INFLUENCE DES SULFITES SUR LA PROTÉOLYSE : ÉTUDE IN VITRO
P. MOUTONNET
W. LOISEL
Laboratoire
d’Étude
des!Jualités biologiques
des Aliments de l’Homme,Centre national de Recherches
zootechniques,
78 -Jouy-en-Josas
.SOMMAIRE
Même à dose élevée, les sulfites n’ont aucune influence sur
l’hydrolyse
desprotéines
du laitécrémé en
poudre,
de lagélatine
et dugluten
par lapepsine,
latrypsine
et lapeptidase.
En revanche, ils retardent
l’hydrolyse enzymatique
desprotéines
du blanc d’oeuf cru et, dansune moindre mesure, du blanc d’oeuf cuit. Il est
possible
que cet effet soit dû à une combinaison des sulfites avec les acides aminés soufrés,particulièrement
abondants dans lesprotéines
de l’!uf.- !-
INTRODUCTION
L’anhydride
sulfureux etquelques-uns
des selsqui
en dérivent(métabisulfite
de
potassium,
sulfite desodium) figurent parmi
lesantiseptiques
lesplus
ancienne-ment
employés
entechnologie
alimentaire(Du p uv,
z959;C AUS ERET, ig6o ;
CLUZANet
al., 19 6 5 ) :
on connaît enparticulier
leurs utilisations enoenologie,
encidrerie,
en
brasserie,
dans l’industriedes jus
defruits,
dans le traitement de certains fruits etlégumes
en vue de leurconservation,
etc. ; on saitégalement
que le métabisulfite desodium peut
êtreemployé
dans lapréparation
desensilages.
Cependant,
les effets dessulfites
surl’organisme du
consommateur restent insuffisamment connus. Sans insister ici sur lesaspects proprement toxicologiques
de la
question
-aspects qui
ont étéenvisagés
par Cr;uzaN et al.( 19 65)
-, nousvoudrions
souligner qu’on
ne s’estguère préoccupé jusqu’ici
des effets éventuelsde ces substances sur certaines fonctions
physiologiques.
Onpeut
se demander enparticulier
si lessulfites, qui
exercent un effet inhibiteur sur diverses réactions enzy-matiques (Du p uv, i 959 ),
nerisquent
pas d’entraver l’action des enzymesdigestives.
Il nous a donc paru intéressant d’aborder l’étude de ce dernier
problème.
MATÉRIEL
ETMÉTHODES
Dans ce mémoire, nous
présentons
les résultats d’une séried’expériences
portant surl’activité,
in vitro, de diverses enzymes
purifiées (pepsine, trypsine, peptidase)
enprésence
ou en l’absencede sulfites. Différents types de substrats ont été utilisés :
-
d’origine
animale : lait enpoudre
écrémé,gélatine,
blanc d’œuf ;-
d’origine végétale : gluten.
Caractéristiques
des substrats utilisésL’origine
et lescaractéristiques
des substrats utilisés sontindiquées
dans le tableau i.Techniques d’hydrolyse
L’hydrolyse
porte sur des échantillons de 2g(poudre
delait)
ou de i g(tous
les autressubstrats).
Ces
prises
sont introduites dans des matras et onajoute
à unepartie
d’entre elles :- soit du métabisulfite de
potassium
à la dose de 50ou de 250mg par gramme depoudre ;
- soit du sulfite de sodium à la dose de 100 mg par gramme de
poudre ( 1 ).
Deux
hydrolyses
successives sontpratiquées
surchaque
échantillon, les matras étantplongés
dans un bain-marie à 400C ±
o, 5 0 C
avecagitation
permanente(système électromagnétique) :
i.
Hydrolyse pepsique
de 30minutes portant sur les i ou 2g de substrat dissous dans z5 ml d’HCl X/I0 contenant lapepsine ( s )
à 0,20 p. 100(pH
env.1 ,8).
z.
Hydrolyse trypsique
de 6 heures,après
neutralisation par la soude 0,2N. En cequi
concernece deuxième stade, il y a deux séries différentes :
- avec r5 ml de tampon
phosphaté
0,1 M contenant latrypsine ( 8 )
à o,z5 p. 100;- avec z5 ml de tampon
phosphaté
0,1M contenant latrypsine
à o,z5p. 100et lapeptidase ( 4 )
à 0,40 p. 100.
Pour
chaque prélèvement
- au temps t - leshydrolysats
sont soumis à une ébullition de r5minutes au bain-marie, pour assurer à la fois l’arrêt de
l’hydrolyse
et la dénaturation des pro- téines restantes. Lesprélèvements
sont ensuitecentrifugés
(i5 minutes à 400og).
Dosage
de l’azote aminéL’azote aminé total est dosé par la méthode de MICHEL
( 19 6 0 ) (réaction
à laninhydrine, puis
microdiffusion d’ammoniac dans des cellules de
Conway).
Il est à
signaler
que l’utilisation d’autrestechniques
dedosage
du N(NH 2 )
avait d’abord étéenvisagée
sans succès :i. Par
spectrophotométrie
à 280 mp, oùtryptophane, cystéine, phénylalanine
absorbent(Low y
et al.,
195 8) :
enprincipe,
la mesure de la densitéoptique
à cettelongueur
d’onde permet donc de suivre lacinétique d’hydrolyse enzymatique.
Mais, dans le casprésent,
le sulfiteréagit
avecla
cystéine
pour donner finalement uncomplexe qui
absorbe à2 6 7
my(D UPUY , i 959 ).
D’oùimpossi-
bilité totale de mesure.
2
. Par méthode
manométrique
de Vn!r SLYKE à l’acide nitreux(Vnrr SLYKE, I9I I ).
Au coursde la réaction,
l’anhydride
sulfureux fixé est libéré avec l’azote et interfère dans ledosage.
RESULTATS
Les résultats réunis dans les tableaux 2 et 3 sont
exprimés
enmilligrammes
de N
(NH 2 )
par gramme deprotéines.
i. On voit que, dans le cas du
lait,
de lagélatine
et dugluten,
les différences observées entre les échantillonshydrolysés
enprésence
de sulfite et les échantillons témoins sontgénéralement
minimes : le calculstatistique,
par la méthode du t deStudent,
montrequ’elles
ne sontjamais significatives.
Onpeut
donc considérer que, dans les conditionsd’expérience adoptées,
les sulfites n’ont pas d’effet sur laprotéolyse
des trois substrats.2
. Il n’en est pas de même dans le cas du blanc
d’oeuf,
dont l’azote aminé est libéréplus
lentementlorsque l’hydrolyse
est réalisée enprésence
de sulfite.Avec les deux échantillons du commerce
(N.B.C., Gallia)
et le blanc d’oeufcru
lyophilisé (échantillon
laboratoire n°z),
les différences entreproduit ayant
subi (1
) Rapportées au gramme de protéines, les doses de S02 utilisées atteignent en moyenne respectivement 65 mg et 360mg pour le métabisulfite de
potassium,
130 mg pour le sulfite de sodium. Or, dans la ration d’un homme adulte ingérant 80 g de protéines et consommant 1 1 de vin sulfité à la dose licite maximum(
350
mg de SOQpar litre), la correspondance serait de 4,4mg de S02par gramme de protéines. Quelles quesoient les réserves que l’on peut opposer à cette comparaison, les doses de SO, utilisées dans notre expérience apparaissent donc comme élevées.
( 2
) Pepsine 1/10ooo Difco.
’
(
3) Trypsine 1/250 Difco.
( 4
) Peptidase - «Porcine intestine - C Grade » - Calbiochem.
l’action du sulfite et
produit
nel’ayant
pas connue sont, à tous les stades deprélè-
vement,
significatives
au seuil de o,oi.Avec
l’albumine
d’oeuf obtenue parprécipitation
à l’alcool àg 5 °
etséchage ménagé
à l’étuve(échantillon laboratoire
n°i),
et le blanc d’oeuf cuitlyophilisé,
les différences entre
produit hydrolysé
enprésence
de sulfite etproduit
témoinsont :
-
significatives
au seuil de P = o,o5 pour lesprélèvements P l (fin
del’attaque pepsique), T l ( 5minutes d’hydrolyse trypsique)
et T 2 ( 30
minutes d’hydrolyse tryp- sique) ;
- non
significatives
pour la suite.Pour savoir à
quel
stade de laprotéolyse
sesitue
l’action dusulfite,
une séried’hydrolyses
sur le blanc d’oeuf crulyophilisé (échantillon
laboratoire n°2 )
a étéréalisée
en introduisant lesulfite :
- soit avant
l’attaque pepsique ;
- soit aussitôt
après,
en même temps que latrypsine
etla peptidase.
La
figure
i montre que l’action du sulfite se situe au niveau del’attaque
pep-sique. A chaque
stade desprélèvements,
lesdifférences
observées entre échantillon témoin etéchantillon
additionné desulfite dès
ledébut
del’attaque pepsique
sontsignificatives
au seuil de P = o,oi. Maiselles
ne le sont pas entreéchantillon
témoinet échantillon additionné de sulfite
après l’attaque pepsique.
I,e retard de
l’hydrolyse trypsique
observé enprésence
de sulfite semble résulteruniquement
d’uneattaque pepsique
moinspoussée.
DISCUSSION
r. On
peut
s’étonner du faiblepourcentage d’hydrolyse: après
6heures d’attaque
par la
trypsine, l’azote
aminé libérécorrespond approximativement
à 20p. 100 de l’azote total dans le cas dulait,
de lagélatine
et du blancd’ceuf,
à 30 p. 100 dans le cas dugluten.
Quelques essais,
effectués sur lelait,
ont montréqu’il
étaitpossible
d’améliorerce
pourcentage
enprolongeant
la durée del’attaque trypsique : mais, après
25heures,
iln’atteignait
encore que 32 p. 100( 1 ). Compte
tenu du fait que nous nous inté- ressions surtout à lacomparaison
de vitessesd’hydrolyse,
cette amélioration ne nous apas
semblésuffisante
pourjustifier
leprolongement systématique
del’attaque trypsique au-delà
de 6 heures.I,’utilisation
de lapeptidase
accroît la vitesse del’hydrolyse trypsique
du lait :en 6
heures, elle
fait passerle pourcentage
d’azote aminé libéré à 26 p. 100(au lieu
de 20 p.
100 ). Mais,
elle estapparemment
sansaction lorsque
le substrat est lagélatine,
le blanc d’oeuf ou legluten.
D’autre
part,
nous avons constaté que l’addition d’ions Mn++ est sans effetavec tous les substrats.
En
fait,
le contraste entre la lenteur del’hydrolyse trypsique
dans nos essaiset sa
plus grande rapidité
dans ceux d’autres auteurs estprobablement plus apparent
que réel.
En effet,
la méthode de MICHEL pour ledosage
de l’azote aminé ne rendcompte
que de N(NH 2 )
libre. D’autresméthodes,
comme celle de VANSr.yg! (non
utilisée dans ce travail
pour
des raisonsqui
ont étéindiquées plus haut),
dosent l’azotede
petits peptides
en mêmetemps
quel’azote aminé
libre.Comme
l’a observéM ICHEL (ig6o),
laplus
oumoins grande spécificité
des mé-thodes
employées
pour ledosage
de l’azote aminépeut expliquer
bien desdivergences expérimentales.
Lesrésultats
que nous avons obtenus en déterminant l’azote aminé parplusieurs
méthodes au cours del’hydrolyse trypsique
de lapoudre
de lait enfournissent une nouvelle preuve
(tabl. q.).
Bien que l’alluregénérale
des différentes courbes obtenues soit lamême,
on voit que lasignification
d’une valeurexpérimen-
tale isolée est très limitée. Le
principal
intérêt desdosages
d’azote aminé dans unliquide d’hydrolyse
est depermettre
de suivre leprogrès
de cettehydrolyse
au coursdu
temps,
et surtout de comparer lacinétique
duphénomène
dansdifférentes
condi- tionsexpérimentales :
cequi
était le cas ici.Il y a
lieu enfin
desouligner
que lesacides
aminés libérés ontprobablement
uneaction inhibante sur
l’hydrolyse enzymatique.
On améliorerait doncpeut-être
les résultats en réalisant unedialyse
continue desproduits
formés(M AURON
etal., ig55).
Mais il faudrait veiller alors à maintenir constante la concentration du milieu en
sulfites.
2
. Il n’est pas sans intérêt de
souligner
que lacinétique
de laprotéolyse
estsensiblement la même pour
tous
lessubstrats utilisés, à l’exception
dugluten (tabl. 2
et
3).
Dès la fin del’attaque pepsique,
laquantité
de N(NH 2 )
libérée àpartir
de cesubstrat
estparticulièrement élevée ; l’hydrolyse trypsique
estplus rapide
aussi que celle dulait,
de lagélatine
ou du blanc d’oeuf.( 1
) Pour les hydrolyses de longue durée, une couche de toluène a permis d’éviter contaminations et fermentations à l’intérieur des matras.
Il serait intéressant de
développer
l’étude de cetaspect
duproblème
et dechercher
quelle peut
être saportée pratique.
3
. S’il n’est pas
possible d’expliquer
de manière certainepourquoi
les sulfitesretardent
l’hydrolyse
desprotéines d’oeuf,
mais non celle des autres substratsutilisés,
on
peut
néanmoins émettre unehypothèse.
Une différence essentielle entre les
protéines
du blanc d’oeuf et les autres substrats est la teneurplus
élevée despremières
en acides aminés soufrés :Elles sont donc
particulièrement
riches en liaison S―S ou -SHqui réagissent
avec
S0 3 -
pour donner-8- 8 ° 2’
Ce serait la
liaison-S---S0 2 qui gênerait
l’évolution normale del’hydrolyse enzymatique
du blanc d’oeuf cru. Par contre, dans le blanc cuit ou dénaturé àl’alcool,
les liaisons S―S ou -SH sontdégradées partiellement
et n’entreraientplus
enréaction
avecSOa-- :
d’où unecinétique enzymatique
différente.C’est d’ailleurs une
hypothèse
du mêmetype (formation
decomplexes
entresulfite et
groupements -SH)
que Dupuy( 1959 )
émet pourexpliquer
l’inhibition par l’acide sulfureux del’oxydation
de l’éthanol par Acetobacter rancens.Reçu
pourpublication
en octobre 1966.REMERCIEMENTS
Nous adressons nos vifs remerciements à MM. G. FauCOrrrrEnu, R. PION et M.-C. MICHEL
pour leurs
précieux
conseils.SUMMARY
INFLUENCE OF SULPHITES ON PROTEOLYSIS : STUDIES tt IN VITRO »
The author studied the influence of certain
sulphites
on thehydrolysis
of different substratesby pepsin, trypsin
andpeptidase.
Potassiummetabisulphite
was added as 50or zgo, and sodiumsulphite
as 100mg per g substrate. Free aminonitrogen
was estimatedby
the method of MICHEL(Reaction
withninhydrin
then micro-diffusion of ammonia in the cells ofC ONWAY .)
In these conditions the
sulphites
did not have any effect on the rate onhydrolysis
of theproteins
of skimmed milk
powder, gelatin
orgluten. They
did slow down thehydrolysis
of egg white,parti- cularly
if raw ; with cooked egg white the effect was less marked. It seemed that theretarding
actionof the
sulphites
exerted itself on thedevelopment
of the attackby pepsin ;
the effect was not seen if thesulphite
was added to the egg whiteonly
at the start oftrypsin hydrolysis.
It is
possible
that theparticular
behaviour of egg whiteproteins
may be due to their richness insulphur
amino acids. In effect, the S-S or -SH bonds react withS03!!
togive -S-SO!
bonds whichcan hinder the
development
ofhydrolysis.
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