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Academic year: 2021

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Quoi de neuf depuis « variations sur une leçon » ?

Alain Mercier, Séminaire à Toulouse, auprès de l’équipe de didactique de l’IUFM.

Depuis dix ans, nous avons produit l’émergence d’une didactique comparée, venue du travail codisciplinaire qui avait produit ces « variations ».

Ce travail codisciplinaire conduit pour l’analyse d’une séance d’enseignement « ordinaire » à l’Ecole pour l’observation Jules Michelet, à Talence, a marqué un tournant dans les travaux didactiques dans la mesure où il a signé l’entrée des didacticiens des mathématiques dans les débats en Sciences de l’Education.

Les techniques mises en place à cette occasion ont été depuis développées, tant par les didacticiens des mathématiques (Sensevy, Schubauer-Leoni, Salin, Mercier et aujourd’hui Matheron, Fluckiger, Felix, en direction d’une approche « clinique » en « didactique comparée » dont je vous présenterai les « pratiques expérimentales » d’intervention contrôlée) que par les chercheurs d’autres disciplines de référence (Blanchard-Laville, Mosconi, Hatchuel, qui se réclament d’une approche « clinique de type psychanalytique » et sociologique).

En didactique des mathématiques (mais aussi de l’EPS et du Français lorsque les chercheurs travaillent sur des orientations comparatistes : voir Mercier, Schubauer-Leoni, Sensevy, 2002, Vers une didactique comparée. RFP), les leçons de ce travail ont été tirées dans le sens de la mise en place de « l’observation des systèmes didactiques dans leur fonctionnement ordinaire » qui articule et confronte l’observation d’épisodes didactiques pour des élèves, en classe

(Mercier, 2001, L’observation du travail des élèves, quels en sont les objets élémentaires et comment les construire. In Venturini, Amade-Escot, Terrisse, Etude des pratiques effectives : l’approche des didactiques) avec le projet déclaré du professeur, l’observation et l’analyse de la manière dont il est conduit (Leutenegger, Schubauer-Leoni, Mercier, Interactions didactiques dans l’apprentissage des grands nombres. In Gilly, Roux, Trognon, 1999, Apprendre dans l’interaction. PUN). C’est ainsi que j’ai pu montrer comment « les élèves participaient à l’enseignement » (Mercier, 2000, La participation des élèves à l’enseignement. RDM) et que nous avons observé comment cette participation n’était pas partagée également par tous les élèves (sans pour autant qu’un lien n’ait été prouvé entre ce phénomène et les apprentissages effectifs) (Mercier, Sensevy, Schubauer-Leoni, 2000, How interaction within a class depend on the teacher’s assessment of the students' various mathematical capabilities, a case study. ZDM).

Par ailleurs, l’approfondissement du travail sur la description des pratiques mathématiques qu’a permis la notion d’ostensif a donné à voir plus systématiquement des gestes

d’enseignement du professeur dont l’identification appartenait jusqu’alors au savoir faire du chercheur. Les questions de la maîtrise des phénomènes mémoriels par le professeur

appartiennent aux acquis importants de cette direction de recherches. Je ne les présenterai pas ici puisque c’est une des spécialités de Matheron : je renvoie sur ce point à ses travaux.

Enfin, l’intérêt d’une intervention minimale permettant de « faire bouger l’équilibre pour observer la manière dont il est retrouvé », technique expérimentale pour l’analyse clinique apportée par Leutenegger (1999) dans sa thèse et développée depuis (Leutenegger, 2000, etc.) a permis ensuite d’améliorer la méthode clinique en la rendant quasi expérimentale puisqu’il s’agit de produire des phénomènes in situ. Les techniques correspondantes semblent

génériques et appartiennent sans doute maintenant à la boîte à outils de plusieurs didactiques

disciplinaires.

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L’ensemble de ces progrès a permis l’émergence d’un « modèle de l’action didactique du professeur » (Sensevy, Schubauer-Leoni, Mercier, 2001) dont l’intérêt pour l’étude de

l’enseignement ne s’est pas démenti. Je vous en présenterai certains résultats actuels. C’est ici que le projet de rendre compte de l’effet des pratiques d’enseignement sur les

apprentissages effectifs des élèves, pratiques dont on peut penser qu’elles sont « décidées en acte » par « négociation » entre les cultures didactiques du professeur et de ses élèves, semble réalisable…

Je montrerai donc, pour le dire en quelques mots, comment la mise en place du contrat didactique produit conjointement un cadre institutionnel dans lequel les élèves sont impliqués en personne et comment les ruptures du contrat produites par le professeur pour que les élèves puissent apprendre déstabilisent l’équilibre de la classe comme institution. Cela s’observe par l’apparition de moments de fonctionnement faiblement didactique dans les classes ordinaires.

La comparaison des organisations de techniques que les différents

professeurs ont développées pour rattraper l’équilibre du fonctionnement didactique fait semble-t-il, pour les professeurs, l’essentiel du travail dont ils parlent entre eux. Elles forment en effet leurs « manières d’enseigner » personnelles. Elles sont l’objet de nos travaux actuels.

Méthode

1. L’ingénierie didactique : la Course à 20

L’ingénierie abordée est celle de la Course à 20, qui joua un rôle important dans la théorie des situations (Brousseau, 1998), notamment au plan de la caractérisation des diverses formes de situation adidactiques. Nous tentons de faire jouer à cette ingénierie un rôle similaire dans la caractérisation de l’action du professeur. La Course à 20 est un jeu mathématique. Le jeu met en présence deux adversaires ; le premier dit un naturel X

1

strictement inférieur à 3 (par exemple, il dit 1) ; le second dit le naturel Y

1

obtenu en ajoutant 1 ou 2 à X

1

(par exemple, il ajoute 2 à 1, et il dit donc 3) ; le premier dit alors le naturel X

2

obtenu en ajoutant 1 ou 2 à Y

1

(par exemple il ajoute 1 à 3 et il dit 4), etc. Celui qui peut dire 20 et le fait, a gagné.

La suite des nombres que l’on peut dire pour gagner à coup sûr est 2, 5, 8, 11,14, 17, 20. Tous les élèves ne produisent pas spontanément une telle connaissance (beaucoup s’arrêtent à 17 et il leur faut un grand nombre de parties pour se décider à jouer toujours 14). Une première action d’enseignement est donc indispensable, l’apparition de la liste complète en atteste l’efficacité. Guy Brousseau (1998) montre comment les recherches fondées sur l’ingénierie de la « Course à 20 » ont permis de dégager les conditions didactiques sous lesquelles

apparaissent les théorèmes du type « 17 gagne, la Course à 20 équivaut donc à la course à 17 » ou « 14 gagne, etc. » puis, la notion de « stratégie gagnante » et enfin, la « division euclidienne » comme modèle général des jeux du même type.

2. Le scénario de la recherche

Le scénario général de la recherche dont nous avons extraits certains épisodes pour cet article est en substance le suivant :

1

1

Scénario établi dans une perspective de clinique expérimentale (Voir notamment Leutenegger, 2000).

(3)

a. Deux professeurs expérimentés, maîtres-formateurs, (nommés dans ce qui suivent P1 et P2), suivent une formation sur la situation Course à 20, surtout centrée sur ses aspects mathématiques (nous reviendrons sur ce point). A la fin de la formation, une photocopie des pages du livre de Brousseau (1998) consacrées à la situation est donnée aux professeurs, mais cette organisation didactique n’a jamais été abordée (ni aucune autre) en tant que telle dans la formation.

b. Les professeurs mettent en œuvre, à la demande des chercheurs, cette situation dans leur classe, sur deux séances. Ils ont toute latitude pour s’inspirer ou non de l’organisation didactique proposée par Brousseau.

c. Après cette mise en œuvre, ils produisent une auto-analyse

2

de leur propre action dont ils commentent un enregistrement vidéo.

d. Dans un second temps, ils produisent une analyse croisée

3

de l’action de l’autre professeur

4

dont ils commentent un enregistrement vidéo.

Cadre théorique

1. La relation didactique, le spécifique et le générique

Nous inscrivons notre travail au sein de l’étude de la relation didactique. La relation didactique est fondamentalement ternaire, puisqu’elle s’établit entre le professeur et les élèves à propos du savoir. Comprendre l’action du professeur suppose donc l’analyse de la position des élèves mais surtout, la prise en compte du savoir a propos duquel professeur et élèves interagissent. Nos analyses se pensent comme analyses de la situation didactique, que nous considérons comme « l’institution locale qui permet l’existence du savoir ». Rendre compte de l’action du professeur, c’est donc décrire (par ses observables que sont le langage, le système de signes, les interactions) la relation didactique, par les situations qu’elle promeut.

Nous postulons que le professeur mobilise des techniques anthropologiques très générales pour produire des techniques d’enseignement complexes, spécifiques de la relation didactique. Nous défendons l’idée que le professeur mobilise conjointement, dans une dialectique constante, des techniques spécifiques du travail de la matière enseignée (dans cet article, il s’agira du travail mathématique) et des techniques didactiques génériques (relatives à l’organisation de l’activité des élèves, par les consignes comme par le matériel mis à leur disposition).

2. Des catégories de description

Analyser l’action du professeur suppose selon nous de pouvoir décrire cette action à l’aide d’une système de catégories spécifiques de l’interaction didactique. Le but de ce paragraphe est donc de présenter rapidement les descripteurs que nous utilisons et dont l’ensemble forme, pour chacun des niveaux d’analyse envisagés, un système.

Le premier niveau : le point de vue des fonctions didactiques, le milieu des interactions

« pour le savoir » (i.e. : à fonction épistémogénique)

L’activité didactique des professeurs et des élèves se déroule au sein d’un certain

« environnement » institutionnel cognitif et matériel, une situation.

2

Technique comparable dans certaines de ses modalités, et certains de ses objectifs, à la technique dite d’ « auto- confrontation » en ergonomie (cf par exemple, Clot, 2002, notamment pp 131-159)

3

Technique comparable dans certaines de ses modalités, et certains de ses objectifs, à la technique dite de

« confrontation croisée » en ergonomie (cf par exemple, Clot, 2002, notamment pp 131-159)

4

Une étude comparative de la première séance conduite par P1 et P2 est menée dans Sensevy, Mercier,

Schubauer-Leoni (proposé).

(4)

Selon Brousseau (1998), on peut décrire une relation didactique par ses conditions institutionnelles d’existence efficace : le contrat didactique, qui règle les situations. Selon le point de vue adopté, ces conditions apparaissent à l’observateur comme un système d’attentes réciproques entre le professeur et les élèves, comme un système de règles pour la plupart implicites, ou comme un système d’habitudes d’action (à propos de la matière étudiée) que professeur et élèves pensent convenables dans le cadre d’une relation didactique donnée. Une partie de ces habitudes d’action sont pérennes (Mercier, 1987) et nous considérons qu’elles fondent toute relation didactique possible pour une matière d’enseignement donnée, toute situation. D’autres sont spécifiques de tel ou tel savoir, et suivent donc, dans la classe, l’évolution des situations qui permettent la vie scolaire de ces savoirs.

Brousseau (1998) a proposé de modéliser les interactions des élèves avec les dimensions matérielles et cognitives de la situation à l’aide de la notion de milieu. Le milieu est un système de ressources, qui permet et oriente l’action des élèves. Le milieu pourra ainsi à la fois caractériser des éléments de l’environnement matériel de l’activité des élèves (par exemple la règle et le compas dans une certaine tâche géométrique) et des éléments de l’environnement cognitif et symbolique de cette activité (par exemple la conception du cercle ou du compas propre à l’élève, etc.). Le milieu est analysé comme un écosystème pour le savoir que la situation permet.

Les dialectiques adidactiques nomment les interactions des élèves avec le milieu des situations lorsque ces interactions sont suffisamment « prégnantes et adéquates » pour qu’ils puissent construire des savoirs d’action ou connaissances, formuler des stratégies d’action ou savoirs, valider des savoirs en utilisant les rétroactions du milieu sans que leur activité ne soit orientée par la nécessité de satisfaire aux intentions du professeur, qui leur demeurent opaques. Les situations, définies par le fait qu’elles permettent ces dialectiques, sont donc caractéristiques du savoir que les élèves, aux prises avec le milieu, peuvent former …à la condition que le professeur sache comment réguler l’activité des élèves et les apprentissages associés, et organiser l’évolution des situations et de leurs milieux.

Nous étudierons, dans le cadre de cet article, comment deux professeurs organisent des situations qui devraient se fonder sur des dialectiques d’interaction adidactiques, en leur proposant de réaliser une situation bien connue des chercheurs en didactique des mathématiques qui leur est donnée par sa description rapide. Le jeu de la « course à 20 » fonde en principe une situation relative à la division.

Le deuxième niveau : le point de vue des fonctions institutionnelles, l’action enseignante dans et sur les situations « pour le savoir » (i.e. : didactiques, à fonction épistémogénique).

Dans une vision élargie de la théorie de la transposition didactique (Chevallard, 1991, 1992 ; Mercier, 2002) on peut considérer trois fonctions institutionnelles du travail professoral, qui nous paraissent fondamentales. Ces dimensions permettent de décrire le travail professoral par ses fonctions relatives à la mise en place et à l’entretien d’une relation didactique.

La mésogenèse désigne le processus par lequel le professeur aménage un milieu avec lequel il

attend que les élèves interagissent pour apprendre. Cet aménagement est à la fois matériel,

symbolique et cognitif. Il peut consister en un simple texte à étudier et la responsabilité de

l’étude incombe alors presque entièrement à l’élève, comme il peut consister en un

environnement beaucoup plus riche comme l’est le milieu d’une situation adidactique. La

chronogenèse désigne la progression dans le savoir proposé par le professeur et étudié par les

élèves. Ce progrès dans la matière de l’enseignement produit, pour les élèves comme pour le

professeur, une temporalité propre aux institutions didactiques. Le professeur doit assurer

l’avancée du temps didactique (expression synonyme de chronogénèse), à l’échelle d’une

séance ou d’une fraction de séance (micro-temps didactique) comme à l’échelle d’un certain

nombre de séances (macro-temps didactique). La topogenèse désigne la partition de l’activité

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entre le professeur et les élèves. Dans une relation didactique, le professeur doit (par exemple, en assurant la chronogenèse) définir et occuper sa position, partager avec les élèves des tâches leur permettant d’occuper en retour leur position dans l’espace didactique, d’assumer ce qui relève de leur responsabilité. Par exemple, selon les situations qu’il propose et la manière dont il assure la régulation de l’activité des élèves, laisse plus ou moins de place à leur action ou à leur expression.

Ces trois dimensions entrelacées constituent pour nous, en complément des précédentes catégories, des moyens de description de l’action d’enseignement que conduit un professeur.

Ainsi, la dévolution désigne le processus dans lequel le professeur fait en sorte que les élèves assument une part de la responsabilité de leurs apprentissages en interagissant avec le milieu d’une situation adidactique (Brousseau, 1998). Le processus de dévolution est l’effet de la genèse du milieu de l’activité des élèves et définit ainsi les positions (topos) de professeur et d’élève par leurs responsabilités respectives dans l’activité didactique ; par ailleurs, la dévolution du milieu d’une situation adidactique relance la progression possible dans la matière de l’enseignement, elle est donc chronogène. L’institutionnalisation désigne le processus dans lequel le professeur signifie aux élèves les savoirs ou les pratiques qu’il leur faut retenir comme les enjeux de l’apprentissage attendu (Brousseau, 1998). Le processus d’institutionnalisation est l’effet de la situation et du contrat à propos du milieu qu’elle propose ; il produit ainsi, à propos d’un savoir identifié et appris, une réduction de la distance entre le professeur et les élèves en même temps qu’il marque le progrès accompli.

La modélisation de l’activité du professeur

Nous considérons l’activité du professeur comme un « jeu sur le jeu de l’élève » qui consiste à assurer simultanément de multiples équilibres, et la modélisation que nous présentons maintenant nous permet de décrire les équilibres réalisés en les situant dans le cadre général du travail de régulation de la relation didactique qu’effectue le professeur.

On peut ainsi considérer que généralement sans doute mais très spécifiquement ici dans les observations que nous avons conduites autour du jeu de la Course à 20, l’activité de l’élève est une activité située dans un « jeu d’apprentissage » caractérisé par un contrat didactique et par une suite de milieux déterminés. Le travail du professeur correspond alors à la répétition de plusieurs séquences des tâches suivantes, liées les unes aux autres :

- Définir (et redéfinir en continu) le jeu, ses règles constitutives

5

.

- Dévoluer, c’est-à-dire faire en sorte que l’élève puisse accepter de jouer le jeu et qu’il joue.

- Réguler, c’est-à-dire faire en sorte que l’élève puisse produire des stratégies gagnantes.

- Institutionnaliser, c’est-à-dire faire en sorte que l’élève puisse apprendre du jeu et retenir les savoirs produits dans le cours du jeu.

Nous considérons que la manière dont le professeur effectue ce travail peut s’analyser à trois niveaux :

- Un niveau de régulation interne à une séance d’enseignement, que l’on observe à une échelle réduite et qui répond aux contraintes didactiques fondamentales. Dans une telle perspective, on décrit le travail du professeur par les techniques de définition, régulation, dévolution, institutionnalisation qu’il emploie. Ces techniques satisfont les fonctions de mésogenèse, topogenèse et chronogenèse.

5

Nous utilisons ici la distinction produite par Hintikka (1993) entre règles constitutives et

règles stratégiques d’un jeu.

(6)

- Un niveau où l’on peut décrire les changements du jeu d’apprentissage - modélisés par la théorie des situations et dont les formes possibles sont décrites par une typologie des différents contrats didactiques associés - (Brousseau, 1996, Grenier et Comiti, 1997) Dans cette perspective, on observe comment le professeur régule les situations - et par là, le processus d’apprentissage - en modifiant à la fois le but de l’interaction, le contrat qui régit cette interaction et le milieu qui la sous-tend.

- Un niveau où l’on s’efforce de prendre en compte certaines des croyances professorales qui peuvent peser à chacun des deux niveaux précités et qui le conduisent à élire pour leur sémioticité certaines configurations de techniques anthropologiques contre d’autres, qui seraient pourtant susceptibles d’assurer les mêmes fonctions. Nous considérerons ces croyances, à la manière pragmatiste, comme des habitudes d’action, pour la plupart héritées des confrontations précédentes aux situations d’enseignement et d’apprentissage, et en partie façonnées par les valeurs, en particulier les valeurs cognitives (Putnam, 1994) qui sont celles des professeurs.

Cependant, la clé de nos analyses didactiques tient toujours à l’identification de l’épistémologie des connaissances effectivement enseignées, qui ont donc pu être apprises. Puisque nous avons pour postulat que les situations caractérisent ces connaissances ou savoirs du point de vue de leur épistémologie, la clé de notre progrès dans la compréhension de l’action enseignante des professeurs se trouve donc dans la confrontation des descriptions précédentes à l’analyse des situations didactiques produites par l’activité conjointe des élèves et du professeur. Ce sera l’objet de notre conclusion.

Au plan méthodologique, notre travail peut être conçu dans une perspective expérimentale, puisque les professeurs sont ici « contraints » à mettre en œuvre une séance qui ne leur est pas habituelle : le système didactique que nous étudions est donc « perturbé », et nous comptons sur cette perturbation pour faire apparaître des éléments signifiants de la pratique professorale.

Mais on peut également noter la dimension clinique de cette recherche.

- D’une part, même si les professeurs ont reçu une formation concernant la Course à 20, il ne leur est nullement demandé d’appliquer une ingénierie didactique, ils peuvent

« improviser » librement sur le canevas de la Course à 20, et retrouver dans une certaine mesure leur pratique « ordinaire ».

- D’autre part, contrairement à ce qu’il en est dans la tradition expérimentaliste dure, le dispositif méthodologique permet de prendre en compte le sens de l’action pour l’acteur, dans une perspective de clinique didactique (Leutenegger, (2000), Schubauer- Leoni et Leutenegger (2002)).

Pour ce qui concerne l’ensemble de travaux qui sous-tend cette intervention, on peut dire que La course à 20 agit comme un révélateur de certaines manières d’enseigner du professeur.

Les fortes contraintes de cette situation permettent de constater l’individualisation de techniques dont la nécessité répond à ces contraintes. Car les propriétés ergonomiques de la situation créée par ce jeu lui assurent une grande autonomie de fonctionnement

6

. La situation peut être transmise très rapidement aux professeurs. Sa robustesse assure d’une activité effective des élèves et donc, de la formation quelques connaissances ou même de savoirs mathématiques identifiés.

6

Pour s’en persuader, on pourra comparer avec les situations – Les feuilles de papier, Le

Tangram, etc. – relatives aux rationnels et décimaux dans la scolarité obligatoire étudiées par

Brousseau (1987), qui engagent bien davantage le professeur.

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Lors de la formation reçue par les professeurs participant à cette recherche, cette ingénierie a été évoquée, le texte de Brousseau qui la décrit a été donné aux enseignants, mais l’ingénierie n’a pas constitué un objet de formation en elle-même. Ses propriétés didactiques agissent comme un filtre grossissant sur les principales techniques professorales, car l’ingénierie proposée par Brousseau suppose que le professeur puisse mobiliser une très large palette de techniques d’enseignement. Etudier la Course à 20 du côté du professeur, c’est donc pour nous rendre visibles des techniques fondamentales, à l’œuvre d’une manière plus ou moins prégnante dans l’ensemble des processus didactiques.

L’objet de l’observation

Les deux professeurs (P1 et P2) qui sont pris en compte dans notre analyse ont opté pour deux modalités différentes de gestion de leur tâche d’enseignement au cours des deux moments de travail avec leurs élèves. Pour chaque professeur nous procéderons à une première totalisation/réduction de l’information concernant la première séance, ensuite nous prendrons appui sur un épisode issu de ce découpage pour mettre en évidence des exemples des trois techniques mésogénétiques, chronogénétique et topogénétique. La comparaison des deux

« modes » d’action mis en œuvre par les deux professeurs étant utile à la compréhension des descripteurs de l’action conjointe du professeur et des élèves.

Tableaux 4, 5, 6 : Découpage de la séance 1 professeur P1

Temps Tours de parole Episodes didactiques Modalité

s 0-6 1-46 Démarrage, sens possibles de l’expression « course

à 20 », règle du jeu

6-11 46-113 Jeux d’essai avec sollicitation de divers élèves (P1 ne joue pas)

11-15 113-123 Consigne Jeux en équipes de 3 (1 contre 1 + 1 arbitre)

L’arbitre surveille le respect des règles, note le bilan des parties, des remarques.

Collectif classe

15-22 124-164 Jeux des trios, P1 passe dans les rangs Par trios d’élèves 22-28 165-193 Remarques des élèves sur les jeux réalisés

- Celui qui a dit 17 est obligé de gagner P1 écrit au tableau

Il ralentit le temps mais il ne le fait pas pour écrire un théorème, qui relancerait dans un nouvel espace d’étude.

Collectif classe

17

7

(8)

- quand tu arrives à 14 tu es sûr de gagner

- 11

- même à 8 et aussi à 5 et à 2

- non il avait dit 2 il a perdu

- Mickaël : c’est parce qu’il a pas utilisé la bonne technique. Je dis 2 Cédric va être obligé de dire 3 ou 4 moi 5 il sera obligé de dire 6 ou 7 et puis je dirai 8 il sera obligé de dire 9 ou 10 je dirai 11 il sera obligé de dire 13 ou 12 je dirai 14 il sera obligé de dire 16 ou 15 moi je dirai 17 et ben là c’est fini il sera obligé de dire 19 ou 18 P1 renforce l’idée que certains avec 2 perdent quand même et conclut il semblerait qu’il y ait des

nombres plus importants que d’autres

S’adressant à Mickaël : c’était assez clair tu as été assez vite

28-40 193-209 P1 demande de rejouer en notant les nombres (arbitre)

Suite à une déclaration d’un élève en aparté, P1 écrit au tableau

Celui qui commence gagne ?

Par trios d’élèves

40-48 210-327 1 partie rejouée publiquement divers constats d’élèves

- triche si c’est toujours. le même qui commence

- si technique appropriée, celui qui commence gagne toujours

- j’ai commencé mais l’autre a gagné

Certains élèves de la classe progresse dans la compréhension de la course à 20 comme jeu à deux joueurs, contre le cours du jeu organisé par le professeur qui s’intéresse à tout autre chose sans réussir à le désigner : les stratégies gagnantes.

Nombres écrits au tableau :

17,14,11,8,5,2

P1 demande : ce sont des nombres importants ? on peut dire : celui qui commence gagne ? Els : non

P1 : on n’a pas l’air d’accord

Collectif classe

48-60 327-357 P1 demande de jouer 2 contre 2 + 1 arbitre P1 se met dans un groupe comme arbitre P1 : est-ce le hasard qu’elles ont gagné ? P1 recueille les productions écrites des élèves

Par équipes

de 2+2 +arbitre Cette séance dure 60 minutes dont 32 en travail par trios ou par équipes. On constate que le professeur met les élèves à contribution pour formuler un possible problème à partir de l’intitulé

« course à 20 » avant d’énoncer les règles du jeu et que la suite de la séance est caractérisée par une action professorale qui stabilise faiblement les observations des joueurs. Bien que la liste de la série gagnante apparaisse au tableau, le professeur maintient le doute sur quasi toutes les déclarations.

L’énonciation de la technique de Mickaël n’est pas publiée non plus comme ayant plus de poids que

(9)

les autres : cette proposition vient-elle trop vite dans le projet de P1 compte tenu des élèves de la classe ? A noter également que P1 ne joue pas dans cette séance et qu’il institue la fonction d’arbitre dans les groupes. Ce faisant il prend des libertés par rapport au scénario auquel il a été initié dans le cadre de la brève formation au jeu.

Techniques mésogénétiques

Du point de vue mésogénétique on constate que lorsque les élèves entrent dans la partie qui apparaît en

grisé sur le tableau 1 (min 22-28) ils changent radicalement de milieu. En effet, ils ont d’abord été

confrontés à l’expression « course à 20 » et au sens qu’elle peut avoir, ils ont ensuite été plongés dans

la règle du jeu et s’y sont essayés afin de montrer qu’ils avaient bien saisi les contraintes du jeu, ils ont

alors dû s’exercer en groupes de trois, un élève contre un autre sous la surveillance d’un troisième en

position d’arbitre. Ce dernier avait bien reçu, parmi les consignes, celle de « éventuellement faire des

remarques » mais le statut de « remarque » n’avait pas été clarifié et peut avoir eu comme sens pour

les élèves celui de vérifier la bonne marche du jeu. Dès le tour de parole 165 P1 engage un autre type

de jeu consistant à faire émerger des « remarques » formulables à partir des composantes

mathématiques de la « course à 20 ».

(10)

P1, min 22-28

165. P1 Bien, est-ce qu’il y en a qui ont noté des remarques ?

166. El Nous avons recommencé la deuxième partie car l’arbitre a soufflé quelque chose.

167. P1 Alors ça c’est assez étonnant parce que l’arbitre, il est là pour faire respecter et c’est l’arbitre qui souffle. Donc c’était nécessaire de mettre un arbitre, mais là, l’arbitre il joue un drôle de rôle.

Oui ?

168. El On avait remarqué que si quelqu’un dit 17, l’autre il peut pas gagner. Celui qui a dit 17, il est obligé de gagner.

169. P1 Celui qui a dit 17 est obligé de gagner. Il y en a qui ont remarqué des choses comme ça ?

170. El Nous on a remarqué pareil. A un moment, Arnaud il n’a pas gagné parce qu’on avait la même technique, donc celle-là, et on l’utilisait à chaque fois. Quand je jouais avec Benjamin, c’était un peu au hasard, donc on réfléchissait à chaque nombre, mais, comme Arnaud n’avait pas de technique, là…

171. P1 Est-ce que c’est une technique ? 172. El Oui.

173. P1 La technique qu’on utilise quand on fabrique des instruments de musique par exemple, oui ? 174. El Sinon, avec Marc, on a mis que les parties n’étaient pas très longues.

175. P1 Ah oui, les parties, c’est vrai, sont, ça va assez vite les parties sont assez courtes, effectivement 176. (…)

177. El Michael a ajouté 3 à la place de 2. Donc il a perdu.

178. P1 Faire respecter les règles. Est-ce qu’il y a eu d’autres groupes où il y a eu des problèmes ? Les premières fois, on peut se tromper.

179. El. Il y a Romuald à un moment aussi il a dit 3.

180. P1 Il a ajouté 3 aussi. Bien. Les règles, on va continuer à mettre un arbitre, parce qu’en situation de jeu on oublie quelques fois un peu ce qui se passe. Vous avez signalé par rapport au jeu lui- même que 17 apparemment, … P. écrit un 17 entouré sur le tableau de droite. Oui Perrine, tu voulais rajouter ?

181. El. Il y a aussi 11 et 14. Quand t’arrives à 11, non quant tu arrives à 14, t’es sûre de gagner.

182. P1 Quand tu arrives à 14, tu es sûr de gagner.

183. El. Oui, mais c’est pour ça. Même à 8.

184. P1 8 aussi.

185. El. Et aussi 5. Aussi 5 et 2.

186. P1 Quentin?

187. Quentin Non parce que moi j’ai joué contre Hugo, il avait dit 2 en premier, et il a perdu 188. P1 Ah !

189. Mickaël C’est parce qu’il a pas utilisé la bonne technique. Si je joue par exemple contre Cédric et je commence, je dis 2. Cédric va être obligé de dire 3 ou 4. Moi, 5. Il sera obligé de dire 6 ou 7. Et puis je dirai 8. Il sera obligé de dire 9 ou 10. Je dirai 11. Il sera obligé de dire 13 ou 12. Je dirai 14.Là il sera obligé de dire 16 ou 15. Moi je dirai 17. Et après, ben là., c’est fini. il va être obligé de dire 19 ou 18.

190. P1 Apparemment, il a fait une partie, il a dit 2, il a perdu quand même.

Et si vous êtes trois à parler, on aura des difficultés à vous entendre. Oui ?

191. El. C’est pour ça aussi, il y a beaucoup de chiffres qui permettent de gagner. Pas tout de suite.

192. P1 Bien il semblerait qu’il y ait des nombres là un peu plus importants que d’autres on va dire. Il est difficile de raconter comme ça, c’était assez claire, tu es allé assez vite. On va rejouer. Mais cette fois-là, l’arbitre sera en plus secrétaire, c’est-à-dire qu’il va noter les parties. Il va noter les nombres qui sont dits. Puisque vous avez remarqué des choses, on pourra ensuite en discuter. Il y a encore une partie « Remarques » que vous pouvez utiliser. Regardez bien la feuille ensemble avant de commencer. Vous la gardez pour l’instant. vous pouvez en avoir besoin ….

Les élèves travaillent en phase de jeu.

(11)

Comme nous y avons insisté, il est toujours difficile de séparer radicalement les descriptions fondées sur les catégories mentionnées plus haut, tant l’action du professeur réfère en général à plusieurs fonctions. L’extrait choisi est significatif de cette polyfonctionnalité.

Techniques chronogénétiques

On constate que la conjecture 17 émerge très vite, elle n’est pas objet d’évaluation par P1 qui la soumet au constat empirique des jeux des autres élèves (« il y en a qui ont remarqué des choses comme ça ? »), mais si des élèves ont bien fait le même constat, d’autres font état de remarques sur le non respect de la règle (ajout de 3 au lieu de 2 ou 1) ou le fait que les parties sont courtes.

P1 remet donc en scène le milieu que représente l’objet « 17 » en l’écrivant au tableau et en trois tours de parole d’élèves apparaissent d’autres valeurs numériques : 11, 14, 8, 5 et 2. Ce dernier est remis en cause parce que Hugo aurait perdu en ayant mis 2 (argumentation pragmatique, au sens de Brousseau, 1998). Le « Ah ! » de P1 en 188 pouvait résonner comme un acquiescement ou du moins l’ouverture d’un débat sur cet objet du milieu si Mickaël n’avait pas, dans son intervention (189), entièrement explicitée la marche à suivre et son statut de nécessité (cf. l’usage systématique de « obligé » attribué à l’adversaire du joueur expert).

Mais cet objet est apparemment perçu par P1 comme « trop gros » pour être lâché si vite au plan de la formulation. P1 réhabilite donc le débat autour de l’objet « 2 » introduit par l’élève précédent et propose de revenir au milieu empirique du jeu en rendant sensible dans le contrat la place des

« remarques » que devra mettre par écrit l’arbitre, des remarques sur les nombres utilisés.

Ce même épisode permet d’analyser la réaction du professeur en tant que caractéristique de la gestion du temps didactique dans de telles séances. Entre les tours de parole 182 et 186, le temps didactique s’est tout d’un coup considérablement accéléré : si le professeur entérinait cet avancement, par exemple en donnant une position haute aux élèves qui ont produit la « série gagnante », la discussion se focaliserait très vite sur la « bonne solution », mais ceci sans doute au détriment de l’unité cognitive de la classe. Le professeur (Tdp 192) persiste dans le ralentissement du temps didactique, il met en doute la simulation proposée par Michaël, et maintient dans la classe un fort taux d’incertitude. La production de Michaël est, selon le terme de Brousseau, « mise au frigo », et pourra être réutilisée plus tard, notamment dans la deuxième séance, où la « technique de Michaël » fournira au professeur un levier d’argumentation. Sur cet exemple, on perçoit bien comment la technique chronogénétique du « ralentissement du temps » repose sur la position assumée par le professeur, à la fois par rapport au savoir et par rapport aux élèves. Celle-ci est suffisamment basse pour que les élèves puissent s’approprier l’espace didactique et produire des conjectures dont certaines vont immédiatement à l’encontre du projet professoral., mais elle est suffisamment haute pour assurer au professeur la main mise sur le rythme de défilement du temps didactique.

Techniques topogénétique

Sur l’axe topogénétique l’extrait met en exergue le fait que P1 ne détrompe pas les élèves, il prend une position basse et, lorsqu’il exprime son opinion, c’est d’une manière indirecte, euphémisée (« …il semblerait qu’il y ait des nombres là un peu plus importants que d’autres… »). On est ici face à une problématique classique au sein des situations de recherche : le professeur veut sensibiliser les élèves à certaines connaissances (ici la dialectique entre nécessité mathématique et action effective pour remplir cette nécessité), mais il veut le faire sans « donner directement la solution ». Il affecte donc une certaine forme d’ignorance, qui peut être perçue par les élèves comme l’occasion d’explorer l’environnement cognitif (Greeno, 1991, 1994) sans se restreindre trop vite à une direction de recherche déterminée. Mais cette incertitude, nécessaire, lorsqu’elle est raisonnable, peut être difficile à gérer et ouvrir des milieux trop vastes au sein du contrat didactique. P1 reçoit les productions des élèves en les filtrant aussi peu que possible : cette attitude va être constante tout au long des deux séances et correspond peut-être à un style didactique dont les élèves ont l’habitude.

La deuxième séance confirme l’articulation des dynamiques décrites ci-dessus. Le tableau 2 synthétise

ce qui s’est passé dans ce deuxième moment de travail en classe :

(12)

Tableau 2 : La séance 2 professeur P1 Temp

s min

Tours de parole

Episodes didactiques Modalités

de travail

0- ? 1-416 1

ère

phase

P1 demande si les élèves se rappellent de ce qu’ils ont fait à la course à 20.

P1 : … j’ai mis en mémoire les choses entendues et que j’avais mis au tableau

au TN :

Si on dit 17 on est obligé de gagner Discussion de la classe sur la possibilité de se trompe tout de même en disant 19 ! jeu pour vérifier

P2 : qui a commencé ?

Nouveau jeu, les élèves hésitent à conclure qu’en jouant 17 on gagne!

P1 propose de garder les expressions si on dit 17 on n’est pas obligé de gagner et si on dit 17 on peut gagner

Discussion sur la vérité des déclarations suivantes au TN Celui qui commence en disant 2 gagne la

partie

Celui qui commence gagne toujours la partie

Celui qui commence avec la façon de Michaël gagne obligatoirement

Ce n’est6 pas un jeu car le premier qui joue est obligé de gagner

2

ème

phase

par équipes de 3 contre 3 avec un représentant et 1 arbitre Bilan des jeux par équipes

Les élèves évoquent les points gagnés, le fonctionnement du groupe, le non respect des règles, le changement des règles dans les groupes, dans certains groupes les élèves ne sont pas d’accord et votent pour prendre une décision

P1 demande quel est le sens d’un vote, peu d’évocation des techniques utilisées

Conclusion de P1 : il semblerait que vous utilisiez maintenant presque tous la stratégie que Michaël nous avait expliquée Demande de formuler d’autres remarques, Perrine évoque le fait d’ aller de 3 en 3

3

ème

phase

P1 propose que la classe (un élève à tour de rôle joue contre lui), il commence (écrit « 1 ») la classe gagne. 2 autres parties toujours gagnées par la classe. Un élève relève l’erreur de P1

Collectif classe

Equipes de 3 contre 3

Collectif classe

P1 avait récolté les notes de travail des groupes et a conservé les écritures au tableaux de la première

séance (« j’ai mis en mémoire » dit-il). Il remet donc en scène le milieu des assertions et en

poursuivant sur le mode de gestion en position « basse » il les met à l’épreuve du débat collectif. Une

(13)

place de choix est laissée à la « stratégie de Michaël », mais elle est considérée comme « un algorithme », la description d’une pratique que l’on peut « utiliser ».

La question porte notamment sur le fait de savoir si l’on gagne nécessairement en jouant l’un des nombres gagnants (puisqu’après avoir joué 17, par exemple, qui est un nombre gagnant, il est encore

« possible » de jouer 19 en réponse à l’adversaire qui aura joué 18, et donc de perdre).

39 PROF Donc, elle est ici. Perrine a gagné la partie. Donc… Est-ce qu’elle a dit 17 ?

40 lèves Oui.

41 ROF Oui, elle a dit 17, donc pour l’instant…

42 Elève Elle a commencé.

43 PROF Est-ce que quelqu’un pourrait venir là maintenant… Ce qui nous intéresse là, c’est cette partie-là. Est-ce que quelqu’un pourrait venir nous montrer que Jules a peut-être raison ? Oui, Nicolas ? Vous reprenez.

Nicolas et puis quelqu’un d’autre. Oui Noémie.

44 Elève C’était un peu obligé qu’elle gagne parce qu’il avait dit 19, donc…

45 élève Ben, s’il disait 18 c’était pareil.

46 PROF Attends, on ne va pas… vous redirez ça après.

Dans cette deuxième séance s’il avait eu l’intention d’accélérer le rythme il ne donne toutefois pas de signe montrant qu’il est pressé. Le changement de milieu est pourtant évident dans un premier temps lorsque les élèves doivent cette fois se confronter d’abord à des assertions. C’est toutefois le retour à un milieu de jeu pragmatique qui est censé permettre de trancher selon le professeur, en revanche les élèves semblent rester dans un milieu d’opinion puisque lorsqu’ils ne sont pas d’accord à l’intérieur d’une équipe ils préfèrent décider à la majorité !

Le deuxième professeur, que fait-il ?

Je ne décrirai pas ici longuement l’activité qu’il engage, disons simplement (TABLEAU) qu’il fait jouer ses élèves très systématiquement, et qu’il joue non pas sur le

questionnement aux élèves mais sur les variables didactiques de la situation que la

formation lui a indiquées : c’est ce que monte le tableau d’analyse des phases collectives et individuelles dans les séances qu’il organise.

Mais plus encore que P1, P2 propose aux élèves de valider leurs conjectures par un retour à l’action. La dialectique de formulation des « règles pour gagner » qu’il faut « prouver » semble en place, les « théorèmes » produits sont reçus par P2 comme l’expression d’une nécessité… mais leur validation appartient à l’action, à laquelle P2 renvoie les élèves. Le professeur pourra bien, dans la seconde séance, jouer sur les variables « pas de la course » et

« but de la course », elles n’ont pas d’effet cognitif si les élèves ne sont pas dans une dialectique de formulation/validation …de modèles des stratégies gagnantes.

Deux manières de faire de P1qui interrogent les didacticiens

Après l’analyse, par les didacticiens, de l’une de ces séances, un sentiment partagé s’établit, celui d’une certaine étrangeté (ou rareté) de deux techniques utilisées par l’un des professeurs.

En effet, on peut constater deux manières de faire originales chez P1.

7

7

« Originale », au sens que sur la dizaine de séances « Course à 20 » (produite dans leur quasi-totalité par des

professeurs confirmés, maîtres-formateurs, placés dans des conditions semblables) dont nous avons pu étudier la

transcription, ces deux techniques n’apparaissent jamais.

(14)

a. Dès le début de la leçon, P1 demande en effet aux élèves de lui « poser des questions »

quant à la signification de l’expression « Course à 20 ».

(15)

PROF 0min

Aujourd’hui, nous allons travailler sur la course à 20. C’est un jeu mathématique. A partir de « course à 20 », qu’est-ce que vous pouvez déjà me dire ?

Elève (…) de 20 en 20.

PROF Une chose que j’ai oubliée de dire peut-être tout à l’heure : parlez assez fort, pour qu’on vous entende bien.

Redis-le plus fort s’il te plaît.

Le professeur parcourt la classe Elève Peut-être qu’on va compter de 20 en 20.

PROF Compter de vingt en vingt. Oui.

Elève C’est une course ; on doit aller vite pour …

PROF Oui, la course. L’idée, c’est d’aller vite. Donc il y a la rapidité, puisqu’on fait une course, sinon on aurait pu appeler ça la marche à 20. Peut-être. Et puis 20, alors tu dis « compter de 20 en 20 ». Est-ce que vous voyez une autre possibilité ?

Elève C’est une course où il y a vingt enfants, avec vingt enfants qui jouent, qui font la course.

PROF C’est le nombre d’enfants qui participent, 20. Est-ce que vous voyez encore autre chose? Course à 20. C’est vrai que le « à » peut être ...

Quentin Par exemple on va compter de 3 en 3 jusqu’à 20, et le premier qui a fini …

PROF Et alors dans ce cas-là qu’est-ce que c’est que le 20 ? Qu’est-ce que ça représente ? Oui, vas-y Quentin.

Quentin C’est le nombre jusqu’où il faut aller.

PROF Le nombre jusqu’où il faut aller, jusqu’où il faut arriver. Et pourquoi est-ce que tu penses à compter de 3 en 3

Quentin Ben parce que en ce moment on travaille un peu en calcul mental, ben de compter de 3 en 3, on apprenait en reculant

Camille Oui, mais compter de 3 en 3, si tu démarres de 0 jusqu’à 20, ça va à 30, mais pas à 20. Ca ne sera le nombre exact.

PROF Tu penses qu’on ne peut pas arriver à 20 en partant de 0 ? Camille Non, avec 3 .

PROF En faisant des sauts de 3.

Camille Oui, et en partant de 0.

PROF Et la semaine dernière, qu’est-ce qu’il s’est passé Romuald ? Romua Il y en avait qui (…).

Elève Il y a A… qui était venue qui nous avait donné des test, et il fallait compter de 3 en 3, (…), de 4 en 4, … PROF (…) Bien. Dans la course à 20, vous avez proposé plusieurs choses. La course effectivement, il y a une idée

de rapidité, et puis 20, comme Quentin disait tout à l’heure, il faut atteindre 20, il faut arriver à 20. Autre jeu, possibilité de le transformer Alors pour y jouer, est-ce que vous avez suffisamment d’informations, si je vous dis « on va jouer à la course à 20 »?

Elève Non.

PROF Alors posez moi des questions. ? Elève Il faudrait savoir les règles du jeu.

PROF Michaël ?

Elève (…)

Elève Si c’est un jeu plutôt avec des pions ou à l’oral comme ça ? 30. PROF Posez-moi des questions.

Elève Est-ce que ce sera un jeu individuel ou en groupes ?

PROF On joue au début donc à … un par un, un contre un. Un enfant contre un enfant.

Elève C’est quoi le but … du jeu ?

PROF Ha ! ben Kevin, tu peux y répondre ? Kevin Atteindre 20.

PROF Et le plus rapidement possible. Donc le but du jeu ça y est, on en a parlé, là on est dans les règles du jeu.

Mélanie Comment on va atteindre 20 (…)?

PROF Repose bien ta question, Mélanie.

Mélanie Comment on va atteindre 20 ?

(16)

Dès le début de la leçon, en contraste fort avec les autres professeurs (dont P2), P1 institue un jeu d’interrogation (Tdp 1 : qu’est-ce que vous pouvez déjà me dire) dont on peut penser, à ce niveau de l’analyse, qu’il correspond à une habitude de classe : les élèves doivent essayer de déterminer le sens de la « course à 20 », à partir de ce seul énoncé. P1 écarte les réponses inadaptées (par exemple au Tdp 9 : C’est le nombre d’enfants qui participent, 20. Est-ce que vous voyez encore autre chose? Course à 20. C’est vrai que le « à » peut être ...) pour parvenir à une mise au point, au Tdp 23. Cette mise au point suit immédiatement l’intervention d’un élève (Tdp 22), qui établit un rapport entre le questionnement du

professeur et le pré-test auquel l’un des chercheurs de l’équipe a soumis la classe. Le Tdp 23 intervient alors comme le résumé orienté des propositions d’élèves, suivi de la mise en

évidence du « manque d’informations » dont dispose les élèves pour pouvoir jouer. Le Tdp 25 (Alors posez-moi des questions) est emblématique de la technique utilisée par le professeur.

Tout se passe ici comme si le professeur avait à cœur de redéfinir, en le renversant, le système de places habituel dans la classe : aux élèves les questions motivées, au professeur les

réponses.

b. Un peu plus loin dans la leçon (environ 10 minutes après le début de la séance, qui dure 62min), les élèves se sont appropriés le jeu, et P1 utilise une autre technique, également inusitée chez les professeurs enquêtés jusqu’ici, que voici.

PROF

10 min 35 C’est Romuald. Qui n’a pas compris ? J’attends si vous avez des questions. On passe à la phase suivante, maintenant vous savez jouer, puisque vous semblez avoir compris. Vous allez jouer donc à un contre un et un enfant sera chargé de faire l’arbitre. C’est-à-dire que je croyais tout à l’heure qu’il y avait une erreur, et finalement il n’y en a pas eu, je n’avais pas bien entendu. Donc attention justement, n’allez peut-être pas trop vite et prononcez bien, parce que des fois ça fait vraiment, tennis de table. Ca va très vite. Donc faites bien attention à ça pour qu’on vous comprenne bien. Donc vous jouez à un contre un et le troisième enfant est arbitre, c’est-à-dire quel est le rôle de l’arbitre Arnaud ?

Arnaud Compter les points (…).

PROF Donc ça c’est faire un petit peu le bilan de la partie. Qui a gagné ? Qui a perdu ? Ca c’est le jeu, hein. Jacques ?

Jacques Est-ce que l’arbitre marque sur une feuille ?

PROF Donc pour la première partie on va bien regarder ce qu’il se passe. Il a un autre rôle l’arbitre aussi. Si un enfant par exemple ajoute 3. Est-ce qu’il peut le faire ça ?

Elève Non.

PROF Si un enfant donne plusieurs fois : il dit un nombre, il dit un autre …. On ne sait plus trop ce qu’il a dit.

Donc là l’arbitre surveille un peu le respect … que les règles soient respectées. Jacques ? Le professeur institue ici l’arbitrage (Tdp 39 : le troisième enfant est arbitre) et définit les

grandes lignes de son rôle (Bilan, Suivi du respect des règles). L’arbitre sera conservé durant

toute la durée des deux séances, et les tâches qu’il accomplit durant sa fonction feront l’objet

de plusieurs commentaires du professeur et de nombreux dialogues professeur-élèves. L’étude

de l’ensemble du transcript peut laisser penser, comme dans le cas du questionnement produit

par les élèves (paragraphe précédent), qu’on a affaire à des habitudes de classe réinvesties

dans la séance Course à 20.

(17)

Confrontés à ces manières de faire, les différents chercheurs de l’équipe produisent le même type d’analyse : ils forment l’hypothèse selon laquelle ces deux techniques peuvent avoir des effets contre-productifs sur le déroulement de la séance : - le « jeu des questions au professeur » peut ralentir la mise en activité des élèves, et

détourner leur attention de la situation en elle-même. Il peut fonctionner comme une sorte de glissement métadidactique (Brousseau, 1998) dans lequel l’activité mathématique est mise au second plan, au profit d’un travail « méta » dont on ne saisit pas bien les effet positifs qu’il peut avoir sur les apprentissages des élèves

- de la même façon, l’institution de l’arbitrage peut ralentir l’implication effective du maximum d’élèves, d’une part, et, centrer d’autre part leur attention sur des aspects de surface du jeu (ses règles constitutives) au détriment des stratégies utilisées.

Précisons que ces analyses ne sont pas produites dans un but prescriptif, mais dans une posture qui voudrait éviter à la fois le regard de l’évaluateur insensible au système de

conditions dans lequel se déploie l’action des individus, et le regard du chercheur du point de vue de Sirius, pour lequel « tout va bien » (anything goes) dans la pratique professorale. Nous y reviendrons.

L’enquête sur ces manières de faire (1) : l’auto-analyse, par P1, de sa séance

Nous poursuivons alors l’enquête, sur ce point précis (parmi d’autres), avec une auto-analyse, par le professeur, de sa propre production vidéoscopée. P1 produit l’analyse suivante de ces deux techniques (C pour le chercheur qui interroge P1).

Pour la technique du « jeu des questions au professeur ».

1.P1 Donc à partir d’un mot ou d’une expression ou d’une phrase, la mise en route en fait là c’était d’essayer de trouver à quoi ça pouvait, quelles idées ça pouvait nous donner par

rapport au jeu, je crois que je l’avais dit mais là je l’ai pas entendu là si, j’ai dit “ jeu mathématique ”.

2. C C’est quelque chose que tu fais assez souvent ça

6. C On est très tôt dans le lancement là. Il y en a qui sont encore intéressés par la caméra.

7. P1 Ouais, peut-être que j’ai fait… Qui n’ont pas donné leur avis quoi ! 8. C Ça va peut-être se passer plus loin.

9. P1 C’est vrai que de ce côté là, c’est…(…) C’est quelque chose que je fais, de jouer, euh… Ca s’arrête plus là, la pause ? Si. De jouer à l’innocent quoi ou à celui qui ne comprend pas. J’essaye de le faire. Peut-être que je le fais quelques fois un peu trop souvent, je n’sais pas. J’aime bien jouer à ça aussi.

10. C D’accord.

11. P1 Donc j’essaye de sortir… Ca me pose quelques problèmes, quelques fois parce que…

12. C Par exemple ?

13. P1 J’ai des élèves qui m’attendent au virage, on va dire, pour certains. Des garçons par exemple qui ne comprennent pas obligatoirement le jeu, qui vont se dire : “ Finalement, il s’est encore trompé là ”. Donc ça c’est assez difficile à assumer au niveau du rôle. C’est un grosse prise de risques ça, de jouer avec eux et de dire des bêtises. Ou de faire semblant qu’on n’a pas compris ou de faire dire par un autre enfant, quelque chose qui semble évident…

14. C Mmh… Et tu le fais souvent ?

15. P1 Je le fais assez souvent, ouais.

16. C Et là, tu …

(18)

17. P1 Ben c’est vrai que j’ai bien dans la tête, si tu veux, le fait de…la prise de pouvoir on va dire, de l’enseignant. Je veux absolument éviter cela par rapport, sans doute, à un vécu antérieur.

Les paroles de l’enseignant peuvent faire inférer la place qu’il accorde au « jeu des questions au professeur ». Il s’agit de permettre aux élèves de « trouver une cohérence dans des

domaines particuliers » (Tdp 3) - et le maître réfère à la pédagogie de projet, de combattre

« le cloisonnement » (Tdp 3), de mettre les élèves « dans le questionnement » (Tdp 5). On voit bien que les intentions professorales dépassent le hic et nunc didactique de la séance : d’une certaine manière on pourrait dire que le « jeu du questionnement au professeur » apparaît comme une forme générique, contrainte par des finalités de mise en cohérence des activités d’apprentissage, et de décloisonnement, que le professeur spécifie ici à la Course à 20.

On perçoit dans les propos du maître, ce qu’on peut considérer comme un écho du

renversement de place que nous avions conjecturé (Tdp 17 : Ben c’est vrai que j’ai bien dans la tête, si tu veux, le fait de…la prise de pouvoir on va dire, de l’enseignant. Je veux

absolument éviter cela par rapport, sans doute, à un vécu antérieur). Il est d’ailleurs intéressant de noter, au Tdp 13, comment le professeur produit des considérations de type topogénétique

8

(Donc ça c’est assez difficile à assumer au niveau du rôle) : le fait que le professeur « fasse semblant » de ne pas connaître, de ne pas comprendre, demande à être interprété correctement par les élèves.

Pour la technique de l’arbitrage

1. C Pourquoi est-ce que tu as… Pourquoi est-ce que tu as choisi là, le…une situation avec un arbitre ?

2. P1 Oui c’était pour avoir… Ben pour qu’il y ait une observation en fait, de la part

des…de l’arbitre là, surtout par rapport au respect des règles. Donc effectivement, vérifier que ben, ils ajoutaient bien 1 ou 2 parce que ça, il y a pu avoir des p’tits moments… Qu’il y ait bien une énonciation aussi, suffisamment claire, qu’on se comprenne, que ça ne parte pas dans tous les sens ou qu’il y ait non-communication parce que ça allait trop vite par exemple.

C’était surtout… C’était effectivement… Le nom d’arbitre là, convenait parfaitement bien, parce que c’était plus un arbitre “ respect des règles ”, que l’observateur.

3. C D’accord. Et tu as l’habitude de mettre en place des arbitrages comme ça ?

4. P1 Ouais. Ben ça on le fait très souvent. Au niveau évaluation par exemple, ils sont très souvent associés sur…soit sur des phases où on est en train de chercher… Ben je reviens encore à l’EPS. Là, on a travaillé sur le cirque récemment. Donc, dans tel atelier, qu’est ce qu’il faut être capable de faire là maintenant, où on en est, on a appris des choses. Donc au début on essaye de voir un p’tit peu bon… “ Je vais essayé d’être en équilibre sur le ballon ”.

Et puis, au bout du compte là, on a progressé, on a supprimé des obstacles au fur et à mesure.

Parce qu’au début c’était sur un pneu, après ça a été sur des très gros tapis et puis on a réduit l’épaisseur des tapis. Donc là, on est arrivé en phase d’évaluation donc on a …la dernière fois, la dernière séance là, on a essayé de voir un p’tit peu sur chacun des ateliers, parce qu’il y en avait 5 ou 6, quelles compétences on pouvait attendre en fonction du travail qu’on avait réalisé. C’est un travail que je fais assez souvent.

5. C Il y avait des élèves arbitres en quelque sorte…

6. P1 Ouais observateurs. Observateurs et puis on définit les critères de réussite. On essaie, parce que, malheureusement, j’y arrive pas sur toutes les activités, donc

8

Cf notamment Sensevy, Mercier, Schubauer-Leoni (2000)

(19)

Les propos du professeur montrent là aussi qu’on semble avoir affaire à une forme générique, l’arbitrage, qui est (ré)utilisé dans le cas de la course à 20. On saisit bien, dans les propos du maître, l’oscillation entre la fonction d’arbitre « respect des règles » (Tdp 2) et celle d’observateur (centré sur la définition des « critères de réussite » (Tdp 6)).

Une caractéristique générale de son auto-analyse par P1

Une caractéristique générale de cette auto-analyse nous semble être la suivante : le professeur n’évoque quasiment jamais la spécificité du savoir dans la Course à 20 (il ne réfère d’ailleurs pas à la formation qu’il a suivie, même si l’un de ses interlocuteurs est le formateur qui a mis en oeuvre cette formation). Les caractéristiques de l’entretien

9

font qu’aucune question n’est posée concernant directement le savoir en jeu, mais le professeur, de son propre chef, ne prend que très rarement l’initiative d’une considération « purement » didactique.

Une interprétation de cette auto-analyse

Avant l’interprétation elle-même, précisons certaines choses. Notre travail d’analyse de l’action du professeur se donne pour but de comprendre et d’expliquer cette action. C’est donc une recherche fondamentale, dont le but est la production de connaissances obtenues par les moyens de l’enquête scientifique. Cette recherche fondamentale est socialement finalisée, dans le sens où elle espère construire des systèmes de description de l’action du professeur qui puisse permettre d’améliorer l’action, c’est-à-dire de proposer à cette action de nouvelles fins, et de mieux déterminer les liens entre les moyens qu’elle met en œuvre pour atteindre ces fins et les fins elles-mêmes.

Etudier l’action du professeur, c’est donc d’abord comprendre ce qui la détermine. Dans le cas qui nous occupe, on voit bien que la pratique de P1, professeur d’école, est orientée par une ensemble d’attentes concernant, aussi bien dans le cas du « jeu des questions » que dans celui de « l’arbitrage », le degré « d’autonomie » de l’élève : on pourrait paraphraser le discours du professeur en disant qu’il souhaite que ses élèves atteignent à une certaine forme d’autonomie (ce que certaines études anglo-saxonnes nomment « self-directed learning »)

10

, en prenant sous leur responsabilité à la fois l’investissement initial de l’apprentissage et sa mise en relation avec les activités passées, et le bon déroulement du jeu (au sens restreint de ce terme, pour la course à 20, mais aussi au sens plus large, pour l’ensemble des activités de classe). C’est donc un ensemble de « comportements autonomes » qui est attendu par le professeur. Même si l’analyse didactique peut faire conjecturer une faible efficacité de ces deux techniques en termes d’appropriation de savoir, rendre raison de l’action du professeur ne peut se faire, dans cette séance, sans identifier ces déterminants génériques qui pèsent sur son travail.

Nous formons donc l’hypothèse que cette surdétermination générique a une forte prégnance sur les pratiques d’enseignement, au moins pour ce qui concerne le premier degré

11

. Si le professeur veut éduquer ses élèves, il doit faire vivre des formes génériques qui peuvent jouer de multiples rôles : être dépositaires de la mémoire didactique de la classe ; assurer une

9

Les chercheurs ne posent que très rarement, comme c’est a contrario ici le cas pour l’arbitrage, des questions précises : leur travail essentiel se borne à accompagner l’auto-analyse du professeur, la plupart du temps en demandant des précisions ou des explicitations supplémentaires (travail d’anamnèse). Le genre de la communication a été « défini » entre chercheurs et professeurs de la manière suivante : « le professeur commente librement son travail, précisant les manières de faire habituelles ou inhabituelles. La finalité de l’échange est une meilleure compréhension de ces manières de faire et de ce qui les détermine. »

10

Sur la notion de « Self-directed learning », cf par exemple Bolhuis, 2003).

11

Nous pensons qu’elle est aussi à l’œuvre au second degré, où des formes génériques peuvent assurer une

cohérence à l’intérieur de différents thèmes ou sujets (cf Chevallard & Wozniak, 2003, pour un description du

continuum générique-spécifique).

(20)

relative cohérence aux activités d’enseignement/apprentissage ; cristalliser certaines des valeurs fondamentales de la classe… Se pose alors la question de la spécification de ces formes génériques aux contenus spécifiques que les élèves doivent intégrer.

L’enquête sur ces manières de faire (2) : l’analyse croisée de la leçon de P1 par P2 L’analyse croisée de la leçon de P1 par P2 conforte l’élaboration de notre hypothèse (surdétermination générique). Les professeurs échangent très peu sur le contenu

mathématique de la séance, et P2, qui a mis en œuvre pour sa part une leçon très proche de l’organisation didactique proposée par Brousseau, produit un ensemble de remarques tout à fait intéressant sur la leçon de P1.

Lors du visionnement du « jeu du questionnement au professeur », P2 montre son intérêt, arrêtant une première fois le défilement de la bande :

1.P2 Bon là c’est… je ne fonctionne pas tout à fait de la même façon, justement je voulais t’interroger là, tu tu , tu donnes la parole aux élèves

2.P1 Je voulais

3.P2

Donc çà veut dire… oui

4.P1 Je voulais partir de « course à vingt » puisque… en présentant à des gens… donc c’était un questionnement là pour voir quel sens ils pouvaient accorder lors d’une nouvelle

découverte.

5.P2 Oui j’ai trouvé que c’était intéressant justement de faire participer, je n’aurais pas pensé à ça au départ, mais j’ai trouvé que c’était très riche.

P2 arrête le défilement de la bande une deuxième fois, quelques secondes après :

6.P2 Quand tu tenais ce questionnement là, en fait tu avais l’impression que ça fasse des liens ou c’est, ou c’était simplement pour expliciter le vocabulaire.

7.P1 Heu….. non, c’était chercher du sens en fait, partir de… d’une idée, enfin d’une

proposition, d’une expression, des sens différents, pour pouvoir après rebondir un petit peu plus tard sur heu…maintenant on peut dire que c’était plutôt cette voie là, mais çà aurait pu être autre chose.

8.P2 Là c’est intéressant, enfin moi je suis observateur donc…

9.P1 Quand on regarde les enfants là, il y en a qui sont en train de bosser et puis d’autres finalement…

10.P2 Oui mais, dans le fait que tu poses une question heu… sur le sens et que les enfants heu…

donnent une interprétation qui met en lien autre chose, je trouve que pour moi c’est intéressant.

Une dernière fois pour ce qui concerne cette épisode, P2 arrête le défilement, et produit un commentaire synthétique :

11.P2 Moi je trouve, j’ai pas du tout abordé les choses de cette façon là, mais quand on est observateur comme ça, je trouve ça très intéressant de voir quelle stratégie tu utilises pour amener les élèves à, à prendre conscience de la tâche qui leur est demandée quoi. Et je trouve ça très enrichissant ce, cette approche des choses.

12.P1 C’est peut être un… enfin j’en sais rien, je ne sais pas ce que c’est, mais du coup je suis souvent en manque de temps. Mais heu… c’est par rapport aux documents, j’essaie

toujours de prendre mes distance, en me disant, moi aussi je, j’essaie de construire, j’essaie

de créer, et tant pis, j’essaie de prendre des risques d’une certaine manière et…

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