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Le Banditisme rural en Algérie à la période coloniale (1871 - années 1920)

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Le Banditisme rural en Algérie à la période coloniale

(1871 - années 1920)

Antonin Plarier

To cite this version:

Antonin Plarier. Le Banditisme rural en Algérie à la période coloniale (1871 - années 1920). Histoire. Université Panthéon-Sorbonne - Paris I, 2019. Français. �NNT : 2019PA01H019�. �tel-02529019�

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THÈSE DE DOCTORAT

Présenté par

Antonin PLARIER

Spécialité : Histoire contemporaine

Le Banditisme rural en Algérie à la

période coloniale (1871 – années 1920)

Thèse dirigée par Sylvie Thénault, directrice de recherche au CNRS (Centre

d’Histoire Sociale des mondes contemporains)

Membres du jury :

Blais Hélène, professeure à l’ENS d’Ulm, présidente

Guignard Didier, chercheur CNRS à l’IREMAM

Lignereux Aurélien, professeur à l’IEP Grenoble, rapporteur

Sessions Jennifer, associate professor at University of Virginia

Siari Tengour Ouanassa, maîtresse de recherche HDR honoraire au CRASC

d’Oran, rapporteure

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Remerciements

Mes remerciements s’adressent en premier lieu à Sylvie Thénault, directrice de cette thèse. Ils sont d’autant plus agréables à exprimer qu’ils ne doivent rien aux conventions d’usage. Depuis la réalisation de mon mémoire de Master 1, et tout au long de ces dix années de cheminement intellectuel et scientifique, sa disponibilité et ses qualités d’écoute ont été constantes et précieuses. Si cette direction de recherche s’est traduite par un suivi attentif, exigeant et par suite on ne peut plus formateur, elle n’a jamais pris la forme d’une relation d’autorité ou alors de manière toute socratique.

Viennent ensuite mes camarades doctorants et doctorantes. Sans nos échanges de sources, nos confrontations d’analyses et nos palabres passionnées, ce travail n’aurait jamais été ce qu’il est aujourd’hui. Il doit beaucoup en particulier à Mélissa Biet, Nadia Biskri et Thierry Guillopé.

De la même manière, j’adresse ici mes remerciements aux nombreuses relectrices et nombreux relecteurs qui m’ont patiemment lu, conseillé, corrigé et encouragé avec une bienveillance rare. D’autres, dont les discussions aux ANOM, en séminaires ou autour d’un café, ont nourri mes réflexions. Je pense en particulier à Théo Bernard, Mélissa Biet, Nadia Biskri, Emmanuel Blanchard, Anne Carol, Simon Godard, Didier Guignard, Thierry Guillopé, Jean-Robert Henry, Joseph La Hausse, Marion Le Calvez, Félix Léger, Claire Marynower, Christian Phéline, Michel Pierre, Ouanassa Siari Tengour et Nessim Znaien. La construction de cette thèse fut à certains égards un moment d’élaboration collective. Et c’est tant mieux. Pour autant, des critiques ne sauraient en aucun cas leur être adressées pour ce travail. Les propos qui suivent n’engagent que moi.

Claire Marynower et Simon Godard n’ont pas seulement relu des chapitres de ce travail, ils ont pu en suivre les évolutions au cours de ces deux années passées à enseigner à l’IEP Grenoble. L’emploi du temps optimal qui m’a été accordé à l’IEP m’a permis de rédiger ce travail dans des conditions exceptionnelles. Au moment d’évoquer cette dimension professionnelle, ce sont aussi les étudiants et étudiantes de l’université Paris 1, de Mulhouse et de l’IEP Grenoble à qui j’ai eu la chance d’enseigner ces sept dernières années que je tiens à remercier. Grâce à eux, la recherche a cessé d’être l’exercice isolé qu’elle est parfois, pour devenir un moment d’échanges et de transmissions toujours alerte. Leurs questionnements et remarques m’ont considérablement aidé.

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Les personnels des archives, en particulier ceux des ANOM, ont été indispensables à la préparation de ce travail. Leur sollicitude à mes demandes de même que les échanges sérieux ou badins que nous avons eu au cours de ces années ont été précieux.

Les amis de Marseille et de Paris ont du péniblement supporter mes doutes mais aussi mes moments d’enthousiasme durant ces six dernières années. Sans eux, la sérénité et le contact avec le réel qui se perd parfois à l’université en auraient pris un coup. Reda a particulièrement compté et nos discussions depuis Montréal ont sûrement initié mes recherches sur l’Algérie.

Ma reconnaissance va aussi à ma famille de France et d’Equateur pour leurs soutiens. Les conditions de rédaction du début de ce travail de l’autre côté de l’Atlantique ont été particulièrement idéales. Mes parents m’ont appuyé tout au long de ces treize années d’études. Ce soutien n’a pas seulement été financier, ce qui, dans les conditions actuelles de la recherche, signifie déjà beaucoup, il fut avant tout un soutien moral autant qu’une confiance toujours renouvelée au long de ce parcours. Il n’a pas peu compté. Qu’ils en soient remerciés ici.

Emily a partagé ces années de vie sans lesquelles mes recherches n’auraient certainement pas eu de sens. Elles lui doivent tout.

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Sommaire

REMERCIEMENTS ... 3

INTRODUCTION ... 7

I. Le banditisme : des pièges sémantiques à déjouer pour aborder l’objet ... 10

II. Les bandits des représentations fascinées à l’objet d’histoire sociale ... 18

III. Les bandits ont la parole ? ... 33

IV. Saisir les bandits dans leurs environnements ... 41

PARTIE 1 :LE BANDITISME COMME REVELATEUR DES CONFLITS RURAUX ... 44

CHAPITRE 1 :LE BANDITISME, OBSTACLE ET REPONSE AUX FRONTS DE DEPOSSESSION ... 45

I. Sécurité et colonisation foncière : un diptyque mis à mal par le banditisme. ... 47

II. L'administration forestière : Tensions permanentes autour d'une autorité contestée. 74 CHAPITRE 2 :CONFLICTUALITE ET ILLEGALISMES RURAUX. ... 95

I. Criminalisation des droits d'usage, résistance des pratiques. ... 96

II. Charbonnage et coupe de bois : des illégalismes rémunérateurs ... 115

PARTIE 2:LE BANDIT, ACTEUR ET FIGURE DU MONDE RURAL ... 131

CHAPITRE 3 :VIVRE EN BANDIT ... 132

I. Esquisse anthropologique du banditisme ... 132

II. Comprendre le banditisme par ses cibles ... 155

III. Retourner l'humiliation, la déconstruction des autorités ... 167

CHAPITRE 4.TRAJECTOIRES, TERRITOIRES ET INTERACTIONS D’UN BANDITISME PLURIEL ... 184

I. Trajectoires d'entrée en banditisme ... 185

II. Une géographie du banditisme ... 207

III. L'ancrage rural à travers le rapport des bandits aux Européens. ... 223

CHAPITRE 5.LES REPRESENTATIONS COLONIALES DU BANDITISME ... 243

I. Le « bandit indigène » dans la littérature coloniale : entre orientalisme et sud-européanisme. ... 244

II. La construction du banditisme comme problème public : la décennie 1890 ... 264

PARTIE 3.TRAQUE ET REPRESSION DU BANDITISME : LES PROBLEMES POSES A L’AUTORITE COLONIALE ... 285

CHAPITRE 6.ÉTAT, BANDITS ET ORDRE INFORMATIONNEL ... 286

I. Isoler les bandits de leur environnement ... 286

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CHAPITRE 7.ÉCRASER LE BANDITISME : LA MISE EN SCENE DU MAINTIEN DE L'ORDRE

COLONIAL ... 320

I. Déployer la force coloniale sur des territoires contestés ... 320

II. Dédales, logiques et spectacle de la justice coloniale ... 338

III. Théâtralisation de la mise à mort... 358

CHAPITRE 8.ÉLOIGNER LES BANDITS : LA DIASPORA DES INDESIRABLES. ... 379

I. Des pénitenciers lointains et hiérarchisés où subsistent des lignes de fuite ... 380

II. Accommoder sa peine : les stratégies des condamnés face à l'institution du bagne 407 PARTIE 4.LA PREMIERE GUERRE MONDIALE OU L’APOGEE DU BANDITISME... 424

CHAPITRE 9.DESERTION, INSOUMISSION ET BANDITISME DURANT LA PREMIERE GUERRE MONDIALE ... 425

I. Insoumission et désertion : deux puissants facteurs de développement du banditisme 428 II. État et sociétés coloniales face au banditisme ... 447

III. Réprimer en temps de guerre ... 464

CHAPITRE 10.INSURRECTION ET BANDITISME ... 483

I. Le banditisme à la pointe : l’insurrection du Belezma en 1916 ... 483

II. La guerre totale : Un environnement favorable au banditisme ... 498

III. Le millefeuille de l'insubordination algérienne : Les formes d’une paupérisation des ruraux. ... 524

CONCLUSION GENERALE :LES BANDITS, LES PAYSANS ET L’ÉTAT ... 544

I. Le banditisme après-guerre : conjugaison des effets de la guerre et de l'environnement colonial ... 544

II. Les sèches années de l'après-guerre colonial ... 547

III. Inflexion de la répression du banditisme sous « l’empire du renseignement » ... 552

IV. Les motivations des bandits sont-elles discernables ? ... 557

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Introduction

Dimanche 1er juillet 2018, les images de l’évasion de Redoine Faïd à bord d’un hélicoptère

depuis la cour de la prison de Rennes font le tour des médias. Les chaînes de télévision s’emparent avec enthousiasme du sujet et la presse en fait sa une. Unanimement présenté comme un « bandit »1 , Redoine Faïd suscite des réactions contrastées mais le caractère

spectaculaire de son évasion force l’admiration de certains. L’actrice Béatrice Dalle écrit ainsi sur son compte instagram le 1er juillet au soir :

« Que Dieu te protège. Bravo Redoine Faïd, toute la France est avec toi, enfin moi en tout cas c’est sûr... Au revoir la pénitentiaire, au revoir... Bordel je vais danser le Mia pendant des heures pour fêter ça »2

En 1992, l’actrice jouait dans La Fille de l’air le rôle de Nadine Vaujour. Le film retraçait l’histoire d’une évasion similaire qui avait eu lieu quelques années plus tôt, en 1986. Michel Vaujour, braqueur récidiviste, avait été épiquement libéré de la prison de la Santé par son épouse, Nadine, à l’aide d’un hélicoptère qu’elle pilotait elle-même. Les images de Michel Vaujour suspendu à l’hélicoptère s’envolant au-dessus de la prison étaient si puissantes qu’elles inspiraient cette œuvre de fiction signée par Marwan Bagdoudi. L’actrice revivait peut-être ce film qui avait marqué le début de sa carrière. Devant les réactions hostiles qu’elle anticipait sur son commentaire, l’actrice concluait :

« Petite précision pour ceux qui n’aiment pas mon commentaire : et bien allez-vous faire foutre et donner vos leçons de morale ailleurs que sur mon compte... parce que moi personnellement vous me faites rigoler, vous ne m'agacez même pas Je danse le Mia »3

Quelques jours plus tard, le mercredi 18 juillet, je me rendais aux archives militaires à Vincennes pour vérifier d’ultimes données pour ce travail. Arrivé au vestiaire où les lecteurs sont priés de laisser leurs affaires avant d’entrer dans la salle de consultation, mon voisin, un homme âgé visiblement retraité, engagea la conversation en s’enquérant de mon sujet de

1 Voir par exemple SEELOW Soren, PIEL Simon, « Récit d’une nouvelle évasion spectaculaire du braqueur

Redoine Faïd », Le Monde, 2 juillet 2018. ANDRIEU Claire, « Redoine Faïd en cavale après son évasion en hélicoptère », https://rmc.bfmtv.com/emission/redoine-faid-en-cavale-apres-son-evasion-en-helicoptere-ce-que-l-on-sait-1481839.html, 2 juillet 2018, consulté le 16 juillet 2018.

2 DALLE, Béatrice, Bravo Redoine Faïd, Instagram, 1er juillet 2018,

www.instagram.com/dalle.beatrice/?hl=fr, consulté le 2 juillet 2018.

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recherche. A ma réponse, il rebondit immédiatement sur l’évasion de Redoine Faïd pour constater l’actualité de mon sujet. Il ajouta ensuite d’un air complice que mon espace de recherche était décidément bien choisi tant le banditisme était une « spécificité cultuelle ». Ce dernier commentaire me laissait sans voix. Le silence et la courtoisie qui caractérisent ordinairement les salles d’archives étaient brutalement interrompus par une réflexion où s’exprimait chez mon interlocuteur un racisme des plus confus et sans aucune pudeur. Il me laissait bégayant une réponse et monta en salle de lecture. Une belle journée d’archives commençait pour lui.

Ce fait divers et cette anecdote me laissèrent à mes réflexions sur les représentations rivées à mon objet d’études. L’actualité faisait réémerger, transformées mais toujours vivantes, des visions contrastées voire antagoniques où les conceptions morales et politiques des uns et des autres s’exprimaient sur ce fait social.

De l’autre côté de la Méditerranée, le banditisme est l’objet d’une forte production mémorielle, en particulier lorsqu’il s’ancre dans la période coloniale. Le dernier ouvrage publié sur cette thématique date d’avril 2018. Dans Promesse d’un bandit, Ahmed Gasmia campe son personnage de « bandit d’honneur » dans l’Algérie de la fin du XIXe siècle1.

L’auteur explique avoir voulu faire de son personnage principal un héros algérien positif. Il résumait son projet en affirmant que « si nous n’avons pas un héros bien de chez nous, nous

risquons de ne jamais avoir vraiment confiance en nous »2. Ahmed Gasmia s’inscrit ici dans

une longue et vivante tradition mémorielle qui a honoré quelques noms fameux du banditisme. Arezky L’Bachir, l’un des plus célèbres d’entre eux a fait l’objet de deux romans, rédigés par Tagmount Azzedine puis Younès Adli3 . Un film récent lui a également été

consacré, sorti en 20074. Des associations culturelles ainsi que le comité de village de Bou

Hini dont Arezky est originaire organisent par ailleurs régulièrement des commémorations en son honneur5.

Dans l’Aurès, Messaoud Ug Zelmat fait l’objet d’une fascination non moins vivace. Un

1 GASMIA Ahmed, Promesse de bandit, Tizi Ouzou, Éditions Franz Fanon, 2018, 200p.

2 GASMIA Ahmed, interviewé par KHARFI Sara, Reporters, 9 juin 2018.

http://www.reporters.dz/culture/item/97134-entretien-ahmed-gasmia-a-propos-de-son-roman-promesse-de- bandit-si-nous-n-avons-pas-de-heros-bien-de-chez-nous-nous-risquons-de-ne-jamais-avoir-vraiment-confiance-en-nous, consulté le 9 septembre 2018.

3 TAGMOUT Azedine, Arezki Oulbachir ou l'Itinéraire d'un juste, Alger, ENAL, 1984, 182 p. ADLI Younès,

Arezki L'Bachir, une histoire d'honneur, Alger, 2001, 223p.

4 BENDEDOUCHE Djamel (réalis.), Arezki l'indigène, Algérie / France, 2007, 90'. 5 Liberté Algérie, 8 mai 2005.

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téléfilm paru en 1984 sous le titre SNP Messaoud Benzelmat, a été réalisé à la gloire de ce personnage1. La même année, une bande dessinée s’en inspire interprétant l’action du bandit

comme les prémices de l’insurrection algérienne2. Fanny Colonna, dans son avant-dernier

ouvrage Le Meunier, les moines et le bandit, a aussi mis en valeur la mémoire toujours vive dont Messaoud Ug Zelmat est l’objet3 . En 2007 par exemple, un roman de Messaoud

Nedjahdi s’emparait de nouveau du sujet4.

Enfin, sans prendre prétexte d'un personnage historique précis, la littérature algérienne a trouvé dans le banditisme une source d’inspiration. Azzed Bounemeur inaugure le genre en 1983 en publiant dans la prestigieuse collection blanche de Gallimard un roman intitulé Les

Bandits de l'Atlas5 . Il est suivi en 1986 par Mohammed Nadhir Sebaa qui publie Des

Hommes sur les pistes évoquant la vie des « bandits d'honneur »6.

Les publications d'ordre mémoriel sur le banditisme en Algérie, tout en opérant une sélection drastique dans le choix des personnages valorisés, n'en sont pas moins nombreuses, et s’expriment jusqu’à aujourd’hui sur des supports variés. Elles révèlent tout l'intérêt encore porté à ces personnages. Comme tout objet de mémoire, celui-là fait l'objet d'une reconstruction contemporaine. La connotation péjorative du banditisme est significativement combattue par l'adjectif d'honneur qui lui est accolé. L’écrivain Younès Adli s’illustre dans cette bataille mémorielle en sous-titrant son ouvrage sur Arezky L’Bachir : « une histoire d'honneur ». Le terme de bandit disparaît de l'intitulé. De la même manière, le second ouvrage consacré au personnage s’intitule « Arezki Oulbachir ou

l'itinéraire d'un juste ». L’esthétique de l'écriture se dispute à l'héroïsme et à la noblesse sans

faille du personnage. Les notions d'éthique, de morale sont mises en exergue comme pour contrebalancer la conception négative que leurs auteurs perçoivent des actes de vol ou de banditisme dans leurs sociétés contemporaines. La réprobation de cette étiquette de voleur est forte dans toutes les productions mémorielles.

Cette reconstruction historique conduit à des interprétations qui, si elles peuvent avoir leurs propres logiques d'un point de vue artistique ou politique, n'en demeurent pas moins des raccourcis voire des contresens historiques. A ce sujet, l’un des éléments le plus frappant de

1 HELLAL Abderrazak, SNP Messaoud Benzelmat, Algérie, 1984, 90’.

2 BOUSLAH Mohammed, La Ballade du proscrit, Alger, Ateliers graphiques, 1984, 54 p.

3 COLONNA Fanny, Le Meunier, les moines et le bandit. Des vies quotidiennes dans l’Aurès, Arles, Actes Sud,

2010, 224p.

4 NEDJAHDI Messaoud, Ug Zelmad l’insoumis, Paris, Publibook, 2007, 196p. 5 BOUMENEUR Azzed, Les Bandits de l'Atlas, Paris, Gallimard, 1983, 192p.

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cette production mémorielle réside dans la transformation du banditisme en prélude de la lutte pour l'indépendance nationale. Mohammed Nadir Sebaa dans son récit Des Hommes

sur les pistes où est évoqué la figure d’Ug Zelmat affirme à propos des bandits qu'ils forment « l'avant garde de l'Armée de Libération Nationale qui s'organis[e] fiévreusement »1 .

L'auteur de l'ouvrage Arezki Oulbachir ou l’itinéraire d'un juste, n'est pas moins explicite sur l'ancrage national qu'il donne à son personnage. Il le présente comme un « représentant

du caractère national, une expression vivante des aspirations du peuple à la liberté, à la justice et à la dignité de notre nation contre la domination étrangère et la tyrannie interne »2.

Le réalisateur d'Arezki l'indigène interviewé dans la revue Azaru cinéma sur le sens de son projet cinématographique ne tient pas un discours différent. Son œuvre doit servir aux

« jeunes qui ont besoin de repères historiques de leur pays pour savoir qu'ils sont en fin de compte profondément Algériens »3. La production mémorielle sur le banditisme s'inscrit dans

une histoire nationale contemporaine qui cherche à construire une généalogie et à ancrer le sentiment national algérien dans la longue durée4.

Sans accorder une autonomie intégrale de la mémoire du banditisme vis-à-vis de l'histoire, il est évident que le contexte post-colonial de l'indépendance algérienne pèse dans cette vision des bandits. Leur rôle s’inscrirait dans une lutte « juste » corrélée à l’anticolonialisme dont l'ultime dénouement s'achèverait en 1962 et orienterait avant cela le cours de l'histoire ainsi que les préoccupations des acteurs historiques.

La question de l’écriture de l’histoire du banditisme rural dans une situation coloniale se trouve dès lors aux prises avec un faisceau d’enjeux politiques toujours actuels. Ces enjeux participent nécessairement au contexte d’écriture du présent travail. Avoir ces enjeux à l’esprit aide à les maintenir à distance pour rester au plus près des acteurs de l’histoire et s’approcher de leurs horizons, tout en sachant que les questions que l’on pose à l’histoire sont toujours conditionnées par le temps présent. Pour éviter toutefois d’être submergé par cette actualité, un travail de définition du vocabulaire s’impose, tant ce dernier est déjà partie prenante de l’interprétation du phénomène qu’il désigne.

I. Le banditisme : des pièges sémantiques à déjouer pour

1 SEBAA Mohammed Nadhir, Des Hommes sur les pistes, op. cit., cité par DEJEUX Jean, « Le Bandit

d'honneur en Algérie, de la réalité et de l'oralité à la fiction », Etudes et Documents Berbères, 4, 1988, p. 45.

2 TAGMOUNT Azzedine, Arezki Oulbachir ou l'itinéraire d'un juste, Alger, ENAL, 1984, p. 7. 3 BENDEDDOUCHE Djamel, interviewé par BELHABIB Farouk, Azaru cinéma, n°3, 2007, p. 23.

4 Le phénomène n’est évidemment pas propre à l’Algérie. Voir CITRON Suzanne, Le Mythe national, L'histoire

de France revisitée, Paris, Editions Ouvrières – Etudes et Documentation Internationales, 1987, 328p. HOBSBAWM Éric, Nations et Nationalismes depuis 1780, Paris, Gallimard, 1992 (trad. 1991), 371p.

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aborder l’objet

A. Le choix des mots

« Un individu qui se livre, seul ou en bande, à des attaques à main armée »1 : telle est la

définition que propose un dictionnaire actuel du terme de bandit. La définition révèle une certaine stabilité puisque le dictionnaire Furetière, le premier à définir le terme français en 1690 propose la définition suivante de « bandi : Exilé, voleur, assassin, qui court le pays à

main armée »2. La notion de violence exercée par un ou plusieurs individus y est centrale.

La définition, succincte, indique de manière implicite et négative l’origine de la violence qui, émanant d’un individu, n’est pas l’expression d’un État ou de ses représentants. La violence du bandit s’exerce en dehors de l’État qui doit en avoir, légitimement, le monopole3. Le rôle

de ce dernier dans la définition du bandit est incontournable.

Le terme est emprunté à l’italien bandire qui signifie « proclamer, proscrire »4. Au XVIe

siècle, bandito, participe-passé substantivé de bandire signifie « hors la loi » ou « banni »5.

Le bandit ne se définit donc qu’en rapport avec l’État qui le caractérise et décide de sa mise hors la loi. Giorgio Agamben, qui propose une étymologie différente du terme en voyant dans ban une racine germanique, n’en propose pas moins une interprétation similaire. Le

ban est la relation d’un individu au pouvoir souverain qui l’exclut6. Le terme de bandit se

répand largement en français au XIXe siècle, Flaubert ne s’y trompe pas qui voit dans le

banditisme « un mot gouvernemental »7.

Cette relation à l’État se retrouve en arabe dans la racine verbale nfu qui est relative à ce qui concerne l’exil. Elle a donné le terme kabyle d’imenfi qui signifie à la fois le proscrit ou le bandit8. Les termes utilisés de part et d’autre de la Méditerranée rappellent ainsi le rôle de

l’État dans la définition du bandit. Point de bandit sans État. La relation de l’un à l’autre est nécessaire. Le concept de bandits impériaux utilisé par Bradley Camp Davis pour désigner l’intégration de bandes dans l’appareil répressif d’État dans les confins nord du Viet Nam ne

1 Notice « Bandit », Larousse. https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/bandit/7831?q=Bandit#7791.

Consulté le 27 septembre 2018.

2 FURETIERE Antoine, Dictionnaire universel, contenant généralement tous les mots françois tant vieux que

modernes, et les termes de toutes les sciences et des arts, La Haye, A. et R. Leers, 1690, f°189.

3 WEBER Max, Le savant et la politique, Paris, La Découverte, 2003, 210p.

4 REY Alain, Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Le Robert, 2016, p. 1324. 5 REY Alain, Dictionnaire historique de la langue française, op. cit., p. 1324.

6 AGAMBEN Giorgio, Homo Sacer. Le pouvoir souverain et la vie nue, Paris, Le Seuil, 1997, p. 37. 7 FLAUBERT Gustave, Correspondance, Paris, Folio, 1997, p. 294.

8 LACOSTE-DUJARDIN Camille, « Du bandit comme faire valoir de la virilité socialisée, en Kabylie »,

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fonctionne donc pas pour l’Algérie1. L’État sur la période coloniale en Algérie eut à cœur de

ne pas déléguer de cette manière la gestion du maintien de l’ordre et opta pour une autre architecture administrative.

Le terme étant forgé par le pouvoir, on peut légitimement s’interroger sur la pertinence de son utilisation pour étudier le phénomène qu’il désigne. Tâcher de comprendre les individus désignés comme bandits en utilisant précisément un terme forgé pour les disqualifier recèle indéniablement des pièges. D’autres termes, comme celui de « rebelle » ou de « révolté » auraient pu lui être préférés. Toutefois, Éric Hobsbawm rappelle à juste titre que « ce que

nous appelons révolte et rébellion est [aussi] une catégorie inventée par ceux qui sont au pouvoir »2 . Le problème n’eut été que décalé sans être fondamentalement modifié. La

question qui se pose est en fait celle de la réappropriation du terme par les acteurs ou leurs contemporains. Cette réappropriation eut bien lieu. Au sein des sociétés rurales berbérophones par exemple, c’est bien par le terme d’imenfi que sont désignés, encore aujourd’hui, des individus comme Arezky L’Bachir ou Ahmed Oumeri. Ce terme est également employé dans certains contes kabyles recueillis à la fin du XIXe siècle, et, par un

retournement du stigmate, il peut très bien revêtir une connotation positive voire admirative3.

Cette appropriation du terme par les différents acteurs justifie son utilisation tout au long de ce travail en dépit des pièges sémantiques qu’il comporte indéniablement. Les guillemets auraient pu indiquer la conscience de ces pièges qu’une distance prise avec ses connotations évidentes. Néanmoins, ces éléments étant à présent clarifiés pour les lecteurs, ces précautions n’auraient fait qu’alourdir la lecture. Le terme de bandit apparaîtra sans guillemets dans la suite du texte.

Cette présentation sémantique du terme de bandit permet de proposer une première définition de cet objet, destinée à s’enrichir de questionnements problématiques au fil de cette étude. Le bandit est un individu poursuivi par l’État pour un acte condamnable du point de vue du droit. Cherchant à esquiver une condamnation probable ou effective, il vit littéralement hors-la-loi ce qui ne signifie certainement pas qu’il mène une existance en

1 CAMP DAVIS Bradley, Imperial Bandits: Outlands and Rebels in China Vietnam Borderlands, Seattle /

London, University of Washington Press, 2017, 266p. Ce processus d’intégration avait également été mis au jour pour l’histoire du banditisme en Chine par BILLINGSEY Phillip, Bandits in Republican China, Stanford, Stanford University Press, 1988, 375p.

2 HOBSBAWM Éric, interviewé par JARRIGE François et DELALANDE Nicolas le 29 avril 2009 paru dans

La Vie des Idées, 21 septembre 2009.

3 LACOSTE-DUJARDIN Camille, « Du bandit comme faire valoir de la virilité socialisée, en Kabylie », art.

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dehors de la société. Cette mise « hors de la loi » relève d’ailleurs historiquement d’une initiative de l’État et non de l’individu. Lors de la Révolution française, c’est bien l’État qui décide qu’un individu se met « hors de la loi » au sens où, par ses actes, il a perdu la protection de la loi et notamment de ses procédures criminelles1. Se maintenir hors de la loi

implique donc de cultiver une relation avec sa société. Cette relation peut mobiliser la violence, la multiplicité des crimes commis caractérisant alors le bandit, mais cette violence n’est qu’un des modes d’existence du bandit dans son milieu.

B. Des bandits sur le temps long

Si cette étude porte sur la période coloniale, le banditisme rural connaît néanmoins une histoire en amont. Hamdan ben Othman Khodja, notable algérois sous la Régence ottomane, mentionne dans son essai intitulé Le Miroir publié en 1833, « les attaques des voleurs »2

fréquentes dans les régions de montagne avant la conquête. La toponymie conserve d’ailleurs la marque non seulement du banditisme mais également du traitement qui lui est réservé par la Régence. A Alger, la porte sud de la ville appelée Bab Azoun est également connue d’après un diplomate français du XVIIIe siècle comme la porte des voleurs.

« La porte de Babazon eft au Midi. C’eft fur les remparts tout près de cette Porte, où l’on fait les exécutions. L’on y pend les malfaiteurs, & l’on y jette aux crocs qui font attachez à la muraille de diftance en diftance, les voleurs de grand chemin »3.

De même, s’appuyant dans les années 1840 sur un savoir vernaculaire, Ernest Carette et Auguste Warnier, membres de la commission scientifique d’Algérie, mentionnent sur leur carte de l’Algérie divisée par tribus le toponyme de « rocher des voleurs »4 situé dans la

région des Beni Salah à proximité de la frontière tunisienne5 . Le toponyme révèle

certainement un lieu propice aux embuscades perpétrés par des « bandits de grand chemin ». Au-delà de ces références en partie issues de la Régence, il ne faut par ailleurs pas perdre de vue le puissant imaginaire forgé dès le XVIIe siècle en Europe sur les corsaires barbaresques.

Dans sa préface à l’ouvrage du diplomate Laugier de Tassy, André Nouschi rappelle la

1 Décret du 19 mars 1793 cité par DE MARI Éric, La Mise hors de la loi sous la révolution française, 1793 –

an III, Paris, L.G.D.J., 2015, p. 94.

2 KHODJA Hamdan ben Othman, Aperçu historique et statistique sur la régence d'Alger, intitulé en arabe : "Le

Miroir", Paris, Impr. De Goestchy fils, 1833, p. 20.

3 LAUGIER DE TASSY Jacques Philippe, Histoire du royaume d’Alger : un diplomate français à Alger en

1724, Paris, Loysel, 1992 (rééd. 1725), p. 160.

4 CARETTE Ernest, WARNIER Auguste, Carte de l’Algérie divisée par tribus, 1846 [1 : 1 000 000e]. 5 Sur le « bon usage des savoirs vernaculaires » en Algérie au XIXe siècle, voir BLAIS, Hélène, Mirages de la

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terreur que suscitaient les barbaresques dès cette époque1. Chez Molière, Scapin

n’utilise-t-il pas cette menace pour faire céder l’avare Géronte ?

« Mon pauvre maître, peut-être que je ne te verrai de ma vie et qu’à l’heure que je parle on t’emmène esclave en Alger »2.

Paul Hazard rappelle la multitude des récits fantastiques produits sur ce sujet dans l’Europe du XVIIIe siècle.

« Des États barbaresques, continuaient d’arriver d’étonnants récits, aventures de mer, captivités, fuites et délivrances, amants séparés et retrouvés, martyrs et renégats on entrevoyait des pachas et des janissaires, de belles éplorées, prisonnières au sérail et des infidèles s’éprenant de leurs larmes, des garde-chiourmes et des galériens penchés sur des avirons, des missionnaires apportant à grand peine en doublons d’Espagne ou en écus de France, d’énormes rançons. Sans cesse répétées, sans cesse embellies, ces histoires plaisaient énormément »3.

Les récits sur les corsaires barbaresques jouent d’ailleurs un rôle dans le récit de légitimation de la conquête coloniale4 . La translation des représentations du banditisme sur mer à sa

forme terrestre ne nécessita guère d’adaptations. Ainsi, à l’aube de la conquête, le fait social du banditisme comme ses représentations les plus puissantes ont déjà leurs propres trajectoires historiques. L’antériorité du fait social à la colonisation, s’il ne remet pas en cause la pertinence d’un cadrage chronologique sur cette période, implique néanmoins de ne pas considérer le prisme colonial comme le seul prisme valable pour la compréhension du banditisme. Une histoire rurale et une histoire sociale doivent permettre d’embrasser la complexité du phénomène.

L’impact de la colonisation sur les sociétés rurales n’en est pas moins déterminant. De ce point de vue, la date de 1871 correspond non seulement à l’insurrection de Moqrani qui embrase une bonne partie de l’Algérie à l’est d’Alger mais aussi aux bouleversements

1 NOUSCHI André, « Préface », LAUGIER DE TASSY Jacques Philippe, Histoire du royaume d’Alger, op.

cit., p. IV.

2 MOLIERE, Les Fourberies de Scapin, Paris, P. Le Monnier, 1671, p. 78.

3 HAZARD Paul, La Crise de la conscience européenne, 1680 - 1715, Paris, Le Livre de Poche, 1994 (rééd.

1935), p. 251.

4 JULIEN Charles-André, Histoire de l’Algérie contemporaine. La conquête et les débuts de la colonisation,

1827 – 1871, Paris, Presses universitaires de France, 1964, pp. 21 – 63. PEAN Pierre, Main basse sur Alger, Paris, Plon, 2004, 271p. BUTI Gilbert, « Déclin de la stratégie corsaire et fin du corso en Méditerranée (XVIIIe

– XIXe siècle) » dans BUTI Gilbert, HRODEJ Philippe (dir.), Histoire des pirates et des corsaires, Paris,

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fonciers que sa répression suscite notamment via le séquestre des terres1 . Mohammed

Brahim Salhi souligne l’ampleur de l’insurrection recensant 350 combats impliquant 800 000 Algériens, plus du tiers de la population2. L’insurrection ébranle un temps l’ordre

colonial mais la mobilisation de six colonnes militaires, portant le total des soldats français à 86 000, vient à bout de l’insurrection après plusieurs mois de combats. Outre son importance sur le plan de l’histoire des résistances à la conquête et à la domination coloniale, cette insurrection de 1871 représente un moment charnière, ouvrant la voie, par l’application des mesures de séquestre individuel et collectif, à une vaste redistribution des terres en faveur de la colonisation.

L’histoire du banditisme s’ancre dans cette rupture classique dans l’historiographie sur l’Algérie. Charles-André Julien et Charles-Robert Ageron l’avaient retenu comme une ligne de partage qui délimita leurs sommes respectives sur l’Algérie à la période coloniale. En effet, à cette date, les régions frappées par le séquestre sont profondément bouleversées. La répression a engendré son lot de violences et de brutalités difficilement chiffrables mais elle a aussi entraîné la mise sous séquestre de 446 606 ha de terre. Une indemnité de guerre est quant à elle fixée à 36 millions de francs3. Le banditisme s’ancre à partir de 1871 dans un

contexte où il est simultanément le produit d’une paupérisation rapide des sociétés rurales mais aussi d’une médiatisation accrue liée au développement de la présence coloniale sur l’ensemble de l’Algérie septentrionale.

Pour l’ouest algérien toutefois, la date de 1871 revêt une signification moindre même si les indemnités de guerre perçues à l’est servirent ici à exproprier des paysans algériens afin d’installer sur leurs terres des centres de colonisation4. 1871 a ainsi une signification sur

l’ensemble des territoires sous domination française. Toutefois, pour l’ouest algérien le caractère moins décisif de cette date m’a amené à faire des incursions dans les années 1860 puisque la présence coloniale plus précoce rend plus rapidement visible l’existence de bandes.

La borne finale de ce travail, moins tranchée, s’inscrit dans le decrescendo d’une vague

1 AGERON Charles-Robert, Les Algériens musulmans et la France 1871 – 1919, Paris, Bouchène, 2005 (rééd.

1968), pp. 3 – 36. HACHI Idir, Histoire sociale de l’insurrection de 1871 et du procès de ses chefs, Thèse de doctorat d’histoire, sous la direction de Ghislaine Alleaume, Aix-Marseille Université, 2017, 448p.

2 SALHI Mohammed Brahim, « L’insurrection de 1871 », BOUCHÈNE Abderrahmane, PEYROULOU

Jean-Pierre, SIARI TENGOUR Ouanassa, THENAULT Sylvie (dir.), Histoire de l’Algérie à la période coloniale. 1830 – 1962, Alger / Paris, Barzakh / La Découverte, 2012, p. 103.

3 JALLA Bertrand, « L'autorité judiciaire dans la répression de l’insurrection de 1871 en Algérie », Outre-mers,

tome 88, n°332-333, 2001, p. 393.

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lancée par la Première Guerre mondiale. Le début de cette guerre marque une césure dans la chronologie du banditisme. Le refus de la mobilisation alimente en effet un phénomène dont l’ampleur est inédite par rapport à la période qui précède. Si les bandits avaient pu naître des décombres des insurrections ratées avant-guerre, ils jouent pendant le conflit un rôle qui leur confère un nouveau poids politique. Le terme de brigand, utilisé parfois comme synonyme de bandit, est d’ailleurs étymologiquement lié à la guerre et témoigne des rapports historiques entretenus entre les deux phénomènes. Venant de l’italien briga, « le mot a

d’abord désigné, jusqu’à la fin du XIVe, le soldat à pied faisant partie d’une compagnie »1.

Les pillages perpétrés par les soldats au cours de la guerre de Cent Ans font évoluer la sémantique de ce terme qui acquiert alors un sens similaire à celui de bandit2. Les guerres,

comme moments mettant en péril les États qui les mènent, sont des moments privilégiés pour le banditisme. Elles facilitent la circulation des armes, posent en de nouveaux termes la question de l’obéissance à l’État et créent des circonstances favorables à l’essor du banditisme. De fait, l’extension du phénomène en Algérie tant sur le plan géographique que numérique est un élément caractéristique de la Première Guerre mondiale. Déserteurs et insoumis alimentent et structurent des bandes nombreuses. Le phénomène ne s’arrête d’ailleurs pas avec l’armistice du 11 novembre. Les réfractaires à la mobilisation, toujours poursuivis, demeurent dans l’illégalité. En 1923, les bandes subsistant de la Première Guerre mondiale s’étiolent définitivement et tombent sous les coups de diverses campagnes militaires. Si le phénomène persiste, il se transforme néanmoins avec l’apparition du nationalisme justifiant ainsi de s’arrêter aux années 1920. Cette transformation justifierait un autre sujet et, conséquemment, d’autres recherches.

C. Les bandits au cœur des sociétés rurales

Evaluer en termes quantitatifs l’ampleur du banditisme relève d’une gageure. S’il est possible de lire entre les lignes des archives de l’administration coloniale comme le suggère Ranajit Guha3, il est plus difficile d’évaluer la fiabilité des tableaux réalisant annuellement

des bilans chiffrés de ladite criminalité à partir des années 1880. Il est par exemple difficile de croire sur parole le procureur général d’Alger lorsqu’il suggère la présence de 906 bandits en Kabylie au début des années 18904. Ce chiffre révèle une angoisse sociale forte, prégnante

1 REY Alain, Dictionnaire historique de la langue française, op. cit., p. 2028.

2 TOUREILLE Valérie, Vol et brigandage au Moyen Âge, Paris, Presses universitaires de France, 2006, p. 44.

GARNOT Benoît, Être brigand du Moyen Âge à nos jours, Paris, Armand Colin, 2013, p. 9.

3 GUHA Ranajit, Elementary Aspects of Peasant Insurgency in Colonial India, London and Durham, Duke

University Press, 1999, p. 333.

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y compris dans l’administration coloniale mais n’est d’aucune utilité pour l’évaluation numérique du phénomène et n’aide pas non plus à sa compréhension.

Sommes-nous pour autant condamnés à ne pouvoir cerner l’importance du banditisme ? Plutôt qu’une approche en termes numériques, je suggère qu’une approche en termes de présence territoriale, tout en étant plus prudente et moins illusoire, n’en est pas moins pertinente pour cerner l’importance du phénomène social. De ce point de vue, des bandes, car rares sont les bandits à agir seuls, existent sur le territoire tout au long de notre période. Ces groupes à géométrie variable, allant de quelques individus à quelques dizaines d’individus dans des circonstances exceptionnelles, rythment les rapports des administrateurs, peuplent les cours d’assises ou les conseils de guerre et surtout, animent les territoires desquels ils émergent et au sein desquels ils vivent. Leur géographie est dispersée et si les zones de montagne, conformément aux topos littéraires, constituent des territoires privilégiés, les territoires de plaine font également l’objet d’incursions1.

Lorsqu’ils apparaissent, les bandits constituent-ils un phénomène marginal ? Certains historiens ont cherché à le situer ainsi à l’instar de Richard W. Slatta pour qui « les bandits

opèrent habituellement à l’ombre, souvent aux marges de la société, dans des régions géographiquement isolées »2. De même, lors d’un fameux colloque des années 1970 c’est à

partir de la problématique de la marginalité qu’était analysé le banditisme3. Cette notion de

marge servait alors l’intention de renverser des perspectives historiographiques en déplaçant le regard, des grands hommes vers une multitude qualifiée de marge. Dans ce colloque, on trouvait par exemple une contribution de Jacques Pouchepadass sur les thugs en Inde qui hantèrent les représentations du crime dans l’Empire britannique et une autre d’Elise Marienstrass sur la place des Amérindiens dans la nation américaine4. Si ces deux objets se

situaient bien aux marges d’un récit historique national pris en référence, ils n’ont en revanche rien de marginal dès lors qu’on abandonne ce référent. Autrement dit, Ghulam Hussain arrêté en 1810 à Etawah en Inde et suspecté d’être membre de la « secte criminelle » des thugs, ne se voyait certainement pas comme un marginal5. Ses amis, sa famille, son

1 Le phénomène est ici simplement situé, il fera l’objet d’un traitement détaillé. Voir infra, chapitre 4, II. 2 SLATTA Richard W., « Eric J. Hobsbawm’s Social Bandit: A Critique and Revision », A contracorriente :

Revista de Historia sociale y Literatura en America latina, vol. 1, n° 2, 2004, pp. 22 – 30.

3 Les Marginaux et les exclus dans l’histoire, Paris, Union générale d’éditions, 1979, 403p.

4 POUCHEPADASS Jacques, « Délinquance de fonction et normalisation coloniale. Les Thugs dans l’Inde

britannique », Les Marginaux et les exclus… op. cit., pp. 122 – 154. MARIENSTRASS, Elise, « Les Amérindiens aux États-Unis, marginaux de la nation américaine », Ibid., p. 155 – 179.

5 WAGNER Kim A., Thuggee. Banditry and the British in Early Nineteenth Century India, Londres, Macmillan,

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village en un mot la société rurale dans laquelle il évoluait ne le considérait pas non plus de cette manière.

Cette thèse cherche précisément à démontrer que le banditisme n’est pas un phénomène des marges mais un phénomène situé au cœur des sociétés rurales. Emergeant essentiellement de dynamiques rurales à l’œuvre sous la colonisation, il ne peut se comprendre autrement qu’en lien avec celles-ci. Une multitude de relations, d’affects et d’intérêts relient le hors-la-loi à la société qui l’a vu naître. Sans préjuger du caractère de ces relations, elles sont incontournables pour restituer le banditisme qui n’est en rien un isolat évoluant hors-société. Un paradoxe émerge alors dans la problématisation de ce travail que le philosophe Giorgio Agamben peut aider à mettre en forme :

« Précisément en ce qu'il [le bandit] est exposé à chaque instant à une menace inconditionnée de mort, il est perpétuellement en rapport avec le pouvoir qui l'a banni. […] il doit à tout moment en tenir compte, trouver le moyen de l'éviter et de le tromper. En ce sens, comme le savent les exilés et les bandits, aucune vie n'est plus « politique » que la sienne »1.

Si l’État déchoit le bandit de toute position légale, il contribue par là même à le mettre dans une posture de contestation politique2 . Autrement dit, si l’État cherche à délégitimer un

comportement qu’il perçoit comme contrevenant à son ordre, il n’en contribue pas moins par là à qualifier, même comme fauteurs de troubles, des comportements qui ne se perçoivent pas nécessairement comme tels initialement. C’est dans la répétition des illégalismes que se dessinent une contestation, chemin initiatique de nombreux bandits. Les contours, les contenus et les modalités d’expression éventuels de cette contestation font partie des interrogations qui m’ont guidées durant ces années de recherche.

II. Les bandits, des représentations fascinées à l’objet

d’histoire sociale

Les représentations du banditisme ont été particulièrement investies pour l’espace français du XIXe siècle. Dominique Kalifa en particulier a décrypté l’univers du crime dans ses

représentations les plus vivantes, l’encre et le sang se confondant pour forger l’imaginaire des bas-fonds3. Le fait-divers du crime et sa représentation journalistique ou fictionnelle se

1 AGAMBEN Giorgio, Homo Sacer… op. cit., pp. 197, 198.

2 DE MARI Éric, La mise hors de la loi…, op. cit., pp. 31 et suivantes.

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mêlent, structurant un siècle marqué par une « obsession propriétaire »1 . Récemment,

Frédéric Chauvaud et Arnaud-Dominique Houtte ont également coordonné un ouvrage intitulé Au Voleur ! Imaginaires et représentations du vol dans la France contemporaine issu d’un colloque tenu à l’université Paris 12. L’attention portée aux discours sur le vol, le crime

ou le banditisme restitue la force d’une peur sociale prégnante au XIXe siècle et plus

particulièrement encore à la Belle Epoque3.

Cette peur sociale se retrouve sans aucun doute dans l’Algérie coloniale. Les discours sur le vol et le banditisme en général imprègnent la sphère publique et induisent conséquemment un biais dans les sources dont l’historien dispose pour écrire l’histoire du phénomène. L’Algérie coloniale comme la France métropolitaine partagent cette angoisse du vol mêlée en Algérie à une « anxiété épistémique »4 de « l’indigène », là où domine en métropole la

peur des « barbares […] qui peuplent les faubourgs de nos villes manufacturières »5, figure

bientôt remplacée par celle du travailleur immigré6. Si les acteurs et leur environnement se

transforment, le discours public sur la criminalité demeure omniprésent dans les deux situations. Ce discours public présente ses propres scansions et, s’il ne disparaît jamais tout à fait, il connaît néanmoins des moments d’emballement dont les crises des années 1890 témoignent7.

Que dire des pratiques en elles-mêmes en dépit des biais trompeurs et des écueils évidents qui jettent leurs ombres sur les sources pour qui veut appréhender le phénomène social ? Cette question tranchée a suscité une intense polémique historiographique depuis l’ouverture de ce champ de recherche par les travaux pionniers d’Eric Hobsbawm.

A. Hobsbawm et Les Bandits : Dette et critiques

Les travaux d’Eric Hobsbawm ont sans aucun doute alimenté le projet de cette thèse et ont permis un premier questionnement sur des fragments d’archives aperçus lors de mon travail

351p. Du même auteur, Les Bas-Fonds. Histoire d’un imaginaire, Paris, Seuil, 2013, 416p.

1 PERROT Michelle, « Délinquance et système pénitentiaire en France au XIXe siècle », Annales, n° 30 – 1,

1975, p. 75.

2 CHAUVAUD Frédéric, HOUTE Arnaud-Dominique, Au Voleur ! Imaginaires et représentations du vol dans

la France contemporaine, Paris, Editions de la Sorbonne, 2014, 323p.

3 CHAUVAUD Frédéric (dir.), L’ennemie intime. La peur : perceptions, expressions, effets, Rennes, Presses

universitaires de Rennes, 2011, 285p.

4 STOLER Ann Laura, Along the Archival Grain. Epistemic Anxieties and Colonial Common Sense, Princeton,

Princeton University Press, 2009, 314p.

5 Journal des débats, 8 décembre 1831.

6 Généalogie proposée par NOIRIEL Gérard, « L’immigration : naissance d’un problème 1881 – 1883 », Revue

Agone, Histoire, Politique et Sociologie, n°40, 2008, pp. 15 – 40.

7 GUIGNARD Didier, « Les crises en trompe l'œil de l'Algérie française des années 1890 » dans BOUCHÈNE

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de Master portant sur les camps de regroupement1. Les archives du sous-préfet de Batna, à

compter du début des années 1950, mentionnaient des « bandits »2 qui auraient rejoint et

composé les rangs de l’Armée de Libération Nationale (ALN) dans les premiers moments de son existence. La décision de regrouper les populations de l’Aurès au tout début de la guerre était justifiée dans ces documents par cet entremêlement des bandits, et de leur parfaite connaissance du terrain, avec l’ALN. La lecture fortuite d’Eric Hobsbawm peu de temps après la découverte de ces archives initiait une réflexion qui déboucha sur mon projet de thèse. Ma dette envers ses travaux pionniers est donc considérable. Elle implique simultanément un nécessaire examen du concept de « bandit social » tel qu’Hobsbawm l’a présenté et de l’intense débat historiographique qui s’en est suivi.

En 1959, l’historien marxiste consacrait un premier chapitre aux « bandits sociaux » dans son ouvrage intitulé Les Primitifs de la révolte dans l’Europe moderne3. Ce chapitre fut

complété dix ans plus tard par un ouvrage demeuré phare dans les études sur le banditisme efficacement intitulé Bandits4. Eric Hobsbawm y développait le concept de « bandit social ».

Il l’adossait explicitement au mythe de Robin des Bois « qui prenait au riche pour donner

au pauvre sans jamais tuer sauf en cas de légitime défense ou pour exercer une juste vengeance »5 . Ses travaux inspirèrent directement un champ d’études foisonnant se

déployant sur une multitude d’espaces6. Son concept clef, celui de « bandit social » n’en

suscita pas moins d’emblée des critiques portant sur deux plans distincts et fondamentaux : le rapport aux sources et l’interprétation même du banditisme dans sa qualification de social.

1 PLARIER Antonin, Regroupements et administration, les premières sections administratives spécialisées

(SAS) dans la guerre d’indépendance algérienne, Mémoire de master d’histoire contemporaine, sous la direction de Sylvie Thénault et Pascale Barthélémy, ENS Lyon, 2010, 155p.

2 Rapport de la sous-préfecture de Batna, 18 mars 1953, Fondation Nationale des Sciences Politiques, LE1 –

DR6.

3 HOBSBAWM Eric J., Les Primitifs de la révolte dans l’Europe moderne, Paris, Fayard, 2012 (trad. 1959),

pp. 40 – 62.

4 HOBSBAWM Eric J., Les Bandits, Paris, Zone, 2008 (trad. 1969), 216p. 5 HOBSBAWM Eric J., Les Primitifs de la révolte…, op. cit., p. 40.

6 La bibliographie propose une entrée sur le banditisme. On peut citer parmi les plus importants travaux inspirés

par Hobsbawm, y compris de manière critique : BILLINGSEY Phillip, Bandits in Republican China, Stanford, Stanford University Press, 1988, 375p. CHESNEAUX Jean, Le Mouvement paysan chinois : 1840 - 1949, Paris, Le Seuil, 1976, 189p. BOON KHENG Cheah, « Hobsbawm’s social banditry, myth and historical reality : a case in the Malaysian State of Kedah », Bulletin of Concerned Asian Scholars, vol. 17/4, 1985, pp. 34-50. SLATTA Richard W. (dir.), Bandidos: The Varieties of Latin American Banditry, New York, Greenwood Press, 1987, 218p. SINGELMANN Patrick, « Political structure and social banditry in Northeast Brazil », Journal of Latin American Studies, n° 7/1, 1975, p. 59-83. KATZ Friedrich, The Life and Time of Pancho Villa, Stanford, Stanford University Press, 1998, 1004p. « Dimensions de la révolte primitive en Europe centrale et orientale », Questions et Débats sur l’Europe centrale et orientale, n° 4, décembre 1985, pp. 85-135. WHITE Richard, « Outlaw gangs of the Middle American Border: American social bandits », Western Historical Quarterly, 12 oct. 1981, pp. 387-408.

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Le rapport aux sources orales ou folkloriques a été au cœur d’une première salve de critiques portée notamment par Anton Blok1 . Ce dernier, anthropologue, estimait que l’étude du

banditisme devait se détacher des représentations pour se concentrer sur les pratiques. Les traditions orales, trop sujettes à reconstructions, produisaient une vision idéalisée du bandit sans lien avec son activité concrète. Hobsbawm, en s’appuyant sur ces sources, avait élaboré un idéal-type sans prise sur le réel. Anton Blok, à partir de ses recherches sur les bandits siciliens, attribuait à ces derniers un positionnement beaucoup plus ambivalent vis-à-vis de la paysannerie et estimait que les bandits avaient en réalité davantage d’accointances, d’accords et d’échanges avec les élites dont ils cherchaient la protection qu’avec les paysans pauvres siciliens. Finalement, loin de l’image de Robin des Bois, les bandits se transformaient ici en auxiliaires des dominants. Hobsbawm, tout en contestant ces conclusions diamétralement opposées aux siennes, admit volontiers la critique portant sur le recours « aux ballades et aux récits […] pour saisir la nature du bandit social »2. Dès la

réédition de Bandits en 1981, Hobsbawm tâchait de la prendre en considération dans la réécriture de son ouvrage3.

Toutefois, en amont du rapport aux sources et de l’interprétation proposée du phénomène de banditisme, l’interrogation centrale vis-à-vis du travail d’Hobsbawm tient peut-être à la dé-finition de son objet. Tout en reconnaissant une dette vis-à-vis de l’auteur, il faut bien ad-mettre que la manière dont j’ai cherché à délimiter mon objet de recherche n’obéit pas aux mêmes critères que ceux d’Hobsbawm. Trop sélectifs, ceux-ci le conduisent à isoler le bandit social parmi les bandits en général. Dans un chapitre ajouté à l’ultime version de son ou-vrage, Hobsbawm précisait les démarcations de ce concept :

« Quant à nous, nous n’étudierons dans ce livre que certaines catégories de brigands, à savoir ceux qui ne sont pas considérés par l’opinion publique comme de simples criminels […] Ce qu’il faut bien voir à propos du bandit social, c’est que c’est un paysan hors-la-loi que le seigneur et l’État considèrent comme un criminel, mais qui demeure à l’intérieur de la société paysanne, laquelle voit en lui un héros, un champion, un vengeur, un justicier, peut-être même un libérateur et, en tout cas, un homme qu’il convient d’admirer, d’aider et de soutenir »4.

1 BLOK Anton, “The Peasant and the Brigand: Social Banditry Reconsidered”, Comparative Studies in Society

and History, vol.14, n° 4, 1972, pp.494-503.

2 HOBSBAWM Eric, Les Bandits, op. cit, p. 7.

3 HOBSBAWM Eric, Bandits, New York, Pantheon Books, 1981, 219p. 4 HOBSBAWM Eric, Les Bandits, op. cit., p. 29.

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Cette phrase de délimitation de son objet pose deux problèmes distincts. Premièrement, il paraît arbitraire d’opérer une sélection et de rejeter purement et simplement les « simples

criminels »1 d’une étude portant sur le banditisme. Et d’ailleurs, qu’est-ce que la simple cri-minalité ? Sur quels critères établir une distinction entre simples criminels et bandits so-ciaux ? La réponse d’Hobsbawm à cette question est donnée dans la deuxième phrase de la citation. Être un bandit social nécessite d’être condamné par l’État mais de bénéficier simul-tanément d’une reconnaissance sociale valorisante au sein de son environnement. Si le pre-mier critère est indiscutable, le second introduit un biais trop important dans la délimitation de l’objet « bandit ». D’une part, cette reconnaissance n’est pas toujours évaluable. Le ré-pertoire populaire disponible (poésies, chants, contes) est à la fois restreint et, de l’aveu même d’Hobsbawm, difficile à manier en raison des nombreuses reconstitutions possibles opérées a posteriori2. Hobsbawm réintroduit en fait dans sa définition une dimension morale

qui n’est pas sans faire écho à la notion de bandit d’honneur et, par extension, au culturalisme que cette notion peut impliquer pour certains espaces. Les études méditerranéennes, par exemple, ont mis en exergue la notion d’honneur pour expliquer un banditisme qui serait spécifique à cette région3. Les termes de « vengeur » et de « justicier » utilisés par Hobs-bawm pour désigner la perception positive des bandits ne sont pas sans rencontrer de réson-nance avec la notion d’honneur même si Hobsbawm ne lui donne pas le contenu d’une mo-rale familiale rigide et genrée à laquelle cette notion peut renvoyer parfois.

Le pari de cette étude est de saisir la relation du bandit à son environnement dans toute la variété des situations possibles et non seulement dans les situations où cette relation est po-sitivement perçue. Certes, on le verra, les bandits étudiés dans ce travail bénéficient généra-lement d’un soutien de leur milieu. Cependant, il n’y a aucune raison de limiter a priori l’objet étudié à ce critère qui rend d’ailleurs presque tautologique la définition de bandit social. En faisant rentrer dans son objet d’étude les seuls cas correspondant à une définition fixée a priori, on ne prend guère de risque d’être falsifié puisque les cas ne correspondant pas à ce critère sont automatiquement évacués. Dans la première version de son travail en 1959, Hobsbawm avançait un projet de recherche presque caricatural de ce point de vue. Il définissait alors Robin des bois comme un « idéal » et se proposait d’étudier le seul « type

de banditisme social assez proche de [cet] idéal »4.

1 Ibid.

2 HOBSBAWM Eric, Les Bandits, op. cit., p. 7. 3 Voir infra, chapitre 4. I. 3.

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B. Rechercher l’historicité des bandits ruraux

Plutôt qu’une approche en termes d’idéal-type, ce travail cherche plutôt à restituer l’historicité des individus étudiés dans une histoire à hauteur d’êtres humains. Pour reprendre la définition proposée par Michèle Riot-Sarcey, « restituer l’historicité d’un évènement, d’un

discours ou d’une pratique ou encore d’une référence au passé signifie rendre compte au plus près du réel, du sens des mots employés, des compréhensions du moment, des significations parlantes à d’autres interlocuteurs aussi minoritaires soient-ils. […] Penser l’historicité c’est rendre à tout sujet historique, même éphémère, la puissance d’action et de parole qui fut la sienne »1.

Si la parole des bandits est difficilement accessible, restituer l’historicité des bandits passe par une analyse au plus près de leurs pratiques qui font l’objet de la première partie de cette thèse. Cette approche rejoint d’autres critiques des travaux d’Hobsbawm qui, au sein du courant marxiste, virent dans le terme de « primitifs de la révolte » employé par Hobsbawm un caractère téléologique consistant à voir dans ces formes de contestation un préambule aux luttes révolutionnaires modernes. Les actes épiques des bandits seraient alors autant nécessaires que voués à l’échec avant l’apparition de la classe ouvrière moderne. Dans son introduction aux Primitifs de la révolte, dont le titre est déjà suggestif, Hobsbawm parle significativement de « populations prépolitiques »2. Edward Palmer Thompson formula une

fructueuse critique en ce sens, partiellement reprise par Ranajit Guha quelques années plus tard3.

Comme E. P. Thompson chercha à sauver « de l’immense condescendance de la postérité le

pauvre tricoteur sur métier, le tondeur de draps luddite, le tisserand […] »4, de la même

manière, j’ai adopté cette démarche vis-à-vis des bandits. Cette étude ne s’intéresse donc pas aux seuls « bandits d’honneur » que les représentations contemporaines puis la mémoire ont fait accéder à un statut héroïque. Elle s’intéresse également à ceux que la mémoire a oublié et que les contemporains n’ont pas loué dans un répertoire populaire à moins que ce dernier n’ait été perdu. Ceux que Sanjay Subrahmanyam décrit dans son article sur les « bandits à

Pondichéry » comme des « pauvres types » ou encore de « piètres personnages »5 ont droit

1 RIOT-SARCEY Michèle, « Marx et l'expérience singulière de 1848 », Cités, 2014/3, n°59, p. 77. 2 HOBSBAWM Eric, Les Primitifs de la révolte, op. cit., p. 23.

3 GUHA Ranajit, Elementary Aspects of Peasant Insurgency in Colonial India, Durham / Londres, Duke

University Press, 1999 (rééd. 1983), p. 7.

4 THOMPSON Edward P., La Formation de la classe ouvrière anglaise, Paris, Le Seuil, 2012 (rééd. 1963),

p. 19.

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à l’empathie, sans que cette empathie ne signifie idéalisation. L’étude de cette « criminalité

sociale »1 cherche à donner une place dans l’histoire à ceux que l’État cherchait à nier

lorsqu’ils protestaient par leurs gestes troubles contre une remise en cause de leurs droits coutumiers.

Cette histoire du banditisme s’inscrit bien dans une histoire rurale où les crimes et délits ont une signification politique, ou « infrapolitique »2 pour reprendre les termes de James C.

Scott, que seul un éclairage prenant en compte l’environnement quotidien desdits bandits permet de saisir. A cet égard, ce travail est encore redevable aux travaux pionniers d’E. P. Thompson et particulièrement de Whigs and Hunters récemment traduit en français et présenté par Philippe Minard3. L’analyse des coutumes en territoire forestier comme « un

patrimoine des pauvres en danger »4 offre une problématique stimulante appliquée au terrain

algérien de la fin du XIXe siècle alors que s’y développe l’appareil des Eaux et Forêts. Cette

analyse fondatrice d’E.P. Thompson inspira à un degré ou à un autre d’autres recherches. Jean-François Soulet par exemple analyse la révolte des Demoiselles comme étant indissociable d’une « société en dissidence »5 face à l’application d’un code forestier

remettant brutalement en cause les droits d’usage. Avant la naissance de l’histoire environnementale comme champ historiographique à part entière, Andrée Corvol proposait déjà de riches études sur les forêts françaises dans lesquelles les conflictualités faisaient l’objet d’une attention particulière6. Ces études furent prolongées par Martine Chalvet dans

une synthèse récente7. La thèse de cette dernière portant en partie sur le terrain algérien

fournit un premier cadre d’interprétation des conflits forestiers8 . Sur ce même terrain,

l’ouvrage de Diana K. Davis est à présent incontournable même s’il porte davantage sur l’étude des discours forestiers que sur les pratiques9. L’histoire environnementale telle que

JORLAND Gérard, KLAPISCH-ZUBER Christiane (dir.), Le corps, la famille et l’État : Hommage à André Burguière, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2010, p. 299.

1 HOBSBAWM Eric, « Social criminality. Distinctions between socio-political and other forms of crime”,

Sociéty for the Study of Labour History. Bulletin, XXV, 1972, pp. 5, 6.

2 SCOTT James C. « Infra-politique des groupes subalternes », Vacarme, vol. 36, n° 3, 2006, pp. 25-29. 3 THOMPSON Edward P., Whigs and Hunters, Londres, Allen Lane, 1975, 336p. La traduction française en

propose une version abrégée. THOMPSON, Edward P., La Guerre des forêts, Paris, La Découverte, 2014, 198p.

4 MINARD Philippe, « Les dures lois de la chasse », La Guerre des forêts, Paris, La Découverte, 2014, p. 134. 5 SOULET Jean-François, Les Pyrénées au XIXe siècle. Une Société en dissidence, Toulouse, Eche, 1987, 480p. 6 CORVOL Andrée, L’Homme aux bois. Histoire des relations de l’homme et de la forêt, XVIIe – XXe siècle,

Paris, Fayard, 1987, 588p.

7 CHALVET Martine, Une Histoire de la forêt, Paris, Le Seuil, 2011, 368p.

8 CHALVET Martine, L'Invention de la Forêt méditerranéenne du XVIIIe aux années 1960, Thèse de doctorat

d'Histoire, sous la direction de Raoul Ilbert, Université de Provence, 2000, 3 volumes, 444 f°, 152 f° et 111 f°

9 DAVIS Diana K., Les Mythes environnementaux de la colonisation du Maghreb, Seyssel, Champ Vallon,

Figure

Illustration 1 : Description des environs de Batna par le conservateur Henri Marc
Figure 1 : Evolution des effectifs des Eaux et Forêts de 1872 à 1886
Figure 2 : Organisation du service forestier en Algérie
Figure 3 : Tableau  comparatif des périmètres  couverts par les différentes unités des  Eaux et Forêts en Algérie et en France métropolitaine en 1913
+3

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