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Le procédé dans les Impressions d'Afrique de Raymond Roussel.

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(1)

Le procédé dans Impressions d' Afrique de Roussel

(2)

1-Département de langue et littérature françaises M.A. 11

Le procédé de Raymond Roussel ( qui exploite les caractéristiques phonétiques et sémantiques du mot) consti-tue la gen~se des Impressions d'Afrique: ce roman a en effet été conçu à partir de l'aacouplement de deux mots pris chacun dans deux sens différents, et à partir de la dislocation de textes quelconques • L'univers du roman, ses th~mes et sa structure, se présentent comme une figura-tion du langage et du procédé celui-ci détermine les Impres-sions d'Afrique dans ses moindres parties .L'origine du procédé se trouve dans les expériences existentielles de l'auteur qui voulait fuir la réalité et créer, à partir des mots, des mondes tout à fait imaginaires. Le procédé, meme s'il est purement verbal. n'exclut pas l'expression personnelle: Impressions d'Afrique est à la fois la manifestation et le dépassement des angoisses de Roussel essentiellement liées aux rapports du langage et de la réalité

(3)

M.A.

LE PROCEDE DANS LES IMPRESSIONS D'AFRIQUE DE RAYMOND ROUSSEL

'I ~: E :=i I S e F' F l (~ E , r~'; c( ;.~-: .:0" L~··": ~~ ~·l·-·~· .~, '"t'Y

(4)

TABLE DES MATIEBES

INTRODUCTION •••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• 1

DEVEWPPEl'IlCNT •••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• 1- Le procédé comme gen~se de l'oeuvre ••••••••••••••••

7

a) Comment j'ai écrit certains de mes livres 1

nécessité d'une approche de l'oeuvre par l'étude du procédé •••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• 8

b) Evolution de la conception du langage dans

l'oeuvre de Roussel jusqu'aux Impressions

d'Afri-gue ••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• 10

1- langage, double de la réalité ••••••••••••••••• 10 2- limites de cette tentative •••••••••••••••••••• Il

3-

nouvelle mission accordée au langage •••••••••• 14 c) Le procédé •••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• 15 1- interrogations sur la nature du langage ••••••• 15 2- exploitation phonétique et sémantique du

mot; les trois phases du procédé •••••••••••• 18

3- rapports du procédé et de la fiction. • • • • • •• 22 11- L'univers des Impressions d'Afrique 1 figuration du

(5)

a) Structure de l'oeuvre ••••••••••••••••••••••••••••••••

30

1- le temps 2- structure

3-

premi~re

de la premi~re partie atemps théâtral •••

30

répétitive et cyclique de l'oeuvre •••• 32

et seconde partie 1 signifiant et

signifié b) Th~mes de

•••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• 35

1- présence 2- th~me de l'oeuvre ••••••••••••••••••••••••••••••••••• et fonctions la machine du langage •••••••••••••••• et des procédés de pro-duction ••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••

3-

th~me du théâtre •••••••••••••••••••••••••••••••••• c) Univers de l'artifice •••••••••••••••••••••••••••••••• 40 43 45 1- pouvoirs 2- place de

3-

limites

de l'artifice limitation de la réalité ••• 45 l'homme dans de l'artifice 111- Signification du procédé du procédé cet univers ••••••••••••••• ••••••••••••••••••••••••••••• •••••••••••••••••••••••••••• •••••••••••••••••••••••••••• a) Les origines 1- limites de prétation

la confession posthume dans

l'inter-2- les le

du procédé •••••••••••••••••••••••••••••• expériences existentielles de Roussel et projet de l'écrivain •••••••••••••••••••••••••••

47

48

52

53

53

55

(6)

3-

naissance du procédé •••••••••••••••••••••••••••••••••

58

b) le procédé et l'expression personnelle ••••••••••••••••

59

1- valeur thérapeutique de l'oeuvre d'art 1 th~mes

de la gloire, des mécanismes, du temps •••••••

59

2- le th~me du secret et ses rapports avec

le procédé •••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• 65 c) Ambiguités du langage rousselien ••••••••••••••••••••••

69

1- un coeur humain au sein de l'imaginaire •••••••••

69

2- nature de la poésie rousselienne •••••••••••••••••

73

3-

des Impressions d'Afrique aux Nouvelles

Impressions d'Afrique ••••••••••••••••••••••••••••••

77

CONCLUS ION •••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• ~O

(7)
(8)

boliste et l'éclatement surréaliste, Roussel a poursuivi pendant vingt- cinq ans une oeuvre romanesque, poétique et théâtrale qui ne doit rien aux courants de son époque

Raymond Roussel a peu écrit t mais ses huit ouvrages le placent parmi ceux qui, depuis cent ans. ont poursuivi une oeuvre de réflexion sur et par le langage • Qui est Raymond Roussel

oeuvre

? Né en

1897 ,

, La. Doublure

à Paris, Roussel a écrit , à l'âge de dix- neuf ans

sa première • Son roman Impfessions d'Afrique , dont nous parlerons surtout ici, fut publié en 1904 • Comment j'ai écrit certains de mes livres parut en librairie deux ans après son décès survenu en

1933 ,

à Palerme •

Roussel fut longtemps core du grand public ses

ignoré oeuvres

des critiques , et plus en-déroutaient • sans lui valoir l'estime de ses contemporains • Pourtant • depuis une vingtaine d'années, on semble avoir redécouvert Roussel 1

(9)

langage et personnalité, entre gen~se et fiction, correspond l

quelques-unes des préoccupations de notre époque: inquiétude du signe, omniprésence de la technologie et de la machine, multitude des modes de reproduction tels la photographie, le cinéma, etc. Au début du XIe si~cle, Roussel était un précurseur. Son véri-table public est celui d' aujourd 'hui. Roussel se si tue donc dans une problématique actuelle, axée sur les probl~mes du langage lit-téraire.

Comment j'ai écrit certains de mes livres fait pénétrer au coeur de la création romanesque; il s'agit d'un document uni-que dans l'histoire littéraire, l'un des témoignages les plus com-plets et les plus objectifs que nous ayons sur les mécanismes de l'inspiration. Roussel nous fait découvrir le verbe premier, qu'il démonte comme une machine pour nous en faire voir le fonctionnement interne.

En choisissant ce sujet. le procédé dans les Impressions d'Afrique de Raymond Roussel, il nous a semblé que nous rejoindrions

a

le coeur du projet rousselien. Comment j'ai écrit certains de mes livres dévoile, sur une cinquantaine d'exemples, la technique de création des Impressions d'Afrique. Nous avons voulu aborder

l'oeuvre rousselienne, par ce qu'il y a de plus clair, de plus lumi-neux en elle, par ce qui a volontairement été mis l jour, comme un

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secret précieux qu'on rendrait enfin public. Roussel a dévoilé la gen~se des Impressions d'Afrique, mais il n'a pas tout dit sur cette oeuvrel la lumi're de la confession posthume laisse des zones d'ombre, de nombreux pourquoi et comment. • • Notre méthode va donc du plus objectif au plus subjectif, pour découvrir l'essen-ce et le sens du projet rousselien. Le p~océdé de Roussel dépas-se en richesdépas-se et en promesdépas-ses ce que nous avions d'abord cru y découvrir. Pourquoi avoir limité l'étude du procédé l Impressions d'Afrique et ne pas l'avoir étendue aux autres oeuvres, ~

Solus, La Ibussi~re de soleils et L'Etoile au front? Parce que Comment j'ai écrit certains de mes livres, qui fourmille d'exem-ples sur Impressions d'Afrique, reste tr~s laconique au sujet des autres oeuvres l procédé.

Pourquoi avoir choisi Roussel comme sujet d'une th~se de ma1trise? Pour la fascination qui se dégage de son oeuvre, d'abord, il s'agit de l'une des oeuvres les plus originales, les plus passion-nantes que nous ayons lues, des personnages géniaux, des machineries compliquées, des artifices qui rivalisent de grandeur et de beauté avec la réalité, font d'Impressions d'Afrique et des autres oeuvres

l procédé un un~vers imaginaire oh toutes les r~gles communes sont transgressées pour donner naissance l des univers inédits. Ces

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uni-vers ne doivent rien l la psychologie, l la métaphysique et

l la rhétorique habituelles. Une premi~re lecture ne pouvait suffire, nous avons senti le besoin d'aller plus loin. dans l'au-den des mots et de l'action romanesque. Pour comp~ .. endre cette oeuvre. il faut, l partir des données de la confession posthume. refaire pas l pas la démarche de l'auteur, avec une patience éga-le l celle qu'il a eue pour l'écrire. Roussel a été tr~s peu lu et étudié; il ne fait pas partie du circuit habituel des études littéraires. ce sujet nous permettait donc d'entreprendre une th~­

se relativement originale. qui laisse une grande part l l'initiati-ye et l la recherche personnelles. Nous pouvons d~s maintenant affirmer que l'oeuvre rousselienne rejoint par sa qualité, par la valeur de ses th~mes et de sa démarchej. l'oeuvre des plus grands écrivains du XX~me si~c1e.

Nous aurions pu choisir un écrivain des si~cles passés, mais au départ nous avions ce préjugé. étudier une oeuvre du XX~me si~c1e. Il nous a semblé nécessaire, l la suite de ces longues an-nées d'études littéraires, d'aborder un sujet qui nous permette un engagement personnel et une meilleure connaissance de l'homme et de l'écrivain d'aujourd'hui. Engagement personnel, en ce sens que les prob1~mes liés au langage nous intéressent tout particuli~­

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exploré le domaine linguistique, le rapport des mets aux choses comme peu d'écrivains l'ont fait avant et apNs lui. Chez Rous-sel,la qu~te d'un langage est une recherche existentielle, il y a lié sa vie et son oeuvre. Derri~re les mécanismes verbaux nous avons découvert un homme, les hommes, aux prises avec un univers qu'il faut décrire, comprendre et traduire, mais aussi dépasser.

En quelque sorte, l'oeuvre rousselienne nous a paru exemplaire d'une certaine tendanoe de la littérature mOdeme, qui prend l'écri-ture comme sujet et objet de sa fiction.

Nous développerons notre sujet en trois grandes partiesl " Le procédé comme gen~se de l'oeuvre et, et L'oeuvre, figuration du langage ~t du procédé" et .. Signification du prooédé et. Notre

pre-m1~re approche sera donc le prooédé comme gen~se de l'oeuvre. Nous étudierons le procédé en tant qu'exploitation sémantique et phoné-tique du mot, et les rapports du procédé et de la fiotion. Nous pénétrerons donc dans le mode de fabrication de l'oeuvre, et cela, dans l'optique d'une évolution de la notion de langage chez Roussel,

des premi~res oeuvres' Impressions d'Afrique.

Dans quelle mesure et de quelle mani~re l'oeuvre refl~te-t-elle

son origine verbale? C'est ce que nous verrons dans la seconde par-tie de notre travail; la structure répétitive et oyclique de l'Geuvre,

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les images du langage et du procédé partout présentes dans le roman sous forme d'analogies, les th~mes du théâtre et de la vie, de l'imi-tation, de l'artifice et de l'illusion, nous permettront de mettre A

jour ce que l'oeuvre doit l sa gen~se.

La. troisi~me partie tentera de cerner le procédé d'un point de vue plus général en relatant certaines expériences existentielles de Roussel, en explicitant sa démarche linguistique qui va du réalisme

l l'imaginaire, et le 1'8le qu 'il assignait au procédé. Mais peut-8tre la véritable signification du procédé est-elle dans une interrogation sur le langage.

La. prem1~re partie est essentiellement une analyse des don-nées exposées dans Comment j'ai écrit certains de mes livres. La se-conde partie se veut surtout une analyse d'Impressions d'Afrique. La

troisi~me partie veut découvrir le sens profond de la gen~se et de la fiction.

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cette confession posthume, le processus de création d'Impres -sions d'Afrique, de Locus Solus, de L'Etoile au front et de La Poussil!ire de soleils serait sans doute demeuré inconnu. "Il s ' agit d'un procédé trl!is spécial 1 " ,basé "sur l' accou-plement de deux mots pris dans deux sens différents 2 Il et

sur "la dislocation d'un texte quelconque 3 " •

Selon Roussel, la genl!ise de ces oeuvres se situe uniquement au niveau d'un travail sur les aspects phonétiques et séman-tiques du nom.

En ce qui concerne la genl!ise d'Impressions d • Afrique, elle consiste donc dans un rapprochement 4entre le mot billard et le mot pillard.

1- Raymond Roussel, 7Co~mm~e:-:n:::t~+'.:a;::i--:e~' c~r;.;i:.;t~.:c;.;:e=.rt.:;ai=n::.:s::...:::d::.:::e::...=m:.::::e.:::.s...;l:.:i::.:vr:.=.::e~s Paris: J.J. Pauvert , 1 3 ,p.ll

2- Ibid. ,p.20

3-~. ,p.23

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Roussel n'entretient aucun souci d'ordre esthétique, éthique ou réaliste:

Or, de tous ces voyages, je n'ai jamais rien tiré pour mes livres. Il m'a paru que la chose méritait d'~tre Signalée tant elle montre clairement que chez moi l'imagination est tout. 1

Langage et imagination 1 c'est le testament littéraire de Roussel

qui souhaitait probablement qu'on oriente les recherches sur son oeuvre en ce sens. L'écrivain dévoile particu1i~rement, ~ l'aide de multiples exemples, comment fut créé Impressions d'Afrique. Il est donc impossible de dissocier ce roman du procédé et d'éluder Comment j'ai écrit certains de mes livres. la connaissance du pro-cédé nous permet de baser notre recherche sur des éléments objectifs, volontairement mis en 1um1~re par Roussel: la genèse d'Impressions d'Afrique.

Roussel a expliqué le fonctionnement du procédé mais il n'a donné aucune indication sur ses origines.

Apr's la Vue, j'écrivis encore Le Concert ett la Source ,puis ce fut de nouveau la prospection pendant plusieurs années, ( • • • ).

1- Raymond Roussel, Comment j'ai écrit certains de mes livres (Paris 1 J.J.Pauvert, 1963), p.27.

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Enfin, vers trente ans, j'eus l'impression d'avoir trouvé ma voie par les combinaisons de mots dont j'ai parlé. J'écrivis Nanon, Une ~e du folklore breton puis Impressions d'Afrique. 1

Le procédé est le fruit d'une évolution de l'écrivain que nous essaierons de retracer (faute d'indices dans Comment .1'ai écrit certains de mes livres) dans les oeuvres qui précMent Impressions d'Afriquel La Doublure, La Vue, " Textes de grande jeunesse ou

Le comédien Gaspard, héros de La DoublureJne peut remplacer correctement un confr~re et se couvre de ridicule. Il s'enfuit avec sa ma1tresse et les voilA au Carnaval de Nice. Cette fAte râtée, le narrateur nous la décrit en quelque cent cinquante pagesl masques et costumes sont des doublures de l'être qui ne réussissent pas l. faire illusion. Le narrateur refuse d' &tre dupe des apparenc;<;;:B et dénonce les artifices grossiers du carnaval. En effet, la toute-puissance du regard parvient constamment l. distinguer le vrai du faux

et l détruire l'équivoque. A la fin du roman " Gaspard regarde en haut, les étoiles aux cieux 2 ", lumineuses comme la description qui

1-

llià.,

p.29.

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a permis d'emprisonner la réalité dans le filet bien tendu des mots.

Dans les po~mes de La Vue, des représentationsl carte postale, photographie, étiquette de bouteille servent de point de départ l la fiction. Dans cbaque cas, le narrateur passe de l'image minuscule l ce qu'elle représente, paraissant oublier qu'elle est un simple reflet. Bient&t la photographie ou 1& carte postale s'anime en un paysage réel, fourmille de personnages gesti-culants et bavards.

Dans les po~mes de La. Vue comme dans La. Doublure, le regard domine 1 ' univers. Rien ne lui échappe, pas m~me le secret des bes que lui rév~lent une attitude, un geste ou un sourire. Tout ce qui est visible doit ~tre dit et le langage dépasse le visible pour at-teindre la vérité des ~tres.

Le langage tenterait donc de se donner comme un double de la réalité. Il y a cependant une part d'ambigulté dans cette tentative. La. description pourrait ~tre objective sl l'univers qu'elle avait l

peindre était simple, les signifiés correspondant exactement aux si-gnifiants. La Doublure montre les difficultés d'un réclt qui doit décrire un univers de faux semblants, d'artific~ô et de trompe~1'oei1.

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m~-me clarté; les lois de la perspective sont ainsi abolies. Selon la description que Roussel fait du paysage, aucune distance ne sépare l'enfant qui joue au ballon au premier plan et le gardien du phare au loin. Donc, si leLlangage double ce qui est vu, il le fait avec une marge d'incertitude (dans la Doublure) ou un certain degr.'é d'inexacti-tude (dans la Vue). Le narrateur retrouvera inan1lhés et figés sur la photographie, le dessin, ou la carte postalejles individus auxquels son récit avait donné une vie éphém~re.

Tout l coup, une main ahurissante et leste, Avant m8me que j'aie en rien prévu le geste Déplace vite la bouteille, de façon

A laisser plus de champ libre; c'est le garçon

Qui s'empresse et m'apporte un plat bouillant qui fume. 1

En vérité, La Vue n'a pas décrit de façon réaliste les estivants du port de mer, mais elle les a créés de toutes pi~ces ~ partir de certains indices. " l a ma.in ahurissante et leste ", le bras relevé qui retombe et entra1ne avec lui son paysage enfoui, arrachent le narrateur au monde de l'imaginaire. La description

supplée au regard en faisant des extrapolations d'ordre psychologique •. Mais s'il crée sa propre vérité, le récit fait se chevaucher le langage et la réalité; par conséquent, il n'éChappe pas l cette ambigulté

(20)

damentale que Roussel a tenté de dissiper dans ses prem1~res

oeuvres.

Ainsi, dans une prem1~re version des Nouvelles Impres-sions d'Afrique, Roussel essaie de déorire " une minusoule lor-gnette-pendeloque dont chaque tube)( • • • ) renfermait une photo-graphie sur verre, l'un celle des bazars du Caire, l'autre celle d'un quai de Louqsor let.

Pourquoi oette tentative, que Roussel définit comme un recommencement de La Vue, fut-elle abandonnée? On peut trouver une réponse dans la forme définitive de Nouvelles Impressions d'A-frique, qui naquit de cet échec. Ce dernier roman de Roussel por-te sur l'impossibilité de décrire; il y a une longue fuipor-te l

l'intérieur du discours dans un éloignement croissant de l'objet de la description; le syst~me des multiples parenth~ses éloigne de plus en plus l'écrivain de son but. On a l'impression que, pour Roussel, les mots et les choses ne coincident plus exactement, que la distance qui sépare l'image de ce qu'elle représente et le mot de

1- Raymond Roussel, commentJi'ai écrit certains de mes livres (Paris:

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ce qu'il nomme, est devenue infranchissable. Cela expliquerait pourquoi Roussel a mis sept ans l composer Nouvelles Impressions d'Afrique tel qu'il le présenta au public, et pourquoi, surtout, il ne parvint jamais l terminer la description des bazars du Caire et du quai de Louqsor.

Cependant les mots, tout comme autrefois la photographie, la carte postale et l'étiquette peuvent devenir des objets autono-mes et servir de tremplin l la fiction. Les mots ne sont plus sou-mis l une volonté de réalisme absolu imposdlJle l satisfaire. A partir de cette constatation, Roussel s'appliquera l créer un monde imaginaire sans aucune attache avec la réalité, ainsi qu'en témoigne le docteur Pierre Janet, psychiatre de l'écrivainl

Martial a une conception tr~s intéressante de la beauté littéraire, il faut que l'oeuvre ne contien-ne rien de réel, aucucontien-ne observation du monde ou des esprits, rien que des combinaisons tout l fait ima-ginairesl ce sont déjl des idées d'un monde extrahu-main. 1

1- Pierre Janet, " Citations documentaires

ft,

Comment j'ai écrit certains de mes livres (Paris 1 J.J.Pauvert,

1963),

p.132.

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Pour engendrer ses oeuvres, Roussel se fondera non plus sur les ressources de son inspiration, ni mAme sur des images ou des portraits, mais sur les mécanismes du langage lui-m'me. Il entreprend une étude des caractéristiques de ce dernier. Le voca-bulaire n'est plus donné tel quel l l'écrivaina il devient un ma-tériau autonome qu'il faut observer pour en découvrir les possibi-lités créatrices.

" Billard et pillard ", " berceau et cerceau ", " crayon et rayon "a Roussel découvre en premier lieu l'identité phonéti-que du mot, indépendamment de la signification qu'on lui attache habituellement. Cette expérience, qui rappelle celle qu'un enfant fait du langage, ressemble aussi l un jeu: " Je choisissais deux mots presque semblables (faisant penser aux métagrammes). Par

1 exemple billard et pillard " •

Considérés de ce point de vue purement phonétique, une

phrase ou un récit sembleraient" un incompréhensible assemblage 2 ",

1- Raymond Roussel, Comment j'ai écrit certains de mes livres (Paris: J.J.Pauvert, 1963), p.ll

2- Raymond Roussel, .. Parmi les noirs", Comment j'ai écrit certains de mes livres (Paris 1 J.J.Pauvert, 1963), p.163.

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" un charabia 1 " auquel personne ne comprendrait rien. Roussel illustre ce fait dans le conte " Parmi les noirs " (embryon d'!.!-pressions d'Afrique) qui décrit des rébus et des cryptogrammes que les personnages doivent résoudre.

Rébus et cryptogrammes sont des mod~les du langage. Le rébus décompose le mot en différentes syllabes qu'il exprime par des images, des chiffres ou des lettresl

Gmeurt éferla Krit KtueREDEM ONscieur -dé - Barras.

Et je repris couramment a

J'aimerais faire la caricature de monsieur Débarras. 2

Roussel traite de la m~me façon les phrases articulées, il les déstruoture par des cryptogrammes.

" Les incompréhensibles assemblages ft ont une

significa-tion qu'il faut retrouver. De m~me chaque mot (pillard, billard, bande, reprise) peut renvoyer à plusieurs objets. A tout signifiant correspond au moins un signifié. Dans la phrase !ni tiale de .. Parmi

1- Raymond Roussel, " Parmi les noirs ", Comment j'ai écrit certains de mes livres (Paris 1 J.J.Pauvert, 1963), p.163.

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les noirs .. l " Les lettres du blanc sur les balldes du vieux bil-lard formaient un incompréhensible assemblage 1 ", le mot lettres est pris dans le sens de signes typographiques et de missivesl quand au mot blanc, il qualifie ~ la fois le mot homme et le mot cube de craie.

Il Y a plus de choses que de mots pour les décrire d'o~

la pauvreté du langage qui doit dire plusieurs choses avec les

m~-mes mots, et qui utilise continuellement le double et la répétition.

A cette carence du vocabulaire s'oppose pour l'écrivain une tr\s grande richesse tropologique.

Fontanier donne des tropes la définition suivantel Ils ont lieu par un rapport entre la premi\re idée attachée au mot, et l'idée nouvelle qu'on y atta-che et ils ont lieu d'autant de mani~res différen-tes que le rapport lui-mAme peut varier ou qu'il peut y avoir de différents rapports entre les i-dées. 2

1- Raymond Roussel, " Parmi les noirs ", Oomment j'ai écrit certains de mes livres (Paris 1 J.J.Pauvert, 1963), p.163.

2- Pierre Fontanier, Les figures du discours (Paris 1 Flammarion, 1968).

p.77.

(25)

Jeux des signifiants, jeux des signifiés. Roussel a vu les caractéristiques homonymiques et synon,miques du vocabulaire. Le langage proc~e souvent par métaphores et analogies. Roussel, lui, les utilisera systématiquament. exploitant la " riche pauvreté 1 " du mot.

Comment Roussel pouvait-il, en se servant uniquement du mot (ou, plus précisément, du nom) créer un univers romanesque tout

l fait imaginaire? Par un procédé ~ sui te logique de ses précéden-tes découverprécéden-tes, qui utiliserait le polymorphisme et le polysémisme du langage. En créant le procédé, Roussel découvrait ~e technique d'inspiration qui évoluera avec le tempsJ nous avons en effet relevé trois phases du procédé.

Dans un premier temps, Roussel trouvait deux phrases presque identiques

(l

un phon~me pr~s)

l

sens différents. Puis il écrivait un conte commençant par la premi~re. par exemple" La peau de la raie sous la pointe du Rayon vert (. • • ). 2." et se terminant par la se-conde " la peau de la raie sous la pointe du crayon vert 3 ".

1- Michel Foucault, Raymond Roussel (Paris 1 Gallimard, NRF. 1963), p.23.

2- Raymond Roussel, " La. peau de la raie". Comment j'ai écrit certains de mes livres (Paris 1 J.J.Pauvert. 1963). p.254.

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Entre les deux phrases primitives, la fiction revient

l son point de départ et comble la différence entre les signifiés. seule la différence phonétique cr - r indiquait que les deux phrases phonétiquement identiques avaient des sens différents. Sous le ti-tre " Textes de grande jeunesse ou Textes-genltse ", Comment j'ai écrit certains de mes livres présente dix-sept contes construits sur le même mod~le.

L'un de ces contes. " Parmi les noirs ", est l l'origine d'Impressions d'Afrique. Roussel écrit ~ ce sujets

En ce qui concerne la genltse d'Impressions

d'Afri-gue,

elle consiste donc dans un rapprochement entre le mot. billard et le mot pillard. Le pillard, c'est Talou; les bandes, ce sont ses hordes

guer-ri~resl le blanc c'est rarmicha~l (le mot lettres

n'a pas été conservé).

Les deux phrases initiales de ce conte, Les lettres du blanc sur les bandes du vieux p/billardJont donc déterminé les configurations ori-ginelles du roman. Pour la création d'Impressions d'Afrique, dix ans plus tard, Roussel emploiera surtout les formes évoluées du procédé, qui viendront étoffer les données initiales.

1- Raymond Roussel, Comment j'ai écrit certains de mes livres (Paris 1

J.J.Pauvert, 1963), p.13.

(27)

La seconde phase du procédé laisse de cOté l'exploita-tion phonétique et joue uniquement sur le sens des mots. Il ne s'agit plus de phrases dédoublées pour encadrer la fiction, mais d'expressions du type" fraise à nature ", " guitare à vers ", " meule à botte ". " plante à faux " dont Roussel tire des images qui formeront la trame d'Impressions d'Afrique. La technique du procédé est passée de l'ordre du paradigme à celui du syntagme.

La seconde phase du procédé se résume ainsi:

Je choisissais un mot puis le reliais à un autre par la proposition à; et ces deux mot~

pris dans un sens autre que le sens primi titi me fournissaient une création nou/elle. 1

Dans son oeuvre posthume, Roussel présente une quarantaine d' exem-ples, tous construits de la même façon, c'est-à-dire selon un rap-port d'analogie entre les sens des motsl

l-Aiguillettes (morceaux de viandes) à canard (comestible) 2- aiguillettes (Uniforme) à

ca-nards (notes de mus~que)1 d'ob les aiguillettes musicales ( • • • ).

1- Raymond, Roussel, Comment j'ai écrit certains de mes livres (Paris: J.J.pauvert, 1963), p.13-14.

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Les sens .. morceaux de viande" ei; " comesi;ible " sont négligés au profit de ceux qui permettent une association verbale inédite. Le jeu des signifiés s'est compliqué, le dédoublement sémantique n'est plus apparent dans le récit, parce que seule demeure l'asso-ciation qui en est le produit •

.. Le procédé évolua, écrit Roussel, et je fus conduit ~

prendre une phrase qu~lconque) dont je tirais des images en la

disloquani;, un peu comme s'il se rot agi d'en extraire des dessins de rébus l ". Botons que cette phrase du procédé étai t déj~ annon-cée dans le conte" Parmi les noirs" (cf p. 16). La dislocation de .. J'ai du bon tabac dans ma tabati~re 2 " donne " Jade tube onde aubade en mat (objet mat) tierce 3 ". Avec" Mane Thecel Phares " Roussel obtient " manette aisselle phare

If. ".

Dans cette forme du

1- Ra>;ond Roussel, Comment j'ai écrit certains de mes livres (Paris 1 J.J.Pauvert, 1963), p.20.

2-

!!!!!!.,

p.20 3- Loc.cit. 4- Ibid., p.23

(29)

procédé, Roussel se sert de n'importe quoi. un vers de Victor Hugo, un proverbe, un extrait d'un de ses po~mes, une réclame publicitaire, un slogan politique, etc. Le discours est détruit et donne naissance ~ des mots nouveaux, ~ des associations orig1-nales, comme dans la seconde phase du procédé.

Une fois ces jeux verbaux terminés, que fera l'écrivain? Il a en main les matériaux premiers de son roman, des matériaux linguistiques qui soudain prennent vie, S'} matérialisent, devien-nent personnage, élément de décor, événement. Ll se trouve pro-bablement l'originalité de Roussel. le jeu débouche sur un récit, une fiction.

Or ce comment, volontairement posthume ( •••• ) se rév~le un seuil ambigu, fait la preuve d'un renversement insolites au lieu, semble-t-il, de la démonstration attendue que la pensée fait des mots avec des choses, voici au contraire l'af-firmation méthodique, ouvrant sur un espace sur-prenant et illimité, qu'elle est capable de faire des choses avec des motsi l

Notons que Sollers c~e ici au jeu de motsl on ne crée rien avec des mots, rien de réel du moinsl les créations de Roussel restent

(30)

purement verbales et romanesques • •• Mais il fait des choses avec des mots en ce sens qu'il transforme ses mots en personna-ges, en événements, etc. Grâce l la magie des mots qui s'incar-nent, les aiguillettes musicales deviendront celles de Louise Montalescot, atteinte d'une maladie des poumons et dont la respi-ration est réglée par un mince tube élégamment caché sous des ai-guillettes. "Jade tube onde aubade l .. fournira tous les éléments d'un conte intitulé Il Le po~te et la Moresque Il qui sera inséré

dans Impressions d'Afrique. Naissent de la m'me mani~re le métier

l tisser sur le Tez, les statues qui glissent sur des rails en mou de veau, la petite bourse ob les ordres sont donnés en vers, Sirdah qui louche et a une envie sur le front, etc • • •

Dans Comment j'ai écrit certains de mes livres, Roussel explique que chaque nouvelle association obtenue par le procédé représentait un probl~me que la fiction avait pour but de résoudre. En effet, tout reste l faire; quand la .. relation" est donnée. Voyons un exemple complexe qui combine la seconde et la troisi~me

forme du procédés

1- Raymond Roussel, Comment j'ai écrit certains de mes livres (Paris 1 J.J.Pauvert, lS63), p.20.

(31)

1- Demoiselle (jeune fille) ~ prétendant, demoiselle (hie) ~ reltre en dents.

Je me trouvais donc en face de ce probl~mel l'exécu-tion d'une mosa!que par une hie. D'ob l'appareil !>; compliqué décrit page&35 et suivantes. C'était d'ail-leurs le propre du procédé de faire surgir des équa-tions de fait

l( • • • ) qu'il s'agissait de résoudre logiquement.

Les jeux des signifiés et des signifiants créent aussi des tensions qui formeront la trame du récit. A partir de la relation " revers ~ Marguerite 2 ", Roussel invente la bataille du Tez per-due par Yaour déguisé, pour le Gala des Incomparables, en Marguerite de Faust. De fi favori ~ collet 3 " nattra l'aventure de Nairt le

favori du roi Talou tombera dans un pi~ge (collet) ~ la suite d'une coalition contre son souverain. Ces deux événements aurOnt une im~

portance capitale dans l'intrigue du roman.

C'est ainsi que la majorité des éléments des Impressions d'Afrique ont trouvé naissance dans un dédoublement sémantique ou dans une dislocation phonétique. Le procédé n'est donc pas une simple technique d'insptration; il est l'oeuvre m3me qu'il détermine en ses

1- Raymond Roussel, Comment j'ai écrit certains de mes livres (Parisl J.J.Pauvert, 1963), p.28.

2- ~., p.15.

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moindres parties. Les distances avec la réalité sont maintenues puisque Roussel crée des images inédites par un jeu de signifiés et de signifiants. GrAce au procédé, Roussel est donc assuré de ne pas trahir son buta créer un univers imaginaire en se servant uniquement des caractéristiques intrins\ques du langage.

Des Il Textes de grande jeunesse ou Textes-gen~se n ~

Impressions d'Afrique, les rapports du procédé et de la fiction se sont transformés.

Dans une prem1~re étape, les deux phrases irdtiales, pro-duits évidents d'un procédé, étaient présentes dans le texte qu'elles encadraient. A partir d'Impressions d'Afrique, le procédé dispara1t sous la fiction et devient une sorte de tracé en filigrane dans le texte. Le produit (Impressions d'Afrique) occulte l'acte de pro-duction (le procédé). Le procédé est d'autant moins lisible dans le texte que son fonctionnement s'est compliqué et que le jeu des analo-gies se fait parfois ~ plusieurs niveaux, brouillant toutes les pistes qui pourraient permettre de retracer ses différents moments. Comment deviner que la maison souveraine et les soeurs espagnoles d'Impressions d'Afrique sont nées de J~ rencontre initiale de " maison à

espagnolet-tes l ", expression d'abord prise dans le sens de poignée de fen8tre et

1- Raymond Roussel, Comment j'ai écrit certains de mes livres (Paris 1 J.J.Pauvert.

1963),

p.14.

(33)

d'édifice? De ces deux sens, qui furent pourtant indispensables

l la gen~se, il ne restera plus trace dans la fiction. M~me apr's l'aveu de Roussel, il serait impossible de retrouver les associations et les phrases initiales qui ont présidé l la naissance d'Impressions d'Afrique. A moins de considérer le roman comme un rébus (pour les sens initiaux) et un cryptogramme (pour déchiffrer l'organisation interne du récit).

Cette méthode critique de l'oeuvre serait bien hasardeuse puisque Roussel ne souhaitait pas que le procédé transparaisse. " Ici je mis"l'ai-je ~)au lieu de~'eus-j~lcra1gnant que d~

l'eus-je ne laissât transparaltre le procédé l n. L'écrivain souhaitait sans doute que le lecteur c~e aux impressions de la fiction sans pénétrer les myst~res de sa formation. Le roman se présente ainsi comme une série de replis, de surfaces, de recouvrements qui masquent leur gen~se et en sont poixtant la manifestation. Dans un second temps, Roussel a dévoilé le procédé, a éclairé par de multiples exemples la création des Impressions d'Afrique. celles-ci sont nées d'un langage dédoublé ou disloqué et le roman appara1t alors non

1- Raymond Roussel, Comment j'ai écrit certains de mes livres (Paris 1 J.J.Pauvert,

1963),

p.24.

(34)

plus comme un simple récit, mais comme un récit dans son moment de production.

L'oeuvre nous est offerte dédoublée en son dernier instant par un discours qui se char-ge d'expliquer comment. •• Ce" comment j'ai écrit certains de mes livres ", révélé lui-m'me quand tous étaient écrits, a un é-trange rapport avec l'oeuvre qu'il découvre dans sa machinerie, en la recouvrant d'un r!-cit autobiographique ij!tif et méticuleux.

Le titre Impressions d'Afrique éclaire cette démarche et indique peut-&tre une mani~re de lire l'oeuvre. Roussel a

déj~ lancé un avertissement. " • •• toujours pour lesprendre dans un sens autre que celui qui se présentait tout d'abord 2 I f .

Ainsi le roman n'est pas uniquement un récit de voyage. Une im-pression peut ~tre l'action par laquelle on applique une chose sur une autre ou le résultat de cette action. Toute impression suppose la notion de double: envers et endroit, acte et effet; une impression est également ce qui reste de l'action qu'une cho-se a imprimée sur un corps ou un esprit. Toutes ces applications.

1- Michel Foucault, Raymond Roussel (Paris: Gallimard, NRF, 1963).

p.7.

2- Raymond Roussel. Comment j'ai écrit certains de mes livres (Paris: J.J.Pauvert, 1963). p.13.

(35)

du mot impressions rejoignent d'une façon étonnante ce que nous avons vu du procédé et de ses rapports avec la fiction. Roussel impressionne les mots en images et son procédé est ~ la fois acte (machine l fabriquer des impressions) et résultats (les images s'impressionnent en personnages, événements et divers éléments du roman). La confession posthume présente le négatif des Impressions d'Afrique, oeuvre qui est le reste organisé, romanesque et lisible du procédé.

(36)
(37)

la structure, les th~mes, l'univers d'Impressions d'Afrique témoi-gnent-ils de leur origine verbale? Nous interrogerons l'oeuvre en ayant continuellement ~ l'esprit ces questions.

Nous tenterons de définir la nature et les caractéristiques de l'histoire racontée grâce au procédé de Raymond Roussel. Il ne s'agit pas de reprendre point par point les éléments du premier chapitre et de montrer leur adéquation avec l'oeuvre. Cette appro-che artificielle négligerait, nous semble-t-il, l'originalité de la structure interne du roman. Nous avons préféré étudier l'oeuvre dans son ensemble, et souligner, au fur et ~ mesure ce que sa structu-re, ses th~mes et son univers romanesque doivent au procédé.

La premi~re partie des Impressions d'Afri9ue_~st une mise en

sc~ne d'éléments disparates (numéros de cirque, chants, concerts, démonstrations d'appareils de toutes sortes) qui forment un spectacle continu d'une durée de dix heures environ. c'est le Gala des Incompa-rables, décrit par un narrateur qui est aussi spectateur.

(38)

Le roman ouvre sur un univers théâtral et figél l'esplana-de, le théâtre appelé ft Club des Incomparables 1 ", un homme

atta-ché sur un socle, des dessins de guerre qui tournent autour de deux piquets plantés en terre, un palmier, un arbre caoutchouc et un au-tel forment un décor silencieux face l la masse grouillante des Noirs et des Blancs assemblés pour le spectacle.

Les chapitres suivants présentent la description détaillée et chronologique du Gala, du sacre de l'empereur Talou l la remise des récompenses aux organisateurs des meilleurs numéros.

Dans la premi~re partie du roman, il n'y a pas création d'un temps continu, mais création de moments, sans liens apparents les uns avec les autres. Ces moments se présentent souvent sous forme d'extraits.

Des tableaux résument la vie de Velbarl " Flore et

l'adju-dant Lecuro-5 ft, " La représentation de Dédale

:3", "

La. consultation 4.t,

" La. correspondance

secr~te

5 ", etc. Des

pi~ces

de théâtre sont ré-duites l quelques personnages figés dans un geste ou une réplique.

1-

Raymond Roussel, Impressions d'Afrique (Paris 1 J.J.Pauvert,

1963),

p.

7.

2- ~., p.15.

3-

Ibid.

4-~.

(39)

Le rideau s'ouvre sur " Le Festin des dieux de l'Olympe 1 ",

rassem-1

blement d'une disaine de comédiens autour d'une table bien garnie, et se referme aussit&t. Un groupe de statues illustre des réactions violentesz douleur, colltre, peur, etc. Tout appan.1t ainsi pétrifié dans une attitude définitive et le temps semble réduit l quelques mo-ments.

Ces numéros ne s'intltgrent l aucune histoire romanesquel cha-cun d'eux forme un moment indépendant et autonome du spectacle. Les machines, animaux, plantes, appareils compliqués qui composent le spectacle du Gala paraissent extraits d'un monde, coupés de leur con-texte et figés dans la rigueur de leur machinerie, semblables en cela aux images, dessins et scltnes de théâtre.

La seconde partie du roman replace les données du Gala des In-comparables dans un co.texte historique.

La foule, abandonnant la place des Trophées, s'était lentement répant1ue dans Ejur, et, peu distrait par ma besogne purement mécani-que, je ne pouvais m'emp!cher de songer, dans le grand silence matinal, aux multiples aventures ~i depuis trois mois avaient rem-pli ma vie.

Le lecteur apprend alors que les passagers du Ipcée, embarqués sur un

1-

Raymond Roussel, Impressions d'Afrique (Parisl J.J.Pauvert,

1963),

p.

75.

(40)

paquebot en direction de l'Amérique du Sud, ont été jetés sur les c&tes d'Ejur lors d'une tempate et capturés par le roi Talou qui exige une rançon pour leur libération. Les prisonniers ont organi-sé un Gala (celui décrit dans la premi~re partie) en attendant une réponse de leurs parents européens.

Cette seconde partie est formée d'une succession de récits qu1 récup~rent dans un temps historique les différents numéros du Gala. Séil-Kor raconte l' h1stoire de l'empire de Souann, de Talou VII et ses propres aventures. Chaque passager du Lyncée explique comment naquit son numéro du Gala.

Ce ne sont plus seulement des images, des dessins ou des ap-pareils, mais l'h1stoire de leur origine, l'explication de leur fonctionnement et les anecdotes qui y sont liées. Cette seconde par-tie répond A l'idée que le lecteur se fait habituellement d'un

ro-~an: un récit dont tous les éléments découlent naturellement les uns des autres, qui a un début (ici, le naufrage du Lyncée) et une fin

(les prisonniers retournent dans leur pays d'origine).

Dans une note placée au début du roman, Roussel recommandait au lecteur peu habitué A la lecture de ses oeuvres, de lire la seconde partie avant la premi~re: soit d'inverser l'ordre de la création qui mettait d'abord les signes en sc~ne, puis leur signification.

(41)

lentement dans la suite des expériences vécues. Dans La Vue, la des-cription épuisait successivement tous les éléments de l'image et pre-nait fin quand elle n'avait plus d'objet.

Dans" Parmi les Noirs ", gen~se des Impressions d'Afrique, nous avons vu les phrases initiales orienter la fiction et la rame-ner l son point de départ phonétique. Cette structure c,yclique se retrouve dans Impressions d'Afrique. Parti de France en direction de l'Amérique du Sud, le Lyncée a été détourné de son chemin e~ re-vient en France. Entre le moment du départ et celui du retour, quel-que chose s'est produit. le séjour en Afriquel-que. C'est l'objet de la fiction, une fois posés, comme dans " Parmi les Noirs ", les jalons du parcours. L'imperceptible différence de sens qui existait entre les deux phrases presque identiques phonétiquement se retrouve égale-ment dans le romanI même si les deux parties se recouvrent, elles le font sur un mode différent, l'un descriptif, l'autre narratif.

Impressions d'Afrique se présente sous une forme cyclique non seulement dans son intrigue, mais aussi dans ses imagesl celles qui inaugurent le Gala sont aussi celles qui terminent le roman. La secon-de partie ram~ne le récit l son point de départ. Tous les éléments de la premi~re partie sont reprisa l chaque dessin, numéro, statues,

(42)

appareil du Gala) correspond dans la seconde partie une image sem-blable. Une fois tous les éléments du Gala explicités le roman peut se terminera c'est le retour en France.

Roussel avait d2abord découvert le mot comme signifiant,

puis il avait exploré le domaine des significations. Dans une

troisi~me étape, il a assemblé des mots en vue d'en faire des segments de phrases. Cette expérience sur le langage se retrouve dans la structure d'Impressions d'Afrique.

La. premi~re partie du roman, soit la description du Gala, montre le signe comme simple existant, indépendamment du signifié. C'est le mot devenu image (puisque tous les numéros doivent ~tre

vus) ou son (puisque plusieurs numéros nécessitent une audition). Le mot s'est matérialisé, se donne à voir et à entendre.

La guérison de Séi1-Kor grâce à une représentation chronolo-gique de certains événements marquants de son enfance pose la nécessi-té d'un code dans lequel mots et images s'ins~rent et récup~rent

leur sens. La seconde partie du roman int~gre le signe dans une phra-se, c'est-à-dire un discours continu, fixe son identité en abolissant son caract~re arbitraire.

La seconde partie est donc de l'ordre de la parole cohérente et de la communication. Roussel, tout en innovant au niveau de la

(43)

du roman, les signes s'organisent, se comp1~tent, se haussent au niveau d'un discours qui récup~re en " les parlant " les divers segments

fragmentaires du Gala. Il y a donc passage du mot ~ la phrase organisée.

Or, nous avons vu que la seconde partie renvoyait constamment

l la premillre et vice-versa. Du mot, on passe l sa signification, mais celle-ci ram~ne pourtant l la pure et ~stérieuse présence du signifiant. Les signes sont-ils le point de départ de l'oeuvre ou son aboutisse-ment? La structure répétitive des Impressions d'Afrique semble indi-quer qu'ils sont les deux l la foisl matrice dans laquelle l'oeuvre prend forme et se développe, et ce en quoi elle vient s'ab!mer, se fi-ger.

Tout mot existe indépendamment du contenu d'images et d'actions que nous lui attribuons. Cette existen-ce n'est peut-Atre pas sensible dans la parole, mais se manifeste de toute évidence dans l'écriture. Il est des inscriptions que nous ne déchiffrons pas, dont nous ne connaissons pas le sens et qui pourtant sont gravées quelque part. Elles n'apparaissent l

nos yeux que sous cette forme purement matérielle. Elles représentent l'essence du langage, ce qui subsiste de lui et d'irréductible en lui lorsqu'on a éliminé de lui toutes les significations ( • • • ) que nous lui attribuons dans le temps. 1

(44)

Un décor surchargé de signes, de mots et de chiffres in-troduit les Impressions d'Afrique. Le mot Pincée est inscrit en majuscules sur un chapeau melon, la lettre C est tracée en majuscu-le sur un gant. Attaché sur son socmajuscu-le, Nair rép~te une suite de mots incompréhensibles. Les expressions Il Club des Incomparables

n,

.. Maison:.:régnante de Ponukélé-Drechlkaff 1 ", .. Restauration de l'empereur Talou VII sur le trene de ses p~res 2

n,

qui expliquent

bri~vement certains éléments du décor, font partie intégrante de celui-ci et paraissent aussi étranges que les hiéroglyphes ponu-kéléiens inscrits sur une feuille de papyrus au pied de l'autel:

Le texte ponukéléien, enti~rement inaccessible

~ des oreilles europée~es, se déroulait en stro-phes confuses~( • • • ).

Les Blancs, nouvellement arrivés à Ejur, ne parlent ni ne comprennent le ponukéléien. Carmichaël répétera la Jéroukka d'une mani~re purement phonétique, sans comprendre le sens de ce chant. Les Africains, exceptions faites de Séil-Kor et de Sirdah,

consid~rent le langage de leurs prisonniers comme un charabia inpréhensible. Certains numéros du Gala présentent des histoires com-pliquées ob des amants utilisent des rébus et des cryptogrammes pour

1- Raymond Roussel, Impressions d'Afrique (Paris: J.J.Pauvert, 196) p. 10.

2-

lli9-..,

p.ll.

(45)

couvrir le sens.

Des feuilles de journaux servent l la confection de costu-mes, de toits, de décors de thé!trel en regardant bien, le specta-teur voit appara1tre ici et 1l des fragments de phrases ou d'arti-cles.

Le toit, largement incliné suivant une pente unique, se composait d'étranges feuillets de livre, jaunis par le temps et taillés en forme de tuilel le texte, assez large et exclusivement anglais, était pâli ou parfois effacé, mais certaines pages dont le haut restai t visible, portaient ce ti 'tfe 1 1he Fair Maid of Perth encore nettement tracé. 1

Dans les Impressions d'Afrique, le langage est présent partout mais il est d'abord un signe matériel comme les objets, les ap-pareils et les numéros du Gala.

Plusieurs numéros du Gala exigent l'usage de la parolel Ludovic l la voix quadruple, Urbain et son cheval parlant, les

fr~res Alcott et leurs thorax répercutant les sonse Cuijper et son appareil qui donne' la voix une ampleur phénoménale, illus-trent les puissances et les limites du langage: polyphonique et

1-

Rayaond Roussel, Impressions d'Afrique (Paris: J.J.Pauvert,

1963),

p.

14.

(46)

répétitif, le langage peut 8tre un pur automatisme, un moyen de communication et mGme s'élever au niveau d'une oeuvre d'art. Ta10u est po~te et la Jéroukka se veut un chant guerrier racontant l'épo-pée de l'empereur.

Dans chacun de ces cas, 1e~ .. langage est donné en spectacle comme tous les numéros du Gala, dompté, domestiqué. Le langage se met 1ui-m~me en sc~ne et illustre ses capacités.

A certains moments, le langage retrouve son re1e de com-municationa dans la premi~re partie, quand quelques participants du Gala expliquent le fonctionnement de leur maChine. Mais c'est la seconde partie surtout qui, avec ses récits, permet une

COIlUllllW>-nication verbale entre les personnages, qu'ils soient blancs ou noirs, grâce aux interpr~tes Sirdah et Séi1-Kor.

Roussel int~gre l son roman des récits, des contes, des légendes qui servent l mettre en valeur les inventions ou les décou-vertes des participants du Galaa la plante de Fogar reproduit sur ses fibres photographiques, le conte" Le poltte et la Moresque"; les pastilles de Fuxier, et les baumes anesthésiants de Bex permet-tent de réaliser une interprétation étonnante de .. Roméo et Juliette "; tandis que les essences aromatisantes de Darriand compllttent admira-blement bien l'histoire de l'arbre d'Arghyras.

(47)

L'un des th~mes du Gala des Incomparables est celui des ma-chines ou des appareils qui créent des chefs-d'oeuvre de précision et de rigueur. ce sont l'orchestre automatique et la patience géan-te de Bex, la machine ~ peindre de Louise Montalescot,; la machine

~ tisser de Bedu, etc.

Roussel décrit ces appareils dans leurs moindres détails, transformant ainsi certaines parties des Impressions d'Afrique en traité de mécanique (ces descriptions rappellent la prem1~re partie de Comment j'ai écrit certains de mes livres, quand Roussel présen-te les différenprésen-tes phases du procédé ~ l'aide de multiples exemples),

Un thermom~tre excessivement haut. dont chaque degré se trouvait divisé en dixi'me, dressait sa tige fra-gile hors de la cage, ob plongeait seule sa fine cu-vette pleine d'un étincelant liquide violet. 1

De la structure, on passe au fonctionnement de la machinel ce qui n'était que roues, bielles, leviers, pédales se met l bouger,

l produire.

Leur nombre, l'échelonnement de leur taille, l'isole~

ment ou la simultanéité des plongeons courts ou dura-bles} fournissaient un choix infini de combinaisons fa-vorisant la réalisation des conceptions les plus har-dies. 2

1-

Raymond Roussel, Impressions d'Afrique (ParisÎ J.J.Pauvert,

1963),

p. 40.

(48)

Le Gala présente ainsi plusieurs procédés de production. Il faut, chaque fois, que la machine ma1trise le hasard et l'arbitraire. le chimiste Bex se sert des variations de température pour faire fonction-ner son orchestre automatique, la machine l tisser de Bex se meut l

m3me le courant du fleuve. Une machine de Locus Solus utilise les vents pour construire une hie volante. Le travail est toujours com-plexe, délicat.

Ces filaments imperceptibles lui servaient

l composer un ouvrage de fée subtil et com-plexe, car ses deux mains travaillaient avec une agilité sans pareille, croisant, nouant, enchev&trant de toutes mani~res les ligaments de r3ve qui s'amalgamaient gr.acieusement. Les phrases qu'il ré~ta1t sans voix servaient l

réglementer ses manigances périlleuses et pré-cises; (. • .).1

Naïr, n'est-ce pas Roussel, construisant son roman l partir du lan-gage, " croisant, nouant, enchev3trant " les significations des mots pour obtenir une oeuvre d'imagination? Le procédé a créé ses propres métaphores; la structure des appareils et leur fonctionnement rappel-lent les caractéristiques du procédé. dominer le hasard, l'arbitraire, organiser le langage selon une technique rigoureuse, dans un moule dé-fini d'avance, afin d'obtenir des constructions rigoureusement effica-ces.

1- Raymond Roussel.lmpressions d'Afrique (Parise J.J.Pauvert,

1963),

(49)

Les procédés de production lib~rent des mondes merveilleux, semblables ~ ceux que les mots contiennent en puissance:

Le sculpteur Fuxier venait de s'approcher du phare , pour nous montrer dans sa main ouverte plusieurs pastilles bleueF d'extérieur uni , qui • ~ notre F;U, contenaient dans leurs f~cs toutes sortes d'i~es en puis-sance créées par ses soins.

En effet, une fois soumis au procédé, les mots deviennent images ; se matérialisent •

Les pastilles de Fux1er • jetées tantOt dans l'eau , tantOt dans le feu, donnent naissance ~ des images qui semblent flotter sur le fleuve ou s'élever des flammes:" Le po~te

Giapalu se laissant dérober par le vieux Var les vers admi-rables dus ~ son génie 2 .. " L' Horloge ~ vent du pays de Cocagne 3" "Le prince de Conti et son geai 4 ", etc • Le feu d'artifice de Luxo explose dans le ciel en quelques représentations du baron Ballesteros 1

1- Raymond Roussel 1 Impressions d'Afrique ( Paris:J.J.Pauvert,1963)

p.

9.5

2- ~., p.96 3- Loc. cit. 4-

lli!!.

,p.o/'?

(50)

Ces dessins en traits de flamme,d'une exécution remarquable, représentaient l'élégant clubman dans les poses les plus variées, en se disti~t tous par une couleur spéciale. 1

Des impressions sonores sont également créées par l'orchestre auto-matique de Bex, le ver mélomane, le cheval Romulus, la f1nte-tibia de Le1goua1ch, etc.

Une machine, A la fois arche su~ les eaux du Behu1iephruen et métier

A

tisser, produit une cape sur laquelle figure l'arche de Noé. Le procédé est également une machine

A

tisser le langage et l'objet du récit semble la célébration de ses propres matériaux. Le texte raconte sa gen~se, se représente lui-même dans les diffé-rents moments de son fonctionnement.

" Le carré parfait de l'esplanade était tracé de tous cOtés par une rangée de sycomores centenaires; • • • 2 "

Le vaste espace quadrilat~re compris entre les sycomores et la foule des spectateurs est le lieu ob viennent se fixer et d'ob rayonnent toutes les impressions d'Afrique. Espace thé!tral s'il en

1- Raymond Roussel, Impressions d'Afrique (Paris 1 J.J.Pauvert,

1963),

p. 97.

(51)

est puisque pendant des±'.heures s 'y dérouleront, comme sur une sclme, des représentations qui tiendront tour

A

tour du cirque, de la foire, de la conférence, du conc~rt, du cinéma et de la vie sociale.

La plupart des participants au Gala sont comédiens par mé-tier, et leurs numéros appartiennent au répertoire habituel du milieu artistique; d'autres deviennent comédiens pour la circonstance, et

m~me excellents comédiens, comme si tout A coup leur véritable nature leur était révélée. Animaux et plantes ne sont pas exclus du Gala, au cours duquel ils exécutent des prouesses. des chats jouent aux bal-les, un ver interprltte des partitions musicabal-les, une pie sert de clé pour mouvoir des statues.

Le Gala des Incomparables est théAtre de la vie tout autant que théâtre de la fictions la vie devient figuration, se transforme en spectacle. Talou se fait sacrer empereur, se déguise en l-mrguerite de Faust et monte sur les planches chanter l'Aubade de Daricel1i. Les tra1tres Gaiz Duh, Mossem et Rul sont mis

A

mort. L'aveugle Sirdah recouvre la vue, tandis que Séil-Kor est guéri de son amnésie.

Nous avons vu que tout ce qui ne se rattachait pas au Gala sur le plan descriptif faisait l'objet de récit •. Cependant le Gala est en-richi des éléments de ces récits. le palmier et le caoutchoue symbo-lisent la victoire de Ta10u sur son rival Yaour; la cartouchi~re, les

(52)

habits et les images le représentant à divers moments, résument la vie de Velbar et font partie intégrante du décor du Gala.

La fronti~re qui sépare habituellement le théâtre de la vie n'existe pas ici. Les statues de Norbert Monta1escot sont criantes de vérité et de vie; elles peuvent m~me s'animer quelques secondes donnant ainsi Il l' illusion compl~te de la réalité 1 ". Un numéro

du Gala présente une " sui te d' apparitions sans mouvement 2 ": des comédiens miment des statues et des personnages de tableaux. L'arti-fice imite donc le réel, et vice-versa:

On pensait malgré soi ~ ces mannequins de féerie qui, habilement substitués· à l'acteur grâce au double fond de quelque meub1e)sont proprement découpés sur la sc~ne en tronçons pourvus à l'avance d'un trompe-l'oeil sanguinolent. Ici)la réalité du cadavre ren-dait impressionnante cette rougeur compacte habi-tuellement due à l'art d'un pinceau. J

Cette caractéristique mimétique des impressions d'Afrique est mise en évidence dans les nombreuses imi~ations du Gala. Marius

Bouc~~-ressas imite le bruit d'un train qui s'ébranle, le grincement de la scie sur une pierre de taille, le saut brusque d'un bouchon de cbam.pa-gne, etc. L'orchestre automatique de Bex et le ver mélomane (capables

1- Raymond Roussel, Impressions d'Afrique (Paris: J.J.Pauvert, 1963), p. 32.

2- ~., p. 80. 3- ~., p. 23.

(53)

tous deux d'interprétation musicale digne des grands ma1tres), le fleuret mécanique (qui rivalise d'ingéniosité avec un excellent escrimeur), le cheval parlant (qui illustre l'automatisme du

langa-ge~étendent le phénom~ne ~ l'ensemble de la création.

Dans chaque cas, il s'agit de créer des impressions identi-ques ~ celles du réel; il y a donc création artificielle de doubles, de reflets de la réalité:

Ludovic peu à peu accentua son timbre, pour commencer un vigoureux crescendo qui donnait l'illusion d'un groupe loin-tain se rapproohant ~ pas rapides. l

Le double (prOduit de l'artifice) doit ~tre identique en tous points au mod~le, illusion totale. Ainsi, Louise Montalescot risque la mort si la machine photo-mécanique qu'elle a créée ne donne pas une imitation parfaite d'une sc~ne matinalel

Tous les regards fixaient avidemment cette mystérieuse mati~reldotée par Louise d'é-tranges propriétés photo-mécaniques. 2 Les grands arbres du Behuliphruen étaient

fid~lement reproduits avec leurs magnifiques branchages, dont les feuilles, de nuance et de forme étranges se couvraient d'une foule de reflets intenses. ( • • • ) L'oeuvre, dans son ensemble, donnait une impression de co-loris singuli~rement puissant et restait

ri-1-

Raymond Roussel, Impressions d'Afrique (Paris; J.J.Pauvert,

1963),

p.

63.

(54)

goureusement conforme au mod~le, ainsi que chacun pouvai t s'en assurer par un sil!lP1e coup d'oeil jeté sur le jardin lui-même. 1

Quelle est la place de l'homme dans cet univers? La technique a rendu l' homme ma1tre de la nature végétale et animale, mais aussi de sa propre nature. En effet, les personnages créateurs de ma-chines deviennent eux-m8mes des mama-chines (Lelgouach, Boucharessas, Cuijper) ou s'effacent compl~tement der.ti~re leurs créations. Cel-les-ci sont douées ,. pouvoirs ordinairement attribués l l'homme. elles peuvent se battre (le fleuret mécanique de La Bi11audi~re­

Ma.isonnial), peindre (la machine de Louise Montalescot) ou interpré-ter des oeuvres musicales (l'orchestre automatique de Bex). Les

personr~es du roman ont donc trouvé des substituts capables de les remplacer. sinon de les égaler; témoin. ce ver mélomane capable d'in-terpréter grâce à ses contorsions et l l'aide d'un liquide spécial les plus merveilleuses pi~ces de musiquel les hommes se sont trouvés de parfaits imitateurs.

Ainsi dans les Impressions d'Afrique. l'homme n'est pas un être privilégié, centre et sens du monde. qu'on aborderait d'un point de vue métaphysique. L'univers psychologique des personnages est fait

1- RaymondlRoussel, Impressions d'Afrique (Paris 1 J.J.Pauvert, 19(3)".

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de lieux communs vidés de sens. véritables images d'Epinall la fonction de l'individu seule importe. L'homme est devenu un fa-bricant d'impressions. un fa.fa-bricant de signes. Roussel ne semble pas s'intéresser l l'homme mais ~ ce qu'il peut produire, ~ son environnement. Comment expliquer cette a.bsence d'humanisme? Les personnages de Roussel sont des produits du langage. semblables en cela aux plantes, animaux et décors du roman. Il n'y a ni nature végétale, ni nature animale. ni nature humaine; l'univers créé n'o-béi t ~ aucune logique autre que la sienne propre. Sur la sc~ne de l'imaginaire. les mots s'animent et dansent sur un mode purement ori-ginal. étranger ~ ce que nous connaissons. Les personnages princi-paux du roman. ce ne sont pas Talou et les passagers du Lyncée. mais les numéros du Gala des Incomparables. Roussel semble vouloir créer une nouvelle mythologie 1 il invente ~ Napoléon. ~ Haendel. l: Shakespea-re, ~ Voltaire)des histoires fictivesl il présente comme reliquats d'une culture des légendes. contes)qui n'ont jamais existé avant lui et qui sont les résultats de ses jeux avec les mots.

Cet autre monde créé par Roussel. ob vie et mort, nature et artifice, homme et machine se confondent, ce monde issu des mots et de leurs possibles. a aussi ses limites. L'artificiel ne peut se substituer au réel d'une mani~re absolue. Il est et ne peat 'tre

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qu'éphém~re ou secondaire comme le reflet. L'animation dans Impres-sions d'Afrique, tous ces spectacles et ces récits semblent, comme l'indique Julia Kristeva un If dynamisme sur fond de mort 1 ". Tout

se met l fonctionner, puis s'arr~te et retourne au néant: A ce moment Bedu arr~ta l'appareil en appuyant sur un nouveau ressort du coffre. Aussitet les aubes s'immobi1is~rent, cessant de porter la vie aux différentes pi~ces désormais roides et inactives. 2

Ou encore:

Les portraitsJdescendant lentement et projetant sur une vaste étendue leur puissant éClairage polychrome, se main-tinrent quelque temps sans rien perdre de leur éclat. Puis ils s'éteignirent sans bruit, un par un, et l'ombre peu

~ peu se répandit de nouveau sur la plai-ne. ;3

Les limites de l'artifice sont celles m3me de la nature. Dans Locus Solus, Canterel invente deux produits, la résurrectine et le vitalium, qui redonnent vie temporairement ~ des cadavres:

1- Julia Kristeva, Recherches pour une sémanalyse (Parisl Ed. du Seuil, Coll. Tel Quel. 1969),.223

2- Raymond Roussel, Impressions d'Afrique (Paris: J.J.Pauvert, 1963), p.

94.

Figure

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