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Esquisse anthropologique du banditisme

A. Aux antipodes des marges, le bandit au centre du monde

rural

1. Les bandits, reclus ou ruraux ?

« Les grandes forêts, les montagnes abruptes, les ravins formés sont autant d'abris où ils [les bandits] peuvent [se] cacher »2 . Les descriptions du banditisme insistent sur son

caractère isolé. Le banditisme se conçoit dans les rapports administratifs à travers le champ lexical des caches, refuges et autres lieux inaccessibles aux autorités. « Prendre la forêt » est

1 KILANI Mondher, Introduction à l’anthropologie, Lausanne, Payot, 1992, p. 33.

2 Administrateur de la commune mixte des Beni Salah, Rapport sur la tournée effectuée aux Beni Salah à la

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l'expression consacrée qui se retrouve régulièrement sous la plume des administrateurs,

« Saïd ou Iddir, […] auteur de l’assassinat du président du douar Zerkfaouas, a pris la forêt le 19 octobre 1893 »1. « Ali ou Messis, [...] tenait la forêt depuis le 14 mars

1892 »2. « Mohamed Sedik ou Sadek Naït Oughni [...] tué le 14 décembre 1893, avait

gagné la forêt le 12 septembre précédent, après l’assassinat de l’amin d’Insoumen »3.

Cependant, le bandit ne prend la forêt que dans la mesure où il échappe à la vigilance et au contrôle de l'administration. La forêt est davantage le masque qui cache aux yeux des autorités des relations sociales qui lui échappent qu'un lieu concret où vivraient reclus les hors-la-loi. D’ailleurs, la forêt algérienne du XIXe siècle n’est pas nécessairement une marge

territoriale. Si le parcours du bandit l'amène à « prendre la forêt », l'image ne doit pas induire en erreur quant à la compréhension de son rôle dans une société rurale. Sur le plan social, le bandit interagit avec son milieu, il est intégré à la vie rurale dont il est un des acteurs. Les trajectoires des individus endossant le rôle de bandits sont plurielles, mais leur origine paysanne ressort avec netteté.

Figure 4 : Graphique des activités économiques des bandits4

Dans le corpus identifié comprenant 124 individus, l'activité professionnelle est connue dans 87 cas. Les dénominations professionnelles sont données par les rapports sur condamnations

1 Procureur général d'Alger, Liste des bandits capturés ou tués, 6 mars 1894, AN, BB-18-1968. 2 Procureur général d'Alger, Liste des bandits capturés ou tués, 6 mars 1894, AN, BB-18-1968. 3 Procureur général d'Alger, Liste des bandits capturés ou tués, 6 mars 1894, AN, BB-18-1968. 4 Sur la constitution de ces données, voir base de données – bandits en annexe.

49 10 6 5 4 4 3 2 2 1 1 87 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 Cultivateur Journalier Khammès Sans profession Charbonnier, forestier Spahi, caïd, chaouch, oukil Ménagère Taleb Marchand, gargotier

Forgeron Domestique

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capitales rédigés par le procureur général ou le rapporteur du conseil de guerre à destination du garde des sceaux ou du ministre de la Guerre si la condamnation a été prononcée par un tribunal militaire. Ces dénominations appellent plusieurs commentaires. L'écrasante majorité des ruraux exercent une activité agraire : 56 % des individus étant considérés comme cultivateurs. En ajoutant les journaliers et les khammès, la proportion d'individus travaillant directement la terre s'élève à 75 %.

Quelle confiance accorder à ces dénominations qui distinguent différents types de rapports à la terre ? Certains rapports manifestent une certaine souplesse taxinomique qui invite à considérer ces chiffres avec prudence. Dans la bande de Bouzian el Kalaï, Bachir ben Tenni est alternativement décrit comme cultivateur puis khammès1 . Or si le premier terme

implique un rapport de possession à la terre cultivée, le second implique au contraire un partenariat avec un propriétaire. Le khammès cultive une terre qui ne lui appartient pas contre cession d’une partie de la récolte équivalent au cinquième ou aux deux cinquièmes2. D’autres

rapports incluent en revanche ces précisions sur le rapport à la terre en dissociant les divers membres des bandes jugées par ces statuts professionnels distincts. Ces données permettent d’entrer avec une relative finesse dans le monde rural et de déduire de ce graphique une information essentielle. La majorité des bandits ruraux travaillent la terre en tant que propriétaire ou du moins, la travaillaient avant leur entrée en banditisme. Ces activités professionnelles peuvent en effet être abandonnées ou déléguées par suite de l'entrée en banditisme. Ainsi, les biens de Ahmed Saïd ou Abdoun « sont gérés et administrés par des

parents [ce qui] lui donnait des revenus suffisants pour lui permettre de rétribuer en partie les services qui lui étaient rendus »3. De manière générale, l’activité exercée n’est sans doute

pas brutalement arrêtée par l’entrée en banditisme. Le passage d’un état à l’autre n’est pas absolu et est plus probablement ponctué d’allers et retours fluctuant au gré de la pression administrative ou militaire que l’autorité est capable d’exercer.

2. La stratification sociale des bandes

Comment évaluer le niveau de richesse de ces paysans devenus bandits ? Si les indications égrainées dans les archives montrent une hétérogénéité de situations, la modestie caractérise

1 Ministère de la Justice, Rapport sur une quadruple condamnation capitale, dossier n°4226, S.76, AN, BB24-

2066. Voir la notice de Bachir ben Tenni dans la partie Repères du volume d’annexes. Le rapport sur une quadruple condamnation capitale est par ailleurs reproduit dans l’annexe 3 du même volume d’annexes.

2 AGERON Charles-Robert, Les Algériens musulmans…, op. cit., p. 1287.

3 Rapport sur la répression du banditisme présenté par M. le sous-préfet de Tizi Ouzou au préfet d'Alger et au

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en règle générale les conditions de vie des paysans entrant en banditisme.

Une liste de neuf bandits « indigènes réfugiés en Tunisie »1 établie par l'administrateur de la

commune mixte de Zerizer fait ressortir leur pauvreté matérielle. Le cheptel de ces individus est nul ou faible et ne dépasse jamais cinq bœufs. Les superficies cultivées sont également restreintes. Elles sont exprimées en charrue ou djebda, c'est-à-dire qu'elles sont mesurées à l’aune de la capacité de travail de l'instrument aratoire actionné par un individu ou par deux bœufs. La surface indiquée pour une charrue est soumise aux variations d'ordre climatique, topographique ou technologique. Dans l'arrondissement de Bône dont est issue la bande, l'administration estime la charrue ou djebda à cinq ha2. Les surfaces cultivées par les bandits

incriminés ou leurs familles sont estimées à une demi-charrue ce qui indique une possession de terre limitée à 2,5 ha. A l'ouest de l'Algérie, une affaire de banditisme jugée en 1868 témoigne également du rôle des crises agraires dans l'éclatement du banditisme. « La

profonde misère »3 régnant dans les campagnes pousse une bande d'une quinzaine

d'individus, entre autres activités, à prendre d'assaut un silo de céréales en assassinant le garde de service. Cette situation matérielle dégradée est une première porte d'entrée en banditisme.

Le célèbre Arezky de son côté n'infirme pas cette constatation. Il est présenté comme provenant d'une riche famille brutalement dépossédée à la suite de la colonisation et de la répression de l'insurrection de 1871 à laquelle elle aurait partie liée4 . Ce niveau de vie

modeste est perceptible dans la description de son habitat.

« C’est dans la première partie qui forme […] la citadelle du village, qu’on voit la dernière maison construite pour Areski El Bachir, si tant est qu’on puisse désigner sous ce nom une cahute en moellons bruts, grossièrement liés par une couche de terre glaise, qui a la prétention d’être du mortier. Cette demeure qui n’a reçu aucun aménagement intérieur, par suite de la campagne menée contre les bandits, occupe une surface d’environ douze mètres carrés, elle est couverte en tuiles creuses du pays »5.

1 Liste des indigènes réfugiés en Tunisie, 25 janvier 1881, ANOM, B3-294. 2 Notice historique de la subdivision de Bône, 1845, ANOM, 10H13.

3 Ministère de la Justice, Rapport sur une quadruple condamnation capitale, dossier n°4880 S.68, AN, BB-24-

2035.

4 Voir infra chapitre 4, I, 2.

5 Ministère de la Justice, Rapport sur une quadruple condamnation capitale, dossier n°4880 S.68, AN, BB-24-

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Bien que cette demeure ne soit pas achevée et susceptible d'améliorations ultérieures interrompues par la campagne militaire, sa taille restreinte de 12 m² est un élément probant de son absence d’aisance. Malgré des sources lacunaires, les indices laissés dans les archives témoignent de la pauvreté matérielle généralement partagée par les paysans entrant en banditisme.

Toutefois, cette caractérisation sociale n’est pas généralisable à l’ensemble des bandits. Parmi les bandits opérant en Kabylie dans les années 1890, la famille Abdoun est considérée comme vivant dans une relative aisance. Ahmed Saïd ou Abdoun continue à faire administrer ses biens par sa famille qui possède suffisamment de terres et de bétail. Son rôle dirigeant dans la bande qui prend son nom s’explique par une position sociale dominante ou aisée au sein de la société qui le voit émerger en tant que bandit.

Les bandits n'exercent pas tous des activités agraires. La recension de leurs activités présente quelques originalités. 6 % des bandits sont caractérisés comme « sans profession »1 et

vivraient exclusivement de leurs méfaits. Cette formulation peut correspondre à une situation de fait mais elle sert surtout d'argument pour exiger une grande rigueur dans l'application de la peine prononcée. En ce sens, les « sans profession » ne sont pas nécessairement des individus ne disposant pas d'activités économiques avant leur entrée en banditisme, mais plutôt ceux que le procureur souhaite mettre particulièrement à l'index.

Quelques artisans endossent également le rôle de bandit. Un menuisier ainsi qu'un forgeron figurent parmi les membres des bandes étudiées. Les forgerons forment une profession dont l'artisanat peut être réputé, en particulier dans certaines tribus kabyles2 . Maklouf ben

Mohamed ben Ali el Ghoribici, forgeron, fait partie d'une bande qui se distingue par l'attaque des voitures courriers. Condamné à mort, sa peine est commuée en peine de travaux forcés à perpétuité en raison du rôle secondaire qu'il occupe dans la bande3. La même situation se

retrouve avec Ali ben Mohamed ou Saïd, forgeron de son état et membre de la bande d’Arezky L’Bachir.

La recension des professions des bandits révèle également la présence de lettrés dans ces bandes au sein desquelles ils occupent parfois un rôle prépondérant.Ils appartiennent à deux

1 Ministère de la Justice, Rapport sur une condamnation capitale, dossier n°11 822 S.81, AN, BB-24-2048-1.

Ministère de la Justice, Rapport sur six condamnations capitales, dossier n° 2 543 S.81, AN, BB-24-2049. Ministère de la Justice, Rapport sur une condamnation capitale, dossier n°12 700 S.83, AN, BB-4-2055. Ministère de la Justice, Rapport sur dix condamnations capitales, dossier n°1 245 S.95, AN, BB-24-2074.

2 LAYER, E., De Tizi Ouzou à Beni-Mengallet, Rouen, Imprimerie L. Gy, 1911, p. 38.

3 Ministère de la Justice, Rapport sur une quadruple condamnation capitale, dossier n°7362, S.86, AN, BB-24-

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bandes distinctes qui présentent à ce titre un caractère original. Parmi les douze membres de la bande dirigée par Bouzian el Kalaï arrêtés et jugés en 1876 par la cour d'assises d'Oran, deux exercent une activité intellectuelle1. Kaddour ben Hamida est taleb. Le terme renvoie

aux études et peut désigner l'étudiant en école coranique. Âgé de 35 ans, marié et ayant deux enfants, Kaddour ben Hamida n'est probablement plus étudiant2. Le terme de taleb peut alors

désigner l'écrivain public, celui qui a suivi des études pour acquérir cette compétence3 .

Abdelkader ben Missoum est quant à lui oukil au tribunal du cadi de Perrégaux. Il plaide en faveur des « indigènes » auprès du cadi, tribunal auprès duquel sont renvoyés les Algériens lorsque leur affaire n'inclut pas d'Européens4. L’oukil doit être lettré, ce qui révèle son statut

social élevé au sein de la société algérienne. Un niveau d'étude validé auprès d'une medersa, école supérieure, est exigé5. La maîtrise de l'arabe et du français à l'écrit et à l'oral ainsi

qu'une connaissance du droit dit musulman sont nécessaires. Enfin, un troisième membre de la bande est dit « lettré », indication mesurant généralement la maîtrise du français écrit et non de l'arabe. La bande présente donc une composition atypique. Pour quelles raisons ces lettrés ont-ils été amenés à emprunter le chemin du banditisme ?

Certains parcours peuvent s'éclairer à la lumière des conditions économiques. Kaddour ben Hamida, taleb de son état, a subi une année d'emprisonnement pour « avoir volé un bœuf »6.

Le vol de bœuf, même sous la pratique de la bichāra, institution sociale consistant à subtiliser du bétail pour le restituer ensuite à son propriétaire moyennant le paiement d'une certaine somme, traduit une situation de pauvreté. Malgré « sa triple qualité de kouan, de marabout,

de lettré »7, Kaddour ben Hamida semble désargenté. Évadé de prison aux côtés de Bouzian

el Kalaï, ils fondent tous deux la bande dont Kaddour ben Hamida est considéré comme le lieutenant.

Abdelkader ben Missoum, quant à lui, est oukil. Les raisons de son entrée en banditisme sont plus obscures. La lecture des bulletins officiels du gouvernement général en Algérie montre

1 Ministère de la Justice, Rapport sur une quadruple condamnation capitale, dossier n°4226, S.76, AN, BB24-

2066

2 Voir la notice de Kaddour ben Hamida dans la partie Repères du volume d’annexes.

3 Cour d'assises d'Oran - 1re session extraordinaire de 1876 – Présidence de M. le conseiller Perriné, Le courrier

d'Oran, 19 mai 1876.

4 COLLOT, Claude, Les Institutions de l’Algérie…, op. cit., p. 185.

5 KRALFA Ataouia, La profession d'avocat en Algérie coloniale, Thèse d'Histoire du droit sous la direction de

Yann Delbrel, Université de Bordeaux, 2016, p. 245 – 248.

6 Ministère de la Justice, Rapport sur une quadruple condamnation capitale, dossier n°4226, S.76, AN, BB24-

2066.

7 Ministère de la Justice, Rapport sur une quadruple condamnation capitale, dossier n°4226, S.76, AN, BB24-

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l'étroite surveillance qu'exerce l'administration à l'égard de cette profession en procédant, au même titre que pour les autres fonctionnaires algériens, à de fréquentes révocations. Pourtant le nom d'Abdelkader ben Missoum n'apparaît dans le bulletin officiel ni pendant la période précédant l'activité de la bande ni au cours de sa période d'activité1 . Les nominations et

révocations font pourtant l'objet d'arrêtés publiés dans le journal officiel. Son patronyme apparaît toutefois à deux reprises. Le président de la djemâa du douar de Kalaa se nomme El Moktar ben Ali bel Missoum. Or, Kalaa est non seulement riveraine de Perrégaux où il exerce son métier, mais c'est également le douar d'origine de Bouzian el Kalaï. L'imagination contrôlée de l'historien2 peut supposer que dans un douar peuplé de 3 773 habitants, un

même patronyme, malgré la compréhension chaotique qu'a l'administration française du système patronymique arabe, peut désigner un lien de parenté entre ses membres3. La famille

Missoum disposerait alors d'une certaine influence pour compter dans ses rangs à la fois un

oukil et un président de douar. L'autre occurrence du patronyme Missoum dans le bulletin

officiel apparaît à propos de la constitution du centre de colonisation de Bou Henni en 1875 dans le douar voisin des Ferraguig, situé entre Kalaa et Perrégaux4. Mostefa ben Missoum

est exproprié de 14,95 ha au profit du centre de colonisation5. La superficie demeure modeste

mais n'est pas celle d'un paysan pauvre d'autant plus qu'étant l'objet d'une expropriation, ces terres sont certainement de bonne qualité.

Ces deux éléments constituent des indices de ce qui a pu advenir dans le parcours d'Abdelkader ben Missoum. Issu d'une famille fortunée, il parvient à suivre une formation auprès d'une medersa relativement prestigieuse pour exercer ensuite la fonction d'oukil. Cette famille de l'élite algérienne n'est pas pour autant préservée des bouleversements induits par la colonisation particulièrement précoce et rapide dans le département d'Oran6. Face à

ces bouleversements, l'oukil comme le cadi sont tentés d'accepter les relations que propose ou qu'impose la bande de Bouzian el Kalaï dans le cadre de leurs activités. Le cadi de Perrégaux est effectivement révoqué en 1875 en raison de ses accointances réelles ou

1 Bulletin officiel du gouvernement général de l'Algérie, Alger, Imprimerie Jourdan, 1865 – 1876.

2 PANTER Marie, MOUNIER Pascale, MARTINAT Monica et DEVIGNE Matthieu (dir.), Imagination et

Histoire : enjeux contemporains, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014. 328 p.

3 Délimitation et répartition du territoire de la tribu des Kalaa, province d'Oran, 4 septembre 1865 dans le

Bulletin officiel du gouvernement général de l'Algérie, Alger, Imprimerie Jourdan, 1866, p. 1053.

4 Voir infra carte 5, p. 215.

5 Arrêté du 15 novembre 1875, in Bulletin officiel du gouvernement général de l'Algérie, Alger, Imprimerie

Jourdan, 1876, p. 792.

6 Pour une analyse des évolutions foncières en relation avec le territoire de la bande de Bouzian el Kalaï, voir

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supposées avec les bandits1 . Il aurait divulgué, par le biais de son domestique, des

informations sur le trajet d'Ahmed Ould Chadeli, président du douar des Ouled Saïd, transportant les impôts de son douar entre Perrégaux et Mascara. Attaqué sur cette route en novembre 1875, il est dévalisé de la coquette somme de 7 035 francs2 . Les bandits

représentent une autorité politique vis-à-vis de laquelle les élites algériennes ont à se positionner. Le fait que l'oukil de Perrégaux rejoigne les bandits témoigne de la profondeur de leur implantation dans la société algérienne non seulement en milieu rural mais également dans les petits centres administratifs autour de Kalaa. Le statut social de l'oukil n'en fait toutefois pas un chef de bande. En ce domaine, Bouzian el Kalaï conserve une autorité incontestée malgré une différence de statut significative entre les deux individus.

Dans d’autres bandes, ces professions de lettrés confèrent manifestement un statut particulier. Ceci est manifestement le cas pour celle d’Hamou ou Achour, au sein de laquelle M’Hamed et son frère Messaoud occupent un rôle dirigeant3. Si la profession du premier est inconnue,

le second est enregistré comme taleb. Dans la bande de Relizane, on peut également noter le rôle particulier d’un chaouch, secrétaire de mairie, qui transmettait des informations sur les maisons vides de la bourgade à une bande dont il était l’informateur, l’organisateur et le bénéficiaire privilégié 4 . Quatre des lettrés du corpus occupent une fonction dans

l’administration coloniale. Cette fonction leur confère un statut social en sus d’un accès privilégié à l’information et leur donne un rôle dans les bandes qui peut être prépondérant. L’inclusion au sein de l’administration coloniale n’est donc en aucun cas un gage de participation au maintien de l’ordre colonial. L’autorité politique conférée par ces fonctions peut être subvertie par son dépositaire. Il en est de même pour l’aura religieuse ou mystique que présentent certains bandits.

3. Le chef, le bandit et le sacré

Ces positions sociales privilégiées peuvent se mêler à une fonction ou une réputation liée au sacré. Les individus présentant un caractère religieux ou magique aux yeux de leurs contemporains, notamment les « marabouts », bénéficient d'une position privilégiée au sein des bandes. Julia A. Clancy Smith, et à sa suite, George R. Trumbull, ont mis en garde contre

1 Cour d'assises d'Oran - 1re session extraordinaire de 1876 – Présidence de M. le conseiller Perriné, Le courrier

d'Oran, 19 mai 1876.

2 Ibid.

3 Ministère de la Justice, Rapport sur une double condamnation capitale, dossier n°11 479, S.81, AN, BB24-

2048-2.

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les usages et mésusages du terme de marabout par le colonisateur 1. Évoquant l’œuvre de

Louis Rinn intitulé Marabouts et Kouan, George R. Trumbull invite à la considérer « comme

dépeignant autant l'imaginaire colonial que le mysticisme local »2. Ces précautions prises,

Julia A. Clancy Smith définit le marabout comme « une personne sainte, vivante ou morte,

considérée comme dépositaire d’une relation privilégiée avec dieu qui le ou la rend apte à transmettre grâces et bénédictions à la communauté »3.

Ce personnage présente un caractère sacré aux yeux de ses contemporains et dans ce caractère sacré réside l'ascendant dont sa position au sein des bandes témoigne4. Les Abdoun

en sus d’être issus d’une famille de cultivateurs aisés, sont simultanément considérés comme étant d’ascendance maraboutique. Ils font l'objet d'une fascination chez leurs contemporains. En 1897, deux ans après l'exécution d'Ahmed Saïd ou Abdoun, son frère, Mohammed ben el