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Quand le régent devient professeur: d'un "apprentissage sur le tas" à une formation en hautes écoles

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Quand le régent devient professeur: d'un "apprentissage sur le tas" à une formation en hautes écoles

HOFSTETTER, Rita, LUSSI BORER, Valérie

HOFSTETTER, Rita, LUSSI BORER, Valérie. Quand le régent devient professeur: d'un

"apprentissage sur le tas" à une formation en hautes écoles. In: G. Durand, R. Hofstetter & G.

Pasquier. Les Bâtisseurs de l'école romande. 150 ans du Syndicat des enseignants romands et de l'Educateur . Chêne-Bourg : Georg, 2015.

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:88033

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179 179

c h a p i t r e n o 2

quaND LE régENt

DEViENt ProfESSEur

D’UN « APPRENTISSAGE

SUR LE TAS » À UNE FORMATION EN HAUTES ÉCOLES

Alors que sous l’Ancien Régime les maîtres d’école, formés

« sur le tas », ne maîtrisent que superficiellement les savoirs à enseigner, ils bénéficient au fil des 19

e

et 20

e

siècles d’une formation de plus en plus étendue. Cette mutation majeure reflète un mouvement international, nombre d’Etats démocratiques en particulier étant convaincus que leur prospérité dépend de la qualité des systèmes de formation et donc des aptitudes des enseignants. Ce faisant, on assiste à une institutionnalisation progressive de la formation des enseignants du primaire.

Au 19

e

siècle, cette formation s’insère en premier lieu dans des établissements relevant du primaire supérieur ou secondaire, puis tend à se concrétiser au niveau du tertiaire et de l’université (fin du 20

e

siècle), dans des cursus incluant une palette de plus en plus diversifiée de savoirs.

Faite d’avancées et de replis, cette évolution est loin d’être linéaire, suscitant depuis plus de deux siècles des débats passionnels.

Rita Hofstetter / Valérie Lussi Borer

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180 181

La progression de la scolarisation et la consolidation de l’instruction publique, tout au long du 19e siècle, provoquent un élargissement des offres scolaires, exigeant une augmentation massive du nombre d’enseignants. Aussi, la question de leur statut, mandat, salaire et formation ne peut-elle plus être réglée au cas par cas, de façon aléatoire et au gré des circonstances, comme c’est l’usage encore au début du 19e siècle : elle devient un enjeu collectif, porté sur la scène publique et politique. Les enseignants eux-mêmes s’en préoccupent, aspirant à être reconnus comme interlocuteurs légitimes pour toute question concer- nant le devenir de l’école et de leur profession : dès leur création, les associations professionnelles des enseignants du primaire militent pour améliorer leur statut, leur reconnaissance ainsi que les conditions salariales qui passent, selon elles, par une formation de qualité.

Des maîtres d’école hissés au statut de fonctionnaire

La construction de l’Etat ensei- gnant en appelle à un réseau dense de professionnels de l’enseignement, à même de garantir le rende- ment du système éducatif. Aussi, au cours du 19e siècle, nombre de contrées dans le monde hissent l’enseignant au statut de « fonctionnaire »,

soit un « agent de l’Etat » dédié au service public.

coNStructioN

D’uN réSEau DENSE DE ProfESSioNNELS

DE L’ENSEigNEmENt

(19

e

SiècLE)

a la recherche

d’un modèle de formation

le règne durable de l’Ecole normale

La Suisse s’inscrit dans cette dynamique.

L’enseignant devient de ce fait un salarié, bénéfi ciant d’un cadre légal. Ce cadre réglemente son activité en clarifi ant ses droits et devoirs.

Il lui garantit ainsi un traitement régulier (distinct certes suivant le sexe, les cantons, le nombre d’élèves, etc.), le libérant très progressive- ment des multiples autres tâches qu’il exerçait couramment pour survivre (chantre, fossoyeur, secrétaire de mairie, cantonnier, écrivain public). Cette juridiction est supposée soustraire les maîtres d’école – souvent aux prises avec les populations et notables locaux dont dépendent leur réélection et rémunération – aux convulsions du social, aux partis pris et idéologies politiques et confessionnelles. Autrement dit, la fonctionna- risation du métier constitue un trait fondamental du processus de professionnalisation en cours à cette époque, visant à garantir des professionnels exerçant leurs fonctions de façon autonome, évalués à l’aune principale de leurs aptitudes.

Et celles-ci doivent désormais être construites sur la base d’une formation de qualité, qui distingue le professionnel de l’amateur et assure l’effi cience de l’immense édifi ce scolaire construit pour assurer le devenir de la démocratie.

img. 1

Une classe d’application avec un maître titulaire qui enseigne la pédagogie pratique et est assisté d’un jeune breveté (Vaud, début du 20e siècle).

Souvent vu comme seul « maître à bord de sa classe », l’enseignant œuvre de fait couramment sous le regard d’un inspecteur ou formateur en charge de son contrôle et sa nomination

img. 1

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182 (Bulletin du Grand Conseil valaisan, 1873, p. 158, 1888, p. 33)

1

183

Si la motion de diminuer le traitement

de nos pauvres régents devait être accueillie favorablement par la haute assemblée,

je proposerai au Département d’établir des ceintures à détentes pour

nos régents qui souffriront de la faim.

[…] D’année en année, on augmente les sacrifices pour l’amélioration du bétail,

qu’on en fasse autant pour la race humaine (rires), pour l’éducation et l’instruction,

que les progrès moraux marchent

de pair avec les progrès matériels.

img. 2

img. 2

De tout temps, les enseignants participent aux mobilisations en faveur des services publics, veillant ainsi à préserver des conditions de travail, une école publique et une formation des enseignants de qualité (Genève, 2004) img. 3, 4

Si chaque canton décerne son propre diplôme, le modèle reste le même.

Signes de reconnaissance du parcours de formation accompli pour devenir régent, un brevet de capacité décerné à Lausanne en 1889 et le rapport de la direction des écoles normales qui l’accompagne

img. 3

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Des écoles normales aux hautes écoles

pédagogiques,

une histoire politique

Nées de la nécessité des Etats occidentaux devenus démocratiques de normer les maîtres pour qu’ils norment les enfants, les écoles normales sont intimement liées au projet poli- tique des sociétés qui les organisent. Bien que chaque région ait évolué dans un contexte et à un rythme propres, un exemple d’histoire événementielle, celle des écoles normales du Valais évoquée ici, permet d’en voir les grandes étapes, leur naissance, leur apogée, leur disparition. En Valais, un décret de 1828 déjà prévoit une Ecole normale. Mais ce n’est qu’en 1841 qu’un arrêté en établit vraiment une, pour les jeunes gens. Il faut cependant attendre 1846 pour que le gouvernement trouve des professeurs pour le cours estival de deux mois : les Frères de Marie, chassés d’Alsace parce qu’affiliés aux jésuites. En 1873, pour contrer la centralisation envisagée par Berne, le Valais rend le cours de l’Ecole normale annuel sur deux ans. En 1901, l’Ecole normale des institu- trices (ouverte en 1850) est confiée aux Ursu- lines de Fribourg puis à celles de Sion en 1919.

En 1940, une 4e année d’Ecole nor- male est rendue obligatoire : le développement industriel exige une meilleure instruction publique. Les années 1960 marquent leur âge d’or. Une loi modernisant l’école publique est adoptée en 1962 ; la durée de l’Ecole portée à cinq ans en 1961 y est entérinée, une maturité pédagogique est décernée aux ins- titutrices et instituteurs. A partir des années 1970, place aux turbulences politiques cantonales. Puis le rapport LEMO (Lehrerbildung von morgen) publié par la CDIP en 1975 tempère et propose deux voies pour les écoles normales : intégrée – formation générale et pédagogique, adoptée par le Valais, Fribourg et le Jura bernois – ou fractionnée – la formation pédagogique suit une formation générale achevée : Neuchâtel (1974), Vaud (1980), le Jura (1982).

En Valais, les mutations s’accélèrent.

En 1987, le DIP crée une Ecole normale mixte dirigée par un laïque. Le glas sonne en 1993 avec les « Thèses relatives à la promotion des Hautes écoles pédagogiques » (HEP) publiées par la CDIP. En 1994, la loi sur la Haute école pédagogique (HEP) adoptée par le Grand Conseil valaisan est la première à l’être en Suisse sur cet objet. L’Ecole normale du Valais disparaît en juin 2000. Ouverte aux étudiants en août 2001, la HEP VS sera en 2004 la première à bénéficier de la Reconnaissance CDIP pour sa filière de formation à l’enseignement aux degrés élémentaires et moyens.

Danièle Périsset

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184 185

img. 5

Vérifier le travail des élèves pour juger celui du maître, une des activités les plus courantes lors d’une inspection scolaire

Tout en restant à l’affût des évolutions structurelles des cantons voisins pour améliorer son propre système, chaque canton ou institution légifère de son côté, offrant l’image d’une mosaïque hétéroclite d’offres scolaires. A titre d’exemple, ce ne sont pas moins de quatre institutions (cantonales mais d’obédience religieuse) qui sont établies en Valais entre 1846 et 1853, deux pour chaque région linguistique, différenciant filles et garçons.

L’institutionnalisation de la formation des maîtres de sexe masculin précède généralement celle des institutrices. Lorsque ces formations leur sont réservées, elles sont encore longtemps placées sous l’égide des Eglises et se distinguent par le caractère restreint de la culture dispensée, en raison de l’idée encore fort répandue que la véritable

« nature » de la femme (qui doit se réaliser dans la sphère privée et non publique) l’appelle aux fonctions d’éducation et non d’instruction.

Les maîtresses sont d’ailleurs souvent confinées aux degrés élémentaires.

img. 6

Une formation avant

tout sous dépendance religieuse : une volée de l’Ecole normale des filles de Sion en 1925 img. 7

Bien que le couvent cistercien d’Hauterive devient Ecole normale dès 1859, l’influence religieuse pèsera encore longtemps sur l’organisation de la vie quotidienne, comme en témoignent les repas pris au réfectoire en 1936

img. 7 img. 5

Premières institutionnalisations de la formation

En Suisse romande, le processus s’enclenche concrètement dès les années 1830 au rythme d’une dynamique qui s’accélérera durant le second 19e siècle. Les cantons multiplient les instructions officielles qui réglementent les conditions d’entrée (titres, examens et brevets de capacité, certificats de moralité) pour accéder à l’enseignement : brevets et examens de capacité sont par exemple instaurés dans les cantons de Vaud en 1834, Fribourg en 1849, Neuchâtel en 1850, Genève en 1872. Parallèlement, les pouvoirs publics, relayant les initiatives particulières, philanthro- piques et religieuses, mettent en place des cursus de formation pour les enseignants du primaire.

Leur durée s’étend progressivement, passant de quelques jours à trois ou quatre semaines, puis trois ou quatre mois et finalement trois ou quatre années, au fil de cursus dont la nature est fort variée : enseignement mutuel ou formation par compagnonnage, stages couplés de cours normaux, cours dits de répétition ou de vacances, séminaires et internats pour susciter des voca- tions aussi bien pédagogiques que sacerdotales, filières pédagogiques de niveau secondaire ou académique, et, surtout, des écoles dites normales.

Sur l’initiative des administrations scolaires, des cours et chaires de pédagogie ou science de l’éducation seront également institués dès le second 19e siècle au sein des universités, pour assurer, dit-on, la « vitalité intellectuelle » des enseignants et le « rendement du système éduca- tif ». En témoigne, parmi moult autres exemples, le discours du premier titulaire de la chaire de pédagogie à Lausanne, François Guex, dans sa leçon inaugurale en 1891. Comme dans d’autres contrées, deux modèles de formation s’imposent au fil du 19e siècle en Suisse romande pour les enseignants du primaire : des filières péda- gogiques sont ouvertes dans les établissements secondaires parfois supérieurs du canton ; ou des institutions spécifiques sont créées, tout entières dédiées à la formation des enseignants, lesquelles prennent pour la plupart la dénomina- tion d’écoles normales.

Deux cantons (libéraux, citadins, protestants et universitaires) optent pour le premier modèle et ouvrent des sections pédagogiques : Neuchâtel au sein même de l’Académie en 1866 déjà, Genève au Collège et Gymnase en 1872, puis à l’Ecole secondaire et supérieure de jeunes filles en 1886. Les autres cantons privilégient le modèle de l’Ecole normale, modèle qui domine largement en Suisse alémanique ainsi qu’en Europe : les premières écoles normales en Romandie s’ouvrent dans les cantons de Berne et de Vaud en 1833, à Porrentruy (pour le Jura bernois) en 1837, en Valais en 1846, à Fribourg en 1848, où s’établit ensuite l’Ecole normale d’Hauterive, ancien couvent cistercien, qui remplace dès 1859 l’Ecole can- tonale. Neuchâtel ouvrira à son tour une Ecole normale, d’abord dans une institution privée et évangélique, en 1866, puis cantonale en 1905.

La dénomination « Ecole normale » est particulièrement appropriée pour ces institutions qui ont désormais pour but de « normaliser » le maître d’école, en s’assurant de sa docilité sociale, afin que l’enseignant puisse ensuite normaliser l’enfance et, partant, la société tout entière. Ces écoles normales quadrillent le pays dans le der- nier tiers du 19e siècle : certains cantons romands ont trois ou quatre écoles, distinguant celles pour filles de celles pour garçons, celles de l’Etat de celles de l’Eglise, le cas échéant, celles des catholiques de celles des protestants. Voire – pour les cantons bilingues – celles des francophones de celles des alémaniques.

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186 187

(Guex, 1891, p. 299)

Non seulement les maîtres primaires doivent être

préparés aux importantes

fonctions de leur ministère, mais […] les autres degrés

de l’enseignement doivent

aussi acquérir, après la culture générale et scientifique,

la culture professionnelle

proprement dite, c’est-à-dire l’art et la science de leur

vocation, qui n’excluent

d’ailleurs nullement l’expéri- mentation personnelle,

mais qui, à coup sûr,

en abrègent et en limitent les tâtonnements.

img. 8

Rendre les élèves plus actifs pour favoriser leurs apprentissages nécessite une formation professionnelle spécifique qui ne s’acquiert pas « sur le tas » mais dans un institut de formation spécialisé

Entre le modèle des études

universitaires et celui des écoles normales : tergiversations de la SIR

Tout en s’imposant, le modèle de l’Ecole normale fait l’objet d’intenses contro- verses, en Suisse romande également. En témoigne particulièrement bien le congrès de la SIR qui se tient à Saint-Imier en 1874 et réunit les ensei- gnants romands désireux de se concerter pour définir les meilleurs moyens de former l’instituteur.

De quel niveau doit relever la formation générale à l’enseignement primaire : du secondaire (et sans ou avec maturité ?) ou du tertiaire ? La culture générale et la formation professionnelle des ensei- gnants doivent-elles être institutionnellement unies ou séparées ? Quel est le lieu dans lequel la formation professionnelle et pratique doit être institutionnalisée (école secondaire, Ecole normale ou université) ? La tâche est loin d’être

aisée, des positions tranchées et contradictoires étant défendues. L’enjeu est de taille, puisqu’il en va de l’identité professionnelle même de l’insti- tuteur, de sa reconnaissance sociale comme de son salaire définis pour partie par la nature de ses études. Nombre de congressistes estiment que l’Ecole normale est supposée offrir une meilleure formation, du fait qu’elle privilégie la méthodo- logie de l’enseignement (cours dits « normaux ») sur la culture générale, elle-même pensée en fonction des besoins de l’enseignement, pour assurer l’adéquation de la culture enseignante avec celle du menu peuple, dont l’instituteur assume l’éducation. Les contradicteurs plaident pour les études universitaires qui garantiraient une large culture générale aux enseignants, en les plaçant en contact journalier avec d’autres étu- diants, condition de leur reconnaissance sociale et de l’« élévation, la droiture et la virilité de leur caractère ». Cette culture générale seule permet à l’instituteur d’accomplir sa véritable vocation, à savoir se faire le « missionnaire de la science », ce qu’exige toute démocratie, estime notamment le Genevois Jean Pelletier.

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188 189

L’instituteur, aujourd’hui, n’est

plus le magister d’autrefois, dont le rôle se bornait à faire épeler

dans quelque livre, ou copier sur l’ardoise les rudiments du langage.

il doit être le missionnaire

de la science, l’apôtre de la vérité,

et, comme tel, avoir fait des études aussi complètes que possible.

(SIR, 1874, p. 6)

A cette époque, Genève est la seule à défendre de telles positions en Romandie, mais elle se trouve alors en étroite connivence avec Zurich où, dès 1869, s’élaborent des projets pour une universitarisation de la formation des ensei- gnants afi n d’en améliorer le statut social et salarial et de garantir une meilleure professionnalité de l’enseignant. A noter que le peuple zurichois refusera la loi en 1872, pour des motifs fi nanciers et considérant ce niveau académique trop élevé pour un éducateur du peuple. Les enseignants réunis à Saint-Imier en 1874 se demandent en particulier comment former concrètement aux gestes du métier. Quel que soit le modèle privilégié, domine l’idée que c’est avant tout grâce à l’expérience pratique sur le terrain que l’instituteur construit ses aptitudes. Mais tous reconnaissent que cette formation pratique doit être davantage formalisée, pour éviter que les élèves ne subissent les répercussions des incompétences des stagiaires ou candidats à l’enseignement. Jointes à l’Ecole normale ou au séminaire académique, les écoles dites modèles ou d’application se multiplient alors.

Il s’agit d’une école primaire où les candidats à l’enseignement suivent des leçons modèles puis s’exercent, quelques heures durant, à la tenue de la classe (une poignée d’élèves rodés à l’exercice) sous la surveillance d’un enseignant chevronné. Certes, l’abîme est immense entre cette petite expérience pratique et l’épreuve de vérité, à l’heure d’assumer seul la direction d’une classe d’une soixantaine d’élèves (moyenne de l’époque), de provenances, d’âges et d’aptitudes souvent fort divers.

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Quels sont les moyens de former l'insti- tuteur ? Les écoles normales sont-elles absolument nécessaires ? (SIR, 1874).

La question des lieux et des savoirs pertinents pour former les enseignants sont d'une vive actualité de tout temps img. 10

Apprendre à chanter d’une même voix, à enseigner dans un même esprit : des enjeux pour l’Ecole normale catholique comme l’illustre une leçon de chant à Hauterive donnée par l’abbé Bovet (années 1930) img. 11

Déjà au 19e siècle, on s’interroge sur le rôle de l’enseignant pour y ajuster sa formation. Enseigner est en réalité une tâche complexe, même lorsqu’il s’agit de transmettre les premiers rudiments

img. 9 img. 10

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190 L’école modèle ne sert pas se u le m e n t d ’é cole pratique aux élèves régents ; c’est aussi une pépinièr e pour l’Ecole nor male pr opr ement dite. E ll e alimente ce der nier établissement des meilleurs sujets qui s’y tr ouvent. Nos écoles primair es sont encor e dans un état d’infériorité tel que, s ans l’école modèle, les candidats à l’Ecole nor male ne suffiraient pas à l’alimenter . Dans les examens d’admission qui ont eu lieu durant l’année qui finit, les candidats qui ne sortaient p as d e l ’E co le m o d è le ont échoué sans exception, pour insuffisance de connaissances préparatoir es. 191

img. 12

De plus en plus nombreuses dans la profession, les institutrices vont mener un long combat pour obtenir les mêmes droits et salaires que leurs homologues masculins

Autre question amplement débattue à l’époque : quelle doit être l’étendue de la culture générale de l’instituteur ? Mandatés pour rendre les savoirs élémentaires accessibles à tous, les maîtres d’école se doivent à l’évidence de bénéficier d’une culture générale. Mais il s’agit bien, rétorque-t-on aussitôt fermement, d’un primaire, au bénéfice d’une culture primaire ! Domine la crainte que trop de savoir ne nuise à la capacité de s’adresser au peuple : l’instituteur trop instruit risque de devenir pédant, voire de n’être plus capable d’assumer et de se contenter de son humble vocation auprès du menu peuple. Les débats dévoilent aussi le dilemme auquel les pouvoirs scolaires se confrontent : l’administration scolaire est certes soucieuse de promouvoir l’instruction qui conditionne le devenir de la démocratie et la prospérité de la nation, ce qui exige des maîtres une ample culture et des aptitudes pédagogiques ; mais l’administration est tout autant préoccupée de s’assurer des agents dociles, dont les aspirations comme celles du peuple doivent être endiguées, pour éviter toute

(Péquinot, 1850)

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La fondation

du Schweizerischer Lehrerinnenverein (Société suisse

des enseignantes)

On trouve des traces de regroupements d’enseignantes déjà dès la première moitié du 19e siècle. Il s’agit d’abord d’associations permettant à leurs membres d’entretenir les rapports amicaux établis dans les écoles normales tout en échangeant leurs expériences professionnelles. Après 1850, ces associations commencent à discuter de leur situation socioéconomique, et notamment des questions salariales préoccupantes. En effet, l’adminis- tration justifie la différence salariale entre enseignants et enseignantes de mêmes degrés par la « différence naturelle » entre hommes et femmes : tandis que les institutrices n’auraient qu’elles-mêmes à entretenir, leurs homologues masculins, eux, devraient nourrir des familles.

Dans les faits, bien que les lois cantonales n’imposent pas le célibat, les enseignantes sont très souvent célibataires. En 1871, dans le canton de Berne par exemple, 25 % des femmes contre 67 % des hommes enseignant sont mariés. Toutefois, la réalité économique des 75 % d’institutrices célibataires se présente sous un jour différent de celui énoncé par les politiciens.

En règle générale, elles soutiennent financière- ment leurs parents, frères et sœurs et souvent même nièces et neveux. En 1875, les ensei- gnantes commencent à se battre contre cette discrimination financière. Un premier regroupement visant à défendre et promouvoir leurs intérêts est créé dans la ville de Berne.

Le modèle provient certainement de l’Allgemeine deutsche Lehrerinnenverein (Association générale allemande des enseignantes) fondé en 1869 et visant à soutenir les intérêts moraux et matériels de leurs membres.

Les enseignantes de la ville de Berne appellent leurs collègues des régions rurales à suivre leur exemple et à se regrouper.

Ce sont ces enseignantes bernoises qui fondent en 1893 le Schweizerischer Lehrerinnenverein (Société suisse des enseignantes) pour soutenir les institutrices dans le besoin et pour défendre les intérêts professionnels spécifiques

des enseignantes. Une année après sa création, l’association comprend déjà 640 membres ordinaires et 120 extraordinaires.

Claudia Crotti

subversion et révolte. Et c’est pour cette raison que le modèle Ecole normale – et sa fonction toute

« normalisante » – sera encore préféré, plus de cent ans durant, en Suisse romande comme dans la plupart des Etats voisins. Au demeurant, ces écoles normales connaîtront de notables évolutions : les établissements se sécularisent, les administra- tions se professionnalisent, les formateurs se spécialisent, les cursus s’allongent, les programmes s’élargissent, les certifications se formalisent, les méthodes se perfectionnent. Mais le modèle normalisant perdure.

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192 193

É v o l u t i o n

des programmes des formations

à l’ e n s e i g n e m e n t

Au primaire : entre écoles normales

et études pédagogiques, des savoirs à enseigner aux savoirs pour enseigner

Au sein des écoles normales, la formation concernant les savoirs disciplinaires à enseigner au primaire est prépondérante.

D’une présence restreinte, la part des savoirs pour enseigner croît au fur et à mesure que l’on avance dans le siècle. Cette croissance est en lien avec le contexte de la fin du 19e siècle qui propulse de nouvelles tendances pédagogiques, dont notamment le courant intuitif herbartien, et qui promeut la psychologie comme nouvelle base scientifique pour les questions éducatives.

Par rapport à ces progrès, les formations livresques offertes par les écoles normales sont jugées

inadéquates et font l’objet de réformes dans les cantons de Fribourg et Vaud dès les années 1870.

Articulées à ces nouveaux savoirs pédagogiques théoriques viennent aussi des applications pratiques éprouvées dans des classes d’application ou classes modèles qui amènent l’inclusion d’ensei- gnements pratiques de pédagogie au sein des cursus de formation. En 1941, une enquête menée par la Confédération sur les programmes des écoles normales suisses dénonce le peu de place accordée à la pédagogie théorique et à la psychologie : selon ses estimations, le nombre moyen d’heures se monte entre 8 et 10 %

de l’horaire complet. On voit donc que les savoirs pour enseigner ne représentent qu’une part assez restreinte dans la formation en Ecole normale, les savoirs des disciplines scolaires jouant un rôle plus important. A l’inverse, les savoirs pour ensei- gner prennent davantage de place lorsque les institutions de formation sont consacrées à la seule préparation professionnelle, comme on l’observe à Genève et Neuchâtel. Cette tendance se confirme encore plus avec la mise en place des HEP et la formation universitaire à Genève. Dans ces insti- tutions, dès les années 2000, ce sont les savoirs des didactiques disciplinaires qui prédominent, suivis par ceux liés à la formation pratique sur le terrain et ceux des sciences de l’éducation (psychologie, pédagogie, sociologie, philosophie, pédagogie spécialisée, etc.).

Au secondaire : les formations

professionnelles en tension entre exigences de l’employeur et de l’université

En ce qui concerne la formation disciplinaire, les licences universitaires deviennent peu à peu exigées par les départements de l’ins- truction publique (DIP) pour accéder à la profession d’enseignant secondaire ; au sein des universités, la durée des études disciplinaires augmente pour atteindre en moyenne six semestres au milieu du 20e siècle puis huit à dix à la fin du 20e siècle. La formation professionnelle, peu institutionnalisée jusqu’à la fin du 19e siècle, se construit progressivement : sur la demande des DIP, ce sont tout d’abord des savoirs pédago- giques théoriques qui sont adjoints aux formations disciplinaires à la fin du 19e siècle.

Des enseignements méthodologiques/didactiques spécifiques aux différentes disciplines se mettent ensuite sur pied au sein des universités.

Puis, des exercices pratiques sont organisés dans le cadre des certificats d’aptitude à l’enseignement secondaire qui sont peu à peu créés par toutes les facultés des universités romandes.

A partir de la fin des années 1940, tous les candidats postulant dans l’enseignement secondaire sont donc au bénéfice d’une formation disciplinaire de niveau licence ainsi que d’une formation professionnelle. Cette dernière est attestée par un certificat d’aptitude pédagogique comprenant des composantes pédagogiques, psychologiques et didactiques auxquelles s’ajoute une expérience pratique sous la forme d’un stage. Tandis que l’on polémique autour de l’utilité d’une formation professionnelle et des personnes légitimées à la dispenser et la certifier, la formation disciplinaire, elle, relève sans

conteste des seules facultés universitaires.

Dès la fin des années 1950, on assiste dans la plupart des cantons romands (GE, NE, VD) à la mise en place d’instituts/séminaires de niveau supérieur spécifi- quement dédiés à la formation professionnelle des enseignants du secondaire qui vont remplacer les certificats universitaires d’aptitude à l’enseigne- ment secondaire et qui sont placés

sous la responsabilité des administrations scolaires.

A ces instituts gérés par les autorités scolaires succèdent dès la fin des années 1990 des instituts de niveau tertiaire réunissant pour certains toutes les formations professionnelles aux différents niveaux d’enseignement. Toutefois, un double modèle institutionnel subsiste : à côté du modèle des hautes écoles pédagogiques, certains cantons choisissent de confier la formation de leurs enseignants du secondaire à l’université (Fribourg, Genève et Zurich).

Au sein des formations à l’enseignement secondaire prodiguées dans ces instituts tertiaires, les savoirs liés aux didactiques disciplinaires prédo- minent, suivis de ceux liés à la pratique puis de ceux des sciences de l’éducation.

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194 195

L’instituteur, en mesure

de « boire à gorge déployée le clair, pur et fortifiant contenu

de la coupe de la science »

3

?

Bien que solidement ancrée dans les mentalités, l’Ecole normale fera l’objet d’amples controverses se renforçant au tournant du nouveau siècle. Dans le sillage d’un mouvement international s’impose l’idée que les nouvelles disciplines scientifiques ayant pour objet l’homme et le social pourraient contribuer à l’amélioration des pratiques éducatives et des systèmes éduca- tifs. Parallèlement, des mouvements réformistes plaidant pour des pédagogies alternatives et plus, égalitaires exigent avec véhémence la réforme de la formation des enseignants.

Une nouvelle science de l’enfant pour améliorer les pratiques éducatives

Dès l’aube du 20e proclamé

« siècle de l’enfant » se multiplient un peu partout dans le monde les inititiatives visant à promouvoir une approche résolument expérimentale de l’éducation et de l’enfance.

La science est convoquée pour assurer une meilleure connaissance des lois du développement de l’enfant – afin d’y ajuster les pratiques péda- gogiques – et une meilleure gestion des systèmes éducatifs pour en garantir l’efficience.

A cette époque, on assiste en Suisse aussi à la création de nouvelles chaires et laboratoires de pédagogie (ou psychologie) expérimentale, dans les universités alémaniques de Bâle, Berne et Zurich, comme dans les universités romandes de Fribourg, Lausanne et Genève.

Ce processus s’effectue souvent en concertation avec l’administration scolaire et la profession enseignante et s’accompagne d’efforts soutenus pour réformer la formation des enseignants en y inscrivant une composante professionnelle spécifique. A Fribourg, après les timides expériences empiriques du premier professeur de pédagogie, Raphaël Horner (1889-1904), le conseiller d’Etat Georges Python décide la création d’un poste professoral en psychologie

expérimentale et pédagogique et d’un Institut de pédagogie (1907-1910) – envisageant sans succès d’y former les enseignants du primaire – pour renouveler la pédagogie catholique par les nouvelles sciences. A Lausanne, c’est sur l’initiative du sociologue Maurice Millioud et du pédagogue François Guex, relayés par d’entreprenants instituteurs, que se multiplient dès 1903 les projets d’un Institut de pédagogie, ce qui se concrétise par l’ouverture d’une Section des sciences pédagogiques en 1917.

Pour uNE mEiLLEurE

cuLturE géNéraLE DES i N S t i t u t E u r S

(20

e

SiècLE)

img. 13 img. 13

Brevets de fin d’Ecole normale, de ca- pacité, de nomination, de hautes écoles pédagogiques… à échéance régulière, les capacités dont les enseignants font preuve dans leur formation et dans leurs classes sont évaluées et conditionnent leur carrière

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196 197

Après avoir refusé durant tout le 19e siècle

d’ouvrir une école pour former ses maîtres, Genève, quant à elle, multiplie les offres de formation pédagogique en ce début du 20e siècle : l’Institut Rousseau/Ecole des sciences de l’éducation accueille dès sa fondation en 1912 des enseignants et stagiaires du monde entier, désireux de s’initier aux nouvelles théories de l’enfance.

Nombre d’instituteurs de Suisse romande viennent s’y former et s’efforcent d’implanter ce type de formation dans leur propre canton. C’est le cas d’Eugène Coquoz, jeune instituteur fribourgeois, qui a suivi à deux reprises les cours de l’institut.

Coquoz souhaite voir s’ériger sur ce modèle un Institut pédagogique rattaché à l’Université de Fribourg : celui-ci initierait les instituteurs aux méthodes scientifi ques de la pédagogie et de la psychologie expérimentale durant une cinquième année d’études, tout en permettant aux catho- liques de prendre part à « cette élaboration d’idées nouvelles dans les sciences de l’éducation » pour défendre « l’arche sainte du spiritualisme chrétien ». Cette cinquième année d’études univer- sitaires, plaide-t-il, ferait prendre à la profession d’instituteur « la place à laquelle elle a droit dans le corps social » et permettrait d’avoir des éducateurs

« à la hauteur de leur tâche ».

Coquoz constate : « plusieurs cantons déjà se sont occupés d’une meilleure formation des maîtres, il faut espérer que notre canton, qui possède une université catholique, ne sera pas le dernier à se préoccuper de cette question » ; d’autant plus que

« si le projet de la création d’un Institut pédagogique à notre Université se réalisait, Fribourg, la ville du Père Girard, deviendrait un centre de l’ensei- gnement et des travaux pédagogiques, un centre de recherches, d’information et de propagande comme Genève l’est aujourd’hui »4.

Pour une formation unique des enseignants au sein de l’université

Durant ces « années folles de la pédagogie », des manifestes en appellent même à la fermeture des écoles normales au profi t d’une formation universitaire pour tous les ensei- gnants. Parmi ces mouvements réformistes, les tenants de l’Ecole unique considèrent que le rapprochement des enseignants du primaire et du secondaire constitue la condition pour enrayer les divisions scolaires qui refl ètent et recon- duisent les divisions sociales.

Les partisans de l’Education nouvelle estiment qu’une ample culture générale et scientifi que – psychologique en particulier – constitue la condition pour que les pratiques pédagogiques s’ajustent enfi n sur les lois du développement naturel de l’enfance. Le Vaudois Marcel Chantrens se fait le véhément défenseur de cette thèse : Nous désirons que l’Ecole normale proprement dite soit une section non plus de l’enseignement secondaire, mais bien de l’enseignement supérieur, c’est-à-dire une Faculté, dont la condition

d’immatriculation soit exactement la même que celle d’une Faculté de lettres ou de hautes études commerciales : le baccalauréat. Nous désirons que cette Ecole normale – Faculté de pédagogie – soit exclusivement professionnelle (apprentissage professionnel, théorique et pratique), et nous souhaitons qu’elle soit commune aux candidats à l’enseignement à tous les degrés, dans la mesure tout au moins où le futur corps enseignant secondaire a le temps et le désir de s’initier à la science éducative (SPR, 1924, pp. 159-160).

Durant l’entre-deux-guerres toujours, des alliances s’opèrent entre administrations scolaires, associations pédagogiques et savants de l’enfance pour réformer la formation des enseignants en vue de réformer l’ensemble du système scolaire. La nouvelle mission sociale de l’instituteur, dont l’importance est telle qu’on ne saurait douter qu’elle constitue une « carrière libérale », exige de lui une formation fondée sur les sciences sociales. De tels plaidoyers se font entendre dans toute la Suisse romande, relayés par les représentants du syndicat lui-même :

Les carrières libérales deviennent de plus en plus complexes, elles exigent un apprentissage de plus en plus long et ceux qui les exercent doivent se spécialiser. […] Quand nous étions jeunes et que nous allions chez le médecin, il nous recevait dans une salle qui n’était guère différente de la chambre de famille. Aujourd’hui, nous entrons dans une petite usine médicale. Le plus modeste traitement exige la mise en marche d’une machine. Le médecin est devenu mécanicien, physicien, électricien comme l’architecte s’est doublé d’un ingénieur, comme l’instituteur doit devenir un psychologue, un moraliste, un sociologue (Dottrens, 1933, pp. 32-33).

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L’allongement de la durée de formation et le renforcement de la formation professionnelle amènent la révision du Règlement pour les écoles normales du canton de Vaud en 1937

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Dès l’annonce de son ouverture en 1912, la double mission d’enseignement et de recherche est au cœur de l’Institut Rousseau de Genève, où se formeront des milliers d’étudiants et enseignants pro- venant de toutes les contrées du globe

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Dans la classe d’application de l’Institut Rousseau – la « Maison des petits » –, les éducatrices de la petite enfance se forment à une nouvelle pédagogie, valorisant créativité, spontanéité, activité, expérimentation img. 15

img. 14

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198 199

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Tout au long du 20e siècle, le programme de formation de l’Ecole des sciences de l’éducation (Institut Rousseau) offre une riche palette de cours, dispensés par des professeurs d’université comme des enseignants chevronnés. Dans les écoles normales aussi, les programmes s’enrichissent au fil des décennies

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Permettre aux élèves d'être davantage acteurs de leur apprentissage, c’est toute l’ambition des méthodes actives largement prônées durant les années 1920-1930

L’enjeu consiste à promouvoir une approche résolument expérimentale de l’éducation, qui présuppose des « laboratoires » vivants du renouveau éducatif où peuvent s’éprouver et s’exposer théories et pratiques éducatives.

Pour ce faire, une formation professionnelle plus soutenue est exigée, laquelle se déploie à la fois sur le terrain pratique et dans les institutions académiques, les deux se devant d’ailleurs d’être étroitement articulés. Les initiatives prises dans nombre de cantons se solderont par des bilans mitigés, tant l’Ecole normale – supposée à même de former ce maître modèle – est profondément ancrée dans les mentalités et les traditions.

Une exception toutefois. En phase avec les initia- tives prises aux Etats-Unis, en Allemagne et en Belgique notamment, l’Institut Rousseau/Ecole des sciences de l’éducation de Genève s’attache alors, sous l’égide d’Edouard Claparède et Pierre Bovet, puis de Robert Dottrens et Jean Piaget, à concrétiser et promouvoir une nouvelle concep- tion de l’enfance, exigeant un nouveau concept pour former les maîtres.

L’institut connaît bientôt un rayonnement international, se profilant comme plateforme du renouveau éducatif et de la pédagogie et psychologie expérimentales. Dès 1928, les Etudes pédagogiques pour les enseignants du primaire de Genève forment, pendant trois ans, les candidats à l’enseignement, en alternant formation pra- tique, professionnelle et académique – cette der- nière étant confiée à l’Institut Rousseau, lequel est rattaché à l’université en 1929. Stabilisée dès 1933, cette formation semi-universitaire traversera presque tout le siècle. C’est le cas aussi des écoles normales, qui certes connaissent quelques ajustements, nombre d’entre elles en particulier étant hissées d’abord à un niveau maturité puis postmaturité, la formation s’allongeant pour se spécialiser, afin de renforcer la formation profes- sionnelle (tant théorique que pratique).

(Dottr ens, 1933, pp. 32-33)

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il ne saurait êtr e question d’envisager une for mation pur ement utilitair e des futurs maîtr es. La fonction sociale de l’instituteur exige qu’il ait une cultur e dépassant de beaucoup sa pratique pédagogique jour nalièr e, si l’on veut qu’il puisse fair e face à ses obligations. La tâche de l’éducateur dans l’école et dans la société d’aujour d’hui est de développer selon les principes de la psychologie et de la pédagogie scientifique, selon les données de la science sociale, aussi, les aptitudes de tous les enfants qui lui sont confiés ; de for mer aussi leur personnalité afin qu’ils soient en mesur e, plus tar d, d’occuper dans la société la place qu’ils méritent par leurs capacités tant intellectuelles que morales.

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200 201

l a p r o p o r t i o n

h o m m e s - f e m m e s d a n s l’ e n s e i g n e m e n t

a r t i f i c e p o l i t i q u e

o u tendance naturelle ?

La question de la féminisation de l’enseignement agite régulièrement les

« penseurs » politiques. Esquissons-en un petit tour historique et statistique. Lorsque les écoles normales sont créées au 19e siècle, des quotas garantissent leur accès aux jeunes gens.

En France, les examens disjoints prévus pour parer au déséquilibre des genres dans le métier disparaissent légalement en 1987. En Suisse, en Valais par exemple, les examens discrimina- toires (notamment par un numerus clausus garantissant un nombre suffisant de places aux jeunes gens) sont abolis en 1979 suite à une dure bataille remportée par trois députées soucieuses de faire respecter la loi fédérale sur l’égalité.

Les femmes représentent alors 66,5 % du person- nel enseignant primaire.

Le salaire des femmes est également prétérité.

En 1930, le Grand Conseil valaisan justifie cette si juste inégalité par ces mots emblématiques de la pensée de l’époque bien au-delà dudit canton : le salaire de l’institutrice lui suffit lorsqu’elle est célibataire puisqu’elle tient elle-même son ménage, sait coudre et quitte le métier une fois mariée. « Si nous sommes trop larges vis-à-vis des régentes, tous nos jeunes gens voudront en épouser une afin de pouvoir se reposer pendant que Mme travaille pour entretenir la famille » (Bulletin du Grand Conseil valaisan, session prorogée de juillet 1930, p. 27).

L’égalité de traitement constituerait même une injustice au point de vue social : « L’homme a des charges que la femme ne connaît pas. L’insti- tutrice peut honnêtement vivre avec le traitement qui lui échoit ; si elle se marie, il incombe au chef de famille de travailler pour entretenir les siens » (p. 75).

Aucune mesure n’est prise pour le congé maternité

« parce que nous voulons éviter que les institutrices enseignent pendant qu’elles se trouvent dans cette situation intéressante. Vous jugez de l’effet qu’elle doit produire sur les enfants en se présentant à l’école dans une situation pareille. L’institutrice doit, pendant ce temps-là, se faire remplacer à ses frais » (p. 29). En 1936 sera promulguée l’interdiction pure et simple d’enseigner à toute femme enceinte dès son état connu. L’évolution du rapport hommes-femmes dans les degrés secondaires suit aussi une logique sociale : les femmes ayant jusque dans les années 1960-1970 très peu accès aux études supérieures, les hommes y sont majoritaires.

La démocratisation des études ayant profité aux femmes et l’économie privée offrant des postes plus prestigieux aux jeunes gens universitaires, quelques décennies suffiront pour qu’elles se retrouvent sinon en majorité, du moins à parité ou presque au secondaire I et II.

Degré

primaire Degré

secondaire i Degré secondaire ii (formations générales)

1995-96 : 70,6 % 46,7 % 37,9 %

2003-04 : 78,4 % 49,2 % 41,1 %

2011-12 : 81,5 % 53,5 % 44,2 %

Proportion d’enseignantes (écoles publiques, Suisse) de 1995-96 à 2011-12.

La statistique cantonale montre qu’en Romandie les femmes sont majoritaires au degré

secondaire I, à quasi-parité partout sauf à GE (majoritaires) et dans le Jura (minoritaires) pour le secondaire II :

2011-12 Sexe Degré

secondaire i Degré secondaire ii (formations générales)

FR H

F 487

707 223

206

VD H

F 1’534

2’116 655

550

VS* H

F

595 682

573 444

NE H

F

165 239

160 120

GE H

F

669 956

602 661

JU H

F

133 140

70 27

Bref, lorsque les artifices politiques (tels les historiques examens discriminatoires) ne sont plus en mesure d’exercer la sélection selon des critères choisis, force est de constater que la tendance sociale naturelle est à la féminisation de l’enseignement à tous les degrés. Le déficit d’image ressenti par les enseignants y serait peut-être bien lié : l’enseignement, métier féminin, métier dévalorisé ?

Danièle Périsset

FR, VD, NE, GE, JU : http ://www.pxweb.bfs.admin.ch/Dialog/

Office fédéral de la statistique – Encyclopédie statistique de la Suisse

*VS : rapport interne du 14 mai 2013, données chiffrées pour 2012-13

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202 203

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, dans le contexte des Trente glorieuses, les pressions en faveur de la démocratisation des études et de l’investissement dans le « capital humain » débouchent sur une explosion scolaire et de profondes réformes éducatives. Celles-ci renforcent progressivement le niveau des formations professionnelles. Les métiers du soin, du social et de l’éducation comme de l’enseignement s’ins- crivent dans ce processus, pour répondre au mieux aux attentes sociales exigeantes de telles profes- sions. Non sans que leur demande de qualification ne fasse l’objet de vives polémiques, comme en témoignent les stupéfiantes allégations de cadres et politiciens se rapportant à la formation dans la petite enfance : « Je ne pensais pas qu’il fallait que tout le staff possède des montagnes de diplômes pour moucher des gosses et leur raconter

des histoires5. » « Il n’y a pas besoin d’être bardé de diplômes pour savoir torcher les enfants6. »

PLuS DE

quaLificatioNS Pour réPoNDrE

aux DéfiS actuELS DE La ProfESSioN

Une tertiarisation inlassablement revendiquée et controversée

Les associations professionnelles – tels l’Association romande de directeurs(trices) d’institutions de la petite enfance et le SER – s’emploieront inlassablement à œuvrer pour une meilleure reconnaissance professionnelle qui présuppose selon elles l’inclusion de leur forma- tion dans le réseau des hautes écoles.

L’euro-compatibilité permet la suisso-compatibilité des diplômes

Les revendications en faveur d’une formation des enseignants insérée au sein de hautes écoles et/ou d’universités se font plus véhémentes au fil du 20e siècle. Comme dans les années 1920, l’enjeu durant le second 20e siècle consiste à regrouper les enseignants des différents niveaux (enfantins, primaires et secondaires) et à enrichir leur formation professionnelle.

Il s’agit d’approfondir et de mieux articuler forma- tion pratique et formation théorique, adossée aux récentes avancées des sciences sociales. Ces reven- dications sont relayées par la Conférence des directeurs cantonaux de l’instruction publique (CDIP), qui préconise, dès les années 1970, de « réformer la formation des maîtres » sans toutefois encore oser mettre en cause le modèle de l’Ecole normale.

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Quand les enseignants jugent que le système déraille, c’est parfois dans la rue qu’ils se mobilisent pour l’exprimer, comme à Lausanne en 1995

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Conférences, négociations et concordats inaugurés dès les années 1970 se multiplient et débouchent, plus tard, sur un accord intercanto- nal garantissant la reconnaissance des diplômes en 1993 sur la base d’une tertiarisation de la formation des enseignants du primaire.

Les arguments avancés pour cette dernière s’appuient sur le « profi l très exigeant » de la profession, soulignent Ambühl et Stadelman (2010), qui rappellent les objectifs politiques défi nis par la CDIP dans les années 1990 : retarder le moment du choix

professionnel ≥ meilleur recrutement

exiger au préalable des études de culture générale du niveau de la maturité gymnasiale ≥ séparation de l’acquisition des qualifi cations professionnelles sur le plan institutionnel et dans le parcours de formation améliorer la formation professionnelle en l’axant forte- ment sur la pratique de l’enseignement dans une école en pleine mutation

renforcer la scientifi cité ≥ formation fondée sur la recherche

exploiter les perméabilités verticales et les modularités du degré tertiaire (au moyen des formations complé- mentaires et de la formation continue)

assurer la libre circulation professionnelle et mobilité nationale et internationale (grâce à la reconnaissance des diplômes) défendre l’attrait de la formation par rapport aux formations tertiaires concurrentes (p. 16).

Le mouvement s’inscrit dans le

contexte plus général de la mondialisation en cours, incluant toutes les sphères de référence – en particulier économiques, politiques et culturelles – aux répercussions évidentes sur les systèmes de formation : en témoigne le processus dit de Bologne, sous l’égide duquel la restructuration des institutions tertiaires s’opère dès lors. C’est ainsi bien sous la pression de l’euro-compatibilité des diplômes que s’esquisse leur suisso-compatibilité.

Les hautes écoles pédagogiques

En Suisse, les formations à l’enseignement primaire connaissent alors une restructuration fondamentale. Les écoles normales sont remplacées dans tous les cantons par des fi lières de formation à l’intérieur d’institutions appelées Haute école pédagogique (HEP), à l’exception de Genève où la formation, qui comprenait déjà des composantes universitaires, s’intègre pleinement à l’université en 1996.

Promulguées dès 1995 par la CDIP et fondées au début des années 2000, les HEP, qui comprennent en général les fi lières de formation de tous les enseignants, primaires, secondaires et spécialisés, constituent de nouvelles institutions englobant formation et recherche.

Les HEP sont dédiées à la seule profession ensei- gnante et sont distinctes de toutes les autres structures de formation du tertiaire (universités ; autres hautes écoles spécialisées). Notons qu’elles restent subventionnées par les administrations (locales, de fait cantonales), qui ont la prérogative de nommer les recteurs et parfois même aussi les enseignants selon des procédures variables, souvent différentes des universités. L’inscription dans le réseau des hautes écoles a pour fi nalité une élévation de la qualifi cation, notamment grâce à une meilleure articulation de la formation avec la recherche scientifi que, au niveau des cursus de formation (contenus des programmes basés sur les apports des sciences humaines et sociales ; formation des futurs enseignants à/par la recherche), des profi ls des formateurs (expérience scientifi que et participation à la recherche) et missions des institutions abritant ces fi lières, intégrant un mandat de recherche. Un pari qui contribue à une amélioration des cursus de forma- tion et à une qualifi cation accrue des enseignants, laquelle constitue la pierre angulaire d’une école de qualité, à même de répondre aux défi s actuels.

conclusion

Une rupture majeure s’est donc effectuée en moins de deux siècles : après avoir privilégié la seule immersion sur le terrain aussi bien pour la culture générale que pour les compé- tences professionnelles, puis une formation avant tout normalisante, le modèle d’une forma- tion de niveau tertiaire, adossée aux

sciences humaines et sociales, s’est fi nalement imposé. Ce processus est le résultat d’un mouvement global qui concerne nombre d’autres professions (à l’exemple du soin et du social) et répond à l’élévation de la culture générale moyenne de l’ensemble de la population.

Il est le fruit aussi d’une plus grande recon- naissance de la profession, dont le statut et le mandat se sont clarifi és, quand bien même ils font l’objet de débats controversés, hier comme aujourd’hui, comme l’est de tout temps la formation des enseignants elle-même.

img. 20

L’UNESCO elle aussi considère que la qualité de la formation des enseignants constitue un enjeu nodal pour tous les jeunes de la planète

img. 21

Unis pour soutenir une formation des enseignants de qualité :

la déclaration conjointe des associations professionnelles des enseignants de Suisse alémanique et romande et des hautes écoles pédagogiques en 2011

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img. 22

img. 22

C'est désormais une formation professionnelle de haut niveau basée sur les apports de la recherche scien- tifique en éducation qui est dispensée partout en Suisse. De plus en plus d'étudiants sortent des nouvelles Hautes écoles pédagogiques, leur Bachelor ou Master en poche et le sourire aux lèvres, comme en témoignent les diplômés de la HEP Vaud (2014).

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206 207

durÉe et niveau

de qualification pour la formation des

enseignants du primaire

En 1975, le fameux rapport inaugurant la réforme de la formation des ensei- gnants en Suisse, LEMO – Lehrerbildung von morgen, affirme encore qu’une durée de formation de six ans (en Ecole normale ; ou quatre ans de gymnase plus deux ans de formation professionnelle) peut suffire pour former des enseignants du primaire.

Dès 1990, la CDIP décide que la formation des enseignants du primaire doit dorénavant s’accom- plir exclusivement au niveau tertiaire, après des études secondaires complètes. Un consensus s’établit sur l’exigence d’un niveau bachelor de trois ans pour des raisons financières avant tout, mais aussi en raison de la rigidité de la définition suisse de ce titre (180 crédits ECTS ; alors que d’autres pays sont plus souples, permettant des bachelors avec 240 crédits). A une exception près (Genève, qui, malgré de vives pressions politiques, tente de maintenir quatre ans), toutes les institutions se sont conformées au consensus, non sans difficulté, en limitant en général la formation à l’un

des deux niveaux du primaire (cycle 1 ou cycle 2) et abandonnant l’idée d’un enseignant primaire généraliste. Les tendances européennes sont très différentes de celles de la Suisse. Comme le montre la figure ci-dessous, seuls 4 autres pays que la Suisse forment encore les enseignants du primaire en trois ans (l’un d’eux, la Belgique, envisage d’ailleurs actuellement le passage au master). Treize pays sur les 29 recensés par Eurydice forment en quatre ans.

Les 12 autres proposent une formation en cinq ans, à savoir au niveau master. Quant à l’évolution récente, la comparaison des rapports de 2009 et 2012 est éloquente : 9 pays ont augmenté la durée de formation, la plupart atteignant ainsi le niveau master. A la lumière de ces tendances, on comprend combien les propositions de raccourcir la durée de formation, voire de la transformer en un apprentissage professionnel comme celui existant pour les professions manuelles ou de secrétariat, constituent un contresens.

Les syndicats des enseignants suisses se situent clairement dans la tendance européenne.

Le 16 juin 2007, les trois organisations représentant les enseignants allemands, autrichiens et suisses signent une déclaration dans laquelle elles demandent que le niveau minimal de formation pour tous les enseignants, y compris du primaire, soit le niveau master de dix semestres.

Le SER défend depuis longtemps la même position, notamment dans une résolution votée en 2005 à Martigny : « Le diplôme d’enseignement pour le degré primaire (élémentaire et primaire) doit correspondre à un diplôme de master (270 crédits). » La qualité et le niveau scientifique de la formation, affirme le syndicat, sont des facteurs essentiels pour « faire face aux défis posés à l’école publique et à la profession » et pour contrer « la dégradation de l’image et du statut social de l’enseignant, ainsi que ses conséquences sur le rôle de l’école

et l’attractivité de la profession ».

Bernard Schneuwly

Belgique Bulgarie Tchéquie Allemagne Danemark Estonie Irlance Grèce Espagne Chypre Lettonie Lituanie Hongrie Malte Pays-Bas Autriche Pologne Portugal Roumanie Slonie Slovaquie Finlande Suéde UK Islande Norge Turquie Suisse

France Italie

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données 2009 données 2012

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