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« On nous cache tout, on nous dit rien », ou la danger euse per cée de la pensée complotiste De quoi parle-t-on quand on parle de « complot » ?

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« On nous cache tout, on nous dit rien », ou la danger euse per cée de la pensée complotiste De quoi parle-t-on quand on parle de « complot » ?

Quand on cherche à nuire, il est plus facile et plus efficace de le faire en équipe et secrètement. C’est le principe du complot, nommé aussi « conspiration » (parfois, on dit que la conspiration implique plus de personnes, qu’elle est plus élaborée, mais toutes les définitions ne sont pas unanimes et, en français, les deux mots sont la plupart du temps présentés comme des synonymes, tandis que dans le monde anglo-saxon, seul le terme conspiracy a été conservé). On complote quand on a l’intention de nuire à une personne, un groupe de personnes, un pouvoir en place ou un pays entier, dans le but d’obtenir un avantage ou de tourner une situation en sa faveur. Pour pouvoir parler de « complot », il faut aussi que le projet soit tenu secret. Le nombre de participants peut varier, mais il faut obligatoirement plusieurs personnes pour fomenter un complot ; seul, c’est impossible. Quant aux méthodes, elles sont variables : on peut manipuler des situations, falsifier des documents, avoir recours à l’assassinat ou à l’enlèvement. Un complot implique souvent la manipulation et le contrôle de l’information, ne serait- ce que pour maintenir le projet secret, mais parfois aussi pour influer sur l’opinion publique. On trouve dans l’histoire un certain nombre de complots célèbres, comme celui de la dépêche d’Ems. En 1870, la France redoutait la puissance prussienne. Le trône d’Espagne était vacant, et le candidat le plus probable était un prince allemand. Les Français demandèrent diplomatiquement le retrait de ce candidat, ce qu’ils obtinrent. La situation semblait donc aller vers l’apaisement, mais Bismarck, chancelier de Prusse, et quelques uns de ses sbires, déformèrent légèrement la dépêche (provenant de la ville d’Ems) qui confirmait ce retrait. Le ton, plus sec, donna aux Français une impression de provocation de la part des Prussiens.

L’intérêt de Bismarck était de créer un conflit, ce qui fonctionna parfaitement : la France déclara la guerre à la Prusse, et la perdit. Cette anecdote véridique est un bel exemple de complot réussi, par simple manipulation d’un document. La cabale est un autre type de complot qui vise plutôt à détruire la réputation d’un individu. On parle aussi de « machination ». Dans le passé, des cabales ont par exemple été lancées contre des pièces de Molière (considérées comme offensantes par certains petits groupes) afin d’empêcher leur succès. Mais c’est peu fréquent aujourd’hui. Lors de l’affaire DSK, certains se sont empressés de parler de « cabale » : les accusations d’agression sexuelle portées contre D. Strauss-Kahn étaient selon eux une machination destinée à le discréditer pour l’empêcher de se présenter à l’élection présidentielle de 2012. DSK l’a lui-même suggéré dans une interview télévisée, mais comme il a par ailleurs choisi d’éviter un procès en dédommageant financièrement la plaignante, il est impossible de connaître le fin mot de l’histoire. Complot, conspiration, cabale et machination reposent sur le secret. Paradoxalement, ils sont toujours véhiculés par la rumeur. La rumeur est invérifiable, on ne connaît pas son origine (elle peut d’ailleurs en avoir plusieurs, plus ou moins simultanées), elle peut être partiellement vraie ou entièrement fausse.

Et le méga-complot, ça existe ?

L’existence avérée d’anciens complots dont nous connaissons aujourd’hui les détails pousse de plus en plus de personnes à basculer dans l’irrationnel et la paranoïa, au point de croire à l’existence de ce qu’une des spécialistes du conspirationnisme, Véronique Campion-Vincent, nomme le « méga-complot1 ». Cette théorie prétend qu’un groupe de personnes dirige le monde en secret, tire les ficelles et influence la société selon son gré. Ce groupe est si puissant qu’il est, selon les tenants du méga-complot, à l’origine de nombreux événements n’ayant a priori rien à voir entre eux, tels que l’assassinat du président Kennedy, la mort d’Elvis Presley ou l’apparition (la création, diront certains) de l’épidémie du sida. Le méga- complot est donc une vision globale du complot, en ce sens que tout ce qui arrive peut être expliqué par une seule cause. La croyance dans ce type de complot se retrouve déjà durant la période de la Révolution française :

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certains groupes, comme les francs-maçons ou les Juifs, ont très vite été accusés d’avoir renversé la monarchie pour déstabiliser le christianisme. De nos jours, on entend souvent parler d’un « nouvel ordre mondial ». Cette expression très vague est en général utilisée pour désigner la mise en œuvre d’un complot planétaire. Elle a une origine : le titre d’un livre d’H.G. Wells publié en 1940, The New World Order, où l’auteur évoque la possibilité d’un gouvernement mondial unique et l’établissement d’une liste de droits que tous les humains devraient posséder2. Plus récemment, c’est George Bush père qui dans un discours au Congrès en 1990 a parlé d’un « nouvel ordre mondial (…) une nouvelle ère, moins menacée par la terreur3 ». Son souhait était de décrire une inflexion dans la diplomatie américaine et les relations internationales. Pourtant, l’expression a aujourd’hui une connotation beaucoup plus large et parfois très éloignée de son origine. Selon certains, le nouvel ordre mondial (souvent écrit par les complotistes avec des majuscules) existe déjà car le petit groupe qui dirige le monde en secret a atteint son objectif ; selon d’autres, cela ne saurait tarder. En tous les cas, c’est dans cette grille de lecture univoque que l’on trouve le plus haut degré d’irrationalité. On peut distinguer les théories du complot, c’est-à-dire le fait d’expliquer un événement que l’on ne comprend pas par d’hypothétiques complots, de l’expression au singulier, qui englobe tous les événements pour supposer qu’ils émanent d’un unique complot. On peut alors parler de « conspirationnisme », car l’existence d’un complot d’une telle ampleur n’a jamais été prouvée et paraît à l’heure actuelle parfaitement délirante. Mais Pierre-André Taguieff, un historien spécialiste de ce phénomène, précise que bien souvent la « théorie » n’en est pas une à proprement parler et qu’elle « se réduit (…) à l’expression4 » de la peur du complot.

À quels indices r epèr e-t-on un discours complotiste ?

Plusieurs critères nous permettent de déceler un tel discours. La caractéristique la plus flagrante est sa rapidité d’apparition. Le 7 janvier 2015, jour de l’attentat contre Charlie Hebdo, les premières thèses complotistes apparaissaient l’après-midi même. Ces thèses se propagent de façon virale sur les réseaux sociaux – tout un chacun peut en effet publier un statut Facebook, un tweet ou un commentaire sans avoir pris le temps de la réflexion. Des followerspeu consciencieux prennent ensuite la responsabilité de « partager » ce point de vue, le répercutant ainsi à l’infini.

Mais comment faire confiance à une théorie échafaudée sans la moindre preuve, dans les heures qui suivent l’apparition d’un événement ? Thierry Meyssan, connu pour avoir importé et développé des thèses conspirationnistes sur le 11 Septembre, publiait dès le 7 janvier sur le site du Réseau Voltaire qu’il a créé un article intitulé « Un 11 Septembre français ? Qui a commandité l’attentat contre Charlie Hebdo5 ? », dans lequel il concluait : « Ses commanditaires les plus probables sont à Washington. » Outre la rapidité, on remarque dans l’explication complotiste une opposition systématique à la version dite « officielle ». Cette opposition se fonde sur l’idée que les journalistes présentent une version préapprouvée par les comploteurs, voire fournie par eux-mêmes, pour tromper le grand public. Ce qui revient à discréditer en bloc tout discours des médias traditionnels. Parfois, cette opposition est d’une mauvaise foi absolue. De nombreuses hypothèses de type complotiste ont circulé à propos des attentats du 11 Septembre, contestant la version des événements communément acceptée. L’un des principaux sites internet de contestation de la version « officielle » s’appelle ReOpen911, c’est-à-dire « Rouvrez le dossier du 11 Septembre », insinuant par là que le gouvernement aurait clos l’affaire. Jérôme Quirant, maître de conférences en génie civil, qui s’est intéressé de près à l’effondrement des tours jumelles d’un point de vue technique, rappelle pourtant qu’il n’y a aucun sens à demander la réouverture d’un dossier n’ayant jamais été enterré6. Mais le soupçon permanent est précisément la marque des complotistes qui se croient plus lucides que les autres, refusant d’être « dupes », comme si les choses n’étaient jamais ce qu’elles semblaient être. Cette forme de scepticisme total et systématique permet clairement de repérer un discours conspirationniste.

Délirant et parfaitement cohér ent : le paradoxe du discours complotiste

On pourrait s’attendre à ce que les théories du complot se trahissent par leur incohérence. Or c’est plutôt le contraire : un autre indice permettant de repérer un discours complotiste se trouve justement dans son implacable logique. V. Campion-Vincent cite la phrase « Tout est lié », faisant remarquer qu’elle est d’ailleurs souvent écrite en majuscules7. Dans la même veine, on trouve aussi cette phrase récurrente : « Rien n’arrive par

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hasard. » Dans le discours conspirationniste, tout se tient, tout s’explique, rien ne dépasse. Après l’effondrement des tours jumelles du World Trade Center en 2001, un passeport appartenant à l’un des terroristes a refait surface, intact, sur les décombres. Après l’attentat contre Charlie Hebdo le 7 janvier 2015, la carte d’identité de l’un des suspects a été retrouvée dans une voiture utilisée par les tueurs. Dans les deux cas, la découverte de ces documents offre pour les complotistes la preuve évidente d’une machination : selon eux, elles auraient été placées là intentionnellement pour orienter l’opinion publique et faire accuser des innocents. Rudy Reichstadt, qui anime le site Conspiracy Watch, s’efforce de dénoncer les théories du complot. Il rappelle qu’en 2001, la fameuse découverte du passeport ne s’est pas produite exactement comme les complotistes le disent8. Le passeport était bien intact, mais il n’a pas été retrouvé sur un tas de gravats après l’effondrement des tours, il a été ramassé juste avant l’effondrement, par un inspecteur de police, Yuk H. Chin. Aucun tenant de la théorie conspirationniste n’a jamais demandé à lui parler, car cela aurait contredit l’hypothèse du complot. Il aurait fallu alors prendre en compte un autre fait : de nombreux effets personnels appartenant aux passagers avaient été retrouvés intacts également – cartes de crédit, permis de conduire, etc, tombés alors que l’avion s’était écrasé mais que le kérosène contenu dans les ailes n’avait pas encore brûlé. Pour la carte d’identité trouvée après l’attentat contre Charlie Hebdo, on a pu lire sur Facebook dès le jour du drame qu’aucun tueur ne serait bête au point de signer son crime d’une telle façon, quelqu’un avait donc forcément placé là la carte d’identité pour faire porter le chapeau au suspect. Pourtant, un terroriste a aussi le droit d’être stupide et incohérent, ni plus ni moins que le commun des mortels. Une autre hypothèse, évidemment écartée par les complotistes, pourrait être que les suspects aient délibérément souhaité être identifiés, mais ça, nous ne le saurons jamais.

Pour quoi est-il si difficile de couper le sifflet à un complotiste ?

Hormis le refus du hasard et des coïncidences, une autre caractéristique du discours conspirationniste consiste à refuser, ignorer ou feindre d’ignorer les témoignages, parfois très nombreux, qui ne vont pas dans le sens de sa théorie. Toujours à propos du 11 Septembre, une autre thèse complotiste a rapidement été avancée selon laquelle aucun avion ne s’était jamais écrasé sur le Pentagone. En France, le principal tenant de cette thèse dite du no plane est Thierry Meyssan. Il a écrit deux livres à propos du 11 Septembre9, dont le premier, nous dit Jérôme Quirant, « a été écrit sans qu’il se soit déplacé sur les lieux, à partir de photos ou de films trouvés sur le Net10 ». Les deux livres se sont pourtant très bien vendus. Meyssan s’appuie sur le fait qu’aucune caméra n’a filmé le vol 77 s’écrasant contre le Pentagone. On dispose cependant de plus de cent trente témoignages visuels décrivant le crash et même l’impact. De même, lorsqu’un témoin dit que cet avion, quand il s’est écrasé, s’est abattu « comme un missile », les complotistes prennent la comparaison au pied de la lettre, affirmant qu’il s’agissait donc bien d’un missile et non d’un avion. Quant au nombre de témoignages récusant cette théorie, ils émaneraient forcément de témoins complices de la machination. On peut d’ailleurs étendre cet argument à toute personne qui contesterait la thèse conspirationniste : si vous n’êtes pas d’accord, soit vous êtes trop naïf, soit vous faites partie du complot. Dans tous les cas, pas moyen de débattre, le conspirationniste a réponse à tout. Une autre constante encore permet de démasquer un discours complotiste : l’utilisation très particulière de l’argument d’autorité. Procédé classique de la rhétorique, cet argument consiste à utiliser l’avis d’un expert pour convaincre. Parfois, ce recours est justifié car nos connaissances ont des limites. Mais pour les théoriciens du complot, il s’agit de donner une respectabilité à leurs thèses, une apparence de sérieux. Dans le cas du 11 Septembre, qui a donné lieu à une abondante littérature complotiste, deux groupes d’« experts » sont souvent cités : les Architects & Engineers for 9/11 Truth (Architectes et ingénieurs pour la vérité sur le 11 Septembre) et les Pilots for 9/11 Truth (Pilotes pour la vérité sur le 11 Septembre), deux associations américaines. Un documentaire italien de Giulietto Chiesa intitulé Zéro s’appuie même sur l’opinion d’un prix Nobel11. Jérôme Quirant nous explique que si les références aux architectes, ingénieurs et pilotes peuvent sembler solides et crédibles, les premiers ne sont pourtant pas des spécialistes du calcul des structures, ce groupe comprenant par ailleurs des architectes d’intérieur dont le niveau d’expertise en matière d’analyse dans le domaine concerné est égal au vôtre ou au mien12. Les Pilotes pour la vérité ont de leur côté essayé de décrypter les enregistrements des boîtes noires mis à disposition par les autorités et ont cru y identifier des incohérences ; le problème est qu’ils n’ont « ni les compétences ni les

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logiciels permettant de décoder cette boîte noire ». Enfin, pour le prix Nobel qui apportait sa caution à la thèse du complot, il s’agit de Dario Fo, un dramaturge ayant effectivement reçu un prix Nobel… mais de littérature. Ces trois exemples nous montrent que lorsque notre degré de connaissance d’un sujet technique et complexe est nul, nous avons tendance à écouter aveuglément l’avis d’« experts » improvisés. Sans vérifier au préalable leurs compétences ou leur légitimité.

Des hommes-lézards dirigent-ils le monde en secr et ?

Face aux différents discours conspirationnistes, on est tenté de penser que leur degré d’irrationalité est assez élevé. Mais il serait plus juste de dire qu’il est variable. Quels sont les groupes le plus souvent soupçonnés d’être à l’origine d’un complot ou d’un méga-complot ? Le plus souvent, ce sont les services secrets tels que la CIA ou le Mossad, ce qui, a priori, ne paraît pas irrationnel, puisque le but de ces organisations est en effet d’agir secrètement. Mais la liste ne s’arrête pas là. On entend souvent parler du « complot maçonnique », accusé d’avoir d’abord fomenté la Révolution française, puis organisé un nombre incalculable d’événements historiques. La culture populaire, du jeu de société Illuminatiau film Tomb Raideren passant par le Da Vinci Codede Dan Brown, regorge de représentations de sociétés secrètes, réelles ou fictives, c’est un imaginaire bien installé. Les francs-maçons, qui se présentent comme une société discrète plutôt que secrète, sont un groupe très varié, divisé en loges maçonniques. Cela va du groupe de réflexion sur des questions diverses (sociales, philosophiques, politiques, spirituelles) au réseau de connaissances et d’influence. On y trouve autant de tendances politiques qu’il y a de loges. On peut critiquer leur côté fermé et peut-être élitiste, sinon secret, mais rien n’empêche de contacter la loge maçonnique qui nous intéresse et de demander à devenir franc-maçon. Les Illuminati sont souvent associés aux francs-maçons. Pourtant, il y a entre ces deux groupes une différence de taille : le premier n’existe pas. Ou plutôt il a existé en Bavière entre 1776 et 1785. C’était un mouvement de tendance rationaliste qui soutenait les idéaux des Lumières (d’où son nom qui signifie « illuminés »). Les Illuminati ont été liés aux francs- maçons, bien que ce ne fût pas le cas au départ. Cette société, qui reprenait certains éléments du fonctionnement maçonnique (son organisation par exemple) et avait aussi ses propres codes et symboles, fut par la suite interdite et ses membres pourchassés après moins de dix ans d’existence. Elle a depuis acquis une réputation de mystère, plus encore que les francs- maçons, et nombreux sont ceux qui croient qu’elle existe toujours. Cette réputation est sans doute due à Augustin Barruel, qui dès 1798 dénonçait un vaste complot de francs-maçons et d’Illuminati : l’ancêtre du méga- complot ? Barruel et tant d’autres à sa suite attribuèrent aux francs-maçons et aux Illuminati la capacité de diriger le monde et d’influencer l’histoire en secret. La croyance aux Illuminati – puisque depuis qu’ils n’existent plus on peut parler de « croyance » –, franchit parfois la frontière de la réalité pour basculer dans le surnaturel. Certains pensent que les Illuminati sont liés au satanisme. D’autres les associent à un groupe plus extravagant encore : les hommes-lézards. Un ancien footballeur, commentateur sportif et écologiste anglais nommé David Icke, a popularisé dès le début des années 1990 un mythe selon lequel des créatures à mi-chemin entre l’humain et le lézard, qu’il appelle « reptiliens humanoïdes », dirigeraient le monde13. Ces êtres sont supposés changer souvent de forme (de reptile à humain). De nombreuses personnes connues sont, selon Icke et ses adeptes, des reptiliens, Barack Obama par exemple. On trouve sur internet une quantité effarante de vidéos qui se veulent la preuve de l’existence de ces hommes-lézards : elles montrent des politiciens dont les pupilles sont exagérément dilatées ou rouges. Bien sûr, ces vidéos sont trafiquées, mais elles constituent pour certains la preuve que la transformation d’humain à reptilien peut parfois être visible. Icke a même été accusé d’antisémitisme : certains pensent en effet qu’il faut prendre l’image du reptilien à un niveau métaphorique et non littéral, et qu’en réalité les reptiliens représentent les Juifs de manière détournée. Pourtant, selon V. Campion-Vincent, il semblerait que D. Icke croie réellement aux hommes-lézards14 . Ainsi, des francs-maçons aux reptiliens en passant par les Illuminati, le glissement vers l’irrationnel n’est pas aussi improbable qu’on pourrait le penser. Ce qui relie les trois et qui facilite ce glissement, est l’ésotérisme, à savoir la croyance en un enseignement occulte réservé à un petit groupe d’initiés, à propos desquels on peut alors envisager toutes les spéculations possibles.

Des images subliminales peuvent-elles nous donner envie de manger du pop-corn ?

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La croyance au méga-complot repose souvent sur l’idée que les comploteurs, pour mener à bien leurs projets, ont recours à la manipulation mentale. En effet, dissimuler aux yeux du monde entier un complot d’une si grande ampleur semble, de prime abord, irréaliste. Pour justifier le fait que la plupart des gens ne se rendent compte de rien, l’argument avancé par les adeptes du méga-complot consiste à affirmer que nos esprits sont manipulés à notre insu. Les complotistes évoquent d’ailleurs souvent des messages secrets, diffusés dans les médias, les films, les clips vidéo, afin de nous influencer. Mais de quoi s’agit-il et d’où vient cette idée ? Elle a en réalité pour origine deux épisodes de l’histoire : l’usage publicitaire de messages subliminaux et les tentatives de la CIA pour programmer mentalement des êtres humains. Au début des années 1950, un publicitaire du nom de James Vicary diffusa sur un écran de cinéma, intercalés entre les plans d’un film de fiction, les messages suivants : « Mangez du pop-corn », « Buvez du Coca » à la vitesse d’une image par trois millièmes de seconde, soit une vitesse que la conscience ne peut percevoir mais que le subconscient pourrait enregistrer. Il prétendit alors que les ventes de pop-corn avaient augmenté de 57,7 % et celles de Coca-Cola de 18,1 % par rapport aux ventes habituelles. Ce fut le point de départ d’une croyance qui s’est propagée à l’échelle mondiale dans ce qu’on a appelé dès lors les « messages subliminaux ». Sérieusement inquiets, des pays comme l’Australie, la Grande-Bretagne et les États-Unis ont même pris des mesures légales interdisant le recours à de tels messages. Des chanteurs de rock se sont amusés à en insérer dans leurs chansons (messages sonores), puis dans leurs clips (messages visuels), sans doute pour se donner une image sulfureuse. On a aussi vendu des CD pour maigrir ou se débarrasser d’une addiction utilisant le même principe15 . Le seul problème, c’est que l’expérience de James Vicary était truquée. Toutes les études scientifiques suivantes ont confirmé que les messages subliminaux permettaient en effet de percevoir brièvement une information très limitée sans s’en rendre compte, mais n’induisaient jamais aucun comportement ou aucune pensée, autrement dit n’avaient aucun impact concret sur notre volonté. Pourtant, le mal était fait et malgré la dénonciation scientifique de cette supercherie, la croyance en l’efficacité de ces messages a persisté. Récemment, une rumeur a circulé sur les réseaux sociaux à propos des chèques de banque : les lignes sur lesquelles on écrit l’ordre et le montant contiendraient des messages subliminaux. Si on examine ces chèques à la loupe, on s’aperçoit en effet que ces lignes sont composées de caractères microscopiques formant la phrase suivante : « L’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble. Elle se fera par des réalisations concrètes, créant d’abord une solidarité de fait. » Il n’en fallait pas plus pour que les conspirationnistes affirment qu’il s’agit-là d’un message subliminal faisant allusion à la solidarité entre les membres du « complot judéo- maçonnique ». En réalité, cette phrase provient de la déclaration de Robert Schumann, proclamée en 1950 et considérée comme le texte fondateur de la construction européenne. Et sa présence sur les chèques n’est qu’un procédé anti-contrefaçon créé par le système bancaire en 2002, au moment du passage à la monnaie unique. Quant aux tentatives de programmation mentale de la CIA, elles ont eu lieu en secret entre les années 1950 et les années 1970, dans un contexte de guerre froide avec l’URSS : les États-Unis se demandaient s’il était possible de conditionner mentalement un être humain pour en faire un tueur professionnel ou un espion qui ne trahirait son pays sous aucun prétexte, exécutant tous ses ordres sans discuter, comme une sorte de robot. La CIA mena plusieurs projets secrets absolument terrifiants portant sur l’utilisation du LSD, qui était à l’époque une drogue nouvelle dont on ne connaissait pas bien les effets, mais qui semblait avoir un impact suffisamment fort sur le cerveau pour être utilisée à des fins de manipulation de l’esprit humain. Dans le cadre de trois projets secrets MK-Ultra, Artichoke et Bluebird, connus depuis la publication de documents officiels restés longtemps confidentiels, la CIA administra à des sujets – consentants ou non ! – des doses de LSD extrêmement élevées, faisant basculer de nombreuses personnes dans la maladie mentale, voire les poussant au suicide. Le résultat de ces expériences est clair : il est impossible de vider l’esprit d’un être humain, de le transformer en page blanche pour le reprogrammer tel un ordinateur. Mais comme dans le cas des messages subliminaux, le résultat importe peu aux tenants du complotisme : si ce type de manipulation mentale a été pratiqué, il est donc forcément toujours utilisé. Un exemple de confusion, malheureusement trop fréquent, entre science et science-fiction.

Une certaine dose de paranoïa est-elle justifiée ?

Pour comprendre le succès des théories du complot, il faut se demander qui les propage, pour quelles raisons, et qui a un intérêt à y

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croire. D’abord, nous avons en partie raison de croire aux complots : c’est une réalité historique. Parfois, ils ont même lieu à grande échelle. Prenons l’exemple du Chili où les Américains ont joué un rôle actif dans l’installation au pouvoir du dictateur Augusto Pinochet. En pleine guerre froide, les États-Unis voyaient en Amérique latine leurs intérêts économiques menacés par des régimes alliés ou amis de l’URSS, tel que le nouveau régime socialiste imposé au Chili par son président Salvador Allende. En finançant en secret une grève des camionneurs en 1972, qui a déstabilisé le pays entier, les Américains ont contribué activement au renversement d’Allende par Augusto Pinochet. Au Chili comme ailleurs en Amérique latine, de nombreuses et célèbres opérations clandestines, que l’on peut qualifier de « complots », ont été orchestrées par le gouvernement américain. Naomi Klein, journaliste canadienne, explique dans un célèbre ouvrage intitulé La Stratégie du choc que ces manœuvres avaient pour but de créer ou d’exploiter des « chocs » psychologiques au sein de la population (les coups d’État, les méthodes répressives qui allaient de pair avec la mise en place de dictatures, comme la torture ou l’assassinat des opposants politiques) pour appliquer une doctrine économique favorable aux États-Unis, décrite par l’auteure comme ultralibérale16. Ces révélations ont de quoi nous rendre paranoïaques. Cependant, letravail des historiensdestiné à établir que plusieurs complots nord-américains ont bien eu lieu en Amérique latine a pris beaucoup de temps, d’autant que les documents d’archives, anciennement classés secret défense, n’ont pas tout de suite été déclassifiés. Les nouveaux outils d’information du public tels que WikiLeaks permettraient-ils de détecter de tels complots aujourd’hui ? Quoi qu’il en soit, on ne pourrait jamais faire l’impasse sur le travail d’analyse documentaire et l’enquête des historiens, même si la tentation est grande de s’emparer du moindre fait d’actualité et d’en fournir une interprétation personnelle immédiate qui nous mènerait à croire au complot.

Pour quoi certains gr oupes sont-ils systématiquement accusés d’êtr e à l’origine d’un complot ?

Nos préjugés sont parfois si anciens qu’on en ignore l’origine, ce qui rend difficile le fait d’admettre qu’il s’agisse de préjugés. On a vu pourquoi les sociétés secrètes étaient si souvent accusées d’être à l’origine d’un complot, mais à quoi fait référence cette expression remâchée de « complot judéo-maçonnique », et pourquoi y est-il question des Juifs ? Comparons deux faits de violence aux motifs antisémites avérés : la séquestration, la torture et le meurtre d’Ilan Halimi à Bagneux en 2006 et l’agression d’un couple de confession juive en décembre 2014 à Créteil. Dans les deux cas, le mobile avoué de ces violences était l’argent, sous prétexte que les Juifs seraient riches « par nature ». Michel Wieviorka, sociologue spécialiste de l’antisémitisme, a rappelé après l’agression de Créteil quelle était l’origine de cette haine des Juifs17. Pour lui, elle est triple. D’abord, explique-t-il dans L’Obs, c’était une question religieuse : « Les chrétiens reprochaient aux Juifs d’être un peuple déicide, d’avoir tué Jésus18 . » Ensuite, à partir du Moyen Âge, les Juifs furent ostracisés et seules les activités liées à l’argent (comme la banque) leur furent autorisées. À l’époque, les métiers de la finance étaient considérés comme avilissants. Ce lien a contribué, selon Wieviorka, à faire naître à l’égard des Juifs « des accusations de rapacité et d’avarice ». Pour ce sociologue, le troisième moment clé survient au XIXe siècle, avec la critique du capitalisme, qui mène aux accusations de « complot juif », arguant que ce peuple dirigerait le monde en secret grâce à son emprise sur la finance. Pourtant, aujourd’hui, les symboles du capitalisme que sont les banques internationales ne sont plus dirigés par des Juifs et les hommes d’affaires les plus riches de France tels que Bernard Arnault ou François Pinault ne sont pas juifs. M. Wieviorka nous fait également remarquer que « la grande majorité des Juifs a toujours appartenu à des masses plutôt misérables, des communautés traditionnelles » : contrairement au préjugé, les Juifs ne sont donc pas spécialement riches. Et si le problème venait tout simplement de l’usage de l’article défini : l’expression « les Juifs » semble en effet englober dans un groupe homogène (auquel sont associés des stéréotypes comme le goût de l’argent) des membres en réalité très différents les uns des autres (Séfarades, Ashkénazes, Juifs d’Israël, Juifs de la diaspora, Juifs athées, Juifs pratiquants, etc.). Croire qu’une personne, par son appartenance à un groupe donné, aura nécessairement telle ou telle caractéristique, c’est ce qu’on appelle l’« essentialisme ». En France, l’antisémitisme a longtemps été associé à l’extrême droite, pour des raisons historiques. De nos jours, des personnages comme Dieudonné ou Alain Soral s’illustrent régulièrement par leurs saillies

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antisémites, maquillées en dénonciations du « complot sioniste », simple critique d’Israël qui, selon eux, ne vise pas les Juifs dans leur ensemble. Pourtant, les condamnations diverses dont les deux hommes ont fait l’objet tendent à montrer que leur antisionisme n’est autre que de l’antisémitisme plus ou moins bien déguisé. Dieudonné a même pris la tête en 2009 d’une « liste antisioniste » pour les élections européennes, sur laquelle se trouvait aussi Alain Soral. Alternative libertaireanalyse dans son « Dossier conspirationnisme » de quelle façon cette liste a pu rassembler « des nationalistes catholiques, des islamistes, des négationnistes et un certain nombre d’illuminés et de rescapés du FN. Au milieu de ce panier de crabes, quelques individus se réclam[e]nt de la gauche progressiste, du syndicalisme ou de l’altermondialisme19 ». Il est vrai que Dieudonné et Soral sont issus de la gauche radicale, comme de nombreux antisionistes. Le fait d’accuser les Juifs d’être à l’origine d’un complot mondial trouve parfois ses racines dans une détestation de la finance internationale incarnée par les États-Unis et Israël. L’antiaméricanisme permet en effet à des personnes de bords politiques extrêmement différents de se retrouver autour d’une croyance commune : la théorie du complot. Alasdair Spark, expert en théories conspirationnistes cité par V. Campion-Vincent, insiste sur le fait qu’il n’existe pas de méga-complot : « L’idée qu’une clique secrète mène le monde n’a rien de nouveau. Pendant des centaines d’années, des gens ont cru que le monde était gouverné par une conspiration juive. On peut s’attendre à ce que les riches et les puissants organisent le cours des choses selon leur intérêt : c’est cela, le capitalisme. » En effet, les puissants arrivent à servir leurs intérêts sans avoir besoin pour autant de comploter. Le complotisme n’est donc pas lié à une seule tendance politique, c’est pourquoi il est parfois si difficile à repérer.

Pour quoi Google est-il involontair ement complice des complotistes ?

On pourrait croire qu’avec un meilleur accès à l’information, de nos jours, il serait plus facile de savoir si on doit craindre un complot ou non. Cependant, l’abondance de renseignements peut s’avérer une difficulté supplémentaire. Le professeur de sociologie Gérald Bronner, qui travaille sur les croyances et notre propension à y adhérer, rapporte une anecdote amusante20. Dans une émission de radio sur l’affaire DSK à laquelle G. Bronner participait certains invités se méfiaient de la version de l’affaire qu’ils qualifiaient d’« officielle », penchant plutôt pour un complot. L’un des invités, appelé Thomas, essaya de mettre en avant sa capacité à exercer son esprit critique quand une information se présentait à lui : « Moi, je vérifie tout. Quand j’entends “Attentat en Égypte” ou ailleurs, je tape ces mots sur internet et je mets à côté “complot”. » Cette démarche semble à la fois de bonne volonté et très naïve. Qu’espère-t-il trouver ? Que trouvera-t- il, inévitablement ? S’il cherche à savoir s’il y a un complot, il y a fort à parier que de véritables conspirateurs n’auront pas écrit d’article ou d’entrée de blog rendant compte de leur projet. Thomas tombera donc seulement sur des articles écrits par des gens qui pensent la même chose que lui. Il s’imaginera pourtant avoir fait un tri parmi toute l’information disponible sur internet, ce qui sera effectivement le cas puisqu’il ne lira que des commentaires complotistes, avec l’impression erronée de s’être bien renseigné. G. Bronner rattache cette difficulté à bien s’informer au mode même de diffusion de l’information ; il a analysé en détail ce qu’il appelle l’« offre cognitive » sur internet, c’est-à-dire l’information qui nous est proposée. Par exemple, sur des sujets très prisés tels que le monstre du Loch Ness ou les « cercles de culture » (crop circles), ces motifs que l’on trouve parfois dans des champs de céréales et que certains attribuent à l’existence d’extraterrestres et d’autres à des plaisantins, il a classé les résultats des recherches internet en fonction des sites plus ou moins favorables à une explication surnaturelle (monstres ou extraterrestres). Le résultat est clair : les sites prônant une croyance irrationnelle représentent l’écrasante majorité de l’« information » disponible ; et comme ce sont les sites les plus consultés qui apparaissent en premier, les explications purement scientifiques arriveront en dernier dans les résultats de recherche en plus d’être bien moins nombreuses. De ce fait, si vous vous demandez qui a dessiné des cercles dans les champs de blé, sans avis préconçu sur la question, vous trouverez 87 % de sites favorables à l’explication extraterrestre contre 13 % de sites réfutant celle-ci. Cette logique se répète sur de nombreux sujets du même ordre. Ajoutons à cela un autre chiffre fourni par Bronner : 65 % des internautes regardent seulement la première page des résultats de recherche ; 25 % ne dépassent pas la deuxième. Résumons : la plupart du temps, on ne consulte pas plus d’une dizaine de sites, dont la plupart défendent une explication non scientifique. Parce qu’elle est prééminente dans les résultats, cette thèse a plus de chances de

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nous convaincre que des théories scientifiques moins représentées. On peut donc en conclure que la tendance à adhérer aux élucubrations complotistes provient du fait que sur certains sujets, on ne rencontre qu’elles.

Le complotisme est-il un penchant natur el ?

Le discours complotiste est souvent manichéen (les forces du mal contre les forces du bien) et totalisant : quoi qu’il se passe, tout événement est intégrable dans la théorie du complot. Pour le physicien Leonard Mlodinow, l’esprit humain est « fait pour associer à chaque événement une cause définie et peut donc avoir des difficultés à accepter l’influence de facteurs non reliés entre eux ou celle du hasard21 ». Nous décelons des formes dans les nuages parce que notre esprit est ainsi fait : malgré lui, il cherche des schémas, et finit par en trouver. À l’inverse nous avons tendance à éprouver de l’anxiété quand les causes d’un événement donné nous échappent. Difficile de dire si le monde est devenu trop complexe pour nous ou s’il l’a toujours été, mais la masse d’information à laquelle nous sommes constamment exposés renforce cette anxiété. L’explication systématique par une théorie du complot satisfait dans une certaine mesure notre quête de sens. On peut même avoir l’impression d’être plus malin que tout le monde, plus lucide, de ne pas se faire avoir. Il se peut aussi que certains événements particulièrement atroces nous poussent au déni, comme cela a été le cas après les attentats de Paris en janvier 2015. On peut comprendre que pour certains musulmans, révulsés par ces violences, il soit plus facile de les attribuer à un complot plutôt que de faire face à l’idée que des terroristes se revendiquent de l’islam. Pour finir, si on en croit les statistiques, il semblerait que la France soit classée parmi les pays où les gens sont les plus méfiants et où la tendance au complotisme pourrait être particulièrement prononcée. Dans un livre intitulé La Société de défiance, Yann Algan et Pierre Cahuc expliquent, chiffres à l’appui, qu’en France, on est plus enclin qu’ailleurs à se méfier des autres, mais aussi et surtout des élites et des institutions22. Cela pourrait être une excellente nouvelle : notre pays comprendrait moins de gens crédules que prévu. Mais exercer son esprit critique et ériger la méfiance en principe sans la faire suivre d’une analyse construite, ce n’est pas la même chose, et cela mène facilement à la paranoïa. Dans une étude de l’International Social Survey Programme, on a proposé à des citoyens de plusieurs pays des affirmations et des questions avec lesquelles ils devaient dire s’ils étaient d’accord ou non23. Les Français ont été parmi les plus nombreux à répondre « oui » à la question : « Les inégalités dans ce pays persistent-elles parce qu’elles profitent aux riches et aux puissants ? » D’après l’interprétation des résultats de cette étude par Y. Algan et P. Cahuc, les Français se méfient aussi plus que les autres « de leurs concitoyens, de leur employeur ou de la concurrence ». Est-il possible, dans ces conditions, d’éviter de tomber dans le complotisme ? C’est difficile, mais on peut tenter de garder une certaine lucidité. Par exemple en s’informant sur un site comme Conspiracy Watch, dont la spécialité est de repérer, d’examiner et de dénoncer les rumeurs conspirationnistes. Si on s’intéresse plus spécialement aux événements du 11 Septembre ou qu’on cherche des réponses techniques aux nombreuses questions qui ont surgi après ces attentats, le site de Jérôme Quirant, Bastison, apporte de nombreux éléments intéressants24. Mais au-delà des recherches ponctuelles, il faut garder à l’esprit que démasquer un complot est une tâche de longue haleine, qui requiert l’expérience et les outils de nombreux historiens, sans compter le temps nécessaire pour que tous les documents soient rendus accessibles au public. Ce n’est pas un travail superficiel d’analyse d’images ou de vidéos, souvent truquées, qui nous permettra de savoir si on a affaire ou non à une conspiration.

Un

fake

de Noam Chomsky

En 2010 a commencé à circuler sur internet un texte attribué au linguiste nord-américain Noam Chomsky, intitulé « Dix stratégies de manipulation de masse ». Il a été abondamment partagé, présenté comme une sorte de résumé de sa pensée. Certains points soulevés ressemblent effectivement à ce qu’a pu dire ou écrire Chomsky, mais de très loin. Ce sont des remarques plutôt pertinentes sur la manipulation de l’information (la « stratégie de la distraction ») ou la tendance à « faire appel à l’émotionnel plutôt qu’à la réflexion ». Mais la dixième et dernière est celle qui, même sans avoir lu Chomsky, devrait nous paraître suspecte : « Connaître les individus mieux qu’ils ne se connaissent eux-mêmes ». Selon cette partie du texte, la biologie et la neurologie permettraient au « système » de nous contrôler. C’est scientifiquement impossible, et, pour le coup, très éloigné des idées de Chomsky. Pourtant après avoir lu les neuf points précédents, il nous est plus facile de trouver le dixième acceptable. De nombreuses personnes s’étant laissé berner par cette publication, Jean Bricmont, physicien et ami du célèbre linguiste, l’a directement interrogé sur ce texte. Voici ce qu’il a répondu : « Je n’ai aucune idée d’où cela vient. Je n’ai pas fait cette compilation moi- même, je ne l’ai pas écrite ni mise sur le Web. Je suppose que celui qui l’a fait pourrait prétendre que ce sont des interprétations de ce que j’ai écrit ici ou mais certainement pas sous cette forme ni en tant que liste25. » Mais laissons le mot de la fin à J. Bricmont :

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« Curieusement, il est d’une certaine façon rassurant de penser qu’il existe des manipulateurs conscients qui, parce qu’ils le dirigent, savent au moins où va le monde. Malheureusement, il y a bien des relations de pouvoir, des mensonges et des biais idéologiques, mais il n’y a pas de pilote dans l’avion. »

Le rasoir d’Ockham

C’est un outil critique tout simple et très efficace. Ce principe de raisonnement, que l’on appelle parfois aussi « principe d’économie » ou « principe de simplicité », a été élaboré au XIV

e siècle par le philosophe anglais Guillaume d’Ockham. Quand plusieurs hypothèses peuvent être choisies pour expliquer un événement, la plus vraisemblable sera la plus simple, celle qui implique le moins grand nombre de facteurs ou d’événements. On ne sait pas exactement pourquoi ce principe est appelé un « rasoir », mais on peut penser que c’est parce que l’utiliser permet de « raser tout ce qui dépasse », c’est-à-dire les hypothèses superflues. Exemple : si il ou elle ne vous rappelle pas, il ou elle peut avoir perdu votre numéro, s’être fait voler son téléphone, avoir eu un accident de voiture. Ou bien (rasoir d’Ockham), tout simplement, ne pas avoir envie de vous rappeler.

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