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Romain Rolland vu du Brésil

Philippe Catonné

« Mercredi - António Cândido […] est entré dans sa salle de cours à la Faculté de Philosophie avec les larmes aux yeux et, suspendant le travail, il a dit à la classe : –

« Romain Rolland est mort ! »

En lisant cet extrait de journal, on n’est pas vraiment étonné qu’un professeur de Faculté apprenant la mort de Romain Rolland, manifeste son émotion au point de sus- pendre son cours. Tant est grand l’impact de l’auteur cla- mecycois sur toute la classe intellectuelle dans la première moitié du XXème siècle.

On sera en revanche surpris de connaître la date de cet article, paru dans une revue datée du 6 novembre 1943. On sait en effet que Romain Rolland a fini sa vie plus d’un an après, le 30 décembre 1944.

On peut être également surpris de savoir que les faits se passent au Brésil1, à l’université de São Paulo. On connaît certes le rayonnement de l’auteur français hors des fron- tières, mais ses relations avec l’Amérique latine, plus parti- culièrement avec le Brésil, ne semblent pas avoir été aussi

poussées que celles qu’il a eues, par exemple, avec l’Asie ou l’Amérique du Nord. Marie Rolland n’avoue-t-elle pas en 1948 à un journaliste brésilien venu l’interviewer : «Je ne connais aucun correspondant brésilien de Romain Rolland. Mais il est bien possible qu’il en ait eu un ou deux.» Ajoutons qu’au début du XXème siècle, le Brésil apparaît aux Européens comme un pays bien lointain, autant par la distance que par l’image exotique qu’il renvoie : les palaces de Copacabana, les immenses plantations de café… N’a-t-il pas aboli l’esclavage seulement en 1888, la monarchie impériale en 1889 ? Pendant la Grande Guerre, le pays est resté à l’écart des événements européens, au mo- ment précis où Romain Rolland acquiert sa notoriété par son activité politique, au-delà des milieux littéraires et in- tellectuels.

L’émotion du jeune professeur est significative du vé- ritable culte qui est rendu à Romain Rolland par le monde intellectuel brésilien des années 40.

Mais comment a-t-on pu annoncer la « mort » de l’écri-

I

l ne faut pas attendre, avec cet article, l’étude complète et approfondie d’un sujet encore bien négligé. Cela au- rait demandé, au Brésil, un gros travail de recherches documentaires dans les bibliothèques et les dépôts d’ar- chives, de consultations de professeurs et de critiques littéraires, etc. Cela ne m’a pas été possible, dans un pays grand comme presque vingt fois la France, où je me trouvais à près de 2 000 kilomètres des grandes villes du sud.

D’ailleurs cela n’aurait servi à rien puisque tous les lieux de culture étaient fermés dans un pays confiné par la grave crise sanitaire du printemps 2020. Confiné moi-même loin de mon domicile français, où j’aurais pu au moins profiter de ma bibliothèque personnelle, je n’ai pu bénéficier que des moyens offerts par les technologies modernes. Et celles-ci, heureusement, donnent des possibilités que nous envieraient nos prédécesseurs : grâce à un site de la Bibliothèque Na- tionale du Brésil (http://bndigital.bn.gov.br/hemeroteca-digital/) et un bon moteur de recherche, j’ai pu consulter com- modément tout ce que la presse brésilienne a pu dire de notre Clamecycois entre 1910 et 1960. Lui-même ne s’en serait-il pas émerveillé ? J’ai pu lire des centaines d’articles ou de simples entrefilets et j’ai pu faire de nombreuses dé- couvertes, parfois surprenantes. J’en ai traduit plusieurs dizaines, non sans difficulté, car je ne suis pas un lusophone patenté. Il faudrait plus d’une centaine de pages pour rendre compte de tous. Il a fallu faire des choix. Je me suis concentré davantage sur la période qui m’a parue la plus riche et la plus intéressante, les années qui vont de 1940 à 1950, qui sont les années de la guerre et de la mort de Romain Rolland, sans naturellement avoir négligé les autres. Cet article cherche à en faire une synthèse.

Les Études Romain Rollandont publié récemment (n°45, juillet 2020) la traduction de l’entretien avec Marie Rolland d’un journaliste brésilien en 1948. Le même numéro publiait un article (traduit de l’espagnol) sur l’influence de Romain Rolland en Amérique Latine de 1919 à 1932, centré davantage sur l’Amérique espagnole. Puissent tous ces travaux relancer les études rollandiennes concernant l’Amérique Latine !

1. L’article a paru à Rio de Janeiro dans la revue Dom Casmurro(6 novembre 1943).

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vain français avec plus d’un an d’avance ? Mieux : on va annoncer qu’il est mort dans un camp de concentration nazi ! La responsabilité de divulguer ces fausses nouvelles n’incombe nullement aux Brésiliens. Au départ, il y a des rumeurs et des dépêches d’agence qui viennent d’Europe : la mort du vieil écrivain n’est guère surprenante, étant donné son âge et sa santé fragile. La nouvelle se répand dans le monde entier.

Les journaux brésiliens, se fiant à diverses dépêches ve- nues d’Europe, sont très attentifs à suivre les événements.

Par exemple, dès le 9 septembre 1943, le quotidien O Jornaltitre « Il est mourant dans un camp de concentra- tion» :

Selon des nouvelles reçues de France, l’écrivain français pacifiste bien connu Romain Rolland, qui a ob- tenu le prix Nobel de littérature en 1915 et qui a écrit la fameuse œuvre en 10 volumes intitulée Jean- Christophe, est en train de mourir, ou peut-être est-il déjà mort, dans un camp de concentration en France.

Le lendemain, le même journal publie en première page, sous le titre Romain Rolland, un leader antifasciste, une dé- claration du poète Sergio Milliet, qui l’a connu personnel- lement2:

Des dépêches de l’extérieur, publiées aujourd’hui, ont annoncé que l’état de santé du grand écrivain fran- çais Romain Rolland était grave. Sur la vie de l’auteur de Jean-Christophe, Meridional a écouté M. Sergio Mil- liet, directeur de la Bibliothèque Publique de S. Paulo, qui a connu personnellement ce leader antifasciste.

J’ai connu Romain Rolland – dit M. Sergio Miliiet – en 1918, dans la maison de Charles Baudouin, le psy- chologue de Psychanalyse de l’Art, Suggestions et Au- tosuggestions, etc. Nous nous y réunissions le dimanche. Parmi les présents il y avait aussi Verhaeren, Zweig, Guilbeaux, Spress, Mugnier, Reber, Spitteler.

C’était ce qu’on a appelé le groupe du « Carmel ».

Romain Rolland venait de publier Au-dessus de la Mêlée, une œuvre courageuse et élevée, qui lui a valu la colère des monarchistes français et de la droite en général. On l’accusait de trahison, mais ce que l’œuvre représentait, c’était simplement un esprit nouveau de valorisation humaine.

Romain Rolland resta en Suisse durant toute la guerre, travaillant pour la Croix Rouge et les milliers de blessés qui étaient échangés à travers le territoire suisse. Il était un solitaire. Il avait même l’habitude de se glorifier de sa solitude ; il disait que, pour être grand, il était nécessaire de l’aimer.

D’une indépendance, d’une honnêteté à toute épreuve, il ne s’est jamais enrégimenté à aucun parti.

On l’a accusé de germanophilie, mais il a combattu avec violence l’Allemagne nazie. Ce qu’il faisait en vé- rité, c’était défendre le droit d’être libre contre toute tyrannie. Là-dessus il n’a jamais fait la moindre conces- sion. Antipolitique, comme on voit, attendu que la poli- tique est faite de compromis.

Je ne discute pas les idées de Romain Rolland. Il a pu se tromper quelquefois dans sa longue vie de lutte.

Mais son attitude s’est toujours orientée dans le sens de l’honnêteté intellectuelle la plus profonde et du cou- rage civique le plus sensible.

Du point de vue littéraire, l’œuvre de Romain Rolland a eu une énorme importance. Son roman Jean- Christophea été une bible pour de nombreux écrivains de ma génération. Ses vies de Beethoven et de Michel- Ange sont des synthèses fortes et pénétrantes. Ses opi- nions sur la musique inaugurent la critique savante.

Quand je l’ai connu, il n’était pas encore l’homme amer que les intrigues et les hostilités injustes ont fa- çonné à la fin de sa vie. Il était au contraire l’image même de la sérénité.

Grand, maigre, de profit aquilin, un peu courbé, il avait l’apparence de l’intellectuel détaché de tous les biens matériels. […] Français de vieille ascendance avec un peu de sang germanique du côté de sa mère : cela faisait qu’il se considérait comme un pont entre les deux pays, un grand Européen, parce que la France et l’Allemagne formaient la propre chair de l’Europe. [...]

Il n’avait pas sa place dans le monde moderne. Non pas parce qu’on le considérait comme dépassé ; au contraire parce que le monde n’est jamais arrivé au ni- veau de sa pensée. Cet homme, du point de vue politico- social, sera réellement écouté quand l’humanité aura surmonté la terrible crise qui l’affecte actuellement, et qui n’est pas près de passer.

Romain Rolland n’est pas un homme du passé : il est l’homme d’un futur encore bien lointain.

Le 20 octobre, tous les journaux annoncent le décès de l’écrivain français, en mettant souvent en valeur la nou- velle (première page, photo…). On relie, bien sûr, la nou- velle de sa mort avec celle de son incarcération. Le vieux militant pacifiste va devenir le héraut de la lutte armée contre le nazisme, un martyr de la Résistance ! Mais la nou- velle est incertaine et les communiqués sont contradictoires.

La revue culturelle hebdomadaire Dom Casmurrodu 23 oc- tobre a un peu plus de recul pour essayer de faire le point sur cette succession de désolantes nouvelles, mais ne remet

2. Le poète et essayiste brésilien Sergio Milliet (1898-1966), qui a vécu à Genève de 1912 à 1918, a été un proche de Charles Baudouin et de sa revue Le Carmel. Revenu dans son pays, il va rester un «passeur» entre le Brésil et la France.

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pas clairement en cause le décès en titrant : « Romain Rolland est mort victime des sévices et des tortures nazis. » : Les dépêches arrivées ces dernières heures sont si contradictoires qu’elles nous remplissent d’espoir. Mal- heureusement nous en savons assez sur le système de propagande nazi pour penser que […] les Allemands n’hésiteront pas à créer la confusion, pour chercher à freiner l’indignation du monde entier. Relevons ici les dépêches qui sont arrivées.

New York, 19 – Le D.N.B. annonce, dans une dé- pêche de Paris, la mort de l’écrivain Romain Rolland, à l’âge de 76 ans. Romain Rolland, écrivain, drama- turge et historien, était détenteur du prix Nobel.

Son célèbre roman, Jean-Christophe, en 10 vo- lumes, a été interdit en 1941 par le gouvernement de Vichy.

Londres, 19 – Au sujet de la nouvelle de source al- lemande annonçant la mort de l’écrivain français Romain Rolland, un message de sources suisses a an- noncé hier que Romain Rolland avait été interné dans un camp de concentration.

Zurich, 20 – On a des précisions sur la mort, an- noncée hier, de Romain Rolland, le grand écrivain fran- çais. Prix Nobel de littérature. Confirmant ce qu’a avancé hier une dépêche suisse, La Tribune de Genève affirme que Romain Rolland a bien été interné dans un camp de concentration nazi, en dépit de sa renommée mondiale et de son âge avancé, plus de soixante-dix ans, deux choses qui ne l’ont pas fait respecter par les Allemands. Une information privée, fournie par le même journal, révèle que le fameux écrivain était arrivé agonisant à Paris la semaine dernière, sortant d’un camp de concentration au nord de Paris, où il avait été envoyé par les nazis. A son arrivée, des amis et des mé- decins ont voulu envoyer Romain Rolland dans un hô- pital, mais l’écrivain s’y est opposé formellement et, se voyant sur le point de mourir, il a demandé à mourir dans sa propre maison, ce qui lui a finalement été ac- cordé. Dans les derniers moments, en disant adieu à ses proches qui l’entouraient, Romain Rolland a déclaré :

« Après tout ce que j’ai souffert cette année, la meilleure chose qui puisse m’arriver est vraiment de mourir… Ja- mais plus je ne pourrais écrire… Je ne désire qu’une chose : revenir sur tout ce que j’ai écrit et vous conseil- ler ceci : employer la force contre la force. »

Londres, 20 – L’agence officielle allemande D. N. B., après avoir reproduit la nouvelle d’un journal français annonçant la mort de Romain Rolland, a dif- fusé une autre nouvelle niant ce fait, se basant pour

cela sur une dépêche de l’agence française O. F. I. La radio-émettrice d’Alger avait annoncé dimanche que Romain Rolland avait été interné.

New York, 20 – La radio allemande a déclaré que

« l’agence de nouvelles de Vichy a démenti la nouvelle, en disant que le fameux écrivain était simplement ma- lade ».

À partir d’octobre 1943, la nouvelle de la mort de Romain Rolland devient la seule retenue au Brésil. L’image du vieux lutteur antifasciste et son amplification dans l’image héroïque du martyr du nazisme sont plus fortes que tous les démentis. Les hommages ne cessent de pleuvoir.

Par exemple, l’écrivain Austrégésilo de Atayde3(Diario de Pernambuco(24 octobre), qui ne croit pas que l’écrivain français ait pu répudier son pacifisme :

On peut dire que Romain Rolland, par l’universa- lité de ses sentiments et ses préoccupations constantes pour les problèmes humains, était de la race de Victor Hugo et Tolstoï. […]

La disparition de Romain Rolland dans un camp de concentration nazi pourrait être présentée comme un témoignage de la déroute de l’esprit de paix dans le combat contre les instincts brutaux de l’homme.

Une dépêche a dit qu’avant de mourir il a abjuré les principes les plus élevés de son œuvre d’artiste, et laissé comme dernière leçon que la force doit se voir opposer une force plus grande : ce n’est pas une parole de paix. Je ne crois pas qu’à l’instant suprême Romain Rolland aurait proclamé l’inutilité de son long combat.

La revue Leitura, dans son numéro d’octobre, titre

« Romain Rolland, Citoyen du Monde» :

Les camps de concentration nazis viennent de voler au monde la grande voix de Romain Rolland.

Avec cet écrivain qui s’est placé délibérément à l’avant-garde des mouvements populaires contre l’ex- ploitation fasciste et a mis sa plume au service du peuple contre les dictateurs et les tyrans, disparaît l’hé- ritier le plus légitime des traditions de lutte des intel- lectuels français, si bien représentées dans la vaillance avec laquelle Zola s’est lancé dans la campagne de ré- habilitation de Dreyfus.

Romain Rolland fut un des plus grands exemples dans le monde de la dignité de l’intelligence. Il a écrit quelques-unes des plus belles pages de la langue fran- çaise, quelques-unes des pages les plus palpitantes d’humanité jamais écrites dans toutes les langues, dans

3. Austregésilo de Athayde (1898-1993) présidera l’Académie des Lettres brésilienne et participera à la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, à Paris en 1948.

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tous les pays. Son Jean-Christophe, publié au début de ce siècle, était une ouverture vers l’humanité au-delà des frontières de la France. Plus jamais il ne devait abandonner la ligne de conduite ébauchée dans ce cé- lèbre roman-fleuve.

Pourtant, parmi ces hommages quasi unanimes, un ar- ticle va détonner. Otto Maria Carpeaux, un critique d’ori- gine autrichienne, récemment immigré au Brésil, mais qui commence à être connu dans les cercles littéraires du pays, publie dans la Revista do Brasilde décembre un court article intitulé sobrement La mort de Romain Rolland.4Mais, au lieu de l’éloge funèbre attendu, il se livre à un démolissage en règle de l’écrivain français5: « Ce qui m’irrite, c’est cet hommage littéraire pour des raisons extra-littéraires. » Selon lui, les critiques ont encensé l’écrivain français pour sa stature morale, laissant de côté son œuvre purement lit- téraire, jugée médiocre. Cela dit, il critique autant son idéo- logie que la valeur littéraire de l’œuvre : « La critique française s’obstine à nier la valeur de Jean-Christophe. En vérité, Romain Rolland était un écrivain médiocre, un homme d’idéologie vague, mélange naïf de socialisme et de pacifisme, de jacobinisme et de féminisme, de cosmopoli- tisme et d’utopisme. Il était – horribile dictu !– un « petit bourgeois ». […] Il n’est pas mort. Tant d’autres vivent et prolongent sa mystification littéraire et son ambiguïté idéo- logique. Enfin, il n’apparait pas que Rolland ait été paci- fiste. […] Mort, il ne nous laisse toujours pas en paix. »

Cet article soulève un tollé dans la classe intellectuelle brésilienne. Comment est-ce possible ? En guise d’éloge fu- nèbre, la seconde exécution d’un véritable héros ! Les ré- ponses ne se font pas attendre pour défendre la mémoire « posthume » du martyr outragé : Guilherme Fi- guereido répond à Carpeaux qui « a dénoncé […] « la naï- veté romainrollandienne », de ce brillant et immense Romain Rolland, ce naïf qui est mort dans un camp de concentration nazi » (Diario de Noticias, 16 janvier 1944).

La revue Leiturapublie uneDéfense de Romain Rolland.

Davantage de respect pour Romain Rollandtitre le roman- cier Jurandir Dalcidio dans la revue Diretrizes (17 février), qui publie deux semaines plus tard la protestation d’un col- lectif d’écrivains : En réparation à la mémoire de Romain Rolland.

Un long article paru dans le Diario Cariocadu 13 fé- vrier6est la réponse la plus élaborée :

Voilà ce qui me pousse à traiter de la courageuse attaque posthume lancée par M. Carpeaux contre Romain Rolland dans le dernier numéro de la Revista do Brasil. Avec son attitude de maître des lettres euro- péennes, […] il a décidé de nous enseigner ce qu’il faut penser de la vie et de l’œuvre de Romain Rolland. Et il le fait en quelques lignes féroces, chargées d’une haine mal contenue qui n’épargne rien, ne concède rien. Si ce n’était le fait que l’offensé soit Romain Rolland, il y au- rait peu à redire. Dans sa vie, le maître de Villeneuve a reçu des insultes plus froides et plus sérieuses, venues de plus haut. Mort, il lui importe peu que, de l’autre côté de l’Atlantique, sa noble figure sans vie reçoive la sourde violence de M. Carpeaux. Quel mal peut lui faire qu’un écrivain, gorgé de citations et empoisonné par la poussière des bibliothèques au point de perdre le sens de la plus élémentaire éthique humaine, ait le mauvais goût de baver sur son tombeau quelques lieux com- muns, condensant tout ce qu’ont dit les adversaires de Romain Rolland ? […]

Que dit, en somme, l’intrépide adversaire du grand mort ? Que les hommages rendus à Romain Rolland s’adressent plus à l’attitude politique de l’écrivain qu’à l’écrivain proprement dit. […]

Il n’est pas vrai que la critique française nie la va- leur de Jean-Christophe. M. Carpeaux a sûrement lu cela chez Thibaudet, mais celui-ci même fait des ré- serves : « On est devenu assez injuste en France pour Jean-Christophe. » Il n’est pas vrai non plus que les hommages rendus à Rolland l’auraient été pour des rai- sons extra-littéraires. La distinction faite par l’ennemi posthume de Romain Rolland est due ici à un confusion- nisme petit-bourgeois, dont il accuse l’autre, mais dont il pourrait être lui-même le sujet. On peut admettre l’idée que « l’importance du nom de Rolland comme in- tellectuel jette de l’ombre sur son importance comme romancier » (Thibaudet) ; mais le fait est que la dé- fiance de ses adversaires provient moins du rejet de son œuvre littéraire que d’une haine très dirigée vers son attitude d’apôtre de la liberté. Et Romain Rolland est arrivé à cette attitude à la suite d’une évolution, d’un accroissement de sa conscience d’artiste. Avant de ré- diger et de signer des manifestes, il a construit son œuvre : les manifestes sont sortis des entrailles de cette œuvre – ils étaient aussi de la littérature, de la meilleure littérature faite action. Une littérature que naturelle- ment un Carpeaux refuse et ne comprend pas.

4. Sur cette affaire, voir l’article d’Andreas Pfersmann, Otto Maria Carpeaux, Romain Rolland et le modèle français. Une controverse poli- tico-littéraire dans le Brésil des années 1940.

https://periodicos.sbu.unicamp.br/ojs/index.php/remate/article/view/8635843/3552

5. Je n’ai malheureusement pas trouvé la totalité de cet article de Carpeaux. Quelques citations faites par ses adversaires suffisent à en définir le fond et le ton.

6. L’ennemi posthume de Romain Rollandpar l’écrivain et journaliste Moacir Werneck de Castro.

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Quant au pacifisme de Romain Rolland, il ne vaut même pas la peine d’entrer ici dans de plus amples éclaircissements. C’est une chose par trop connue. Je vois une parfaite unité entre l’homme de Clérambault et celui qui, avec son verbe de feu, avertissait les peu- ples contre les périls de la guerre qu’Hitler allait dé- chaîner. Je vois aussi une indissoluble association entre l’auteur de Jean-Christopheet l’éternel « redresseur de torts » qui protestait contre les injustices, les tortures infligées aux prisonniers politiques des fascismes, les attentats à la liberté de pensée dans le monde entier.

C’est le même homme, littérature et action, rêve et vie.

Il est le fantôme des oppresseurs et des fascistes, qui, encore aujourd’hui, vient hanter les nuits de ses enne- mis. « Mort, il ne nous laisse toujours pas en paix ».

Bien, M. Carpeaux, vraiment très bien. Il ne nous laisse pas en paix. Dans beaucoup d’oreilles résonne encore l’écho de sa voix puissante qui tonne, tonne toujours.

Prisons d’Hitler et Mussolini, massacres de février en- sanglantant l’Autriche7, barbaries coloniales en Indo- chine, il tonnait quel que soit le responsable, le petit Dollfuss ou un quelconque tyranneau d’Amérique Cen- trale. Il était un citoyen du monde et un grand Français.

Pour notre honte, les pages de la revue de la plus haute tradition culturelle de notre pays gardent, à propos de sa mort, seulement une tache de boue.

Cette réponse énergique est saluée par le grand écri- vain Oswaldo de Andrade8, un des leaders du courant mo- derniste brésilien, dans un article intitulé « La grande leçon» (Correio da Manhã, 20 février 1944) :

Une voix courageuse s’est élevée pour défendre la mémoire insultée d’un juste et d’un saint. Aujourd’hui, même pour cela, il faut avoir du courage. Et celui qui l’a eu, c’est M. Moacir Werneck de Castro, qui a re- poussé une grossière remarque faite sur un mort de la veille. Ce mort représentait des millions de consciences libres ensevelies dans le gigantesque camp de concen- tration dans lequel Hitler a transformé l’Allemagne.

Son nom était Romain Rolland.

Son presque homonyme Mario de Andrade, qui est aussi musicologue, se promet de traiter seulement cet aspect de l’œuvre du maître français, sans vouloir entrer dans la que- relle, mais il ne peut s’empêcher de répondre (implicite- ment) à Carpeaux en ce qui concerne l’aspect purement littéraire de l’œuvre (« Romain Rolland musicien», Correio da Manhã, 23 avril 1944) :

Ce que Romain Rolland a apporté à la musicologie de son temps, c’est une conscience, non tant du musi- cien au sens strict, mais de l’artiste.

Cela, je ne le dis pas seulement parce qu’il était par lui-même un artiste, un écrivain. Il est évident que je re- jette cette énormité qui apparaît çà et là en France, celle qui dit qu’il ne savait pas écrire, littérairement parlant. Il n’est pas un esthète du bien écrire, sans aucun doute, mais il savait dire ce qu’il pensait, et pas seulement avec profondeur, comme il savait nous faire comprendre avec intensité ce qu’il voulait dire. Que les singes me mordent [sic]si ce n’est pas cela, être écri- vain ! Mais ce n’est pas là que réside le grand écrivain qu’il fut. Il a aussi, d’une manière plus complexe et ver- ticale, fait que ce soit un style. […] D’un Romain Rolland, jamais on ne dira, comme on le dit beaucoup de Mallarmé, par exemple […] qu’il « était un style à la recherche d’un sujet ». En ce sens Romain Rolland sera l’artiste le plus intègre de notre époque. Romain Rolland nait de ses sujets. Il sait qu’il n’existe pas de style sans personnalité et pas de personnalité sans ses propres sujets. C’est en cela qu’il a réalisé son grand style et gagné l’éternité.

Dans un « billet de Rio », un journaliste de la capitale résume l’affaire de manière plaisante pour les lecteurs de São Paulo, En défense de Romain Rolland. Aventures et mé- saventures de «Monsieur» Otto (Correio Paulistano, 30 mars) :

Un certain M. Otto Maria Carpeaux, Autrichien de naissance et ex-collaborateur du chancelier Dollfuss, est apparu il y a quelques années dans notre capitale.

Homme de lettres, ledit monsieur a pris d’assaut nos milieux intellectuels, faisant de la Librairie José Olym- pio9son quartier général. Comme il s’agissait d’un étranger, quoique nous n’ayons jamais entendu parler d’une œuvre quelconque de lui, M. Maria Carpeaux se vit bientôt entouré d‘une légion d’ « adorateurs », prêts à endosser ses opinions, ses écrits et ses médisances.

Dans cette galerie d’ « adorateurs » figuraient malheu- reusement des gens de valeur […].

Se sentant maître de la situation, M. Maria s’enga- gea dans les sentiers tortueux de la polémique, il se mit à maltraiter les écrivains rivaux qui avaient trouvé re- fuge au Brésil pour fuir les horreurs de la guerre. Il s’attaqua avec fureur à Georges Bernanos, le traitant de communiste, d’élément corrosif, dangereux. Aucune voix ne s’éleva pour défendre le grand écrivain fran-

7. On ne manque pas de rappeler que le chancelier Dollfuss, que Carpeaux soutenait, a réprimé dans le sang une insurrection populaire en février 1934 et interdit le parti socialiste.

8. Oswaldo de Andrade (1890-1954) a été dans les années 20-30 un des chefs de file du courant moderniste, qui groupe aussi bien des écrivains que des peintres.

9. Une maison d’édition fondée en 1931, toujours existante, haut lieu de la vie culturelle de Rio de Janeiro.

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çais. Pour la bonne raison que personne ne désirait en- courir les colères de M. Maria, dont la plume est plus acérée que la hache de pierre du féroce Brucutu10

M. Maria voulait de la polémique. […] Don Qui- chotte du XXe siècle, il a fait de sa plume une lance et du Diario de Noticiassa Rossinante de combat.

M. Maria était prêt à tout quand mourut Romain Rolland. Voilà l’occasion ! Rolland était très bien vu au Brésil. L’illustre écrivain autrichien déchaîna sa colère contre le malheureux. Il cracha son venin. […]

Cette fois les écrivains brésiliens se réveillèrent et relevèrent le gant jeté par M. Maria, disposés à lui don- ner une bonne correction… Les voix les plus autorisées du monde culturel brésilien s’élevèrent pour défendre Romain Rolland, incapable, pour des raisons de force majeure, de répondre aux calomnies lancées contre lui.

Et M. Maria fut jeté dans la rue de l’amertume avec ses haines et ses jalousies. […]

Mais qui est donc au juste ce Carpeaux qui soulève de telles vagues? Autrichien d’origine juive, Otto Karpfen (1900-1978), devenu Otto Maria Karpfen après sa conver- sion au catholicisme, a été dans son pays un écrivain d’idéo- logie conservatrice, proche du chancelier Dollfuss. Il a dû émigrer après l’Anschluss et a trouvé refuge au Brésil en 1939 sans connaître encore un mot de portugais, mais comme il ne manque pas de talent ni d’entregent, il s’est vite fait connaître par sa collaboration à la rubrique littéraire de divers journaux. Ayant francisé son nom en Carpeaux, il a obtenu rapidement la nationalité brésilienne et un poste de bibliothécaire. Devenu l’ami de quelques écrivains de renom, il impressionne par l’étendue de ses connaissances (il parle une douzaine de langues !) et de sa science litté- raire11qui lui valent d’être admiré des jeunes écrivains. Cela ne plait pas à tout le monde : on parle de lui comme d’un

«hypnotiseur». Son intransigeance et sa plume acerbe ne tardent pas à lui attirer des ennemis dans la classe intellec- tuelle.

Peu après sa nécrologie de Romain Rolland, Carpeaux publie un court article, apparemment sans rapport direct, Traductions(O Jornal, 20 janvier 1944). Il y déplore que, si on trouve beaucoup de livres français au Brésil, une grande partie des ouvrages littéraires des autres pays ne soient connus que par des traductions françaises. «La civi- lisation française est admirable en France, mais elle devient néfaste si on considère ses influences sur l’extérieur, […]

la plus fermée du monde, quasiment impénétrable aux lit- tératures étrangères. » C’en est trop ! Notre Georges Ber- nanos, exilé lui aussi, vient au secours de la patrie : « J‘ai

sous les yeux, tandis que j’écris ces lignes, les pages ré- centes qui ont révolté tant d’amis de la France au Brésil» répond-il à Carpeaux (Les disciplines de l’Esprit, O Jornal, 12 février) ; celui-ci réplique dès le lendemain (Discipline d’esprit, le 13). Et c’est le début de la grande polémique…

Les titres mêmes des articles laissent paraître la virulence de la querelle : Discussion et Terrorisme(Carpeaux, O Jor- nal, 16 avril), Le complexe du baril de poudre. M. Otto Maria Carpeaux génie balkanique(Carlos Lacerda, Diario Carioca, 23 avril), De la Confusion au Terrorisme littéraire (Genolino Amado, Gazeta de Noticias, 30 avril)... Le pauvre Carpeaux se trouve attaqué d’une façon parfois violente. La politique s’en mêle, quand ce n’est pas la xénophobie (« M.

Carpeaux est un intellectuel balkanique, essentiellement balkanique, irrémédiablement balkanique» martèle Carlos Lacerda, en dépit de la réalité géographique), et même par- fois l’antisémitisme. On soupçonne l’ancien partisan du chancelier Dollfuss d’être fasciste. En appuyant Dollfuss, n’a-t-il pas approuvé implicitement la féroce répression des forces de gauche à Vienne en 1934 ? Il faut dire que ce Car- peaux n’a pas une ligne idéologique bien claire : né juif en Autriche mais converti à un catholicisme conservateur, an- tihitlérien mais partisan du fasciste Dollfuss, un moment proche des communistes brésiliens mais accusé par eux de l’avoir été par intérêt… Il est difficile de s’y retrouver, il suffit de voir l’évolution de son nom selon les opportunités pour s’en persuader12. Et c’est lui qui a critiqué «l’ambiguïté idéologique» de Romain Rolland ! Il revient à la charge dans son article Discussion et terrorisme:

Cette dernière émotion a grandi jusqu’au pa- roxysme à propos de ma note sur Romain Rolland ; elle en est arrivée même à troubler la raison de quelques esprits honnêtes, tandis que chez d’autres elle est mon- tée jusqu’à l’ignorance et la mauvaise foi. Ils ont oublié que je me suis incliné devant l’attitude humaine, c’est- à-dire antifasciste, de Rolland, et que je n’ai protesté que contre l’idolâtrie : l’attitude la plus héroïque n’est pas susceptible de transformer des romans médiocres en chefs-d’œuvre (cette fois je suis d’accord avec la multitude des critiques français) ; et le bruit de deux cents manifestes ne m’empêchera pas de dire : Rolland était l’honnête représentant d’une idéologie vague, ty- piquement petite-bourgeoise ; et les fanatiques qui crient « fasciste » à la moindre déviation de leur « ligne générale » n’ont pas le droit d’exploiter sa mémoire en alléguant que le prix Nobel leur paraît une bonne pu- blicité..

10. Personnage de bandes dessinées créé aux USA dans les années 30. Il s’agit d’un homme préhistorique sauvage et brutal.

11. Après la guerre, il se consacrera surtout à la rédaction d’ouvrages portant sur la littérature brésilienne et mondiale. Carpeaux marquera de son empreinte l’histoire littéraire du Brésil jusqu’aux années 70, notamment par sa monumentale História da literatura ocidental.

12. Otto Karpfen, puis Otto Maria Karpfen, puis Otto Maria Carpeaux. Et même "Otto Maria Fidelis" dans sa période "conservateur catho- lique" en Autriche.

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L’affaire Romain Rolland – « car c’est bien une «affaire », et d’une importance qui peut bien dépasser une simple querelle brésilienne», écrit Mario de Andrade – a pris une ampleur qui dépasse largement le cas de l’écrivain français et devient « l’affaire Carpeaux ». Elle fait du bruit dans les milieux intellectuels brésiliens pendant toute la pre- mière moitié de l’année 1944. «On ne peut plus s’asseoir dans un café, entrer dans une librairie, converser en groupe, lire un journal – sans qu’il n’y soit question du nom d’Otto Maria Carpeaux » remarque l’écrivain Alvaro Lins.

En fait le sujet soulevé est particulièrement sensible dans la mentalité brésilienne. Les Brésiliens, dont la conscience nationale est relativement récente, ont un pro- blème identitaire, sur le plan culturel comme sur le plan po- litique. La nation brésilienne en tant que telle a dû s’affirmer en face de la nation portugaise. La littérature portugaise se situant en périphérie des littératures européennes, la littéra- ture brésilienne se trouve donc à la périphérie de la périphé- rie ! Le Brésil, colonie portugaise pendant plus de trois siècles, a accédé à l’indépendance en 1822 et est devenu une république en 1889 sous l’influence d’idées politiques nées en France (droits des peuples, démocratie, républica- nisme…). Les influences culturelles françaises ont été pré- pondérantes tout au long du XIXèmesiècle et jusqu’au milieu du XXème. La littérature, la philosophie, les arts plastiques, l’architecture, tout ce qui vient de France est accueilli favo- rablement. La France, Paris surtout, est le modèle culturel des élites nationales. On n’en finirait pas d’énumérer tout ce qui a été inspiré par la France, des mouvements poétiques (« hugolien », « parnassien » ou « symboliste ») au positi- visme d’Auguste Comte (« ordre et progrès » sur le drapeau national), de la mode vestimentaire parisienne à l’urbanisme haussmannien de Rio, de l’hygiénisme pasteurien au mou- vement spiritiste d’Allan Kardec… Tous les grands peintres et artistes plastiques brésiliens ont étudié dans des ateliers parisiens (Portinari, Di Cavalcanti, Tarsilo de Amaral…).

Mais cette « gallophilie », qui tourne parfois à la « gallo- manie », provoque parfois des réactions d’opposition. Cette

« gallophobie » est revendiquée par Carpeaux qui, germa- nophone d’origine, loin de rejeter absolument la culture française, milite contre son hégémonie de fait, pour l’ou- verture des Brésiliens vers d’autres cultures – attitude qui, en soi, est loin d’être répréhensible. Les promoteurs du mouvement moderniste brésilien, Mario et Oswaldo de An- drade, ont bien saisi ce problème identitaire en fondant vers 1930, le provocant « mouvement anthropophage » pour pousser les artistes du pays, plutôt qu’à rejeter les cultures étrangères, à se les approprier par assimilation.

On est loin du simple cas de Romain Rolland. A. Pfers- mann (op. cit.p.231) montre que «Carpeaux avait touché un point délicat de l’identité de l’écrivain et de l’éthique lit- téraire. Certains indices donnent effectivement à penser qu’à travers lui il s’agissait de rappeler à l’ordre d’autres auteurs, non désignés, que l’on soupçonnait de ne pas s’en-

gager suffisamment. […] Ce qui leur est reproché, c’est un esthétisme qui se détourne des soucis de l’époque et une implication insuffisante dans les luttes collectives ». De son côté Moacir Werneck de Castro avait écrit : «L’intéressant est que l’auteur de cette note vise au-delà de Rolland, tout ce que ce nom représente. Et ce n’est pas un patrimoine qui se dévoile au premier coup d’œil. Romain Rolland repré- sente une pensée élevée de l’humanité, le principe de la di- gnité humaine, au service duquel il a placé toute sa littérature».

Toute cette querelle, qui a fait tant de bruit, soulevé tant de problèmes, n’est survenue que parce qu’on avait annoncé par erreur la mort de Romain Rolland. Personne ne relève le fait que l’écrivain français, censé être mort en octobre 1943, est encore bien vivant et qu’il le restera jusqu’à fin 1944. Aucun article ne vient rétablir la vérité des faits…

jusqu’à sa véritable mort, annoncée dans les premiers jours de janvier 1945 et qui donnera lieu à une nouvelle série d’hommages. Le peintre Di Cavalcanti pourra écrire dans le Correio Paulistanodu 4 janvier 1945 :

On annonce encore une fois la mort de Romain Rolland, Mais cette fois la nouvelle paraît être véri- dique. Les autres, venant d’informations nazies, nous avait toujours paru suspectes, mais les gens qui se préoccupent de la vie de l’esprit, dans notre terrible monde aux si néfastes réalités, lui ont rendu hommage.

Maintenant qu’on confirme avec davantage de vraisem- blance la mort de ce grand homme, on va sûrement re- nouveler les manifestations d’affliction.

Cette fois, le malheureux Carpeaux, bien malmené, se gardera bien d’écrire quoi que ce soit…

Tous ces échos, tous ces débats autour de Romain Rolland montrent que son nom était bien connu du public brésilien. Mais on peut être étonné d’apprendre que, si l’écrivain jouit d’une notoriété bien établie dans les milieux intellectuels, ses textes sont loin d’être bien connus du grand public brésilien. Si Romain Rolland est souvent désigné, là comme ailleurs, comme « l’auteur de Jean-Christophe», l’ouvrage est loin encore d’avoir touché un grand nombre de lecteurs, même trente ans après sa parution en France.

En 1941, un critique se plaint de cette méconnaissance (Don Casmurro, 16 août) :

Il est […] un auteur, déjà consacré par la plus grande récompense qui existe, le prix Nobel, un auteur qui a mérité de la part de Stefan Zweig une étude mi- nutieuse sur sa vie et son œuvre, et cependant cet auteur continuait d’être presqu’entièrement inconnu de la masse des lecteurs brésiliens, qui, ne pouvant lire l’œu- vre dans le texte original, attendaient des traductions.

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Cet écrivain est Romain Rolland.

Et il annonce comme un événement la parution pro- chaine de Jean-Christophe, « cette œuvre magnifique de la littérature française contemporaine, cette œuvre qui peut parfaitement être comparée aux Misérables de Victor Hugo ».

Il faudra deux ans pour achever cette édition13Ainsi, les lecteurs brésiliens n’ont pu lire dans leur langue la totalité de Jean-Christophequ’à partir de 1943 – au moment précis où circule dans les journaux la fausse nouvelle de la mort de Romain Rolland avec la tapageuse querelle qui s’ensuit.

La Gazeta de Noticias (21 mai 1944) souligne ce ca- ractère récent des traductions de Romain Rolland :

Malgré ses mérites, sa renommée universelle, les lecteurs brésiliens n’ont pris contact avec son œuvre traduite dans notre langue qu’il y a un peu plus d’une dizaine d’années. Et, pour être précis, avec un petit ou- vrage – malgré tout admirable, comme tout ce qu’il a produit d’une importance moindre au regard de son œuvre, Nicolaï et la Biologie de la Guerre14. Par la suite, on a lancé une petite biographie, sa Vie de Beethoven, ensuite un roman, Histoire d’une conscience (Cleram- bault), avant que soit publié son livre majeur.

La première œuvre à être traduite serait donc un court article déjà ancien. Sa Vie de Beethovenparaît en 1930, sui- vie de son Haendel.Vient ensuite Clerambault, traduit en 1939, salué par quelques articles dans la presse. On annonce en août 1940 la parution d’un Rousseau de Romain Rolland15. Jean-Christophe, donc, n’est publié qu’en 1942- 1943, Colas Breugnonen 1944, comme La Vie de Michel- Ange ; enfin Pierre et Luce fin 1945. Ajoutons que la biographie écrite par Stefan Zweig a été traduite en 1938, ce qui a pu contribuer aussi à la notoriété de Romain Rolland au Brésil.

En somme, vers 1940, le nom de Romain Rolland est bien connu au Brésil si l’on en juge par le nombre d’articles qui lui sont consacrés dans la presse, mais pas encore ses textes qui commencent à peine à être diffusés en portugais dans le grand public. Qu’est-ce qui peut expliquer ce phé- nomène ? On a déjà parlé de la « gallophilie » des Brési- liens. Si on parle abondamment des livres de Romain Rolland dans les journaux, c’est parce que tous les écrivains et critiques littéraires parlent français et l’ont lu dans l’édi-

tion originale. Les plus fortunés, dans ces élites intellec- tuelles, ont fait leurs études en France ou en Suisse. La lit- térature et la pensée françaises sont largement diffusées dans les librairies des grandes villes – certaines d’origine fran- çaise, comme la librairie Garnier installée à Rio. Même les ouvrages venus d’autres pays sont publiés souvent dans leur traduction française, ce que justement déplore Carpeaux…

Les écrivains français sont donc présents dans la presse, et le public brésilien a largement entendu parler de « l’auteur de Jean-Christophe » avant de pouvoir le lire.

La notoriété de Romain Rolland a crû considérablement au Brésil depuis le début du siècle jusqu’aux années 40. Si on signale sa nomination au Prix Nobel en 1915, son nom apparaît assez peu dans la presse ces années-là. Quelques articles annoncent la publication complète de Jean- Christopheen France. Et les articles sont loin d’être tous élogieux. Ainsi, dans un article, le seul que j’aie trouvé qui soit consacré à Au-dessus de la mêlée (Jornal do Commer- cio, 7 février 1916) :

Sans être la figure universelle qu’il imagine, M.

Romain Rolland est loin d’être un inconnu. […] M.

Romain Rolland est l’auteur de Jean-Christophe. Ils ne sont pas nombreux ceux qui connaissent de vue, per- sonnellement, ce monsieur verbeux, mais il n’est pas un spécialiste de littérature contemporaine qui ne le connaisse de nom. […] Un individu, si bien doué soit- il, qui a besoin de dix volumes de fiction pour commen- cer à dire ce qu’il pense et ce qu’il sent, court le risque qu’on ne s’intéresse pas à ce qu’il pense ou sent.

Au-dessus de la Mêléepasse presque inaperçu : le Brésil francophile reprend les jugements de la presse française condamnant le « défaitiste » ; même trente ans après, Ro- berto Alvim Corrêa, tout en louant les sentiments élevés du Français, estime que son manifeste pacifiste n’aurait jamais dû être publié dans les circonstances de la guerre16. Ou bien la pensée de Romain Rolland est défigurée et on ne retient que les positions qu’il a prises contre le bellicisme et l’im- périalisme allemands (« Lisez la lettre de Romain Rolland, publiée par les journaux brésiliens à l’occasion des actes de vandalisme commis par les Allemands. Vous verrez com- ment, en pleine guerre, un noble esprit français parle des

« ennemis »in Jornal do Commerciodes 26-27 décembre 1914).

13. Cinq volumes dans la traduction de Vidal de Oliveira.

14. Probablement l’article publié en 1920 dans Les Précurseurssous le titre Un grand Européen : G. F. Nicolaï. Ce Georg Friedrich Nicolaï (1874-1964) est un physiologiste allemand, connu pour avoir publié en 1917 à Zurich le livre pacifiste Biologie de la Guerre, qui lui a valu l’amitié de Romain Rolland. Il a dû s’exiler en Amérique du Sud, en Argentine, puis au Chili, d’où peut-être l’intérêt que lui portent les Bré- siliens.

15. Sans doute Les pages immortelles de Jean-Jacques Rousseau, publié en France en 1938 aux éditions Corrêa (une maison d’édition fondée par le Brésilien Roberto Alvim Corrêa).

16. A Manhã, 28 octobre 1943. Roberto Alvim Corrêa (1901-1983), né à Bruxelles, étudiant à Genève, a vécu une partie de sa vie à Paris, où il a fondé les éditions Corrêa en 1928.

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Ainsi, un journal peut écrire en 1920 que « Romain Rolland n’est pas un auteur vraiment très connu chez nous.

J’avoue, sans déguisement, entre nous, qu’on le connaît seulement par des extraits». En 1919, pourtant, un jeune poète, nommé Tasso de Silveira, a publié un petit essai sur Romain Rolland17; il s’est glorifié plus tard d’avoir été le premier hors de France à publier une étude sur lui. Un jour- nal remarque même en 1920 que «Romain Rolland va exer- cer sur notre jeunesse intellectuelle une influence qu’il aurait été quasiment une folie d’imaginer il y a dix ans »18. Le peintre Di Cavalcanti évoque cet engouement des jeunes intellectuels de cette époque pour le Français (art. cit.) :

J’étudiais le droit à Rio quand pour la première fois j’ai vu son nom, cité comme celui d’un traitre à la pa- trie. Le journaliste, pour le désigner comme tel, écha- faudait des commentaires si confus que j’ai fini par être convaincu du contraire. En venant habiter à São Paulo en 1917, j’y ai trouvé dans la vieille librairie Garreaux les volumes complets de son roman Jean-Christophe, et je les ai lus avec passion. […] Je me souviens des grandes réunions que nous avions dans notre jeunesse, ici à São Paulo, dans le cercle de littéraires et d’artistes attachés à l’œuvre de ce grand penseur. Comme nous aimions Jean-Christophe !

Et en effet sa présence dans les journaux et revues ne cesse d’augmenter dans les années 20, pour devenir vrai- ment importante dans les années 30. On le trouve alors sou- vent dans les pages politiques : son pacifisme et sa proximité avec Gandhi, la critique du colonialisme, la mon- tée des fascismes. Son nom est souvent associé avec celui de Barbusse, notamment à la création du Front mondial de la Jeunesse contre la Guerre et le Fascisme en 1935 à Paris19. Mais on ne parle pas de lui seulement dans les pages politiques ou pour Jean-Christophe. On a traduit – et même parfois avant ce dernier – d’autres romans, Clerambault, Colas Breugnonou Pierre et Luce. Tous les aspects de l’ac- tivité de l’écrivain français sont abordés. Il apparaît très sou- vent dans la rubrique musicale (les ouvrages musicaux ont été traduits avant les romans). Il arrive même qu’on évoque son théâtre (drames et ouvrages théoriques), « un des as- pects oubliés, mais non moins significatifs de son œuvre.

Peut-être même le plus significatif de tous pour comprendre l’esprit de Romain Rolland»20. Le 14 juillet 1945, le public de Rio aura l’occasion d’assister à une représentation du Jeu de l’Amour et de la Mort, donnée par la Comédie Française en tournée internationale, « une des pièces les plus impor- tantes sur la période révolutionnaire». Même la correspon- dance n’est pas oubliée et on salue le travail de Marie Rolland avec les Cahiers Romain Rolland: des articles sont publiés sur sa correspondance avec Louis Gillet, avec Ri- chard Strauss21. Romain Rolland est souvent évoqué dans ses rapports avec d’autres écrivains de renom : Stefan Zweig, bien sûr, mais aussi Renan, Péguy, Gorki, Garcia Lorca ou Panaït Istrati22.

Le nom de Romain Rolland est jugé assez important pour qu’en septembre 1936 la Revista Académicalui consa- cre un numéro spécial23. En novembre 1945, une conférence de Jean Guéhenno, « Romain Rolland, mon ami, mon maî- tre», est annoncée à Rio. En décembre 1945, on parle de la récente fondation en France de l’Association des Amis de Romain Rolland, « à l’initiative de sa veuve et de sa fille Madeleine Rolland [sic] » ; deux ans plus tard, Marie Rolland, dans une interview donnée à un journal brésilien (Diario Carioca, 5 juin 1948), avouera que cette association ne comptait à cette date qu’un adhérent brésilien, le peintre Candido Portinari, et elle appelle de ses vœux la formation d’un noyau brésilien, sous la direction, pourquoi pas, du fi- dèle Vidal de Oliveira, le traducteur de Jean-Christophe.

Certes, Romain Rolland n’a pas manqué de soutiens au Brésil. Il suffit de voir le nombre de ceux qui ont pris sa dé- fense contre les attaques de Carpeaux et la vigueur de leurs protestations pour se persuader des passions qu’il y a susci- tées. Et il vaut la peine de remarquer que ce sont souvent de très jeunes écrivains ou artistes qui sont ses plus fervents admirateurs. On a déjà souligné l’engouement de la jeunesse brésilienne pour lui dès le début des années 20. Le critique d’artMárioPedrosa (1900-1981) déclare avoir été un des premiers « rollandistes » du Brésil (Tribuna da Impresa, 9 décembre 1955). Le poète Tasso da Silveira n’a que 22 ans lorsqu’il écrit en 1917 son essai sur l’écrivain français.

L’émotif professeur Antônio Candido, qui interrompt son cours de faculté en apprenant la (fausse) nouvelle de sa

« mort », est alors âgé de 25 ans… Un personnage ardent comme Jean-Christophe (« Comme nous aimions Jean-

17. Tasso da Silveira, Romain Rolland, éditions de la revue America Latina, 1919. Cet essai « eut une certaine répercussion chez nous et quelques échos à l’étranger » selon son auteur (Le créateur de Jean-Christophe, in A Manhã, 8 mars 1945).

18. Romain Rolland et la jeunesse intellectuelle brésilienne, in O Jornal, 5 février 1920.

19. Le jeune Moacir Werneck de Castro, qui écrira dix ans plus tard l’article le plus incisif pour la défense du Français outragé, a participé à cette manifestation. Emiliano Di Cavalcanti fera partie du Comité brésilien de cette organisation.

20. Selon le critique d’art Rubem Navarra (RR et le Théâtre du Peupleet Encore RR et le théâtre, in Leitura, mai et juin 1945). Egalement, Le Théâtre de Romain Rolland, par Clotilde Luisi, in Dom Casmurro, 3 août 1940

21. Correspondances d’écrivains, de Jean-Louis Bruch (Correio da Manhã, 2 octobre 1949). Richard Strauss et Romain Rolland. Corres- pondance, (Tribuna da Impresa, 9-10 février 1952).

22. Renan (Romain Rolland et Renan, par Charles Oulmont, Dom Casmurro, 7 juillet 1945). Péguy (Encore Péguy, par Sergio Milliet, Diario de Noticias, 30 juillet 1944 ; Charles Péguy, dernière méditation de Romain Rolland, par Paul Arbousse-Bastide, Dom Casmurro, 16 juillet 1946 ; Péguy et Romain Rolland, par J.-L. Bruch, O Jornal , 11 décembre 1955). Gorki (Mon ami Romain Rolland, par Maxime Gorki, Leitura de février 1944). Garcia Lorca (Leitura, février 1944). Panaït Istrati (La vie tragique de Panaït Istrati, le Gorki des Balkans, par Adolfo Schweitzer, Dom Casmurro, 28 octobre 1940.

23. Numéro que, malheureusement, je n’ai pas pu trouver.

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Christophe !», s’écrie le peintre Di Cavalcanti, qui a dé- couvert le roman à l’âge de 20 ans), l’idéalisme de Romain Rolland (pacifisme, internationalisme, anticolonialisme…) ont tout pour plaire aux jeunes intellectuels brésiliens de cette première moitié du XXème siècle, horrifiés par les graves événements qui ensanglantent l’Europe, mais aussi par les dictatures qui fleurissent en Amérique Latine.

J’ajoute que les promoteurs les plus avancés du courant mo- derniste brésilien, écrivains et peintres, ont été ses farouches partisans : ainsi Mario de Andrade («Romain Rolland n’a pas été mon maître de vie, mais il a été mon maître comme conscience d’écrivain. Ce qui d’une certaine façon qualifie aussi la vie»24), ou bien Oswaldo de Andrade (« Romain Rolland nous a enseigné, à nous tous qui écrivons, ce pre- mier devoir : savoir ce que nous voulons, où nous sommes, où nous allons, et comment nous devons agir », Correio da Manhã,, 20 février 1944). Tous soutiennent le maître de l’antifascisme d’autant plus qu’au Brésil ils s’opposent à l’Estado Novodu président populiste GetúlioVargas, qui a des sympathies non dissimulées pour les fascismes euro- péens25. Ils écrivent dans les revues culturelles de gauche, comme Dom Casmurroou Diretrizes. Beaucoup sont plus ou moins proches du Parti Communiste Brésilien, dirigé par Luís Carlos Prestes, le principal opposant à Vargas26. Mais on ne mentionne guère la proximité de l’auteur français avec le socialisme soviétique.

Cela va changer dans les années 50. Romain Rolland est mort. On parle beaucoup moins de lui dans les journaux, sinon occasionnellement dans les rubriques littéraires ou musicales. On ne lui consacre plus guère d’article. L’heure n’est plus à l’antifascisme fédérateur. C’est l’époque de la guerre froide et l’écrivain français n’est plus dans le «bon camp»: on le voit maintenant davantage comme le partisan de la Russie stalinienne.

Je voudrais citer un exemple, qui me paraît significatif.

Le journaliste trotskyste Edmundo Moniz, dans des pages datant de 1950 et 1951, émet des critiques particulièrement virulentes contre le Français. Dans un article dirigé contre le stalinisme (La tactique du mensonge, in Correio da Manhã, 26 février 1950), il attaque Rolland :

Je n’ai lu Jean-Christophequ’après la mort de son auteur. Cette lecture tardive, je le crois, a bien contribué à me faire mieux comprendre le comportement de Romain Rolland dans la dernière partie de sa vie. J’ai remarqué que, dans la plus importante de ses œuvres, le philistin se découvre de la première à la dernière page. Romain Rolland s’y présente sous les vêtements

d’un moraliste vulgaire. Le ton et le langage sont les mêmes que ceux d’un prêcheur catholique ou protes- tant, quand il monte en chaire pour parler du bien et du mal. On le voit alors comme le porte-voix du petit- bourgeois hypocrite et malfaisant, étroit, plein de pré- jugés, sans hauteur de vue, sans perspective, sans horizon. Romain Rolland, d’ailleurs, dans toutes les sphères de son activité personnelle, n’a cessé d’être un moraliste dissimulé, dont l’hypocrisie ne mérite que ré- volte ou répulsion. Il a été un des tartuffes de ce siècle.

Son pacifisme, son horreur de la violence, restaient en- dormis, silencieux, inaltérables, quand se trouvaient en jeu les intérêts staliniens.

Même si parfois on a pu discuter certaines de ses prises de position, jamais Romain Rolland n’avait été si maltraité au Brésil. Les critiques de Carpeaux six ans auparavant semblent des piqures d’épingle à côté de cet éreintement de Moniz. La différence est que, quand la classe intellectuelle du pays s’était presque unanimement élevée contre le cri- tique austro-brésilien, cette fois personne ne vient au se- cours du Français. Cela ne veut sûrement pas dire que tout le monde partage les convictions sans nuances de Moniz, mais personne n’a jugé bon d’intervenir : c’est un signe que le temps a passé. Moniz (né en 1911) fait partie de la géné- ration qui suit celle des premiers admirateurs de Rolland ; et il prétend n’avoir connu Jean-Christopheque tardive- ment.

Ce qui est sûr, c’est que, si Romain Rolland n’a pas été complètement oublié au Brésil après la guerre, le temps qui passe marque le début de son déclin. En 1956, une actrice, interrogée sur sa personnalité préférée par un quotidien, ré- pond : « Un nom qui a disparu : Romain Rolland». En 1959, un journaliste le confond avec Romain… Gary.

* **

Pour résumer, on peut affirmer que Romain Rolland a joui au Brésil d’un engouement certain qui n’a cessé de grandir jusque dans les dernières années de sa vie. Cette po- pularité vient, certes, en bonne partie de l’engagement moral et idéologique de l’écrivain français. Quand la fausse nou- velle de sa «mort en camp de concentration»arrive au Bré- sil en octobre 1943, tous veulent y croire malgré tous les démentis, tant est prégnante l’image du vieux militant anti- fasciste «mort en martyr». Toute l’intelligentsia brési- lienne, y compris les plus grands noms, vole au secours de sa mémoire quand on la voit insultée par les attaques de Car-

24. Lettre privée adressée à Alvaro Lins le 17 avril 1944, citée par A. Pfersmann (op. cit. p. 226).

25. Plutôt favorable idéologiquement aux puissances de l’Axe, Vargas, sous la pression des Etats-Unis, fera néanmoins entrer le Brésil en guerre sur le tard, du côté des Alliés, en participant notamment à la campagne d’Italie.

26. En 1936, Vargas a livré aux nazis la femme de Prestes, une juive allemande, qui sera gazée en camp de concentration.

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peaux, qui paraissent incongrues et inopportunes. On honore non seulement l’icône antifasciste, mais aussi l’écrivain, dont la plupart des œuvres ne sont pourtant traduites qu’à partir des années 40. On l’a placé au niveau des plus grands (« de la race de Victor Hugo et Tolstoï », « [Jean- Christophe]peut parfaitement être comparée aux Miséra- blesde Victor Hugo »…). Puis, comme en France, son étoile ternit dans la seconde moitié du siècle. Des auteurs plus jeunes, comme Sartre ou Camus27, vont susciter l’intérêt des nouvelles générations.

Aujourd’hui, même si l’image de la France reste posi- tive au Brésil, la gallophilie des siècles précédents s’est bien émoussée dans cette mondialisation dominée par le modèle étatsunien. Les Brésiliens sont aujourd’hui rares à apprendre

la langue française et le modèle intellectuel français a perdu de son attrait. Romain Rolland ne fait pas exception à ce mouvement d’ensemble. Mais, comme on le voit en France sortir progressivement de son purgatoire post mortem, on peut espérer le voir retrouver un peu de son attrait au Brésil, dans un pays où il a eu le « privilège » de mourir deux fois, donc de recevoir le double d’hommages…

mars 2020 Philippe Catonné, agrégé de Lettres classiques vit en France et au Brésil. Son grand-père, Amédée Dunois, a été le premier éditeur d’Au-dessus de la mêlée de Romain Rolland.

27. Tous deux vont voyager au Brésil, Camus en 1949, Sartre en 1960. Leurs prestations ont eu un grand succès.

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