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Islande : entre succès économiques et crises politiques et sociales

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Academic year: 2022

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32 | 2016

Islande : sortie de crise ?

Islande : entre succès économiques et crises politiques et sociales

Michel Sallé

Édition électronique

URL : https://journals.openedition.org/nordiques/3525 DOI : 10.4000/nordiques.3525

ISSN : 2777-8479 Éditeur :

Association Norden, Bibliothèque de Caen la mer Édition imprimée

Date de publication : 1 novembre 2016 Pagination : 11-28

ISBN : 9782954465487 ISSN : 1761-7677 Référence électronique

Michel Sallé, « Islande : entre succès économiques et crises politiques et sociales », Nordiques [En ligne], 32 | 2016, mis en ligne le 21 janvier 2022, consulté le 12 mars 2022. URL : http://

journals.openedition.org/nordiques/3525 ; DOI : https://doi.org/10.4000/nordiques.3525

Nordiques

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RÉSUMÉ

En avril 2013, la majorité de gauche subit une déroute électorale sans précédent malgré une sortie de crise saluée de toutes parts pour sa rapidité. Plusieurs raisons, dont une est essentielle : ce gouvernement n’a pas répondu aux attentes de refonte des institutions pour notamment donner la parole à des citoyens convaincus d’être les véritables auteurs du redressement par leur dynamisme et leur cohésion. La nouvelle majorité, le plus souvent au pouvoir avant la crise, fait comme si celle-ci n’avait pas existé, s’approprie les bons résultats de ses prédécesseurs et sait les amplifier par une politique uniquement attentive à la résorption des dettes publiques et privées, mais d’où est exclue toute ambition sociale ou sociétale de changement. En dépit d’incontestables succès économiques, la très rapide désaffection du gouvernement est accompagnée de conflits sociaux qui témoignent d’une exaspération croissante, confirmée politiquement par l’enthousiasme pour les Pirates. La majorité élue le 29 octobre 2016 saura-t-elle associer à son action des citoyens qui, compte tenu de l’abnégation et la solidarité dont ils ont fait preuve face à la crise, ne demandent rien d’autre qu’être pris au sérieux ?

ABSTRACT

In April 2013, the left wing majority was under unprecedented electoral defeat, despite the end of the financial crisis honored from all sides for its speed. Several reasons exist, but essentially the government did not respond to the recast of expectations, particularly to give voice to citizens who believed to be the true actors of recovery by their dynamism and cohesions.The new right wing majority, mostly in power before the crisis, acted as if it had not existed but took credit for the positive results of its predecessors and launched a careful policy in dealing with public and private debts, but which has ignored any social or societal ambition for change. Despite undeniable economic success, the government has quickly lost public support and had to deal with social conflicts showing an increasing exasperation, politically confirmed by the enthousiasm for the “Pirates”. Will the majority elected in October 29, 2016 respond to the desires of the citizens who, because of the selflessness and solidarity they have shown during the crisis, demand nothing else than being taken seriously?

Islande : entre succès économiques et crises politiques et sociales

Michel Sallé*

* Michel Sallé, retraité, est docteur en études politiques (FNSP), auteur de plusieurs ouvrages sur l’Islande et d’une thèse intitulée La vie politique, économique et sociale de l’Islande.

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UnecrisefinancièretrèsdUre

Octobre 2008 : la crise vient de frapper brutalement les Islandais ; des manifes- tants se rassemblent chaque samedi devant l’Alþingi (Parlement) et sont tou- jours plus nombreux pour bientôt dépasser les 5 0001. Les premiers à manifester sont ceux qui ont contracté des emprunts immobiliers indexés sur des devises étrangères et qui se trouvent étranglés lorsque la couronne passe de 120 à près de 200 Isk pour 1 euro après avoir été à 80 Isk pour 1 euro un an auparavant.

D’autres les rejoignent très vite, car la crise a immédiatement des répercussions sur la vie quotidienne (inflation, chômage, contrôle des changes, etc.).

Les « casseroles » 

Pourtant les mots d’ordre des manifestants sont uniquement politiques. Ils re- prochent aux gouvernants de les avoir trompés et entraînés dans une folie fi- nancière très éloignée de leurs valeurs traditionnelles. La première exigence sera donc la démission de Davíð Oddsson, alors président de la Banque centrale, mais Premier ministre de 1991 à 2005 et tenu pour responsable des choix ultrali- béraux qui ont conduit les Islandais à un développement économique effréné, puis à la catastrophe de 2008. Davíð Oddsson considère cependant qu’il n’a rien à se reprocher et refuse de démissionner avant la fin de son mandat. Très vite, les revendications s’étendent au départ du gouvernement de Geir Haarde2. Puis paraît l’exigence d’une réforme de la Constitution telle que « le peuple » puisse être entendu d’une classe politique jugée autiste ; d’où le nom de « révolution des casseroles », en référence aux instruments alors utilisés pour faire du bruit3. Fin janvier 2009, ce peuple peut crier victoire : Geir Haarde démissionne et un gouvernement provisoire est mis en place, en charge notamment de préparer des élections législatives. Ce gouvernement est conduit par Jóhanna Sigurðardóttir, nouvelle présidente de l’Alliance sociale-démocrate. Son parti, qui a su minorer son rôle dans le gouvernement précédent4, est associé à la Gauche Verte présidée par Steingrímur Sigfússon. Le 25 avril 2009, cette nouvelle alliance est confirmée avec une courte majorité : 34 des 63 députés que compte l’Alþingi. Le nouveau gouvernement fait voter une loi réaménageant la direction de la Banque centrale, ce qui entraîne le départ de Davíð Oddsson. Des trois exigences des manifestants reste la révision constitutionnelle destinée à substituer le bulletin de vote aux

1 L’Islande compte 330 000 habitants, dont les deux tiers à Reykjavík et dans les villes avoisinantes.

2 Ce gouvernement unit le Parti de l’indépendance, que préside Geir Haarde, et l’Alliance sociale- démocrate.

3 Voir notamment Guðni T. Jóhannesson, Hrunið, Reykjavík, JPV Útgafa, 2009, chap. 7 ; l’auteur a été élu président de la République en 2016.

4 Où Jóhanna Sigurðardóttir était ministre des Affaires sociales.

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casseroles. Sur ce point, le succès n’est pas au rendez-vous. Serait-ce plus difficile qu’un redressement économique spectaculaire ?

Car il est spectaculaire, et bien plus rapide que prévu :

% année antérieure 2009 2010 2011 2012 2013

Progression PIB -6,9 -3,5 2 1,2 4,4

Progression des prix

à la consommation 12 5,4 2,7 2,6 3,8

Taux de chômage moyen 7,2 7,5 7 5,8 5

Les mesures d’urgence du gouvernement de Geir Haarde

Le gouvernement de Geir Haarde (Parti de l’indépendance et Alliance sociale- démocrate), en place depuis le succès du Parti de l’indépendance aux élections de 2007, a senti la crise venir, mais, dans sa logique libérale, croit qu’elle pourra être circonscrite aux trois banques d’affaires qui, sur le continent européen, ont connu un développement échevelé au point de rassembler des actifs dix fois supé- rieurs au PNB islandais5. Las, la faillite quasi simultanée de ces trois banques crée des remous qui submergent l’île, entraînant un arrêt brutal de l’activité faute de financements. La réaction du gouvernement se développe dans quatre directions : - vote dès le 6 octobre d’une loi, autorisant l’État à nationaliser les banques et en assurer la gestion le temps de les recapitaliser ;

- afin d’éviter un effondrement de la monnaie, mise en place d’un contrôle strict des échanges de capitaux, et taux de base bancaire porté à 18 % ;

- faute d’obtenir de l’aide des « cousins nordiques », eux-mêmes en difficulté et peu enclins à aider la « cigale » islandaise, appel au FMI. L’accord est signé le 24 octobre 2008 : le Fonds prêtera 2,1 milliards de dollars, auxquels s’ajouteront 2,5 milliards d’euros, apportés par les pays nordiques et la Pologne ;

- recherche d’économies sur les dépenses publiques (diminution des salaires, sus- pension de dépenses d’entretien, etc.) tout en prévoyant des actions pour venir en aide aux chômeurs et aux foyers dans l’impossibilité de rembourser des emprunts souscrits en devises étrangères.

Donc le gouvernement n’a pas choisi de mettre les banques en faillite ; il a au contraire fait tout ce qu’il a pu pour l’éviter allant jusqu’à rassembler 500 millions de dollars pour renflouer Kaupþing. En vain. Que pouvait-il faire pour aider des banques dont la capitalisation représentait dix fois le PNB islandais ?

5 Sur les causes de la crise, voir Ásgeir Jónsson, Why Iceland, New York, Mc Graw Hill, 2009.

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Il n’a pas plus choisi de dévaluer la couronne. Au contraire, en mettant en place un contrôle des changes, il a tenté d’endiguer sa chute. Sans grand succès puisque la couronne est passée de 120 à près de 200 pour 1 euro6. Faut-il néanmoins, comme le soutiennent les anti-UE, et notamment l’ex-président Ólafur Ragnar Grímsson, y voir une des clés de la reprise ? C’est vrai à terme en déclenchant à partir de 2010 un afflux de touristes. C’est très contestable pour les deux années ayant suivi immédiatement la crise, car la dévaluation, de l’ordre de 40 %, a eu un effet mécanique sur le niveau des prix (l’Islande importe près de la moitié de ce qu’elle consomme), et n’a pas eu d’effet volume sur les exportations, seul sus- ceptible de relancer l’activité, tant celles-ci sont contraintes par les accords sur les ventes d’aluminium et les quotas de pêche. En revanche, la balance commerciale a bénéficié d’une hausse d’environ 30 % en 2009 et 2010 des cours mondiaux pour ses principaux produits, indépendante du cours de la monnaie.

Il n’empêche que les Islandais sont durement touchés : de moins de 3 % pendant l’été 2008, le chômage saute à 5 % en novembre de la même année, puis près de 10 % au milieu de 2009 ; la dévaluation de la monnaie se répercute évidemment sur le niveau des prix à la consommation et celui des produits nécessaires à la relance de l’économie. Beaucoup d’Islandais doivent émigrer, notamment vers la Norvège, qui les accueille à bras ouverts.

En fin d’année 2008, Geir Haarde peut croire qu’il a remis le bateau à flot. Pour- tant, il doit remettre fin janvier la démission de son gouvernement tant se radica- lisent les manifestations commencées dès début octobre.

La politique de Jóhanna Sigurðardóttir

En attente d’élections prévues le 25 avril 2009, un gouvernement provisoire est formé sous la direction de Jóhanna Sigurðardóttir (Alliance sociale-démocrate), associant son parti et la Gauche Verte, dont le président Steingrímur Sigfússon va s’avérer le véritable ordonnateur de la sortie de crise. Ce n’est possible qu’avec l’abstention du Parti du progrès. Son nouveau président, Sigmundur Davíð Gunnlaugsson, y met deux conditions, un programme de réduction des dettes des ménages, et surtout l’organisation d’une assemblée constituante.

Farouche opposant à l’accord avec le FMI avant de devenir ministre des Finances, Steingrímur Sigfússon reprend à son compte, à la surprise de beaucoup et en dépit des critiques au sein de son propre parti, les mesures décidées par le précé- dent gouvernement, notamment l’appel au FMI7. Dont il reconnaîtra loyalement l’apport crucial le 27 octobre 2011 lors de la conférence célébrant la fin, la bonne

6 180 Ikr pour 1 euro le 20 novembre, mais il s’agit du cours officiel.

7 Björn Þór Sigbjörnsson, Steingrímur J. frá hruni og heim, Reykjavík, Veröld, 2015, p. 69 sq.

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fin, de l’accord avec le FMI, qui aura apporté à la fois des prêts en dollars, des garanties vis-à-vis des marchés internationaux, et une assistance technique très utile, notamment pour conduire la recapitalisation des banques.

Mais Steingrímur Sigfússon insiste aussi sur le fait que ce succès n’aurait pas été au rendez-vous s’il n’y avait pas eu une étroite collaboration entre le gouverne- ment et le Fonds, et une bonne compréhension par ce dernier de la nécessité d’un accompagnement social fort visant à mieux répartir la charge de l’effort consi- dérable demandé aux acteurs économiques. Si les budgets 2009, 2010 et 2011 prévoient des réductions drastiques des dépenses, celles consacrées à la formation sont maintenues à un niveau élevé et les indemnisations pour les chômeurs sont sensiblement augmentées. L’impôt sur le revenu est aménagé pour le rendre plus progressif. Enfin, un programme de réduction des dettes doit alléger les rembour- sements des personnes qui ont imprudemment écouté les propositions alléchantes des banques. Toutefois, ce programme ne peut être mis en place que fin 2011, à la fois pour des raisons de qualification juridique d’emprunts en devises et parce que les nouvelles banques et les fonds de pension appelés à financer ce programme sont encore très fragiles.

Le Pacte de stabilité

Mais la pierre angulaire de cet accompagnement est le Pacte de stabilité signé le 25 juin 2009 pour trois ans et qui explique à lui seul que les Islandais ont tra- versé la crise sans un seul jour de grève malgré les lourds sacrifices qu’ils ont dû consentir.

La négociation débute en janvier  2009. Elle réunit les représentants des em- ployeurs et des employés privés et publics sur le thème « Que pouvons-nous faire ensemble pour aider notre pays à sortir de la crise ? ». L’accord est signé cinq mois plus tard au terme d’une négociation à rebondissements multiples. Il est une pièce essentielle dans le dispositif de reconstruction de l’économie islandaise et de son tissu social. C’est en effet une véritable « feuille de route » économique et sociale qui est proposée au gouvernement et acceptée par lui. Sans entrer dans le détail de son contenu, il faut noter l’ampleur des sujets abordés ; elle illustre l’intensité de la vie contractuelle en Islande.

Les négociateurs ont en effet trouvé des compromis sur de nombreux sujets, dont les suivants :

- afin d’avoir une visibilité sur le coût du travail, prolongation des accords collec- tifs du secteur privé jusque fin novembre 2010, et négociation d’accords dans le secteur public avec le même horizon ;

- limitation des augmentations d’impôts à 45  % des recettes supplémentaires nécessaires pour atteindre l’équilibre ;

- mise en œuvre de projets générateurs d’emplois, notamment dans l’industrie, en facilitant leur financement par les caisses de retraite ;

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- planning précis pour la recomposition du système bancaire avec finalisation au 1er novembre 2009 ;

- planning précis d’actions destinées à soutenir la monnaie et lever le contrôle des changes ;

- actions pour que le taux de base bancaire soit inférieur à 10  % au 1er  no- vembre 2009 ;

- soutiens aux collectivités territoriales ;

- mise en œuvre des engagements pris par le gouvernement en février  2008 concernant le développement de la formation permanente.

Ces résolutions sont prises à partir d’hypothèses précises : l’inflation ne devra pas être supérieure à 2,5 % fin 2010, le déficit public ne représentera que 10,5 % du PNB, le taux de change sera stabilisé et le taux de base bancaire ne sera pas supérieur à 4 % au-dessus du taux de la zone euro. Un ensemble volontariste et ambitieux, dont se félicite Jóhanna Sigurðardóttir, Premier ministre, à l’occasion de sa signature solennelle. Les sorties de route ne manqueront pas, mais seront autant d’occasions de dialogue avec un seul but : trouver une issue à la crise.

Cet accord peut être compris comme une véritable recomposition du pacte social fort, un temps lézardé, sur lequel repose le libéralisme caractéristique de la vie économique et sociale de l’île. Les Islandais sont donc fondés à croire qu’ils sont les acteurs principaux du redressement économique de leur île. Leur exigence d’être entendus quand ils l’estiment légitime est donc compréhensible : ce devrait être l’objet de la réforme constitutionnelle.

Le projet de réforme constitutionnelle

La coalition dirigée par l’Alliance sociale-démocrate associée à la Gauche Verte inscrit le principe d’une assemblée constituante dans l’accord de gouvernement.

Elle respecte ainsi un engagement pris auprès du Parti du progrès pour obtenir sa neutralité pendant la période intérimaire. Le projet déposé peu après par celui-ci a de l’ampleur : élue au suffrage universel, l’assemblée aura 41 membres et autant de suppléants et siègera du 1er décembre 2009 au 27 juin 2011 avec une prolon- gation possible de 6 mois. Un référendum sera organisé avant la présentation à l’Alþingi du projet constitutionnel.

Puis le temps passe. Pour faire face à la crise, le gouvernement se trouve confronté à une multitude d’urgences et à des choix importants. La réforme constitution- nelle a cessé d’être une priorité. Un nouveau projet est déposé devant l’Alþingi à l’automne 2009, dont les ambitions, déjà limitées, le sont encore plus à l’issue des débats : l’assemblée n’aura que 25 membres, dont au moins 10 de chaque sexe, qui se réuniront deux mois, éventuellement prolongeables de deux mois. L’élec- tion aura lieu sur la base d’un scrutin de liste au niveau national.

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Les rebondissements sont multiples8, qui montrent l’embarras de la classe poli- tique toutes tendances confondues face à ce qui est de toute évidence un acte de défiance à son égard et risque de la déstabiliser. Rappelons les principales étapes : - étape de « débroussaillage » le 6 novembre 2010 lorsqu’une assemblée d’envi- ron 1 000 citoyens tirés au sort est réunie à Reykjavík. Ses travaux aboutissent à dix propositions devant figurer dans la nouvelle Constitution. On les retrouvera notamment dans le préambule du projet ;

- le 27 novembre 2010, élection de l’Assemblée. Surprise : il y a 522 candidats, entre lesquels il faut choisir 25 noms et les ranger par ordre de préférence. L’exer- cice est difficile ; seuls se déplacent 35,95 % des électeurs, soit la plus faible par- ticipation jamais connue ;

- coup de théâtre ? Voici que la Cour suprême annule le scrutin au motif que son déroulement n’est pas conforme à la loi électorale ! L’Alþingi vote une loi trans- formant l’Assemblée en une commission du Parlement ;

- cette commission comprend 10  femmes et 15  hommes. Trois seulement ha- bitent hors de Reykjavík et ses environs. La plupart assument ou ont assumé des responsabilités dans les nombreuses associations qui irriguent le tissu social islandais, mais aucun n’a d’engagement politique connu.

C’est un texte voté à l’unanimité qui est remis le 29 juillet 2011 à Ásta Ragnheiður Jóhannesdóttir, présidente de l’Alþingi. Le communiqué qui l’accompagne insiste sur trois principes directeurs : clarté de la répartition des pouvoirs, transparence, responsabilité, qui sont sous-jacents aux principaux changements proposés9 : - un chapitre « droits de l’homme » largement enrichi dans le sens de plus de trans- parence dans l’action des institutions politiques, surtout lorsque cela concerne l’environnement et les ressources naturelles ;

- une répartition plus claire des pouvoirs exécutif, judiciaire et législatif, notam- ment en reconsidérant le mode de nomination des magistrats ;

- une plus grande participation des citoyens, en développant les possibilités de recours au référendum et en leur donnant le droit de proposer des lois par péti- tions ;

- une révision du système électoral destinée à réduire le monopole des partis, en autorisant les candidatures « hors parti » ;

- la fin du cumul entre les fonctions de ministre et le mandat parlementaire ; - une consécration du principe de subsidiarité pour les pouvoirs des collectivités territoriales ;

- l’imposition d’un référendum pour tout transfert de souveraineté vers un orga- nisme international.

8 Voir Michel Sallé, L’Islande, Paris, Karthala, 2013, p. 114-122.

9 Voir site de la commission [http://www.stjornlagarad.is/english/] (consulté le 17 octobre 2016).

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Il convient de noter que la procédure référendaire existe déjà en Islande, sous deux formes  : référendum «  indicatif  »10 à l’initiative de l’Alþingi, référendum consécutif à un refus du président de la République de promulguer une loi11. Le principal apport de la proposition est la possibilité de provoquer un référendum à la suite d’une pétition rassemblant la signature de 10 % du corps électoral.

Parmi les forces politiques en présence, seul le Parti de l’indépendance a une position claire : il est contre un mode de révision qui dessaisit l’Alþingi de l’une de ses prérogatives. Et il est en tout état de cause opposé à toute révision d’un sys- tème dans lequel il est parfaitement bien installé. L’autre parti de l’opposition, le Parti du progrès, se désolidarise progressivement d’une idée dont il a été l’un des promoteurs. Au gouvernement, seule Jóhanna Sigurðardóttir, Premier ministre, semble vraiment intéressée par le projet. De plus, le processus engagé connaît un obstacle de taille : la procédure de révision de la Constitution est particulièrement lourde : elle prévoit en effet un vote de l’Alþingi, des élections législatives et un nouveau vote conforme par la nouvelle Assemblée. Or la majorité, qui selon les sondages deviendrait minorité, n’a nulle envie de procéder à des élections avant la fin de la législature (avril 2013). Pendant près de six mois, le projet sombre dans le silence.

Le 20 octobre 2012, soit plus d’un an après la communication du projet, un réfé- rendum est enfin organisé sur les principales dispositions du texte : deux tiers des électeurs les approuvent ; mais surtout 50 % d’entre eux se sont rendus aux urnes pour un nouvel exercice complexe.

Il faut maintenant transformer le texte en projet de loi constitutionnelle, qui devra être soumis à l’Alþingi avant l’élection législative d’avril 2013, puis, confor- mément à l’actuelle Constitution, de nouveau soumis à la nouvelle Assemblée.

Or celle-ci risque d’être composée d’une majorité hostile à tout changement, sur- tout si elle a pour effet de réduire ses pouvoirs…

Pourtant le 27 mars 2013, juste avant de se séparer et après des marchandages peu glorieux, l’Alþingi adopte une loi modifiant le mode de révision de la Constitu- tion. Si cette loi est confirmée par la prochaine Assemblée, il suffira pour modi- fier la Constitution d’une majorité des deux tiers à l’Alþingi et de l’approbation de 40 % des inscrits à un référendum. La loi est votée par 25 députés contre 3.

Vingt-deux députés s’abstiennent. En novembre 2013, une nouvelle commission est créée, composée cette fois de juristes et de représentants des partis, dont les travaux sont évoqués de loin en loin…

Est-ce la fin d’une belle utopie ? Le référendum d’initiative populaire semble ré- pondre à une vraie attente des électeurs qui veulent pouvoir se prononcer autant que de besoin sur les principaux choix les concernant. Mais la Constitution a

10 Mais quelle assemblée irait contre le résultat d’un référendum dont elle aurait pris l’initiative ? 11 Utilisé par le président Ólafur Ragnar Grímsson à propos de Icesave.

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besoin d’être révisée sur beaucoup d’autres sujets : pouvoirs du président de la République, séparation des pouvoirs, cumul des mandats, organisation du sys- tème judiciaire, etc.

Très évidemment, cet épisode augmente la défiance des citoyens à l’égard de leurs représentants.

LeretoUrdeLadroite : LapoLitiqUerédUiteàLéconomiqUe

En avril 2015, le Parti de l’indépendance et le Parti du progrès, bien que large- ment responsables de la crise, peuvent reprendre ce pouvoir dont ils se croient propriétaires puisqu’ils l’ont exercé presque constamment depuis l’indépendance de l’Islande12.

Les élections du 25 avril 2013 : la déroute de la gauche

Malgré leur succès dans la sortie de crise, les deux partis au gouvernement essuient un échec cuisant : ils perdent 18 des 34 sièges qu’ils détenaient.

2007 2009 2013

% sièges % sièges % sièges Alliance sociale-démocrate 26,8 18 29,8 20 12,9 9 -11

Gauche Verte 14,3 9 21,7 14 10,9 7 -7

Parti de l’indépendance 36,6 25 23,7 16 26,7 19 +3

Parti du progrès 11,7 7 14,8 9 24,4 19 +10

Libéraux 7,3 4 2,2

Mouvement des citoyens 7,2 4

Avenir Radieux 8,3 6 +6

Pirates 5,1 3 +3

De fait, ces résultats reflètent moins la victoire des anciens opposants qu’une déroute pronostiquée dès le milieu de la législature, et ce pour diverses raisons : - l’arrivée de ces deux partis au pouvoir, et notamment de la Gauche Verte, ainsi que la personnalité largement appréciée de Jóhanna Sigurðardóttir avaient sans doute suscité en 2009 des espoirs de changement radical qui ne se sont pas tra- duits dans la réalité, telles la réforme des institutions, celle des quotas de pêche, ou encore la refonte du système de sécurité sociale ;

- au contraire, face à la crise, le nouveau gouvernement a opté, nous l’avons vu, pour des solutions inscrites dans la continuité des décisions prises par le gouver- nement de Geir Haarde à l’automne 2008 ;

12 Pacte d’union du 1er décembre 1918, le roi de Danemark restant roi d’Islande et le Danemark en charge de la défense de l’île et de ses relations internationales.

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- si dès 2012 les indicateurs macroéconomiques sont repassés au vert, la traduc- tion de ces améliorations dans le quotidien des personnes les plus atteintes par la dégradation brutale de la situation économique continue de se faire attendre ; - surtout, les deux partis de la majorité, tout en exigeant d’importants sacrifices de la part de la population, ne semblent s’entendre sur rien, malgré un accord de gouvernement âprement négocié. Handicap auquel il faut ajouter celui d’une Gauche Verte minée par les positions diverses de ses nombreuses factions comme en témoignent les entrées et sorties de ministres de ce parti pendant cette période.

De plus, l’éventualité d’une adhésion de l’Islande à l’Union européenne, axe majeur du programme de l’Alliance sociale-démocrate, a été formalisée en juil- let 2009 par le dépôt d’une candidature soumise sans consultation populaire pré- alable alors qu’elle est de plus en plus contestée par une majorité de l’opinion publique.

L’autre caractéristique de cette élection est le bond du Parti du progrès au détri- ment pour l’essentiel du Parti de l’indépendance, qui certes gagne 3 sièges, mais est loin de retrouver son niveau de 2007. Pourtant, à la fin de 2012, les sondages étaient sans ambiguïté : on s’attendait à un succès solide pour le Parti de l’indé- pendance (de l’ordre de 40 % des suffrages) et à un résultat stable pour le Parti du progrès (autour de 11 %). Mais deux événements sont venus troubler ce bel ordre :

- en décembre 2012, Sigmundur Davíð Gunnlaugsson promet que le Parti du progrès lancera un programme massif de réduction des dettes immobilières qui, selon lui, ne coûtera rien au contribuable puisqu’il sera financé par les trois banques en faillite dont la liquidation se passe mieux que prévu ;

- en janvier 2013, la Cour de justice de l’Association européenne de libre-échange (AELE) donne raison à l’Islande dans le conflit qui l’oppose au Royaume-Uni et aux Pays-Bas : l’État islandais n’a pas à donner sa garantie dans le remboursement de la dette Icesave13.

Seul dirigeant politique à avoir adopté une posture nationaliste intransigeante dans l’affaire Icesave, Sigmundur Davíð Gunnlaugsson profite largement de cette conjonction : de 12 % des intentions de vote, son parti bondit à 26 %, talonnant un Parti de l’indépendance revenu, lui, à moins de 30 %.

13 L’agence en ligne Icesave, qui opérait au Royaume-Uni et aux Pays-Bas, dépendait de Landsbanki, l’une des trois banques mises en faillite en octobre  2008. Afin d’éviter toute panique, les autorités britanniques et néerlandaises ont rapidement indemnisé les 300 000 clients de Icesave, puis demandé au gouvernement islandais de garantir leur remboursement intégral, soit 4,2 milliards d’euros (plus de 13 000 euros par Islandais !). On savait dès le départ que ce remboursement pourrait venir pour 75 % environ des actifs de Landsbanki. Cette dernière sera finalement en mesure de rembourser la totalité de la somme convenue.

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Un autre bénéficiaire de la conjoncture est le nouveau Parti pirate créé par Birgitta Jónsdóttir, députée sortante (Mouvement des citoyens), qui passe de justesse la barre des 5 % et obtient 3 sièges.

Bien que les deux partis vainqueurs soient à égalité, le président Ólafur Ragnar Grímsson décide de désigner Sigmundur Davíð Gunnlaugsson qui passe pour son poulain. Bjarni Benediktsson, président du Parti de l’indépendance, sera ministre des Finances, numéro 1bis du gouvernement et de plus en plus souvent véritable numéro 1.

Le programme de la nouvelle coalition est essentiellement économique :

- accent mis sur la situation des ménages en réduisant leur endettement immobi- lier et en allégeant et simplifiant la fiscalité ;

- allègement de la fiscalité des entreprises ;

- nouveau système de taxation des produits de la pêche ; - maintien de la couronne comme monnaie.

Le programme avance également une suspension des négociations avec l’UE14 et une reprise soumise à un référendum positif, ce référendum n’apparaissant de toute une évidence pas comme une priorité. Il ne comporte aucun projet pour la société islandaise, sur la santé, sur l’éducation, sur les équipements col- lectifs. Il n’y a plus de ministre de l’Environnement15 ; les opposants craignent que ces domaines fassent les frais des réductions de dépenses nécessaires pour atteindre l’équilibre budgétaire tout en diminuant des impôts tels que la taxe sur les produits de la pêche prévue par l’ancien gouvernement. L’avenir montrera qu’ils avaient raison !

La répartition des rôles est claire :

- à Sigmundur Davíð Gunnlaugsson (Parti du progrès), le bien-être matériel des ménages par la réduction des dettes immobilières ;

- à Bjarni Benediktsson (Parti de l’indépendance), la réduction de la dette pu- blique, le retour à l’équilibre budgétaire, et la préparation de la levée du contrôle des changes mis en place en octobre 2008 et qui est devenu un fardeau dont il est très difficile de se débarrasser ;

- à Gunnar Bragi Sveinsson (Parti du progrès), l’arrêt des négociations d’adhésion à l’Union européenne.

Les autres ministres doivent faire face comme ils peuvent à la réduction de leurs moyens. L’exercice est d’autant plus difficile que, moins de 6 mois après sa prise

14 En fait, elles le sont déjà depuis janvier 2013 ; restent les deux chapitres les plus critiques, sur la pêche et l’agriculture.

15 Il faut attendre décembre 2014 pour que Sigrún Magnúsdóttir (Parti du progrès) occupe cette fonction, sans véritable changement sur la pratique gouvernementale.

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de fonction, le gouvernement (surtout sa composante Parti du progrès) a perdu sa majorité dans l’opinion, plus vite donc que le gouvernement de gauche. Pas toujours très compétents dans leur domaine, ces ministres donnent l’impression d’improviser, proposant puis retirant leurs projets en se disant «  surpris  » des réactions qu’ils déchaînent.

Entre rétablissement économique et déclin de popularité

Depuis cette élection, les résultats économiques ont confirmé une embellie manifeste :

% période antérieure 2013 2014 2015 1er trim.

2016

Progression PIB (%) 4,4 2 4 4,2

Consommation des ménages 1,0 3,0 4,8 7,1

Formation brute capital fixe 2,2 16 18,6 24,5

Progression des prix à la

consommation 3,8 2,5 2,5 1,6

Progression pouvoir d’achat moyen 1,7 3,7 5,4 13,4

Taux de chômage moyen 5 4 3 2,5

Très vite, le gouvernement et les parlementaires de la majorité tentent de s’appro- prier ces résultats pour faire face au déclin rapide de leur popularité, tout en montrant qu’ils tiennent leurs promesses :

- Bjarni Benediktsson fait voter un budget 2014 à l’équilibre hors service de la dette, avec même une légère diminution de la pression fiscale sur les familles.

Mais celles-ci ne retiennent que les coupes faites dans les budgets sociaux ; - surtout, Sigmundur Davíð Gunnlaugsson annonce en novembre  2013 un ambitieux programme de réduction des dettes immobilières aboutissant à une correction de 13 %16 du capital des emprunts effectués après 2007. Il en coûtera 150 milliards d’Isk (environ 1 milliard d’euros, soit près de 3 000 euros par habi- tant !). Mais contrairement à ses engagements, l’essentiel sera financé par l’impôt, donc en partie par les familles n’ayant pas eu les moyens de faire un investisse- ment immobilier.

Si la promesse préélectorale faite par le président du Parti du progrès a fait bascu- ler un grand nombre de voix du Parti de l’indépendance vers le sien, sa réalisation laisse de marbre les électeurs consultés.

16 13 % = progression de l’indexation des emprunts entre décembre 2007 et août 2010 au delà de 4,8 %, taux d’inflation jugé « normal » hors crise.

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Voyons les sondages17 :

%

Avril 2013 (élections)

Avril 2014

Avril 2015

Avril 2016

Juillet 2016

26 sept.

2016 Parti de l’indépendance 26,7 24,6 21,9 25,4 24 20,6

Parti du progrès 24,4 11,8 10,8 11,5 8,4 12,2

Gouvernement 59,9* 35,8 30,7 26,0 33,9 31,5

Alliance sociale-démocrate 12,9 15,6 10,7 10,1 8,4 9,3

Gauche Verte 10,9 12,5 10,8 11,5 12,9 11,5

Avenir Radieux 8,8 16,8 8,3 3.6 4,9 4,9

Pirates 5,1 11,1 32,0 29,9 26,8 21,6

Redressement1 9,4 12,3

*sondage du 1er juillet 2013 18

Deux séries d’éléments explicatifs peuvent être avancés :

- des problèmes internes aux partis : c’est le cas de l’Alliance sociale-démocrate et d’Avenir Radieux, tous deux confrontés à des problèmes de gouvernance interne et incapables de construire une offre politique crédible. La Gauche Verte n’a pas plus renouvelé son offre que les deux précédents, mais Katrín Jakobsdóttir, sa présidente, est néanmoins la personnalité politique la plus populaire en Islande ; - des choix politiques et économiques jugés inacceptables par une partie de l’élec- torat.

Auxquels il convient d’ajouter la réapparition du parti Redressement fondé deux ans plus tôt comme une scission pro-européenne du Parti de l’indépendance, plus divisé sur ce sujet qu’il n’y paraît, puis mis en sommeil.

C’est aux plus significatifs des choix politiques et économiques du gouvernement et à sa méthode que nous devons nous intéresser. Il s’agit de l’arrêt des négocia- tions d’adhésion à l’UE, des grèves du printemps 2015, et des conséquences des

« Panama Papers », qui l’un après l’autre entraînent une exaspération croissante d’une partie significative de l’électorat.

L’arrêt des négociations avec l’UE

Si l’on excepte une très courte période de « panique » en octobre 2008, les Islan- dais sont majoritairement (autour de 55 %) défavorables à l’adhésion de leur pays à l’UE. Pourtant 4 500 personnes se réunissent le lundi 24 février 2014 devant l’Alþingi, 8  000 le samedi suivant, pour protester contre le dépôt à l’Alþingi

17 Sondages MMR.

18 Pour Viðreisn.

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d’une motion autorisant le ministre des Affaires étrangères à retirer la demande d’adhésion à l’Union européenne  ; une pétition est lancée, réunissant plus de 50  000  signatures. Leur demande est que soit organisé ce référendum promis dans les engagements préélectoraux des deux partis vainqueurs et confirmé dans l’accord de gouvernement sur la reprise ou non des négociations suspendues de- puis environ un an à l’initiative de l’ancien gouvernement. Gunnar Bragi Sveins- son, ministre des Affaires étrangères, est embarrassé : les sondages montrent que la consultation, voulue par 82 % des sondés19, serait positive, obligeant le gou- vernement à reprendre une négociation pour un résultat dont il ne veut pas. L’on comprend que pour les électeurs, l’enjeu est moins la négociation d’adhésion à l’UE que le respect des promesses, et peut-être en savoir un peu plus sur ce que serait l’adhésion à l’UE.

Gunnar Bragi Sveinsson retire sa motion puis, quelques mois plus tard, décide de passer en force. Il n’y aura pas de référendum malgré les promesses, pas même de débat à l’Alþingi, mais une simple lettre adressée le 12 mars 2015 aux dirigeants de l’UE, les informant que les négociations, suspendues depuis deux ans, sont rompues. Cela ne suscite guère d’émoi, mais un véritable appel d’air pour les Pirates islandais, membres d’un mouvement international dont le mot d’ordre est

« We want you to decide »20 !

La crise sociale du printemps 2015

Fin 2013, dans le souci d’une bonne maîtrise de l’inflation et des dépenses de l’État employeur, le gouvernement, au prix de promesses fiscales, obtient des fé- dérations d’employeurs (SA) et d’employés du privé (ASÍ) de limiter à 2,8 % les augmentations de salaire qu’ils sont en train de négocier. De cuisantes expériences ont montré que des augmentations trop fortes sont immédiatement absorbées par l’inflation. Toutefois, au lieu d’être triennal, cet accord ne vaudra que pour un an.

Même ainsi, une large partie des syndicats fédérés dans l’ASÍ rejettent l’accord et négocient directement avec leur interlocuteur employeur.

Simultanément, le ministère de l’Éducation nationale tente d’obtenir un accord comparable des enseignants. Une majorité d’entre eux se mettent en grève, et ce

19 Sondage des 25 et 26 février.

20 Le Parti pirate a été fondé par Birgitta Jónsdóttir, déjà élue en 2009 avec les 5 députés du Mouvement des citoyens, créé pour donner une suite politique à la révolution des casseroles. En 2013, les Pirates dépassent – grâce à de bons scores à Reykjavík – la barre fatidique des 5 % et obtiennent 3  sièges. Outre Birgitta sont élues deux autres personnalités iconoclastes, Jón Þór Ólafsson et Helgi Hrafn Gunnarsson. Tous trois, surtout Helgi Hrafn Gunnarsson (36 ans, informaticien), font un travail remarqué à l’Alþingi et, très vite, le parti s’installe durablement au-dessus de 10 %. À mi-mandat, Jón Þór Ólafsson (40 ans) laisse sa place à Ásta Guðrún Helgadóttir (26 ans) et retourne à son métier de technicien des routes. Grâce à Gunnar Bragi Sveinsson, ils passent du jour au lendemain de 15 à 30 % d’intentions de vote, puis se maintiennent entre 35 et 40 % jusqu’à mars 2016. Succès inespéré qui les embarrasse manifestement !

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n’est que fin mars 2014 qu’un compromis est trouvé qui prévoit de nombreux aménagements pour contourner les 2,8  %. L’agitation gagne Isavia, entreprise publique gestionnaire des aéroports, puis les enseignants du supérieur, puis le personnel hospitalier et les professeurs de musique, privant ainsi les enfants d’une activité jugée très importante.

En octobre 2014, c’est au tour des médecins de revendiquer. La situation est diffi- cile, car beaucoup peuvent émigrer vers la Norvège ou la Suède21 pour des salaires très sensiblement supérieurs. Ils demandent des majorations allant de 30 à 42 %.

Le ministre propose 3 %. On s’accorde en janvier 2015 sur 20 à 30 %.

Début 2015, il faut renégocier l’accord national de 2013 et ses 2,8 %. Compte tenu de ce qui s’est passé un an plus tôt, et s’abritant derrière le non-respect des engagements gouvernementaux, l’ASÍ laisse chaque fédération négocier de son côté. Les revendications vont de 17 à 70 % d’augmentation, ce qui est jugé irréa- liste par les fédérations patronales. Conformément à la loi, les litiges doivent être soumis au médiateur national ; c’est seulement en cas d’échec que la grève peut être décidée, à la majorité des adhérents au syndicat concerné. De nombreuses grèves sont en cours ou annoncées, notamment pour les salariés peu qualifiés, par exemple ceux qui travaillent dans le traitement du poisson. Cent mille pourraient être en grève dans le courant du mois de mai. On évoque alors une grève générale.

En fait, c’est à une véritable crise de confiance que l’on assiste. Là où les trois parties prenantes (employeurs, employés et gouvernement) avaient su conjuguer leurs efforts en 2009 pour parvenir au Pacte de stabilité, tout semble s’être délité.

S’agit-il d’un phénomène classique de sortie de crise  ? Certainement, mais les promesses démagogiques du Premier ministre, plus chef d’un parti en perdition que chef de gouvernement, et l’attitude hautaine du ministre des Finances et pré- sident du Parti de l’indépendance, sont pour beaucoup dans le climat d’alors. Ce qui permet de qualifier ces mouvements sociaux de « politiques ».

Magnús Pétursson, médiateur national, constate : « Notre société est bouillon- nante. Nous voyons ici des revendications, pas seulement sur les salaires, mais sur d’autres sujets de société. C’est sur la répartition des ressources, les profits issus de ces ressources, la façon dont ils sont répartis. Il y a des affrontements, des litiges entre divers groupes ; sur qui est mieux placé qu’un autre. Il y a ainsi une multitude de tensions dans la société, dont je suis convaincu qu’elles ont un effet sur la conduite des négociations. »22 Mais les gouvernants ne l’entendent pas ainsi : à mi-chemin de « sa » législature, Sigmundur Davíð Gunnlaugsson, Pre- mier ministre, s’étonne : « Je suis très satisfait de ces deux années, et il ne peut en aller autrement si l’on considère les résultats obtenus ; les progrès ont été tels que

21 Près de la moitié des médecins islandais exercent à l’étranger.

22 Interview du 20 mai 2015 pour la radio RÚV.

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je n’aurais pas osé imaginer que cela irait aussi vite et aussi bien. » Pourquoi alors ce malaise social ? « On dit que les inégalités ont progressé, mais ce n’est pas exact, notre société est plus égalitaire qu’ailleurs ! » Et de se plaindre d’une rupture entre la réalité et les impressions. Bjarni Benediktsson enfonce le clou : « Les Islandais n’ont jamais été en position plus forte qu’aujourd’hui. »

Rapidement, les revendications sont ramenées à une exigence : « pas de salaires inférieurs à 300 000 Isk (2 100 euros) », et c’est autour de cette somme que des accords vont être laborieusement conclus avec des aménagements sur trois ans, des réductions d’horaires et d’autres compensations, selon les catégories de per- sonnels. Comment pouvait-il en être autrement avec un gouvernement qui ne cesse de se déclarer satisfait des résultats économiques de l’île et s’emploie à faire croire qu’il en est le seul auteur ?

Les « Panama Papers » et leurs conséquences

Le 4  avril  2016, 22  000  Islandais manifestent devant l’Alþingi pour exiger sa dissolution et l’organisation immédiate de nouvelles élections. Jamais ce nombre de manifestants n’avait été atteint. La presse internationale vient en effet de révé- ler que le nom du Premier ministre islandais apparaît sur les « Panama Papers », peu après que son épouse avait admis posséder un fonds dans un paradis fiscal.

Non seulement Sigmundur Davíð Gunnlaugsson a menti en prétendant ne rien connaître de ce fonds, mais surtout la présence de son nom sur une liste en bien mauvaise compagnie nuit à l’image des Islandais. Il n’est pas le seul visé ; on dit que 600 Islandais seraient sur ces listes, dont Bjarni Benediktsson, ministre des Finances et Olöf Nordal, ministre de l’Intérieur, respectivement président et vice- présidente du Parti de l’indépendance. Tous deux ont eu l’habileté d’anticiper l’annonce et de banaliser ainsi leur situation.

Malgré les protestations, un remaniement ministériel a minima est organisé.

Sigmundur Davíð Gunnlaugsson se met en congé du gouvernement pour céder sa place à son plus fidèle soutien : Sigurður Ingi Jóhannsson, ministre de l’Agri- culture et de la Pêche, et vice-président du Parti du progrès. Sigmundur Davíð Gunnlaugsson en reste président. Mais des élections anticipées sont annoncées, sans hâte, car le gouvernement y met comme condition de soumettre à l’Alþingi les divers projets prévus à son programme, soit pas moins de 74. Et l’on com- prend que le gouvernement essaie par tous les moyens de revenir sur son engage- ment, mais doit finalement céder : elles auront lieu le 29 octobre 2016.

La proximité d’élections entraîne d’intéressants mouvements dans l’électorat des partis tel qu’il apparaît dans les sondages (voit tableau ci-dessus), avec notamment la confirmation du reflux des Pirates, de 38,3 % le 18 mars à 29,9 % le 26 avril23. Ce reflux commence dès février 2016 lorsque des craquements apparaissent, dus

23 Sondages MMR.

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à la spécificité de ce mouvement, qui est moins un parti de gouvernement qu’un outil de pression sur les gouvernants pour obtenir plus de clarté dans l’information et un meilleur respect des citoyens. C’est en tout cas ainsi que Birgitta Jónsdóttir, sa fondatrice, l’a voulu. Mais en insistant ainsi sur la capacité des citoyens à déci- der eux-mêmes, les Pirates s’exposent à la critique de ne pas avoir de programme.

Birgitta Jónsdóttir explique que si les Pirates gagnent les prochaines élections, la législature sera brève : elle durera le temps de réformer la Constitution selon le projet de la commission constitutionnelle créée en 2010 et d’organiser enfin le référendum sur la poursuite des négociations d’adhésion à l’UE. Mais quel autre parti acceptera de s’allier à eux dans ces conditions. Et ensuite ?

Helgi Hrafn Gunnarsson, qui passe pour le véritable animateur du mouvement, reconnaît volontiers que celui-ci n’est pas organisé pour faire face à son succès et une éventuelle accession au pouvoir. Il admet que des clarifications sont néces- saires tant sur le programme du parti que sur sa direction, pour en faire un véri- table parti de gouvernement. Les électeurs ne s’y trompent pas24, seulement 3 % d’entre eux faisant confiance à Birgitta pour diriger le gouvernement, et 6  % à Helgi Hrafn Gunnarsson, qui d’ailleurs ne briguera pas un nouveau mandat à l’Alþingi. Le premier bénéficiaire de ce reflux est la Gauche Verte qui, sur la même période, passe de 9,3 % à 14,5 %, puis près de 20 %. Trente-sept pour cent des électeurs sondés font confiance à sa présidente, Katrín Jakobsdóttir, pour diriger le futur gouvernement. Pourtant la Gauche Verte fait aussi les frais de cette volatilité des sondages. Qui plus est, la très forte personnalisation des élections islandaises peut induire des résultats assez éloignés des sondages.

Pendant ce temps, l’embellie économique se confirme : à moins de 3 %, le chô- mage est inexistant, l’inflation est maîtrisée grâce notamment à une excellente tenue de la couronne25, ce qui permet aux consommateurs de bénéficier au maxi- mum des augmentations de salaire obtenues depuis un an. La nouvelle majorité saura-t-elle en profiter pour restaurer la confiance des citoyens en leurs dirigeants ? Si tel est son objectif, elle recevra sans nul doute une aide précieuse du nouveau président, Guðni Thorlacius Jóhannesson, professeur d’histoire à l’université de Reykjavík, élu le 25 juin après vingt ans de mandat de Ólafur Ragnar Grímsson, expert en politique politicienne. Il a certes peu de pouvoirs, mais ses premiers pas montrent son souci de proximité avec tous les Islandais, ce qui pourrait lui conférer une réelle autorité dans la vie politique de son pays. La future majorité sera toutefois confrontée à des obstacles de taille :

- le premier est sa composition, c’est à dire le rassemblement d’au moins trois des six partis, peut-être sept, ayant des représentants à l’Alþingi, autour d’un pro- gramme de gouvernement qui soit un vrai projet fédérateur pour la communauté islandaise et non l’addition de compromis laborieux ;

24 Sondage Gallup d’avril 2016.

25 +17,1 % par rapport à l’euro du 19 août 2014 au 19 août 2016.

(19)

- le second est ce slogan de « démocratie directe » déjà ancien dans la vie politique de l’île et dont les Pirates ont fait le fondement de leur discours avec le succès que nous avons vu. Mais que met-on derrière cette expression ? Les Islandais bénéfi- cient déjà d’une démocratie locale très active dans des structures largement auto- nomes où la consultation est une pratique naturelle. Les débats en cours laissent croire qu’il suffira de donner aux citoyens l’initiative de référendums nationaux ou de propositions de lois pour répondre à la demande de « démocratie directe ».

La déception ne risque-t-elle pas d’arriver vite ?

Lors de la campagne présidentielle, la candidate Halla Tómasdóttir, partie de 3 % d’intentions de vote, a failli souffler la victoire à Guðni Jóhannesson avec ce mot d’ordre « á Íslandi skipta allir máli  »26. Sans être révolutionnaire, le projet de réforme proposé en juillet 2011 par la commission constitutionnelle donnait des pistes de réflexion ; d’autres existent certainement, qui ne sont pas toutes d’ordre institutionnel. Que demandent les Islandais, sinon la construction d’un vrai pro- jet autour de ce thème et tout ce qu’il induit ?

référencescompLémentaires

Benjamin Coriat, Christopher Lantenois, « Crise, faillite et défaut : économie et politique de la restructuration de la dette islandaise », Les économistes atterrés, 20 mars 2011, [http://atterres.org/article/crise-faillite-et-d%C3%A9faut-econo- mie-et-politique-de-la-restructuration-de-la-dette-islandaise] (consulté le 17 oc- tobre 2016). Une étude aussi bien construite qu’« atterrée  » de la crise financière islandaise.

Iceland’s Financial Crisis. The Politics of Blame, Protest, and Reconstruction, V. Ingimundarson, I. Erlingsdóttir et P. Urfalino (dir.), Londres, Routledge, 2016.

Nordiques, nº 20, L’Islande en crise, automne 2009 :

- Emmanuel Jacques, « Les origines et l’évolution de le crise islandaise » ; - Cyril Coulet, « L’Islande de la crise financière à la recomposition politique » ; - Michel Sallé, « Islande : un “petit pays” face à la crise ».

Stefán Ólafsson, « Hrunið skýrt. Sjónarhorn klassískra kenninga um fjármálakrep- pur », Stjórnmál & Stjórnsýsla, vol. XII, nº 1, 2016, [http://www.irpa.is/article/

view/a.2016.12.1.6/pdf ] (consulté le 17 octobre 2016). Une mise en regard de la crise financière et de la théorie économique classique.

26 « En Islande, chacun est important. »

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