• Aucun résultat trouvé

Aujourd'hui, Juliette, nous allons nous intéresser à une découverte faite il y a presque 30 ans, mais qui a explosé ces 5 dernières années : la...

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Aujourd'hui, Juliette, nous allons nous intéresser à une découverte faite il y a presque 30 ans, mais qui a explosé ces 5 dernières années : la..."

Copied!
4
0
0

Texte intégral

(1)

Correspondances en Onco-Hématologie - Vol. XIII - n° 3 - mai-juin 2018 131

R a c o n t é a J u l i e t t e

Les ciseaux génomiques

M.C. Béné*

* Laboratoire d’hématologie, CHU de Nantes.

Aujourd’hui, Juliette, nous allons nous intéresser à une découverte faite il y a presque 30 ans, mais qui a explosé ces 5 dernières années : la recomposition du génome par des outils baptisés “ciseaux génomiques”, ou, de façon peut-être plus sybilline “CRISPR- Cas9”. De quoi s’agit-il ? D’une étonnante histoire, Juliette, qui va d’abord nous emmener dans le monde étrange de l’immunité des bactéries. Oui, oui, tu as bien lu !

Tout commence en 1989, quand un jeune espagnol de 26 ans, Francisco Mojica, s’engage dans sa thèse. Il vient de Santa Pola, une petite ville espagnole proche d’Alicante, dont les marécages ont été transformés en marais salants.

Dans cet écosystème fortement salin, certaines bactéries se sont adaptées, et son patron lui propose de chercher comment cela s’est fait, en étudiant pour commencer Haloferax mediter- ranei. Une des hypothèses de travail est que les enzymes de restriction qui découpent l’ADN fonctionnent diffé- remment en fonction du niveau de salinité. Le jeune chercheur entre- prend donc d’isoler et de séquencer les fragments générés par l’enzyme Pst1. Il observe alors de curieuses séquences répétitives, qu’il pense asso- ciées à l’adaptation halophile des bacté- ries. Pendant 10 ans, intrigué par ces séquences, il les recherche, les trouve dans d’autres bactéries et les appelle Short Regularly Spaced Repeats (SRSR, soit, en français, courtes séquences répé- titives espacées régulièrement). En 2005, il a testé 67 souches de 36 genres de procaryotes dans lesquelles il a trouvé 88 séquences “étrangères”. Ces séquences sont rebaptisées CRISPR (Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats, “courtes séquences répétitives palindromiques regroupées et

espacées régulièrement”). L’organisation de ces structures est effectivement très régulière, comportant une alternance de spacers très variés et de repeats identiques, chaque fragment ayant une taille similaire de 20 à 50 paires de bases. Mojica publie alors l’hypothèse que ces spacers proviennent de l’ADN de phages1, de plasmides ou de virus.

Il observe aussi que lorsqu’un tel spacer a été identifié, la bactérie qui contient le CRISPR correspondant ne peut pas être infectée par le micro-organisme dont l’ADN contient ce spacer.

En parallèle et en pleine menace de guerre microbiologique, le pastorien Gilles Vergnaud, mandaté par le minis- tère de la Défense, travaille sur Yersinia pestis. Lui et sa collègue Christine Pourcel regardent avec attention les CRISPR de ces bactéries et publient, en 2005 également, le constat que si les repeats sont toujours les mêmes, les spacers sont très variés. Lorsque les séquences sont presque similaires entre 2 souches, le nouveau spacer qui les différencie est toujours le premier (en 5’), juste après une série de gènes associés aux CRISPR. Pour cette raison, ces gènes, et les protéines qu’ils codent, ont été baptisés CAS : CRISPR-associated.

Lorsqu’un sujet émerge, Juliette, il y a toujours plusieurs équipes, ne se connaissant pas forcément, qui travaillent en parallèle. Il y a donc un troisième larron dans l’histoire, et toujours en 2005, Alexander Bolotin, un microbiologiste émigré russe qui travaille au ministère de l’Agricul-

1 Les phages ou bactériophages sont des virus n’infectant que des bactéries. Ils possèdent une capside (tête) et une “queue garnie de spicules” leur permettant de se poser sur les bactéries dans lesquelles ils injectent leur acide nucléique.

(2)

Correspondances en Onco-Hématologie - Vol. XIII - n° 3 - mai-juin 2018 132

R a c o n t é a J u l i e t t e

ture à Paris. Il publie ses travaux sur 24 souches de Streptococcus ther- mophilus et Streptococcus vestibularis, confirme l’origine extra-chromoso- mique des spacers et émet l’hypothèse qu’ils sont “la trace d’invasions passées”.

Après encore quelques années de travaux, cette étonnante immunité adaptative des bactéries est élucidée.

Sois attentive, Juliette, tu vas voir que c’est fantastique (figure). Imagine une bactérie sur laquelle se pose un phage à ADN. L’ADN arrive dans la bactérie et une partie en est prise en charge par Cas1 et Cas3 qui repèrent sur cet ADN des motifs particuliers appelés Protospacer Adjacent Motif (PAM, “motifs adjacents au protospacer”). Ce complexe à acti- vité nucléase découpe alors une région de 40 à 50 paires de bases (le spacer) et vient l’insérer en 5’ de CRISPR.

CRISPR est donc un segment d’ADN de la bactérie composé de spacers d’ori- gines diverses séparés par des repeats

de la même taille. Dans notre exemple, ce segment vient de garder un souvenir du passage du bactériophage. C’est cette fameuse “trace” évoquée par Bolotin, en quelque sorte la mémoire immunitaire de la bactérie. Et une mémoire formi- dable, quand l’aventure continue. Les pionniers de CRISPR, avec leurs jolies séquences, n’avaient pas réussi à modé- liser le type de protéines qui pouvaient bien être codées par ces drôles de segments. Et pour cause, car CRISPR est bien transcrit en ARN, mais cela s’arrête là. Un long CRISPR-ARN (crRNA pour les anglophones et crARN pour les francophones) est synthétisé, puis découpé entre chaque repeat en gardant de chaque côté une partie de cette séquence palindromique qui permettra de former le crARN mature. La bactérie dispose ainsi d’une multitude de petits ARN spécifiques de séquences de tous les micro-organismes dont elle a gardé la trace. Protégés dans un système appelé

“cascade”, ils cherchent d’abord, lors

Figure.

1. Pénétration d’un nouveau phage.

2. “Découpage” du protospacer par Cas1 et Cas3.

3. Insertion du nouveau spacer dans le complexe CRISPR de la bactérie.

4. Transcription de CRISPR en ARN (pré-crARN).

5. Maturation des crARN.

6. Nouvelle infection : inactivation du phage par coupure de ses 2 brins d’ARN par le complexe tracrARN/Cas9.

2

6

3

4

5 1

ADN du phage

ADN du phage

Nouvelle infection Complexe tracrARN

guidage de la Cas9

Complexe CRISPR

Complexe Cas1 Cas3 Cas9

Inactivation du phage

Spacers

Repeats Protospacer

pré-crARN

Maturation Transcription

crARN Gènes Cas

Insertion d’un nouveau spacer

“immunisation”

PAM

PAM

(3)

Correspondances en Onco-Hématologie - Vol. XIII - n° 3 - mai-juin 2018 133

Les ciseaux génomiques

d’une infection ultérieure, un PAM qui leur corresponde. Ils recrutent alors un autre ARN (tracrRNA pour trans-activa- ting CRISPR RNA, et tracrARN en fran- çais) et surtout Cas9. Ces 2 ARN servent ainsi de guide et permettent à l’en- donucléase Cas9 de couper les 2 brins de l’ADN étranger, inactivant alors les propriétés infectieuses du phage, du virus ou du plasmide concerné. C’est un mécanisme très puissant, comme en témoigne le fait que les études de transcriptome microbien ont montré que les tracrARN sont les troisièmes ARN les plus abondants des bactéries.

C’est la pastorienne Emmanuelle Charpentier, et un autre microbiologiste, Jörg Vogel, qui ont mis en évidence que les tracrARN sont parfaitement complé- mentaires des repeats de CRISPR et donc indispensables à la maturation des crARN et à l’activation de Cas9.

Tu vois, Juliette, que Cas9 est bien un

“ciseau génomique”, dont les propriétés et le fonctionnement ont été élucidés seulement dans la deuxième décennie du XXIe siècle, quasiment ce matin.

Trois auteurs ont largement contribué à l’engouement pour ce système en démontrant son fonctionnement in vitro. Virginijus Siksnys, Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna, montrèrent en effet que Cas9 était capable de couper de l’ADN purifié in vitro et qu’elle pouvait être programmée avec des crRNA spécifiquement dessinés (custom-designed). Ils ont aussi démontré que Cas9 possède bien 2 domaines à activité nucléase coupant chacun 1 des 2 brins de l’ADN cible et qu’à la fois un crARN et un tracrARN étaient nécessaires au fonctionnement de Cas9. Les 2 chercheuses avaient aussi établi que ces 2 ARN pouvaient être fusionnés en un seul ARN “guide”

(single-guide RNA [sgRNA et sgARN en français]). Ce concept de sgARN, après des modifications par d’autres cher- cheurs, allait s’avérer clé dans la suite de l’histoire.

Car, l’aventure, Juliette, même si elle est déjà très jolie, ne s’arrête pas là.

Évidemment, l’idée d’“immuniser” des bactéries par ce système fait rêver, notamment dans l’agroalimentaire.

Mais surtout, depuis les années 1970, on essayait de manipuler le génome des mammifères et 2 techniques avaient été élaborées et testées avec un bonheur variable : les nucléases à doigt de zinc et les transcription-activating proteins (TALES, pour Transcription Activating Like Effectors, “protéines activatrices de la transcription”). Les 2 techniques sont complexes à mettre en œuvre et la découverte du système CRISPR parut très alléchante, si (et c’était un gros si) on pouvait le faire fonctionner dans des cellules eucaryotes.

C’est à Feng Zhang, un jeune Chinois de Shijiazhuang, arrivé à Des Moines à l’âge de 11 ans, que revient le rôle de pionnier. Devenu neurobiologiste, il avait déjà proposé des modifica- tions intéressantes des techniques de manipulation du génome, mais restait insatisfait. À la suite d’une conférence entendue en février 2011, il se mit au travail et, mi-2 012, il avait développé une combinaison de Cas9 de S. pyogenes ou de S. thermophilus, un tracrARN et un CRISPR ciblant 16 sites dans les génomes de la souris et de l’homme.

Son système coupait parfaitement l’ADN au site voulu. En utilisant des molécules de réparation, il devenait possible de déléter certains gènes en reconstituant l’ADN. En modifiant l’activité catalytique de Cas9 et en associant des matrices, on pouvait “réparer” des mutations, en remplaçant le nucléotide anormal, voire insérer de nouveaux gènes. Bref, plutôt que de rendre l’ADN de l’envahisseur inactif comme le font les bactéries, il utilisait ses outils pour modifier un ADN restant fonctionnel. L’une des voies possibles était, par exemple, de remplacer un gène défectueux par le

“bon” gène. En janvier 2013, il publiait dans Science le papier le plus cité à ce jour dans ce domaine, et distribuait

(4)

Correspondances en Onco-Hématologie - Vol. XIII - n° 3 - mai-juin 2018 134

R a c o n t é a J u l i e t t e

ses réactifs, par le biais de l’organi- sation non gouvernementale Addgene, en réponse à plus de 25 000 demandes les 3 années suivantes. La folie CRISPR Cas9 allait devenir virale, une multi- tude de travaux montrant son effi- cacité dans des modèles de levures, nématodes, drosophiles, poisson-zèbre, souris et singes. Au laboratoire, cet outil rapide est sans prix pour étudier le rôle répresseur ou amplificateur de transcription de gènes spécifiques, visualiser la localisation des gènes en ajoutant un fluorochrome au système, purifier un locus et les protéines qui y sont associées, inactiver certaines régions. Plus controversées, des appli- cations potentielles en thérapie humaine et dans l’agriculture ont fait l’objet de farouches débats éthiques et d’une bataille inachevée sur la propriété intel- lectuelle et les brevets.

La lecture de certains articles prédisant que la science-fiction est passée dans la réalité font un peu froid dans le dos.

Je te livre en exemple cette liste à la Prévert adaptée d’une colonne parue en janvier 2018 dans la presse : “Le génie génétique et la thérapie génique pour- raient permettre aux gens d’être moins

stressés, moins dépressifs, moins prompts à la colère (référence au marché des antidépresseurs). On pourrait aller plus loin en ralentissant le vieillissement, en augmentant l’intelligence, en rendant les travailleurs plus performants, en augmentant la force physique. Sans parler des améliorations esthétiques, les parents, voire les adultes, pourraient choisir/changer leur corps, leur taille, la couleur de leurs yeux, leur chevelure ou les traits de leur visage”. On n’est pas loin de l’eugénisme, sans parler des conséquences à long terme de ce jeu potentiellement dangereux avec les ciseaux moléculaires.

Du bon côté des choses, scientifiques de surcroît, laisse-moi t’annoncer une bonne nouvelle. En janvier 2 018, Rodolphe Barrangou, impliqué avec ses collègues Philippe Horvath et Sylvain Moineau dans la découverte de l’im- munité adaptative des bactéries, vient de lancer The CRISPR Journal, un vrai journal peer-reviewed (dont les articles sont jugés par des pairs) chez Mary Ann Liebert. Preuve s’il en fallait, Juliette, que le sujet passionne et qu’il est entré dans la grande cour ! Tu te doutes bien que c’est une histoire à suivre !

M.C. Béné déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.

AVIS AUX LECTEURS

Les revues Edimark sont publiées en toute indépendance et sous l’unique et entière responsabilité du directeur de la publication et du rédacteur en chef. Le comité de rédaction est composé d’une dizaine de praticiens (chercheurs, hospitaliers, universitaires et libéraux), installés partout en France, qui représentent, dans leur diversité (lieu et mode d’exercice, domaine de prédilection, âge, etc.), la pluralité de la discipline. L’équipe se réunit 2 ou 3 fois par an pour débattre des sujets et des auteurs à publier.

La qualité des textes est garantie par la sollicitation systématique d’une relecture scientifique en double aveugle, l’implication d’un service de rédaction-révision in situ et la validation des épreuves par les auteurs et les rédacteurs en chef.

Notre publication répond aux critères d’exigence de la presse :

· accréditation par la CPPAP (Commission paritaire des publications et agences de presse) réservée aux revues sur abonnement,

· adhésion au SPEPS (Syndicat de la presse et de l’édition des professions de santé),

· indexation dans la base de données internationale ICMJE (International Committee of Medical Journal Editors),

· déclaration publique des liens d’intérêts demandée à nos auteurs,

· identification claire et transparente des espaces publicitaires et des publirédactionnels en marge des articles scientifiques.

Références

Documents relatifs

Recherche : dessine ²un ²thermomètre ²en ²essayant ²de nommer ²le$ ²partie$... Recherche : n dessine ²un ²thermomètre ²en ²essayant ²de nommer

Feb 03, 2022 · PRÉSENTATION DU PRIX DE LANGEAIS Le Tiercé Quarté Quinté+ du jeudi 3 février 2022 se disputera dans le temple du trot de Paris Vincennes.C'est le Prix de

Les derniers instants de la rencon- tre ont permis aux joueurs de Mouassa de tenter de revenir au score, mais pas aussi dangereux que lors du premier half, ils ont fait de leur

« On ne force pas les professeurs ou les départements à passer à la formation en ligne [...] mais, de temps en temps, on leur rappelle que s'ils veulent se faire connaître,

La seconde particularité du modèle est de résumer la forme d'une courbe particulière par la valeur d'un seul paramètre (paramétre m) ; au lieu de deux états

En 1923, par analogie avec les photons, Louis de Broglie proposa, pour les particules matérielles, de lier la quantité de mouvement à une longueur d'onde caractéristique: m.

Jésus fut confronté à cette question tandis qu’il se préparait à mourir sur la croix puis à retourner au ciel. Quelles paroles allait-il adresser à ses disciples avant de les

Les faiblesses méthodologiques, notamment dans la définition des variables, et dans l'absence de certains éléments d'analyse s'ajoutent au risque toujours présent de tomber dans