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HAREL LA VERTU BANQUIER VÉREUX

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HAREL LA VERTU

BANQUIER VÉREUX

Dans la ceinture des vieux remparts en briques roses de Maas- tricht, séculaires témoins de combats héroïques, les habitants vivaient fort à l'étroit à la fin de l'année 1791.

La population de la ville avait brusquement augmenté par suite de l'arrivée de nombreux Français émigrés accourus, les uns pour se prémunir contre les excès des révolutionnaires, les autres pour s'enrôler dans l'armée des Princes qui projetaient d'aller au secours de la famille royale.

La plupart, civils et militaires, se trouvaient dans le plus grand dénuement. Une femme mande à son mari, campé à Etain : « J'ai encore trois louis en tout ; si je savais à qui m'adresser pour vendre mes couverts ! Ecris-le moi, car j ' y suis réduite. » — « Nous sommes dans une triste situation, déclare un militaire, je n'ai pas d'argent pour acheter du pain ; nous sommes dans un village, couchés sur du loin ; nous passons quelquefois cinq jours sans avoir de ration et restons vingt heures à cheval sans rien manger ; il ne me reste que mon cheval qu'il faudra bientôt manger. »

Cependant, certains menaient joyeuse vie et le comte d'Artois dépensait sans compter. Abandonnant femme et enfants, il arriva à Maastricht pour y visiter pendant quelque temps sa maîtresse, Mme de Polastron, et y vécut si largement qu'il dût bientôt 80.000 livres. Ses créanciers obtinrent du roi de Hollande l'incarcération de ce débiteur récalcitrant. La Cour se moquait de lui et le regar- dait comme « un exemple de la légèreté française ».

Le comte de Calonne, après avoir été destitué par Louis XVI et s'être rendu en Angleterre pour intriguer contre la Révolution française, avait offert ses services aux Princes émigrés, s'affublant

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HAREL LA VERTU, BANQUIER VÉREUX 543 du titre de ministre d'Etat et des Finances et contresignant cer-

taines de leurs ordonnances.

Dès qu'il apprit la mésaventure arrivée au comte d'Artois, il vola à son secours. Pour lui procurer l'argent nécessaire à sa mise en liberté, il entra en relation avec un Français installé à Amster- dam, Harel la Vertu, qui affichait le plus ardent royalisme (1).

*

Ainsi qu'on serait tenté de le croire, ce nom de la Vertu qui suit le patronyme de Jacques-Porcien Harel, négociant en épingles à l'Aigle, n'est pas un sobriquet donné à un ancien compagnon du Tour de France — comme il advint pour Agricol Perdiguier, connu sous le pseudonyme d'Avignonnais la Vertu. Ce nom addi- tionnel était tout simplement celui de sa femme, née Marie-Anne- Françoise La Vertu.

De leur union naquirent deux garçons et une fille. L'aîné, venu au monde en 1762, s'appela Pierre-Porcien-François-Valéry Harel la Vertu. Il devait apporter à ce nom une notoriété particulière.

A peine âgé de vingt et un ans, nous le voyons installé armateur à Lorient. Son commerce était prospère, mais, pour augmenter ses bénéfices, il imagina, dit-on, de faire, en 1786, un faux charge- ment sur un navire L'Aimable Lise qui périt en mer. L'assurance avait été contractée auprès de plusieurs compagnies de Rouen de telle sorte que la justice dispensa les assureurs de verser les indem- nités réclamées par Harel ; soupçonné d'avoir embarqué des caisses vides, il fut même condamné à des dommages et intérêts. Il fit appel de cette décision et des lettres de surséances le dispensèrent provisoirement de payer la somme qui lui avait été imposée. L'af- faire fut soumise aux maîtres des requêtes de l'hôtel du Roi. Le 16 avril 1790, cette juridiction rendit un arrêt contradictoire et les assureurs durent indemniser l'armateur.

Acceptons cet arrêt rendu souverainement et en dernier res- sort par ce tribunal d'exception à qui le Conseil du Roi avait renvoyé cette affaire de faux en écritures ; mais remarquons que, dans la minute de cet arrêt, conservée aux Archives nationales, ont été supprimés les passages relatifs à la soi-disant réhabilitation

(1) Telle est l'orthographe du nom de ce personnage employée dans plusieurs documents authentiques et adoptée par H. Forneron et M. Robert Lacour-Gayet, dans les rares occasions qu'ils ont de parler de lui.

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dont s'est targué Harel la Vertu dans une note qu'inséra le Moniteur du 25 mai 1790 : « Le tribunal des requêtes de l'hôtel du Souverain a rendu l'honneur et la fortune à M. P. Harel la Vertu... Le négociant persécuté depuis longtemps, vient enfin d'obtenir, contre les huit chambres d'assurances de Rouen 124.100 francs de dommages et intérêts, l'impression, l'affichage de l'arrêt, etc. »

Ainsi blanchi, Harel la Vertu estima qu'à Paris seulement il pourrait exercer avec profit son activité.

Le 26 juin 1790, se donnant la profession de négociant et habi- tant rue Vieille-du-Temple, il loua pour trois ans à partir du

1e r juillet 1790 la verrerie royale de Decize. Il fut stipulé que ce bail serait résilié si, à l'expiration de la première année, le locataire ne réussissait pas à fabriquer de bonnes bouteilles. Gela était bien le dernier des soucis d'Harel la Vertu! Son but, en entrant dans cette affaire, avait été avant tout de recruter quelques naïfs bour- geois fortunés qui lui apporteraient des capitaux ; il y parvint rapidement, mais, à l'expiration des douze premiers mois, quand ses associés le sommèrent de justifier de ses opérations il s'y refusa

— ce qui amena la dissolution de la société. Il se transporta sous d'autres cieux, non sans avoir reçu de trois négociants 6.000 livres en échange d'une lettre de change sans contre-valeur.

Les événements politiques s'étaient précipités en France.

Avant la fuite à Varennes, nombre de Français, avaient déjà émigré. Harel la Vertu jugea de son intérêt de se joindre à eux et gagna la Hollande avec sa femme, née Henriette-Catherine Délais- sement, « une brune, d'une taille médiocre, assez jolie » et son enfant âgé de deux ans. M. Lacour-Gayet nous apprend qu'il fut arrêté lors de la traversée de la Belgique et qu'il parvint à s'évader, puis à gagner Amsterdam où il s'installa comme banquier. C'est là, nous l'avons vu, que Calonne était venu le trouver sur la recomman- dation d'un avocat rouennais.

L'ancien contrôleur général des Finances vit immédiatement en ce banquier un homme susceptible de rendre les plus grands ser- vices aux Princes, à qui il s'empressa de rendre compte de cette rencontre en termes particulièrement flatteurs. Aussi, le 19 avril 1792, Louis-Stanislas-Xavier et Charles-Philippe, fils de France, frères du Roi, ayant été informés que plusieurs citoyens zélés pour le service de Sa Majesté et pour le salut de la monarchie étaient disposés à seconder leurs efforts par des avances de fonds, autori sèrent le sieur Harel la Vertu à leur procurer pour deux millions

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de livres des grains, farines et autres fournitures à leur livrer à crédit, sous l'obligation d'en acquitter le prix par des billets au porteur de 50.000 livres chaque, payables en pays étrangers et en espèces sonnantes dans les douze mois à dater de la livraison. Ils autorisèrent, en outre, le même personnage à emprunter pour eux et en leur nom six millions de livres en espèces payables par lettres de change tirées aux échéances les plus courtes. En garantie de cette opération, ils affectaient tous leurs biens présents et futurs ainsi que les revenus de l'Etat et ce au nom du Roi, leur frère,

« attendu que toutes ces sommes seront employées à son service et au bien du Royaume ».

Le banquier se dit très flatté de la mission qui lui était confiée, ce dont il avisa Calonne par une lettre datée du 29 avril 1792, d'Amsterdam.

Dès le 7 mai, ce dernier fit connaître à son correspondant, combien les Princes avaient été satisfaits de son zèle et de son intel- ligence : « Vous seriez l'ange tutélaire du Royaume si vous procuriez bientôt les six millions promis ; si, sur ce que vous avez, vous pouvez avancer 50.000 livres, Leurs Altesses Royales vous en seront obligées. »

A cette missive était jointe une sorte de passeport : « Nous, Fils de France, frères du Roi, déclarons que le sieur Harel la Vertu voyage en pays étrangers pour nos intérêts et nous prions de le laisser passer librement. Fait à Coblentz, le 7 mai 1792. Signé : Louis-Stanislas-Xavier et Charles-Philippe. »

Ce dernier était alors littéralement aux abois au point que, le 25 mai, Calonne écrivait à un banquier de Rotterdam pour le prier de faire honneur à une obligation de 25.000 florins de M. Charles- Philippe d'Artois. Le banquier refusa.

Le 2 juin, Harel la Vertu proposa aux Princes qu'indépendam- ment de ses premiers engagements, une somme d'un million fût mise à leur disposition pour le présent et pour l'avenir tous les quinze et trente de chaque mois, soit en papiers à satisfaction, soit même en espèces.

Comme bien on pense, cette offre fut acceptée immé- diatement.

Harel n'eut d'autre peine que celle d'augmenter la production de la fabrique de faux assignats qu'il avait installée dès son arrivée à Amsterdam.

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Ici se pose la délicate question de savoir si les faux billets imprimés à Amsterdam par Harel la Vertu l'ont été au su des Princes et de Louis XVI, leur frère. Il suffit de parcourir la correspondance des émigrés pour acquérir la certitude que cette falsification a été préconisée par Calonne. Le 29 septembre 1792, le marquis de Vienne écrit : « On ne peut trouver ici, à Luxembourg, à changer des assignats ; vous savez pourquoi, parce qu'ils sont faux, prove- nant de la fabrique de M. de Calonne ». Il eût été plus exact de parler des fabriques de M. de Calonne car il existait à Neuwied, non loin de Coblentz, une imprimerie indépendante de celle dirigée à Amsterdam par Harel.

La collusion de ce dernier avec le « Ministre d'Etat et des Fi- nances » des Princes est révélée par une lettre du 8 septembre 1792 du comte d'Alleamton, adjudant général de Monsieur : « Le mal- heureux La Vertu... va rendre compte à M. de Calonne des événe- ments inexplicables qui l'ont empêché d'être utile. »

Dans un mémoire adressé à Catherine II, le marquis de Ville- quier explique : Les Princes n'avaient ni crédit ni argent et il a fallu prévoir la nécessité d'agir seuls parce que les puissances les laissaient dans l'incertitude sur ce qu'elles feraient. Il a fallu, en outre, prévoir le cas où, entrant en France, une partie des troupes de ligne se réunirait à eux. Dans cette position, on imagina de faire fabriquer des assignats à l'imitation de ceux qui avaient leur confiance. Il avait été convenu qu'il n'en serait fait usage qu'en France. En réalité explique H. Forneron, dans son Histoire générale des émigrés pendant la Révolution française, les faux assignats ont été distribués à pleines poignées.

Toutes ces mesures n'ont pu avoir été prises par Calonne qu'avec l'assentiment de Monsieur et du comte d'Artois. L'érudit M. de Lestapis en a trouvé la preuve aux Archives nationales dans les cartons 0 3-604 et 2611. En décembre 1791, un prète-nom de ces Princes a même acheté une usine pour y installer une imprimerie clandestine.

Leurs démarches auprès des autorités hollandaises en faveur d'Harel la Vertu constituent, nous le verrons, une preuve de plus.

Enfin, comme l'a remarqué H. Forneron, à partir de novembre 1792, les Princes prirent un arrêté interdisant la fabrication des

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faux assignats ; « elle avait donc été officielle avant cette date ».

Mais, de ce que Monsieur et le comte d'Artois avaient approuvé l'émission de faux billets, on ne saurait déduire que Louis XVI était au courant de cette situation.

Le Moniteur du 26 avril 1790 a publié, à la date du 19 de ce mois, une proclamation du Roi relative aux assignats « qui doivent être considérés comme la dette la plus sacrée de la nation et que tous les Français doivent recevoir comme l'égal du numéraire ».

On imagine difficilement que, moins de deux ans plus tard, le Roi aurait toléré la falsification de billets dont il avait prôné les avantages. D'ailleurs, le 29 janvier 1792, un décret royal sanctionna la décision de l'Assemblée de traduire devant le tribunal criminel de Paris tous les « fabricateurs » d'assignats. Louis XVI désapprou- vait, là encore, les agissements de ses frères.

Le 5 juillet 1792, il demanda à son ministre des Affaires étran- gères de donner lecture à l'Assemblée de plusieurs pièces authen- tifiées par la signature du secrétaire de la légation de La Haye : la lettre des Princes chargeant Harel la Vertu d'ouvrir deux em- prunts au nom du Roi pour subvenir aux dépenses de la guerre contre la France en donnant pour garantie tous les revenus du royaume ; la lettre de Calonne remerciant Harel la Vertu de la peine qu'il se donnait en faveur des Princes ; l'engagement dudit Harel de souscrire ces emprunts à concurrence de huit millions.

A la demande expresse du Roi, il fut lu ensuite à l'Assemblée une notification aux puissances de l'Europe pour blâmer publique- ment la conduite de Monsieur et du comte d'Artois :

« Le Roi des Français étant informé que l'on continue à s'ap- puyer de son nom pour proposer des négociations auprès des Cours étrangères, faire des emprunts et se permettre même des levées de forces militaires, voulant itérativement consacrer d'une manière solennelle son attachement à la Constitution qu'il a libre- ment acceptée et qu'il a juré de défendre, désavoue toutes décla- rations, protestations, négociations auprès des Cours étrangères, emprunts, levées de forces militaires, achats d'armes, de munitions de guerre et autres, généralement tous actes publics et privés faits en son nom » par les princes français et par les autres émigrés.

Nous n'ignorons pas que Louis XVI a été accusé d'avoir dans une lettre contredit ces déclarations et encouragé ses frères à poursuivre l'exécution de leurs projets contre la France. Cette

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lettre — dont l'original n'a jamais été produit — est vraisemblable- ment apocryphe, comme beaucoup de celles qui lui ont été attribuées.

Dans sa correspondance authentique, rien ne permet de croire qu'il était au courant de la participation des Princes dans la fabri- cation de faux assignats.

Si le Roi avait été soupçonné d'avoir porté atteinte au crédit de la nation, comment un tel crime ne lui aurait-il pas été reproché lors de son procès ?

Dès que Gouvernet, ministre de France à La Haye, apprit l'impression de faux assignats à Amsterdam, il avisa le ministre des Relations extérieures que le magistrat de cette ville • avait fait arrêter et incarcérer un nommé Johann-Henri Schleucher. Celui-ci ne fit aucune difficulté pour dénoncer son complice, un négociant de Rouen, Harel, qui était venu passer quinze jours à Amsterdam

« comme ayant ordonné la fabrication du papier » nécessaire à l'impression de ces assignats.

D'autres falsificateurs furent aussi découverts. Le plus important fut Harel la Vertu, ancien négociant à Paris, rue des Jeûneurs, fils aîné du complice de Schleucher.

Le successeur de Gouvernet, de Maulde, obtint son arrestation.

Au cours d'une perquisition effectuée chez lui, les magistrats sai- sirent — et ne lui rendirent pas par la suite, a prétendu Harel — des lettres de change, traites et billets pour plus de 724.000 florins.

De Maulde demanda aux autorités hollandaises qu'après avoir remboursé au grand balli d'Amsterdam les frais occasionnés par la détention de ce prisonnier, il fût livré à un officier français chargé de le conduire à Paris.

Il ne fut pas donné immédiatement suite au désir exprimé.

Le 3 juillet 1791, le diplomate renouvelle la demande qu'il avait faite à son chef quinze jours auparavant de recevoir des instruc- tions pour lui permettre d'intervenir de nouveau afin d'obtenir l'extradition de tous les faux monnayeurs prisonnier» « parmi lesquels se trouve Harel la Vertu, agent des Princes français. On veut lâcher celui-ci ; je demande l'ordre formel de requérir son extradition. Soutenez-moi, Monsieur, et ce criminel, le plus dan- gereux. me sera livré ».

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Trois jours plus tard, de Maulde rend compte de sa démarche :

« J'ai déclaré le nommé Harel la Vertu prévenu du crime de haute trahison ; j'ai dit que je demanderais le criminel au nom de Sa Majesté. — On a eu la bassesse de m'objecter les Princes. J'ai répondu qu'ils n'étaient puissances pour personne, qu'ils étaient malheureusement les ennemis de l'Etat, qu'ils trahissaient ouver- tement et perçaient cruellement le cœur du Roi. Je me suis plaint amèrement de la partialité que l'on se permettait à l'égard d'Harel. » En soudoyant un fonctionnaire, de Maulde put se procurer la copie d'une note signée par Monsieur et par le comte d'Artois, et que Calonne avait contresignée. Elle était adressée « aux très fidèles et loyaux alliés et très chers cousins ». « Le comte d'Artois réclame le sieur Harel, détenu à Amsterdam en vertu de mouvements que M. de Maulde s'est permis pour faire arrêter un individu qui ne nuisait point à la ville d'Amsterdam ni à la République en général, qui, d'ailleurs, est muni de papiers de la dernière importance pour les émigrés. Les Princes et autres émigrés se persuadaient que la bonne volonté que les Etats généraux leur avaient toujours mani- festée ne leur permettait pas de livrer l'infortuné Harel aux réclamations de M. de Maulde et préviendrait par là le sacrifice d'un sujet digne de la confiance des Princes et qu'en vertu de ladite réclamation ils s'attendaient à son élargissement le plus tôt possible. »

Les Princes reçurent une réponse sévère : « Le sieur Harel a été arrêté en vertu des instances de M. de Maulde pour avoir fabri- qué de faux assignats. Il se trouve par là dans le cas d'avoir com- mis un crime de faux monnayage. M. de Maulde n'a fait que rem- plir exactement son devoir en exigeant la préhension corporelle d'un individu coupable d'un tel crime. Le sieur Harel étant dans les mains des juges d'Amsterdam, les E t a t s généraux ne peuvent retenir le cours de la justice ; c'est aux juges compétents à décider du sort de Harel. Les Etats généraux ne peuvent se persuader que les Princes émigrés aient confié à un faux monnayeur des papiers de conséquence et encore moins l'aient chargé de leurs affaires auprès d'une puissance qui ne se rappelle pas de leur avoir jamais fourni des preuves de bonne volonté. Les Etats généraux ont tou- jours considéré leurs discussions avec la nation française comme une querelle qui leur ôte l'initiative. »

A la fin du mois de juillet, le magistrat d'Amsterdam ayant refusé de livrer Harel la Vertu sous le prétexte que le ministre de

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France ne pouvait représenter en original les pièces du crime de faux, des copies en furent faites à Paris, où les originaux avaient été envoyés, et Lebrun, ministre des Relations extérieures pria l'ambassadeur de Hollande en France de vouloir bien intervenir auprès des Etats de Hollande pour obtenir la livraison du coupable.

En même temps, Lebrun s'adressait à l'une de ses informatrices, Etta Palm, baronne d'Aelders, pour « pénétrer » le Grand Pension- naire, van de Spiegel, sur la possibilité d'obtenir l'extradition de ce criminel que le ministère hollandais avait constamment refusée.

La baronne reçut une réponse très confidentielle. Aussitôt, en bon agent double, elle en donna connaissance à Lebrun « afin qu'il ne revienne pas à la charge pour demander une extradition, laquelle ne pourrait être accordée sans faire violence à nos lois ».

Le gouvernement hollandais maintint donc sa décision de ne pas se dessaisir des faux monnayeurs qui avaient été déférés en outre aux tribunaux d'Amsterdam et de Rotterdam à la requête de créanciers particuliers.

A contre-cœur, Lebrun dut s'incliner devant « la malveillance du gouvernement stathoudérien » qui libéra Harel la Vertu après soixante-seize jours de détention et le renvoya « nud comme la main » sans lui restituer « ses effets, son portefeuille, ses valeurs et ses titres »...

Selon un biographe de Calonne, l'individu aurait ensuite « dis- paru dans la nuit des temps ».

Hélas ! il n'en était rien et cet individu ne devait pas tarder à faire de nouveau parler de lui.

Une lettre, en date du 21 frimaire an IV (12 décembre 1795), adressée par Reinhard, ministre plénipotentiaire près les villes hanséatiques, au ministre des Relations extérieures Delacroix, nous apprend ce que devint Harel après son expulsion de Hollande.

Sous le nom de Verteauld, il a recommencé à Hambourg, immé- diatement après la conquête de la Hollande, ses opérations contre les assignats. Les Comités révolutionnaires en auraient été instruits, mais « un respect, peut-être poussé trop loin pour la liberté des transactions commerciales, le saurait empêchés de sévir ». Ces opéra- tions furent fructueuses pour le faussaire qui, dès 1795, était retiré des affaires et avait acheté une campagne avec ses bénéfices.

« A la fin de cette année 1795, il est allé â Londres où le parti de

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l'opposition l'avait engagé à se rendre pour le consulter sur les finances de l'Angleterre, mais plus probablement pour le charger de diriger les manœuvres destinées à contrarier le nouveau plan des finances dont le corps législatif s'occupait à cette époque ». Reinhard conseille « de prendre des précautions pour soustraire les premières opérations à l'influence de nos ennemis car cet Harel la Vertu est un homme entreprenant, ambitieux, n'ayant plus aucune répu- tation à perdre et capable de pousser la scélératesse au dernier degré de l'infamie. Il prétend avoir des liaisons en France ; il se vante d'avoir les moyens d'y rentrer dès qu'il le voudra. Je sais même qu'il a lu devant plusieurs personnes un plan sur les finances de la République qu'il dit avoir envoyé à quelques membres du Comité de sûreté générale.

« Il a un frère, Harel de L'Aigle, qui est encore à Hambourg et qui n'est qu'un mauvais sujet. »

Alors que le nom de ce dernier a été radié sur la liste des émigrés, nous n'avons pas relevé celui de son frère aîné comme ayant été l'objet de la même mesure.

Par contre, nous avons découvert aux Archives nationales, dans le canton F 7-6504, de nombreux renseignements le concernant.

Ils ne sont pas à son avantage.

Une longue note de police nous apporte des informations d'un grand intérêt : « Depuis vingt ans, Harel la Vertu court le monde en aventurier, échafaudant des projets, des plans de finances pour faire des dupes. Son adresse consiste à arracher adroitement un gage ; il promet de l'argent pour s'en procurer lui-même. »

Passant sous silence les faux commis en 1791 et en 1792 par le banquier des Princes et ses agissements à Hambourg, cet informa- teur se borne à dire que, sur les places d'Amsterdam, de Luxembourg et de Londres, il a fait ce qu'on appelle des coups et a laissé un nom flétri. Presque partout, il a été arrêté et mis en prison. Dans un temps, il se disait patriote ; dans un autre, royaliste.

Au moyen d'intrigues, il parvint à obtenir de Mme Marescalchi, femme du membre du Directoire de la République Cisalpine, une lettre de recommandation pour M. Malvezzi, fils du diplomate italien. Grâce à cet appui, il établit à Milan une banque dans laquelle un ministre, dont le nom n'est pas précisé, aurait eu des intérêts. « Je crois que tout cela se bornait à avoir eu une recom- mandation de M. Archambaud-Périgord, recommandation que lui

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avait arrachée à force d'importunités un autre aventurier nommé tantôt van Horiet, tantôt Harriet ; ainsi, il a connu M. de Périgord à l'étranger lorsque cet Harriet faisait des fournitures à l'armée anglaise sur les bords de l'Elbe.

En 1804, « Harel, étant allé à Milan, a connu pendant quelques mois M. Malvezzi, lui a tiré à diverses reprises près de 60.000 francs dont celui-ci croyait avoir obligé une espèce d'envoyé du gouver- nement français. Tout Milan a fini par voir en lui un importun, un charlatan dangereux. Après avoir abusé, trompé M. Malvezzi et divers personnages, il fut mis en prison à Turin.

« Auparavant, il avait rencontré à Milan M. Peneant, frère de Mme Saingulot (?) ; il se dit l'ami du mari de qui il était à peine connu, lui emprunta une voiture sous le prétexte de faire un voyage.

Au lieu de cela, il la vendit. M. Peneant, instruit du procédé, menaça.

Harel lui fit accroire qu'il pouvait lui donner des lettres pour de très hauts personnages. M. Peneant en fut pour ses frais ; il vit qu'il avait affaire à un fripon.

« Toujours à Milan, il lui prit son portefeuille rempli de papiers et de quelques lettres de M. Malvezzi, lettres dont il se promettait de faire usage pour tracasser celui-ci et lui demander des indemnités comme ayant été occupé par lui. M. Malvezzi tint beaucoup à ravoir ses lettres, soit parce qu'elles pouvaient le compromettre, soit pour ne pas passer pour avoir été en rapport avec un tel individu.

« Expulsé d'Italie par ordre de M. Melzi d'Eril, vice-président de la république italienne, il en était sorti comme de presque partout, en laissant des traces de sa mauvaise foi et de la plus vile conduite.

« A Paris, il se lia avec tous les tripoteurs de l'ancien régime ; il s'accrocha, grâce à un sieur Mercy, aux Vergennes, cousins du ministre, hommes peu expérimentés, espèces de gobe-mouches. Il abusa de leur crédulité et fit circuler par eux le bruit que le premier gouvernement allait être recréé. Il leur persuada qu'il avait les notions les plus exactes à cet égard. Il les engagea à faire signer une liste et à s'inscrire eux-mêmes comme souscripteurs ; il rédigea un plan de formation, d'offres ; il y accaparait toutes les recettes, les droits réunis, etc.. Ce gouvernement n'a jamais été constitué. Au premier bruit, cet échafaudage écroulé, Harel retrouva d'autres gens crédules à qui il a promis des millions, car il commence tou- jours par dire qu'il peut en donner aux individus comme aux gou- vernements, qu'il n'y a rien de plus facile. Je ne sais pas précisé- ment le nom de la personne à qui il a persuadé de créer une espèce

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HAREL LA VERTU, BANQUIER VÉREUX 553 de Mont-de-piété pour prêter sur les propriétés sous le nom de

Caisse de crédit réel. »

Quelque temps après, le ministre de la Police générale de l'Em- pire reçut une dénonciation d'un nommé Parein qui, dans l'intérêt public, signalait Harel comme un escroc et un être pernicieux pour la société, qui fait métier de tromper le public et de vivre à ses dépens à la faveur de projets de toutes espèces ; il a emprunté beaucoup d'argent en faisant des lettres de change qui n'ont pas été acquittées à leur échéance. Ainsi, il a escroqué 4.000 francs à un beau-frère du plaignant qui ne peut être remboursé, maintenant que le mobilier du débiteur a été vendu à la requête de créanciers qui n'ont même pas été remboursés de leurs frais.

Une autre victime de cet escroc, Thibaut, employé de banque, se plaint d'avoir été ruiné par Harel, ainsi que plusieurs de ses amis.

Le 25 mars suivant 1807, il fit imprimer une notice de trente- deux pages sur la Caisse de crédit réel, dont il expose le fonctionne- ment et il la fait précéder d'un préambule signé de son nom, ce qui lui permet d'extorquer quelques personnes à qui il promet des places dans la société projetée.

En décembre suivant, Harel, criblé de dettes, est emprisonné à La Force, mais, à cause du mauvais état de sa santé, il obtient d'être envoyé en résidence surveillée à Vulaines-sur-Seine où habite son ex-femme dont il est divorcé depuis une quinzaine d'années. Cette situation n'empêchait pas celle-ci de rejoindre son ancien époux lorsqu'elle allait à Paris et de descendre à l'hôtel de la Briffe, siège des opérations d'Harel. Elle poussa même le dévouement jusqu'à soustraire aux créanciers de celui-ci les biens qu'il possédait dans son pays natal en faisant inscrire deux hypothèques à la conser- vation de Mortagne. Elle fit plus encore lorsqu'elle obtint du maire et des habitants de Vulaines une pétition en faveur de ce relégué...

Il n'est cependant nullement converti, car il lui arrive de quitter cette localité sans autorisation et de se rendre secrètement à Paris où l'appellent certains de ses créanciers qui ont la naïveté de le croire capable de mettre de l'ordre dans ses affaires.

Il lui arrive même parfois d'obtenir des autorisations de pro- longer pendant trois mois son séjour dans la capitale. C'est à se demander qui pouvait l'appuyer auprès du ministre de la police de l'Empire I

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En 1815, Monsieur, devenu Louis X V I I I , et le comte d'Artois, alias comte de Ponthieu, étaient de retour en France.

L'ancien banquier des Princes crut pouvoir relever la tête ; il se posa en grand financier et publia, en 1818, une Esquisse sur l'esprit public, puis, l'année suivante, une plaquette Du crédit public. E n 1822, il déposa les statuts d'une banque qu'il voulait fonder sous son nom : Banque Harel-Lavertu et CI e ayant son siège 6, rue de Rivoli.

En même temps, il n'hésita pas à réclamer avec insistance au roi Louis X V I I I et au comte d'Artois le remboursement des sommes qui — prétendit-il •— lui étaient dues en sa qualité de banquier au temps où il opérait à Amsterdam, il y avait de cela plus de trente ans !

Estimant sans doute indigne d'eux d'invoquer la prescription pour se dispenser d'acquitter ce que l'ex-banquier considérait comme lui étant dû, les Princes opposèrent un froid silence à ses réclamations.

Aussi Harel recourut-il à la Justice pour obtenir satisfaction contre les maîtres du jour. Le 26 avril 1824, une assignation fut signifiée à Louis X V I I I et au comte de Ponthieu. Après la mort de Louis XVIII une seconde assignation fut notifiée le 9 septembre 1826 au comte d'Artois, devenu Charles X.

*

Le 16 mars 1829, Me Vavasseur, notaire à Paris, assisté de deux témoins, se rendit à l'hôtel de Boufflers, déchu de sa splendeur de jadis, où logeait, dans une pièce du rez-de-chaussée, Harel la Vertu. Il le trouva alité, mais la lucidité d'esprit du malade lui permit de dicter ses dernières volontés. Il institua pour légataire universel un certain Marie-Alexandre Orban et le chargea de répar- tir entre neuf légataires particuliers une somme de 420.000 francs.

« L'importance de ma fortune — expliqua le testateur — m'est inconnue puisqu'elle consiste dans le montant de diverses réclama- tions qui sont contestées. Pour fixer la quotité des legs particu- liers mis à la charge du légataire universel, je vais supposer que la quotité disponible de mes biens, déduction faite des dettes, s'élève à 500.000 francs ; chaque legs particulier sera à augmenter ou à diminuer proportiellement à l'importance réelle de ma suc- cession. »

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HARKL LA VERTU, BANQUIER VÉREUX 5 5 5

Aucun lien de parenté n'existait entre les légataires et le testa- teur qui cependant avait des héritiers réservataires ; il ne s'en soucia nullement.

La déclaration de sa succession, souscrite le 17 septembre 1829 au VIe bureau de Paris, mentionne comme seuls héritiers deux enfants : Antoine-Marie-Porcien, entreposeur des tabacs à Alais, et Françoise-Pauline-Henriette, majeure, absente.

L'actif comprenait seulement le pauvre mobilier, évalué 140 francs, garnissant la chambre où l'ancien banquier s'était éteint le 22 mars 1829.

En sa qualité d'héritier de son père, Antoine-Marie-Porcien fit signifier au ministre de la Maison du roi Charles X une nouvelle assignation le 24 août 1831.

Au cours de l'année 1832, la Gazette des tribunaux a rendu compte de plusieurs procès intentés contre Charles X à l'issue desquels la comtesse d'Erbach, les Magon de la Balue et le comte de Pfafî prirent des inscriptions à la conservation des hypothèques de Poitiers sur les biens du roi déchu. Six autres créanciers, trop peu importants pour que la presse judiciaire s'intéresse à eux, obtinrent des décisions judiciaires semblables qui leur permirent de garantir de même le recouvrement de leurs créances. Le dernier d'entre eux fut le fils d'Harel la Vertu. Porteur du jugement rendu par défaut à son profit le 20 juin 1832, il requit, le 17 mars 1834 seulement, l'inscription de sa créance « pour sûreté d'un million montant de l'évaluation provisoire faite par le requérant des répé- titions qu'il aura à exercer contre le cpmte de Ponthieu en raison d'avances faites par Harel la Vertu père à M. le comte de Ponthieu et au roi Louis XVIII pendant leur émigration en 1792 ».

Cette inscription tardive ne venait pas en rang utile ; elle était inopérante car les immeubles qui auraient garanti la créance avaient été vendus par adjudication le 2 octobre 1833 (1).

Malgré l'inefficacité de l'inscription du 17 mars 1834, Charles X fit opposition au jugement du 20 juin 1832, ce qui donna lieu, en

(1) « La déconvenue éprouvée par Harel flls n'est en somme qu'un effet de la Justice immanente des choses », a remarqué justement M. Pierre Lefranc, directeur honoraire de l'Enregistrement, ancien président de la Société des Antiquaires de l'Ouest, dans une érudite étude sur Les propriétés privées de Charles X dans la Vienne qu'il a bien voulu nous commu- niquer avec une obligeance dont nous le remercions très cordialement.

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1835, à la rédaction de Conclusions motivées contre le fils d'Harel la Vertu. Celui-ci avait réclamé le payement de 1.360.000 francs d'après un prétendu compte arrêté par Calonne et de 1.811.081 li- vres pour lettres de change détaillées dans un bordereau saisi naguère à Amsterdam. L'avocat et l'avoué de l'ancien Roi n'eurent aucune peine à établir qu'aucun titre ne justifiait l'accomplisse- ment des mandats donnés par les Princes en 1792, que rien n'éta- blissait que Calonne avait arrêté un compte quelconque avant sa mort et que les lettres de change dont il est question étaient des valeurs purement fictives ayant pour seul objet de procurer des fonds en vue d'emprunts non réalisés.

Le 5 mai 1836, la première chambre du tribunal civil de Paris a jugé que le bénéficiaire du jugement n'était pas recevable dans sa demande contre Charles X et l'a condamné aux dépens. — Sur appel formé par le même plaideur, la première chambre de la Cour d'appel de Paris a rendu, le 13 janvier 1838, un arrêt confirmant le jugement du 5 mai 1836 et condamnant l'appelant à l'amende et aux dépens de son appel.

Avant même d'entamer cette procédure, le fils d'Harel la Vertu s'était décidé à ne plus porter ces deux noms si inopportunément réunis. Utilisant la « savonette à vilains », il était devenu Harel de Vulaines.

LOUIS HASTIER.

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