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D'Olbia à Tanaïs. Territoires et réseaux d'échanges dans la mer Noire septentrionale aux époques classique et hellénistique

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Academic year: 2021

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HAL Id: hal-01984207

https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01984207

Submitted on 16 Jan 2019

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D’Olbia à Tanaïs. Territoires et réseaux d’échanges dans la mer Noire septentrionale aux époques classique et

hellénistique

Christel Müller

To cite this version:

Christel Müller. D’Olbia à Tanaïs. Territoires et réseaux d’échanges dans la mer Noire septentrionale aux époques classique et hellénistique. Ausonius Editions, 2010. �hal-01984207�

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D’Olbia à Tanaïs

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de l’École Normale Supérieure et ancien membre de l’École Française d’Athènes, est Profes- seur d’histoire grecque à l’Uni- versité de Reims.

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Ausonius Éditions

— Scripta Antiqua 28 —

D’Olbia à Tanaïs

Territoires et réseaux d’échanges dans la mer Noire septentrionale aux époques classique et hellénistique

par Christel M

üller

Diffusion De Boccard 11 rue de Médicis F - 75006 Paris

— Bordeaux 2010 —

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AUSONIUS

Maison de l’Archéologie F - 33607 Pessac cedex

http://ausonius.u-bordeaux3.fr/EditionsAusonius

Diffusion De Boccard 11 rue de Médicis 75006 Paris

http://www.deboccard.com

Directeur des Publications : Jérôme France Secrétaire des Publications : Stéphanie Vincent Graphisme de Couverture : Stéphanie Vincent

© AUSONIUS 2010 ISSN : 1298-1990

ISBN : 978-2-35613-035-8

Achevé d’imprimer sur les presses de l’imprimerie BM

Z.I. de Canéjan

14, rue Pierre Paul de Riquet F - 33610 Canéjan

septembre 2010

Illustration de couverture :

carte du Bosphore cimmérien (P. Dubrux, pas après 1833, d’après Tunkina 2002, fig. 45) et décret d’Olbia en l’honneur de deux Athéniens vers 340-330 a.C. (d’après I.Olb 5).

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Pour Graham et Arthur

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Sommaire

Avant-propos 11

Introduction 15

I - Territoires et conquêtes dans le Pont Nord du dernier tiers du ve s. au début du iiie s. a.C. 23

Le Bosphore cimmérien 23

Des Arkhéanaktides aux Spartocides 24

L’intégration de Nymphaion 24

Les cités du Bosphore asiatique 25

La prise de Théodosia 26

La conquête de la Sindikè 31

Colonisation interne : fondations et refondations du Bosphore asiatique 34

Tanaïs, colonie bosporane ? 37

Ethnicité et partage du territoire : archontes des cités et rois des ethnè 39 Le Bosphore cimmérien : représentations et réalités d’une totalité territoriale 41

Marqueurs symboliques et physiques du territoire 43

Et les kourganes ? 46

Olbia pontique 48

Le nom de la cité 48

Situation territoriale d’Olbia à partir du ve s. a.C. 49 Olbia et les Spartocides dans la première moitié du ive s. a.C. 52 La recolonisation du territoire aux ive-iiie s. a.C. 53

Les possessions extérieures d’Olbia ? 56

Chersonèse 58

Une fondation du ve s. a.C. ? 58

À la conquête de la chôra 60

Kerkinitis, Kalos Limèn et la Crimée du nord-ouest 62

Chersonèse et le Bosphore 66

II - Crises pontiques d’époque hellénistique (c. 270-milieu du iie s. a.C.) 67

Quelle(s) crise(s) ? 67

La réduction des territoires 67

Barbares en mouvement 70

Un changement climatique ? 74

Une crise monétaire ? 75

La reprise très relative de la fin du iiie s. 78

III - Les relations entre États du Pont Nord et l’intervention de Mithridate

de la deuxième moitié du iie s. à la mort du roi en 63 a.C. 81

Néapolis de Scythie, petit royaume hellénistique 81

(9)

Les rois de la Scythie tardive

Néapolis à Kermenchik ? 81

Questions chronologiques : de la grande à la petite Scythie 82

Néapolis, capitale du royaume 83

Une monarchie hellénistique entre Scythes et Grecs 88

Néapolis et Olbia 89

Néapolis et le Bosphore cimmérien 91

L’intervention du royaume du Pont 93

Le traité entre Pharnace et Chersonèse, attaquée par les Scythes 93 L’intervention de Mithridate dans le Pont Nord à l’époque de Diophantos 95

Diophantos, Saumakos et le Bosphore 98

Conséquences de la domination pontique pour les États du Pont Nord 99

La fin de Mithridate 102

IV - La dynamique des territoires : prospections et fouilles dans les chôrai nord-pontiques 105

Le Bosphore cimmérien 105

Histoire des recherches 105

La péninsule de Taman’ 106

Gorgippia 108

La péninsule de Kerch 109

Nymphaion 111

Théodosia 115

Chersonèse 118

Olbia 119

V - Parcellaires et propriété foncière 125

Chersonèse 125

Histoire de la recherche 125

Limites géographiques du parcellaire 126

Questions chronologiques 127

Interprétation spatiale 134

Description du parcellaire et questions de métrologie 134 Fermes et autres bâtiments 136 Disposition des lots et éléments perturbateurs 139 Évolution du parcellaire après sa mise en place 141 Autres parcellaires du territoire de Chersonèse 143 Du parcellaire à la propriété foncière 146 L’inscription cadastrale IOSPE I2, 403 148

(10)

Le Bosphore cimmérien 151

Le Bosphore asiatique 151

Le Bosphore européen 155

Districts territoriaux, domaines royaux et contrôle royal de la production 159

Olbia 163

Conclusion sur les parcellaires du Pont Nord : de l’ethnicité à la spatialité 166

VI - Les productions : besoins locaux et surplus potentiels 169

Le cas du blé 169

Types de céréales cultivés 169

Rendement des terres cultivées 172 Évaluations démographiques 175 Superficie des territoires cultivés et surplus potentiels 180 Risques et gestion des crises ponctuelles 182

La viticulture 184

Olbia 184

Le Bosphore 185

Chersonèse 187

VII - Les États et leurs hinterlands : les systèmes de redistribution régionaux 191 Comment penser les contacts avec les populations locales

ou de l’identité ethnique au statut de dépendant 191

Grecs et indigènes : réflexions sur l’interprétation ethnique des artefacts 191 Ethnonymes, de l’identité ethnique aux catégories statutaires 195 Le bâtiment U6 de Panskoe et les sovkhozes antiques 197

La construction des systèmes emporiques 201

Olbia et son hinterland 202

Le système emporique du Bosphore cimmérien 204 L’emporion d’Elizavetovskoe 206 Importations et exportations depuis l’hinterland 212 Échanges monétarisés ou troc ? 216

VIII - Réseaux et échanges internationaux 219

L’aire thraco-pontique 219

(11)

Les grands itinéraires de la navigation

Proxénies, monnaies locales et réseaux d’échanges 221 Argent et monétarisation des échanges 226

La route du blé : Athènes et le Bosphore du dernier tiers du ve s. au début du iiie s. a.C. 233 Athènes et le Pont Nord dans le dernier tiers du ve s. a.C. 234

Privilèges économiques réciproques 236

Mytilène : l’exception ? 242

Les réseaux athéno-pontiques 243

Et en échange du grain ? Les exportations méditerranéennes vers le Pont Nord aux époques classique et hellénistique 247

La céramique attique 247

Les routes du vin 249

Thasos, l’Égée septentrionale et le Pont Nord du ve s. aux années 250 a.C. 252

Deux profils différents d’importations amphoriques : Elizavetovskoe et Panskoe I (U6) 254

Les liens du Pont Nord avec l’Égypte aux iiie et iie s. a.C. 257 Le rôle des Rhodiens dans le Pont Nord aux iiie et iie s. a.C. 261 Conclusion 265

Notes 271

Dossier épigraphique : liste des textes 357 Chronologie simplifiée du royaume du Bosphore 358 Textes 359

Royaume du Bosphore 359

Chersonèse 370

Olbia 386

Principales abréviations 401

Bibliographie 402

Index 429

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Avant-propos

Quelques mots simplement, avant de me lancer dans le vif du sujet, et d’abord sur les questions techniques.

En ce qui concerne la bibliographie et les références données en bas de page, j’ai adopté, en toute connaissance de cause, le système dit de Harvard. Celui-ci présente deux avantages majeurs, qui l’emportent, m’a-t-il semblé, sur les inconvénients : il est très économe de pages, car il produit des notes de taille raisonnable, et n’oblige pas le lecteur à parcourir des dizaines de références avant de pouvoir identifier celle qu’il ne comprend pas, lorsqu’elle aura finalement été abrégée par le rédacteur à force de répétitions.

Par ailleurs, j’ai choisi un système très bref d’appellation des auteurs* par leur seul nom de famille, sans l’initiale du prénom, là encore par souci d’économie, car les Russes et les Ukrainiens ont en plus de celui-ci un patronyme : “S. Ju. Monakhov” est donc restreint à son nom “Monakhov”, selon un principe lapidaire, j’en conviens, mais efficace. Seuls les possibles homonymes ont été distingués comme les deux Marchenko et, surtout, les deux Vinogradov, qui portent le même nom et le même prénom et ne se différencient que par leur patronyme : apparaissent donc dans le texte, lorsque la confusion est possible, un “Ju. A. Vinogradov”

(archéologue) ou un “Ju.  G.  Vinogradov” (épigraphiste). Les noms et termes russes et ukrainiens ont été translittérés du cyrillique, selon le système de transcription internationale donné dans l’ouvrage Une koinè pontique, édité en 2007 par Bresson, Ivanchik et Ferrary (p. 351). J’ai également harmonisé la transcription des noms propres, car les articles en langues occidentales ne suivent pas systématiquement les mêmes principes : le deuxième auteur de la Koinè est donc toujours, pour moi, “Ivanchik” et non “Ivantchik”, mais j’ai veillé à ce que cela ne pose jamais de problème pour l’identification des références bibliographiques. Toutes les erreurs restent miennes, cela va de soi.

Il n’est que temps d’évoquer ici celles et ceux qui, par la discussion et le partage des idées, ont contribué à enrichir ce volume, issu d’un mémoire d’habilitation de l’École Pratique des Hautes Études. Pour la partie française, mes remerciements s’adressent d’emblée à mon Directeur, Jean-Louis Ferrary, admirable relecteur : il sait combien j’admire sa patience et la rectitude de son jugement. Mais je songe également aux cinq autres membres de mon jury, Jean-Marie Bertrand, Alain Bresson, François de Callataÿ, Denis Knoepfler et Vladimir F. Stolba, qui n’ont pas ménagé leur peine et m’ont permis d’améliorer le texte grâce aux discussions menées lors de la soutenance en novembre 2008. Olivier Picard a eu la gentillesse, en août 2009, de relire intégralement le dernier état du manuscrit et je lui sais gré des précisions cruciales qu’il a apportées, à son tour, aux passages consacrés à la numismatique. Au Centre Glotz et à l’Université Paris I, j’ai trouvé des auditeurs prêts à discuter avec moi d’ethnicité, de territoires, d’échanges et de troc : Francis Prost et Claudia Moatti bien sûr, mais aussi Jean Andreau, Alexandre Avram, Roland Étienne et Pierre Fröhlich, sans compter les étudiants du séminaire d’épigraphie de la rue d’Ulm. Dans un cercle plus large, je mentionnerai les Bordelais, Raymond Descat, qui m’a invitée à participer en 2004 aux Entretiens de St Bertrand-de-Comminges sur l’économie antique, et, Alain Bresson, qui m’a apporté son constant soutien depuis trois ans et, malgré ses charges d’enseignement et de recherche à Chicago, a accepté de relire et de discuter certains chapitres sur les échanges. Hors de France, je pense à Alfonso Moreno, qui m’a fait parvenir une partie de sa thèse avant la publication de celle-ci en 2007 et, surtout, à Irad Malkin, avec qui j’ai eu plusieurs conversations décisives sur l’organisation des réseaux à Toulouse, Paris et Oxford. À Liverpool enfin, les échanges avec John K.  Davies et Zosia H.  Archibald ne manquent jamais de dynamisme intellectuel.

* Lorsque les noms de personnes renvoient non à des auteurs, mais à des acteurs de l’histoire (e.g. E. Gaidar), ils sont dotés de l’initiale de leur prénom.

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lbia à Tanaïs

En Russie, je dois beaucoup aux campagnes de terrain réalisées avec mes collègues et amis russes de l’Institut archéologique de Moscou, Jurij V.  Gorlov, Gennadi A.  Koshelenko et Aleksej A.  Zavojkin. Depuis Saint Pétersbourg et, surtout, depuis Aarhus, Vladimir F. Stolba n’a jamais cessé de m’encourager et m’a fait parvenir, à plusieurs reprises, des articles inaccessibles, voire des ouvrages entiers scannés par ses soins. J’ai travaillé dans plusieurs bibliothèques où j’ai eu accès à la bibliographie russophone, dont l’excellente Sackler Library à Oxford et la Bibliothèque Historique Publique d’État de Moscou  : dans cette dernière, il est deux bibliothécaires, Marina V. Tarasova et Elena V. Bessonova, qui, malgré la misère, n’ont jamais perdu leur âme et ont toujours trouvé, dans des réserves parfois bien fermées, les ouvrages que je leur réclamais.

Il m’est agréable, également, d’exprimer ma reconnaissance envers les Éditions Ausonius et leur directeur, Jérôme France, qui ont accepté l’ouvrage dans la collection Scripta Antiqua. Quant à Stéphanie Vincent, elle a accompli, avec patience, un magnifique travail de composition et d’illustration. Je sais gré au directeur des Presses de l’Université d’Aarhus, Claes Hvidbak, d’avoir autorisé la reproduction des documents graphiques extraits de la collection Black Sea Studies.

Enfin, l’épigraphie et l’histoire ancienne étant aussi pour moi une affaire de famille, je suis redevable à Graham J. Oliver, au jour le jour, d’innombrables discussions, qui prouvent que la taxation par exemple n’est pas toujours un sujet de conflit !

Que tous soient ici chaleureusement remerciés.

Paris, avril 2010

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Fig. 1. Carte générale des cités du Pont-Euxin (Bresson et al.

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Fig. 2. Le nord du Pont-Euxin (Bresson et al.

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Introduction

“ ’Epei; de; para; toi`~ pleivstoi~ ajgnoei`sqai sunevbaine th;n ijdiovthta kai; th;n eujfui?an tou` tovpou, dia;

to; mikro;n e[xw kei`sqai tw`n ejpiskopoumevnwn merw`n th`~ oijkoumevnh~...” (Pol. 4.38.11)1.

Selon Rostovcev2, même s’il tente de persuader son lecteur du contraire, la somme de Minns, intitulée Scythians and Greeks et parue à Cambridge en 1913, n’était pas loin d’être une pure compilation (“mere compendium”) des données illustrant l’histoire antique de la Russie méridionale et des vues des historiens russes et occidentaux sur le sujet. Lui-même, écrit-il, venait de rédiger non plus seulement une synthèse des sources disponibles, mais une véritable histoire de la région, en montrant la place de celle-ci dans l’histoire universelle et sa contribution à la civilisation : c’est ainsi, en tout cas, qu’il s’exprime dans la préface de son ouvrage Iranians and Greeks in South Russia, paru à Oxford en 1922. Au-delà de ces commentaires qui témoignent d’abord de la très forte personnalité de leur auteur, il faut reconnaître que le livre de Minns fit date, comme l’avait du reste prévu Rostovcev3, et resta longtemps la référence en la matière, sans doute parce que son contenu outrepassait largement les limites au sein desquelles le savant russe aurait peut-être préféré que Minns se tînt.

Si Minns et Rostovcev furent les premiers à produire de véritables synthèses sur le nord de la mer Noire, ils n’en furent naturellement pas les premiers explorateurs4. C’est, en effet, à la fin du xviiie siècle que commencèrent véritablement les recherches sur les antiquités de la région, après la signature décisive en 1774 du traité de Kuchuk-Kajnardzhi, entre la Russie et la Turquie. Les Russes se rendirent alors maîtres de plusieurs forteresses, comme celles de Kinburn, à l’embouchure du Dniepr, de Kerch et d’Enikale et étendirent ainsi leur protectorat sur le khanat de Crimée, la péninsule étant finalement annexée en 1783 en même temps que de vastes espaces situés sur les rives de la mer Noire et de la mer d’Azov. Ces circonstances déterminèrent ce qu’on appela par la suite le “projet grec” de Catherine II, qui visita en personne la région de Novorossijsk en 1787 dans ce qui était désormais la “nouvelle Russie” ; ce projet, porté par son favori Potemkine, Prince de Tauride, consistait d’abord à recenser, dans un esprit encyclopédique, les lieux et monuments des nouvelles provinces méridionales et d’en prendre ainsi possession, ce dont témoignent les noms donnés alors à certaines fondations, parfois à tort en ce qui concerne les identifications de cités antiques : Sébastopol, Simféropol, Théodosia, Eupatoria, Cherson, Odessa, Leukopol et même Ovidiopol ! La mise en valeur de ces régions entraîna dans son sillage plusieurs missions scientifiques pour ainsi dire interdisciplinaires, comme celle de l’académicien naturaliste pétersbourgeois P.-S. Pallas, le premier à identifier l’emplacement de la cité d’Olbia en 1794. Avant lui, en 1786, K. L. Hablitz avait fait dresser la toute première carte enregistrant sur 100 km2 certaines traces de la division du sol à Chersonèse dans la presqu’île d’Héraclée : Tunkina5 n’a pas tort lorsqu’elle constate qu’il fallut ensuite attendre la seconde moitié du xxe s. pour retrouver une approche de ce type, c’est-à-dire, comme elle la nomme, “écosystématique”, avec une attention particulière portée à l’organisation spatiale des cités et de leurs territoires. Les fouilles, quant à elles, commencèrent dès la fin du xviiie et au début du xixe siècle, durant une période où les généraux, en possession de tous les pouvoirs, menèrent les premières explorations archéologiques, envoyant (dans le meilleur des cas) les fruits de leurs découvertes au Musée de l’Ermitage, fondé dès 1764.

Durant le premier tiers du xixe s., l’étude de l’antiquité classique se constitua progressivement en discipline académique autonome et les méthodes se firent plus scientifiques. Localement, le Français P. Dubrux et le Russe I. A. Stempkovskij, tous deux en poste à Kerch, jouèrent un rôle essentiel, ce qui n’alla pas sans tension entre ces amateurs éclairés et les savants de la “métropole” pétersbourgeoise : Dubrux fut ainsi à l’origine du fonds le plus ancien du Musée de Kerch et étudia, en compagnie de Stempkovskij, nommé gouverneur local, les antiquités des presqu’îles de Kerch et de Taman’, en particulier le kourgane de Kul-Oba, exploré en 1830 : celui- ci produisit de nombreux objets précieux et détermina la priorité accordée dès lors à la fouille de nécropoles. Un autre nom important, en particulier pour l’amélioration de l’étude des inscriptions et des monnaies, est celui de H. K. E. Koehler, Directeur de l’Ermitage, qui entra à l’Académie des Sciences et fit deux missions dans le sud en 1804 (péninsule de Majak près de Chersonèse) et 1821 (Olbia), dont la seconde mena à la publication

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lbia à Tanaïs

en 1822 du célèbre décret en l’honneur de Protogénès. Au chapitre des voyageurs, qui furent nombreux, on citera l’action du Suisse F.  Dubois de Montpéreux qui, dans son Voyage autour du Caucase6, publié à Paris entre 1839 et 1843, dressa pour ainsi dire un premier bilan. L’étape décisive, la troisième, fut franchie avec la constitution d’une véritable science russe de l’antiquité à partir des années 1850 sous la forme de sociétés savantes et d’une Commission Archéologique Impériale (1859). Mais c’est surtout la fin du xixe et le début du xxe siècle qui marquent “l’âge d’or” de la science classique en Russie7, dont témoigne l’activité de savants comme V. V. Latyshev, qui rassembla pour la première fois en corpus les témoignages épigraphiques8 et littéraires9 sur

“la Scythie et le Caucase”, mais aussi B. V. Farmakovskij qui fut à Olbia un précurseur dans l’application des méthodes archéologiques modernes et, enfin, Rostovcev qui, non content de produire des ouvrages spécialisés, comme celui qu’il consacra à la peinture décorative10 ou aux monnaies11, entreprit d’écrire l’histoire de la région, sans négliger aucune source.

Pour en revenir, donc, aux deux auteurs cités initialement, l’ouvrage de Minns pouvait se permettre d’être une somme, car il était encore possible en 1913 d’avoir accès au matériel décrit et d’embrasser la totalité des connaissances relatives à cette région du monde grec, situation impossible par la suite, ce qui explique sans doute qu’il n’ait jamais été remplacé. Pendant des décennies, ceux des Occidentaux qui n’avaient lu ni Minns, ni Rostovcev ne connurent le plus souvent du Pont Nord que des bribes d’information, devenues rapidement des poncifs : Hérodote et la barbarie de ses indigènes, dont les kourganes avaient pourtant livré des merveilles de joaillerie (l’art “gréco-scythe”) ; les 400 000 médimnes de grain importés à Athènes depuis le Bosphore cimmérien tels que les évoque Démosthène dans son Contre Leptine ; un parcellaire spectaculaire et idéalisé, celui de Chersonèse, dont les archéologues du monde entier auraient souhaité qu’il fût situé ailleurs que dans l’empire soviétique, et la mort de Mithridate à Panticapée en 63 a.C., qui permettait enfin de raccrocher ces contrées périphériques au monde connu. Aujourd’hui encore, la géographie contemporaine de la région est si peu familière aux spécialistes du monde grec que, souvent, seule émerge du discours la Crimée, celle de Sébastopol ou de Yalta.

Il est vrai que, durant des décennies, la glaciation idéologique, particulièrement à l’époque stalinienne, empêcha les contacts, qui ne s’effectuèrent que de manière sporadique et toujours sous forme d’aventure, et transforma les difficultés linguistiques en barrière insurmontable. Les historiens russes apparurent seulement à deux reprises sur la scène internationale, lors des Congrès des sciences historiques en 1928 à Oslo, puis en 1955 à Stockholm12, avant que l’année 1956 ne marque en URSS le début du “dégel”, selon la terminologie consacrée13. Parallèlement, dans les années 1960 et 1970, les historiens occidentaux marquèrent un intérêt croissant pour les études marxistes et, de ce fait, pour les travaux soviétiques. Cet intérêt fut à l’origine, dans le domaine de l’histoire ancienne, de l’ouvrage exceptionnel en son genre de Raskolnikoff intitulé La recherche soviétique et l’histoire économique et sociale du monde hellénistique et romain, paru en 1975 : quoique l’accent y soit mis surtout sur la partie romaine, l’auteur y recense les grandes tendances historiographiques de la Révolution à 1965, en les périodisant et en montrant à quel point elles sont explicitement liées à l’histoire politique du pays.

Si l’on revient au domaine qui est ici le nôtre, le dégel fut cependant relatif, et rares furent avant 1990 les ouvrages ou les articles d’auteurs russophones sur la mer Noire septentrionale publiés en Occident : on citera celui de Gajdukevich, Das Bosporanische Reich, traduit avec des additions bibliographiques en 1971 d’un original paru en 1949, ou encore les pages consacrées aux cités du Pont Nord dans le deuxième tome du collectif Hellenische Poleis14, publié en 1974. On doit savoir gré à l’équipe de l’Université de Besançon, dirigée alors par P. Lévêque, d’avoir su, durant ces années, nouer des liens avec les historiens et les archéologues des Académies des Sciences de Russie et d’Ukraine15, et transmettre au public occidental, grâce aux Dialogues d’histoire ancienne, ce qu’elle- même avait glané, d’une manière aléatoire certes, mais qui fut longtemps la seule possible : c’est ainsi que l’on découvrit l’existence du site d’Elizavetovskoe sur le Don ou l’ouvrage de Brashinskij sur le commerce antique16. Depuis la chute du mur de Berlin en 1989, sans conteste l’événement historique le plus important de la fin du xxe s.17, la situation a radicalement changé avec l’ouverture des frontières et l’on peut considérer aujourd’hui, vingt ans après, l’ère de la “transition” comme achevée, au moins dans le domaine de l’accès à l’information et

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Introduction des contacts scientifiques en histoire ancienne. La décennie 1990-2000 connut la thérapie économique de choc d’E. Gaïdar et l’application à l’économie post-soviétique des principes de l’ultra-libéralisme18, qui affectèrent toutes les composantes de la société russe, y compris l’Académie des Sciences et les savants au moins dans leur pratique, sinon dans leurs conceptions ; cette décennie fut aussi celle d’une forme extraordinaire de libération, malgré l’appauvrissement matériel généralisé de la classe intellectuelle. On vit alors fleurir d’abord les traductions d’ouvrages ou d’articles russes en diverses langues occidentales, comme celui de Shcheglov, Polis et chôra. Cité et territoire dans le Pont Euxin, paru en URSS en 1976 et en France en 1992, ou encore les Pontische Studien de l’épigraphiste Ju. G. Vinogradov, en 1997, qui rendaient accessibles les principaux articles de l’auteur19. Surtout, à partir des années 2000, commencèrent les publications originales d’auteurs russes en Occident, ainsi que les ouvrages et périodiques communs, signes d’une progressive intégration de la bibliographie et par là même, d’un début de “fusion historiographique”, si l’on peut s’exprimer ainsi : la série la plus représentative à cet égard, et la plus dynamique à l’heure actuelle, est celle du Centre for Black Sea Studies de l’Université d’Aarhus au Danemark qui, sous la direction conjointe de Bilde et Stolba, a entrepris un vaste programme de recherches couvrant les principaux centres d’intérêt des archéologues et historiens russes : territoires, commerce, amphores… Ces publications communes sont souvent le fruit de collaborations de terrain, que l’on aura l’occasion d’évoquer ultérieurement, telles celles de Panskoe I en Crimée, de la péninsule de Taman’ dans les piémonts du Caucase ou de Tanaïs dans le delta du Don.

Pourtant, les spécificités idéologiques de la période soviétique ont pu aussi engendrer des barrières géographiques, qui n’ont pas peu contribué à façonner l’idée même d’un Pont septentrional (fig. 1 et 2), dont on a parfois l’impression qu’il doit son existence d’abord à la géopolitique contemporaine20 et à l’unité linguistique21 liant, à l’époque des Républiques, les territoires intégrés à cet État multinational. La commodité de ce découpage est assurément l’une des raisons qui ont présidé ici, à l’origine du moins, au choix de la zone d’étude, d’Olbia à Tanaïs. Celle-ci comprend les territoires situés autour d’Olbia à l’embouchure du Bug et dans l’estuaire du Dniepr, de Chersonèse taurique en Crimée et du royaume du Bosphore cimmérien de part et d’autre du détroit de Kerch, l’ancienne Panticapée, à quoi il convient d’ajouter Tanaïs, dans le delta du Don au nord-est. Mais l’on doit s’interroger sur la pertinence antique de l’espace considéré et sur son éventuelle unité. Rostovcev22 lui en accordait une, au sein d’une zone pontique partagée en six régions depuis l’Hellespont, dont le principe directeur était la participation de chacune “à l’organisation et à la réglementation du commerce”. Mais peut-être est-ce plutôt Brashinskij23 qui a raison, lorsqu’il en distingue huit au sein desquelles les trois grands États du Pont Nord sont disjoints, en fondant son raisonnement là encore sur des critères économiques. Plus récemment, on a pu formuler l’hypothèse d’une koinè nord-pontique dans un sens beaucoup plus intégrateur, sur des critères non seulement géographiques ou économiques, mais aussi culturels24. On voit que cette unité n’apparaît en aucun cas comme donnée d’avance et dépend probablement du thème traité et de la perspective adoptée. N’est- elle pas, pour l’époque antique, d’abord le résultat, extérieur aux États eux-mêmes, d’un contact permanent avec les peuples nomades, en particulier ceux qu’Hérodote nomme les Scythes, puisque les rivages du nord de la mer Noire constituent ce point extrême de l’espace grec où le monde méditerranéen touche, au moins dans la partie occidentale de celle-ci, à la grande steppe eurasiatique (fig. 3) ? À moins que cette unité ne soit surtout le fruit d’un regard égéen, qui s’appliqua très tôt non seulement au Pont Nord, mais à la mer Noire en général. L’inconnu commence aux portes de Byzance, écrit Polybe25, et Mitchell26 a très bien rappelé comment l’étranger venu du Pont, le Pontique, était né dans la comédie attique des ive et iiie s. a.C. Vinogradov27 est allé plus loin et a voulu voir dans les témoignages épigraphiques de l’ensemble du Pont aux époques classique et hellénistique le signe de relations purement internes à cet espace, construisant ainsi le modèle d’un espace fermé et self-contained28 : comme il l’écrit lui-même, “so steht der Pontos (…) als ein makrokosmisches Modell der mikrokosmischen autarken Polis vor uns”. La vision de Vinogradov est bien celle de l’autarcie, dans sa version finleyienne. Elle est également sous-tendue par l’idée que l’histoire politique, la grande histoire, ne fit qu’effleurer le Pont (et surtout le Pont Nord), semble-t-il, jusqu’à Mithridate VI, le premier à lui conférer une véritable cohésion territoriale, au-delà de son évidente unité géographique. La mer Noire septentrionale ne fut, en effet, sous la domination directe

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lbia à Tanaïs Fig. 3. La steppe eurasiatique et la distribution des cultures nomades (d'après Lebedynsky 2001, 6).

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Introduction ni de l’empire perse29, ni d’aucune monarchie hellénistique, même si plusieurs grandes expéditions navales pénétrèrent dans le Pont, comme celle de Périclès dans les années 430 a.C. et celles de Ptolémée II Philadelphe, lorsqu’il vint en aide à Sinope vers 275-270 a.C. ou en 255/4 a.C., au moment du conflit avec Antiochos II à propos de la Thrace et de Byzance30. Faut-il, pour autant, considérer cette région comme une entité repliée sur elle-même aux époques classique et hellénistique ? Rien n’est moins sûr, à condition naturellement de ne pas souscrire à l’idée que seules la guerre et la diplomatie sont génératrices de contacts.

L’objectif essentiel du présent ouvrage est donc, pour ainsi dire, de prendre le contre-pied de cette idée et de montrer que le Pont Nord, si éloigné soit-il d’un centre égéen supposé, n’en demeure pas moins un monde ouvert, non point replié sur lui-même dans les marges, mais dynamique et en interaction constante non seulement avec son hinterland, mais aussi les autres cités pontiques et, au-delà, le monde méditerranéen. Cette ouverture se veut synonyme de mouvement et non de perte d’identité : des travaux récents ont, du reste, montré la construction et la perpétuation de cette identité à travers les acteurs et les faits culturels31, où le mouvement des hommes et des idées joue un rôle essentiel. C’est dire à quel point je m’inscris ici dans un certain état contemporain de la réflexion sur l’économie et la société du monde grec, de l’École de Bordeaux32 à celle de Liverpool33, pour reprendre une terminologie désormais consacrée. Le point de départ de l’ouvrage fut ainsi l’une des questions posées par Bresson34 dans le colloque tenu à Bordeaux en 2002 sur le Pont Nord : celle de savoir si l’on pouvait établir un rapport entre la production de grain dans le Bosphore cimmérien et la demande égéenne, athénienne en particulier, autrement dit si l’on pouvait mettre au jour un mécanisme où l’offre des uns répondait à la demande des autres. L’auteur apportait, comme on s’y attend, une réponse positive, mais il restait à s’interroger sur les conditions locales de cette production, ce qui explique le point de vue du présent travail : résolument pontique et non l’inverse, tout comme sur les cartes de l’époque soviétique le plus grand État du monde occupait le centre aux dépens des États-Unis et du reste de l’Asie, devenus des écrasements marginaux.

À tous égards, on pourrait penser qu’il s’agit, d’une certaine façon, de revenir à Rostovcev, à un moment où l’historiographie occidentale s’interroge sur la manière de dépasser (ou non) le monument de la SEHHW, pour réécrire une histoire des économies hellénistiques35. Au même moment (est-ce un hasard ?), l’historiographie russe est elle-même saisie, pour des raisons qui lui sont propres, d’un désir de retour aux sources et d’une fièvre de réhabilitation nationale du grand historien, qu’elle souhaite pour ainsi dire se réapproprier, après une disgrâce profonde quoique fluctuante36 : en témoignent la publication posthume d’abord en russe dans le VDI en 1989 et 1990, puis en allemand37, du deuxième tome de Skythien und der Bosporus, dont le manuscrit inédit fut redécouvert en 198638, ou encore l’ouvrage de Bongard-Levin, Skifskij roman [Un roman scythe], en 1997, biographie de Rostovcev où l’auteur explique39 le rôle crucial joué dans ce processus par les historiens de l’Institut d’histoire universelle. Rostovcev ne peut, de toute évidence, pas quitter le champ d’une étude sur le Pont Nord, région à laquelle il consacra une bonne partie de son temps avant son exil en 1918, mais aussi après, même si l’impossible accès aux sources archéologiques rendit ce travail très difficile, comme il l’explique dans la préface de son ouvrage, Iranians and Greeks40. Il écrivit, encore, en 1930 et 1932, les deux articles de la Cambridge Ancient History41 consacrés au royaume du Bosphore et à la conquête du Pont Nord par Mithridate et l’on retrouve, enfin, l’évocation de cette région dans les chapitres pertinents de l’Histoire économique et sociale du monde hellénistique. Pourtant, ce retour sur n’est pas un retour à Rostovcev, pour différentes raisons dont la première est que les positions de l’auteur sur la question des contacts culturels et de l’ethnicité, essentielle lorsque l’on évoque le nord de la mer Noire, sont tout à la fois extrêmes et largement dépassées : le Rostovcev russe partait de l’idée que la Russie méridionale n’était pas une “province” du monde grec, malgré la présence des colonies, mais l’extrémité occidentale de la steppe, bref une vision très asiatique du Pont Nord42 ; perspective à laquelle il substitua progressivement la vision d’un monde où les Grecs avaient triomphé des barbares43, fortement influencée par son exil occidental44. On verra comment ces questions d’acculturation réciproque doivent être envisagées aujourd’hui sous l’angle de la construction sociale de l’identité et d’une hybridité originelle, qui conduisent à une nécessaire “désethnicisation” de l’interprétation des sources, en particulier des artefacts.

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lbia à Tanaïs

Au-delà de la problématique fondamentale de l’ouverture du Pont Nord, la présente étude croise deux autres perspectives essentielles, puisqu’il s’agit d’espace et de mouvement : les analyses consacrées depuis trois décennies aux territoires et au développement spatial des cités grecques45 et celles qui concernent les migrations et la mobilité des populations46, qui amènent à l’analyse des réseaux. Pour ainsi dire, les territoires constituent l’axe de l’étude et le mouvement des hommes et des biens insuffle à celui-ci une dynamique, qui permettra, je l’espère, d’illustrer cette ouverture.

L’une des origines de ce travail réside à cet égard dans le fait que les chôrai des cités grecques occupèrent une place précoce et notoire dans l’historiographie soviétique et qu’il était aisé de bâtir sur ce middle ground 47, entendu comme terrain d’entente intellectuelle. Les travaux sur l’économie rurale (sel’skoe khozjajstvo) constituèrent rapidement en URSS l’un des thèmes majeurs d’étude, ce qui s’explique aisément par la nécessité, dans la perspective du matérialisme historique, d’analyser les fondements économiques des rapports sociaux.

Et dans l’application de cette problématique aux colonies grecques du Pont Nord, les archéologues jouèrent un rôle essentiel : dès les années 1920 et 1930, l’Institut d’histoire de la culture matérielle de Léningrad entreprit la recension des monuments agraires de Chersonèse, dans la presqu’île d’Héraclée. Mais c’est le milieu du xxe s.48 qui marque le véritable emballement pour ce type d’études. Ainsi, dans les années 1950, sous la férule de Blavatskij, fondateur de l’Institut archéologique de Moscou, se mit en place un programme de recherches sur les territoires ruraux des colonies grecques dans la péninsule de Taman’, dont la teneur ne ferait rougir aucun des “précurseurs” occidentaux des années 1970 en Grèce. On trouve en 1953, dans le premier rapport de fouilles de Shelov, membre de la mission archéologique de la Sindikè, la phrase suivante : “jusqu’à maintenant dans le Bosphore, n’ont pratiquement été étudiés que les centres archéologiques de type urbain, tandis que les établissements ruraux, dont le nombre doit être très élevé, non seulement n’ont pas été fouillés, mais pas même identifiés”. Par comparaison, les études de territoires de cités grecques en Italie du Sud et en Sicile ne sont pas antérieures au début des années 1960 et, de ce côté-ci du rideau de fer, elles ne connurent de développement important qu’à partir des années 1970, la pierre angulaire étant ici le septième colloque de Tarente en 196749. En Russie, l’intérêt pour les territoires des cités ne s’est, depuis ce moment, jamais démenti, les archéologues moscovites en particulier ayant conservé et conservant encore des liens intellectuels profonds avec le marxisme, et a connu, au contraire, une expansion spectaculaire au moment de l’ouverture des frontières, époque à laquelle l’étude des territoires atteignait son apogée dans l’archéologie occidentale du monde grec.

Le second élément d’un possible middle ground fut, à mes yeux, la sensibilité russe au traitement global des sources, que le présent ouvrage partage en tous points. Certes, on peut en Russie se spécialiser en archéologie ou en épigraphie et Ju. G. Vinogradov est certainement le meilleur exemple de cette dernière “science auxiliaire”, mais jamais on ne perd de vue les autres types de données, ce qui s’inscrit dans une longue tradition académique prérévolutionnaire de publication méthodique des documents. C’est la raison pour laquelle l’historien du Pont Nord dispose d’une palette en la matière que lui enviera aisément celui qui travaille sur la Grèce propre et qui sera déroulée au fur et à mesure des chapitres. Ce sont non seulement les inscriptions, mais aussi les timbres amphoriques et les monnaies qui ont fait l’objet de corpus, périodiquement actualisés. Toutes les cités et tous les États de la région ont été fouillés et prospectés, quoique à des degrés divers bien sûr. Parfois et paradoxalement, c’est même l’apparition précoce de certains types de données qui les rend aujourd’hui difficiles à interpréter, car leur collecte n’était pas encore soumise à toute la rigueur jugée désormais indispensable ou la chronologie encore trop mal établie : ainsi en va-t-il des travaux de Strzheleckij sur les klèroi de Chersonèse, qui furent publiés dès 1961, ou des classements locaux des timbres amphoriques, par ex. rhodiens, dont la chronologie est aujourd’hui remise en cause par certains travaux occidentaux, comme ceux de Finkielsztejn. On regrettera également, dans le domaine numismatique, le manque d’études de coins. Mais, cette constante attention prêtée à la publication de la documentation a abouti, au fil des ans et bien au-delà de la question idéologique, à une accumulation considérable de données nouvelles, qui ont largement contribué à modifier notre connaissance globale des territoires du Pont Nord. Le second objectif de cette étude est donc d’offrir, autant que faire se peut compte tenu de la surabondance bibliographique, une synthèse de ces sources récemment mises au jour ainsi que des travaux actuels.

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Introduction Il ne s’agit pas pour autant d’embrasser la totalité de la période dite grecque (viie-ier s. a.C.). L’époque la moins mal connue des lecteurs occidentaux est certainement celle de la colonisation des viie et vie s. a.C., pour laquelle la notion d’ouverture n’est pas récusée et où le Pont Nord est inclus sur les cartes du monde grec comme l’une des multiples directions prises par les fondateurs des futures cités. La situation est bien différente à partir du ve s., sans doute à cause de l’affirmation d’un certain nombre de particularismes, dont le moindre n’est pas la mise en place, en particulier à l’époque des Spartocides, de l’État du Bosphore, bien difficile à classer parmi les formations politiques connues ailleurs. L’étude commence donc dans le dernier tiers du ve s. et met en évidence une temporalité propre à la région pendant plus de trois siècles, pour s’achever avec la mort de Mithridate en 63 a.C. et l’inclusion de la région dans le royaume du Pont : on ne s’interdit pas pour autant quelques indispensables retours en arrière, en particulier lorsque certains processus archaïques trouvent un prolongement classique50 ou lorsque une problématique spécifique appliquée à l’époque de la colonisation se trouve perpétuée dans les mêmes termes par les historiens à propos des époques ultérieures, telle celle des contacts entre Grecs et populations locales, même si elle se pose alors très différemment.

Pour résumer, l’ouvrage présente : – un point de vue : ex Ponto

– un contenu : les territoires des États nord-pontiques

– une perspective, objet de la démonstration : l’ouverture de la région, qui se décline en plusieurs questions, apparentées les unes aux autres : le Pont Nord se réduit-il à une périphérie productive par rapport à un centre consommateur ? Cette perspective est-elle opératoire ou obsolète ? Le Pont Nord prend-il place dans un système global d’échange des biens et/ou construit-il aussi ses propres circuits ? Comment le Pont Nord s’inscrit-il dans le mouvement des hommes en Méditerranée et comment y appréhender les contacts avec l’environnement proche (les “indigènes”) et plus lointain (le monde égéen) ? Finalement, le Pont Nord présente-t-il une unité et/

ou une identité ? La question est-elle pertinente ou doit-on la poser autrement ?

Pour répondre à ces questions, trois grands axes structurent cet ouvrage, qui sont autant d’esquisses, ocherki disent les Russes, et de variations sur le thème central des territoires. Celui-ci non seulement présente l’intérêt d’être une catégorie pertinente pour les Grecs eux-mêmes, mais permet d’éviter l’ornière classique d’une rebutante déclinaison en domaines successifs (diplomatie, institutions, économie, archéologie etc.). Il conduit également à ne pas se laisser enfermer dans le modèle de la cité, qui est loin d’être la seule forme étatique et l’horizon d’attente unique des Grecs du Pont septentrional. La première partie (chap. 1, 2 et 3) est une narration, car l’histoire est d’abord un récit, et elle s’attache à montrer, en même temps que le développement territorial progressif de ces États phagocytes d’espace, les représentations et les perceptions qu’il engendre. La deuxième partie (chap. 4, 5 et 6) présente les modalités et l’évolution de l’organisation de ces territoires, afin de dégager les moments-clés de leur expansion et les efforts éventuels de rationalisation dans leur aménagement.

On y mobilise la cliométrie, sans crainte des chiffres et en considérant le refus de la quantification en histoire ancienne comme une impasse méthodologique : il ne s’agit pas naturellement de croire à l’absolu des chiffres proposés (rendement, production, population, consommation, exportation…), mais de suggérer des ordres de grandeur suffisamment plausibles pour permettre des comparaisons qu’on espère utiles dans le temps et dans l’espace. Enfin, la troisième partie (chap. 7 et 8) propose, en articulant différentes échelles, un certain nombre de considérations sur l’interaction et les échanges de ces territoires avec leurs hinterlands, mais aussi le reste du monde pontique et, au-delà les mondes thrace et méditerranéen : au cœur de la réflexion se trouve, cette fois, la notion de réseaux, ces networks où se tissent des liens si complexes en termes humains et géographiques qu’ils permettent sans doute de dépasser le modèle classique “centre-périphérie”51, au sein duquel le Pont Nord, point extrême de l’espace grec, n’occupe pas nécessairement la place la plus gratifiante. Il ne s’agit en rien d’une histoire totale qui épuiserait la matière, et bien des points, voire des références, paraîtront absents au lecteur averti : c’est le résultat d’un choix délibéré qui lui-même n’est pas clos et appelle, espère-t-on, une suite.

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I - Territoires et conquêtes dans le Pont Nord du dernier tiers du ve s. au début du iiie s. a.C.

Le Bosphore cimmérien

Les cités grecques installées sur les deux rives du Bosphore cimmérien (fig. 4), l’actuel détroit de Kerch, commencèrent leur existence à l’époque archaïque comme toutes les colonies du pourtour méditerranéen, au contact de populations locales plus ou moins présentes, mobiles et menaçantes : les plus importantes de ces poleis étaient, du côté européen, en Crimée orientale, Panticapée, Nymphaion et Théodosia et, du côté asiatique, dans la péninsule de Taman’, Phanagorie, Hermonassa et Gorgippia. Mais la grande originalité de la région fut la formation au ve s. a.C. d’un royaume autour de la plus grande d’entre elles, Panticapée (act. Kerch)1, qui avait elle-même été fondée c. 575 a.C. par des Milésiens, ce dont témoignent Strabon (7.4.4) comme l’archéologie.

La ville appelée à devenir capitale s’était installée sur une terrasse inférieure située en bord de mer, mais aussi et surtout sur les pentes et au sommet du mont Mithridate, qui ont fait l’objet de fouilles intensives : celles-ci ont révélé, outre la présence d’un site local antérieur, une architecture de pierre publique et sacrée dès l’époque archaïque, des fortifications érigées au début du ve s. ainsi que des restes de résidence royale dès le deuxième tiers du ve s. a.C.

Ce royaume fut placé sous la souveraineté d’abord d’une dynastie dite des Arkhéanaktides à partir de 480 a.C., puis de la dynastie spartocide, à partir de 438 a.C., qui devait rester au pouvoir jusqu’à la dernière décennie du iie s. a.C., c’est-à-dire jusqu’à l’annexion du royaume par Mithridate VI. À la fin du ive s., le royaume du

Fig. 4. Le Bosphore cimmérien. Carte générale (Müller 2004-2005, 1713).

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lbia à Tanaïs

Bosphore englobait une trentaine de villes, petites et grandes, sur une superficie d’env. 5000 km2, soit une vaste région allant d’ouest en est de la Crimée jusqu’au fleuve Kuban’ : il avait également étendu sa zone d’influence des premiers contreforts du Caucase au sud jusqu’au delta du Don au nord. C’est cette construction territoriale de plus d’un siècle, avec ses étapes et la nature des processus engagés, qui nous intéressera dans ce chapitre initial.

Des Arkhéanaktides aux Spartocides

La dynastie des Arkhéanaktides2, dont on ne sait quasiment rien, est mentionnée uniquement chez Diodore (12.31.1), qui la présente comme une tyrannie. Autour d’elle se serait progressivement constituée une union de cités bosporanes, dont la composition et la nature nous échappent. On date de cette période (2e et 3e quarts du ve s.) plusieurs séries de monnaies frappées à Panticapée et portant la légende

APOL (fig.  5). Cette frappe a d’abord été interprétée comme celle d’une cité portant le nom d’Apollonia, qui aurait éventuellement précédé Panticapée3 ou même Phanagorie, selon une hypothèse ancienne récemment réactualisée4. Cette solution civique est sans doute la moins déraisonnable de toutes, mais, selon l’opinion la plus répandue dans l’historiographie russophone actuelle, une telle légende renverrait plutôt à une union placée sous l’égide d’Apollon, “symmachie et amphictionie religieuse identifiée à l’État des Arkhéanaktides”5. Cette hypothèse a été battue en brèche récemment par Vasil’ev6 qui souligne l’absence de parallèles pour une frappe de ce type parmi les unions ou symmachies religieuses des époques archaïque et classique : à cet argument Frolova7 rétorque en invoquant, à tort, la frappe de telles monnaies par le sanctuaire d’Apollon à Didymes, dont Robert8 a pourtant montré qu’elles n’avaient jamais existé. De son côté, Saprykin9, s’il

conserve malheureusement l’idée d’une frappe “sacerdotale”, refuse de l’attribuer à une symmachie quelconque, jugée “mythique”, et y voit plutôt une émission destinée au “financement d’un temple, à la reconstruction de l’acropole et des murs de la ville” ou aux cérémonies religieuses. Il considère, au-delà des monnaies, qu’il n’existe aujourd’hui aucune preuve de l’existence d’une telle union “fédérale” autour de Panticapée10, en réponse à une hypothétique agression scythe. On devrait simplement parler d’un renforcement de l’État des Arkhéanaktides, même si les découvertes archéologiques récentes montrent que l’acropole de Panticapée subit des destructions importantes dans les années 490-460 a.C.11

En réalité, c’est seulement avec les Spartocides12, dont le premier est Spartokos I, fondateur de la dynastie en 438 a.C., que commença véritablement la formation de l’État du Bosphore. Toutes les hypothèses ou presque ont été faites sur l’ampleur de ses possessions dans le dernier tiers du ve s.13, mais il est de fait que nous ne possédons d’informations réellement pertinentes que pour un petit nombre de cités ou de régions, auxquelles l’exposé sera ici limité pour éviter le déroulé d’hypothèses infondées : à savoir Nymphaion, Phanagorie, Théodosia, la Sindikè et Gorgippia, et enfin Tanaïs dans le delta du Don.

L’intégration de Nymphaion

L’histoire du rattachement de Nymphaion, colonie sans doute milésienne fondée dans les années 560 a.C.14, au royaume du Bosphore, commence par une trahison célèbre : celle de Gylon, grand-père de Démosthène, sur laquelle nous aurons l’occasion de revenir à propos des rapports entre Athènes et les rois du Bosphore15. Eschine affirme en effet que ce Gylon, qui occupait peut-être la fonction de commandant de la garnison athénienne, livra Nymphaion aux ennemis, autrement dit aux Spartocides, alors qu’elle faisait partie de la ligne de Délos et, condamné à mort, se réfugia dans le Bosphore (cimmérien) où les tyrans locaux lui firent cadeau de la localité appelée Kèpoi. Nous n’avons aucun moyen de juger de la réalité de cette trahison, si ce n’est que, quel qu’ait pu être le déroulement exact des événements, Nymphaion et son excellent port16 passèrent bien aux mains des Spartocides dans la dernière décennie du ve s. Peut-on préciser la date de cette première “conquête” ? Le

Fig. 5. Bosphore. Diobole d’argent. Dr. tête de lion ; rev. carré incus portant l’inscription APOL (d’après

MacDonald 2005, n°21/1).

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