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Sécurité et colonisation foncière : un diptyque mis à mal par le banditisme

A. Les problèmes politiques de l'appropriation foncière

1. Les premières décennies de conquête entre extensions foncières et aspirations sécuritaires

Depuis la conquête en 1830, ce mouvement d'appropriation connaît plusieurs phases. Dans le sillage de l'armée française, les premiers mouvements d'accaparement de terres se dessinent. Ils sont le fait de riches propriétaires fonciers français ou de militaires de haut rang qui acquièrent des rentes perpétuelles (contrats d’anā) sur des biens waqf1 ou occupent

les propriétés laissées vacantes par leurs précédents possesseurs2. Cette première phase bute

sur le soulèvement des Hadjoutes en 1839 qui affecte ces occupants, contraints d'abandonner leurs récentes propriétés3.

De nombreuses théories se succèdent alors, majoritairement destinées à favoriser une colonisation de peuplement que beaucoup jugent trop faible jusqu'au dernier tiers du XIXe

siècle. Le maréchal Bugeaud formule une esquisse théorique de la colonisation en 1838. Cet acteur de premier plan de la conquête de l'Algérie dont il fut gouverneur de 1841 à 1847 préconise dans sa brochure intitulée De l'établissement de légions de colons militaires dans

les possessions françaises du Nord de l'Afrique4 l'installation de soldats-laboureurs qui

auraient pour fonction d'occuper et de défendre le territoire nouvellement conquis5 . La

colonisation du territoire n’est pas envisagée sans l'intervention et la protection de l’État vis- à-vis des colons que ceux-ci soient des « petits colons » ou de grandes sociétés capitalistes6.

Quelle que soit la forme prise par la colonisation, la question de la sécurité demeure primordiale. Elle est une question vitale et éminemment politique pour la colonie. Cette sécurité comprend non seulement la dimension du maintien de l'ordre mais également la lutte

1 GUIGNARD Didier, « Terre promise mais pas prise : les déboires de la colonisation de Maraman en Algérie

(1834-1854) » dans DAKHLI Leyla et LEMIRE Vincent, Etudier en liberté les mondes méditerranéens. Mélanges offerts à Robert Ilbert, Paris, Publications de la Sorbonne, 2016, pp.413-424.

2 KATEB Kamel, Européens, « Indigènes » et Juifs en Algérie (1830 – 1962), Paris, Ined, 2001, p. 84. 3 JULIEN Charles-André, Histoire de l'Algérie contemporaine, Paris, Presses universitaires de France, 1979

(rééd. 1964), p. 151 – 153. SESSIONS Jennifer E., By Sword and Plow, France and the conquest of Algeria, Ithaca, Cornell University Press, 2012, p. 193.

4 BUGEAUD Thomas Robert, « De l'établissement de légion de colons militaires dans les possessions

françaises du Nord de l'Afrique » dans Œuvres militaires, Paris, L. Baudouin, 1883, pp. 229 – 239.

5 SESSIONS Jennifer E., By Sword and plow…, op. cit., p. 258.

6 LUTZELSCHWAB Claude, « Populations et économies des colonies d’implantation européenne en Afrique

(Afrique du Sud, Algérie, Kenya et Rhodésie du Sud) », Annales de démographie historique, n° 113, 2007/1, pp. 33 – 58.

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contre le vol, considéré comme une seconde nature des populations conquises. « Les Arabes

sont fiers et belliqueux ; la guerre de tribu à tribu est leur état normal ; dès leur enfance, tous les hommes sans exception s’exercent au maniement des armes et des chevaux ; les entreprises hasardeuses les occupent sans cesse ; le jour, ils combattent les bêtes féroces ; la nuit, bon nombre d'entre eux se livrent au vol, qu'ils ont presque élevé à l'état de vertu, tant il y a de danger à le pratiquer »1. La lutte contre le banditisme est posée par le maréchal

Bugeaud comme un prérequis à la colonisation. Dans son discours de départ de la colonie, le gouverneur rappelle d'ailleurs cette conviction. « Ce qui est colonisateur et administratif

par-dessus tout, c'est la sécurité »2. L'imaginaire du paysan voleur ou du bandit vivant aux

aguets des faiblesses du colon pionnier survit d'ailleurs aux premières années de la conquête et est encore bien vivace sous le Second Empire. Des descriptions mêlent l'angoisse du bandit à celle de l'anthropophage. Le marquis de Cosentino, ancien préfet dans l’administration de François II des Deux-Siciles, décrit dans un ouvrage qui fait suite à ses pérégrinations en Algérie aux côtés de l’Empereur une scène à vocation édifiante :

« A cette époque les colons étaient fréquemment assassinés par les bandits de la province d'Alger. […], un de ces misérables fut surpris sur le cadavre de sa victime lui sortant les entrailles du ventre et les examinant avec une minutieuse attention ! »3

Le vocable de banditisme recouvre ainsi pêle-mêle une opposition militaire algérienne, des raids isolés ou des vols avec violence le tout sous forte inspiration et relecture orientaliste. D’un autre point de vue, toute forme d'opposition aux conquérants colons et militaires est assimilée à une forme de brigandage. Les représentations assimilant l’opposition à la colonisation au banditisme se forgent dès les premières années de la conquête par l'administration coloniale.

L'intervention de l’État est conçue comme un préalable à la mise en place de ce nouveau cadre économique dans lequel la propriété privée des terres doit se substituer à un régime foncier structuré par une variété de possessions ou propriétés individuelles, familiales, religieuses ou étatiques4. Les politiques de colonisation ont pour préoccupation d'adapter le

1 BUGEAUD Thomas Robert, « L'Algérie : Des moyens de conserver et d'utiliser cette conquête », dans

Œuvres militaires…, op. cit., p. 231.

2 BUGEAUD Thomas-Robert, « Aux colons de l'Algérie » cité dans COSENTINO Marquis de, L'Algérie en

1865, Coup d'œil d'un colonisateur, Paris, P. Dupont, 1865, p. 203.

3 COSENTINO Marquis de, L'Algérie en 1865…, op. cit., p. 16.

4 Voir le débat sur les « modes de production ». DJEGHLOUL Abdelkader, « La formation sociale algérienne

à la veille de la colonisation » La Pensée, 189 – 1976, pp. 61-81. GALISSOT René, « Problématique du féodalisme hors d'Europe : le féodalisme » dans Sur le féodalisme, Paris, Éditions sociales, 1971, 272p. VALENSI Lucette, Le Maghreb avant la prise d'Alger, 1790 – 1830, Paris, Flammarion, 1969, 141p. Plus

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statut, le mode d'occupation et d'échange des terres agricoles au cadre d'une économie de marché. « Deux visions du monde, deux systèmes de valeurs : l’un [a] pour lui

l’enracinement au terroir et la solidarité de groupe, l’autre la puissance économique, l’ouverture au monde, la foi dans le progrès »1 . En matière foncière, le « processus de

civilisation » se traduit par l'instauration d'un système de propriété privée des terres sur le modèle français. Ce processus ne se fait pas sans tâtonnements, compromis, prises en compte des intérêts des colons comme de ceux des Algériens dont l'administration craint les révoltes aussi bien qu’un banditisme endémique pouvant mettre en péril la colonisation elle-même. Le processus de dépossession et de privatisation des terres est donc à la fois un processus violent mais relativement long. Son rythme reflète les rapports sociaux et politiques dans la colonie ainsi que les moyens mobilisés par l’administration pour procéder à la réalisation du cadastre, préalable nécessaire à la francisation des biens fonciers.

L'accaparement de terres par des transactions privées se déroulant sous l’égide de différents droits fonciers cède la place après la première décennie de la conquête à une tentative de

« régularisation »2 et d’harmonisation légale de ce processus de transfert. Les ordonnances

de 1844 et 1846 en particulier tentent de régulariser les transactions antérieures et cherchent à inciter à la mise en culture effective des terres pour freiner la spéculation3 . De riches

sociétés, comme la société algérienne de colonisation, mais aussi des acteurs plus modestes, achètent des superficies de plusieurs milliers d'hectares dans l'optique de les revendre plus chers avec le développement colonial4. L’administration coloniale cherche certes en premier

lieu à donner par ses ordonnances les garanties légales indispensables aux investissements fonciers, mais par ailleurs, soucieuse de privilégier la colonisation agricole, elle tâche de sanctionner les terres achetées et laissées en inculture. Le propriétaire d'une terre, algérien ou français, se doit de présenter son titre de propriété répondant aux exigences françaises ou,

récemment, d'autres études ont affiné cette discussion par une approche locale. A l'échelle de la ville de Constantine, GRANGAUD Isabelle, La Ville imprenable : Une Histoire sociale de Constantine au XVIIIe siècle,

Paris, Éditions de l’École des Hautes Études en Sciences Sociale, 2002, 368p. Pour la Grande Kabylie, MAHÉ Alain, Histoire de la Grande Kabylie. Anthropologie historique du lien social dans les communautés villageoises, Paris, Bouchène, 2001, pp. 63 – 66.

1 CÔTE Marc, L'Algérie ou l'espace retourné, Paris, Flammarion, 1988, p. 105 cité dans GUIGNARD

Didier, « Le diptyque propriété et société en Algérie et ses retouches successives (XIXe-XXIe siècles) », GUIGNARD Didier (dir.), Propriété et société en Algérie contemporaine. Quelles approches ?, Aix-en- Provence : Institut de recherches et d'études sur le monde arabe et musulman, 2017. Disponible en ligne : <http://books.openedition.org/iremam/3625>.

2 SESSIONS Jennifer, E., By sword and plow…, op. cit., p. 246 – 263.

3 Une chronologie de la législation foncière est proposée dans le volume d’annexes, p. 585.

4 GUIGNARD Didier, « Terre promise mais pas prise : les déboires de la colonisation de Maraman en Algérie

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en l’absence de ce titre, prouver la mise en culture de son terrain1. Cette nécessitée a pu

affecter quelques colons ou investisseurs européens malheureux en affaire, mais dans la pratique, elle se révéla surtout être un puissant instrument d'un transfert de 168 000 ha de bonnes terres de culture pour lesquelles leurs possesseurs algériens ne purent présenter de titres de propriété valables aux yeux de l'administration coloniale2.

2. L’ « indigénophilie » comme outil de pacification ?

Au début des années 1850, un cantonnement des tribus fut mis en œuvre pour resserrer certaines populations sur leurs terres afin de constituer une réserve de terres domaniales disponibles à la colonisation. Le cantonnement, nom donné a posteriori à ce mouvement, fait référence à une opération forestière consistant en l'échange des droits d'usage contre l'obtention de titres de propriété sur une surface restreinte3. Cette propriété était attribuée sur

une partie du territoire précédemment occupé ou, après déplacement de la tribu, sur un territoire distinct4. Les plaines du Tell, zone de terres réputées fertiles situées au nord de

l'Algérie entre le littoral et les hauts-plateaux, sont l'objet de cet accaparement. L'Aurès et la Kabylie, à peine ou pas encore soumises à l'autorité militaire échappent encore à ces accaparements fonciers. Citant l'exemple de Jemmapes, André Nouschi illustre comment la population de ce district s'est vu dépossédée de 30 000 ha sur une superficie de 50 781 ha. Sur la surface subsistante, 13 124 ha sont non productifs. Les 3 158 habitants sont resserrés sur une superficie cultivable et parcourable de 7 476 ha. La création d'un village de colonisation entraîne finalement leur déplacement dans un territoire voisin, celui de la tribu Zardezas sur un terrain qu'il leur faut défricher afin de le rendre cultivable. Les titres de propriété théoriquement concédés demeurent par ailleurs lettre morte5.

Cette politique suscita sous le Second Empire d'importants débats entre deux clans, l'un taxé d'« indigénophile » et l'autre dit « coloniste ». Les qualificatifs relativement transparents de ces clans indiquent la volonté prêtée aux premiers de vouloir ménager les intérêts des Algériens sans remettre nullement en cause les finalités de la colonisation6. Les seconds sont

1 SESSIONS Jennifer E., By sword and plow…, op. cit., p. 254, 255.

2 RUEDY John, Land policy in colonial Algeria, Berkeley, Los Angeles, University of California Press, 1967,

115p.

3 CORVOL Andrée, L'Homme aux bois, Histoire des relations de l'homme et de la forêt. XVIIIe – XXe, Paris,

Fayard, 1987, p. 55.

4 AGERON Charles-Robert, Les Algériens musulmans et la France... op. cit., p. 12.

5 NOUSCHI André, Enquête sur le niveau de vie des populations rurales constantinoises. De la conquête

jusque 1919, Paris, Bouchène, 2013 (rééd. 1961), p. 247.

6 GUIGNARD Didier, « L’indigénophilie dans l’esprit et dans la pratique : Ismaÿl Urbain et la réforme foncière

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partisans d'un accaparement rapide des terres en faveur du colonat. La question du rythme à donner à la colonisation départage finalement ces deux clans qui expriment la même ambition d'imposer la propriété privée de droit français1 . Le sénatus-consulte de 1863,

élaborée avec l'investissement personnel de l'empereur Napoléon III, répond à cette situation. Plus que toute autre législation foncière coloniale, elle est un « facteur de bouleversement

des droits fonciers en Algérie »2. Les tribus, au sein desquelles sont gérés les droits fonciers,

sont bien davantage brisées que conservées par ce nouveau dispositif3. Ces entités avaient à

leur charge les solidarités économiques et sociales nécessaires pour faire vivre l'ensemble de la communauté. Un silo à grain commun servait à subvenir aux besoins de ses membres en difficultés. La zaouïa, structure religieuse de la tribu, assurait la fonction de l'enseignement islamique mais dispensait également la charité à ses membres comme aux voyageurs à qui elle offrait gîte et couvert. Cette structure est attaquée frontalement par le sénatus-consulte qui prévoit d'organiser les tribus en douars-communes dont les délimitations ne correspondent pas nécessairement aux agglomérations de tentes ou de gourbis pouvant porter précédemment le nom de douars4.

L'organisation administrative proposée entre en collision avec l'organisation sociale préétablie qu'elle contribue à détruire. Le douar-commune, échelon administratif local, propose une hiérarchie distincte de la tribu. Les hiérarchies tribales sont désormais remplacées par des hiérarchies coloniales où le caïd, appointé par l'autorité, représente désormais le pouvoir colonial se personnifiant du côté algérien. Ce rôle officiel n’empêche pas toutefois ces caïds de pouvoir jouer simultanément leurs propres rôles ou un rôle d’interface entre administrés et administration coloniale5. Les caïds peuvent être recrutés

l’Algérie du XIXe siècle. Le combat du Français musulman Ismaÿl Urbain, Paris, Riveneuve éditions, 2016, pp. 245-273.

1 GUIGNARD Didier, « Conservatoire ou révolutionnaire ? Le sénatus-consulte de 1863 appliqué au régime

foncier d’Algérie », Revue d'histoire du XIXe siècle, n° 41, 2010, 81-95.

2 KATEB Kamel, Européens, “indigènes” et Juifs…, op. cit., p. 77.

3 L'essence comme l'application du sénatus-consulte ont fait l'objet d'importants débats historiographiques. Si

Alain Sainte-Marie comme Anne Rey-Goldzeiguer voient dans l'application du sénatus-consulte une entorse à l'esprit du législateur, Djilali Sari puis Didier Guignard s'attachent à démontrer comment le législateur programme la dislocation des tribus en Algérie. GUIGNARD Didier, « Conservatoire ou révolutionnaire ? Le sénatus-consulte de 1863 appliqué au régime foncier d’Algérie »…, art. cit.. REY-GOLDZEIGUER Annie, Le Royaume arabe. La politique algérienne de Napoléon III, Alger, Société nationale d’éditions, 1977, 814p. SAINTE-MARIE Alain, L’application du sénatus-consulte du 22 avril 1863 dans la province d’Alger (1863- 1870), thèse d’histoire, Université de Nice, 1969. SARI, Djilali, La Dépossession des fellahs (1830-1962), SNED, Alger, 1978, 164p.

4 GUIGNARD Didier, « Le Sénatus-consulte de 1863 : la dislocation programmée de la société rurale

algérienne » dans BOUCHENE Abderrahmane et alii (dir.), Histoire de l'Algérie à la période coloniale, Alger / Paris, Barzakh / La Découverte, p. 81.

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parmi les anciennes élites qui maintiennent par là leur rang, mais leur fonction comme leur prestige se trouvent travestis dès lors qu'ils ont à servir l'administration coloniale1. Cette

transformation d'une structure sociale ne va pas sans heurts ni soubresauts dont les insurrections ne sont que des révélateurs spectaculaires. Sur ce plan encore, les temporalités sociales divergent des temporalités législatives et les frictions empêchant partiellement l'imposition des vues du législateur sont nombreuses.

Pour éviter précisément ces heurts spectaculaires, le sénatus-consulte prend soin dans son article 1er de garantir aux tribus la propriété « des territoires dont elles ont la jouissance

permanente et traditionnelle, à quelque titre que ce soit »2. Ces territoires sont désignés par

l'autorité coloniale comme étant des terres arch ou terres collectives et sont exemptes de rachat par les colons3. Cette disposition suscite l'ire des colonistes, convaincus que leurs

intérêts sont par là-même temporairement écartés et vaut à Napoléon III sa réputation d'empereur dit « indigénophile ». Dans la pratique, la délimitation des terres des tribus s'opère de 1863 à 1870, date à laquelle les opérations sont suspendues suite au renversement du Second Empire. Dans cet intervalle, 372 tribus sont soumises à ces opérations. Sur les terres soumises au sénatus-consulte, 18 % reviennent à l’État essentiellement sous la forme de terrains forestiers ou jugés comme tels notamment dans l'est constantinois riche en forêts de chênes-liège. 41 % sont classées terres arch, et autant en terres melk. Ces dernières sont assimilables à la propriété privée de droit français et susceptibles d'échanges marchands notamment avec les colons européens même si ces échanges sont freinés tant que les opérations de cadastre ne sont pas réalisées4. Cette classification entre terres arch et melk est

une « invention »5 de l'administration coloniale qui a pour effet de lisser des situations plus

diverses en termes de rapports des ruraux algériens à leurs terres de culture et de parcours. Le cadrage législatif du marché de la terre est complété par la loi Warnier adoptée en 1873 qui prévoit la réalisation du cadastre, prévu dans le cadre du sénatus-consulte mais jusqu’alors repoussé. Le contexte répressif suivant l'insurrection de 1871 contribue à la radicalisation de la législation foncière. La loi Warnier instaurait un parcellaire et fixait les

1 VON SIVERS Peter, « Indigenous Administrators in Algeria, 1846 – 1914. Manipulations and manipulators »,

The Maghreb Review, vol. 7, n° 5-6, 1982, pp. 116 – 121.

2 Article 1er du sénatus-consulte du 23 avril 1863 dans ESTOUBLON Robert et LEFEBURE Adolphe, Code

de l'Algérie annoté, Alger, Librairie Éditeur Adolphe Jourdan, 1896, p. 269.

3 GUIGNARD Didier, « Le Sénatus-consulte de 1863 : la destruction programmée de la société rurale

algérienne » in BOUCHENE Abderrahmane et alii (dir.), Histoire de l’Algérie…, op. cit., p. 77.

4 Ibid., p. 76.

5 GUIGNARD Didier, « Les inventeurs de la tradition “ melk ” et “ arch ” en Algérie », GUIGNARD Didier,

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droits de chacun pour les arch de culture comme pour les melks. Ces propriétés pouvaient être divises ou indivises mais dorénavant l’article 815 du code civil selon lequel « nul ne

peut être contraint à demeurer dans l'indivision » s’appliquait au territoire algérien. La loi

poursuivait la « francisation juridique » du foncier algérien. La reconnaissance toute relative par le sénatus-consulte du caractère inaliénable à leurs possesseurs algériens des terres dites

arch volait en éclat par la transformation d’une partie d’entre elles en propriété privée divise

ou indivise.

L'objectif du législateur était de faire cesser l'indivision c'est-à-dire l'impossibilité pour un individu de vendre sa part d'un bien possédé conjointement avec d'autres1. Les Européens

pouvaient entrer dans une propriété indivise en achetant les parts d'un des copropriétaires. Dès lors, l’article 815 intégré à la loi Warnier lui permettait de solliciter la sortie de l'indivision par la procédure de licitation correspondant à la vente judiciaire d’un bien indivis2 . Cette procédure était particulièrement complexe car la liste des copropriétaires

d'une terre indivise pouvait comprendre, du fait des héritiers, plusieurs centaines d'individus. En amont ou en aval d’une procédure de licitation judiciaire, le commissaire enquêteur assisté d’un géomètre consacraient alors un temps considérable à la mesure des superficies du terrain indivis avant de se lancer dans un calcul complexe de division de la superficie en parts de copropriétaires. Les frais impliqués par ces opérations de cadastrage, dans le cadre d’une procédure judiciaire ou à plus forte raison dans le cadre d’une enquête générale à l’échelle d’un douar, ne tardèrent pas à apparaître comme des obstacles au regard de l'objectif initial.

La loi fut certes appliquée dans certaines régions comme dans l'ouest oranais mais dans d’autres, comme en Kabylie, elle ne le fut guère. Ce constat étonna les partisans du mythe kabyle3 . « Il est [...] assez surprenant que ce soit en Kabylie, là où la propriété étant

généralement individuelle, l'application de la loi eût été facile, les opérations n'ont pas été engagé et tout au contraire qu'elles aient été engagées dans les régions arabes comme dans les environs de Mascara ou de Sidi bel Abbès »4. Même dans ces régions, son application

1 Pour l'étude de son impact dans l'Algérois voir : SAINTE-MARIE Alain, « Législation foncière et société

rurale. L'application de la loi du 26 juillet 1873 dans les douars de l'Algérois », Études rurales, n°57, 1975. pp. 61-87.

2 MEYNIER Gilbert, L’Algérie révélée. La guerre de 1914-1918 et le premier quart du XXe siècle, Paris,