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« Lire dans l’original » : retour sur une expérience pédagogique

Claire Placial Université de Lorraine

Laboratoire Ecritures Claire Placial, « Lire dans l’original : retour sur une expérience pédagogique », dans Les Langues modernes, 2/2016.

L’enseignement de la littérature comparée à l’université peut difficilement faire l’économie d’une réflexion sur la traduction : les œuvres étudiées sont pour une bonne part d’entre elles des œuvres traduites. On ne saurait en effet exiger des étudiants de licence, ni des candidats à l’agrégation, qu’ils sachent lire l’ensemble des langues. Si l’on veut étudier à l’université la littérature étrangère, il est nécessaire de recourir aux traductions. Mais on ne peut étudier une traduction exactement de la même façon que l’on aborde un texte en langue originale. La raison la plus évidente est celle de l’analyse stylistique. Mais pour autant, l’enseignement de la littérature via la lecture de traduction peut-il, doit-il s’en tenir à cette déploration : que la traduction n’est pas l’original ? Mon postulat est le suivant : le recours aux traductions dans le contexte universitaire n’est pas un pis-aller, et peut être le lieu d’une introduction, dans le cadre du cours, à l’étude des grands enjeux traductifs, ainsi que d’une définition des enjeux de la lecture des traductions ; la confrontation du texte traduit et de son original permet également de mieux saisir les enjeux stylistiques, ceux précisément qu’on présume trop vite perdus.

Présentation des modalités du cours « Lire dans l’original »

Mon propos s’appuie sur mon expérience d’enseignement du cours optionnel « Lire dans l’original » (LDO) proposé aux étudiants de Lettres Modernes à l’université de Nice. Aucun prérequis linguistique n’est demandé aux étudiants. L’option est assurée par les comparatistes, mais n’est pas systématiquement rattachée à un cours de littérature comparée. Ayant dans mon service l’option « LDO italien » au second semestre de L1, j’ai choisi d’aligner le choix de l’œuvre sur le programme de littérature comparée que j’avais abordée avec l’ensemble de la promotion au premier semestre : le cours « sociétés méditerranéennes au prisme du roman policier » réunissait un corpus de romans de Khadra, Izzo et Camilleri. C’est le roman de Camilleri, Il giro di boa, intitulé dans la traduction de Serge Quadruppani Le tour de la bouée

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, qui a été au cœur du cours de LDO proposé au second semestre en L1. J’ai conçu le cours dans une double optique : pédagogique d’une part, expérimentale d’autre part, dans le sens où j’ai fait de l’ensemble du cours et des travaux des étudiants le support d’une observation qui visait à mieux comprendre l’intérêt d’une étude traductologique du texte dans la compréhension que faisaient les étudiants de l’œuvre, et dans leur sensibilisation aux problématiques de traduction.

Le roman de Camilleri avait été retenu dans le corpus comparatiste entre autres pour des raisons linguistiques, pour le travail sur la langue italienne que fait Andrea Camilleri, et que son traducteur veille à retranscrire en français. Ces romans sont profondément ancrés dans leur cadre sicilien, à commencer par la façon dont la langue incorpore des éléments du sicilien de la région d’Agrigente. Le traducteur Quadruppani se fait lui-même explicitement herméneute du rapport de Camilleri à la langue, et expose ainsi dans les préfaces de ses traductions les différentes strates linguistiques, justifiant ensuite la façon dont il les retranscrit dans sa traduction. Dans un texte intitulé « l’angoisse du traducteur devant une page de Camilleri », il écrit :

1

Andrea Camilleri, Le Tour de la bouée, traduit de l’italien (Sicile) par Serge Quadruppani,

Paris, Pocket, 2005.

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Rendre la saveur de cette langue est une entreprise délicate. Il faut d’abord faire percevoir les trois niveaux sur lesquels elle joue, chacun d’eux posant des problèmes spécifiques. Le premier niveau est celui de l’italien “ officiel ”, qui ne présente pas de difficulté particulière pour le traducteur : on le transpose dans un français le plus souvent situé, comme l’italien de l’auteur, dans un registre familier. Le troisième niveau est celui du dialecte pur : dans ces passages, toujours dialogués, soit le dialecte est suffisamment près de l’italien pour se passer de traduction, soit Camilleri en fournit une à la suite. A ce niveau-là, j’ai simplement traduit le dialecte en français en prenant la liberté de signaler dans le texte que le dialogue a lieu en sicilien (et en reproduisant parfois, pour la saveur, les phrases en dialecte, à côté du français). La difficulté principale se présente au niveau intermédiaire, celui de l’italien sicilianisé, qui est à la fois celui du narrateur et de bon nombre de personnages (même Ingrid, la Suédoise de la série des Montalbano, a appris l’italien en Sicile et emploie les tournures locales)

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.

D’un point de vue pédagogique, ce roman me paraissait un excellent matériel. Il permettait d’esquisser un panorama de la diversité linguistique en Italie, et, par comparaison, en France ; par ailleurs il permettait de montrer à quel point la définition d’une langue qui lui est propre permet de caractériser un personnage de fiction.

Le niveau en italien des étudiants était très hétérogène. Je l’ai évalué lors de la première séance via un questionnaire. Sur dix-sept étudiants, un étudiant était de langue maternelle italienne, deux étudiantes ayant un parent italien parlaient et lisaient couramment l’italien sans en avoir de maîtrise livresque, trois étudiants avaient étudié l’italien au lycée, les onze autres étaient débutants.

Une étudiante a précisé qu’elle était de langue maternelle portugaise, et de fait cela lui permettait de raisonner par comparaison. Faisant ce constat de cette hétérogénéité lors des premières séances, j’ai annoncé que la validation – à savoir le devoir maison et le devoir sur table final – tiendrait compte du niveau d’italien, et défini des exercices avec plusieurs niveaux de difficulté portant sur les mêmes textes.

Vers un bilan réflexif : intérêts et difficultés

A posteriori, la plus grande réussite de ce cours me semble se situer dans ce qu’on pourrait appeler l’acquisition d’une posture de lecteur réflexif. Les étudiants prennent conscience de l’importance du rôle du traducteur dans l’accès qu’ils ont eux même aux livres traduits, et de plus, l’étude focalisée, à des degrés divers, sur la production même de la traduction, sensibilise aux questions de style, de langue, non entendue comme « langue italienne », mais comme spécificité de la langue de Camilleri.

* Les choix du traducteur

Deux questions du questionnaire distribué aux étudiants en fin de semestre visaient à évaluer si le cours avait permis de rendre l’œuvre traduite plus compréhensible. La première était formulée ainsi : « Avez-vous trouvé le(s) roman(s) difficile à lire ? Si oui, qu’est-ce qui a le plus gêné votre lecture ? ». Elle était fondée sur le reproche parfois adressé à Quadruppani de fournir une traduction difficile à lire, parce qu’il déforme la graphie et modifie de la syntaxe française à l’image du travail de Camilleri sur la langue italienne. De fait certains étudiants semblent avoir été ralentis et décontenancés dans leur lecture de l’œuvre en français pour le cours du premier semestre. Voici les réactions de deux étudiantes :

2

Voir http://quadruppani.samizdat.net/spip.php?article15 - site consulté le 1

er

juillet 2015.

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E. : Je n’ai pas trouvé le roman particulièrement difficile à lire. En revanche j’ai quelque fois buté sur des mots ou des phrases en sicilien en lisant le roman Le tour de la bouée.

Notamment les verbes auxquels Quadruppani rajoute un « a » comme « s’arésolut ». Mais aussi lorsqu’il modifie des verbes comme « pinser et repinser » ou des mots comme

« jialoux ». Ces mots m’ont gêné au début de la lecture mais plus du tout à la fin. Une fois que l’on a saisi la façon dont la traduction est faite, la lecture devient de plus en plus naturelle et appréciable.

S. : J’ai eu du mal à comprendre le sens de certains régionalismes tels que « coucourde »,

« tu galèjes » et « rousiner ». Pour les mots dérivés du français comme « pinser » au lieu de

« penser » et « vras » au lieu de « bras », je pense que s’il n’y avait pas eu la préface du traducteur qui les expliquait, je ne les aurais peut-être compris qu’au bout de plusieurs apparitions dans le texte.

De fait, si quelque chose rend la lecture malaisée en français, c’est sans doute cette utilisations de mots déformés, ou de régionalismes dont le sens n’est pas connu de tout locuteur français. On pourra néanmoins opposer à cela que les romans de Camilleri décontenancent le public italien tout autant – et du reste une étude méticuleuse des procédés de traduction révèle que les écarts avec la langue standard sont plutôt moins nombreux en français qu’en italien.

Une deuxième question faisait pendant à la question de la difficulté : « Avez-vous le sentiment que le cours vous a rendu la lecture plus facile ? » Les réponses à cette question vont pour certaines dans le sens d’une meilleure compréhension du texte même, ainsi :

J. : Le cours m’a rendu la lecture plus facile mais surtout les extraits étudiés en cours puisque cela ma permis de comprendre certains mots que je n’avais pas compris dans la traduction française.

M. : Oui, (…) le cours m'a donné des explications, et m'a aidé à encore mieux rentrer dans cet univers car il m'a aidé à mieux le comprendre. N'étant pas bilingue italienne, il m'a aidé à, par exemple, repérer les dialectes siciliens, ou encore mieux comprendre l'atmosphère du roman.

Mais en réalité le plus grand nombre de réponses allaient dans le sens d’une plus grande conscience du travail du traducteur.

L. : Oui, puisqu'on a pu découvrir quelles caractéristiques le traducteur utilisait précisément pour la traduction de Camilleri, les procédés qu'il utilisait, le pourquoi du comment mais on peut aussi découvrir la difficulté de la chose, et les choix qu'il a du faire afin de rendre compte de l’œuvre de Camilleri mais aussi afin que le lecteur français ne soit pas totalement perdu.

L. : Etant donné que je n'ai pas trouvé la lecture du roman difficile, le cours ne me l'a pas rendue plus facile mais il m'a permis d'ouvrir les yeux sur certains faits de langue que je n'avais pas forcément remarqués à la lecture. Et je trouve très intéressant de voir comment le traducteur a rendu compte de la présence du sicilien en français.

O. : Le cours ne m’a pas facilité la lecture au sens strict du terme, cependant, il a été le

moyen de découvrir un exercice et un travail bien souvent ignoré lorsque l’on lit un livre,

la traduction. Et bien plus que de (re)découvrir la traduction, le cours m’a apporté des

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connaissances théoriques et la conscience des problématiques auxquelles le traducteur doit faire face.

Le majeur enseignement vient dans la prise de conscience que la traduction n’est pas un phénomène automatique et invariable, et qu’il y a plusieurs façons de traduire. Pour Camilleri il s’agissait de montrer comment plusieurs options étaient possibles : adapter la langue sicilienne dans un ancrage provençal aurait été envisageable, par exemple – et du reste, plus en adéquation avec la pratique de la traduction telle qu’elle est en général enseignée en cours de version. C’est pour moi le principal succès du cours : les étudiants ont pris conscience de cette double énonciation qu’est une traduction, du fait que le traducteur ré-énonce l’œuvre, et que ses choix, pour être légitimes et justifiés, restent l’œuvre d’une subjectivité, et la résultante d’un projet de lecture de l’œuvre source plus que d’un travail fondé sur une analyse linguistique.

* Quelques surprises

Ce que je viens de dire de la façon dont l’étude comparée du texte en langue originale et en traduction a fait advenir une réflexion sur les choix du traducteur était un des buts du cours, et en trouver les traces dans les questionnaires ne m’a pas étonnée. En revanche, quelques réponses n’avaient pas été anticipées.

D’abord, ayant proposé à quelques lecteurs de Camilleri qui ne participaient pas au cours de répondre au même questionnaire, j’ai constaté un contraste fort dans les questionnaires entre les deux groupes, à la question suivante : « Qu’avez-vous préféré dans le(s) roman(s) de Camilleri ? ».

Les étudiants s’étaient davantage attachés à l’intrigue policière :

A. : Ce que j'ai préféré dans ce roman est le contexte. En effet, le fait que l'action se passe en Sicile est original. Nous avons beaucoup de descriptions, tant au niveau géographique qu'au niveau culinaire ce qui nous plongent d'emblée dans l'atmosphère. Par ailleurs, l'intrigue qui nous montre le trafic d'enfants d'immigrés est très touchante.

C. : L'intrigue est basée sur des faits d'actualités comme l'immigration, et je trouve intéressant de parler de sujets importants touchant tout le monde. Même si c'est vrai que, je n'aurai pas choisi ce livre de mon plein gré.

En revanche les intrigues, et la présence des questions sociales, était bien moins évoquée par le groupe témoin, qui en revanche vante la langue, et/ou la traduction :

H. : Il y a un immense plaisir à la lire et à plonger dans cette atmosphère, même quand l’intrigue n’est pas convaincante. A vrai dire, j’ai le sentiment de lire Camilleri surtout pour la traduction. Il y a quelque chose de culotté et de ludique dans le parti pris du traducteur.

Il semblerait qu’en dépit des reproches qu’on s’attend à voir formuler à l’encontre de Quadruppani, la langue même du texte en traduction – chez des lecteurs qui précisent qu’ils ne lisent pas l’italien – est ce qui a retenu leur curiosité, qui a fondé le plaisir de la lecture. Sans doute l’œuvre de Camilleri, traduite ou non, est-elle clivante en ce sens que la spécificité de la langue mixte, inventée, fantasque peut répugner au puriste comme ravir d’autres lecteurs.

Autre facteur de surprise, que je n’avais pas anticipé, mais dont je me réjouis au plus au point :

l’analyse du travail sur le dialecte, sur les régionalismes, a poussé les étudiants à confronter leur

propre expérience de la langue à la situation italienne. J’ai ainsi eu, dans les questionnaires mais

aussi dans des copies, des moments de quasi confidences linguistiques :

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L. Le sicilien peut-être très éloigné de l'italien comme très proche. Je pense que le sicilien est surtout une marque d'oralité. Comme quelqu'un du sud, qui écrira en français standard mais parlera avec certaines expressions du sud. Par exemple, j'écrirais « le pauvre ! » mais dirais « peuchère ! ». Mon papa étant calabrais, je trouve que le dialecte permet de formuler ses idées « à la va vite ».

L. : Le dialecte est très prononcé chez certains personnages. Et la traduction française le retranscrit à merveille (de plusieurs façons) Comme j'ai l'accent du sud, certains termes du Midi utilisés donnaient une couleur provençale voire « latino » à ma lecture.

B. : Connaissant en partie le dialecte piémontais et napolitain, la découverte de ce nouveau dialecte m’a beaucoup plu.

Les étudiants sont rejoints en cela par une des lectrices qui n’avait pas suivi le cours, et qui avait lu Camilleri en italien :

H. Non, au contraire : à part les quelques mots de sicilien, le reste est écrit très simplement ; et puis ce sont des romans policiers pour l'essentiel, les structures sont les mêmes dans toutes les langues. En fait, je parle si mal italien que je déduis le sens des mots à partir du sens général que je comprends ; donc le risque, c'est plutôt que je ne fasse pas la différence entre l'effet de style sicilianiste et l'italien standard...

(J'ai appris un peu d'italien dans ma belle-famille, et donc j'ai longtemps cru que des poules, c'étaient des pite – dialecte vénète –, pas des galline)

Cette apparition de propos sur la situation des dialectes en France, même si elle est parfois maladroite ou inexacte (ainsi « en France on ne parle pas vraiment de dialecte, à part peut être pour la région du Nord-pas-de-Calais ») me semblait très bienvenue, puisqu’en définitive c’est aussi ce que j’espère de l’enseignement en général : qu’il mène les étudiants à s’interroger sur les représentations qui conditionnent leur appréhension du monde, et notamment, qu’il les porte à s’interroger sur les différents usages des langues, qui sont chacune bien plus plurielle que l’enseignement secondaire ne le laisse supposer.

* Difficultés

Pour moi la principale difficulté était dans la prise en considération de la dimension sociale et

politique de l’écriture de Camilleri. Camilleri n’écrit pas entièrement en sicilien comme Frédéric

Mistral écrit en provençal. Sa langue est une langue mêlée, qui se déploie selon un spectre très

large d’inclusion du dialecte dans l’italien, en fonction des personnages, et en fonction des types

d’écriture (les scènes d’action tendent à être moins riches en sicilianismes que les moments

d’introspection du commissaire). Le but de Camilleri est de promouvoir une langue littéraire qui

ne soit ni l’italien standard, ni les dialectes qui ont déjà une existence littéraire. Sa langue est une

langue mixte, à la fois complètement réaliste dans le sens où les déformations phonétiques

correspondent de fait à la prononciation dans la région d’Agrigente, du moins pour l’harmonie

vocalique ; et en même temps sa langue est fiction, est création littéraire. C’est cela que les

étudiants avaient le plus de mal à concevoir, et que j’ai eu aussi le plus de mal à expliquer. Cela

vient sans doute de la structure du cours en sept études de texte, qui faisait la part belle à la

construction d’une représentation sociale des personnages par leur langue. En effet, c’est lorsque

s’expriment les personnages siciliens (et non toscans, frioulans…) que Camilleri recourt au

sicilien, a fortiori pour les personnages de classes sociales modestes (la bonne Adelina, le vieux

paysan témoin d’un meurtre). Les étudiants ont eu tendance à retenir que l’usage du dialecte était

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le fait de populations n’ayant pas eu accès aux études supérieures, ce qui n’est pas radicalement faux, mais qui réduit le propos du roman. Cela d’autant plus que bien souvent, l’utilisation du dialecte était chez eux mise en relation avec l’idée d’un niveau de langue familier, comme si le parler sicilien était une forme d’argot, et comme si la langue littéraire était nécessairement une langue d’un registre soutenu. Si je mets en rapport ces idées avec mon expérience en lycée, il me semble que c’est là sans doute une habitude prise dans l’enseignement secondaire, qui consiste à concevoir littéraire un style soutenu, et comme oral, et/ou socialement discriminant, un style familier. Ce qui reviendrait somme toute à écarter Rabelais, Céline, Toni Morrison du corpus littéraire.

Pour finir je laisse le mot de la fin à Antoine Berman et à une étudiante qui l’a cité dans son dernier devoir. J’ai régulièrement évoqué en cours mon activité de chercheuse, et commencé les séances par la lecture d’un paragraphe de théoricien (Antoine Berman, Jean-René Ladmiral, Jacques Derrida). Je leur demandais ensuite aux étudiants de réfléchir à la façon dont les textes vus en cours pouvaient illustrer les quelques lignes qu’ils venaient d’entendre. Si l’exercice s’avérait ardu pour bon nombre d’entre eux, en revanche il intéressait vivement plusieurs étudiants, que je voyais alors prendre des notes activement, et j’ai vu ainsi réapparaître dans le dernier devoir sur table ceci :

Les formes sont ici calquées mais cela est bien spécifique à quelques passages du livre et montre que ce sont le résultat de véritables choix du traducteur car « traduire, c’est bien plus que traduire ».

L’étudiante, ici, a conclu son propos par une phrase empruntée au texte d’Antoine Berman

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que nous avions lu en cours. Et en effet, ce cours l’a rendu particulièrement sensible aux étudiants,

« traduire, c’est bien plus que traduire ». La traduction, en particulier littéraire, n’est pas un processus linguistique automatique évaluable de façon binaire selon sa réussite ou son échec – autrement dit, « la » bonne traduction n’existe pas, même si « des » bonnes traductions sont possibles. Cependant elle n’est pas non plus une opération mystérieuse dépendant de l’arbitraire d’un traducteur venant apporter au texte original, comme une évaluation d’étudiant l’a affirmé, une « touche personnelle ». La traduction d’une part procède de choix, conscients ou non, opérés par le traducteur et définissant ainsi ce que Berman nomme le « projet de traduction » - derrière le travail de Quadruppani se révèle une pensée politique de la langue. D’autre part toute traduction est historique, et traduire c’est bien plus que traduire, parce que c’est prendre position par rapport aux doxa de son époque sur ce qu’est une traduction, ce qu’est la littérature, ce qu’est une langue élégante. Sensibiliser les étudiants de lettres à ces enjeux est capital pour développer leur conscience des médiations qui leur permettent de lire la littérature étrangère, a fortiori dans la mesure où bon nombre d’entre eux, se destinant aux métiers de l’enseignement, vont faire travailler leurs élèves sur des textes (Esope, Euripide, Homère, la Bible…) traduits.

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« Ce débordement sémantique – et épistémologique – paraît inévitable, et correspond du reste à la perception

courante : la traduction, c’est toujours beaucoup plus que la traduction. Il convient donc d’articuler une théorie

généralisée de la traduction, sans toutefois dissoudre (comme c’est le cas chez les Romantiques allemands) la

première dans la seconde ». Antoine Berman, L’épreuve de l’étranger, Gallimard, 1984, p. 292.

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