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Une géographie expérimentale de l'art aux frontières : filmer les graffitis du camp de réfugiés palestiniens de Dheisheh

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Thesis

Reference

Une géographie expérimentale de l'art aux frontières : filmer les graffitis du camp de réfugiés palestiniens de Dheisheh

LEHEC, Clémence

Abstract

Ce travail doctoral porte sur les graffitis et les figures de la frontière dans un camp de réfugiés palestiniens à savoir le camp de Dheisheh, situé à Bethléem, dans les Territoires palestiniens occupés. Une recherche formelle et expérimentale est proposée, entre réalisation documentaire et écriture scientifique. À travers une étude des éléments figuratifs peints sur les murs, il s'agit de proposer une actualisation du savoir sur l'imagerie populaire palestinienne ainsi que d'interroger de manière originale les représentations de la frontière au sein d'un espace à la marge. L'analyse du réseau d'acteurs et de leurs motivations à peindre permet d'entrer dans la compréhension des spécificités du mouvement graffiti palestinien, dans une perspective diachronique qui en dessine l'ontologie. La production et coréalisation du film Les murs de Dheisheh permet de mettre en scène l'étude des graffitis, leurs auteurs et les frontières qui traversent le camp, tout en proposant de manière continue une réflexion sur la méthodologie originale employée. Se situant dans une perspective extradisciplinaire, [...]

LEHEC, Clémence. Une géographie expérimentale de l'art aux frontières : filmer les graffitis du camp de réfugiés palestiniens de Dheisheh . Thèse de doctorat : Univ.

Genève, 2019, no. SdS 119

URN : urn:nbn:ch:unige-1243076

DOI : 10.13097/archive-ouverte/unige:124307

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:124307

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Une géographie expérimentale de l’art aux frontières.

Filmer les graffitis du camp de réfugiés palestiniens de Dheisheh

THÈSE

présentée à la Faculté des sciences de la société de l’Université de Genève et à l’Université Grenoble-Alpes

par

Clémence Lehec

sous la direction de

Prof. Anne-Laure Amilhat Szary &

Prof. Frédéric Giraut

pour l’obtention du grade de

Docteure ès sciences de la société mention géographie et environnement

Membres du jury de thèse :

Prof. Riccardo Bocco, Graduate Institute, Genève Dr. Stéphanie Latte-Abdallah, Centre de Recherches

Internationales-Sciences Po, Paris Mai Masri, réalisatrice

Prof. Laurent Matthey, Faculté SDS, Université de Genève, président du jury

Dr. HDR Benoît Raoulx, Université de Caen-Normandie Thèse no 119

Genève, le 27 juin 2019

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La Faculté des sciences de la société, sur préavis du jury, a autorisé l’impression de la présente thèse, sans entendre, par là, émettre aucune opinion sur les propositions qui s’y trouvent énoncées et qui n’engagent que la responsabilité de leur auteure.

Genève, le 27 juin 2019

Le doyen
 Bernard DEBARBIEUX

Impression d'après le manuscrit de l'auteure

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Sommaire

Résumé ... 7

Abstract ... 9

Remerciements ... 11

Avant-propos ... 17

Sigles et abréviations ... 19

Introduction ... 21

Une étude des graffitis aux frontières de Dheisheh ... 22

Border studies et géographie de l’art : l’extradisciplinarité ... 24

Un triple questionnement : frontières, graffitis, méthodologie ... 26

Le squelette de la thèse, quelques clefs de lecture ... 29

Modalités du terrain ... 30

Chapitre 1. Expérimentation et border art : les graffitis sur les murs-frontières du camp de réfugiés de Dheisheh ... 31

1.1 Une approche : expérimenter en géographie ... 33

1.2 Les frontières mobiles de l’espace israélo-palestinien ... 43

1.3 La géographie de l’art : les graffitis sur les murs des camps de réfugiés ... 62

1.4 Géopolitique sémantique : nécessaire définition du terme « martyr » ... 72

Chapitre 2. Posture réflexive : « être au terrain » ... 81

2.1 Être étrangère sur le terrain ... 82

2.2 Habiter à Bethléem : un engagement du corps et des affects… ... 84

2.3 Avoir peur sur le terrain : réflexion sur le régime de frontiérité ... 87

2.4 Éthique et mensonge: “What is the purpose of your stay?” . 91 2.5 La question du boycott académique d’Israël ... 95

2.6 Coréaliser un documentaire avec une équipe palestinienne…. ... 98

2.7 « Être au terrain », jouer avec et se jouer des frontières ... 99

Chapitre 3. Méthodologie I : apprendre à collaborer, travailler

à partir de photographies ... 103

(5)

3.1 Statut des images : illustrations ou preuves ? ... 104

3.2 Marcher-photographier ... 107

3.3 Construction d’un corpus photographique ... 112

3.4 Analyse d’image, méthodologie ... 117

3.5 Analyse exploratoire : focus group avec des adolescents . 122 Chapitre 4. Analyse des graffitis peints sur les murs du camp de Dheisheh : réflexion sur une imagerie qui convoque la thématique frontalière ... 127

Partie A : Augmentation du motif des shuhada et apparition d’un nouveau motif, Hanthala ... 129

4.1 Augmentation du motif des shuhada ... 129

4.2 Hanthala : l’apparition d’un nouveau motif ... 141

Partie B : Diminution de la récurrence des autres thèmes .... 157

4.3 Les armes : un motif parfois ambigu ... 158

4.4 Le keffieh, toujours associé à d’autres motifs ... 167

4.5 Un lien explicite à la politique : les sigles des partis ... 168

4.6 Représenter le territoire : les cartes géographiques de la Palestine ... 170

4.7 Les figures politiques et littéraires, nationales et internationales ... 175

4.8 Signes d’unité nationale, les drapeaux ... 181

4.9 Représenter la frontière à travers murs et barbelés ... 184

4.10 Mise en abyme du graffiti : les crayons ... 188

4.11 Les clefs, symboles des réfugiés ... 190

4.12 L’olivier comme rapport à la terre perdue ... 193

4.13 Dans la main d’Hanthala, des fleurs ... 196

4.14 Représentations de l’altérité israélienne ... 197

4.15 Le sang des shuhada ou en lien avec Gaza ou Hanthala .. 198

4.16 Images résistantes, portraits de femmes ... 199

4.17 Prolonger les traditions islamiques via les graffitis ... 202

4.18 Cœur, motif peu représenté ... 203

4.19 Les colombes, entre guerre et paix ... 204

4.20 Croix gammées isolées ... 205

4.21 Feu et soleil dans des fresques représentants des affrontements ou des fresques enfantines ... 207

4.22 Représentations d’animaux adressées aux enfants ... 208

4.23 Messages liés à la santé et à l’environnement ... 208

4.24 Déclaration politique ... 209

4.25 Exprimer son soutien à une équipe de football ... 212

4.26 Messages liés à des activités économiques ... 213

(6)

Partie C : Typologie des frontières représentées dans les

graffitis des murs de Dheisheh ... 214

4.27 Frontières matérielles : des frontières synecdotiques ... 214

4.28 Frontières classiques : nationales ou supranationales ... 214

4.29 Frontières mobiles et embarquées liées aux réfugiés et

shuhada ... 216

Chapitre 5. Méthodologie II : expérimenter et filmer
 pour tester des limites ... 221

5.1 Épistémologie : le film en géographie ... 222

5.2 En amont du tournage : dimension pratique et éthique ... 232

5.3 Le film comme dispositif ... 243

5.4 Tournage/Montage : caméra comme outil et écriture filmique.. ... 253

5.5 Les éléments écrits au sein du film documentaire et le floutage ... 259

5.6 Franchir les frontières : faire face à l’occupation ... 267

5.7 Les révélations du tournage et du montage : là où les limites apparaissent ... 271

Chapitre 6. Typologie croisée des acteurs et formes de graffitis au sein du camp de Dheisheh ... 279

6.1 Les artistes qui mettent leur savoir-faire au service de la société ou du politique ... 281

6.2 Les individus qui peignent pour résister, sans revendication artistique : perspective diachronique et réflexion sur la séparation.. ... 288

6.3 Associations ou individus réalisant des fresques dont la fonction n’est pas uniquement ou moins explicitement liée à la résistance ... 300

6.4 Récapitulatif de la typologie des acteurs et des formes d’art du mouvement graffiti palestinien ... 302

6.5 Ouverture : des graffitis pour qui ? ... 304

Conclusion ... 315

Les graffitis sur les murs du camp de Dheisheh… ... 315

… révèlent des frontières multiples ... 317

Des méthodes expérimentales et visuelles : l’extradisciplinarité ... 320

Ouverture : une première thèse francophone de géopolitique féministe ... 322

Annexes ... 325

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Annexe 1 : Texte écrit par Tamara Abu Laban faisant le récit de

notre première rencontre ... 325

Annexe 2 : Contrat signé avec Dimension Studio ... 327

Annexe 3 : Authorisation – image rights ... 332

Bibliographie ... 333

Filmographie ... 357

Sitographie ... 363

ONU ... 363

UNRWA ... 363

Sites gouvernementaux ... 363

Blogues ... 364

Presse ... 364

Sites Internet ... 366

ONG ... 366

Table des illustrations ... 367

Tableaux ... 371

Table des encadrés ... 373

Table des matières ... 375

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Résumé

Ce travail doctoral porte sur les graffitis et les figures de la frontière dans un camp de réfugiés palestiniens à savoir le camp de Dheisheh, situé à Bethléem, dans les Territoires palestiniens occupés. Une recherche formelle et expérimentale est proposée, entre réalisation documentaire et écriture scientifique. À travers une étude des éléments figuratifs peints sur les murs, il s’agit de proposer une actualisation du savoir sur l’imagerie populaire palestinienne ainsi que d’interroger de manière originale les représentations de la frontière au sein d’un espace à la marge. L’analyse du réseau d’acteurs et de leurs motivations à peindre permet d’entrer dans la compréhension des spécificités du mouvement graffiti palestinien, dans une perspective diachronique qui en dessine l’ontologie. La production et coréalisation du film Les murs de Dheisheh permet de mettre en scène l’étude des graffitis, leurs auteurs et les frontières qui traversent le camp, tout en proposant de manière continue une réflexion sur la méthodologie originale employée. Se situant dans une perspective extradisciplinaire, cette thèse de géographie expérimentale porte une dimension épistémologique dans la réflexion qu’elle conduit sur la manière de produire du savoir géographique, en prônant une éthique collaborative qui se pose comme une alternative aux modèles participatifs. L’expérimentation se situe à chaque étape de la recherche puisque le film documentaire permet de coréaliser en un seul objet : méthode d’enquête, données collectées et résultat final. Documenter et analyser les frontières au prisme des graffitis palestiniens à Dheisheh permet d’amener les border studies vers une perspective de géopolitique féministe qui définit l’espace des camps comme étant traversé par des lignes de front mobile et des frontières de Damoclès plaçant les corps au cœur du processus de contrôle mis en place par l’occupation israélienne.

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Abstract

This dissertation focuses on graffiti and borders in a Palestinian refugee camp, namely Dheisheh camp, located in Bethlehem, in the Occupied Palestinian Territories. A formal and experimental research is proposed, involving documentary film production and scientific writing. Through a study of figurative elements painted on walls, the dissertation contributes to updating current knowledge of Palestinian popular imagery. It also questions, in an original way, representations of the border within a marginal space. The analysis of the network of relevant actors and their motivation to paint allows for an understanding of the specificities of the Palestinian graffiti movement from a diachronic perspective that draws its ontology. The production and co-direction of the documentary Les murs de Dheisheh (The Walls of Dheisheh) makes it possible to bring the study of graffiti, the artists and the borders that cross the camp to the screen, while continuously proposing a reflection on the original methodology used. From an extradisciplinary perspective, this dissertation in experimental geography offers an epistemological reflection on how geographical knowledge is produced by advocating a collaborative ethic that is seen as an alternative to participatory models. The experimental dimension of the dissertation unfolds at each stage of the research process since the documentary makes it possible to carry out in a single object: survey method, data collection and final result. Documenting and analysing the borders through the lens of Palestinian graffiti in Dheisheh makes it possible to bring border studies towards a feminist geopolitical perspective that defines the camp space as being crossed by mobile front lines and Damocles’ borders, placing bodies at the heart of the control process set up by the Israeli occupation.

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Remerciements

Je souhaite remercier mes directeurs de thèse d’avoir accepté de suivre ce projet pas tout à fait comme les autres. Frédéric Giraut et Anne-Laure Amilhat Szary pour votre soutien, vos conseils et relectures. Anne-Laure Amilhat Szary pour avoir cru en ce projet depuis mon Master 1 et m’avoir accompagnée dans l’apprentissage du métier de chercheure, sans jamais me demander de renoncer à mes idées, pouvant apparaître à l’Académie parfois originales. Je souhaite également vous remercier tous les deux pour la qualité de votre collaboration dans le cadre du suivi de ma thèse, qui a toujours mené à enrichir le projet.

Je remercie également mes jurés, d’avoir accepté de partager leur expertise lors de l’évaluation de ce doctorat : le président du jury et collègue Laurent Matthey, Riccardo Bocco, pour m’avoir prodigué de précieux conseils à quelques étapes clefs du parcours, Stéphanie Latte-Abdallah, Mai Masri, et Benoît Raoulx.

Engagée au Département de l’Instruction Publique du Canton de Genève, cette thèse de doctorat a été réalisée en tant qu’assistante d’enseignement. J’ai beaucoup appris des collègues avec lesquels j’ai eu la chance de pouvoir enseigner. Je remercie Muriel Monnard et Marion Ernwein de m’avoir introduite au métier d’enseignante. Je remercie Estelle Sohier, avec qui nous avons organisé le voyage d’études à Belfast ainsi que Jean-François Staszak et Juliet Fall, que j’ai eu l’occasion d’assister dans leurs cours. Pour le travail en tandem lors de l’organisation du voyage d’études à Athènes et du séminaire associé, avec les assistants les mieux chaussés de l’Université, je remercie Thierry Maeder. Je remercie Cagla Aykac et Raphaël Languillon pour les beaux échanges que nous avons eus lors des ateliers terrain. De m’avoir vraiment aidée à allier enseignement et rédaction de doctorat, je remercie Claire Camblain et Rebecca Durollet. J’adresse également un remerciement sincère aux étudiants que j’ai rencontrés au fil de ces années et à qui j’ai peut-être parfois trop parlé de la Palestine. Je remercie également Sandrine Billeau-Beuze et Mathieu Petite pour leur bonne humeur et leurs conseils toujours avisés.

Le Fond Général de l’Université de Genève et la Commission de Gestion des Taxes Fixes sont ici remerciés pour le soutien qu’ils ont accordé au projet documentaire de ce doctorat. Sans ce précieux soutien, les choses auraient été extrêmement différentes.

Je souhaite également remercier les membres du Mouvement des Étudiants en Géographie, ainsi que l’association elle-même, pour la confiance qu’ils m’ont

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témoignée et pour le temps qu’ils ont consacré à ce projet : Claire Cantone, Gianni Tassotti, John Rose, Lucien Rappaz, Thibault Falciola.

Pour les projets éditoriaux hors du cadre académique, j’adresse un grand merci à ma collègue Estelle Sohier avec qui j’ai eu la chance de pouvoir écrire des articles sur le cinéma d’Anne-Marie Jacir ainsi qu’à Alberto Campi pour notre article de photoreportage, publié dans La Cité. Je souhaite également remercier Laurent Davin d’être venu arpenter le mur de séparation et d’avoir construit une documentation photographique avec moi. Ce que nous avons fait à ce moment là a pris une résonnance que nous n’imaginions pas.

Pour l’organisation d’événements scientifiques tout au long de ces années, je remercie les personnes avec lesquelles j’ai pu collaborer. Inès Ramirez-Cobo et Fanny Vuaillat pour l’accueil que vous m’avez réservée dans votre équipe et les bons moments partagés ! Merci à Philippe Rekacewicz d’avoir accepté mon invitation à Genève, qui nous a permis d’ouvrir une série de discussions passionnantes ! Je remercie également Daniel Meier pour sa confiance et sa générosité. Pour l’organisation du colloque « que font les images dans l’espace public ? », je remercie Allison Huetz, Thierry Maeder, Éstelle Sohier et Jean- François Staszak. Pour avoir continué l’aventure en publiant un numéro spécial, je souhaite remercier de nouveau Allison Huetz et Thierry Maeder, en espérant que l’on saura, un jour, ce qu’elles font les images !

Je souhaite adresser un remerciement tout particulier aux compagnons de thèse rencontrés pendant les nombreux colloques auxquels j’ai eu la chance d’assister, Camille Boichot et Solenn Lepeu, les premières avec qui nous avons partagées une intimité qui nous a tout de suite rapprochées. Merci Camille pour ta bonne humeur, merci Solenn pour tous les moments où tu m’as accueillie à Grenoble pour refaire le monde… Merci à Lydia Zeghmar et Aymen Belhadj pour notre séjour tunisien ! Merci à Dima Alsajdeya, Farah Ramzy et Nada Awad, pour nos aventures marseillaises !

À toute l’équipe d’Articités avec laquelle j’ai eu la chance de pouvoir rêver à la construction de recherches collectives, je souhaite adresser mes plus chaleureux remerciements, Camille Boichot, Marie-Kenza Bouhaddou, Tatiana Debroux, Séverin Guillard, Pauline Guinard, Clotilde Kullman, Antonin Margier, Sarah Mekdjian, Géraldine Molina et Bertrand Pleven pour les excellents moments passés ensemble à Grenoble, à Moscou et à Paris, pour l’accueil que vous m’avez fait au sein d’une équipe amicale, dynamique, pleine de projets et loin des concurrences habituelles. Je porte l’espoir que nos chemins se croisent à nouveau et que nos beaux projets se concrétisent un jour.

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Pour avoir été mon point d’accroche à mes débuts sur le terrain, je tiens à remercier le Centre de Recherche Français de Jérusalem, son ancien directeur, Olivier Tourny, pour avoir cru en mon projet dès la première année et pour m’avoir fait rencontrer des personnes formidables. Je remercie également Lyse Baer et Laurence Mouchnino pour leur accueil chaleureux à chaque fois que je poussais la porte du Centre.

À Laurent Davin et Violette Garcia, compagnons de terrain à mes débuts, les souvenirs des moments partagés ne m’ont jamais quitté.

Je remercie du fond du cœur Or David, de m’avoir trouvée assise dans la rue, à Jérusalem, et d’avoir construit pas à pas une belle amitié. De m’avoir aidée sur mon terrain, pour ta lumière et pour m’avoir toujours accueillie à Jérusalem, je t’adresse mes plus sincères remerciements.

Cette thèse n’aurait pas pu exister sous cette forme sans Tamara Abu Laban. Pour ta force, ton talent artistique, pour ta joie de vivre et pour avoir accepté de travailler avec moi, je te remercie du fond du cœur.

À toutes les personnes qui ont accepté d’être interviewées dans ce documentaire : Aysar et Mohammad Al Saifi, Saleh Abu Laban, Mohammad Manasra, Ali et Kareema Obeid, Ahmed Saleh, j’adresse mes plus sincères remerciements. À l’équipe technique à qui je dois beaucoup : Ahmed Saleh, Husam Al Khateeb, Mohammad Abu Laban, Nadim Al Ayaseh, Abla Al Qaisy, Abdallah Mutan, Ahmad Al Khateeb, j’adresse tous mes remerciements. Enfin, à toutes les personnes qui ont permis l’édition et la post-production de ce film : Kiyana Al Saifi, Suha Zyada, Fabio El Khoury, Clovis Duran et Florian Golay. Je remercie Yasmine Hamdan de m’avoir donné la possibilité de pouvoir utiliser l’une de ses créations musicales au sein du film Les murs de Dheisheh.

Je remercie également toutes les personnes qui m’ont accueillie sur le terrain et qui ont accepté de témoigner pour construire ce travail. Pour leur accueil au sein du camp de Dheisheh, je remercie : Shoruq Organisation et Munther Issa, l’association Ibdaa. Enfin, j’adresse un remerciement tout particulier à mes amis palestiniens qui ont animé mes séjours sur le terrain en les rendant souvent musicaux : Areej Ashab, Bayan Ghareeb et sa famille, Haitam Daoud, Hakam Abu Laban, Ibrahim Abu Laban, Mohammad Abu Alia, Mohammed Abu Laban, Mohammad Al Qaisy, Muhannad Ashab, Nadim Alayaseh, Najib Alloussi et tous ceux que je ne cite pas.

Un remerciement spécial revient à tous les enfants de Dheisheh, dans les pas desquels j’ai mis les miens avec confiance, pour trouver mon chemin au fil du

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dédale des ruelles labyrinthiques du camp dans lequel je n’ai que très tard, cessé de me perdre.

Je tiens à remercier les personnes qui m’ont accompagnée sur le terrain.

Alberto Campi pour la collaboration photographique qui m’a permise de construire ce travail de doctorat et de renouveler mon approche du terrain.

Thomas Colliaux et Baptiste Rinaldi, je vous remercie pour le temps pendant lequel nous avons cru possible de travailler ensemble.

À toutes les personnes qui m’ont rendu visite lorsque j’étais sur le terrain à un moment où à un autre, Anna Gérard, Carmen, Marjorie, mes parents Jacques et Patricia, ma sœur, Alexandra, et mon amoureux, Jean-Louis, je vous remercie d’avoir apporté un peu de connu, d’amitié et d’amour dans ces moments où je plongeais dans l’inconnu.

Pour tous les bons moments vécus, nos combats, nos doutes partagés et nos fou-rires, je souhaite remercier mes collègues : Claire Camblain, Rebecca Durollet, Cristina Del Biaggio, Allison Huetz, Thierry Maeder, Pablo de Roulet, et Yannick Rousselot.

Embauchés pour la relecture de ma thèse, je tiens à remercier l’assiduité et la patience de ma maman Patricia, la générosité de Claire et de Rebecca, le temps consacré à un chapitre bien trop long de Carinne, le sérieux et les encouragements de Mathilde, toujours fidèle au poste durant ces longues années.

Je souhaite remercier les nombreuses personnes avec lesquelles j’ai vécu lors de ces dernières années. Elles m’ont toutes, à leur manière, apportée du soutien : le Clos Voltaire et en particulier Yassine et Basil, pour avoir accepté de répondre à mes questions de traduction à tout moment du jour et de la nuit, le DAC et plus largement Ithaque. J’adresse également un remerciement spécial à Marjorie pour n’avoir jamais cessé de partager ton intérêt pour la Palestine avec moi. À Carmen, pour le soutien que tu m’as apporté. J’adresse un remerciement à mes colocataires, Léonie et Damien, qui m’ont permis de mener à bien la fin de la rédaction de ce manuscrit en m’offrant un environnement joyeux et serein. Et merci aussi à Élyne, ma plus petite colocataire, pour tes rires distrayants ! Merci à toutes celles et ceux que je n’ai pas la place ici de nommer, vous vous reconnaîtrez.

M’étant expatriée en Suisse pour réaliser cette thèse de doctorat, je tiens néanmoins à remercier tous mes amis qui se sont fidèlement souciés de l’avancée de ce projet tout comme de m’en divertir : Anna, Elias, Valentin,

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Édouard, Mathilde et Alix. Merci aussi à Alexia et Émeline de ne pas avoir été trop loin de moi !

C’est à ma famille que je souhaite adresser le plus grand remerciement. À mes parents, Jacques et Patricia, pour m’avoir toujours soutenue et encouragée dans mes projets. Merci pour votre présence, pour votre écoute et pour avoir fait de Bezion ce lieu si ressourçant où il fait bon revenir. À mes grandes sœurs et leurs compagnons, Anne-Sophie et Alice, Alexandra et Victor, pour votre présence à mes côtés, pour m’avoir inspirée et donné confiance en moi.

Enfin, à toi Jean-Lou, qui partage ma vie, je souhaite adresser tous mes remerciements, pour avoir vécu avec moi d’intenses moments de bonheur, que cela ait été la joie immense ressentie pendant le tournage du film ou le petit plaisir indissimulable d’avoir écrit une phrase que j’aimais bien. Merci aussi d’avoir partagé mes moments de doute, de colère, les quelques frustrations et les nombreux cauchemars qui se cachent derrière cette thèse.

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Avant-propos

Cette thèse fait appel à une littérature développée en langue anglaise et s’appuie également sur la traduction anglaise d’entretiens réalisés en arabe. Ce travail est rédigé en français, mais, pour des raisons de cohérence avec la pensée d’auteurs mobilisés ou la parole des enquêtés, de nombreuses citations sont laissées en anglais. Traduire des éléments qui ont déjà été traduits m’apparaissait comme s’éloigner une deuxième fois du sens premier de ces paroles. Les citations en anglais restituent ainsi une plus grande richesse.

Par ailleurs, cette thèse de doctorat n’a pas été écrite selon une écriture inclusive. Il ne s’agit en aucun cas d’un désaccord avec ce type d’écriture que je soutiens. Mais il m’a semblé qu’au regard du terrain, essentiellement lié à des individus masculins, il aurait été étrange d’écrire une thèse au féminin ou en adoptant l’écriture inclusive. Dans quasiment toutes les situations de cette thèse, l’emploi du masculin n’est donc pas à considérer comme un emploi générique, mais comme la marque du genre masculin.

En règle générale, les sites web ont été consultés une dernière fois le 12 février 2019 afin de vérifier que leurs contenus étaient identiques à la première consultation entre 2013 et 2019. Si tel n’est pas le cas, la date de consultation a été précisée.

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Sigles et abréviations

AFP : Agence France Presse

AURDIP : Association des Universitaires pour le Respect du Droit International en Palestine

BIG: Brand Isareli Group

CGTF : Commission de Gestion des Taxes Fixes CNU : Commandement National Unifié du Soulèvement DAAR: Decolonizing Art Architecture Residency

FCB : FC Barcelone

FPLP : Front Populaire de Libération de la Palestine HDR : Habilitation à Diriger des Recherches

ICAHD: The Israeli Committee Against House Demolitions MEG : Mouvement des Étudiants en Géographie

MRI : Mouvement de la Résistance Islamique

PACBI: The Palestinian Campaign for the Academic and Cultural Boycott of Israel

PASSIA: think tank, Palestininian Academic Society for the Study of International Affairs

PLO ou OLP : Palestinian Liberation Organization ou Organisation de Libération de la Palestine

RTS : Radio et Télévision Suisse TLF : Trésor de la Langue Française

UNRWA : L’Office de secours et de travaux des Nations-Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient.

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Introduction

“Wherever there is a revolutionary spirit, there 
is graffiti.”

(Tamara Abu Laban, 2013, p. 51)

“Once we investigate the multivarious practices with which migrants challenge borders on a daily basis, it becomes clear that border struggles are all too often matters of life and death.”

(Mezzadra & Neilson, 2013, p. 18)

Premier jour de tournage, il est 7 h du matin, je suis en avance à Dheisheh. J’attends de l’autre côté de la route d’Hébron, en face du camp. Des travailleurs refont les parterres situés au milieu de la chaussée. Le camion de l’ONU récupère les ordures après que plusieurs hommes sont venus, depuis les ruelles, apporter de petites remorques pleines de sacs poubelles. Il n’y a pas de point de rendez-vous précis. J’ai demandé trois ou quatre fois à ma coréalisatrice Tamara hier. Elle a simplement dit “Dheisheh”. De la musique provient du kiosque à l’entrée du camp qui vend des cafés à côté du tourniquet. Est-ce la voix de la célèbre chanteuse Fairouz ? Peut-être.

Le jour suivant, je suis assise à l’entrée du camp, sur un petit muret devant le bâtiment de l’association Ibdaa, j’attends Tamara et le reste de l’équipe.

Un des garçons du kiosque, situé le long de la route d’Hébron, m’offre un café. À partir de ce jour, un café sans sucre m’attendra chaque matin. Auparavant, la route principale qui passe devant le camp reliait Jérusalem à Hébron en passant par Bethléem. Il s’agissait d’un axe important, mais ça c’était avant la construction du mur de séparation.

Le troisième jour, je retrouve Ahmed, assistant caméra sur le tournage et graffeur. Je commande deux cafés sans les payer, cela me donne l’impression de faire partie du camp. Le kiosque se tient juste à côté d’un tourniquet engrillagé qui se tient droit. Ce dernier est une trace de la première Intifada lors de laquelle le camp était entouré de grillages et placé sous couvre-feux. Derrière nous, une fresque, réalisée en blanc sur fond noir, énumère chacun des quarante-cinq villages dont sont originaires les habitants de Dheisheh, fondé en 1949.

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Le lendemain, soit le 5 avril 2017, je monte dans le taxi collectif pour me rendre sur le lieu du tournage depuis le centre-ville où je réside. J’entends à la radio que l’on parle du camp sans pouvoir comprendre ce qu’il se passe. De la station de bus jusqu’au mur de séparation, j’entends deux fois les mêmes informations. Ne sachant pas si les gens qui partagent ma course parlent anglais, je préfère garder le silence. En arrivant, je croise Aysar, un des graffeurs du camp que nous avons interviewé dans le film. Il m’explique qu’il y a eu un raid de l’armée israélienne à Dheisheh cette nuit. Lui a dormi malgré les bruits, comme la Française que je croise par hasard un peu plus tard dans la journée. Tamara me dit ensuite qu’à cause de ce qu’il s’est passé dans la nuit, une tension règne à l’intérieur du camp. Des femmes s’arrêtent près de nous alors que nous filmons et semblent hostiles à notre présence ou à celle des caméras. Je comprends, grâce à Ahmed, que le sang de celui qui a été blessé par trois tirs de l’armée israélienne, deux dans le bras et un proche du cœur, est toujours sur le sol, non loin de là où nous sommes. J’en aurai la double confirmation plus tard, par Tamara et sous mes pieds, que je surprends à fouler de petites taches brunâtres sur la chaussée. De retour chez moi, le soir, j’écris : « Aujourd’hui nous avons filmé le camp et nous avons marché sur son sang. Je ne le connais pas. Ses amis sont venus filmer les traces que son corps blessé a laissées sur le sol. Il a 23 ans. Je vois, sur la porte d’entrée de la maison auprès de laquelle il a reçu les balles, les trous que les tirs ont laissés dans les murs. J’ai trouvé très ironique que le dessin reproduit de Naji Al Ali faisant le portrait de deux hommes similaires, mais l’un portant la marque d’un impact de balle au milieu du front, soit justement le lieu où les balles soient venues se ficher. Cela laisse un des portraits avec un trou dessinant un impact de balle et l’autre avec un vrai trou, peut-être causé par une balle qui aurait été tirée cette nuit-là. C’est comme si les balles de l’armée israélienne visaient les corps autant que les images. »

Une étude des graffitis aux frontières de Dheisheh

Cela fait sept ans que je me rends en Palestine, dans le camp de réfugiés de Dheisheh pour y réaliser des recherches en géographie. Dès mes premiers pas dans le camp, j’ai été frappée par la quantité de fresques et d’inscriptions présentes sur les murs. Pourtant, l’imaginaire occidental qui constitue mon cadre de référence m’a fait concentrer mes recherches sur les peintures présentes sur le mur de séparation, situé non loin du camp. Pendant mes deux premières années d’apprentissage de la recherche, j’ai écrit des mémoires de Master et réalisé un court-métrage portant sur le street art situé sur cette barrière imposée unilatéralement par l’État israélien. Cette dernière n’est pas reconnue comme une frontière puisque son tracé ne reprend pas la ligne verte et s’en écarte au gré du projet colonial qui accapare des terres palestiniennes et morcelle le territoire.

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L’espace israélo-palestinien est un espace de frontières contestées, au sens où la communauté internationale ne reconnaît pas les frontières telles que l’État israélien les dessine. Il semble complexe d’affirmer que l’espace israélo- palestinien est un espace sans frontière dans la mesure où cela viendrait amoindrir le fait qu’il s’agit d’un espace strié de limites et où prime la séparation.

Néanmoins, les bornes de l’espace israélo-palestinien ne sauraient correspondre à une définition classique de la frontière, comme une ligne tracée entre deux entités politiques. Haut de huit mètres et s’étalant sur des kilomètres, le mur de séparation est pourtant le réceptacle de toute l’attention lorsque l’on pose la question des frontières de l’espace israélo-palestinien. Il semble normal de s’intéresser d’abord à la partie émergée de l’iceberg, mais cela n’est pas suffisant. Dans le cadre de ce doctorat, j’ai souhaité regarder en dessous de la surface de l’eau et comprendre l’étendue du processus de séparation qui est à l’œuvre dans cet espace en m’intéressant aux frontières qui traversent un espace à la marge, à savoir le camp de réfugiés de Dheisheh, même si ces frontières n’ont aujourd’hui rien d’apparent.

En parallèle, mon regard d’étrangère était habitué aux fresques de street art qui recouvrent les murs des villes occidentales et qui sont aujourd’hui utilisées dans le cadre de projets urbains. La production de ces dernières s’est en partie légalisée et le potentiel subversif de ce mouvement en a été diminué d’autant.

Regarder les fresques qui prennent place sur le mur de séparation était une manière de rechercher la dimension politique de cet art, qui semble avoir été engloutie par l’entrée de ce mouvement sur le marché de l’art et par son encadrement institutionnel. Le mur de séparation n’échappe pas à ces logiques marchandes et les peintures y sont globalement tolérées par l’État israélien. La dimension politique présente dans l’acte de peindre sur un tel support faisant parfois même partie de la stratégie communicationnelle d’artistes cherchant une renommée toujours plus grande. Il s’agit d’une des raisons, avec le refus de normaliser l’existence de ce mur, en l’embellissant ou en se l’appropriant, qui conduit au constat suivant : les graffeurs palestiniens ne peignent pas sur le mur de séparation, ou alors de façon très minoritaire.

Et pourtant, le mouvement graffiti palestinien existe bel et bien, en témoignent les murs des camps de réfugiés entièrement recouverts de peinture et de slogans, majoritairement écrits en arabe. C’est, fort de ce constat, que ce travail doctoral a détourné le regard du mur de séparation, pour observer ce qu’il se passe dans les camps de réfugiés. J’ai souhaité mettre au jour les spécificités du mouvement graffiti palestinien, tel qu’il a débuté et qu’il se dessine aujourd’hui.

Il semblait chimérique d’essayer de comprendre les frontières de l’espace israélo- palestinien en ne s’intéressant qu’aux acteurs étrangers qui viennent peindre sur le mur de séparation. J’ai donc souhaité comprendre les barrières et limites auxquelles les Palestiniens font face, en interrogeant une pratique et production artistique qui se situe à la marge. Le mouvement graffiti palestinien prend géographiquement place dans les espaces marginaux des camps de réfugiés.

L’inscription de ce courant au sein du champ artistique le situe également en périphérie en ce qu’il n’est pas envisagé comme un art « noble » et que tel qu’il est pratiqué au sein des camps, il se situe en dehors du marché de l’art.

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Les camps, lieux où se concentrent les graffitis, correspondent à des quartiers des villes de Cisjordanie sous autorité palestinienne. Créés en 1948 après la Nakba, ils ont été de hauts lieux de contestation lors des deux Intifadas.

Les habitants des camps ont un statut à part puisqu’ils possèdent la carte d’enregistrement délivrée par l’UNRWA (United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East)1. Ces lieux font parfois partie intégrante du tissu urbain, mais les formes architecturales qui les composent les distinguent assez nettement du reste de la ville. Les constructions sont majoritairement en béton, sans parement en pierre. Le mode de développement sans plan a produit des rues parfois très étroites, sinueuses à tout le moins. Devant l’ampleur de l’expression graphique présente, l’étude se focalise sur la ville de Bethléem, plus précisément sur le camp de réfugiés de Dheisheh. En poussant à son paroxysme certains éléments saillants du mouvement graffiti palestinien, ce camp est révélateur du mouvement dans son ensemble, ce qui permet de donner une certaine profondeur à la monographie proposée ici.

Border studies et géographie de l’art : l’extradisciplinarité

De nombreuses recherches ont attiré l’attention sur le fait que le processus de mondialisation en cours est en réalité producteur de toujours plus de frontières. L’illusion de l’ouverture, d’un monde sans frontière, au moment de la chute du mur de Berlin en 1989 a été suivie de la construction de toujours plus de murs de séparation (Ballif & Rosière, 2009; Vallet, 2016; Vallet & David, 2012). Face au constat plus général de la multiplication des lieux qui font frontière, il a été nécessaire de redéfinir cette dernière comme un réseau (Balibar, Williams, & Apter, 2002; Popescu, 2011), un objet mobile (par exemple Amilhat Szary & Giraut, 2015; Gilbert, Veronis, Brosseau, & Ray, 2014; Mezzadra

& Neilson, 2013; Nail, 2016; Steinberg, 2009), diffus, fait d’artifices de contrôles souvent juridiques et pas seulement matériels.

Poser la question de la frontière dans l’espace israélo-palestinien ne va pas de soi puisqu’elle fait l’objet de contestation. Néanmoins, les frontières produisent quelque chose en matière de relation de pouvoir. Il s’agira dans ce doctorat d’étudier leur impact non pas économique ou politique, mais culturel.

Cette étude part de l’hypothèse selon laquelle le contexte social et politique, ici la situation d’enfermement qui découle de la séparation et de la colonisation, aurait une influence sur les productions esthétiques. L’objet culturel qui sera observé est le mouvement graffiti qui entretient dès ses origines un lien très fort avec la

1 En français : L'Office de secours et de travaux des Nations-Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient, on s’y référera dorénavant selon l’acronyme UNRWA.

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notion de limite. À l’origine, le graffiti tel qu’on le définit traditionnellement en Occident est une pratique illégale qui met ses praticiens en prise avec l’adrénaline liée au risque pris au moment de graffer puisqu’il est souvent nécessaire de se cacher. Les graffeurs dépassent alors les limites juridiques en investissant sans autorisation une portion d’espace public, voire privé. Les limites de leurs corps sont également éprouvées dans la mesure où le lieu choisi par un graffeur pour peindre correspond à l’espace le plus visible possible, régulièrement difficiles d’accès.

Frontière, graffitis, corps méritent d’être étudiés ensemble au regard des liens qu’ils entretiennent. Ceci n’est toutefois pas sans poser certains paradoxes qui viennent enrichir le questionnement. D’abord, le corps est ce qui permet de repousser les limites lorsque les graffeurs peignent. Il s’agit aussi de ce que les dispositifs de contrôles, check points et murs viennent arrêter. Le corps est à la fois un outil pour dépasser et l’élément qui se trouve stoppé. C’est le corps en action qui dépasse et/ou est stoppé par l’élément barrière. Ensuite, le graffiti, en tant que pratique, se fait dans la limite de ce que le corps permet. En tant qu’objets, les graffitis peuvent déplacer la limite (la limite légale notamment), mais aussi ouvrir symboliquement des brèches dans la frontière physique que peut être un mur (utilisation du trompe-l’œil par exemple). Le graffiti est limité par le corps, tout comme il peut être un outil pour créer de l’ouverture.

Le présupposé selon lequel la séparation influencerait la production esthétique de graffiti peut alors être redoublé et retourné : l’étude des graffitis permet d’apprendre quelque chose sur les limites, sociales, juridiques, spatiales (entre espaces privé et public) ou encore corporelles. La discipline géographique implique un changement d’échelle pour aborder la question frontalière au sein de cet espace jusqu’à l’échelle du corps.

Ce doctorat s’insère également dans le champ des popular geopolitics, courant qui se fonde sur l’étude de la culture populaire (Dittmer, 2011; Dittmer &

Dodds, 2008; Dittmer & Gray, 2010). Prendre les graffitis pour objet place ce doctorat dans cette perspective en proposant une actualisation et une analyse de l’imagerie populaire palestinienne. Le visible est un fil rouge de ce travail entre un questionnement sur le régime de visibilité des limites, barrières, frontières et l’utilisation de méthodes visuelles. En effet, portant sur un objet esthétique, le travail photographique s’est imposé pour documenter, constituer et analyser des données. Partant d’une approche classique de l’utilisation des images avec la constitution d’un corpus, analysé sur un mode quantitatif et qualitatif, ce doctorat s’est ensuite ouvert à l’utilisation d’un outil plus expérimental, à savoir la coréalisation d’un film documentaire. L’objectif lié à ce support filmique est également de rapporter et d’analyser au sein du mémoire de thèse le cheminement de la production de connaissance ainsi que toute la dimension réflexive que cela induit.

Si ce doctorat répond à un ancrage disciplinaire géographique à travers les courants des border studies, de la géographie expérimentale, des popular geopolitics, il fait appel à d’autres champs tels que les études visuelles ou la réalisation documentaire, et se positionne ainsi dans l’extradisciplinarité (Holmes,

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2007, 2009). Il s’agit alors de sortir des limites imposées par les disciplines, géographie, études visuelles, art, afin de chercher une nouvelle manière de produire du savoir. La contemporanéité de la méthode de recherche et des résultats produits, le passage de chercheure-géographe à productrice-réalisatrice de documentaire et l’engagement politique dans une recherche collaborative sont les éléments qui construisent la dimension extradisciplinaire de ce doctorat. À l’image de la grounded theory, la part active du terrain est ici reconnue et mise en avant comme un élément créateur (de connaissance et d’un point de vue esthétique). Pour autant, ce doctorat ne se place pas dans un postulat déductif qui irait du terrain vers la théorie. Il s’agit plutôt de remettre en cause la dichotomie entre démarches inductives et déductives puisque la même place est accordée à la méthode qu’aux résultats de recherche dans la production documentaire. Majoritairement, il s’est agi de développer une réflexion en faisant.

Sans entrer dans une recherche activiste, il s’agit de reconnaître et de souligner le pouvoir d’agir dont dispose le chercheur dès lors qu’il est sur son terrain.

L’action, le terrain et l’émergence de situations à valeur heuristique ont ainsi un rôle clef dans la construction du projet de recherche. La production de résultats n’a cependant pas d’autonomie hors du discours scientifique : c’est le cas de l’usage des méthodes visuelles liées à la photographie qui placent ce doctorat du côté des practice-led research (Cf. Chapitre 3 sur la méthodologie liée à l’image fixe et Chapitre 4 d’analyse visuelle). En revanche, dans le cadre de la production documentaire, ce doctorat suit les principes d’une practice-based research, c’est- à-dire que la recherche produit quelque chose qui a un statut aussi important que le texte. Cette production peut alors être soumise à validation dans d’autres contextes que le cadre académique, notamment dans le champ esthétique. C’est le cas du documentaire produit dans le cadre de ce doctorat (Cf. Ch.5 sur la méthodologie liée à l’image animée).

Un triple questionnement : frontières, graffitis, méthodologie

Comment s’interroger scientifiquement sur la frontière aujourd’hui alors qu’il s’agit d’une thématique politique récurrente et relayée dans les médias ? Pourquoi regarder aujourd’hui ce qui se trouve sur les murs des camps de réfugiés palestiniens, alors que ceux-ci existent depuis 70 ans ? C’est le paradoxe de cette recherche que de porter sur un objet « à la mode », à savoir la frontière, étudiée dans un espace à la marge, c’est-à-dire les camps de réfugiés palestiniens. Une troisième question, d’ordre méthodologique, s’est également posée : en quoi est-il nécessaire de tester de nouvelles méthodes, extradisciplinaires, expérimentales et visuelles pour renouveler l’approche du

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terrain en géographie et quels apports en découlent-ils ? Ces trois questions constituent les lignes directrices de ce travail doctoral.

Penser la frontière dans l’espace israélo-palestinien à partir d’une pratique ontologiquement liée à la limite et au corps semble faire sens dans la mesure où penser la frontière dans ce contexte pose un enjeu en terme :

- de définition : peut-on parler de frontières ou convient-il plutôt de parler de limites ? ;

- d’échelle : s’agit-il d’un élément lisible à l’échelle inter/intra- nationale ou seulement à l’échelle des corps ? ;

- de forme : est frontière ce qui a forme matérielle ou ce qui est ressenti/vécu comme tel ?

Conceptualiser l’élément frontalier au sein des camps de réfugiés palestiniens questionne le régime de visibilité de ce dernier. Le questionnement principal prend appui sur une situation originale, un cas limite à valeur heuristique, il s’inscrit dans une réflexion sur la matérialité, la visibilité et la corporalité de la frontière et sur sa dimension performée au carrefour des nouveaux développements des border studies, de la géographie expérimentale et des études visuelles.

Ceci conduit à développer trois séries de questions :

Qu’est-ce qui caractérise le mouvement graffiti palestinien sur les murs des camps de réfugiés ? :

– Quel est le réseau d’acteurs qui sous-tend la pratique graffiti ?

– Comment ces graffeurs peignent-ils, d’un point de vue technique (qu’utilisent-ils comme matériel ?), pratique (quand peignent-ils ? comment financent-ils le matériel nécessaire ?) ?

– Quels sont les motifs représentés sur les murs des camps et quelles significations leur sont attribuées ?

– Au-delà de ce qui est représenté, quelle symbolique est-elle développée sur les murs des camps ?

Qu’implique le fait que les murs des camps soient peints, à l’aune du concept de frontière ? :

– Les murs des camps de réfugiés peuvent-ils être, métaphoriquement ou symboliquement, qualifiés de murs-frontières, puisque l’existence et la permanence du camp sont bien synonymes de non-retour ?

– Les graffitis sur les murs des camps permettent-ils de confirmer l’idée que les murs des maisons individuelles seraient des espaces communs et que le concept de propriété privée est à écarter pour comprendre la particularité de ces lieux où certains intérêts d’ordre privé seraient subsumés sous une cause commune ?

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– Ne sont-ils que des murs-mémoriaux, où l’histoire de la résistance palestinienne viendrait prendre corps à travers la représentation d’une série de symboles et de martyrs et/ou héros ?

– Les peintures sur les murs des camps sont-elles seulement adressées à la communauté des réfugiés ?

– Les frontières mobiles de Dheisheh, observées au prisme des graffitis, peuvent-elles ou doivent-elles faire appel au concept de front ?

– Enfin, l’expérimentation géographique de la réalisation d’un film documentaire en collaboration permet-elle de révéler ou de rendre visible des frontières autrement diffuses et immatérielles ?

Le troisième type de questionnement est à distinguer des deux précédents qui portent sur un objet de recherche, le mouvement graffiti palestinien et le réseau d’acteurs qui le sous-tend d’une part et l’implication que cela a vis-à-vis du concept de frontière d’autre part. La dernière question à laquelle s’attaque ce doctorat est relative à la méthode et nécessite pour cela un certain développement.

Quelle(s) méthode(s) adopter pour la collecte et l’organisation des données dans le cadre d’une recherche sur le mouvement graffiti dans un camp de réfugiés palestinien ? :

Pourquoi se poser la question de savoir quelles sont les possibilités en termes d’écriture d’une recherche, quel langage adopter, à quelles fins et pour quels publics ? Mais aussi, pourquoi ne pas se la poser systématiquement dans toute recherche ? Ce projet de thèse se propose d’être un essai d’écriture novateur, qui, grâce au médium film documentaire, rend contemporain les résultats de la recherche et la recherche elle-même. Ceci est testé pour répondre à des enjeux scientifiques actuels et proposer une autre voie que le primat de l’autorité unique d’un chercheur ou enseignant-chercheur sur sa production intellectuelle. C’est aussi pour aller à rebours de la temporalité des carrières académiques qui fait primer les publications, souvent en anglais dans des revues reconnues, à d’autres modes d’écritures. C’est aussi pour lutter contre une politique de recherche individualiste, capitaliste et conservatrice qui ne reconnaît pas les travaux collectifs et ne laisse que peu de place aux expérimentations ou aux démarches créatives que cette recherche doctorale a été pensée dès le départ comme une manière de s’engager pour proposer de nouvelles pistes pour produire du savoir.

Dans la lignée d’une partie des border studies et de la géographie expérimentale, il s’agit d’interroger la frontière à travers le biais d’une pratique artistique, à savoir la réalisation d’un film documentaire sur le mouvement graffiti palestinien. À l’instar d’autres chercheurs, notamment des géographes, qui ont réalisé des documentaires et ont montré toute la portée heuristique (Ernwein, 2014) et la dimension et réflexion éthique intrinsèque à une telle pratique (Collignon, 2012; Raoulx, 2009), j’envisage ce projet comme une manière de

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chercher. La coexistence d’un chercheur et d’une équipe de tournage sur le terrain a également déjà été expérimentée (Pasquali, 2011). Cependant, à ma connaissance, au niveau doctoral en géographie, aucun chercheur n’a jamais collaboré avec une équipe pour réaliser un film documentaire au présent de la recherche. Ce projet est pour moi une méthode où l’expérimentation d’une coproduction devient aussi l’objet de la recherche. Comment chercher à plusieurs ? Comment le chercheur travaille-t-il avec des non-chercheurs ? C’est-à- dire, comment le temps de la recherche peut-il se marier avec un rythme autre à savoir celui de la production documentaire ?

Le squelette de la thèse, quelques clefs de lecture

Le présent manuscrit accompagne donc le rendu doctoral sous forme de documentaire Les murs de Dheisheh, dont quelques éléments du tournage ont été rapportés en ouverture de cette introduction. Il s’agit d’un essai qui a une dimension exploratoire sur la possibilité d’envisager une complémentarité entre forme écrite et forme filmique dans le cadre doctoral. De ce point de vue, certains codes de la thèse écrite ont été bouleversés. L’état de l’art est réalisé selon une sélection des lectures qui ont été utiles à l’élaboration du parcours de recherche (Cf. Chapitre 1). Une large part est également accordée à la méthodologie, principalement visuelle (Cf. Chapitre 3 pour l’usage de photographies et 5 pour l’usage de l’image animée) ainsi qu’aux dimensions réflexives (Cf. Chapitre 2 sur la position et la posture de chercheure) qui reviennent sur les moyens mis en œuvre ainsi que la posture adoptée pour réaliser cette recherche. Le documentaire et l’écrit sont à considérer comme deux formes ayant leur autonomie propre et étant tout de même complémentaires. Enfin, les chapitres 4 et 6 sont des chapitres de restitution d’analyse. Respectivement, le premier dresse le tableau de ce qui est peint sur les murs du camp de Dheisheh en proposant une actualisation des thématiques traitées en comparaison d’études menées il y a 25 ans. Le second est le pendant et un complément direct du film en ce qu’il établit une typologie croisée des acteurs du mouvement graffiti et des formes de ces derniers dans une perspective diachronique. Ces deux chapitres ne cessent de faire des allers-retours entre l’analyse du mouvement graffiti en soi et la dimension heuristique qui en découle pour l’étude des frontières. Une typologie des frontières représentées dans les graffitis sur les murs de Dheisheh est dressée en conclusion du chapitre 4 et le chapitre 6 interroge la limite entre pratique artistique et esthétique ainsi que le rapport à la frontière des acteurs du mouvement graffiti. Le chapitre 2, qui revient sur la position et la posture de chercheure dans un camp de réfugiés palestinien et plus largement en Territoires palestiniens occupés, interroge également la frontière dans sa dimension expérimentée ou performée.

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Modalités du terrain

Ce travail de doctorat, commencé en septembre 2015, est basé sur une série de séjours de terrain autofinancés2. J’ai effectué un total d’environ six mois sur place entre 2015 et 2017. Le premier terrain exploratoire a été réalisé du 2 au 13 février 2015, je résidais alors à Jérusalem tout comme lors de mon premier terrain qui s’est déroulé du 2 au 31 juillet 2015. Lors des deuxième, troisième et quatrième terrains, je résidais à Bethléem, respectivement du 31 mars au 29 avril, du 12 juillet au 15 septembre 2016 et du 20 mars au 27 avril 2017. C’est, lors de ce dernier séjour de terrain qu’a eu lieu le tournage du film dont j’ai fait un bref récit au début de cette introduction. J’ai effectué un total d’environ six mois sur place entre 2015 et 2017.

2 Mis à part deux billets d’avion qui l’ont été pour l’un par l’Université de Grenoble et pour l’autre sur les fonds obtenus pour le tournage du film, lesquels m’ont également permis de payer un mois de loyer sur place.

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Chapitre 1. Expérimentation et border art : les graffitis sur les murs-frontières du camp de réfugiés de Dheisheh

“Experimental geography means practices that take on the production of space in a self-reflexive way, practices that recognize that cultural production and the production of space cannot be separated from each another, and that cultural and intellectual production is a spatial practice. Moreover, experimental geography means not only seeing the production of space as an ontological condition, but actively experimenting with the production of space as an integral part of one’s own practice. If human activities are inextricably spatial, then new forms of freedom and democracy can only emerge in dialectical relation to the production of new spaces.”

(Paglen, 2009, p. 31)

Ce chapitre introductif cherche à poser les limites au sein desquelles ce travail de recherche s’est déployé. Le cadre théorique qu’il constitue permet de situer le questionnement à la croisée de plusieurs courants de la géographie, parfois récents. Je commencerai par évoquer la géographie expérimentale, définie par peu d’auteurs, il s’agit à la fois de l’approche constituant la clef de voûte de ma démarche et en même temps le champ le moins construit auquel je fais référence. En effet, théorisé pour la première fois par Nato Thompson, il est considéré comme un courant émergent. J’évoquerai plusieurs expériences se réclamant de la géographie expérimentale, en plus des textes de Nato Thompson, pour parvenir à en donner une compréhension générale. Il s’agira ensuite d’en venir au concept central à savoir la frontière en faisant état de ses statuts et acceptions au sein des border studies, un champ pluridisciplinaire relativement récent. Objet « fétiche » de la géopolitique et de la géographie politique, la frontière est un concept central de cette recherche qu’il conviendra de resituer en faisant état des apports récents des border studies. Il s’agira donc moins de retracer l’épistémologie de ce concept que de prendre acte des manières les plus contemporaines de l’envisager au sein de l’espace israélo- palestinien.

À travers l’exposé de ces deux éléments émergera un questionnement

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sur l’art. La géographie expérimentale, notamment telle que définie par Nato Thompson, fait état d’un lien très fort entre expérimentation spatiale et pratique artistique contemporaine. De même, de nombreux chercheurs ont réfléchit à la frontière à partir de l’art. De nombreux auteurs témoignent de l’intérêt du croisement de ces deux champs en forgeant des notions et termes tels que : border art ou border aesthetics (Schimanski, 2015 ; Amilhat Szary, 2012). Le collectif de chercheurs de l’antiAtlas des frontières se situe également dans cette perspective, j’y reviendrai dans la section traitant du lien entre art et géographie.

Poser la question de l’art aux frontières ou de l’art de frontière aurait une valeur heuristique qu’il s’agira d’explorer de nouveau dans cette recherche. Il est admis de parler de tournant spatial (spatial turn) dans l’art qui voit son pendant défini comme le visual turn dans les sciences sociales. Ce travail a pour objectif de se positionner sur ce point de rencontre où il s’agit d’interroger un concept géographique, à savoir la frontière, par le biais d’un objet esthétique, les graffitis.

Il s’agira aussi de poser les bases d’une pratique interdisciplinaire où production visuelle (photographique et vidéographique) font partie intégrante de la démarche de recherche géographique.

Ce que la géographie expérimentale et les border studies, travaillant via la question artistique, ont en commun est un rapport au corps très prégnant. De nombreux géographes ont travaillé le rapport au corps, en travaillant notamment sur le corps du géographe à l’œuvre sur son terrain (Volvey, 2014). Si cette dimension est à prendre en compte ici, il s’agit aussi d’utiliser le terme corps comme une échelle à partir de laquelle il serait possible de regarder la frontière et comme élément impliqué dans les dispositifs frontaliers. Toute la matérialité des espaces auxquels les corps se confrontent, le rapport éminemment sensible des corps à leur environnement sont envisagés comme des portes d’entrée pour comprendre ce que peut être la frontière. Cette échelle d’observation et d’analyse amènera d’ailleurs un questionnement sur l’objet frontière lui-même, dans un aller-retour permanent avec ses synonymes : barrières, limites… Il s’agira en tout cas de définir une pratique géographique incarnée, qui permet d’inclure l’idée d’expérience corporelle, de vécu donc, à ce qui est nommé géographie expérimentale.

C’est le corps engagé dans une pratique artistique, telle que peindre des graffitis dans un contexte moyen-oriental, qui est ici au centre de mes considérations. Ceci permettra de mettre au jour les différents éléments intrinsèques au mouvement graffiti, avant d’en définir plus précisément les spécificités liées au contexte palestinien. Il s’agira d’exposer, à partir de travaux déjà existants, quelle valeur heuristique réside dans l’étude de tels objets. Cela permettra aussi d’envisager le lien qui unit ontologiquement graffitis et frontières, lien qui se trouve activé, performé à l’échelle du corps. Le questionnement sur le corps comme échelle d’analyse, comme lieu où s’incarnent les frontières et comme élément clef du mouvement graffiti sera développé tout au long du parcours présentant successivement l’approche, l’objet et l’insertion disciplinaire de cette recherche.

Ceci mènera à la définition des murs peints des camps comme pouvant être des éléments de dispositif de frontières mobiles (Amilhat Szary & Giraut,

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2015). Il s’agira de présenter le contexte d’étude, à savoir le camp de réfugiés de Dheisheh et de réfléchir à la manière dont ses murs sont symboliquement, mais aussi concrètement des limites.

1.1 Une approche : expérimenter en géographie

L’état de l’art sur la question de l’expérimentation en géographie s’est construit à partir de retours sur des lectures liées à cette approche, retours qui sont ensuite commentés afin de montrer ce que j’en retire pour la construction de cette recherche doctorale.

1.1.1 Un tournant expérimental en sciences humaines et sociales

Il semble important de commencer par définir ce qu’est l’expérience pour entrer dans la compréhension de ce que recouvre la géographie expérimentale. L’expérience3 se distingue entre expérience comme fait vécu et expérience comme fait observé. Comprise ainsi, elle se rapproche de tout travail de terrain lors de laquelle le chercheur simultanément vit et observe une réalité sociale. Dans cette perspective, le fait de considérer le terrain comme une expérience à la fois vécue et observée va de soi. Mais pour ne pas tomber dans le piège réducteur qui consisterait à considérer tout terrain comme une expérimentation, il convient de prendre en compte le fait que « le terrain, c’est ce qui résiste » (Labussière & Aldhuy, 2012). Il s’agit de souligner le fait qu’il comporte de manière inhérente un certain degré d’incertitude, sans pour autant pouvoir être qualifié d’expérimental. En effet, tel que le rappelle Angela Last dans l’introduction de son article “Experimental geographies”, on pourrait être tenté de penser que: “research is by necessity experimental, as researchers construct an

‘apparatus’ of theoretical and methodological framing in order to produce particular results.” (Last, 2012, p. 706). Si l’expérience est caractéristique du travail de terrain, il importe de distinguer pour ne pas considérer que le terrain est donc nécessairement expérimental. Il s’agit alors de préciser les conditions à partir desquelles l’expérimentation se déploie, en sus de l’expérience ou au sein de l’expérience de terrain. En effet, il convient de se garder d’appréhender le terrain en sciences sociales selon le modèle de l’expérimentation qui consisterait

3 Selon la définition proposée par le TLF : « A. [L'expérience est un fait vécu] (…) B. [L'expérience est un fait observé] ».

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