent à distinguer deux grandes familles de pratiques du jeu dans les entreprises. Ce sont les pratiques des joueurs qui déterminent cette distinction et non pas les jeux eux-mêmes qui, techniquement, sont pour la plupart élaborés pour jouer seul ou à plusieurs.

Certains jouent exclusivement en solitaire alors que d’autres alternent les jeux solitaires et les parties en groupe.

Le jeu solitaire

Les pratiques ludiques solitaires ont été rencontrées dans toutes les entreprises mais elles sont exclusives dans les petites firmes qui, de par leurs effectifs réduits ne bénéficient pas d’autant de joueurs potentiels en interne que dans les entreprises plus grandes. De plus, nous avons pu observer fréquemment des femmes parmi ceux qui jouent exclusivement en solitaire.

D’ailleurs, beaucoup d’entre eux étaient plus âgés que les joueurs en réseau.

La plupart des joueurs solitaires s’adonnent depuis longtemps à des jeux

« classiques ». Ils ont souvent utilisé d’autres supports comme le jeu de plateau ou de cartes mais aussi le Minitel. Ils répliquent ces pratiques avec leur ordinateur et sur internet. Ainsi, les jeux d’échecs et de cartes comme le bridge ou le tarot sont particulièrement prisés par les joueurs solitaires.

« C’est que j’étais accro d’échecs (par le Minitel) et que, du coup, ça me coûtait encore beaucoup plus cher qu’internet, donc, du coup, je n’ai plus jamais eu de Minitel au bureau pour éviter la tentation. »

Dirigeant (45 ans) d’une TPE de gestion de biens (Paris, 2001)

Ces jeux sont souvent à l’origine des premières expériences ludiques que peuvent avoir les internautes en situation de travail. Faciles à trouver sur internet, les fichiers de jeu sont de petite taille (en octets). Leur installation et leur utilisation ne nécessitent pas de fortes compétences techniques et ces jeux peuvent ainsi être accessibles aux internautes novices.

Cette pratique s’intègre mieux aux freins ressentis du fait de la situation de travail. Certains jeux durent très peu de temps et permettent de s’aménager quelques petites pauses entre deux tâches professionnelles : une partie de Risk2 ou une partie de bridge ne dure généralement pas plus de trente minutes. Ces rythmes courts sont particulièrement appréciés et limitent le sentiment de culpabilité3 que la plupart des joueurs ressentent.

2. Risk : jeu de société sur plateau édité par Parker.

3. Ce point est développé dans les sections suivantes.

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De plus, ces parties sont peu visibles par les collègues et ne nécessitent pas de coordination pour regrouper les joueurs en réseau. L’ensemble de ces points peut expliquer pourquoi ceux qui jouent exclusivement en solitaire semblent, selon nos observations, bien plus nombreux que ceux qui jouent à plusieurs.

Le jeu en groupe

Les jeux en groupe sont des jeux qui ont pour finalité principale d’être utilisés à plusieurs. On peut y jouer seul mais cette façon de les utiliser est secondaire. Ces pratiques de jeu en groupe sont plus récentes que celles en solitaire. Elles sont apparues avec la mise en réseau interne des postes informatiques ainsi qu’avec la distribution de logiciels de jeux programmés avec des options permettant de jouer avec d’autres utilisateurs4.

A ce jour, deux familles concentrent la majorité des pratiques collectives observées du jeu informatique : les jeux de stratégie en temps réel et les doom like5. Les jeux de stratégie en temps réel comme Command and Conquier6, Warcraft7 ou Age of Empire8 permettent au joueur d’épouser la posture d’un chef de village ou de groupe qui doit développer son économie, sa

4. Depuis que les jeux informatiques sont accessibles par ceux qui possèdent un ordinateur, quelques rares logiciels permettaient de s’amuser à deux. Les possibilités techniques ont d’abord été limitées : l’une partageait l’interface de contrôle (les commandes du clavier), l’autre imposait des fréquences au jeu et faisait alterner les joueurs (l’un joue, l’autre attend), soit en se partageant les touches du clavier.

Parallèlement, le Minitel, permet depuis le début des années 90, de jouer à distance mais les jeux étaient limités par les capacités visuelles du Minitel. Vers 1996, des logiciels se diffusent et permettent de jouer à l’aide de plusieurs ordinateurs connectés, ce qui permet que chaque participant dispose d’un ordinateur pour jouer.

Cette possibilité transforme en grande partie les pratiques du jeu informatique. Les capacités croissantes du parc informatique permettent de disposer de logiciels de jeu plus complexes et plus plaisants. Le développement du web permet enfin de jouer à distance. Pour une histoire de l’apparition des jeux vidéo de la fin des années 70 et au début des années 80, on peut se référer à l’article de Jean Querzela et de Françoise Verebelyi (Querzela et al., 1983).

5. Doom like, expression rassemblant les jeux qui ressemblent à Doom (ID Software &

GT Interactive 1993), premier jeu de guerre dans des labyrinthes qui a lancé la mode de ce type de jeu même si ses concepteurs avaient initialement créé Wolfenstein Casttle.

6. Command and Conquier (Westwood, 1995), premier jeu de stratégie en temps réel en réseau.

7. Warcraft (Blizzard, 1994).

8. Age of Empire (Microsoft, 1997).

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technologie et son armée afin de dominer son ou ses adversaires. Ce type de jeu requiert une bonne connaissance des règles mais aussi une capacité à manipuler rapidement l’interface de contrôle car développer son armée avant les autres permet de gagner plus facilement. La stratégie arrive en dernier lieu, dès lors que les joueurs maîtrisent suffisamment bien le jeu.

C’est d’ailleurs autour de la stratégie que le ressenti des joueurs s’accentue lorsqu’ils ne jouent pas contre la machine. En effet, les intelligences artificielles proposées à ce jour, même si elles s’améliorent, sont limitées. Un joueur confirmé a vite fait d’intégrer les schèmes de développement de l’intelligence artificielle ainsi que ses stratégies. L’adversaire humain est souvent plus varié dans ces choix et dans ses adaptations stratégiques que la machine.

Les jeux de la famille des doom like9 sont des jeux de guerre qui se passent dans des labyrinthes : espaces virtuels fermés où un ensemble de joueurs et de bots (joueurs dirigés par l’ordinateur) s’affrontent au moyen de différentes armes disséminées dans le labyrinthe. Au début, le joueur commence avec son pistolet, mais il doit trouver des armes plus puissantes pour espérer survivre le plus longtemps possible. Il se procure aussi de la vie et des armures ainsi que quelques attributs spéciaux comme l’invisibilité.

Dans ce genre de jeu, le but n’est pas de survivre mais d’avoir le ratio le plus avantageux entre le nombre de tués et le nombre de fois où l’on a été tué. Des variantes en équipe existent : on peut y trouver le mode assaut (une équipe défend un site alors que l’autre l’attaque, le mode capture de drapeaux où chaque équipe doit protéger son drapeau et tenter de prendre celui des équipes adverses. Doom est le jeu le plus connu de ce type. Il a instauré ce modèle de jeu comme un des principaux référents du jeu informatique. Aujourd’hui, d’autres jeux sont plus utilisés comme Quake10 et Unreal Tournament11. Certains jouent à des doom like plus scénarisés qui, aujourd’hui, sont de plus en plus appréciés. On citera comme exemple le jeu Medal of honnor12 qui reconstitue le débarquement de 1944 et Return to Wolfenstein Casttle13.

9. Cf. note 3.

10. Quake (ID software, 1996).

11. Unreal Tournament (Epic, 1998).

12. Medal of Honnor (Electronic Arts, 2001).

13. Véritable hommage rendu au premier jeu de ce type, Wolfenstein Casttle, par ceux qui deux ou trois ans plus tard créeront Doom.

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De la pratique solitaire à la pratique de groupe

Après une période de jeu contre l’ordinateur, certains joueurs vont rechercher des partenaires humains. Certes, se mesurer contre l’ordinateur permet de retrouver une grande partie des émotions du jeu traditionnel, mais la dimension du contact avec les autres n’est que très partiellement rendue. L’intensification de la pratique du jeu sur ordinateur n’aboutit qu’à l’appropriation des schèmes d’intelligence artificielle mais se heurte encore à ce jour à la pauvreté de la variété des stratégies insuffisante pour satisfaire un utilisateur assidu. De plus, gagner ou perdre contre un ordinateur n’est pas valorisé de la même manière que contre une personne. Aujourd’hui, du point de vue des pratiques ludiques observées, on ne peut pas dire que l’interaction homme-machine puisse véritablement remplacer l’interaction homme-homme. Certains joueurs assidus argumentent leur déception et estiment que cette intelligence artificielle n’est pas encore suffisamment élaborée.

« Les niveaux les plus difficiles lorsqu’on joue contre l’ordinateur génèrent en fait des formes de tricheries. »

Responsable informatique (28 ans) d’une grande entreprise culturelle (Paris, 2002)

Ce sentiment fait apparaître une double frustration qui se construit autour de l’impossibilité de vérifier que l’ordinateur joue équitablement, et de ne pas maîtriser des zones d’ombre de l’ordinateur.

L’apparition du jeu sur internet apporte un changement dont l’importance est ressentie par les joueurs. Ceux-ci retrouvent une situation qui ressemble bien plus au jeu à plusieurs et ont le sentiment d’une égalité de traitement durant la partie entre les différents participants, contrairement à ce qu’ils ressentent lorsqu’ils jouent contre l’ordinateur.

Ainsi une partie des joueurs solitaires va essayer de s’intégrer à des communautés de jeux en ligne par le biais de portails généralistes comme Game Spy14 ou des portails spécifiques à un type de jeu. Ils y trouvent des partenaires sur des forums de discussion et ils peuvent s’inscrire à des tournois en ligne.

« Vous jouez sur internet avec des joueurs que vous connaissez ?

Non, pas du tout. C’est l’intérêt. Sur internet, vous avez des centaines de joueurs en permanence et donc, du coup, en fonction de ça, de la force des gens, on peut toujours trouver des adversaires. »

Dirigeant (40 ans) d’une TPE de finance (Paris, 2001)

14. Game Spy, portail de jeux en réseaux www.gamespy.com

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Tous les joueurs en réseau (internet et Intranet) jouent parfois seuls mais la transitivité n’est pas vraie : le jeu solitaire ne conduit pas toujours à une entrée dans la trajectoire du joueur en groupe. Ce mouvement introduit la perspective d’une évolution du jeu solitaire vers celui en réseau. De plus, il faut distinguer le jeu par internet et le jeu au sein d’un groupe de personnes qui se connaissent. Jouer à plusieurs sur internet ne met pas forcément en scène les même interactions que jouer en réseau interne.

Le passage au jeu en groupe semble s’opérer selon trois facteurs caractéristiques du profil du joueur : la pratique domestique des jeux en groupe, la position dans l’entreprise et le niveau d’autocontrôle exercé.

Nous n’avons pas vu de joueurs de plus de 35 ans s’adonner à ces pratiques ludiques de groupe, alors que les jeux solitaires font partie des pratiques de personnes les plus âgées : à titre d’exemple, citons un dirigeant comptable de 45-50 ans, une professionnelle de la communication de plus de 50 ans pour n’évoquer que les plus âgés. Les plus jeunes ont bénéficié d’un ordinateur personnel dès leur plus jeune âge. Ces variations

« générationnelles » semblent donc s’expliquer par la trajectoire ludique des acteurs. Chez les moins de 35 ans, le jeu par ordinateur est utilisé depuis l’adolescence et cette expérience leur a apporté des savoir-faire en matière d’informatique. D’ailleurs leurs intérêts ne les portent pas sur les mêmes jeux : les plus jeunes s’adonnent quasiment exclusivement aux jeux développés pour l’ordinateur alors que les plus âgés préfèrent les jeux classiques.

Le statut dans l’entreprise peut freiner le passage du jeu solitaire à celui du jeu en groupe. Sur une dizaine de dirigeants que nous avons rencontrés certains avouent jouer par internet mais aucun ne prétend jouer dans un collectif à l’intérieur de sa firme. Ce constat conduit à penser que le rôle de dirigeant ne permet pas ou très rarement, de participer à un collectif de ce type.

Le niveau d’autocontrôle exercé est lié au rôle15 que les acteurs jouent à l’intérieur de l’entreprise. Si le joueur estime que le risque de se présenter de façon non conforme à son rôle professionnel est trop important, il évitera de se mettre en scène dans un collectif de joueur.

15. Rôle, nous nous référons ici au concept de Erving Goffman (Goffman, 1974).

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Les collectifs de joueurs

Présentons à présent les différents groupes de joueurs que nous avons pu observer. Les jeux en groupe font émerger des collectifs « originaux » qui se structurent autour de leur pratique ludique. Par collectif, nous nous rapprochons de la définition de Turner et Sansonnet sur les collectifs médiatisés : « Ce qui différencie un collectif d’une approche groupware ou workflow, c’est que celui-ci n’a pas seulement un but opérationnel, mais doit aussi relier des gens pour leur permettre d’échanger des idées, des informations, des documents, des produits culturels. » (Sansonnet et al., 2001). Ces collectifs constitués autour du jeu en réseau ne sont pas absents des entreprises. Ils sont constitués par quatre ou cinq personnes avec quelquefois des joueurs plus occasionnels qui endossent une position intermédiaire dans le collectif.

En 1997-98, nous avons pu observer l’élaboration d’un groupe de joueurs dans une firme de dessins animés de la banlieue parisienne. A l’origine, deux jeunes salariés de 25 ans, adeptes de jeux en réseaux, décident d’installer un nouveau jeu que leur avait fourni un ami commun « pirate »16. Ces deux jeunes assistants de réalisation commencent à faire quelques parties lors de la pause déjeuner. Ils utilisent pour ce faire leur poste de travail connectés au réseau de l’entreprise. Jouant à un jeu de stratégie en temps réel nommé Starcraft17, ils tentent de recruter d’autres partenaires parmi des collègues de même statut et de même âge afin de constituer un groupe de quatre joueurs qui permet un jeu plus complexe avec des stratégies différentes de celles que permettent les jeux à deux. Deux autres assistants, novices, se lancent dans cette pratique jusqu’à ce que s’organisent des parties quotidiennes. Ils vont chercher des sandwiches le plus rapidement possible et jouent par tranches d’une heure, une heure trente.

Au retour de l’équipe, ils se remettent au travail. De temps à autre, ils décident de rester plus tard au bureau et organisaient des parties entre 18 heures et 21 heures.

Entre 2001 et 2002, nous avons pu aussi observer un groupe de joueurs se structurer autour d’un doom like nommé Unreal Tournament. Au départ, un stagiaire de 23 ans propose à deux jeunes salariés d’installer une version pirate d’Unreal Tournament et de faire quelques parties. Ces trois jeunes joueurs se retrouvent ainsi dans un bureau et jouent des parties qui, elles aussi, se déroulent à l’heure du déjeuner. Comme cette entreprise comportait

16. Par « pirate » , nous entendons les acteurs de l’internet qui ont des pratiques illégales comme notamment les hackers et les crackers, mais aussi ceux qui téléchargent des jeux et de la musique en ligne.

17. Starcraft (Blizzard, 1998).

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un nombre important de jeunes salariés, trois autres joueurs se greffent à cet embryon de collectif et on voit s’accélérer la fréquence des sessions de jeu.

L’heure du déjeuner se prolonge de plus en plus tard et des sessions du soir s’organisent. L’engouement pour le jeu gagne même un responsable hiérarchique qui, lui aussi, se met à jouer régulièrement en sollicitant plus souvent les jeunes salariés. Ces derniers n’auraient pas osé en prendre l’initiative à cause de sa position hiérarchique. En effet, plus on occupe une position élevée, moins on est sollicité à participer à une pratique qui demeure une transgression.

En 2001, dans le cadre d’une interview sur les pratiques d’internet, un salarié d’une trentaine d’année avoue aussi qu’il participe à des parties en réseau avec quelques jeunes salariés de la firme.

« Non. J’utilise un peu (internet pour communiquer), mais pas en interne. En externe, un peu avec des potes. On peut être 6 ou 7.

Vous jouez aux jeux en réseau. Quel genre de jeux ? En particulier, des jeux de stratégie.

Avec tout le monde ou il y a des gens qui sont réfractaires ?

Il y en a beaucoup qui s’y mettent, mais, au départ, c’est surtout, moi, je crois.

J’ai récupéré le seul PC de la boîte (les autres sont sur Mac), en fait, ça aide.

Non, non, ça arrive qu’il y ait des parties qui se créent comme ça en fin de journée. En réseau, c’est plutôt rigolo. »

Dirigeant (38 ans) d’une TPE de production audiovisuelle à Paris (2001) Cette société de production audiovisuelle a recruté un jeune assistant réalisateur de 25 ans qui s’est mis à installer des jeux en réseaux et à recruter quelques collègues.

« Au début, j’ai proposé à un pote du boulot de se faire une partie un soir après le travail, quand il n’y a plus personne, et après il y a d’autres personnes qui sont venues jouer. Maintenant on en fait de temps en temps, une ou deux fois par semaine. »

Deuxième assistant réalisateur (25 ans) dans un studio de dessins animés (Saint-Denis, 1998)

Un autre entretien, auprès d’un responsable informatique d’une grande entreprise culturelle parisienne, révèle aussi la présence de cette pratique.

Nous avions rencontré ce responsable informatique dans le cadre d’une étude sur le piratage informatique (Weinberger, 2000) lorsqu’il nous a avoué avoir proposé des parties organisées le soir vers 19 heures à des personnes de son service et qui ont vite rassemblé une dizaine de joueurs dont certains appartenant à d’autres départements de la firme.

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« On joue principalement à Counter Strike, Wolfenstein, Half Life, et on a fait Army Ops18. C’était au début uniquement des membres du service informatique, on était quatre. Et ça c’est assez vite étendu à des types de plusieurs services, et on était dix, douze. Il y avait moi, deux techniciens informatiques et un gars qui s’occupe de l’exploitation des serveurs. Parfois, j’ai des contrats de qualif qui arrivent en permanence et eux ils sont prêts à jouer, il n’y a pas de problème. Et après, c’est principalement le service de production multimédia. Dans les joueurs du service multimédia… il y a plein de cadres : il y avait cinq chefs de projets, maintenant trois sont partis parce qu’ils veulent diminuer le service, et un comptable (qui était en remplacement de congé maternité). »

Responsable informatique (28 ans) d’une grande entreprise culturelle (Paris 2002)

Ici, on joue à plusieurs doom like scénarisés. Le principal s’appelle Counter Strike19, il projette les joueurs dans le rôle de soldats devant effectuer des missions réalistes, en réseau exclusivement car ce jeu n’a pas de mode monojoueur20.

L’apparition du collectif

Dans toutes les situations que nous avons rencontrées, la création du groupe de joueurs suit un modèle similaire.

Dans un premier temps, un joueur recrute d’éventuels candidats intéressés par la pratique ludique de l’informatique communicante. Nous l’appelons « l’animateur ». Il est jeune (entre 20 et 28 ans) et il dispose d’une culture technique informatique et ludique élevée. Il joue « à la maison » et est généralement un « pirate du dimanche » (Weinberger, 2000). Il possède les savoir-faire pour installer mais aussi télécharger par internet les jeux et les add on21, ainsi que divers patchs. Le recrutement d’autres joueurs s’effectue lors des moments de discussion extra-professionnelle comme lors du déjeuner ou de la pause café.

Dans un deuxième temps, lorsque l’animateur a recruté au moins un autre joueur dans l’entreprise, ils peuvent essayer une partie en

18. Army Ops : diminution du America’s army, jeu de simulation de guerre gratuit développé et diffusé par le Department of the Army et destiné à promouvoir les recrutement dans l’armée des Etats-Unis.

19. Counter Strike (Sierra, 1999).

20. Précisons Half-Life (Sierra, 1998) est un jeu différent mais qui en fait est la version monojoueur de Counter Strike.

21. Add on, mise à jour de logiciel.

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s’aménageant un moment dans la semaine qui répond à deux critères : discrétion vis-à-vis des autres salariés et adaptation aux tâches professionnelles.

Dans un troisième temps, d’autres collègues entrent dans le collectif. Petit à petit, et selon les profils sociaux des salariés les plus proches du noyau de joueurs, le groupe recrute d’autres membres. Le collectif se stabilise lorsque l’animateur a enrôlé au moins trois ou quatre joueurs réguliers, parfois complétés par deux ou trois joueurs occasionnels.

Des collectifs informels22

La pratique ludique n’est pas vraiment acceptée dans les entreprises. Elle est parfois tacitement tolérée, les joueurs doivent veiller à conserver une attitude discrète, voire secrète. Cette pratique est si peu acceptée que des formes de régulation sont fortement intériorisées.

« Il y a du taf à faire, c’est pas comme si on avait que ça à faire, c’est pour ça qu’on fait pas direct le truc, on le fait quand on peut. »

Responsable informatique (28 ans) d’une grande entreprise culturelle (Paris, 2002)

Cette « anormalité » va jusqu’à des modes d’actions du collectif que l’on retrouve dans d’autres groupes déviants.

La possibilité d’être intégré au collectif est ainsi altérée par les aspects informels et déviants du jeu dans l’entreprise. Rappelons qu’il semble être plus difficile pour un dirigeant de rentrer dans ces collectifs que pour d’autres. On a vu que les dirigeants jouent plutôt seuls. Peut-être est-ce parce qu’ils craignent de perdre la face, de se montrer dans un rôle qui ne serait pas conforme à l’étiquette attendue. Et, à l’opposé, les joueurs vont difficilement proposer au patron ou à un responsable de jouer avec eux.

C’est à lui de solliciter sa participation. Une proximité statutaire et un statut social ou hiérarchique peu élevé semblent favoriser la prise de risque qui consiste à proposer une pratique non professionnelle dans un espace censé être exclusivement consacré au travail. D’ailleurs, les collectifs observés sont composés de joueurs ayant un statut professionnel intermédiaire et plutôt homogène, ce qui évite la propagation des relations hiérarchiques à l’intérieur du collectif.

22. Ces collectifs sont d’ailleurs proches de ceux que N. Auray (Auray, 1997) décrit.

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« Vous proposez des parties et vous passez votre temps à ça et le boulot ne se fait pas. »

Dirigeant (45 ans) d’une TPE de gestion de biens (Paris, 2001)

La gestion du temps est sûrement au centre d’un autocontrôle particulier aux joueurs en milieu professionnel. Il ne faut pas trop jouer sous peine de ne plus travailler assez et être labellisé (Becker, 1985), c’est-à-dire de ne plus être considéré comme quelqu’un de sérieux par les collègues qui ne jouent pas. Cet autocontrôle souligne la prégnance du lieu de travail sur la pratique. La norme « ne pas jouer au travail » est fortement coercitive.

« On jouait tous à ce type de jeu en privé, donc on savait tous que cette possibilité existait… On en a parlé un certain temps avant de le faire. » Stagiaire de 23 ans d’une entreprise de télécommunications (2002)

Pour légitimer cette transgression, les joueurs élaborent un ensemble de procédures d’évitement. La principale consiste à jouer en dehors des horaires de travail : la pause déjeuner ou le début de soirée permettent de contourner le risque. Fixer une durée maximum pour jouer en est une autre.

Le choix de jouer seul plutôt que de se retrouver dans un bureau collectif en est encore une autre.

Certains joueurs assidus placent d’ailleurs leur écran de manière a ce qu’il soit le moins visible possible pour contrer une éventuelle visite d’un collègue ou pire, d’un supérieur. Ils se préparent à passer sur une autre application, soigneusement sélectionnée pour ses vertus professionnelles.

« Moi, mon écran est tourné face à mur, donc je peux pas me faire griller de l’extérieur, mais vu qu’il y a du son et que je ne joue pas au casque, je vérifie sur chaque jeu la tolérance du jeu au ALT TAB. Parfois le ALT TAB ne fonctionne pas, parfois il plante le jeu. Ça change pas ma décision de jouer, mais à chaque fois que je vois quelqu’un s’approcher du bureau, je le mets en ALT TAB. »

Stagiaire de 23 ans d’une entreprise de télécommunications (2002)

Des compétences reconnues et transmises

La place dans le collectif peut s’aborder du point de vue des compétences et des savoir-faire ludiques que chaque membre détient, diffuse et/ou reçoit.

Les nouveaux venus peuvent gagner l’estime de l’animateur en devenant de bons joueurs. Pour cela, une bonne maîtrise de l’interface de jeu est essentielle. Cette maîtrise est d’ailleurs une compétence qui varie peu entre chaque jeu. Il faut apprendre à manier le clavier et la souris en même temps (une main pour le clavier et une main pour la souris). En accentuant sa virtuosité, le joueur peut désormais prétendre au titre de bon joueur. Pour

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devenir bon joueur, la première étape est de se spécialiser : il faut donc accumuler une expérience dans un type de jeu spécifique. Cette virtuosité se transmet de jeu en jeu de la même famille. Ceux qui jouent beaucoup à un doom like auront déjà un avantage pour manipuler un autre doom like, alors que ceux qui sont bons à un jeu de stratégie en temps réel retrouveront une grande partie de l’ergonomie avec de nouveaux jeux de cette famille.

Ces compétences se cumulent parfois : un bon joueur de doom like peut devenir excellent à un jeu de stratégie en temps réel, et vice versa. En général, l’animateur cumule ces deux compétences.

Mais les savoir-faire ludiques ne sont pas les seules compétences qui déterminent la reconnaissance des pairs et le statut implicite qui l’accompagne. Les compétences techniques sont aussi très importantes. La pratique du jeu est un moment où les aléas techniques sont particulièrement récurrents. Pour jouer et encore plus animer un collectif, il faut pouvoir résoudre les problèmes techniques qui se présentent inévitablement.

« Et donc je me fais un set d’installation et je passe sur certains postes, sinon je donne le CD aux personnes susceptibles d’installer le jeu. Il y en a qui n’y arrivent pas et surtout il faut essayer de standardiser l’installation. Dans ce type de jeux il y a des mises à jour en permanence. Donc il peut y avoir une dizaine de versions différentes du jeu. Il faut que toutes les versions de tous les postes soient les mêmes. »

Responsable informatique (28 ans) d’une grande entreprise culturelle (Paris 2002)

Lors de l’installation d’un nouveau jeu, il faut savoir si l’ordinateur est suffisamment puissant et si les capacités de stockage permettent d’acquérir des jeux de plus en plus « lourds ». C’est le minimum de savoir technique pour devenir joueur. Il faut aussi apprendre à graver les jeux. Les plus confirmés parmi les joueurs savent se connecter au réseau en configurant non seulement le jeu mais aussi les contraintes instituées par les règles de l’Intranet. Un firewall, souvent présent dans une entreprise, peut parfois remettre en question la possibilité de jouer par le réseau. Enfin, la compétence de téléchargement et d’installation de jeux pirates est la compétence la plus élaborée.

« On en parle (des jeux) quand on se croise, en ce qui concerne les nouveaux jeux, donc les jeux qui ne sont pas installés sur les postes, c’est moi qui m’occupe de la veille technologique entre guillemets et donc c’est moi qui arrive avec les nouveautés. »

Stagiaire de 23 ans d’une entreprise de télécommunications (2002)

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Ces deux derniers savoir-faire, sont généralement exclusivement détenus par l’animateur qui obtient ainsi la reconnaissance des autres joueurs.

Dans une logique de don et de contre-don23, les joueurs adoptent un comportement de déférence vis-à-vis de l’animateur. En contrepartie, ils sont intégrés au collectif et accèdent ainsi aux savoirs et aux logiciels. Les joueurs occasionnels participent parfois aux sessions organisées, ils apprécient mais évitent plus ou moins de passer trop de temps sur les jeux. Certains essaient une unique fois et préfèrent ne pas réitérer l’expérience. Ceux-ci ne sont pas membres du collectif mais ils en partagent le secret.

La description de l’apparition des collectifs montre comment un personnage central crée (recrute dans l’entreprise des joueurs fréquents et occasionnels) et « anime » le groupe. La diffusion des savoirs, savoir-faire techniques et ludiques ainsi que la diffusion des logiciels de jeux est au centre de l’organisation informelle et de la position statutaire.

Malgré le caractère très centralisé des collectifs de jeu autour de l’animateur, l’organisation tend, avec le temps, à se structurer vers un modèle moins hiérarchique du fait d’une diminution de l’écart de compétence entre l’animateur central et les autres. Cette tendance est inévitable à cause de la diffusion des savoirs qui fait partie intégrante du rôle de l’animateur. Mais elle est aussi inévitable de par le cumul de l’expérience du jeu. Même si au début l’animateur gagne le plus souvent, peu à peu l’écart entre l’animateur et les autres joueurs se réduit et remet en cause son rôle.

Une sociabilité extra-professionnelle en situation professionnelle

Brossons, à grands traits, les relations qui se tissent entre les différents joueurs ainsi que formes de sociabilités qui s’exercent à l’intérieur de ces collectifs.

Les relations pendant le jeu

Selon la configuration spatiale d’une partie, les formes d’interaction diffèrent quelque peu. Le plus souvent, les sessions de jeu se déroulent dans un bureau unique qui héberge plusieurs ordinateurs suffisamment performants et connectés entre eux. Même si généralement une session se

23. « Les sociétés ont progressé dans la mesure où elles-mêmes, leurs sous-groupes et enfin leurs individus, ont su stabiliser leurs rapports, donner, recevoir, et enfin, rendre. » (Mauss, 1923-1924).

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déroule dans une seule pièce, il arrive qu’une partie s’effectue avec des joueurs regroupés et des joueurs qui demeurent isolés dans leur propre bureau. Dans des cas plus rares, les joueurs sont exclusivement isolés.

« Il y a plein de gens qui jouent dans les mêmes salles... Ce sont des collègues de bureau ou il y a des gens qui se déplacent pour jouer. Ce sont des gens qui sont susceptibles de jouer et qui vont vers un PC qui sera mieux que leur ordinateur de travail. »

Deuxième assistant réalisateur (25 ans) dans un studio de dessins animés (Saint-Denis, 1998)

Malgré une visibilité plus grande par les autres salariés, les membres du collectif préfèrent généralement se retrouver physiquement dans un même endroit, ce qui permet de rappeler que les joueurs en réseau préfèrent les situations ou les interactions en face à face sont possibles.

Les observations que nous avons effectuées nous conduisent à penser qu’une forme de ritualisation s’opère.

Le rite d’introduction débute généralement par la proposition de faire une partie. Cette proposition se fait par téléphone, par message électronique ou de vive voix. Lorsqu’il y a suffisamment de membres du collectif qui sont prêts à jouer, la négociation sur le type de partie peut commencer. Les joueurs ne décident généralement pas du type de jeu qui va être utilisé, celui-ci est en fait pratiquement toujours le même24, mais ils vont négocier les options de jeu qui vont être sélectionnées. Ce moment est décisif dans la séance car ces options privilégient certains joueurs aux dépens des autres.

Par exemple, celui qui connaît parfaitement un terrain, préférera le sélectionner pour être avantagé. Ainsi cette ritualisation introduisant la partie est le théâtre de vives discussions.

Lors de la partie, les joueurs regroupés interviennent oralement par des exclamations de joie ou cris de colère qui rythment le jeu. Les réflexions sont fréquentes, louant parfois un exploit qui s’affiche sur l’écran25, préférant plus souvent se moquer d’une action erronée ou soulignant comment on a réussi à éliminer un autre membre du collectif.

A la fin du jeu, un moment de discussion conclut la partie. Ce debreifing, revient sur les moments « forts » et s’achève généralement par « on en refait une ? ». Cette phrase engage une autre négociation entre ceux qui veulent

24. Les collectifs se stabilisent sur la pratique d’un jeu unique pendant un temps assez long. Lorsqu’ils changent, c’est pour un jeu du même type mais plus récent.

25. Comme « multituerie » sur Unreal Tournament qui signifie qu’un joueur vient de tuer à la suite un nombre d’ennemis important.

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travailler ou partir (déjeuner ou rentrer au domicile). Certains partent, d’autres restent : le collectif n’est pas forcément au complet à chaque partie.

Les joueurs regroupés élaborent un curieux face à face : ils échangent oralement en regardant leur écran. Ne pas répondre à une question, s’arrêter subitement de parler est totalement accepté alors que dans un face à face plus classique, ce type de comportement pourrait faire l’objet de réactions agressives de la part de l’interlocuteur qui ne trouverait pas les modalités souhaitées lors de l’interaction. Pendant le jeu, c’est la partie qui prime et cet accord tacite offre l’opportunité de ne pas répondre aux rites sociaux habituels lors d’une interaction de face à face.

Parfois, un observateur vient regarder derrière l’épaule des joueurs, c’est souvent un joueur occasionnel. L’observateur intervient lui aussi, quand c’est un joueur occasionnel, ses réflexions sont plus courtoises que celles d’un joueur confirmé. Il ne peut pas se permettre d’être aussi acerbe qu’un membre régulier du collectif car il se ferait apostropher et rappeler ses faibles compétences de jeu.

Les joueurs isolés dans un bureau, peuvent pallier ce manque d’interaction par un micro branché sur l’ordinateur, ou par téléphone interne de l’entreprise.

« Là, on a le micro, et en interne, on l’utilise pour des jeux en réseau. » Dirigeant (38 ans) d’une TPE de production audiovisuelle à Paris (2001) Les jeux disposent pour la plupart de messageries internes qui permettent de communiquer avec l’ensemble des joueurs ou certains seulement, mais cette option n’est pas souvent utilisée car elle impose au joueur de lâcher les commandes de son personnage pour envoyer un message. Ceci diffère d’autres jeux qui utilisent beaucoup le forum de discussion comme les MUD (Heaton et al., 1994) et les MMPORG (Largier, 2002).

Dans certains cas, cet isolement met du piment à la partie car il permet de communiquer discrètement avec un seul partenaire, ce qui favorise les alliances dans les jeux de stratégie.

Une sociabilité professionnelle

Pour se constituer, le collectif recrute à l’intérieur d’un ensemble de relations déjà existantes et socialisées. L’apparition du jeu ne fait pas abstraction de ces conditions mais il s’y adapte.

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Il existe déjà un lien minimal avant que le collectif ne se crée. Pour franchir le pas, c’est-à-dire pour prendre le risque de proposer une pratique déviante dans la firme, de bonnes relations professionnelles sont nécessaires à la prise de risque que constitue l’offre ludique en entreprise. Les bonnes relations entre collègues permettent de discuter librement d’autre chose que du travail et le cas échéant, de proposer de jouer. Mais ces bonnes relations perpétuent la hiérarchie statutaire existante. Comme nous le décrivions précédemment, les collectifs de joueurs sont très homogènes de par leur statut. La pratique ludique semble bien renforcer les liens personnels et professionnels entre collègues mais elle ne transforme pas les liens hiérarchiques.

« Le service multimédia organisait des parties à midi, mais on ne s’y greffait pas parce qu’ils bouffent ensemble, nous on bouffe ensemble, et on savait pas à quelle heure ça commençait.

Ils ne vous invitaient pas ?

Pas le temps, c’est des parties de trois quarts d’heure. Mais on se retrouvait le soir. »

Responsable informatique (28 ans) d’une grande entreprise culturelle (Paris 2002)

Et pourtant, même si les variations statutaires sont faibles, la pratique du jeu facilite les rencontres dans la firme. Elle fluidifie les relations et permet de sympathiser avec des collègues avec lesquels on ne parlerait pas pour des raisons exclusivement professionnelles. Dans le collectif de l’entreprise culturelle, des collègues travaillant dans des départements différents se sont rencontrés, ils se voient et échangent plus souvent : la pratique du jeu peut permettre dans certains cas de fluidifier les relations internes, notamment dans les entreprises les plus grandes.

« Le rendez-vous c’est au téléphone si c’est immédiat, et par mail si c’est programmé dans l’après-midi pour le soir. »

Stagiaire de 23 ans d’une entreprise de télécommunications (2002)

Cette sociabilité repose sur le support ludique et sur un univers de référence dédié. Dans l’entreprise audiovisuelle que nous avons étudiée, être membre du collectif rapproche les membres de ce groupe. Ils discutent des nouvelles stratégies, s’envoient des messages électroniques dans la journée avec des blagues sur le jeu ou des réflexions sur le déroulement de la dernière partie jouée. Ils créent des liens extra-professionnels entre collègues et continuent, même après les départs successifs de l’entreprise de chacun d’entre eux, d’organiser ensemble des dîners, des vacances et des fêtes. Le jeu n’a cependant pas résisté à leur départ de la firme et même, si

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régulièrement, ils évoquent l’organisation d’une partie par internet, ils avouent ne jamais l’avoir fait.

Une sociabilité déviante

Le caractère déviant de la pratique du jeu au travail intervient dans les relations entre les membres du collectif comme dans leurs rapports avec les autres salariés.

La discrétion est un des codes de conduite principaux à accepter.

Implicitement, les membres du collectif de jeu se protègent mutuellement : ils doivent ne pas dévoiler à n’importe qui que l’un ou l’autre d’entre eux joue au bureau. Cet accord mutuel fonctionne entre les joueurs actifs : ils se protègent eux-mêmes en restant discrets vis-à-vis des autres.

Mais parfois le joueur doit malgré tout partager le secret avec des non- joueurs comme le collègue qui partage éventuellement le même bureau.

Celui-ci est souvent mis dans la confidence car sa proximité physique lui rend très visible la pratique du joueur. Ce dernier doit trouver un accord, toujours informel, de confidentialité avec son collègue.

Le jeu est en dehors de la norme mais n’est généralement pas ressenti comme une transgression insupportable. Le rejet ne va pas jusqu’à la régulation disciplinaire. Ceux qui n’approuvent pas critiquent les joueurs, mais ces critiques ne sont pas violentes. Considérant le jeu comme un enfantillage, les critiques prennent l’allure de moqueries.

Les collectifs de joueurs en entreprise ne font pas abstraction des logiques statutaires : les membres de ces collectifs sont à la fois jeunes et utilisateurs de l’informatique ludique, ils sont aussi collègues, joueurs et déviants. Les membres du collectif favorisent une homolalie26. Cette propension à parler entre personnes qui partagent les mêmes caractéristiques que soi, induit de la proximité sociale, amorce la présence de modes de vies similaires et de visions du monde partagées.

En regardant attentivement les variations des profils sociaux des membres des collectifs, il ressort que la caractéristique la plus homogène est l’âge des membres du collectif. Car même si la tendance à la similitude statutaire et sociale ne peut être ignorée, elle reste secondaire vis-à-vis de l’âge des joueurs en réseau. Ainsi, les rares dirigeants ou responsables qui

26. Rivière (Rivière, 2000) se réfère à la définition de F. Héran (Héran, 1989) de l’homolalie. En l’espèce, nous retenons plus la proximité sociale que sexuée de ce concept.

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intègrent les collectifs de jeu sont jeunes : jamais des personnes de plus de 40 ans n’ont été repérées.

Après avoir présenté les pratiques de jeux en réseau en situation de travail et les relations qui s’y tissent, abordons leurs aspects bénéfiques pour l’entreprise.

Le jeu comme mode d’appropriation de l’informatique communicante et d’intégration professionnelle

Les pratiques du jeu en réseau permettent aux joueurs de s’approprier une partie des TIC par l’utilisation intensive de l’informatique communicante. La structuration même du groupe qui se construit autour des savoir-faire de joueurs élabore un cadre de l’action propice à l’apprentissage de certaines compétences exportables aux tâches professionnelles. D’autres recherches27 ont déjà montré que les pratiques du jeu informatique « transfèrent » des compétences comme la représentation de l’espace (les facultés de visualisation, l’attention visuelle) et la recherche par induction.

Sans entrer dans des considérations qui dépassent notre propos, décrivons les compétences que nos terrains ont permis d’identifier.

L’interface de contrôle des ordinateurs doit être parfaitement maîtrisée dans les pratiques du jeu : cette virtuosité nécessaire à la trajectoire du joueur amène les participants à gérer parfaitement et simultanément le clavier et la souris. Ce savoir-faire s’exporte directement à l’ensemble des usages de l’informatique dont bien sûr, les usages professionnels.

La carrière du joueur informatique le conduit à rencontrer un ensemble de problèmes techniques qui mettent en péril la session de jeu. Les pannes informatiques y sont de toutes sortes, notamment les pannes de software qui conduisent les joueurs à apprendre à installer correctement un logiciel, à le configurer et à le désinstaller. L’utilisation de logiciels piratés impose aussi de savoir identifier les procédures d’installation que le cracker a élaborées : il faut trouver le mot de passe dans un fichier texte, installer une copie de fichier exécutable (.exe) qui permet de jouer sans le cédérom original. Et parfois il faut aller chercher ces petits exécutables sur internet pour l’installation du jeu piraté.

27. Nous nous référons aux articles de Patricia Greenfield (Greenfield, 1994) et de Jacques Perriault (Perriault, 1994).

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D’autres pannes mènent à l’apprentissage de la configuration des éléments de hardware comme la carte son ou la carte graphique. Le jeu en réseau apporte lui aussi des soucis techniques liés au réseau interne (l’Intranet). Le joueur en réseau doit donc s’intéresser à installer les ports de communication, à configurer les accès Intranet, à contourner parfois les limites définies par ceux qui gèrent l’Intranet de l’entreprise. Il fait de même lorsqu’il utilise internet, et doit régler les paramètres du jeu en réseau : quel type de réseau est utilisé, de quel accès internet dispose-t-on, quel type de modem est installé sur l’ordinateur, etc.

Lorsque le joueur commence à chercher des jeux, il s’initie à la recherche sur internet. Et celle-ci n’est pas des plus aisées. Il va devoir apprendre à trouver des sites internet FTP28 ou des portails comme E Donkey29. Cette utilisation constitue un mode d’apprentissage de la recherche sur le net mais aussi de la gestion des bases de données et de la connaissance et l’utilisation des mots-clés pertinents. En outre, il doit identifier et utiliser un vocabulaire spécifique au jeu, et connaître les modalités de téléchargement de logiciels.

En outre, cette pratique le confrontera à la gestion des virus informatiques qui accompagnent inévitablement certaines versions pirates des logiciels de jeu. Le joueur devra alors installer des logiciels d’antivirus, et parfois s’initier à l’installation et la gestion de firewalls.

Le principe de diffusion des logiciels à l’intérieur des collectifs de jeu induit aussi le besoin d’acquérir des compétences de stockage informatique : dans la plupart des observations de terrain, l’utilisation du graveur est centrale dans cette diffusion. Les joueurs apprennent parfois à installer un graveur et plus souvent à utiliser des logiciels de gravure30.

Les joueurs qui vont sur internet doivent aussi intégrer un ensemble de savoir-faire spécifiques : rejoindre ou créer une partie sur internet, c’est-à- dire un serveur et son adresse IP (un ordinateur qui centralise la partie). Ils sont aussi confrontés aux choix parmi les parties existantes, reconnaître en lisant l’intitulé des parties que certaines ne sont pas accessibles à tous. Les clans ne veulent pas d’intrus, certains serveurs ne veulent que des joueurs ayant une connexion haut débit (DSL only), etc. Les joueurs doivent aussi

28. FTP : File Transfert Protocol (protocole d’édition de site en ligne).

29. E Donkey : logiciel de recherche de téléchargements gratuits (pirates en ligne) (www. edonkey.com).

30. Nous estimons que cet apprentissage n’est pas principalement lié au jeu mais aux téléchargements musicaux dont les plus connus sont les fichiers MP3.

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connaître ce que c’est qu’un Ping31 et comment on peut rechercher des parties de qualité.

Dans certains cas, si les joueurs arrivent à entrer dans une partie alors qu’ils ne correspondent pas aux critères du serveur, ils s’exposent à des remarques qui s’inscrivent sur l’écran, voire des insultes et deviennent parfois la cible principale des joueurs qui veulent l’exclure. Le joueur doit donc connaître les caractères techniques et les codes de conduite qui régissent les parties sur internet.

Les recherches d’informations professionnelles peuvent être améliorées par les compétences du joueur. Celui-ci connaît la manière de rechercher par mots-clés, il sait se débrouiller sur des sites FTP, il peut parfois élaborer un disque virtuel sur l’Intranet pour travailler.

Cette diffusion des compétences apprises en situation de jeu et exportables en situation de travail peut même être appréciée par la direction et apporter des avantages dans l’appréciation des compétences du salarié.

Dans les petites firmes, le joueur peut parfois prendre en charge de manière plus ou moins formelle les fonctions informatiques des entreprises et valoriser une pratique qui, a priori, n’a rien à voir avec l’action professionnelle.

L’ensemble de ces compétences et de ces savoir-faire ne sont pas toutes exportables au monde du travail mais elles favorisent l’appropriation de l’informatique communicante dans son ensemble. Ce contournement des usages que constitue le jeu en réseau dans l’entreprise, permet l’émergence de compétences techniques (secondaires) qui se diffusent dans le contexte professionnel. Un joueur pourra ainsi mettre au service de l’entreprise ses compétences de gravure pour stocker des données professionnelles. Il saura comment récupérer un logiciel permettant de lire un document. Si, par exemple, un correspondant professionnel envoie un document sous format Pdf32, le salarié joueur saura comment trouver le logiciel Acrobat Reader33 et l’installer. Si un problème de réseau intervient et met en péril la

31. Le Ping informatique : programme qui envoie des paquets d’informations sur le réseau vers une adresse spécifique et qui attend une réponse. Le Ping permet de savoir si cette adresse est atteignable et d’estimer la rapidité pour l’atteindre.

Un ping gamer : c’est un nombre qui est associé à un serveur hébergeant une partie du jeu en réseau. Et plus le nombre est petit, plus le serveur répondra vite aux requêtes du joueur lors de la partie en réseau.

32. Pdf : format de fichier texte du logiciel Acrobat Reader.

33. Acrobat reader, logiciel d’édition de texte.

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communication de données dans un cadre professionnel, le joueur salarié pourra parfois résoudre ce problème, etc.

Au sein des grandes entreprises, ces compétences sont présentes dans l’équipe des informaticiens, mais les salariés joueurs s’autonomisent des informaticiens. Ils ne les appellent qu’en cas de panne importante, ce qui dégage un temps considérable pour la gestion du parc informatique. Dans les TPE et chez les petits professionnels, ce type de compétences est encore plus souvent mobilisé : d’une part il évite d’appeler un prestataire informatique externe qui impose un délai d’intervention important et qui de plus est très onéreux, d’autre part, le besoin d’un logiciel pour lire des données devient parfois un véritable casse-tête que le joueur salarié peut parfois contourner en quelques minutes, surtout dans une petite entreprise où la bibliothèque des logiciels est souvent bien plus restreinte que dans les grandes firmes.

Outre la porosité des compétences, la pratique du jeu en entreprise permet aussi de renforcer des liens34 professionnels. Partager du temps est le premier critère de ce renforcement : les joueurs s’aménagent des espaces, partent du bureau parfois plus tard que les autres, discutent et échangent sur les temps « forts » du jeu. Comme nous l’avons énoncé précédemment, cette sociabilité accrue permet de mieux connaître certains collègues (surtout dans les grandes entreprises) et de construire des liens qui favorisent les relations en interne.

Le temps passé au bureau augmente, les moments de détente participent à l’appropriation de l’espace de travail et induisent un sentiment de bien- être au travail. Plus présents, les joueurs seront plus facilement là que les autres pour réagir aux aléas professionnels qui arrivent en fin de journée ou à l’heure du déjeuner. C’est le joueur qu’on pourra joindre au bureau alors que tous les autres sont partis. Ce point demeure cependant d’un intérêt marginal.

De manière plus significative, la structuration du collectif autour de la mutualisation des ressources (les jeux et les compétences) favorise l’élaboration d’une coopération efficace. Les joueurs de l’entreprise prennent l’habitude de solliciter les autres selon les besoins et les compétences de chacun, ils dépassent parfois les frontières organisationnelles et statutaires.

Par exemple, dans l’entreprise culturelle, le joueur du département multimédia se permet de téléphoner au responsable informatique interviewé

34. Jacques Perriault (Perriault, 1994) analysait les effets de la pratique des jeux informatiques sur la socialisation.

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sur sa ligne directe pour qu’il l’aide à débloquer son ordinateur. Ainsi, il contourne le protocole de demande officielle d’intervention qui l’aurait placé au bas de la liste d’attente des demandes d’intervention du service informatique. Cette sociabilité ludique va leur permettre de mieux communiquer, de fluidifier l’interaction pour arriver à trouver une solution au problème professionnel, sans être figés dans des restrictions dues au statut (dire à son supérieur qu’il s’est trompé) ou même aux problèmes que peuvent engendrer les sous-cultures de service.

Dans la même perspective, les pratique de jeu favorisent l’échange de documents et de données qui peuvent parfois faire l’objet de rétentions stratégiques liées à la volonté de protéger son rôle professionnel.

L’aspect déviant de la pratique construit une solidarité entre les membres qui favorise la coopération (Auray, 1997) et le sentiment d’appartenir à la même institution.

Ces éléments favorisent la cohésion du groupe professionnel et peuvent être appréhendés à partir de la notion de « confiance » Celle-ci réduit « le degré d’incertitude auquel les agents ont à faire face dans leurs relations contractuelles […] et fournit une fondation à l’établissement d’attentes de confiance concernant les comportements réciproques. » (Lorentz, 2001)

Cette cohésion ne remet pas véritablement en cause l’essence de l’action professionnelle qui régit l’entreprise. Les stratégies d’autocontrôle sont très prégnantes et même chez les joueurs les plus assidus, il est peu acceptable de négliger sa tâche professionnelle. Les joueurs en entreprise intériorisent fortement la règle, ils ne remettent pas en cause la structure ni la priorité de la tâche professionnelle. Ces pratiques s’ajustent au mieux, et même si parfois il y a des dérapages, il ne semble pas qu’elles remettent en question l’institution professionnelle. C’est d’ailleurs pour cela que les effets normatifs sont peu opérants.

Conclusion

Cet article n’a d’autre ambition que d’ouvrir une réflexion prospective sur l’appropriation de l’informatique communicante provenant des pratiques ludiques en entreprise et le transfert de compétences qu’elle induit. Le jeu en réseau en situation de travail est un des exemples de détournements d’usage d’une technologie de par le cadre de sa pratique.

La diffusion progressive du jeu en situation de travail montre comment une norme implicite, « ne pas jouer au travail », mais fortement intériorisée,

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(on nous l’apprend depuis les premières années de la scolarité) est contournée. Ce contournement érode la division symbolique entre la sphère professionnelle et la sphère extra-professionnelle. Cette tentative de redéfinition est relative. Les faibles variations statutaires observées dans les collectifs de joueurs laissent à penser qu’une redéfinition des rôles professionnels n’est pas en question.

Cette anormalité doit être analysée et recontextualisée compte tenu de l’importance des pratiques déviantes qui jalonnent la récente histoire de l’informatique communicante et d’internet. Si le sociologue regarde ce phénomène en se dégageant d’a priori normatifs, il doit réfléchir à la possible redéfinition des normes qui accompagne les pratiques des réseaux informatiques.

Au minimum, on peut se demander si l’apparition du jeu en entreprise n’est pas dû à l’appropriation par les joueurs en réseau des moyens techniques qui aujourd’hui se trouvent gratuitement à disposition dans les firmes. Disposer d’un réseau technique opérant avec plusieurs ordinateurs performants est rare dans la sphère domestique et l’utilisation des cybercafés reste coûteuse. On est peut-être dans une logique d’instrumentalisation temporaire due à l’inadaptation de l’équipement technologique domestique aux pratiques de jeu en réseau.

Au maximum, ces pratiques font apparaître un changement générationnel important qui peut partiellement redistribuer la donne sociale et faire le lien avec les analyses du jeu vidéo du début des années 80 : « Des nouvelles formes de relations entre le sujet et le système apparaîtront avec les générations suivantes de jeux électroniques. Des relations peut-être très différentes, mais qui seront probablement plus étendues et plus fortes. Des relations qui peuvent s’interpréter comme les symptômes parmi d’autres, d’un changement profond dans les rapports entre les hommes et leur environnement matériel et culturel. » (Querzola et al., 1983).

Cette évolution des pratiques pourrait être alors abordée comme le signe d’une réponse sociale à l’augmentation du temps passé au bureau. Dans une société construite sur les loisirs et la propension à la consommation, mais qui paradoxalement impose des temps de travail importants et des constructions identitaires fortement élaborées autour du travail, ne peut-on voir dans le jeu une des réponses individuelles à l’acceptation de ce paradoxe ?

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Références

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