R EVUE DE STATISTIQUE APPLIQUÉE
M. M AURIN
À propos de la modélisation des niveaux de bruit
Revue de statistique appliquée, tome 39, n
o2 (1991), p. 69-74
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A PROPOS DE LA MODÉLISATION
DES NIVEAUX DE BRUIT
M. MAURIN
Institut National de Recherche sur les
Transports
et leur Sécurité,Laboratoire
Energie
Nuisances,(INRETS-LEN),
case 24,69675 Bron Cedex
RÉSUMÉ
L’hypothèse
que les niveaux de bruit auvoisinage
d’un axe routier sontgaussiens
estcourante en
Acoustique.
Dans cette note nous reprenons la modélisation des niveaux de bruit à l’aide des processus à accroissementsindependants
et stationnaires(PAIS),
il est montréque la normalité
postulée
est uneconséquence
du modèle dans unegrande
classe de PAIS.Mots-clés :
PAIS, fonctions caractéristiques, acoustique
routière, niveaux de bruitéquivalents (Leq).
SUMMARY
Noise levels measured near
by
roads and motorways arecommonly supposed
Gaussianin environmental acoustics. Here we use a recent model of noise levels based upon stochastic processes with
independent
andstationnary
increments(Lévy Khintchine),
and show that ina
large
class of such processes thenormality
of noise levels is a consequence of the model.Key-words :
Processes withindependent
andstationnary
increments, characteristicsfunc-
tion, roadtraffic
noise, noiseequivalent
levelsIntroduction
Dans un article initial
(Bastide, 1988)
il est apparu une modélisation très intéressante des niveaux de bruitéquivalents (en abrégé Leq), lesquels
sont enpratique
les niveaux mesurés par des sonomètresintégrateurs.
Pour cela l’auteur pose leshypothèses (M)
d’un modèlequi correspondent
en substance à la notion de processus à accroissementsindépendants
ethomogène (le processus)
dans letemps.
Cette
présentation
nous est apparueoriginale
etporteuse
denouveauté,
mais elleest en
quelque
sortegachée
par laprésence
d’unehypothèse complémentaire qui
énonce que les niveaux de bruit suivent une loi normale. A l’inverse des
hypothèses (M) l’hypothèse
de normalité faitpartie
de la routineacoustique
en milieu routierou en milieu
professionnel.
70 M. MA URIN
Dans un
premier temps
nous avons discuté et contesté cettehypothèse complémentaire
au modèle(M), (Maurin, 1989).
En l’occurrence il est montré quel’hypothèse complémentaire
est inutilepuisque
on arrive aux mêmes résultatsd’échantillonnage
avec ou sans cettehypothèse,
etsouligné
en mêmetemps qu’une
telle conclusion ne doit pas masquer le
grand
mérite du modèle(M) qui permet
demener une discussion
simple
à propos del’hypothèse gaussienne.
Ci-contre nous
poursuivons
ladiscussion,
il est montré que dans unegrande
classe de processus à accroissements
indépendants homogènes
dans letemps
«l’hypothèse»
enquestion
n’est autrequ’une conséquence
du modèle. C’est doncle statut de la
propriété
de normalitéqui
estclarifié;
au-lieu d’être unehypothèse
de
départ
dans un modèle cettepropriété
se révèle être une conclusion des autreshypothèses
du modèle enquestion;
au passage cecipermet
decomprendre
aussipourquoi
la normalité apriori
est inutile( !).
1. Un bref
rappel d’acoustique
En tout
point
del’espace
il y a un niveau de bruit instantanéL(t) qui peut
être considéré comme un processusstochastique.
En fait lesignal physique proprement
dit est lié à la variation de lapression acoustique 1
au carrép(t)2 ;
mais commecette
quantité prend
ses valeurs dans un domaine extrêmementétendu,
il estd’usage
de considérer le «niveau» de
pression
au carré(p(t)/p0)2 rapporté
à unepression
de référence po = 2
10-5 Pa,
et de définir par convention le niveau de bruit en décibel par la formuleL(t)
=10 log (p(t)/p0)2;
de la sorte les niveaux de bruit ont des valeursnumériques comprises
entre 20 et 100 environ. Enpratique
lesniveaux
de bruit mesurés sont des niveaux moyenséquivalents Leq
sur des duréesAt dont la formule de définition est la suivante :
En suivant Bastide nous posons
V(t)
=10L(t)/10 = (p(t)/po)2
lapuissance acoustique rayonnée,
cequi
donne2. La modélisation des niveaux
équivalents
2.1
L’originalité
du modèle(M)
tient dans la modélisation del’intégrale
dela
puissance V (t),
paropposition
à une modélisation dep(t),p(t)2, L(t)
..., et auvu de la défintion des
Leq
il ne semble pas du tout contreindiqué
de chercher à les modéliser par l’intermédiaire desaccroissements A f
V.Nous prenons ici un modèle un peu
plus général
que(M)
enposant
quef
V dt est un processus à accroissementsindépendants
ethomogène
dans letemps
1 il s’agit d’une surpression locale de l’air autour de la pression atmosphérique.
(Cox Miller, 1965), également appelé
un processus à accroissementsindépendants
et stationnaires ou PAIS
(Bouleau, 1988), (noter
que dans lapremière désignation
ce sont les processus
qui
sonthomogènes
tandis que dans la seconde ce sont les accroissementsqui
sontstationnaires). Puisque
nous devons considérer lelogarithme
des accroissements cela nous restreint aux PAISpositifs Xt,
etpuisque
ce sont les
A f V/At qui
interviennent dans la définition desLeq
nous sommesconduits à étudier les processus moyens
Xt/t.
2.2 Un PAIS immédiat est le processus de Bachelier-Wiener
Xt
danslequel Xt
suit la loi normaleN(Kt, o- 2 t auquel
cas tout accroissement 0394X suit la loi normaleAr(KAt, 0-2 mlBt), Xt/t
suit la loiV(K, 0-2 mlt)
et0394X/0394t
la loiN(K, 03C32M/0394t).
Ce modèleprésente
par construction despropriétés
de normalitétriviales,
mais même avec une constante Kpositive
et unKlum
élevé il nepeut
en toute
rigueur
convenir àl’acoustique
car il ne conduit pas à des accroissementsuniquement positifs.
2.3 La classe
générale
des PAIS est décrite par la forme deLévy-Khintchine (Feller, 1971);
il faut noter que c’estuniquement
dans le processus de Bachelier- Wiener que lestrajectoires
sont continues presque sûrement et que dans les autres PAIS lestrajectoires
sont seulement continues enprobabilité.
a)
Nous considérons un processus de PoissonNt
d’intensité q, tel que par construction sur toutepériode
Ot le nombre d’évènements suit une loi de PoissonP(q0394t),
et une suiteUl, U2, ... Un,...
de variables aléatoires(v.a.) indépendantes qui
suivent une loi commune. Le processusXt
somme d’un nombreNt
de v.a. àl’instant t est un
PAIS, positif
si lesupport
de la loi de U estpositif;
la fonctioncaractéristique
de la loi deXt est 03A6Xt
=exp{qt(03A6U(z) - 1)},
enposant 03A6U(z)
la fonction
caractéristique
de la loi de U(Bouleau, 1988,
CoxMiller, 1965).
Lemme 1 : Si la loi de U
possède
des momentsjusqu’à
l’ordre2, (espérance
mu, variance
u2
mu2 =7n 2
+03C32u),
la distribution deXt/t
converge en loi versla loi normale de moyenne qmu et de variance
qmu2/t quand t
~ +~.En effet la fonction
caractéristique 03A6Xt/t(z)
de l’accoissement moyen est donnée parl’expression 03A6Xt(z/t)
=exp{qt(03A6U(z/t) - 1)},
et la fonctioncaractéristique 03A6U(z)
est de la forme 1 +imuz - mu2z2/2
+o(z2)
auvoisinage
de
l’origine
pour z(Renyi, 1966).
On en déduit queet que
iqmuz - qmu2z2/2t
est la limite uniforme en z deqt{03A6U(z/t) - 1} ;
c’estle
logarithme
de la fonctioncaractéristique
de la loi normale de moyenne qmu etde variance
qmu2/t.
Remarque :
l’existence de mu et mu2 entraîne aussi que la loi deXt
a pourpremiers
momentsE(Xt)
=qtmu
etvar(Xt)
=qtmu2;
c’est doncégalement
une72 M. MA URIN
condition suffisante pour souscrire au modèle
(M) qui
pose queE(A f V)
= K0394tet
var(0394Y) = 03C32M0394t (Bastide, 1988).
b)
dans unegénéralisation
immédiate nous considérons une somme finie de H processus de Poisson d’intensités qh avec des v.a.respectives Uh
dont les loispossèdent
toutes des moments d’ordre 2 et les fonctionscaractéristiques
sont notées03A6Uh(z).
La fonctioncaractéristique 03A6Xt (z)
du processusXt
somme totale des v.a.est donnée par
l’expression exp{t03A3qh(03A6Uh(z)-1)}.
Le Lemme
précédent s’applique,
la distribution deXt/t
converge en loi versla loi normale de
moyenne 03A3qhmuh
et de variance03A3 qhmuh2/t.
Pour des
applications
enacoustique
onpeut particulariser
dessupports
[AhBh]
avecAh
> 0 pour certaines loisUh
en vue d’introduire des «bruitsimpulsifs ».
c)
la formegénérale
des PAISpositifs Xt
est donnée avec une mesure deLévy dII(u)
définie surR+
telle quel’intégrale inf (u, 1)dII(u)
estdéfinie;
dans ces conditions la fonction
caractéristique
de la loi deXt
est donnée parl’expression (Bouleau, 1988).
Lemme 2 : Si
Eo
=dII(u)
etE2 = u2dII(u)
existent pour lamesure de
Lévy
du PAISpositif Xt,
la distribution deXtlt
converge en loi vers la loi normaled’espérance El
=1000 udri(u)
et de varianceE2/t quand t
-+ +oo.En effet les existences de
Eo
et deE2
entraînent celle deEl ;
la fonctioncaractéristique
de la loi deXt/t
est donnée par03A6Xt/t(z)
=exp tt (eiuz/t - 1)dII(u)}
que l’onpeut
mettre sous la formeexp {t +oo eiuz/tdII(u) - tE0}
avec t
eiuz/tdII(u) = tE0+izE1-z2 2t E2+o(1 t) ;
lelogarithme
de03A6Xt/t(z)
converge uniformément vers
izEl - z2E2/2t lorsque t
tend versplus l’infini,
àsavoir le
logarithme
de la fonctioncaractéristique
de la loi normaled’espérance
El
et de varianceE2/t.
Remarques :
l’existence deEo, El
etE2
estégalement
une conditionsuffisante pour souscrire au modèle
(M) puisque
la transformée de Fourier de lamesure de
Lévy dTI(u)
est deux fois dérivable àl’origine, Log 03A6Xt (z) également,
et que les deux
premiers
moments deXt
sont de la forme demandéeE(Xt )
=tEl ,
var(Xt)
=tE2 .
- avec de telles
hypothèses Xt
est un PAISpositif
du deuxième ordre.2.4
Exemples
a)
la mesuredII(u) = u-3/2
duqui
conduit au processus stable unilatéral d’ordre1/2 (Bouleau, 1988)
ne convient paspuisque
niEo
niEl
ne sontdéfinis;
b)
les mesures gammadII(u)
=03BBae-03BBuua-1/0393(a)du
pour lesparamètres
a et À
positifs
conviennent et donnent les valeursEo
=1, El
=a/03BB, E2
=a(a + 1)/a2 = E21(1 + 1/a) ;
c)
les mesureslog-normales dII(u)
les
paramètres
rpositif
et m conviennent et donnent les valeursEo = 1, E l = eme03C42/2, E2 = e 2me 272 = E 1 2e’r2.
3. Retour aux
préoccupations acoustiques
La loi de
Lot
estl’image
de cellede A f V/0394t
parl’application
10log (.)
=(10/Log 10)Log (.)
ou encorel/cLog(.)
avec c =1 / 10 Log 10.
La normalité est une
«préoccupation»
habituelle enacoustique,
mais enl’occurence elle concerne les niveaux
LAt = 1/cLog(0394V/0394t)
et non pasles incréments
moyens 0394V/0394t,
alors que les Lemmes 1 et 2s’appliquent
à la distribution
de 0 f Y/Ot.
Souvent d’ailleurs cettepropriété
de normalité constitue unpostulat, implicite
ou non, à leursujet.
Lapropriété
suivantepermet
derapprocher
lespropriétés
de normalité deXtlt
et celles deLog Xtlt.
Lemme 3 : Soit X une v.a.
qui
suit unelog-normale,
la loi de X convergevers une loi normale
quand
la variance de X tend vers zéro(Johnson Kotz, 1970). a Remarque :
on connaît les moments d’une loilog-normale X
en fonction des moments d’ordre 1 et 2 de la loi normale Yimage
par lelogarithme,
Y =Log X (Calot, 1973,
JohnsonKotz, 1970),
d’où les formules donnant lespremiers
momentscentrés de X :
Le lemme 3 est à
rapprocher
du fait quelorsque 03C32x
eto-2tendent
simultanémentvers
zéro,
03BC3x tend vers zéro et 03BC4x vers3ux.
Par
conséquent
toute loi de v.a. X’qui
converge vers une loi normaled’espérance positive
et dont la variance tend vers zéro converge aussi vers une loilog-normale,
et la loi de la v.a. transformée Y’ -Log X’
converge doncvers une loi normale
(avec également
une variancequi
tend verszéro).
C’estprécisément
le cas des niveaux de bruitéquivalents Leq0394t
dans les PAISci-dessus ; lorsque
la durée de la mesure Ataugmente,
la loide A f V/At qui
converge versune loi normale
d’espérance positive
et de variance en1/At (Lemmes
1 et2)
74 M. MA URIN
converge vers une loi
log-normale (Lemme 3),
et parconséquent
la loi des niveaux10 log (0394V/0394t)
converge vers une loinormale 2.
Un tel résultat a le mérite de clarifierl’apparence
de normalité attachée aux niveauxLeq,
la normalité est uneconséquence asymptotique
dans une classe de modèles avecPAIS,
etl’apparence qui
en résulte a pu faireériger
la normalité elle-même enhypothèse.
Cependant
la discussion montre un renversementcomplet
du statut de lanormalité des niveaux de
bruit,
au-lieu d’intervenir comme uneprétendue hypothèse
elle se révèle être une
conséquence
dans la classe de modèles PAISpositifs
dusecond ordre pour
l’intégrale
de lapuissance rayonnée.
Nous retrouvons en dernier les conclusions de la noteprécédente,
d’unepart l’hypothèse
de normalité est inutile dans les modèles de PAISpositifs
pourl’intégrale
de lapuissance acoustique puisque
c’en est uneconclusion;
d’autrepart
la manière aussisimple
aveclaquelle
la discussion
peut
être menée est àporter
au crédit de cette classe de modèles.Les PAIS
positifs
du second ordrejouent
ungrand
rôle dans cetteapplication
aux
signaux acoustiques
routiers et dans la clarification du statut d’unepropriété importante.
Références
BASTIDE
J.C., (1988),
Estimation et mesure du niveauacoustique
continuéquiva- lent,
Revue deStatistique Appliquée,
vol. XXXVIn°3,
pages 5-14.BOULEAU
N., (1988),
Processusstochastiques
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Hermann.CALOT
G., (1973),
Cours destatistique descriptive,
Dunod.Cox
D.R.,
MILLERH.D., (1965),
Thetheory
of stochastic processes,Chapman
andHall.
FELLER
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An introduction toprobability theory
and itsapplications,
vol.2,
2ème
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JOHNSON
N.L.,
KOTZS., (1970),
Continuous univariate distributions - vol.1,
J.
Wiley.
MAURIN
M., (1989),
Note sur l’article de BastideJ.C.,
Revue deStatistique Appliquée,
vol. XXXVIIn°4,
pages 83-87.RENYI
A., (1966),
Calcul desProbabilités,
Dunod.2 les constantes de temps Impulse, Fast et Slow des sonomètres sont respectivement égales à 35, 125 et 1000 (anciennement 250) millisecondes; dans la pratique les enregistrements de «Leq courts»
des sonomètres intégrateurs s’étalent sur des durées de l’ordre de la seconde, de quelques secondes, de la minute, de 5 minutes et au-delà...