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Reference

Jean Calvin, 57 sermons sur Ésaïe 42-51

STAWARZ-LUGINBUEHL, Ruth (Ed.), GRANDJEAN, Michel (Ed.)

Abstract

Ces documents proposent la transcription des 57 sermons contenus dans le Ms. fr. 19 de la Bibliothèque de Genève. Prêchés par Calvin entre le 31 décembre 1557 et le 13 juin 1558, la totalité de ces sermons consacrés aux chapitres 42 à 51 d'Ésaïe est inédite et fait l'objet d'un projet éditorial rattaché à la Faculté de théologie de l'Université de Genève et financé par le FNS (voir métadonnées). Pourvus d'un apparat critique, d'une annotation, d'une introduction et de diverses annexes, ces prédications seront publiées dans la collection des Supplementa Calviniana (Éditions Droz, Genève). Ce volume viendra compléter les autres sermons sur Ésaïe déjà édités dans la même collection (Es 13-29, SC vol. II, éd. Georges A. Barrois; Es 30-41, SC vol. III, éd. Francis M. Higman, Thomas H. L. Parker, Lewis Thorpe; Es 52-66, SC vol. IV, éd. Max Engammare). Nota bene: l'orthographe est fidèle au texte d'origine, mais la

ponctuation est modernisée. Pour plus d'informations, voir

www.unige.ch/theologie/calvin-sermons/

STAWARZ-LUGINBUEHL, Ruth (Ed.), GRANDJEAN, Michel (Ed.). Jean Calvin, 57 sermons sur Ésaïe 42-51. In: Bibliothèque de Genève, Ms. fr. 19. 2021. p. 1r°-498v°

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:75967

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1 /85r°/

11/210. Du mardi 25e jour de janvier 1558.

Voici que dit le Seigneur vostre Redempteur, le saint d’Israel : « J’ay envoyé en Babilone à cause de vous, et voici tous sont descenduz comme fuitifz, ilz sont descenduz aux navires. Je suis le Seigneur vostre saint, le createur d’Israel, vostre roy. » Le Seigneur dit ainsi : « Celui qui a donné chemin par la mer et le passage par les grosses rivieres, qui a delivré et les chariotz et les chevaux ; et la force des armées tombe bas sans se relever, et s’estaignent comme lin. Qu’il ne vous souvienne plus de ce que jadis a esté fait ! Ne pensez plus aux choses anciennes ! Voici je fay un acte nouveau, il se dressera. Ne le cognoistrez vous point ? Je donneray voye par le desert, je feray couler les rivieres en terre seche ; les bestes sauvages prescheront mes louanges, les dragons et les petis des austruches, d’autant que les eaux sont mises au desert et les fleuves en terre seche, voire pour abruver mon peuple, mon eleu. »

Isaye, chapitre 43.

Icy nous voions pourquoy le prophete a tant magnifié la grace et la vertu de Dieu par ci devant et le continuera encores à ce faire : c’est qu’il falloit bien que le peuple eust une fiance invincible contre telles tentations desquelles il devoit estre assailli. Car (comme nous avons traité) le temps aprochoit que Dieu devoit exercer ceste vengeance de laquelle il avoit tant menacé les Juifz, c’est de les dechasser et exterminer de la terre qu’il leur avoit donnée en possession. Or, estans banniz d’icelle, ilz estoient comme rejetez de Dieu sans aucune esperance sinon que le terme leur eust esté assigné, que cela n’estoit que temporel. Au reste, selon les hommes, ilz pouvoient estre comme gens desconfitz et esperduz pource que la puissance de Caldée estoit alors si redoutable par tout qu’il n’y avoit moien ni humain ni terrestre pour les sauver. Il falloit bien donc (comme j’ay dit) qu’ilz /85v°/ fussent muniz de ceste doctrine que Dieu estoit assez fort pour les secourir en telle extremité et puis qu’il ne falloit point qu’ilz en doutassent, attendu qu’il les avoit prins en sa protection et qu’encores ne les vouloit-il point oublier combien qu’ilz l’eussent si grievement offensé. Non pas que cela appartint à tous en general, mais au residu. Il y avoit encores quelque petit nombre de fideles : ceux-là avoient besoin d’estre soustenuz, voire armez, pour batailler constamment et pour resister à telz assaux. Le prophete donc d’un costé monstre ici, quand Dieu veut besongner pour nostre salut, que nul ne l’empeschera. Et puis, il conferme en ceste esperance les Juifz, pource que ce n’est pas en vain qu’il les a eleuz et qu’il a voulu estre leur roy, voire quelques meschans qu’ilz fussent, qu’encores sa bonté surmonteroit envers eux. Non pas (comme j’ay dit) que tous sans exception deussent estre consolez, car ilz n’en estoient point capables ; mais ceux qui avoient tellement falli qu’ilz n’estoient pas du tout incorrigibles estoient touchez de repentance pour demander pardon de leurs fautes et qui taschoient aussi de se reduire au bon chemin.

Il dit donc : Voici que dit l’Eternel, le Saint d’Israel : « J’ay envoyé en Babilone pour vous, et vous les verrez tous fuitifz. » Il est certain que quand Isaye parle ainsi, on ne se doutoit

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2 pas encores de ce qui devoit advenir, que le peuple fust ainsi transporté. Car du temps d’Ezechias nous avons veu que le roy de Babilone avoit envoyé, comme souz umbre d’amitié, et c’estoit en despit du roy d’Assirie, pource que lors ceste monarchie de Ninive estoit grande, il y avoit comme pique et envie entre ces deux roys. Or, tant y a que les prophetes ne laissoient pas de tousjours exhorter les fideles qu’ilz s’aprestassent à souffrir une telle calamité, Et mesmes nous avons veu que ce message-là fut donné au roy Ezechias : « Tu as voulu ici faire tes grandz pompes, tu as monstré tous tes thresors par une folle cupidité. Or, tout ceci sera ravi, tes enfans mesmes seront traisnez captifz, et voilà que ta gloire deviendra, pource que tu t’es magnifié outre mesure. » /86r°/ Maintenant le prophete dit que Dieu a envoié en Babilone. A quel propos ? Il falloit bien presuposer que Dieu aiant à punir les Juifz les dechasseroit en ce païs-là de Caldée et puis qu’en la fin il auroit pitié d’eux. Nous voions donc comme la foy comprend deux choses : c’est, si Dieu menace, qu’elle humilie les cœurs à fin qu’ilz aprehendent le jugement qui leur est annoncé et que là dessus ilz recognoissent leurs fautes. Et puis en second lieu elle embrasse les promesses pour s’y esjouir à fin que les povres pecheurs, qui ont offensé Dieu, ne perdent point du tout courage. Quant au premier, il est dit que Noé par foy a veu le deluge combien qu’alors tout le monde fist grand chere et qu’un chacun fust adonné à ses delices et voluptez. Par l’espace de six vingt ans, Noé travaille à bastir l’arche comme il luy est ordonné de Dieu. Or, on se moque d’une telle simplicité, mais il void des yeux de foy ce qui n’estoit point encores cognu des hommes, c’est à savoir que Dieu estoit armé pour faire juste punition des pechez qui estoient alors tant enormes par tout. Voilà donc comme la foy nous induit à craindre les menaces de Dieu. Et cependant au milieu des plus grandes confusions qu’il est possible de veoir, la foy aussi nous esjouit, que nous ne sommes point du tout opprimez d’angoisses.

Non pas que nous soions insensibles, mais tant y a que nous pouvons resister à tous combatz, tellement que nous invoquons Dieu au milieu des abismes.

Nous voions ceci au passage que nous avons maintenant à considerer, car le prophete dit : J’ay envoyé en Babilone. Il falloit donc que les fideles cognussent que Babilone estoit comme leur sepulchre où ilz devoient estre engouffrez ; combien qu’alors cela n’aparust point, neantmoins il falloit qu’ilz fussent tout resoluz d’estre traisnez en païs lointain, combien qu’il semblast à la plus part qu’ilz eussent là leur nid asseuré en Jerusalem et que jamais on ne les peust arracher de là. Il falloit que les fideles cognussent que Dieu encores les recueilliroit combien qu’il les dechassast pour un temps, comme la paille au vent. Voilà comme par foy il a fallu qu’ilz s’esjouissent, encores que les incredules fussent du tout rebelles, estans confitz en leur malice et presumption, cuidans /86v°/ tousjours estre à repos. Et puis cependant ceci leur a servi quand ilz ont esté là comme souz le sepulchre, car ilz ont cognu que Dieu seroit leur Redempteur, et en cela ilz ont prins courage et mesmes ilz s’y sont aprestez de longue main devant qu’aller en Babilone. Et les peres ont confermé leurs enfans à ce qu’ilz esperassent en Dieu et qu’ilz persistassent tousjours à l’invoquer.

Au reste quand Dieu dit qu’il a envoyé en Babilone, il entend les Perses et les Medes, comme nous verrons encores plus à plain ci après. Car du temps que le siege principal

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3 de tout l’Orient estoit en Babilone, il y avoit les Medes qui estoient assez puissans.

Mais tant y a que Babilone surmontoit de beaucoup, car elle avoit englouty le païs de Sirie, qui estoit un grand royaume ; après, tout le païs de Judée et d’Israel, le païs d’Egipte, le païs d’Ethiope et, au paravant, elle avoit le royaume d’Assirie, qui avoit flori et qui avoit esté renommé par tout. Et puis, il y avoit le païs ordinaire de Caldée, voire un païs fertile, beau et plaisant s’il y en avoit en tout le monde. Il sembloit bien donc que les Babiloniens fussent comme exemptez de la condition des hommes et que jamais nul ne les osast regarder pour les assaillir. Or, Dieu dit qu’il a envoié les Medes qui lors estoient conjointz avec les Perses, et ce n’estoit pas de long temps.

Car combien qu’ilz fussent voisins, si est-ce que c’estoient roiaumes divisez. Or, quoy qu’il en soit, les Perses et les Medes se conjoignent ensemble. Quant aux Medes, ilz estoient gens delicatz, adonnez à toutes voluptez et delices, à yvrongnerie et à toute intemperance ; brief, c’estoient gens effeminez. Et qui eust cuidé que Babilone devoit estre assaillie de ce costé-là ? Car encores qu’elle fust fort adonnée à ses delices, si est-ce qu’il y avoit beaucoup de nations fortes et belliqueuses parmi. Quant aux Perses, c’estoient gens barbares et de grande austerité et qui estoient endurciz à tout labeur, tellement qu’il falloit bien craindre ceux-là. Mais ilz estoient fort eslongnez /87r°/ de Babilone et, d’avantage, ilz n’avoient nulle querele ni occasion de guerre contre les Caldéens. Dieu donc dit : « C’est moy qui feray cela, car voici les Medes et les Perses qui sont à ma soulde, je les ay levez à mes gages, ilz viendront, et alors les Caldéens seront fuitifz et delogeront de Babilone, combien que maintenant on estime que ceste ville-là soit imprenable et mesmes qu’elle soit semblable à un païs ; tant y a qu’ilz seront tous fuitifz, d’autant que je seray le capitaine et le chef de ceux qui viendront contre Caldée et qu’ilz seront souz ma conduite. » Voilà donc comme les Babiloniens ne pourront pas resister. Or, ici nous voions (comme au paravant), encores que les hommes soient incitez de leur avarice ou de leur ambition de troubler le monde et pour esmouvoir des guerres ici bas, que Dieu est là haut qui tient la bride et qui gouverne tout et qui convertist à telle fin que bon luy semble ce que les hommes auront machiné. Quand donc nous verrons de grandz troubles, il est vray qu’il nous faut cognoistre que les hommes sont comme bestes sauvages et que leur convoitise les aveugle, tellement qu’ilz pervertissent tout ordre. Mais cependant notons que Dieu punit les pechez du monde par ce moien-là et que ce sont autant de verges desquelles il chastie ceux qui luy ont esté rebelles. Et cependant il donne les victoires tellement que nul ne sauroit remuer un doigt sinon souz sa conduite et mesmes il dispose les courages et les affections encores que les princes voulussent ceci ou cela. Dieu qui conduit le cours des eaux (comme dit Salomon) tient aussi les cœurs des roys en sa main et les tourne de costé et d’autre à fin de donner lieu à sa providence. Voilà ce que nous avons à retenir en ce passage quand il est dit que les Perses et les Medes seront envoiez en Babilone. Et combien que cela vint de leur cupidité insatiable et de l’envie qu’ilz portoient à Babilone et aux Caldéens, si est-ce toutesfois que Dieu les a là amenez et a fallu que les Juifz cognussent que Dieu avoit le moien de maintenir son Eglise parmi toutes les tempestes et tourbillons de ce monde et qu’il se pouvoit servir mesmes des iniques encores que /87v°/ ilz le facent contre leur gré et leur propos. Comme aujourd’huy il nous faut estre persuadez,

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4 encores que les incredules nous voulussent avoir abismez, que Dieu, quand bon luy semblera, se pourra servir de leur moien et les apliquer à cest usage que nous serons maintenuz par ce qu’ilz cuident estre tout au rebours. Il leur semblera qu’ilz machinent nostre perdition, et Dieu changera tout à l’oposite. Et pourquoy ? Car ce n’est point sans cause qu’il a prononcé ce mot, qu’il envoieroit en Babilone.

Et puis, d’autre costé, il dit que tous seront fuitifz. En quoy il signifie que c’est à luy de fortifier les courages ou de les affoiblir. Quelque fois Dieu laissera les hommes en leur presumption et fierté et semblera bien qu’ilz soient comme des lions ; mais il les domptera d’une façon violente, en sorte qu’il n’y aura nulle vertu qui puisse resister à sa main. Mais quelque fois aussi ceux qui auroient esté pleins de felonnie et pleins d’arrogance seront abatuz et n’auront nulle vertu, qu’ilz seront estonnez devant le coup. Et dont procede cela ? Dieu gouverne tellement que s’il luy plaist, il effroie ceux qui estoient bien asseurez ; ou bien s’il permet qu’ilz demeurent tousjours aveuglez en leur presumption, il les ruinera en telle sorte que toute leur magnanimité ne leur servira de rien. Voilà comme maintenant il dit que tous seront fuitifz et chacun cerchera son yssue, que tous descendront à la mer. Il est vray que Babilone estoit bien loin de la mer, mais elle avoit deux grosses rivieres conjointes ensemble et qui n’ont point ici leurs semblables ne qui en aprochent, tellement que tout ce païs-là a les eaux à commandement et a ses conduitz qui arrousent la terre, et mesmes les rivieres s’espardent en plusieurs endroitz pour descendre en la mer. Voilà pourquoy le prophete dit que tous fuiront aux navires, qu’ilz n’auront pas loisir de prendre chemin par terre, craignans que les ennemis ne les attaignent et qu’ilz ne leur coupent la queue, comme on dit. Pour ceste cause tous cercheront la fuite ; à fin qu’elle soit plus hastive, ilz se mettront /88r°/ par les eaux. Voilà en somme ce que nous avons à retenir.

Or souvienne-nous de ce que nous avons touché, qu’il estoit impossible de persuader ceci quand on eust regardé l’estat commun tel qu’il estoit pour lors, car la ville de Babilone n’estoit pas ville (comme mesmes les gens profanes en ont parlé), elle estoit comme exemptée du reste pource qu’elle estoit semblable à un païs de forteresse ; c’estoit une chose admirable à la façon de ce temps-là, car il y avoit la hauteur des murailles (en quoy consistoit la force des villes pource que l’artillerie n’estoit pas en usage). Et puis après il y avoit l’espesseur si grande que deux chariotz pouvoient aller de front par dessus les murailles. Il y avoit quinze cens tours tout à l’entour. Voilà donc une hauteur et espesseur de muraille telle qu’on n’eust pas cuidé que jamais elle deust estre prinse. D’avoir garnison d’ailleurs, il n’en estoit point question, car il y avoit là un peuple inombrable. On n’eust donc jamais estimé selon le sens naturel que Babilone se fust nullement estonnée. Et de fait le siege ne luy estoit aussi rien, car long temps après il y avoit tant de victuailles qu’on en avoit en aussi grande abondance que si les ennemis eussent esté bien loin. Voilà donc une chose incroiable selon les hommes, que les Caldéens doivent estre tellement effarouchez qu’ilz s’enfuient, et qu’ilz ne trouvent point mesmes leurs yssues libres par terre, et pourtant qu’ilz courent aux navires pour y avoir leur refuge. Mais puis que Dieu l’avoit ainsi prononcé cela devoit suffire aux fideles pour s’apuier et ne douter point que Dieu ne besongnast de sa vertu, laquelle le prophete a tant preschée

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5 ci dessus. Voilà comme aujourd’huy, quand Dieu nous promet ce qui surmonte nostre sens et ce qui nous semble estre par trop dificile, il nous faut premierement mettre devant nos yeux ce qui est dit de sa verité ; et puis il nous faut cognoistre sa vertu incomprehensible à fin que nous ne soions point si folz de vouloir mesurer ses actes et ses œuvres selon nostre opinion, car où sera-ce aller ? Il semble que nous vueillions arracher Dieu du ciel quand nous disputons en nousmesmes pour dire :

« Comment cela se fera-il ? Par quel moien ? » Et qui es-tu miserable creature qui vueilles enclorre en ton /88v°/ cerveau la vertu incomprehensible de ton Dieu ? Elle surmonte tout ce qui est au ciel et en la terre ; et ce pendant toy, qui n’es qu’une vermine et comme une pusse, il ne faudra point que Dieu besongne par dessus ce que tu auras pensé ou imaginé, autrement il sera condamné ? Voilà donc comme nous devons aujourd’huy appliquer à nostre usage la doctrine des prophetes.

Et voilà pourquoy de rechef le prophete adjouste : Voici c’est vostre Dieu qui parle, vostre Redempteur Israel, c’est vostre Saint, c’est vostre roy. Comme s’il disoit, quand nous ferons hommage à Dieu tel qu’il demande, qu’il se presente par sa bonté et qu’il est tant humain qu’il n’attend pas que nous le cerchions loin, mais qu’il se monstre prochain à fin que nous aions de quoy nous consoler en nos afflictions. Quand donc nous le recevrons comme il merite, c’est à savoir adorant sa majesté infinie, cognoissant quel il est et qu’il est puissant pour nous sauver, encores que tous nos sens s’esvanouissent et que nous ne voions nulle yssue à nos miseres, qu’il nous faut esperer quoy qu’il en soit et tenir nos espritz captifz jusques à ce qu’il ait besongné et que nous aions occasion d’en estre esjouiz du tout et de le glorifier tant plus quand il aura monstré ce que nous ne cognoissons pas, ne comprenons.

Or, non seulement il s’apelle Dieu eternel et magnifie ici sa puissance, mais il se dit aussi Saint, Redempteur et roy de ce peuple qui devoit esperer en luy. Or, s’apelant le Saint, c’est pour monstrer qu’il vouloit desploier sa vertu pour ce peuple-là plus que pour tout le reste du monde. Car ce n’est point assez de concevoir en general quelle est la bonté de Dieu, sinon que nous sentions qu’elle s’adresse à nous et que nous povons nous y apuier. Car les incredules ont bien quelque opinion que Dieu est bon, et humain, et pitoiable, mais ce n’est pas pour leur donner accès à luy et pour s’y fier ; ilz sont tousjours en doute et en branle, ilz cuideront : « Et bien, Dieu nous pourra aider », et sur cela ilz feront /89r°/ quelques prieres par ceremonie. Mais si est-ce qu’ilz seront tousjours entortillez en leurs defiances. Parquoy il nous faut avoir ceci conclud que Dieu non seulement est bon envers tous, mais qu’il s’est adressé privement à nous et qu’il nous veut tenir pour son peuple special quand l’Evangile nous est annoncé, que nous sachions : « Et bien, Dieu nous a recueilliz à soy pour estre comme ses domestiques, il veut donc avoir le soin de nous plus que de ceux qui sont comme estranges de luy et lesquelz ne luy apartiennent pas. » Il est vray qu’il a le soin de tout le genre humain, mais quand il est question d’un soin paternel, cela se raporte à son Eglise, c’est à dire à ceux qu’ilz a voulu apeler à soy et ausquelz il s’est declaré pour Dieu et Pere.

Et ne se contente pas mesmes de se nommer Saint et Redempteur, mais il se nomme le createur et le roy. Or, desja nous avons declaré ci dessus que ceste creation n’est pas celle par laquelle Dieu nous a mis au monde, car elle est commune aux bons

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6 et aux mauvais, aux reprouvez aussi bien qu’aux eleuz, mais il a creé pour la seconde fois ceux qu’il adopte et choisit pour ses enfans, car ilz ne sont pas comme hommes mortelz seulement, mais ilz ont une esperance d’une vie meilleure, d’autant qu’ilz sont regenerez par la semence incorruptible de sa Parole et par la vertu de son Saint Esprit. Quand donc nous sommes ainsi apelez de Dieu et que nous avons tesmoignage de sa misericorde, ne doutons point qu’il ne nous marque comme nouvelles creatures et qu’il ne se declare nostre createur pour nous maintenir jusques en la fin, d’autant qu’il ne veut point commencer qu’il ne parface. Et voilà aussi à quoy tend ce tiltre de roy que le prophete adjouste, car s’il nommoit seulement Dieu createur, il sembleroit que ce fust pour un coup qu’il eust fait sentir sa vertu aux Juifz et puis qu’il les voulust abandonner, mais le prophete dit : « Dieu qui vous a adoptez et qui vous a recueilliz comme un petit monde à part, qui vous a separez du reste des hommes /89v°/ à fin que vous ne fussiez pas seulement enfans d’Adam, mais que vous fussiez membres du corps de son Eglise, celui là est vostre roy, c’est à dire il vous aura jusques en la fin en sa protection ; seulement tenez-vous à luy, seulement esperez qu’il ne vous a pas voulu frustrer en declarant que vous serez sauvez et maintenuz par sa bonté. Confiez-vous donc en ses promesses, et comme il vous a créez, aussi il vous maintiendra, et vostre vie sera tousjours asseurée souz sa main et souz son umbre quand vous y demourerez cachez. Nous voions donc maintenant à quoy le prophete a pretendu. Et aujourd’huy ceste doctrine nous est plus que necessaire. Car (comme j’ay dit) si on nous propose les promesses de Dieu simples et nues, comme nos espritz sont volages, nous disputerons puis après : « Est-il possible ? Et comment Dieu le voudra-il ? » Et puis nous regarderons les moiens de ce monde et, là dessus, nous serons comme esbranlez, nous serons envelopez en des doutes et des defiances, et par ce moien nous serons tous les coups forcloz de toute esperance de salut, encores que nous aions les oreilles batues des promesses de Dieu.

Mais quand ces prefaces ici sont mises en avant, c’est pour nous ouvrir les oreilles, c’est pour nous percer les cœurs, c’est pour nous donner telle affection de tendre à Dieu et nous y retenir que cela a plus grand’ efficace que n’auroient pas toutes les cordes et les chaines du monde ; quand il est dit que celui qui parle, c’est nostre Dieu et que nous povons bien nous fier en luy, d’autant qu’il nous a donné une marque par laquelle nous devons estre certifiez qu’il nous tient pour son peuple et pour son heritage, puis qu’il nous a créez pour estre non seulement du nombre de ses creatures telles qu’il les a mises au monde, mais qu’il nous a donné une plus grande excellence beaucoup, c’est à savoir qu’il a imprimé son image en nous à fin qu’il soit cognu nostre Dieu et que nous /90r°/ le glorifions ; et puis que c’est à ceste condition que tousjours il soit nostre roy, et que nous persistions souz sa conduite, et que nous ne puissions jamais perir d’autant qu’il nous a prins en sa garde, et qu’il nous veut garentir par telz moiens que nous ne pouvons apercevoir, d’autant qu’il nous faut adorer sa vertu quand elle nous est incognue. Si donc nous savons faire nostre profit de ceste doctrine, alors nous sentirons que c’est que vallent les promesses de Dieu, et nous en serons armez pour batailler contre Satan et tout ce qu’il nous pourroit dresser d’assaux et de combatz. Voilà donc en somme comme le prophete n’a pas ici usé d’un langage superflu quand il dit : « L’Eternel vostre Dieu qui vous a esleuz,

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7 vostre Saint, vostre Redempteur, vostre createur, vostre roy », il sembleroit de prime face qu’il voulust ici parler de Dieu en façon honnorable tant seulement, mais il nous faut noter ceste circonstance-là, c’est qu’il a voulu fortifier les debiles et leur donner occasion de se pouvoir esjouir au milieu de leurs miseres et de batailler contre leurs perplexitez et angoisses, à fin qu’ilz ne doutassent pas que Dieu ne surmontast tout ce qu’ilz pourroient aprehender de peur et d’estonnement et qu’ilz cognussent que le chastiment qu’ilz devoient souffrir estoit temporel et que Dieu ne les vouloit pas punir en telle aigreur qu’il ne reservast tousjours lieu à sa misericorde à fin qu’ilz fussent exaucez en l’invoquant.

Or, après que le prophete a parlé ainsi, il adjouste : Voici vostre Dieu (dit-il) qui donne passage par la mer et qui met le chemin par les grosses rivieres et ès eaux impetueuses ; quand il veut faire passer, il n’y a ni chevaux, ni chariotz, ni grosses armées, que tout n’y soit abatu, car vous savez comment il a besongné envers vos peres ; mais ce qu’il a fait n’est rien au prix de ce que vous verrez. Ici, en premier lieu, le prophete reduit aux Juifz en memoire ceste histoire /90v°/ tant notable de leur redemption premiere, asavoir quand leurs peres furent retirez du païs d’Egipte, car là (comme il est dit au pseaume) Dieu s’est sanctifié en Israel, et Juda a esté fait sa sainteté. D’autant donc que Dieu alors avoit donné comme un gage à son peuple, il pouvoit bien esperer en luy. Voilà pourquoy tousjours, quand les prophetes veullent parler de quelque secours, ilz mettent en avant ceste histoire, laquelle estoit cognue et renommée par dessus toutes les autres, comme de fait c’estoit bien raison que cela fust publié d’aage en aage, comme aussi tant de fois Dieu le commandoit estroitement en sa Loy que les peres l’annoncent aux enfans. Et quand l’agneau pascal se mangeoit et que les enfans s’enquestoient : « Qu’est ceci ? Que veut dire une telle ceremonie ? » – « C’est que Dieu nous a retirez du païs auquel nous estions captifz et detenuz en servitude tant rigoureuse et cruelle que rien plus. Et alors il se fist des miracles qui ont surmonté tout ce qui jamais avoit esté au paravant. » Et ainsi c’est bien raison que cela soit medité tout le temps de nostre vie. Maintenant donc le prophete dit : « Regardez celui qui parle : je vous ay declaré que c’est l’Eternel, je vous ay monstré sa vertu en general, comme elle est assez visible et notoire par tout le monde, je vous ay aussi declaré qu’il est vostre roy et vostre protecteur, mais maintenant, si vous estes tant tardifz que vous ne compreniez pas ce que je vous ay declaré, pensez à ce qu’il a fait, et ce que vous cognoissez par le recit de vos peres, et qui est mesmes enregistré en la Loy, qui est le livre authentique de Dieu ; pensez à ce que Dieu a donné passage à vos peres par la mer Rouge ! Quand il a ainsi fendu la mer (dit-il), n’estoit-ce pas une chose incomprehensible aux hommes ? Quand il a rompu le cours du fleuve /91r°/

Jourdain et que les povres gens qui estoient là arrestez du tout ont eu leur passage libre, alors Dieu n’a-il pas declaré que sa vertu n’estoit point atachée aux moiens humains et qu’il peut changer l’ordre de nature pour secourir à ses fideles, qu’il les peut retirer de la mort, comme aussi il en a les yssues ? Car si la mer Rouge ne se fust fendue, qu’estoit ce de vos peres ? Voilà une grande multitude de gens, mais ce sont comme moutons ausquelz on deust couper la gorge, car ce n’estoit pas un peuple aguerri. Or, la mer est elle ainsi fendue ? Le passage est-il donné ? Dieu engloutist souz les eaux de la mer Pharao et toute son armée. Quand donc il veut delivrer, il n’y

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8 a ni chariotz ni chevaux qui ne tombent bas, il n’y a nul apareil humain qui ne soit cassé et rompu. Vous avez experimenté cela, c’est à savoir vos peres l’ont senti par effect, et cela vous apartient. Ainsi donc maintenant ne ferez-vous pas cest honneur à Dieu de vous apuier sur sa puissance, laquelle vous avez cognue et de laquelle il vous a donné un si bon tesmoignage et une experience si grande ? » Nous voions comme le prophete conferme ce que nous avons dit au paravant : « C’est (dit-il) vostre Dieu qui donne passage par mer et qui fait le chemin par les eaux grosses et impetueuses. » Or, ici nous devons estre admonnestez de bien reduire en souvenance tout ce que Dieu a monstré de sa bonté et de sa vertu pour la confirmation de nostre foy, non seulement depuis que nous sommes naiz au monde mais de tout temps, car il est certain que les benefices qui ont esté recitez alors pouvoient estre prins comme s’ilz n’eussent de rien apartenu à ceux qui vivoient, tellement que les Juifz pouvoient repliquer au prophete : « Et comment ? Il y a si long temps que cela est passé, tu ne nous parles pas ici de ce qui advint devant hier ou il y a dix ans, il n’y a pas seulement mille ans, /91v°/ mais ilz se sont escoulez, et plus encores ! Et quand tu nous parles de tant de siecles, ce n’est pas pour nous donner grande asseurance. » Ilz pouvoient repliquer ainsi. Mais le prophete presupose ce qui est vray, que jamais les œuvres de Dieu ne doivent estre abolies au milieu de nous et sur tout quand il monstre qu’il veut en general conserver son Eglise. Car comme l’Eglise n’est qu’une et que nous sommes d’un mesme corps, dont a esté Abraham, ceux qui sont venuz après luy, Moise, les prophetes, les saintz roys, comme David, Ezechias et les autres. D’autant donc que nous sommes uniz souz un chef, qui est nostre Seigneur Jesus Christ, il nous faut apliquer à nostre usage tout ce que Dieu a fait de biens à son Eglise, sachant qu’il nous est commun, et qu’il nous en faut estre participans, et qu’il n’y a rien aussi qui nous empesche que nostre ingratitude ; si nous ne jouissons de ces biens-là pour estre confermez en la bonté de Dieu, pour l’invoquer d’un franc courage en la necessité, il est certain que nous nous fermons la porte nous mesmes et refusons comme à nostre escient la grace que Dieu nous presentoit. Ainsi donc que nous soions advertiz de ce passage d’Isaye, quand nous voudrons esperer en Dieu et attendre de luy ce que nous ne pouvons apercevoir en nostre sens naturel, de regarder : comment est-ce qu’il a delivré son Eglise ? Qu’est-ce qu’il a fait au passage de la mer Rouge et au passage du Jourdain ? Alors n’a-il point changé le cours de nature ? N’a-il point besongné d’une façon incognue à tous hommes ? Puis qu’ainsi est, atendons qu’il nous pourra sauver encores que nous fussions periz cent fois et qu’il semblast qu’il n’y eust plus de moien ; Dieu n’est point diminué en sa vertu. Et comme pour lors il se monstroit Redempteur de son peuple en despit de tous les empeschemens qui pouvoient estre à l’oposite, aussi maintenant il /92r°/ besongnera en telle sorte qu’il ne faudra point qu’il emprunte du costé des hommes quelque aide pour faire ce qu’il voudra. Car si tost qu’il a dit le mot et qu’il a conclud, il faut quant et quant que la chose s’execute. Voilà donc en somme ce que nous avons à retenir de ceste doctrine qui est ici contenue et qu’Isaie nous propose aussi bien qu’aux Juifz.

Au reste, nous n’avons pas seulement la redemption d’Ægipte, mais nous avons celle qui nous est faite par nostre Seigneur Jesus Christ, et alors le ciel et la terre ont esté esmeuz. Il faut donc que nous aprenions de tellement nous fier en Dieu que

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9 comme il nous a sauvez miraculeusement qu’aussi nous attendions qu’il nous conservera et, quelque chose qui y resiste, qu’il en viendra à bout et que sa vertu sera victorieuse, quoy qu’il en soit. Or, voilà pourquoy aussi le prophete adjouste qu’il ne vous souvienne plus des choses passées et de ce qui a esté fait du temps jadis, oubliez tout cela, dit Dieu, car ce n’est rien d’autant que Dieu desploiera une vertu plus grande et plus haute et plus admirable pour vous retirer du païs de Babilone, comme quand il a racheté vos peres de la servitude d’Egipte. Or, quand il dit « oubliez les choses passées », ce n’est pas qu’à la verité elles deussent estre mises en oubli, car Dieu avoit commandé en sa Loy (comme desja nous avons dit) que les peres enseignassent leurs enfans à fin que jamais une telle grace fust abolie, et au reste nous voions aussi que le prophete a usé de ceste preface pour esveiller les Juifz et pour faire mieux sentir ceste vertu qui ne pouvoit entrer en leurs sens et en leurs espritz. Il dit donc : « C’est le Seigneur qui donne chemin par les eaux et passage par la mer. » Et à quel propos a-il dit cela s’il falloit oublier ce qui en a esté fait alors ? Cela n’eust de rien servi. Il ne falloit point donc qu’une telle histoire fust oubliée. Mais le prophete entend que cela n’a pas esté pour si bien declarer la puissance de Dieu comme ceste redemption seconde. Et nostre langage aussi emporte cela quand nous disons : « O, il ne faut plus parler d’une telle chose, car voici qui surmonte de beaucoup ! » /92v°/ Ce n’est pas que nous vueillions que la premiere soit du tout mise souz le pied, mais c’est qu’il faut que la seconde qui vient soit renommée par dessus et qu’elle surpasse l’autre. Et voilà pourquoy aussi il est dit au prophete Jeremie : « Dorenavant on ne dira plus

‘vive Dieu’ ou ‘Dieu est vivant qui a retiré nos peres du païs d’Egipte’, mais on dira

‘Dieu est vivant qui nous a retirez de la captivité de Babilone’. » Là, il est bien certain que Jeremie n’a point voulu effacer la bonté et la vertu de Dieu qu’il a monstrée pour un coup en retirant le peuple de la servitude d’Egipte ; mais il entend que la seconde redemption sera beaucoup plus haute et plus renommée. Cependant toutesfois notons que si on regarde à ce que Dieu a fait en la redemption premiere et en la seconde, qu’on ne trouvera pas que la seconde redemption soit si magnifique comme a esté la premiere. Et comment donc a-il esté ainsi parlé ? Il n’y a nulle doute que les prophetes parlans de la redemption seconde n’ayent comprins ce qui devoit advenir long temps après, c’est à savoir que nostre Seigneur Jesus Christ devoit estre en la fin manifesté. Il nous faut donc là revenir que les prophetes n’ont pas restraint leurs propos en promettant que Dieu auroit encores pitié de son Eglise, comme si cela deust estre pour un peu de temps, mais qu’ilz ont principalement regardé au Redempteur qui devoit restaurer tout et amener les choses confuses non seulement en bon estat mais en toute perfection et plenitude. Et de ce passage nous le pouvons assez recueillir, comme de celui que nous avons allegué du 23e chapitre de Jeremie.

Or (comme desja nous avons declaré), il est vray que ce peuple est sorti de Babilone, et alors Dieu a donné chemin par le desert, mais ce n’a pas esté qu’il ait fait passage nouveau sinon celui qui y estoit. Il est dit qu’il fera passer les rivieres par les lieux /93r°/ secz et steriles, et il n’y est point là venu de rivieres ; mais tant y a que le peuple, qui pouvoit mourir de soif et de povreté, a esté tousjours aidé et secouru, tellement qu’il a trouvé moien de retourner au païs qui luy avoit esté donné en heritage. Voilà comme Dieu les a delivrez, voire non point qu’il y ait là eu des miracles

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10 si visibles comme il avoit fait au paravant, mais il doit bien suffire que ce que jamais on n’eust atendu selon les hommes, Dieu l’a parfait et acompli. Mais quoy ? Qu’est- ce ? Si on met en balance la redemption d’Egipte, il est certain qu’elle surmonte de beaucoup. Il faut donc conclure que le prophete Isaie n’a pas seulement parlé que le peuple retourneroit en Jerusalem, que la ville seroit bastie de rechef, que le temple seroit reedifié et qu’on y feroit les sacrifices, mais il entend que Dieu restaureroit ce peuple à telle condition que finalement sa grace seroit espandue par tout le monde, ce qui s’est fait quand l’Evangile s’est publié. Voilà donc la redemption spirituelle que nous avons par nostre Seigneur Jesus Christ, qui est contenue en ce passage. Ainsi il y a comme double naissance de l’Eglise. Il est vray que l’Eglise estoit desja du temps d’Abraham, mais quand le peuple a esté retiré d’Ægipte, voilà une naissance qui a esté faite, comme si Dieu eust ramené des abismes et du gouffre d’enfer ceux qu’il devoit tenir pour ses domestiques. Or, quand le peuple est transporté en Babilone, voilà une mort, voilà une telle confusion qu’il semble que tout soit raclé ; mais Dieu donne encores une seconde naissance à son Eglise quand le peuple est retiré de Babilone. Mais la conclusion (comme j’ay dit) est que le Redempteur devoit estre manifesté en son temps, et c’estoit l’acomplissement de ce qui n’avoit lors esté fait sinon en partie. Ainsi aujourd’huy, quand nous voudrons distinguer entre la redemption de Babilone et celle qui s’est faite par nostre Seigneur Jesus Christ, nous pourrons dire (suivant ce que nous avons allegué du prophete Jeremie) : « Le Seigneur est vivant qui a retiré son peuple de la captivité de /93v°/ Babilone ; mais le Seigneur est vivant qui nous a retirez du profond d’enfer. » Car comment est-ce que nous sommes sauvez ? Comment est-ce que Dieu, quand il luy plaist de nous avoir pour son Eglise, nous apelle ? Où est ce qu’il nous trouve ? Quelle est nostre condition ? Si nous sommes enfans d’Adam, nous voilà captifz de Satan et ses esclaves, nous voilà abismez en la mort, nous n’aportons pour tout heritage sinon l’ire de Dieu.

Quand donc Dieu nous retire ainsi du gouffre d’enfer, n’avons-nous point occasion de magnifier sa puissance par dessus celle qu’il a desploiée en retirant son peuple de la servitude d’Egite et de la captivité de Babilone devant que Jesus Christ fust aparu ? Voilà donc comme il nous faut faire nostre profit de ceste doctrine, à fin que par là nous puissions tousjours invoquer nostre Dieu quand chacun de nous se trouvera en quelque destroit et qu’il nous semblera estre comme environnez de la mort ; mesmes que toutes creatures aient conspiré à nostre ruine, que nous mettions ceci en avant pour faire bouclier à l’encontre de Satan : « Si est-ce que nous avons un Redempteur qui nous a retirez du profond d’enfer. Puis qu’ainsi est, ne nous pourra-il maintenir ? Et s’il a commencé, douterons-nous qu’il ne puisse parfaire ? » Ainsi donc que nous mettions en premier lieu ceste delivrance d’Egipte en avant pour conclure que les miracles qui ont esté fait alors nous servent aujourd’huy pour confirmation de nostre foy, à ce que nous puissions plus hardiment esperer en Dieu et avoir nostre refuge à luy. Et puis quand secondement il a encores retiré son peuple de Babilone, que ce soit pour nous asseurer que si nous estions espars et dispersez par toutes les regions de la terre, qu’il nous rassemblera, comme aussi il en est parlé en Moise et comme la chose aussi est advenue. Et finalement quand nous avons esté rachetez par nostre Seigneur Jesus Christ, voilà une redemption qu’il a faite de son Eglise laquelle /94r°/

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11 surmonte toutes les autres, et pourtant qu’il ne faut pas que nous facions comme ces gens profanes qui n’ont nulle acointance à Dieu, mais que nous cognoissions combien nous sommes tenuz à luy quand il nous a rachetez si cherement. Et au reste, maintenant quand il luy a pleu nous unir au corps de nostre Seigneur Jesus Christ, qu’il a voulu de rechef nous recueillir à soy du temps que tout estoit dissipé et qu’il n’y avoit qu’erreurs et tromperies de Satan, qu’il y avoit une confusion si horrible que rien plus, nous savons comme de rechef il a mis son Evangile en avant. Et nous, qui estions povres idolatres et comme povres ames damnées, il nous a fait ce bien de se reveler à nous et nous manifester sa voulonté. Cognoissans donc un tel benefice, que nous aprenions de luy en rendre graces et louanges en toute nostre vie et le prier cependant qu’il nous fortifie et qu’il nous donne une telle perseverance et si invincible que jamais nous ne defaillons au milieu des combatz qui nous seront dressez.

Or nous nous prosternerons devant la majesté de nostre bon Dieu en cognoissance de nos fautes, le priant qu’il nous les face sentir de plus en plus et que nous soions tellement abatuz en icelles que ce soit pour avoir nostre recours à luy.

Et qu’il luy plaise nous en despouiller et nous y suporter jusques à ce qu’il ayt du tout restauré son image en nous. Que non seulement il nous face ceste grace mais à tous peuples et nations de la terre etc.

La fin.

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12 /96r°/

12/211. Du mercredi 26e jour de janvier 1558.

« Les bestes sauvages prescheront ma gloire, les dragons et les petis des austruches, d’autant que je metray les eaux au desert et les rivieres en regions seiches pour abruver mon peuple, mon eleu.

Je me suis formé ce peuple, il racontera ma louange. Et toutesfois, Jacob, tu ne m’as point invoqué, mesmes tu as travaillé en moy, je t’ay grevé, Israel. Tu ne m’as point aporté bestes en holocauste, tu ne m’as point honnoré en tes sacrifices ; mesmes je ne t’ay point travaillé en oblations, je ne t’ay point esté moleste quant aux perfums. Tu ne m’as point bruslé de canelles, tu ne m’as point rassasié de la gresse de tes sacrifices, mais plustost tu m’as fait servir pour tes pechez et m’as molesté en tes iniquitez.

Ce suis-je, ce suis-je qui efface tes transgressions, voire à cause de moy. Je ne me souviendray point de tes pechez. »

Isaye 43.

Nous vismes hier que le prophete prometoit une delivrance beaucoup plus excellente aux Juifz, quand Dieu les retireroit de la captivité de Babilone, que celle qui avoit esté au paravant lors qu’il retirast leurs peres du païs d’Egipte. Or, la raison est (comme nous avons desja touché en brief) qui ne falloit point avoir seulement regard au retour du peuple et au passage qui luy avoit esté donné depuis la terre de Caldée jusques au païs de Canaan, mais il falloit comprendre la venue de nostre Seigneur Jesus Christ, pource que c’estoit aussi à ceste fin-là que Dieu se monstroit Redempteur de son peuple. Or, c’eust esté une chose bien maigre si les Juifz fussent retournez au païs de Canaan et en Jerusalem et que là ilz eussent sacrifié à leur costume et que Dieu n’eust point eslargi la grace qu’il leur faisoit. Autant ou plus leur eust-il vallu de tousjours estre au païs de Caldée, qui estoit gras et fertile et mesmes tant beau que rien plus, et desja ilz y estoient habituez. Or, estans en Judée ilz y avoient guerres sans fin et sans cesse, et surtout contre leurs voisins, qui leur estoient autant d’ennemis. Il falloit bien donc que l’esperance du peuple s’estendist plus loin, c’est à savoir que Dieu l’avoit retiré de la tyrannie des /96v°/ Caldeens à fin d’acomplir son œuvre envoiant le Redempteur par lequel il devoit tout restaurer ; car à la venue de nostre Seigneur Jesus Christ, il y a eu comme un monde nouveau. Et voilà pourquoy aussi Ezechiel disoit que le temple seroit plus ennobli que jamais et aussi que l’estat royal seroit plus excellent et elevé en dignité beaucoup plus haute qu’au paravant. Or, cela n’a point esté fait que jusques à la venue de nostre Seigneur Jesus Christ, comme il apert que ceux qui bastissoient le temple estoient quasi desesperez et en plorant quittoient l’ouvrage, pource qu’ilz ne voioient pas ce qui leur avoit esté promis. Et voilà pourquoy Aggée leur dit qu’ilz prennent courage et que la gloire du temple second sera plus grande que celle du premier, car le desir de tous peuples viendra, et alors le Temple sera en sa droite majesté. Voilà un passage qui nous doit servir comme de clef pour entendre ce qui est ici recité au prophete, c’est à savoir quand Dieu dit qu’en delivrant les Juifz de Babilone il besongnera d’une façon plus excellente et admirable que quand il avoit retiré son peuple du païs d’Ægipte. Il n’entend pas seulement ce

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13 que le peuple eust liberté et congé de retourner au païs de sa naissance, mais pource qu’il avoit determiné d’envoier son filz unique, qui seroit pour recueillir non pas seulement les Juifz mais tout le monde à salut. Voilà donc pourquoy ci dessus il a parlé de faire choses beaucoup plus grandes qu’au paravant, tellement que tous les miracles qui avoient esté faitz à l’issue d’Ægipte pourroient estre mis en oubli en comparaison de ce qu’il devoit faire, car alors le ciel et la terre ont esté esmeuz, comme il en est traité par le prophete Aggée au lieu que je vien d’alleguer.

Et c’est aussi à quel propos il adjouste que les bestes sauvages l’honnoreront, les dragons et les petis des austruches. Or, à ce que le peuple en retournant n’eust point defailli, mais qu’il eust eu une constance pour surmonter toutes dificultez, il falloit bien que Dieu eust estendu sa main du ciel. Et au reste, que par les desertz et païs steriles et qui n’estoient point habitez, qu’un povre peuple, femmes et petis enfans aient neantmoins trouvé moien de parvenir jusques en Judée, ç’a esté une chose incroiable.

/97r°/ Voilà pourquoy Dieu declare que les bestes sauvages luy donneront gloire. Et comment ? Combien (dit il) qu’il n’y ait là hommes pour estre tesmoins de ma vertu, si est-ce qu’elle sera cognue par les bestes, comme au pseaume 115e il est dit que les montaignes ont tressailli lors que le peuple fust delivré d’Egipte et que ç’ont esté comme des moutons ou des agneaux, que la mer s’est retirée aiant fraieur de la presence de Dieu. Non pas que ces creatures là aient eu quelque sentiment ou aprehension, car nous savons qu’elles sont insensibles, mais c’est que Dieu a usé d’un mouvement secret pour faire destourner le cours de la mer Rouge et le cours de la riviere de Jordain : en cela on a aperceu que ces creatures ont donné gloire à Dieu et luy ont fait hommage. Comme nous dirons que le soleil, lors qu’il s’est arresté à la requeste de Josué, a glorifié Dieu et qu’il a senti quel estoit son empire, car voilà comme nous contemplons l’effect qui se monstre. Et si Dieu ne desploioit sa puissance, il est certain qu’il ne seroit point obei de ses creatures. Et ainsi en ce passage il est dit, quand le peuple retournera de Babilone, que Dieu provoira tellement à toutes ses necessitez que les bestes mesmes en auront quelque aprehension, voire selon leur nature. Brief, il veut signifier qu’encores que les hommes fussent si eslourdiz et stupides de ne cognoistre point que ceste delivrance procedoit de luy, que les bestes brutes en rendront tesmoignage. Et c’est pour inciter tant mieux les fideles à rendre à Dieu et luy atribuer la louange qu’il merite en une telle redemption : « D’autant donc (dit il) que j’ay mis les rivieres par le desert et par les regions steriles à fin d’abruver mon peuple, mon eleu. » Or, ceci excedoit le cours de nature (comme desja nous avons declaré) que des povres gens qui avoient esté tracassez auparavant çà et là, qui avoient esté detenuz en servitude estroicte, peussent retourner et admener là leur bagage, voire par tant de regions steriles et lieux inhabitables ; il falloit bien donc que Dieu leur fust conducteur et que cela s’aperceust comme à veue d’œil.

Et notamment il adjouste « son eleu » pour exprimer qu’il n’estoit pas induit d’autre costé pour se monstrer ainsi liberal et humain envers ce peuple-là sinon pour son election gratuite, car ce mot emporte une demonstrance de la pure bonté /97v°/

de Dieu à fin d’exclurre tout ce que les hommes pourroient aporter de leur costé. Je dy, pourroient aporter : non pas que nous aions jamais rien pour alleguer devant

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14 Dieu, mais tant y a que nous imaginons d’avoir desservi une partie du bien qu’il nous fait, sinon que ceste folle presumption soit abatue en nous. Ainsi quand Dieu use de ce tiltre d’eleu, c’est pour mettre bas tous merites, comme s’il disoit qu’ici on n’a point occasion de s’elever, mais qu’il faut que luy seul soit magnifié. Car pourquoy a- il si puissamment secouru son peuple sinon d’autant qu’il l’avoit adopté ? C’est à dire qu’il l’avoit receu de sa misericorde infinie combien qu’il n’eust ni valeur ni dignité par dessus les autres. Voilà donc en somme ce que le prophete a voulu dire.

Et conferme ce propos adjoustant que Dieu s’estoit creé ce peuple là à fin qu’il racontast sa louange. Brief, Dieu ramene ici les hommes à une telle consideration qu’ilz ne cerchent plus en eux pourquoy ilz doivent estre ni aidez ni sauvez de luy, mais qu’ilz cognoissent qu’il leur doit bien suffire qu’il veut desploier sa bonté et misericorde en aiant pitié d’eux pour les secourir en leurs miseres, comme cela encores sera deduit tantost plus au long. Mais ici le prophete use de ce mot de « creer » comme au paravant, en quoy il signifie que le peuple se tromperoit bien cerchant en soy quelques merites. Et pourquoy ? « La cause (dit-il) qui m’a esmeu et qui m’esmouvera à vous delivrer n’est pas que je vous aye trouvé dignes, car desja devant que vous fussiez naiz, devant que vous fussiez rien, j’ay voulu glorifier mon nom en vous, et voilà qui me fera encores continuer. Et voilà dont procede ce que maintenant je vous promets d’estre vostre Redempteur, c’est d’autant que je vous ay créez. » Or, ici il ne parle pas de la creation generale (comme nous avons declaré ci dessus), mais qu’il s’estoit reservé ce peuple ici et qu’il l’avoit choisi pour son heritage. Il est vray que Dieu a bien creé tout le monde pour soy, non pas qu’il en ait besoin, car de toute eternité il eust bien créé le monde s’il eust voulu ; mais il a dequoy en soy pour se contenter. Comment donc disons-nous qu’il a créé le monde pour soy ? C’est /98r°/

afin d’en estre glorifié. Il est vray (comme desja nous avons dit) que Dieu a en soy toute perfection, il ne faut point qu’il cerche rien ailleurs ; mais tant y a qu’encores veut-il estre honnoré en nous, il veut avoir ici bas gens qui le recognoissent et qui luy facent hommage, qui dependent du tout de luy. Voilà donc pourquoy il a créé tout le monde. Et en general on pourroit dire que Dieu a regardé à magnifier et esclarcir sa justice, sa bonté, sagesse et vertu quand il a mis un ordre si beau et si excellent comme nous le voions et, sur tout, quand il a ici logé le genre humain et qu’il a assigné regions et païs à chacun peuple. En cela donc il est certain que Dieu a voulu que sa gloire soit cognue et qu’on la contemple comme en un miroir. Mais Isaie parle ici de l’Eglise, que Dieu avoit créé ceux qui sont siens et ceux qu’il recognoit et advoue pour son peuple. Et comment les a-il créez ? C’est qu’il les a separez du reste du monde. Or, si cela est apelé creation, qu’est-ce que les hommes y peuvent aporter du leur ? Si par mon industrie je me suis apresté à estre des enfans de Dieu, à estre domestique de son Eglise, je seray mon createur. Et pourquoy ? Car ce que nous sommes de l’Eglise, c’est une creation nouvelle, dit l’Escriture. Si donc il y a une seule goute en nous pourquoy Dieu nous doive acepter pour ses enfans, il est certain que nous sommes nos createurs du tout ou en partie. Et quelle rage est cela ? Et neantmoins c’est la doctrine des papistes, que combien qu’ilz soient contraintz d’atribuer une partie de leur salut à la grace de Dieu, toutesfois ce n’est pas qu’ilz n’aient quelques bonnes preparations et qu’ilz n’y aident de leur costé. Bref, c’est autant comme s’ilz disoient

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15 qu’ilz se peuvent creer. Ilz ne peuvent faire ung cheveux de leur teste blanc ou noir, tant c’en faut qu’ilz puissent créer la substance, qu’ilz ne sauroient rien changer en la couleur ; comme aussi nostre Seigneur Jesus Christ parle, se moquant de la folie des hommes, quand ilz s’elievent ainsi sans propos et mesure. Il y a aussi d’autres fantastiques qui sont encores pires et plus desbordez que les papistes, entant qu’ilz voudroient que le franc arbitre de l’homme fust comme en degré souverain et qu’il n’y eust nulle distinction /98v°/ entre les hommes sinon d’autant que chacun s’advance et qu’il se fait valoir de sa propre vertu. Or, si ainsi estoit, Dieu seroit bien le createur du monde, mais il ne seroit pas createur de son Eglise ainsi qu’il est nommé par le prophete. Or, tant y a que ceste creation dont parle ici Isaie est beaucoup plus admirable que celle par laquelle nous sommes faitz hommes mortelz.

Car qui sommes-nous ? Povres vermines, pourriture, en tant que nous sommes faitz enfans d’Adam. Mais quand nous sommes créez pour estre de la maison de Dieu, nous portons alors sa marque, nous sommes ordonnez heritiers de la vie celeste, nous sommes faitz compagnons et freres des anges. Et si cela nous doit estre attribué, voilà un partage qui est pour donner à Dieu l’estat terrestre et corruptible que nous avons de nature ; et, cependant, que toute la dignité qui surmonte le monde et ceste gloire infinie laquelle nous esperons, que cela soit en nous et en nostre franc arbitre : et ne voilà point un blaspheme par trop detestable ? Notons bien donc ce mot de

« creation » en tel sens qu’il est ici couché par le prophete, c’est à savoir que Dieu non seulement a formé tout le monde pour y estre glorifié, mais que par especial il a choisi son Eglise, et a adopté ceux qu’il a voulu estre de son peuple, et que le tout est procedé de sa bonté gratuite. Or, puis qu’ainsi est, nous pouvons bien conclure (comme aussi le prophete tend à ce but-là) que Dieu nous gardera jusques en la fin.

Et pourquoy ? Car il ne veut point que sa gloire perisse, ne qu’elle dechée. Or, tant y a qu’il a voulu estre glorifié en nous : il s’ensuit donc que nous serons maintenuz et garentiz sous sa main. Brief, l’intention du prophete a esté de fortifier les esleuz de Dieu et leur donner constance invincible à ce qu’ilz ne doutassent point que Dieu ne se declarast leur Sauveur jusques en la fin. Et pourquoy ? Il les ramene à ceste consideration qu’il ne l’a pas fait pour l’amour d’eux mais pour l’amour de soy mesme. « Pensez-vous (dit-il) que Dieu s’oublie ? Pensez-vous qu’il vueille que sa gloire soit mise souz le pied, et /99r°/ qu’elle soit ensevelie ? Or est-il ainsi, quand il vous a ainsi choisiz et adoptez, que ç’a esté à fin qu’on le cognust vostre Sauveur.

Ainsi ne doubtez pas qu’il ne se monstre tel par experience jusques à ce qu’il vous ait retirez de la mort où vous estes et qu’il vous ait amenez à ce qu’il vous a promis. »

Or, quand il dit que ce peuple racontera ses louanges, il ne parle point seulement de la bouche mais par effect, comme s’il disoit : « Il faut que ma louange soit cognue entre vous. » Non pas (comme j’ay desja dit) que Dieu fust amoindri quand tout le monde periroit, mais il faut ici noter qu’il a ordonné que sa louange soit cognue entre nous et que ce moien-là luy est ordinaire. Il nous doit donc suffire que Dieu, combien qu’il n’ait besoin d’emprunter rien qui soit, mais qu’il se puisse contenter de toute perfection, aiant en soy toute plenitude de bien, toutesfois qu’il veut encores que nous soions comme miroirs ausquelz sa gloire et sa majesté reluise. Or, puis qu’ainsi est notons que jusques en la fin il continuera à nous subvenir et ne permettra point

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16 que nous defaillions, à fin que la memoire de son nom ne soit esteinte ni abolie. Voilà comme il est dit qu’il faut que nous racontions ses louanges, c’est à dire qu’on les aperçoive en nous et que nostre salut en rende tesmoignage ; je dy, encores que nous eussions la bouche close, que nous fussions si ingratz et si vilains de mettre souz le pied les graces que Dieu nous eslargist, si est-ce que sa louange sera encores cognue en nous. Mais pource que ce n’est pas raison que Dieu se monstre si liberal et que nous ne luy facions nulle recognoissance, voilà pourquoy le prophete nous advertist de nostre devoir. Ainsi ce passage contient une exhortation à ce que les fideles s’emploient à louer Dieu et apliquent là toute leur estude, comme aussi c’est le principal sacrifice qu’il demande de nous, ainsi qu’il en est traité au pseaume 50 : « Tu m’offriras sacrifice de louange » quand il a rejecté tout le reste. Car ce n’est pas seulement ici que le Saint Esprit nous incite /99v°/ à louer Dieu, mais par toute l’Escriture sainte ceste fin et ceste admonition nous est mise au devant et sur tout au premier chapitre des Ephesiens, où saint Paul nous monstre que nous estions perduz et damnez avec le reste du monde sinon d’autant que Dieu nous a esleuz en nostre Seigneur Jesus Christ et qu’il a voulu que nous fussions separez de ceux qui perissent et demeureront mauditz en leur nature corrompue. « Dieu donc nous a dediez à soy (dit-il), voire devant que le monde fust créé » à fin que nous ne presumions pas y avoir rien aporté, mais c’est à fin que sa gloire soit cognue et que sa bonté soit publiée par tout. Et quand il parle de la Redemption qui nous a esté acquise par nostre Seigneur Jesus Christ au 3e chapitre des Romains, aussi il nous ramene là que c’est bien raison que Dieu soit exalté. Comme saint Pierre aussi en parle, que nous avons esté retirez du profond des tenebres de mort et que Dieu nous a introduitz en la clarté de son royaume à fin que nous racontions ses louanges, voire lesquelles nous ne pouvons assez exprimer. Et saint Pierre en cela signifie que quand nous ferons tous nos effortz et que nous tascherons à surmonter toute nostre faculté en louant Dieu, qu’encores ne parviendrons-nous pas à la centieme partie de ce que nous devons. Mais quoy qu’il en soit, notons que Dieu, nous aiant esleuz devant la creation du monde, nous aiant apelez par la doctrine de son Evangile pour estre participans du salut qu’il nous a acquis en la personne de son filz unique, qu’il a voulu que nous soions dediez à ses louanges pour les raconter de bouche et aussi en toute nostre vie, pour monstrer que nous ne sommes plus à nous mesmes, mais que vraiement nous sommes dediez à luy. Car il n’y a qu’ypochrisie et fiction en toutes les louanges que nous saurions prononcer sinon que la vie s’acorde quant et quant et que nous servions Dieu (comme il en est parlé au cantique de Zacarie) tout le temps de nostre vie en sainteté et justice. Voilà /100r°/ en somme ce que nous avons à retenir, c’est que nous sommes asseurez que Dieu continuera envers nous ses graces jusques en la fin et qu’il ne nous laissera pas au milieu du chemin, que tousjours il n’augmente de plus en plus sa bonté envers nous jusques à ce que nous soions venuz à la perfection de nostre salut. Et pour estre bien certifiez de cela, il ne faut point que nous soions fondez sur nos vertuz, mais que nous venions à la source et à la fontaine de son election gratuite. Et puis qu’il luy a pleu de nous choisir, que nous ne doutions pas qu’il ne vueille nous maintenir et estre nostre garend. Et pourquoy ? Afin que sa gloire ne soit point ensevelie.

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17 Or, combien que ce propos-là fust assez clair de soy, le prophete entre ici en plus ample preuve et dit : « Qu’ainsi soit, Jacob, je ne t’ay pas travaillé beaucoup, je ne t’ay pas fait faire grandz despens ni en parfums aromatiques, ni en huile, ni en sacrifices, ni en oblations ; mais je t’ay grevé (dit-il), ce t’a esté comme un fardeau pesant de me servir. Et cependant il a fallu que je t’aye suporté en tes pechez. Tu m’as piqué, tu m’as tourmenté en toutes sortes. Regarde donc maintenant quelle est la cause de ta Redemption. C’est moy, c’est moy qui efface tes iniquitez (dit-il), et ne faut point que tu aportes ici aucune vanterie, mais que tu cognoisses que tu tiens tout de ma pure bonté et misericorde. » Or, ce n’est point sans cause que le prophete conteste ici comme s’il vouloit mener un procès à l’encontre des Juifz. Car combien que Dieu nous declare que nous luy devons tout, et qu’il ne nous est obligé en rien, et que tout ce que nous avons receu de luy procede de sa pure bonté, et qu’il ne faut pas que nous cuidions l’avoir induit à cela, neantmoins nous sommes si pleins de fierté, que tousjours il y aura quelque replique : « Et voire ! Et Dieu n’aura-il point esgard à ceci et à cela ? » Bref, nous sommes si aveuglez en l’amour de nous mesmes et en une folle hautesse et ambition que nous ne pouvons pas nous humilier comme il apartient à fin que la grace de Dieu ait toute preeminence et qu’on sache que c’est de sa bonté que tout procede ; nous ne pouvons (dy-je) nous acorder à ce poinct /100v°/ sinon que nous y soions comme forcez. Ainsi combien que le prophete ait desja enseigné, en tant qu’il estoit besoin, que la redemption du peuple ne pouvoit estre fondée en autre cause que pour la bonté gratuite de Dieu, d’autant qu’il luy a pleu de le choisir à soy, tant y a que maintenant il s’adresse de rechef au peuple : « Venez çà (dit-il), qu’est-ce que vous aporterez pourquoy Dieu vous ait deu choisir plus tost que les autres ? » Cela est dit à fin d’abatre ceste arrogance qui est enracinée si profond au cœur des hommes.

Il sufisoit bien d’avoir prononcé ce que nous avons veu, mais pource que les hommes ne cessent de se rebequer et voudroient, s’il leur estoit possible, tousjours desrober une partie de l’honneur de Dieu à fin de s’en revestir, voilà pourquoy le prophete adjourne ici au nom de Dieu les Juifz et leur demande : « En quoy direz- vous que je vous soie obligé ? Vous alleguerez vos sacrifices. Voire, mais qu’est-ce qu’il y a là du vostre et en quoy vous suis-je tenu ? Je n’ay rien (dit-il) receu de vous et je vous declare que tout ce que je propose de faire en ceste delivrance n’est point que vous m’ayez servi et honnoré, car vous n’estes pas dignes que je vous regarde en pitié ; il n’y a donc que ma seule misericorde qui m’incite à ce faire. » Or, il est vray que de prime face on pourroit trouver ce stile du prophete estrange pource qu’il dit :

« Jacob, tu ne m’as point rassasié par tes sacrifices, je n’ay receu nulles oblations de toy, tu ne m’as point presenté de parfum. » Car nous savons au contraire que ce peuple là a esté fort diligent à garder les ceremonies de la Loy, tellement que par ci devant Dieu les a redarguez : « A quel propos (dit-il) venez-vous batre le pavé de mon temple ? Et mesmes vous ne le faites qu’user de vos piés ! » Le peuple donc gardoit songneusement les ceremonies de la Loy et les sacrifices, mais Dieu rejecte le tout et le desadvoue pource qu’il n’y a que pur mensonge et que le principal et la verité y deffailloit. Car quand Dieu a institué les sacrifices, ce n’a pas esté qu’il /101r°/ voulust ne boire ne manger (comme il en est parlé au pseaume 50e). S’il avoit besoin de pasture, faut il qu’il la prenne de la main des hommes quand tout est sien ?

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18 Mais ici pour vivre, quand il faut que nous buvions et mangions, c’est un signe de nostre fragilité. Or Dieu, qui est la source de vie, n’a point besoin de telles aides.

Ainsi donc notons qu’il n’a pas ordonné les sacrifices pource qu’il y prinst plaisir, mais ç’a esté pour l’usage et instruction du peuple à fin qu’en sacrifiant ilz cognussent que c’estoit bien raison qu’ilz fissent hommage à Dieu, que quand il les nourrissoit de sa main et qu’ilz tenoient tout bien de luy, qu’ilz luy en fissent hommage et recognoissance. Aussi, il falloit qu’ilz renonçassent à eux mesmes pour estre dediez pleinement à luy. Il falloit puis après qu’ilz cognussent leurs offenses et qu’ilz se confessassent dignes de mort et qu’ilz passassent condamnation. Car quand on tuoit les bestes brutes, chacun estoit admonnesté qu’il estoit coulpable de mort. La beste n’avoit rien merité et toutesfois elle mouroit, ouy, comme pour monstrer en peinture vive quelle estoit la condition des hommes. Or, cependant ilz estoient aussi renvoiez au sacrifice qui a esté fait et acompli par nostre Seigneur Jesus Christ. Voilà donc pourquoy Dieu avoit commandé anciennement qu’on luy sacrifiast. Les hommes (dy- je) luy faisoient hommage et puis ilz cognoissoient que cela n’estoit rien sinon qu’ilz renonçassent à eux mesmes pour se dedier à luy. Tiercement qu’aportans une droite repentance avec humilité ilz confessassent qu’ilz estoient tous coulpables de mort eternelle. Finalement qu’ilz missent toute leur fiance en la pure bonté de Dieu, attendans qu’ilz seroient reconciliez à luy par le sacrifice du vray Mediateur et de celui auquel la sacrificature apartenoit. Or maintenant, qu’ont fait les Juifz ? Ilz ont cuidé avoir bien recompensé Dieu quand ilz avoient tué force boeufz et moutons et que l’autel estoit bien arrousé de sang, qu’il y avoit les parfums, qu’il y avoit les luminaires et choses semblables ; il leur sembloit que Dieu estoit bien payé en telle monnoie.

Or, c’estoit /101v°/ une pure moquerie. Et voilà aussi pourquoy le prophete Jeremie dit que ce qu’ilz faisoient estoit comme une caverne de brigandz, car ilz pretendoient une plus grande licence souz umbre de cela, qu’un chacun puis après s’abandonnoit à tout mal. Et pourquoy ? « O, nous avons sacrifié à Dieu (disoient-ilz), nous voilà quictes. » Comme aujourd’huy en la papauté, moiennant qu’on aille à confession, moiennant qu’on prenne un asperges d’eau benite le soir et le matin, moiennant qu’on trotte en pelerinage, moiennant qu’on barbote, moiennant qu’on se rachete d’une messe ou de je ne say quoy, moiennant qu’on ait des pardons, et indulgences, et choses semblables, et puis qu’on face beaucoup d’agirs, qu’on jusne quelques jours, qu’on garde quelque feste, voilà Dieu qui doit estre contenté. Comment ? Aurions- nous perdu nostre temps d’avoir tant travaillé et mesme d’avoir fait le tout à bonne intention ? Voire, mais cependant il leur semble qu’ilz ont congé de mal faire et se dispensent de fait. Or cela, c’est se moquer de Dieu comme si on se jouoit avec un petit enfant. Ainsi donc en ont fait les Juifz, et voilà pourquoy Dieu desadvoue tout, comme nous avons veu au premier chapitre, qu’il disoit : « Allez, vos parfums me sont en abomination, et tout ce que vous m’offrez, ce n’est que puantise devant moy. » Et nous verrons encores de rechef en la fin du livre qu’il dira que les boeufz et les moutons qu’on luy offroit luy estoient comme des meurtres : « Allez (dit-il), vos sacrifices me sont autant comme si on me tuoit des chiens, qui me sont bestes impures et polues, ou qui couperoit la gorge à des hommes innocens. Et pensez-vous que je me delecte à ces choses ici qui non seulement sont frivoles, mais qui ne font

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19 que corrompre et abastardir mon service et la vraie religion ? » Notons bien donc qu’ici nostre Seigneur n’entend pas que les Juifz aient cessé de sacrifier, car ilz n’y estoient que par trop diligens ; mais il entend qu’ilz ont fait des sacrifices bastardz lesquelz il n’aprouvoit nullement, car le principal y defailloit d’autant que Dieu demande obeissance. Et c’est aussi ce qui est dit en Jeremie au 7e chapitre : « Quand j’ay retiré /102r°/ vos peres de la servitude d’Ægipte, leur ay-je commandé ‘sacrifiez moy’ ? Nenni, mais ‘escoutez ma voix !’ » Or, il est bien certain que Dieu avoit alors ordonné les sacrifices, mais il dit que ce n’est point là où il s’arreste ou amuse, que c’est à fin qu’on luy rende obeissance. Et pourtant si on luy veut obeir, que faut-il faire ? Cognoissons qu’il ordonne un service spirituel, c’est que les hommes se deplaisent en eux mesmes, qu’ilz soient du tout confus et renoncent à leur nature maudite, qu’ilz s’adonnent pleinement à luy, qu’ilz y mettent toute leur fiance, qu’ilz l’invoquent et y aient leur refuge. Après, qu’ilz le servent en toute purité et rondeur.

Voilà donc ce qui est contenu en la Loy de Dieu. Et ce service spirituel ici est de luy rendre obeissance et de conformer toute nostre vie à sa volunté. Or, maintenant si nous cuidons par nos badinages acquerir grace devant luy, et quand il y aura quelque belle pompe et aparence devant les hommes et que le cueur cependant demourera envelopé de toute ordure et polution ; si nous cuidons que Dieu soit apaisé par ce moien-là, nous luy sommes du tout rebelles et pervertissons l’ordre qu’il a establi.

Ainsi donc comme par Jeremie il est dit que Dieu ne veut point de sacrifices, mais qu’il veut qu’on luy obeisse à sa façon et à sa guise, aussi en ce passage : « Israel, (dit- il) je ne t’ay point travaillé en sacrifices, c’est à dire je ne t’alloueray rien de ce que tu m’as fait, d’autant que je n’y ay prins nul plaisir. »

Or, il adjouste un mot qui doit bien estre noté : Plustost (dit-il) tu t’es grevé en moy.

Car il monstre ici la source du mal, et pourquoy c’est que tous leurs sacrifices luy ont esté deplaisans, et qu’au lieu de les recevoir il les a eu mesmes en execration : c’est pource qu’il veut que nous le servions d’un franc courage, comme il dit qu’il aime ceux qui luy offrent liberalement et de bonne volunté. Or, maintenant si nous venons à regret pour offrir à Dieu ceci ou cela, et qu’il y ait comme un desdain et un chagrin, et que ce que nous presentons d’une main nous voulussions le retirer de l’autre, qu’il n’y ait (briefz) que force /102v°/ et contrainte, et que nous ne desirons point d’une franche volunté nous emploier à bien faire, mais que c’est maugré nous, pensons- nous que Dieu aprouve cela et que rien luy doive estre agreable ? Il est certain que non. Ainsi donc il nous faut bien noter ce mot quand il est dit : « Plus tost tu t’es grevé en moy. » Car c’est pour monstrer qu’il estoit impossible que rien fust accepté de Dieu, pource que le peuple ne se rengeoit point à luy en vraie obeissance et mesmes qu’il ne s’adonnoit point à le servir en humilité, comme c’est le principal de toute nostre vie. Or, ici nous voions que vallent toutes les devotions des hommes quand ilz viennent à Dieu comme forsaires : autant d’abominations sont-ce. Comme les plus devotz de la papauté, il est certain qu’il ne font rien sinon par despit et à regret. Quand le quaresme aproche, il est vray qu’ilz despitent Dieu par leurs dissolutions et, en leurs jours gras (qu’ilz apellent), ilz s’abrutissent tellement qu’il semble bien qu’ilz veullent racheter le temps, pour dire : « Nous n’avons plus gueres de temps à rire. » Mais le caresme est-il venu ? Les voilà prins comme des renardz.

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