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Les écrivaines-journalistes sous la monarchie de Juillet : la presse au service d'une reconnaissance littéraire

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Academic year: 2021

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Submitted on 11 Jun 2019

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la presse au service d’une reconnaissance littéraire

Lucie Roussel-Richard

To cite this version:

Lucie Roussel-Richard. Les écrivaines-journalistes sous la monarchie de Juillet : la presse au ser-

vice d’une reconnaissance littéraire. Linguistique. Normandie Université, 2018. Français. �NNT :

2018NORMC030�. �tel-02152034v2�

(2)

THÈSE

Pour obtenir le diplôme de doctorat

Spécialité LANGUES ET LITTERATURES FRANCAISES Préparée au sein de l'Université de Caen Normandie

Les écrivaines-jοurnalistes sοus la mοnarchie de Juillet : la presse au service d'une recοnnaissance littéraire

Présentée et soutenue par Lucie RICHARD ROUSSEL

Thèse soutenue publiquement le 10/12/2018 devant le jury composé de

Mme CATHERINE MARIETTE Professeur des universités, Université Grenoble Alpes Rapporteur du jury Mme AGNESE SILVESTRI Professeur, Université de Salerne - Italie Rapporteur du jury M. DAMIEN ZANONE Professeur, Université Catholique Louvain - Belgique Président du jury Mme BRIGITTE DIAZ Professeur des universités, UNIVERSITE CAEN NORMANDIE Directeur de thèse

Thèse dirigée par BRIGITTE DIAZ, Lettres, arts du spéctacle, langues romanes

(Caen)

(3)
(4)

À Molly

(5)

Remerciements

Je tiens d’abord à remercier Catherine Mariette, Agnese Silvestri et Damien Zanone d'avoir accepté de faire partie de mon jury de thèse.

Mes remerciements sincères vont également à ma directrice de thèse, Brigitte Diaz, qui dirige mes recherches depuis le Master 2. Son soutien m’a permis d’obtenir une allocation de recherche, rendant le doctorat possible. Son exigence m’a enseigné la rigueur de l’exercice et m’a obligée à l’humilité.

Du LASLAR, je remercie encore Catherine Bienvenu, qui fait toute la chaleur du secrétariat de l’équipe.

Je tiens encore à remercier la MRSH pour l’accueil des doctorant.e.s. Cet endroit constitue le creuset de reflexions pluridisciplinaires fructueuses : j’ai pu y discuter sociologie, géographie sociale, linguistique, histoire et littérature. Je n’oublierai pas non plus la douce amertume des cafés d’Héléna.

Mes pensées vont ensuite aux collègues des Ateliers du genre avec qui j’ai aiguisé mes connaissances sur la notion de genre (gender) et réfléchi à mon positionnement de chercheuse en littérature.

Je voudrais que mes proches entendent ma reconnaissance : Jocelyn pour m’avoir encouragée à m’inscrire en doctorat ; ma mère et ma sœur dont la bienveillance à toute épreuve m’a ancrée ; mes ami.e.s d’ici ou de loin, du cœur surtout, pour leurs rires, leurs déhanchés, leurs cris, leurs silences, leurs mains dans le dos et leurs yeux grand ouverts sur le monde.

Ces années de thèse n’auraient pas pu être aussi heureuses sans les indisciplinées de 234 : une clarinettiste pour qui les flans n’ont pas de secret, une future pilote qui rejoindra Vire à Bogota en Twingo, une érudite du henné qui fait flotter les drapeaux, un genou cassé sous une tête bien faite, une luciole experte en memes #triangle, une couturière de petits pots à tabac qui volent des diamants en cent-quatre-vingts secondes ; une viking pour toujours Miss ; une rohmérienne tout en chaîne à lunettes dont les 4.3.56 n’ont qu’à bien se tenir. Merci pour l’eau chaude, les déjeuners sur l’herbe, les riz au R.U, le sucre patissier, les cartes postales, les contrats en bâtonnets de carottes, les synonymes, les relectures et votre confiance souriante.

Enfin, je voudrais profiter de ces quelques lignes pour exprimer ma gratitude infinie à la

famille Banana. Maxence, merci pour ton amour intelligent, patient, doux et rieur. Molly, merci

pour la merveilleuse lumière que tu donnes aux jours.

(6)

Qu’il me soit permis de faire remarquer ici l’influence que notre journal a exercée.

Fanny Richomme, Journal des Femmes, 1833.

(7)

Sommaire

Remerciements ... 4

Sommaire ... 6

Introduction générale ... 11

Première partie Le sacre de l’écrivaine ? ... 27

Introduction ... 28

Chapitre I. Le premier XIX

e

siècle, un siècle favorable aux femmes ? ... 31

1. Les transformations politiques à l’origine de la situation des femmes au XIX

e

siècle ? ... 31

A. La Révolution française : rupture dans l’histoire des femmes ou continuum de la domination masculine ? ... 31

B. Les droits des femmes au XIX

e

siècle : l’institutionnalisation de l’infériorité féminine ... 52

a. Le statut juridique de l’auteure ... 57

b. Les premiers féminismes du XIX

e

siècle ... 59

c. Le traitement des inégalités femmes-hommes dans la presse féminine ... 63

2. Zeitgeist : la femme est tout entière dans son utérus ... 68

A. Le discours médical définit la nature féminine comme inappropriée à l’intellectualité .... 69

a. La femme est un corps ... 70

b. Un corps qui empêche de lire et d’écrire ... 74

B. L’éducation des filles : plaire, se faire épouser, éduquer ... 77

a. L’utilité de l’éducation des jeunes filles questionnée ... 78

b. L’éducation à la domesticité ... 80

c. Les lieux et supports pédagogiques ... 83

d. Les savoirs dispensés aux jeunes filles ... 88

Conclusion partielle ... 92

(8)

Chapitre 2. Le type de « la femme de lettres » dans le champ littéraire de la

monarchie de Juillet ... 93

1. La porosité des frontières entre presse et littérature... 95

A. L’essor de la presse sous la monarchie de Juillet. ... 96

B. L’influence de l’essor de la presse sur le champ littéraire... 102

a. Le roman-feuilleton ... 103

b. La porosité des frontières entre presse et littérature : exemples des pratiques éditoriales de Delphine de Girardin ... 108

2. La figure de l’écrivain-journaliste ... 113

A. Posture et stéréotypie auctoriale... 114

B. Le scénario auctorial disponible pour l’écrivain-journaliste... 116

a. L’aliénation de l’écrivain au journal ... 121

b. La taxinomie médiatico-littéraire ... 123

c. Le paradoxe de l’écrivain-journaliste chez Delphine de Girardin ... 125

3. Les modèles de femmes de lettres construits dans la « littérature médiatique » ... 130

A. Les modèles de femmes de lettres chez Balzac ... 133

B. Le « bas-bleu » ... 147

Conclusion partielle ... 156

Conclusion de la première partie... 159

Deuxième partie Les espaces d’écriture ouverts aux femmes : entre littérature et presse ... 161

Introduction ... 162

Chapitre I. Le partage des « tâches d’encre » ... 164

1. Les mises en fiction des carrières littéraires des femmes par les écrivaines ... 164

A. Les raisons hétéronomes de l’entrée en littérature des femmes ... 166

B. Les dangers de la pratique littéraire... 170

2. Les assignations aux genres par le genre (gender) ... 176

A. Les écrivaines sont des femmes avant d’être des artistes ... 177

B. Des genres non-littéraires pour les femmes ... 185

a. L’écriture épistolaire ... 187

b. Le journal intime ... 191

c. Le roman sentimental ... 195

C. Les genres déconseillés aux femmes ... 198

a. Le roman ... 198

b. L’autobiographie... 201

c. L’Histoire ... 204

(9)

d. La poésie ... 208

Conclusion partielle ... 211

Chapitre 2. Les tactiques féminines dans les revues et le haut du journal ... 213

1. La réception de la « femme-auteure-journaliste » ... 213

2. George Sand ou le modèle de la femme de lettres travestie ... 219

A. L’usage de la pseudandrie... 221

B. Le travestissement de la « personne » comme accès au matériau de création ... 229

3. Flora Tristan : le journal comme laboratoire ... 233

A. Portrait d’une Paria ... 235

B. Les articles indépendants des œuvres ... 240

C. Le journal comme laboratoire d’écriture littéraire ... 243

a. Les articles précédant les Pérégrinations d’une Paria... 244

b. Les pré-publications de Méphis ... 253

c. Des « Lettres à un Architecte Anglais » aux Promenades dans Londres ... 259

Conclusion partielle ... 268

Chapitre 3. L’investissement du feuilleton par la prose féminine ... 269

1. Le feuilleton : nouvel espace de diffusion des fictions de femmes ? ... 269

A. Les feuilletonistes de fiction dans La Presse et Le Siècle ... 271

B. Les chroniqueuses en charge de la mode dans La Presse et Le Siècle ... 277

2. La réinvention de la chronique de mode par Delphine de Girardin : l’hybridité du genre ... 279

A. Entrefilet biographique ... 280

a. Le Lorgnon et La Canne de M. de Balzac comme laboratoire des chroniques du Vicomte ... 285

i. Le Lorgnon ... 286

ii. La Canne de M. de Balzac ... 293

b. Du vicomte à la dramaturge ... 297

B. Le genre (gender) dans les chroniques girardiennes ... 301

a. Une réception genrée des Lettres parisiennes ... 301

b. Le vicomte : l’écrivaine qui ne se cachait pas ... 304

Conclusion partielle ... 316

Conclusion de la deuxième partie... 317

(10)

Troisième partie

La presse féminine comme tactique d’acceptabilité de la pratique littéraire .... 319

Introduction ... 320

Chapitre I. L’essor de la presse féminine de la première moitié du XIX

e

siècle 321 1. Les origines, ou le terreau de la floraison de 1830 ... 321

A. La presse féminine entre les XVIII

e

et XIX

e

siècles ... 322

B. Une trajectoire entre presse et littérature au début du XIX

e

siècle : Caroline Wuiet 324 C. Les journaux féminins de l’Empire et de la Restauration ... 327

2. Quatre journaux féminins de la monarchie de Juillet : des publics à la ligne ... 328

A. La presse féminine de la monarchie de Juillet ... 328

B. Le Conseiller des Dames et Le Conseiller des Femmes ... 334

a. Eugénie Niboyet, entre lettres, presse et luttes en province ... 336

b. Étude des titres et sous-titres des journaux ... 341

c. Étude comparée des prospectus ... 342

d. Deux journaux aux lignes éditoriales éloignées ... 345

C. Le Journal des Femmes et le Journal des Demoiselles ... 350

Chapitre 2. Le journal féminin comme support des carrières littéraires féminines ? ... 357

1. La promotion de la littérature dans la presse féminine : étude des quatre projets éditoriaux du Journal des Femmes, du Journal des Demoiselles, du Conseiller des Femmes et du Conseiller des Dames ... 358

A. Le Journal des Femmes ... 358

B. Le Journal des Demoiselles ... 363

C. Le Conseiller des Femmes ... 368

D. Le Conseiller des Dames ... 370

2. Les tactiques de promotion de la pratique littéraire féminine dans la presse féminine ... 376

Conclusion partielle ... 395

Chapitre 3. L’ouverture restreinte de la presse féminine : exemples de composition avec les contraintes de genre (gender) persistantes ... 397

1. La critique acceptable : exemple de la critique littéraire et artistique d’Alida de Savignac pour le Journal des Femmes et le Journal des Demoiselles... 398

A. Une femme de presse et de lettres oubliée ... 398

B. L’établissement d’une critique d’art éducative ... 401

(11)

C. Une critique littéraire hybride ... 408

2. Une posture acceptable : la flâneuse dans la presse féminine ... 418

A. Le flâneur ou un type de l’homme de lettres ... 419

B. La répartition genrée des espaces urbains et ses représentations dans les productions littéraires et médiatiques ... 422

C. La flâneuse de Jeanne-Justine Fouqueau de Pussy dans le Journal des Demoiselles ... 427

Conclusion partielle ... 438

Conclusion de la troisième partie ... 439

Conclusion générale ... 443

Bibliographie ... 449

Table des annexes ... 472

Index ... 475

(12)

Introduction générale

Lorsque Fanny Richomme écrit à ses abonnés le 3 novembre 1832, elle tient à leur faire remarquer la manière dont le journal qu’elle dirige ménage un espace d’écriture aux écrivaines-journalistes de la monarchie de Juillet. Le Journal des Femmes

1

est, en effet, un périodique ouvert aux écritures féminines. Dans l’annonce de la parution du Journal des Femmes dans la Bibliographie de la France, on peut lire cette invitation : « Les femmes qui auraient des articles à faire insérer peuvent les adresser à M

me

Fanny Richomme, directrice du journal

2

». Les nouvelles, les poèmes, les recensions littéraires, les revues des théâtres, les articles de fond y sont écrits par des femmes et par des hommes, sans distribution significative. De la même façon, les recensions littéraires présentent des ouvrages produits par des hommes et par des femmes, avec une même ligne critique. Quand, après seulement six mois d’existence, la rédactrice souligne l’influence de son journal, au-delà de formuler un argument commercial qui vise à constituer un argument d’autorité médiatique, elle se plaît à constater que l’intégration de femmes dans sa rédaction comble une lacune et semble répondre à une nécessité. Il y aurait donc dans le journal, et plus particulièrement, dans le journal féminin, une fragile résolution des difficultés rencontrées par les femmes dont l’ambition est d’écrre. Sophie Ulliac-Trémadeure

3

, lorsqu’elle rédige ses « Souvenirs d’une vieille femme » en 1861, confirme ce rôle de soutien du Journal des Femmes :

La phalange des femmes auteurs s’était singulièrement grossie depuis quelques années ; mais trouver des éditeurs, soit dans la librairie, soit dans les recueils existants, devenait de plus en plus difficile. Madame Fanny Richomme, ayant conçu la généreuse pensée d’ouvrir une tribune d’où les femmes pussent se faire

1

Journal destiné aux femmes, paraissant les 5 et 20 du mois, de 1832 à 1838. Nous le présentons de façon détaillée dans la troisième partie de la présente recherche, Chapitre I, 2. « Présentations croisées : Le Journal des Femmes et Le Journal des Demoiselles ».

2

Adrien-Jean Quentin B EUCHOT (dir.), « Avis Divers », Bibliographie de la France : ou Journal générale de l’imprimerie et de la librairie, Paris, Cercle de la librairie Pichet, 1832, p. 1043.

3

Sophie Ulliac-Trémadeure (1794-1861) est une écrivaine-journaliste. On retient de son

œuvre prolixe : Émilie ou la jeune fille auteur (1836), Souvenirs d’une vieille femme (1861)

et ses articles dans le Journal des Femmes et le Conseiller des Femmes. Elle a remporté le

Prix Montyon en 1834 pour son roman Le Petit Bossu et la famille du sabotier contre Le

Médecin de campagne de Balzac.

(13)

entendre au public, venait de fonder le Journal des Femmes. Plus tard nous eûmes Le Conseiller des femmes, La Gazette des femmes, etc., etc (sic)

4

.

La recherche en littérature interroge depuis plusieurs années la place des femmes dans l’histoire littéraire et analyse les résistances à la reconnaissance de la légitimité littéraire des femmes en même temps que les stratégies de légitimation conçues par certaines auteures. Christine Planté a participé pour une grande part à cette orientation de la recherche en littérature du XIX

e

siècle. Dans La Petite Sœur de Balzac, elle a étudié la réception ad feminam

5

des écrits de femmes par des hommes ; elle a analysé les paradoxes des écritures de femmes oscillant entre l’assimilation d’un modèle masculin et la recherche d’une écriture collectivement féminine. Évelyne Lejeune-Resnick a, dans sa thèse de doctorat

6

, resserré sa période d’étude à la monarchie de Juillet, en cherchant à définir une catégorie sociale et professionnelle qui serait propre aux écrivaines. Il faut ajouter à ces études synthétiques des recherches monographiques sur des auteures du XIX

e

siècle – Germaine de Staël

7

, George Sand

8

, Louise Colet

9

, Marie d’Agoult

10

, Marceline Desbordes-Valmore

11

, entre autres – qui interrogent la singularité des parcours de ces femmes dans un environnement massivement masculin. Les stratégies d’écriture des romancières face au protectionnisme intellectuel ont été également étudiées dans les trois tomes de La Littérature en « bas-bleus », dirigés par Andrea Del Lungo et Brigitte Louichon. L’invisibilité constatée des femmes dans l’histoire littéraire est encore à l’origine d’une réflexion sur la production du savoir littéraire et invite à

4

Sophie U LLIAC -T REMADEURE , Souvenirs d’une vieille femme, Paris, E. Maillet, 1861, vol.

2, p. 42.

5

La critique ad feminam est une argumentation qui cible le genre (gender) féminin de la personne. Voir Elaine S HOWALTER , A literature of their own : British Women Novelists, from Brontë to Lessing, Londres, Virago, 2009.

6

Évelyne L EJEUNE -R ESNICK , Les Femmes-écrivains sous la Monarchie de juillet (société et littérature), thèse de doctorat, sous la direction de Madeleine Ambrière, Paris IV, 1983.

7

Françoise D ’E AUBONNES , Une Femme témoin de son siècle, Germaine de Staël, Paris, Flammarion, 1966.

8

Brigitte D IAZ et Isabelle Hoog N AGINSKI (dirs.), George Sand : Pratiques et imaginaires de l’écriture, Caen, Presses universitaires de Caen, 2017.

9

Roger B ELLET (dir.), Autour de Louise Colet : femmes de lettres au XIX

e

siècle, Lyon, France, Presses universitaires de Lyon, 1982.

10

Jacques V IER , La Comtesse d’Agoult et son temps : avec des documents inédits, Paris, A.

Colin, 1955.

11

Francis A MBRIERE , Le Siècle des Valmore, Marceline Desbordes-Valmore et les siens,

Paris, Éd. du Seuil, 1987.

(14)

une reconstruction inclusive de celui-ci

12

. Enfin, un récent numéro de la revue Romantisme, Question de genre au XIX

e

siècle, dirigé par Damien Zanone et Christine Planté, se concentre sur la mobilisation de la notion de genre en littérature,

« entendu comme principe de différenciation qui détermine la construction des rôles sexués et qui l’organise dans un rapport de pouvoir

13

», et entreprend d’analyser les mécanismes de la structure de domination à l’œuvre dans le champ littéraire ainsi que les tentatives opérées pour les dépasser.

Aborder le genre dans la recherche en littérature reste une gageure. Il faut d’abord dépasser la difficulté polysémique du français. Si les anglo-saxons distingue le gender du genre

14

, les francophones n’ont qu’un seul substantif pour nommer les deux concepts. Pour éviter toute confusion, dès lors que nous aborderons le genre comme la construction des rapports sociaux de sexe, nous l’associerons à sa traduction anglaise (gender). Reste également à résoudre le conflit linguistique qui oppose l’utilisation d’un masculin-neutre considéré comme universel à celle de la réhabilitation des substantifs féminins, pour déterminer les individus circulant dans le champ littéraire. Nous appuyant sur le « Guide pratique pour une communication publique sans stéréotype de sexe

15

» publié en novembre 2015 par le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes, sur les travaux d’Éliane Viennot

16

, qui date au XVII

e

siècle la normalisation du masculin-neutre par l’Académie, et sur la recherche de Audrey Lassère sur la féminisation du nom « auteur

17

», nous faisons le choix d’accorder au féminin les substantifs de fonction, ainsi d’« auteure » et d’« écrivaine ». Enfin, il faut dépasser la stricte interprétation militante des gender studies, expression que l’on a parfois traduite en « études féministes ». Il serait

12

Voir le dossier de Fabula-LhT, n°7, « Y-a-t-il une histoire littéraire des femmes ? », avril 2010.

13

Damien Z ANONE , « Introduction », Romantisme, 2018/1, n° 179, p. 5.

14

Genius s’emploie pour la taxinomie biologique ; kind pour la catégorisation à partir de critères similaires, pour des choses ou des personnes ; genre, sur le modèle français, pour le genre littéraire et/ou artistique.

15

http://www.haut-conseil-

egalite.gouv.fr/IMG/pdf/hcefh__guide_pratique_com_sans_stereo-_vf-_2015_11_05.pdf

16

Éliane V IENNOT , Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin ! : petite histoire des résistances de la langue française, Donnemarie-Dontilly, iXe, 2014.

17

Audrey L ASSERE , « La disparition   : enquête sur la “féminisation” des termes auteur et

écrivain », in Le mot juste : Des mots à l’essai aux mots à l’œuvre [en ligne], Presse

Sorbonne Nouvelle, Paris, 2006, p. 51 - 68.

(15)

d’ailleurs plus juste aujourd’hui de qualifier ces dernières de queer studies

18

au vu des orientations intersectionnelles

19

et inclusives des recherches de ces dernières années. Quel est l’intérêt scientifique de la mobilisation du concept de genre (gender) en littérature ? Christine Planté a tenté de répondre à la question de l’intérêt scientifique de la réintégration des femmes dans l’histoire littéraire :

D’un point de vue scientifique, une première réponse s’impose : parce qu’elles ont existé, et que toute connaissance incomplète est une connaissance affaiblie, insatisfaisante, qui tend à construire une image fausse de la réalité – ici, de la littérature. On manque quelque chose des pratiques d’écriture et de lecture au XIX

e

siècle si on ignore les écrits de femmes

20

[…]

Le genre ( gender), en ce qu’il interroge le système à l’origine de la hiérarchisation des individus, des valeurs et des représentations qui leur sont associées, lorsqu’il est mobilisé dans une recherche scientifique en littérature, montre que le champ littéraire, les productions qui en émanent et leurs transmissions, se construisent sur les mêmes préjugés et stéréotypes de genre (gender) que l’ensemble des espaces sociaux. La faible représentation des femmes dans les manuels scolaires littéraires actuels fait perdurer cette invisibilisation, ces supports pédagogiques transmettant alors un savoir tronqué. Le rapport de la HALDE sur la Place des stéréotypes et des discriminations dans les manuels scolaires, publié en 2008, analyse deux manuels scolaires de français. Dans le premier, destiné à des élèves de seconde, les documents d’auteures représentent 9,80 % du corpus. Dans le second, pour des élèves de cinquième, le pourcentage d’auteures monte jusqu’à seulement 26 %. La conclusion est que « toutes matières confondues, [ils et elles ont] pu observer cette disparité en termes de représentation valorisante et valorisé socialement entre les

18

Les queer studies, en littérature, « étudie[nt] les stratégies par lesquelles les œuvres subvertissent les catégorisations sexuelles et le système de genre », Samuel M IME , « Queer readings : lecture de la différence » [en ligne], Atelier de Théorie Littéraire, Fabula.

http://www.fabula.org/atelier.php?Queer_readings

19

L’analyse intersectionnelle croise les catégories de sexe, de race et de classe dans l’étude des rapports de domination. Voir Elizabeth H ARPER et Lyne K URTZMAN (coord.), Intersectionnalité : regards théoriques et usages en recherche et intervention féministes in Nouvelles Pratiques sociales, vol. 26, 2, 2014, p. 15-27.

20

Christine P LANTE , « La place des femmes dans l’histoire littéraire   : annexe, ou point de

départ d’une relecture critique   ? », Revue d’histoire littéraire de la France, vol. 103, n

o

3,

1 août 2003, p. 659.

(16)

hommes (survalorisés) et les femmes (sous-valorisées)

21

». Or, c’est un fait désormais bien étudié et connu, les représentations dans les manuels scolaires – et dans tous types de médias – ont un impact sur la construction de l’imaginaire collectif et sur celle des individus

22

. Continuer de penser les évolutions du champ littéraire et médiatique comme principalement emmenées par des hommes, par des écrivains-journalistes, perpétue le préjugé de marginalité et d’illégitimité des femmes dans l’action culturelle.

Fanny Richomme est un exemple significatif de l’invisibilité des femmes dans l’histoire des médias et de la moindre valeur accordée à la littérature destinée à la jeunesse ainsi qu’à la presse féminine. Aucune étude monographique, aucun article ni notice détaillée ne lui sont consacrés. Pourtant, dans le répertoire de la BNF

23

, elle est mentionnée comme auteure de dix-huit titres

24

, éditrice scientifique de trois ouvrages collectifs

25

et directrice de publication du Journal des Femmes.

Son nom de naissance est Claudet, on connaît son nom d’épouse : M

me

Prosper Richomme

26

. On ne semble, en revanche, pas connaître ses dates de naissance et de mort : seul un article concernant une récompense lui étant accordée évoque son décès en 1865

27

. Les ouvrages qu’elle écrit ou édite sont principalement destinés à

21

Pascal T ISSERAND , Anne-Lorraine W AGNER (dirs.) et la H ALDE , Place des stéréotypes et des discriminations dans les manuels scolaires, Metz, Université Paul Verlaine ; 2008, p.

99.

22

Voir Jean-Baptiste L EGAL , « Effets non conscients des stéréotypes sur les comportements et les performances », Reims, Université de Reims Champagne-Ardenne, dans le cadre du projet de l’AFPS « Préjugés & Stéréotypes ».

23

http://data.bnf.fr/fr/10698597/fanny_richomme/

24

Entre autres : Les Grâces chrétiennes. Le Mariage, Paris, Langlois et Leclercq, 1842 ; Le Gamin de Paris, ou L’enfant de Geneviève, Paris, L. Janet, (s. d.) ; Paris monumental &

historique depuis son origine jusqu’à 1789, Paris, Mme veuve L. Janet, 1845 ; Les Beautés de l’âme et Grain de sable, ou le Sorcier d’Altenbourg, Paris, Vve. L. Janet, 1847.

25

Dont : Les Beautés de l’âme, Paris, Vve L. Janet, 1847 ; La Gerbe d’or, Paris, Magnin, Blanchard et Cie, 1858.

26

Prosper Richomme est le petit-fils de Charles-Nicolas Richomme, imprimeur breveté. Ce dernier est aussi le grand-père d’Anne-Félicité Ducessois, épouse de Claude-Alphonse Baudelaire, le demi-frère de Charles Baudelaire. Ainsi, les Richomme et les Ducessois sont d’une lointaine parenté avec Charles Baudelaire mais surout un appui dans le milieu de la presse. Geroge Gendreau et Claude Pichois font également l’hypothèse que par Prosper Richomme que Charles Baudelaire aurait rencontré Eugène Delacroix. Voir Georges G ENDREAU et Claude P ICHOIS , « Autour d’un billet inédit de Charles Baudelaire », Revue d’Histoire Littéraire de la France, 57

e

année, n° 4, 1957, p. 574-578.

27

« Notre Académie surtout devait-elle s’attendre à ce que la médaille d’argent de première

classe qu’elle décerne aujourd’hui à Madame Fanny Richomme fût moins une récompense

personnelle pour elle, qu’une consolation offerte à sa famille et un hommage déposé sur

une tombe à peine fermée ? » in M. F IALON , « Rapport sur les concours de Poésie, de

(17)

la jeunesse : des annonces de romans pour la jeunesse paraissent régulièrement entre 1832 et 1856. Elle participe enfin à la rédaction de plusieurs journaux : Le Dimanche des Enfants

28

ou encore le Journal des dames et Messager des Dames et des Demoiselles

29

. C’est une véritable enquête qu’il faut mener pour réussir à retracer le parcours entre presse et littérature de cette femme.

En ce sens, cette thèse s’inscrit dans une démarche d’« investigation féministe », définie comme « une façon particulière de connaître et de produire du savoir, caractérisée par son intérêt à ce que la connaissance contribue à éradiquer les inégalités de genre (gender) qui fixent les relations et la place des femmes par rapport aux hommes

30

». La volonté qui traverse notre recherche est celle de repenser l’histoire de notre discipline comme mixte

31

. La présente recherche s’appuie sur la définition du genre en tant que rapport social et diviseur :

À partir de ces quatre dimensions analytiques (construction sociale, approche relationnelle, rapport de pouvoir, intersectionnalité), le genre peut être défini comme un système de bicatégorisation

Littérature et d’Industrie », Travaux de l’Académie impériale de Reims, Reims, P. Regnier, 1865, vol. 43, n°1, p. 60.

28

Une annonce publiée le 24 décembre 1840 dans La Presse la compte comme une des écrivaines-journalistes de cette publication. Le « billet inédit de Charles Baudelaire » analysé par Eugène Gendreau et Claude Pichois, concerne un manuscrit pour le Dimanche des enfants, ces derniers estiment qu’il y a lieu de penser qu’étant considérée comme directrice de la revue par Baudelaire, c’est à elle que Charles Baudelaire présente, dans un premier écrit, ses excuses, pour le retrait de son manuscrit. Elle n’y serait donc pas seulement rédactrice mais aurait bien des fonctions de direction. La rédactrion est d’ailleurs situé à la même adresse que ne l’était le Journal des Femmes. Voir Georges G ENDREAU et Claude P ICHOIS , « Autour d’un billet inédit de Charles Baudelaire », art. cit., p. 575.

29

Une annonce est publiée le 21 novembre 1858 dans L’Industrie du Nord et du Pas-de- Calais : journal de commerce et vante les mérites de ce journal et la mentionne comme la rédactrice principale ; une annonce d’éditeur est encore insérée dans une biographie d’Hippolyte Leroy-Dupré, Larrey, chirurgien en chef de la Grande Armée, paris, C.

Albessard et Bérard, 1860.

30

« La investigación feminista es, entonces, une manera particular de conocer y de producir conocimientos, caracterizada por su interés en que éstos contribuyan a erradicar la desigualdad de género que marca las relaciones y las posiciones de la mujerres respecto a los hombres. » Martha Patricia C ASTAÑEDA S ALGADO , Metodología de la investigación feminista, Antigua, Guatemala, Fundación Guatemala, Centro de Investigaciones Interdiciplinarias de Cencias y Humanidades, Universida Nacional Autónoma de México, Avril 2008, p. 14.

31

Voir Geneviève D ERMENJIAN , Irène J AMI , Annie R OUQUIER , Françoise T HEBAULT , La

Place des femmes dans l’histoire, Une histoire mixte, Mnémosyne (éd.), Paris, Belin, 2010.

(18)

hiérarchisé entre les sexes (hommes/femmes) et entre les valeurs et les représentations qui leur sont associées (masculin/féminin)

32

.

Nous analyserons, en effet, comment, au moment où la société française du XIX

e

siècle inscrit dans ses institutions la division et la hiérarchie des sexes, ce système structure également le champ littéraire. Nous nous appuyons sur la définition du champ littéraire de Pierre Bourdieu, entendu comme l’espace de production littéraire et qu’il s’agit d’interroger, selon lui, en trois étapes : « situer le champ littéraire au sein du champ du pouvoir

33

», « analyser la structure interne du champ » et

« analyser les habitus des occupants

34

». Quant à notre démarche méthodologique, nous la voulons héritière de la sociopoétique. Alain Viala propose de croiser l’approche poétique et sociologique :

[…] entendons par là une poétique, c’est-à-dire une étude des genres et des formes, qui s’inscrive dans une réflexion sur ses variations en fonction de variations sociales ; une poétique qui, parce qu’elle est variable et que ces variations se discernent selon des états différents de la société, soit identifiée non comme une quête d’« universaux », mais bien comme une variable sociale. […] la poétique ne peut éluder la nécessité de se faire historique, et, à moins de postuler que les causes internes à chaque genre sont tout, force est d’admettre que les variations historiques des répertoires, définitions et répartitions de genres se font sous l’effet de causalités externes à la pure textualité, donc sous l’effet de faits de société : la corrélation entre ces faits et les états de la poétique donne l’objet de la sociopoétique

35

.

Nous envisageons, en effet, la littérature comme un « discours social » au sens que Marc Angenot

36

donne à cette formule : elle s’adresse à une société, elle n’existe que grâce à cette dernière et elle met en lumière ses valeurs, ses codes culturels et ses modes de représentations. La démarche sociopoétique permet de saisir les

32

Laure B ERENI , Sébastien C HAUVIN , Alexandre J AUNAIT , Anne R EVILLARD ,

« Introduction », Introduction aux études sur les genres, 2

e

édition, Bruxelles, De Boeck,

« Ouvertures politiques », p. 10.

33

« Le champ du pouvoir est l’espace des rapports de forces entre des agents ou des institutions ayant en commun de posséder le capital nécessaire pour occuper des positions dominantes dans les différents champs » Pierre B OURDIEU , « Le champ littéraire », Actes de la recherche en sciences sociales, 1991, vol. 89, n

o

1, p. 5.

34

Pierre B OURDIEU , « Le Champ littéraire », art.cit, p. 5 - 6.

35

Georges M OLINIE et Alain V IALA , Approches de la réception : sémiostylistique et sociopoétique de Le Clézio, Paris, Presses universitaires de France, 1993, p. 147.

36

Marc A NGENOT , 1889 : un état du discours social, Longueil, Québec, Le Préambule,

1989.

(19)

rapports complexes qui s’établissent entre le champ littéraire – les productions qui en émanent et ceux et celles qui le constituent – et l’ensemble de la société ; elle interroge la relation entre l’écrit littéraire et son contexte de production. Le genre (gender), en ce qu’il questionne les rapports sociaux de sexe, est une catégorie d’analyse qui permet d’examiner la relation des agents du champ littéraire et la distribution des formes à partir de ce marqueur. Intégrer le genre (gender) dans une étude sociopoétique

37

permet de saisir l’influence de la littérature dans la construction des normes du masculin et du féminin d’une société, à un temps donné, et la pérennité de ces modèles ; et inversement, de mesurer l’importance de ces modèles genrés dans le milieu littéraire.

Afin de parvenir à « situer le champ littéraire au sein du champ du pouvoir

38

», il nous faut également examiner la redéfinition du champ littéraire à l’aune de l’influence grandissante que la presse y exerce. Les études sur la presse du XIX

e

siècle sortent désormais du seul champ de l’histoire culturelle pour être investies par la recherche en littérature. Marie-Ève Thérenty, en analysant La Presse d’Émile de Girardin, a entamé une recherche pérenne et fructueuse sur les frontières poreuses entre les écritures littéraires et journalistiques. Ses recherches, associées à celles d’Alain Vaillant, de Dominique Kalifa et de Guillaume Pinson notamment, ont permis la mise en lumière des rapports complexes entre les textes littéraires et journalistiques, jusqu’alors peu considérés dans la recherche littéraire

39

. Ces constats de la perméabilité entre presse et littérature ont amené Alain Vaillant à proposer une définition, sur laquelle nous proposons de nous appuyer, de la

« littérature médiatique » comme :

[…] la communication médiatique elle-même, en tant qu’elle est, d’un point de vue fonctionnel, une forme spécifique et historiquement déterminée de la communication littéraire, ayant pris la suite de la circulation des manuscrits ou de livres imprimés, dans la société élitaire du XVIII

e

siècle, pour satisfaire les besoins de

37

Laëtitia Hanin dirige actuellement l’élaboration d’un numéro de la revue Sociopoétiques sur la question du genre en sociopoétique, voir l’appel à contribution mis en ligne sur Fabula :

https://www.fabula.org/actualites/appel-communications-sociopoetique-du- genre_82515.php

38

Pierre B OURDIEU , « Le Champ littéraire », art.cit, p. 5.

39

Voir Guillaume P INSON et Maxime P REVOT (dir.), Études littéraires – Penser la

littérature par la presse, vol. 40, n° 3, 2009.

(20)

lecture d’un public aristocratique ou bourgeois de plus en plus nombreux

40

.

La participation des femmes à la redéfinition du champ littéraire par le biais de l’essor du journal pendant la monarchie de Juillet, a, jusqu’alors, peu fait l’objet de recherches scientifiques en littérature. Marie-Ève Thérenty et Christine Planté ont dirigé un programme de recherche, Masculin/Féminin dans la presse du XIX

e

siècle, entre 2007 et 2010 ; il a été l’occasion « d’explorer les relations entre presse et catégories de genre en France, au cours d’un grand XIX

e

siècle

41

». À la lumière de ces recherches, notre intention est d’étudier comment les femmes se saisissent de ce moment particulier des transformations de l’activité littéraire qui ont pu être observées pendant la monarchie de Juillet.

La monarchie de Juillet est un moment spécifique de l’histoire littéraire et de l’histoire de la presse qui voit les deux champs se rencontrer, de par la fusion des normes qui les définissent. De plus, c’est une période qui précède la professionnalisation du métier de journaliste et la réaffirmation de l’autonomie du champ littéraire par rejet de la marchandisation de l’écriture médiatisée par le journal. Nous avons donc choisi de nous concentrer sur les productions journalistiques et littéraires de 1830 à 1848. La mise en place de la monarchie de Juillet s’appuie sur ce qu’elle feint de devoir à la presse. Les Trois Glorieuses initiées par la « Protestation des écrivains périodiques » publiée dans Le Constitutionnel est le symbole de la force politique de la presse – même s’il faut tout de suite rappeler que la révolution de juillet 1830 a pu avoir lieu du fait de la convergence des étudiants, des ouvriers et de la presse. Il n’en reste pas moins que la liberté de la presse est au centre des préoccupations – ne serait-ce que de l’État qui fait voter dix-huit lois sur la presse entre 1815 et 1848 – et que les avancées techniques et politiques participent au foisonnement de nouveaux périodiques. Ces colonnes à remplir le sont par un nouveau personnel littéraire et par ceux dont l’écriture est déjà le métier. Nous avons fait le choix de clôturer notre période

40

Alain V AILLANT , « De la littérature médiatique », Interférences littéraires/ Literaire interferenties « Postures journalistiques et littéraires », n

o

6, mai 2011, p. 25.

41

Présentation du programme sur : http://lire.ish-lyon.cnrs.fr/spip.php?article478

Nous pouvons encore citer les initiatives auxquelles nous avons participé : Hélène

B ARHELMEBS -R AGUIN et Greta K OMUR -T HILLOY , Médias au féminin : de nouveaux

formats, Paris, Orizons, 2016 ; ainsi que la journée d’étude « Genre et médias : quels

espaces de subversion ? » organisée par l’Atelier Genre et Médias – EfiGiEs, en juin 2014.

(21)

d’étude à la Révolution de 1848 parce que le changement de régime et l’actualité politique influent sur les thèmes médiatiques et donc sur l’écriture appropriée à l’actualité. C’est également un article de Léonie Verrières, publié en juin 1848 dans Le Conseiller des Dames qui a motivé notre choix. Elle écrit que :

Le roman-feuilleton a renvoyé, en face de l’émeute, sa suite au prochain numéro, et les décrets du gouvernement provisoire ont pris la place des faits et gestes du héros magnanime et de l’héroïne sentimentale

42

.

Elle affirme ensuite que le changement d’orientation de l’intérêt du journal, passant des fictions littéraires aux textes de lois, rend les écrivaines-journalistes de la monarchie de Juillet obsolètes : le changement de régime politique insuffle un changement de régime médiatique auquel les écrivaines-journalistes de la monarchie de Juillet devront s’adapter.

Ceux qui occupent et produisent ce champ hybride de la « littérature médiatique » ont été nommés des « écrivains-journalistes

43

». Dénomination composite correspondant à celui qui s’adapte à la nouvelle distribution médiatique des écrits littéraires. Il correspond à ce que Roland Barthes conceptualise en

« écrivant

44

» : l’écrivain, au XIX

e

siècle, est une fonction, « l’écrivant » est une activité. L’écrivain-journaliste a, en premier lieu, la prétention d’être écrivain, sa première ambition n’est pas le journalisme, il considère le support médiatique comme un passage obligé, une étape, un moyen, un tremplin ; son activité de journaliste comme une aliénation. Le journal est aussi une antichambre littéraire : on s’y construit un réseau, on s’y fait un nom, publicité nécessaire aux carrières littéraires. Le journal est, enfin, un laboratoire d’écriture : les contraintes de périodicité et de support orientent les intrigues et les rythmes littéraires ; le roman- feuilleton en est la démonstration.

42

Léonie V ERRIERES , « Les Écrivains féminins sous la République », Le Conseiller des Dames, vol. 1, juin 1848, p. 251.

43

Marie-Françoise M ELMOUX -M ONTAUBIN , L’Écrivain-journaliste au XIX

e

siècle, Saint- Etienne, Éd. des Cahiers intempestifs, coll. « Collection Lieux littéraires », 2003.

44

Roland B ARTHES , « Écrivains et écrivants », Essais critiques [1964], Paris, Seuil,

« Points Essais », 1998.

(22)

La citation de Fanny Richomme, placée en exergue, nous invite à interroger le journal comme ce même tremplin, ce même outil permettant d’accéder au statut de femme de lettres. La visibilité des femmes de lettres du XIX

e

siècle ainsi que la reconnaissance qu’elles obtiennent en intégrant le canon littéraire français, sont minces. Dans le chapitre dédié au XIX

e

siècle de l’Histoire de la littérature française du XIX

e

siècle de la collection « Henri Mitterand », sur quatre-vingt-neuf auteurs cités, sept sont des femmes. La déduction qui surgit spontanément est que les femmes, au XIX

e

siècle, ne participent pas à la production littéraire ni éditée, ni diffusée dans les journaux. Pourtant, la présence des femmes dans le champ littéraire est attestée dès le XIX

e

siècle, pour preuve la quantité de fictions et d’articles prenant pour objet « la femme-auteur » et autres « bas-bleus » : Honoré de Balzac construit Béatrix, La Muse du Département, La Femme-Auteur autour de ces figures ; Germaine de Staël créé Corinne ; Jules Barbey d’Aurevilly consacre le cinquième chapitre des Œuvres et les hommes au XIX

e

siècle aux « Bas-Bleus » ; Paul Gaschon de Molènes se concentre sur « Les Femmes Poètes » dans la Revue des Deux Mondes. Les almanachs, publiés au début du XX

e

siècle et recensant les auteures du XIX

e

siècle, confirment l’importance du contingent féminin dans le personnel littéraire : l’Almanach féministe de Marya Cheliga

45

répertorie soixante-dix portraits d’auteures ; Jean de Bonnefon, dans sa Corbeille des roses ou les Dames de lettres

46

, énumère sept-cent-soixante-dix-huit auteures. Émile Faguet, écrivain et critique littéraire du début du XX

e

siècle, affirme que le métier d’écrivain est devenu « une profession féminine », il poursuit : « C’est un fait général, un fait d’histoire littéraire et dans une certaine mesure un fait social d’une importance assez considérable

47

».

De même, la participation des femmes à l’essor des périodiques pendant la monarchie de Juillet n’est pas discutée : les trajectoires entre presse et littérature de George Sand et Delphine de Girardin sont attestées par des articles de presse

48

. La recherche universitaire contemporaine a également étudié l’augmentation massive

45

Marya C HELIGA (dir.), Almanach féministe, Paris, éd. Cornely, 1900.

46

Jean DE B ONNEFON , La Corbeille des roses ou les Dames de lettres, Paris, De Bouville, 1909.

47

Émile F AGUET , Le Féminisme, Paris, Société française d’imprimerie et de libraire, Paris, 1910, p. 50.

48

Voir par exemple F. de L AGEVENAIS , « Simples essais d’histoire littéraire. Le feuilleton.

- Lettres Parisiennes, de Mme de Girardin », Revue des Deux Mondes, 01 octobre 1843 ;

ou la caricature de George Sand d'Alcide Joseph Lorentz.

(23)

des périodiques féminins pendant la monarchie de Juillet, c’est le cas notamment des travaux d’Évelyne Sullerot

49

, de Laure Adler

50

ainsi que de Claire Blandin et Hélène Eck

51

.

Il y a donc un paradoxe, un hiatus, entre le constat de la participation des femmes à l’essor de la littérature médiatique et le fait qu’elles n’apparaissent pas comme actrices de la redéfinition du champ littéraire au même titre que leurs confrères.

Pourquoi sont-elles confinées dans une spécificité de genre (gender) et dans une catégorisation féminine ? On parle de « presse féminine » mais non de « presse pour hommes », on recense les « dames de lettres », on commente les « femmes poètes » mais non les « gentilshommes de lettres » ou les « hommes poètes ». Les femmes, dans leurs activités littéraires, semblent toujours au seuil du champ : leur existence n’est pas niée mais elles ne sont pas pour autant considérées comme des consœurs à part entière. Parmi les œuvres et articles prenant pour objet les écrivaines- journalistes, la très grande majorité relaie un propos critique : la légitimité des femmes à écrire est sans cesse remise en question.

Nous posons l’hypothèse que le journal, du fait de la variété des écritures qui s’y exercent, élargit les fonctions littéraires des femmes et constitue un espace dans lequel elles peuvent revendiquer et exercer leur légitimité littéraire. Dans une perspective de recherche sociopoétique, mobilisant le genre (gender) et dans la visée d’appréhender la littérature médiatique également investie par les femmes, nous nous interrogerons sur le champ des possibles que ces dernières s’y créent. Comment les femmes transforment-elles la nouvelle posture de l’écrivain-journaliste en celle de l’écrivaine-journaliste ? Trouvent-elles dans la presse un espace d’auto- détermination ? Font-elles du journal une antichambre littéraire dans laquelle elles établiraient des stratégies d’écriture susceptibles de répondre au procès d’illégitimité qui leur est fait ? En quoi le journal est-il le lieu de la composition de tactiques d’acceptabilité ?

49

Évelyne S ULLEROT , Histoire de la presse féminine en France, des origines à 1848, Paris, A. Colin, 1966.

50

Laure A DLER , Les Premières Journalistes : 1830-1850 : à l’aube du féminisme, Paris, Payot, coll. « Bibliothèque historique », 1979.

51

Hélène E CK , Claire B LANDIN et I NSTITUT FRANÇAIS DE PRESSE , La Vie des femmes : la

presse féminine aux XIX

e

et XX

e

siècles, Paris, Éd. Panthéon-Assas, coll. « Colloques »,

2010.

(24)

Nous opérons une distinction entre stratégie et tactique à partir de Michel de Certeau qui affirme que

La tactique n’a pour lieu que celui de l’autre. Aussi doit-elle jouer avec le terrain qui lui est imposé tel que l’organise la loi d’une force étrangère […] elle est en mouvement « à l’intérieur du champ de vision de l’ennemi » comme le disait von Bülow, et dans l’espace contrôlé par lui

52

.

La stratégie est alors considérée comme la manœuvre de ceux qui cherchent à maintenir leur autorité et leur pouvoir dans un espace ; ici, le champ littéraire, maintenu dans ses bornes et ses frontières par des stratégies de décrédibilisation des femmes de lettres : les envisager seulement comme objet de l’inspiration littéraire, des muses silencieuses, ou des monstres de vanité dans les caricatures des « bas- bleu ». L’opération s’appuie sur une conception du modèle féminin réactualisé au début du XIX

e

siècle. La réinvention de l’organisation politique française à partir de la Révolution de 1789 et l’influence plus prégnante des sciences médicales, confinent les femmes dans leur rôle de mère et d’épouse. Nous interrogerons les valeurs associées au féminin et la construction du modèle qui en découle. Nous essaierons de saisir comment ce « féminin » est construit puis affirmé comme incompatible avec la vie littéraire. Nous envisagerons ensuite la presse comme l’espace de la composition des tactiques d’acceptabilité des pratiques littéraires des femmes. Comment les femmes jouent-elles « avec le terrain qui [leur] est imposé » pour parvenir à faire accepter d’une part leur présence dans le champ littéraire, d’autre part leur valeur ? Nous analyserons les parcours possibles d’écrivaines- journalistes dans les périodiques généralistes et dans les revues, avec les contraintes qui sont propres à ces supports. Enfin, nous examinerons la particularité offerte par le journal féminin aux écrivaines-journalistes en quête de reconnaissance littéraire.

Nous entendons par journal féminin ou presse féminine, les périodiques s’affichant comme destinés aux femmes et, au moins partiellement, rédigés par des femmes.

Cette acception repose sur le concept de presse du « nous » d’Évelyne Sullerot, par opposition à la presse du « vous » :

52

Michel de C ERTEAU , L’Invention du quotidien. 1, Arts de faire, Paris, Gallimard, 1990,

p. 60 - 61.

(25)

Néanmoins une grande frontière traverse l’ensemble de cette presse tout entière destinée aux femmes : elle est composée pour moitié […]

de journaux écrits par des hommes en majorité et qui s’adressent aux femmes à la deuxième personne du pluriel. Cette presse du « vous » légifère des mille et une façons d’être à la mode, de bon ton, une femme accomplie, sur un ton sans réplique. D’autres journaux, tous animés par des femmes […] sont tout entiers écrits à la première personne du pluriel. Presse du « nous », – nous les femmes – elle est l’expression d’une prise de conscience collective ou plutôt toutes les tentatives, plus moins réussies, de prise de conscience collective du monde féminin

53

.

Le corpus constitué pour mener à bien cette recherche est dans sa très large majorité, constitué, d’écrits édités et de textes diffusés dans les périodiques de la monarchie de Juillet. Il nous arrivera d’étayer notre propos avec des textes antérieurs ou ultérieurs, dans le souci de prendre en compte la continuité et la pérennité des modèles présentés pendant notre période d’étude. Les textes que nous avons sélectionnés forment une dialectique s’articulant autour de la posture d’écrivaine- journaliste.

Le premier ensemble vise à permettre la définition des « positions déjà faites

54

» pour les femmes dans le champ littéraire. Ce sont des essais imprimés, des articles et des fictions diffusés dans les journaux qui prennent pour objet les écrivaines et journalistes et qui en déterminent les potentiels types : des articles monographiques comme la série d’articles d’Émile Souvestre, diffusée dans la Revue des Deux Mondes, sur la vie de Caroline Wuiet

55

; des chapitres d’essais biographiques et des notices de dictionnaires comme la notice « bas-bleu » extraite du Grand Dictionnaire universel du XIX

e

siècle

56

; des recensions d’œuvres produites par des femmes comme l’article de Jules Janin, pour la Revue de Paris, sur les Lettres Parisiennes de Delphine de Girardin

57

; des panoramas de femmes de

53

Évelyne S ULLEROT , Histoire de la presse féminine en France, des origines à 1848, op. cit, p. 211.

54

Pierre B OURDIEU , « Le Champ littéraire », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 89, n

o

1, 1991, p. 6.

55

Émile S OUVESTRE , « Souvenirs de la République – Mémoires d’un bourgeois de Paris.

Premier épisode. Une femme célèbre », Revue de Paris, vol. 37, 1841, p. 56-104

56

Pierre L AROUSSE , « Bas-Bleu », Grand Dictionnaire universel du XIX

e

siècle : français, historique, géographique, mythologique, bibliographique, Administration du grand Dictionnaire universel, Paris, 1866, t. 2, B, p. 296 ‑ 297.

57

Jules J ANIN , « De L’Esprit. Lettres Parisiennes, par Mme Émile de Girardin. », Revue de

Paris, septembre 1843, XXI, p. 233 - 262.

(26)

lettres comme dans l’article d’Antoinette Dupin, « Les Femmes », publié dans le Journal des Femmes

58

; des fictions comme celle d’Élisa Souty, publiée dans le même Journal des Femmes, sur « La première composition d’une femme

59

» ; ou encore la « Lettre de M. Simplet aux Rédactrices

60

» du Petit Courrier des Dames.

Ce premier ensemble est également composé de romans d’initiation à l’entrée en littérature : La Femme auteur, ou les inconvéniens (sic) de la célébrité

61

d’Adélaïde- Gillette Dufrénoy, Émilie, la jeune fille auteur

62

de Sophie Ulliac-Trémadeure, Les Illusions perdues

63

d’Honoré de Balzac, ou encore Une Fausse Position

64

de Caroline Marbouty.

Le second ensemble du corpus est constitué d’articles issus de revues et de périodiques féminins, qui confirment, discutent ou critiquent les caractéristiques de ces modèles disponibles. Nous analyserons, entre autres, l’article que Paul Gaschon de Molènes écrit pour la Revue des Deux Mondes, « Les Femmes Poètes

65

» ; celui de Louise Maignaud, « Les Femmes auteurs », publié dans Le Conseiller des Femmes

66

, ou encore l’article « Sur les Femmes Auteurs » du Petit Courrier des Dames du 31 mai 1828

67

.

La troisième division de notre corpus regroupe des articles dans lesquels il nous a été possible d’analyser la création et l’expérimentation de nouvelles postures d’écrivaines-journalistes : les « Courriers de Paris » de Delphine de Girardin,

58

Antoinette D UPIN , « Les Femmes », Journal des Femmes, vol. 1, 5 mai 1832, p. 5.

59

Élisa S OUTY , « La Première Composition d’une femme », Journal des Femmes, t. 5, p.

34.

60

[A NON .], « Lettre de M. Simplet aux Rédactrices », Petit Courrier des Dames, vol 1, 15 mars 1822, p. 114-117.

61

Adélaïde-Gillette Billet D UFRENOY , La Femme auteur, ou Les inconvéniens de la célébrité, Paris, Béchet, 1812.

62

Sophie U LLIAC -T REMADEURE , Émilie, la jeune fille auteur, Limoges, E. Ardant, 1836.

63

Honoré DE B ALZAC , Illusions Perdues [1837], La Comédie humaine. Études de mœurs.

Scènes de la vie de province, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », t. IV, 1935.

64

Caroline M ARBOUTY , Une Fausse position [1844], 2

e

éd., Paris, Malassis, 1862.

65

Paul G ASCHON DE M OLENES , « Les Femmes poètes », Revue des Deux Mondes, juillet 1842, p. 48-76.

66

Louise M AIGNAUD , « Des Femmes Auteurs », Le Conseiller des Femmes, vol. 1, n

o

9, 28 décembre 1833, p. 133-135.

67

[A NON .], « Sur les femmes auteurs », Petit Courrier des Dames, n° XXX, t. XIV, 31 mai 1828, reproduit in Jeanne B RUNEREAU , Presse féminine et critique littéraire de 1800 à 1830. Leurs rapports avec l’histoire des femmes, Paris, Ève et son espace créatif, 2000, p.

311-312.

(27)

chroniques diffusées dans le feuilleton de La Presse

68

entre 1836 et 1848 ; les compte-rendus des Salons de peinture et les recensions littéraires d’Alida de Savignac dans le Journal des Femmes et le Journal des Demoiselles ; les

« Correspondances » de Jeanne-Justine Fouqueau de Pussy dans le Journal des Demoiselles ; et les articles de Flora Tristan publiés dans L’Artiste, la Revue de Paris et Le Siècle, en amont de la publication des Pérégrinations d’une Paria, des Promenades dans Londres et de Méphis.

68

Nos références seront extraites de l’édition en deux tomes d’Anne Martin-Fugier :

Delphine de G IRARDIN , Lettres parisiennes du vicomte de Launay, Paris, Mercure de

France, coll. « Le Temps retrouvé », 1986.

(28)

Première partie

Le sacre de l’écrivaine ?

(29)

Introduction

Le premier élan de ce travail de thèse est de cerner le contexte lié à notre objet et par là même, de nous rapprocher de notre question centrale, à savoir les stratégies mises en place par les femmes pour investir la « littérature médiatique

69

». En effet, partant de l’interrogation de Pierre Bourdieu, lorsqu’il questionne « comment, étant donné son origine sociale et les propriétés socialement constituées qu’il lui devait, il [l’écrivain] a pu occuper ou, en certains cas, produire les positions déjà faites ou à faire qu’offrait un état déterminé du champ littéraire

70

», nous analyserons les deux caractéristiques a priori fondamentales qui traversent les « femmes auteurs

71

» : le fait d’être femme et le fait d’être auteure. Nous pourrons établir à la fin de notre partie les « positions faites » pour ces dernières et mesurer alors leur façon de composer avec celles-ci.

De profonds bouleversements aux répercussions multiples ont lieu au XIX

e

siècle : révolution industrielle, naissance du capitalisme, ascension de la bourgeoisie, progrès des techniques dans l’imprimerie… Ces changements se répercutent dans les réflexions sociales et intellectuelles. Ces mutations ont aussi un écho dans la sphère littéraire, espace que l’on peut considérer comme le reflet des différents bouillonnements de son temps. En un siècle, les mouvements littéraires successifs réfléchissent et infléchissent les mœurs : la littérature d’Empire incarnée par René de Chateaubriand et Germaine de Staël, la littérature moraliste de la Restauration, les Romantismes de Victor Hugo, Alfred de Musset et Alphonse de Lamartine, les Réalismes d’Honoré de Balzac, Stendhal et Gustave Flaubert, les Naturalismes de Guy de Maupassant et Émile Zola, pour n’évoquer que les mouvements de la prose française.

Dans cette courte liste des personnalités littéraires reconnues comme appartenant au canon littéraire français, on note que les femmes sont très peu nombreuses. Comme on ne retient que peu les écrivains dits mineurs, les femmes de lettres du XIX

e

siècle ne sont

69

Alain V AILLANT , « De la littérature médiatique », Interférences littéraires/ Literaire interferenties « Postures journalistiques et littéraires », n

o

6, mai 2011, p. 21 - 33.

70

Pierre B OURDIEU , « Le Champ littéraire », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 89, n

o

1, 1991, p. 6.

71

Groupe nominal très fréquemment utilisé pour qualifier le personnel littéraire féminin.

Nous revenons sur ce qu’il signale dans le deuxième chapitre de la présente partie de thèse.

(30)

pas légion dans la mémoire littéraire. Pourtant, elles existent, et en grand nombre, mais elles sont confrontées à la situation générale qui leur est faite.

Cette première partie interrogera alors les obstacles contextuels rencontrés par les femmes désireuses de s’inscrire dans le champ littéraire. Parle-t-on aussi pour elles de

« sacre

72

» que Paul Bénichou démontre pour les auteurs des XVIII

e

et XIX

e

siècle ? Le chercheur a, en effet, montré comment la figure de l’écrivain a progressivement été mise sur le piédestal du sacré, désormais refusé à l’Église. Ainsi, une autorité sociale est accordée au Poète-Penseur, il bénéficie d’une reconnaissance collective de son regard affuté sur la société. La moindre influence de l’Église et les revendications égalitaires de la Révolution de 1789, l’ascension de l’autorité du personnel littéraire ont-elles permis aux femmes de s’inscrire plus aisément dans des « positions faites » ou de s’en composer ? Si on peut clairement mesurer quantitativement l’augmentation de l’effectif féminin du personnel littéraire, qu’en est-il de la reconnaissance de sa légitimité artistique, par les détenteurs de l’autorité littéraire ? Quelles sont les postures d’écriture disponibles pour les femmes ? La lecture de différents almanachs

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nous apprend que, malgré l’absence de progrès de la condition politique des femmes, le nombre d’entre elles qui écrivent et qui parviennent à être publiées s’accroît considérablement au cours du XIX

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siècle à la faveur de la libéralisation de la presse et de l’édition : Claude Mignot- Ogliastri, dans son étude sur Anne de Noailles, une amie de la princesse Edmond de Polignac

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, multiplie par cent le nombre des auteures entre 1860 et 1908. On peut donc en déduire l’existence d’un contingent important constitué par des femmes, plus personne à la fin du siècle ne contredit ce constat. Cependant, on peut s’interroger sur la nouvelle organisation du champ littéraire à la fois du fait de ce nouveau personnel littéraire et du fait du nouvel espace médiatique qu’il s’approprie. Comment les femmes réussissent- elles à intégrer le champ de l’imprimé, fragilisé autant que renforcé par les changements du siècle ?

Nous analyserons d’abord le statut de « femme » dans la société de la monarchie de Juillet pour constater la fixation institutionnelle de son infériorité et son exclusion de la sphère décisionnelle politique, puis pour montrer l’établissement d’un modèle

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Paul B ENICHOU , Le Sacre de l’écrivain : 1750-1830, Paris, J. Corti, 1993.

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Recueils listant et commentant les ouvrages publiés, se basant soit sur une période, soit sur un angle précis, ici les ouvrages écrits par des femmes.

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Claude M IGNOT -O GLIASTRI , Anna de Noailles : une amie de la princesse Edmond de

Polignac, Paris, Fondation Singer-Polignac, Méridiens-Klincksieck, 1986.

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monolithique exigé aux femmes. Ensuite, pour comprendre la position d’« auteur »

prévue pour les femmes, nous analyserons la structure interne du champ littéraire à partir

de l’essor du journal dans les années 1830 : comment le support médiatique est influencé

et influence l’écriture littéraire ? Quelles modifications le journal opère-t-il sur la figure

de l’écrivain ? Enfin, nous examinerons les figures que les acteurs du champ littéraire

construisent pour leurs nouvelles consœurs comme autant de scénarios auctoriaux

disponibles.

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