De la règlementation comme aide à la gestion des EEE ?
Améliorer l'efficacité de la règlementation sur les EEE est évidemment un des moyens de mieux les gérer. Le règlement européen dont la mise en œuvre dans les états membres devrait débuter prochainement a été spécifiquement élaboré dans cet objectif. Qu'en est-il lorsque la règlementation reste fragmentée ? L'exemple de l'Ontario (Canada).
Le Canada est un des états signataires de la Convention internationale sur la diversité biologique (CDB). Dans ce contexte, il s'est engagé à prévenir, contrôler ou éradiquer les EEE. Durant la dernière décennie, en dépit de l'élaboration de politiques sur la biodiversité et les EEE, le gouvernement fédéral a été cependant critiqué pour son inaction sur les invasions biologiques. Dans l'Ontario, une des provinces les plus peuplées du Canada, des critiques similaires ont été soulevées quant à la l'approche du gouvernement provincial pour faire face aux EEE. Elles exprimaient le fait qu'un cadre législatif efficace pour orienter et coordonner la gestion des EEE manquait encore.
Dans leur article intitulé "Are legislative frameworks in Canada and Ontario up to the task of addressing invasive alien species?"1, ce que l'on peut traduire par "Les cadres législatifs au Canada et de l'Ontario sont-ils à la hauteur des enjeux de gestion des espèces exotiques envahissantes?", trois chercheurs de l'Université de York à Toronto ont examiné comment la législation fédérale et de l'Ontario s'appliquait et répondait aux engagements de la CDB.
Ils ont analysé 98 textes de loi, comprenant 55 lois fédérales, deux ensembles de mesures fédérales et 41 lois de l'Ontario en précisant leurs domaines d'application et leurs faiblesses. Les EEE de leur analyse comprenaient les espèces aquatiques et terrestres (vertébrés, invertébrés, plantes et pathogènes).
Les critères suivants ont été utilisés pour évaluer l'efficacité des textes vis-à-vis des EEE :
- Les EEE étaient-elles ciblées intentionnellement ou non ? L'analyse portait sur la terminologie utilisée dans le texte, dont "espèce exotiques envahissante" ou "espèce invasive",
- Quelles étaient les EEE ciblées ? Quels vecteurs ou voies d'introduction ? Quels écosystèmes et quelles zones géographiques visées ?
- Quel ministère, département, ou organisme responsable de l'administration de la législation?
La législation peut-elle faciliter la coordination de l'action au sein et entre les niveaux de gouvernement ?
- Quelles dispositions pour assurer la conformité à la législation (par exemple, inspections régulières, programmes de surveillance et d'éradication, mesures de quarantaine) ?
Parmi les textes analysés, 20 fédéraux et 12 de l'Ontario concernent, intentionnellement ou incidemment, les EEE mais elles ne sont généralement pas le centre d'intérêt principal de ces textes.
Quelques textes de lois concernent toutefois spécifiquement les EEE, sur la navigation, la protection des plantes, etc. Par exemple, pour le contrôle de la navigation et la gestion des eaux de ballast, la règlementation exige que tous les navires qui entrent au Canada gèrent leurs eaux de ballast pour minimiser le transport d'organismes exotiques ou d'agents pathogènes aquatiques nuisibles. Des
1 Andrea L. Smith • Dawn R. Bazely • Norman Yan (Biological Invasions (2014) 16: 1325–1344)
normes existent sur l'échange et le traitement des eaux de ballast et interdisent aussi la décharge dans les eaux canadiennes de sédiments accumulés dans les ballasts.
Les faiblesses de cette réglementation identifiées par les auteurs portent sur l'exemption concernant différents types de bateaux, sur les déplacements des bateaux dans les Grands Lacs ou encore sur le fait que l'encrassement des coques par des organismes ne soit pas règlementé.
Les auteurs notent l'absence de terminologie cohérente se référant aux EEE et mettent en évidence un manque de focalisation sur la question. La législation sur les EEE est appliquée par différents ministères aussi bien au niveau fédéral qu'en Ontario mais la coordination des actions n'est pas explicitement abordée dans les textes. Ainsi, alors que de nombreuses lois fournissent de larges pouvoirs d'exécution, la plupart des dispositions ne sont pas directement liées à la prévention et la gestion des EEE et la fragmentation du cadre législatif complique l'élaboration d'une approche coordonnée du problème.
Ils terminent en indiquant que pour faire évoluer cette situation volonté politique et moyens alloués sont tous deux nécessaires ("both political will and resources are needed") et que jusqu'à ce que les gouvernements prennent la pleine mesure du problème et de ses impacts sur l'environnement, la société et l'économie, un cadre législatif complet vraiment efficace restera inatteignable ("A truly successful comprehensive legislative framework will remain elusive").
Alain Dutartre, 9 juillet 2014.