• Aucun résultat trouvé

Début 2, Noctis

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Début 2, Noctis"

Copied!
8
0
0

Texte intégral

(1)

Chapitre 1

« Monsieur Song! », s’exclamait la voix derrière la porte. Il avait l’impression que cela durait depuis un moment. La fille couchée à côté de sur l’étroit lit - quel était le nom de celle-là, déjà? - s’étira. « Vous devriez peut-être l’informer du fait que vous êtes réveillé », proposa-t-elle. Jana? Era? Manai? Il ne s’en souvenait plus.

— Que se passe-t-il? s’enquit-il d’un ton ensommeillé.

— Il y a un soldat qui demande à vous voir, expliqua l’aubergiste sans entrer.

C’était courant, après tout, Le nain bleu était pratiquement exclusivement fréquenté par les militaires de l’escadron Wing, dont la caserne était située de l’autre côté de la rue. Pour que l’aubergiste vienne personnellement le réveiller, par contre, il ne s’agissait assurément pas d’un simple soldat. Xu poussa un soupir agacé et se leva. Il tira les rideaux devant la minuscule fenêtre et remarqua le fait que l’aube ne remontait qu’à une heure et donc qu’il perdrait environ trois heures de repos bien mérité. Il bâilla avec ennui, expira avec fatalisme, puis répondit à l’homme qui patientait dans le corridor.

— Dites-lui que j’arrive.

Il s’habilla et la fille se leva aussi, lui laissant admirer son corps, mais elle ne faisait pas rouler ses hanches comme il l’aimait. Elle devait avoir compris qu’il ne pouvait pas traîner. Il plaça son épée contre sa hanche avant de quitter la petite chambre; il se reprendrait pour ce mauvais réveil le lendemain, voilà tout. La prostituée ferait de nouveau rouler ses hanches pour lui, songea-t-il, ravi par avance.

Toute trace de ravissement disparut cependant lorsqu’il constata qui l’attendait. « Lieutenant Song ». Jamais son nom n’avait été prononcé avec autant de froideur.

— Oui monsieur, s’empressa-t-il en claquant des talons.

La fatigue aussi était partie. Son supérieur sortit une lettre de son uniforme impeccable. « Voici votre ordre de mission ». Rien d’autre, aucun commentaire sur le fait qu’il soit en ces lieux, même si l’homme

désapprouvait ouvertement le fait que des soldats - ses soldats - se divertissent en quelque auberge que ce soit, qui plus est en celle-ci - sous son propre nez. Rien non plus à propos du temps qu’il avait mis à

descendre. Et, encore plus surprenant, rien sur son uniforme fripé et de travers, enfilé à la hâte. — Oui monsieur, fit-il en prenant la lettre.

Il la lut rapidement, jeta un coup d’œil au croquis qui la joignait, puis demanda à un messager - il y en avait toujours en faction dans cette auberge - de rassembler les membres du sixième peloton de l’escadron Wing, son peloton. Ensuite, et seulement ensuite, il mangea rapidement - il valait toujours mieux aborder une mission le ventre plein.

C’est ainsi qu’il se retrouva, moins d’une heure plus tard, en pleine course-poursuite sur la demande d’un haut gradé saphirien -saphirien, tout de même, alors que Fles était une ville portuaire nam, nettement plus près de l’océan Xyrf que de l’Empire de Saphir - à poursuivre un autre Saphirien dont il ne connaissait rien,

(2)

sinon son apparence grâce au croquis joignant la lettre. À tout le moins, il était à la tête de son peloton : voilà une source certaine de satisfaction. Et puis, quand ils auraient attrapé ce fichu Saphirien, il serait peut-être promu. Pour que son supérieur lui-même se déplace, cette mission devait avoir une certaine importance.

***

Kannen Ainsworth courait dans les rues bondées de la ville portuaire de Fles. Brève pensée, rapidement rejetée, à l’égard de longue courses sur une île lontaine. Le jeune homme bifurqua dans une ruelle et entendit des cris et les bruits d’une course effrénée, derrière lui. De toute évidence, les miliciens de la ville n’étaient pas aussi bien entraînés que lui. Autant de différence entre lui et eux qu’entre le Premier et le Second Frère, assurément. Il était agacé, maintenant; il lui fallait absolument cesser de se référer à son en enfance.

Allez, concentration. Concentration sur ces imbéciles qui te poursuivent. Tu en étais à leur entraînement, s’admonesta-t-il.

Ils portaient leurs lourdes armures de service; guère étonnant qu’ils soient essoufflés et commençassent à ralentir. Mais il n’y avait pas que cela. Sans prendre le risque de tourner le coin, Kannen bondit sur le premier objet suffisamment solide pour supporter son poids qu’il vit. Une caisse en bois, ou, peut-être une vieille charrette renversée.

Voilà ce que ça donne, que de réfléchir à tout et à n’importe quoi : tu as été sur le point de te faire coincer. Il atterrit avec la souplesse d’un chat sur le toit du bâtiment. Une maison? Une échoppe? Puis se laissa tomber de l’autre côté, non sans avoir jeté un coup d’œil dans la ruelle, après le tournant. Un cul-de-sac. Si les miliciens avaient tenté de le piéger avec quelque chose d’aussi simple, ils ne devaient pas savoir pourquoi il était recherché. Enfin une bonne nouvelle, pas que cela ne changeât quoi que ce soit, s’il était attrapé. Il tourna dans une ruelle attenante et déboucha sur l’avenue du port, se mélangeant aussitôt aux passants, le souffle à peine altéré. Il s’efforça de calquer la démarche des gens, mais, après deux ans de service militaire, c’était une habitude qu’il avait perdue, que de marcher comme tout un chacun. Toute fois, il était fort peu probable que ses poursuivants s’arrêtassent à un détail de ce type. Comme il avait pu le constater, leur formation était relativement piètre - logique que cela, en temps de paix : le contraire aurait provoqué les soupçons. Toute fois, il valait mieux pour lui quitter cette ville - en fait, ce royaume - et le plus tôt serait le mieux. Il n’y avait qu’un bon moyen de ce faire : les bateaux. Une fois embarqué, il ne serait plus dérangé. Le problème consistait justement à embarquer. Heureusement, Kannen avait réfléchi à la question durant les derniers jours. Depuis, en fait, sa fuite de l’Empire. Que de dégradation pour un homme qui, à l’heure actuelle, aurait pu être à la tête d’un corps d’armée ou bien à la cour du roi ou, encore mieux, à se prélasser chez lui, loin de tous ces complots. La vie de paresse n’était assurément pas faite pour lui. Il grogna

intérieurement avant de se permettre de ressentir seulement le moindre soupçon de ressentiment. Nul temps de se laisser aller à l’amertume.

*** — Nous avons terminé la cargaison de la marchandise, m’sieur.

(3)

C’était l’un des gamins du port qu’il avait mandaté pour ce travail. Le marchand jeta un coup d’œil ennuyé en direction du ciel où le soleil avait déjà beaucoup trop entamé son avancée. Soit les gardes qu’il avait engagés n’étaient pas du tout ponctuels, soit ils avaient décidé de garder l’avance qu’il leur avait faite et étaient repartis, par crainte de l’océan, ou plutôt, rectifia Wingu pour lui-même, des Kens. Ce ne serait ni la première ni la dernière fois qu’il serait dans semblable situation. Il ne lui restait plus qu’à trouver une demi-douzaine de mercenaires qui avaient, contrairement aux précédents, quelque chose dans les pantalons.

« M’sieur, » reprit le garçon, plus proche, cette fois. « Ah, oui, excuse-moi, petit », fit-il en se tournant vers celui-ci, souriant. Il lui lança une petite bourse. « Pour toi et tes copains », précisa-t-il. Les yeux de l’enfant se mirent à briller et il s’inclina, trois fois. « Merci, m’sieur », lâcha-t-il alors que les autres accouraient. Ils s’éloignèrent en parlant vivement, chacun ayant son mot à dire sur la façon de diviser l’argent. Wingu Fa sourit avec bonhomie, puis se détourna, scrutant le port à la recherche de gardes potentiels jusqu’à ce que la satisfaction éclaire son visage. Un homme dans la vingtaine, vêtu des habits foncés et souples que préféraient les professionnels et portant deux épées croisées dans le dos discutait avec un marchand, un peu plus loin. Wingu savait par expérience reconnaître un marchand qui cherchait des gardes et ceux qui leur crachaient à la figure, et celui-ci était du second type. Assurément, le jeune homme ne cherchait pas souvent du travail dans les ports pour commettre ce type d’erreur, mais c’était sans importance. Wingu savait également reconnaître un bon élément, et ce jeune homme qui attachait ses cheveux noirs au niveau de la nuque était de ceux-là. Il se fit crier en pleine face, puis s’éloigna, à peine déçu - probablement avait-il connu d’autres refus semblables - et apparemment décidé à se trouver un travail. Parfait, songea Wingu. Malgré son embonpoint et ses jambes courtaudes, il se mit à courir à la suite de cet employé potentiel. Comme celui-ci marchait, il le rejoignit sans trop de mal et était sur le point de l’aborder lorsque le mercenaire se retourna vivement, sortant à demi son arme droite de son fourreau.

— Que me voulez-vous? demanda-t-il abruptement.

Un sourire ravi s’étala sur le visage rougi par l’effort du marchand; celui-là avait de bons réflexes. — J’ai remarqué que tu cherchais du travail, expliqua-t-il. Je t’en propose.

L’autre lâcha son arme et lui jeta un regard soupçonneux, puis scruta les alentours sans répondre. — Allons en discuter ailleurs, veux-tu, suggéra Wingu.

De nouveau, brièvement, le garçon observa le port, puis hocha la tête.

Ils se dirigèrent vers le bateau du marchand et celui-ci fit entrer son invité dans sa cabine, lui tira la chaise puis s’assit sur le lit. « Il est évident que tu as des problèmes », commença-t-il pour aussitôt s’arrêter, la lame froide d’un sabre contre la gorge. « Si tu parles de moi, tu es un homme mort, marchand », répliqua le mercenaire d’un ton froid. De très bons réflexes, et une légère propension à recourir rapidement à ses armes. Tant que cela ne gênait pas les affaires, c’était profitable.

— Ne t’en inquiète pas, ce n’est pas la première fois que j’embarque un étranger en fuite. Seulement, j’ai pour coutume de demander une paye à mon silence. En échange de celui-ci, je veux connaître ton histoire, expliqua Wingu.

(4)

L’autre réfléchit un moment, retira son arme, la rangea, puis réfléchit encore. — Combien payez-vous? questionna-t-il abruptement.

Le marchand sourit avec satisfaction. Il avait trouvé un garde. Son sourire s’agrandit encore lorsqu’il constata que celui-ci savait marchander, puis ils tombèrent d’accord sur un prix, avec pour condition un départ dans l’heure, ce qui signifiait que le marchand ne pourrait pas se trouver davantage de gardes. Il avait bien tenté de convaincre Kannen - c’était ainsi qu’il avait dit se nommer - de lui permettre de chercher un peu, mais il était inflexible. De toute évidence, il se croyait capable de protéger le bateau seul.

Ce fut ainsi qu’un marchand de Fles et un Saphirien qui n’était, somme toute, pas un mercenaire entamèrent, seuls sur un bateau chargé de marchandises, le long et dangereux périple menant jusqu’en - non moins dangereuse - Kenk.

***

Ce voyage coûta la vie au lieutenant Song, à la tête du sixième peloton de l’escadron Wing, et qui avait échoué à attraper un certain Saphirien dont il ne connaissait rien, sinon son apparence grâce au croquis joignant une certaine lettre qui avait scellé son existence sans même qu’il en ait conscience. Face au peloton d’exécution, sa dernière pensée fut pour une prostituée dont il ne reverrait jamais les hanches rouler et dont le nom lui serait refusé jusque dans la mort.

Nul ne vint réclamer son corps et il fut enterré sur le terrain de la caserne au terme du délai réglementaire de deux jours. Deux recrues durent lui creuser une sépulture en guise de punition pour avoir fréquenté une auberge au sujet de laquelle un certain haut gradé était devenu plus pointilleux après avoir perdu une très rondelette récompense -accompagnant la capture d’un Saphirien inconnu - pour cause, affirmait-il, de la tendance du feu lieutenant Song à fréquenter ladite auberge.

Les fils de la vie -du destin, peut-être- s’entremêlent et se séparent; certains cessant abruptement et d’autres s’éternisant par trop. Kannen et Xu ne se connurent pas, mais l’un des deux était voué, ce jour-là à périr pour l’autre. À ce point-là, qui peut affirmer qu’une vie a plus d’importance qu’une autre? Et s’il n’y avait point eût de moyen de s’échapper de cette ruelle... Que se serait-il passé, exactement? Qui, au juste, peut affirmer avec raison être capable de ne serait ce que d’entrevoir l’entrelacement complexe des fils de la vie? Qui, au juste, peut affirmer avec raison être capable de les comprendre, d’en saisir la portée et la signification?

Chapitre 2

Sur la pas de la porte de sa cabine personnelle, Kannen Ainsworth était agacé. Personne d’autre sur le bateau que lui-même et cet imbécile de marchand, avait affirmé celui-ci, expliquant ainsi le fait que cette cabine lui revienne. Mais le principal problème ne résidait pas en ce minuscule habitacle; plutôt en l’absence de matelot de métier sur cette coque de noix. Pas même un chef; pas même le moindre serviteur. Non, seulement que lui et cet imbécile de marchand - et les rats, pour ce que cela valait. Un imperceptible grognement contrarié monta de sa poitrine.

(5)

que deux hommes en assurent la navigation, sans compter qu’il n’était pas là pour faire office de mousse! Son travail était d’assurer la sécurité du gras marchand et de sa cargaison, ni plus ni moins. Sentant l’irritation monter encore davantage en lui, il se força à porter son attention sur autre chose.

Autre sujet de réflexion, autre sujet de réflexion, autre sujet de réflexion, autre su... Impossible de sortir de ma tête ce fichu marchand. Hum... Dans ce cas, il n’y a qu’une solution : épuiser la question...

Décidé, le jeune homme concentra ces pensées sur Wingu Fa. Il s’agissait d’un homme petit, joufflu et grassouillet, probablement porté sur le vin. Il ne se vêtait que de soieries - quelle idée stupide que de porter des vêtements à ce point tape-à-l’œil - et était en mauvaise forme physiquement. Il portait une barbe fournie - peut-être était-il à ce point désespéré de cacher son double menton - et faisait la mi-trentaine. Ses cheveux châtains étaient coupés court - plus courts que sa barbe! - et constamment sous les affreux chapeaux que le marchand semblait affectionner. Petits et colorés, ils ne couvraient même pas la totalité de sa tête. Il était également trop souriant, toujours de bonne humeur - voilà qui était totalement insupportable, être content de constater que Kannen avait suffisamment d’aptitudes pour mettre fin à ses jours de gros commerçant, ce ne pouvait être qu’un signe de folie. De nouveau, il se sentit énervé, relâcha lentement son souffle, puis se força à analyser sa chambre - pour autant que l’on puisse nommer la petite pièce ainsi.

Le plancher et les murs étaient en bois, de même que la base du lit, la menue table de travail et la chaise - tout, décidément, semblait de dimension réduite dans les cabines-, les deux premiers étant fixés de sorte à rester en place même dans la pire des tempêtes. Sous le lit, il y avait deux tiroirs, déjà remplis de ses effets personnels, pour maigres qu’ils soient. Il y avait au-dessus du bureau des sangles rivées au mur afin d’attacher tout objet mobile si besoin était. « Kannen? » Encore ce commerçant. Dire qu’ils en avaient pour deux semaines, coincés sur cette fichue jonque!

— Je suis dans ma cabine, monsieur, indiqua-t-il d’un ton neutre.

« Oh! », fit l’autre de l’air le plus stupide qui soit en passant sa tête dans l’embrasure de la porte. « Te plaît-elle? », reprit-il de plus belle, puis, avant que son interlocuteur ne puisse répondre : « C’est petit et impersonnel, je sais, mais vois-tu, sur un navire, la place est toujours manquante. Vraiment, tu seras contentent à l’arrivée, mais tu devrais te faire à la petitesse. Oh, ils sont brutaux, ces Kens, sans doute autant qu’il se le raconte, mais ils ont le sens de l’hospitalité. Bon, je te laisse t’installer. »

Ce cafouillis incompréhensible de phrases, ces questions auxquelles il répondait seul : des plus

insupportable! Cette fois, c’en était trop. Il sortit sur le pont et dégaina ses épées, un cadeau paternel à la fin de sa seconde année d’étude sur Zafen. Des lames excellentes, parfaitement calibrées et reflétant la richesse de la famille Ainsworth. Peu à peu, il se perdit dans ses combats imaginaires. Ses

mouvements, fluides, précis et calculés donnaient presque l’impression d’une danse. Un art acquis au cours de nombreuses années d’études et encore en perfectionnement. Trancher l’air de ses lames l’apaisa et lui permit de dépenser son énergie accumulée. Après cela, il se retira dans sa chambre et polit soigneusement ses épées, les frottant afin d’éviter que l’air salin ne les fasse rouiller.

Ils soupèrent d’une soupe de poisson accompagnée de pain frais. Apparament, Wingu savait cuisiner. Et il savait aussi choisir son vin, nota Kannen à la vue d’une bouteille de grand cru, de ceux que seuls les

(6)

nobles peuvent se permettre d’acheter « Les relations permettent d’obtenir diverses choses », répliqua simplement le commerçant aux questions de son garde. De toute évidence, il n’avait pas l’intention de s’épancher sur le sujet, ce qui était inhabituel, dans son cas. La discussion - ou plutôt le monologue du marchand - survola diverses sujets frivoles alors qu’ils mangeaient, mais lorsqu’ils eurent terminé le repas, Wingu aborda la politique. Un peu intrigué, sans doute également réchauffé par le vin, Kannen se prit au jeu. Étant de haute naissance, il avait appris dès son plus jeune âge à mener ce type de

conversation, et fut surpris de constater que son employeur s’y connaissait. Emporté par le débat, un vrai débat entre hommes intelligents et instruits comme Kannen n’en avait connu depuis des années, il aiguisa ses répliques, les mots se formant dans son esprit avec naturel jusqu’à ce que Wingu éclate de rire. Kannen l’observa un moment, cherchant à comprendre la raison de cet amusement soudain. — Je ne m’attendais pas à embaucher un jour sur mon navire un noble saphirien en pleine fuite! Voilà qui est fort surprenant.

Il y eut un silence; un de ces silences tendus et inconfortables. La première chose à laquelle Kannen pensa fut : « Il n’y aura aucun témoin lorsque je le tuerai » et la seconde : « Je ne peux pas diriger cette maudite jonque ». « Bonne nuit », dit-il plutôt en se levant d’un ton redevenu froid. Plus aucune trace de l’influence de l’alcool tandis qu’il quittait la cuisine/salle à manger et montait les escaliers menant au pont, puis marcha sur celui-ci jusqu’à sa destination. Il se coucha, irrité contre le marchand; ce stupide marchand qui en savait trop.

*** — Le temps est venu de remplir ta part du marché, Kannen.

Trois jours, qu’ils étaient en mer, trois jours qu’ils se parlaient peu, se voyaient peu, aussi incongru que cela puisse être sur un navire de cette, alors qu’ils y étaient seuls. Trois jours que Kannen observait le bateau, essayant d’en comprendre le fonctionnement. Or, il n’était pas marin et une seule conclusion lui venait à l’esprit : il avait besoin de Wingu pour atteindre la terre ferme, et une fois amarré, il serait trop tard pour un meurtre discret. Celui-ci, affairé à ramasser les reliefs de leur repas, en était probablement conscient. Raison pour laquelle il s’était permis de faire un commentaire à propos des origines de son garde, certainement.

***

Un grognement s’éleva soudain derrière Wingu. Kannen était frustré. Le marchand avait conscience d’avoir fait un pari dangereux en supposant une ascendance noble au jeune homme. Toute fois, que serait donc la vie sans paris? Et puis, que cet aristocrate ne le porte pas dans son cœur ne l’importait guère. Il ne serait ni le premier ni le dernier de ses employés à ce faire. Tant que cela ne gênait pas le travail ni le contrat, ce serait dommage, mais sans plus.

— Je suis le troisième fils d’une famille de cinq enfants, commença le garçon. J’ai été repéré par un maître de Zafen à la naissance et emmené sur l’île à dix ans. J’y suis resté huit ans, puis suis rentré au pays, me suis enrôlé. Je suis devenu gênant et ai dû m’exiler. Voici mon histoire.

(7)

— Je n’estime pas que cela suffise à mon silence, indiqua-t-il à la porte qui se refermait déjà.

La jeunesse, décidément, était impétueuse. Il venait avec l’âge un certain recul; de la maturité. Voilà ce qui manquait à Kannen, sans doute. Mais en même temps, la jeunesse avait un certain charme,

assurément. Le tout était de trouver le juste milieu. La table débarrassée, le marchand tendit la main vers la bouteille qui, seule, restait sur le meuble. Après une légère hésitation, il se servit un verre - il fallait bien savoir trouver le plaisir à disposition - et le but avec satisfaction, appréciant le moment comme, au certain, seul peut le faire un homme de son âge.

***

Le lendemain, Kannen passa la majeure partie de sa journée sur le pont, à manier avec une joie féroce ses lames jumelles. C’était là, de tous ceux qu’il avait essayés, le meilleur exécutoire à sa colère. Et en l’occurrence, il était fort fâché. Contre ce marchand qui lui avait dit « Je n’estime pas que cela suffise à mon silence ». Indication des plus explicites qu’il était lié à lui, qu’il lui était obligé - obligé de cet imbécile de marchand, quelle idée insupportable! - et qu’ils avaient passé un contrat qu’il était dans le devoir de le remplir. Sous peine de voir son identité révélée, rien que cela! D’un mouvement vif, il trancha un ennemi imaginaire, puis, d’une infime contraction du poignet, débarrassa son arme du sang - tout aussi imaginaire - qui la souillait. Il se tient là un moment, le souffle court et le regard dur, puis se retira dans sa cabine et entreprit son ancien et indispensable rituel visant à nettoyer ses épées.

***

Assis face à face dans ce qui faisait à la fois office de cuisine et de salle à manger, les deux hommes se regardaient. Avant même que ne commence le souper, Wingu avait été clair : personne ne sortirait de la pièce avant que Kannen n’eût parlé de son histoire. Or, la table était débarrassée depuis un moment déjà et ce dernier n’avait toujours pas pris la parole. Le marchand avait déjà bu une bouteille de vin et la seconde, bien entamée, se tenait entre les deux hommes. Kannen Ainsworth était d’un naturel plutôt peu patient, mais était capable de se mobiliser à l’attente si besoin était. Toute fois, en cet instant, l'attente ne lui servirait à rien. L'autre, avec son vin, pouvait tout aussi bien passer la nuit là si besoin était. Il serra la mâchoire, agacé. Il serait visiblement forcé de parler de lui à ce marchand, alors que cela ne pouvait que lui causer des ennuis. « Fort bien, par où me faut-il commencer? », demanda-t-il donc. - Mais le commencement, bien sûr, répliqua le marchand.

« le commencement », avait-il dit comme si cela allait suffire. Il n'y avait, en vérité aucun

commencement à proprement parler. Ou alors, le commencement du monde lui-même, mais les connaissances du garçon ne remontaient pas aussi loin - pour autant, par ailleurs, que le monde eût un commencement. Un soupir contrarié lui échappa.

-Et si tu me parlait de ta famille, proposa Wingu.

-Ma famille, reprit Kannen. Eh bien soit. Mon père est Gamon Ainsorworth. Il est militaire de métier et noble de naissance. Fortuné, haut gradé, il a une vie que beaucoup lui envient. Ma mère est Ainallia Ainsorth. Cousine au second degré des enfants nés de la seconde femme de l'Empreur, elle fut un

(8)

cadeau offert à notre famille en reconnaissance de notre statut et des prouesses militaires de mon grand-père. Le Premier Fils se nomme Kaven. Il est mon aîné de huit ans et performe dans l'armée. Le Second Fils est Rygth. Il est un haut fonctionnaire, à la cour. La Première Fille est Neila. Elle est mariée

Références

Documents relatifs

Les 6 chiffres de son code sont écrits dans le même ordre que les lettres de son prénom.. Trouver le

Comme le dit si bien Le Bohec, pour les moments indispensables de langage parlé, il faut que nous ménagions des moments de musique, chants et danses libres,

encore mieux cette "inflation" du contraste sanguin sinusoïdal périphérique qui parait correspondre à une stase provoquée par l'hypertrophie des secteurs bien

La première contrainte est satisfaite à condition que D et E soient à l'intérieur du triangle UVW et, de manière supplémentaire, la seconde contrainte est satisfaite à condition

Toutefois comme le dimanche le voleur ne bouge pas, le policier est certain de réduire la distance d’une unité et comme la distance qui sépare les deux hommes est un nombre

Il devenait de moins en plus frileux, bougonnait et râlait tout seul.. L’ogre devait se contenter

En vous souhaitant une bonne réception de ce document important pour la poursuite des études de votre enfant et en vous demandant de nous faire parvenir pour le 25 mars 2019 au

En vous souhaitant une bonne réception de ce document important pour la poursuite des études de votre enfant et en vous demandant de nous faire parvenir avant le 25 mars 2019 le