ÉVOLUTION DE LA CONSOMMATION D’OXYGÈNE
AU COURS DU DÉVELOPPEMENT LARVAIRE
DES OUVRIÈRES DE BOMBUS TERRESTRIS L.
(HYMENOPTERA, APOIDEA, BOMBINÆ).
A. POUVREAU
Station de Recherches sur l’Abeille et les Insectes
sociaux,
91 - Bures-sur-Yvette Ivastitut national de la Rechercheagronoinique
SOMMAIRE
L’auteur étudie les
échanges respiratoires
chez les larves de Boinbus terrestriç. Les mesuresrespi- roinétriqùés,
effectuées à. l’aide del’appareil
deWarburg, indiquent
la consommationd’oxygène
des larves en fonction du stade et du
poids
moyen. Les résultats du niveau de l’intensitérespiratoire
sont
comparés
à ceuxenregistrés
chez les larvesd’Apis melli!ca.
INTRODUCTION
Si l’étude de la consommation d’oxygène chez les Hyménoptères sociaux
a retenul’attention
d’un certain nombred’auteurs, les
données concernant leséchanges respi-
ratoires des stades immatures chez
cesinsectes
selimitent
aux travauxeffectués
surApis mellifica L.
M!r,nnzYy
et!!lI!,r,IS (rg 39 ),
travaillant sur deslarves
et desnymphes d’A!is mel-
lifica, ont mesuré, à l’aide de la technique de Bareroft-Warburg, la consommation
d’oxygène
et laproduction
de gazcarbonique,
ainsi quele quotient respiratoire,
dereines
etd’ouvrières.
Quelques
travauxfont mention de
mesuresde la consommation d’oxygène chez
des
larves de
mâles et d’ouvrièresd’A!is melliftca : A LLEN ( 19 5 9 ) ;
INOUE( 19 6 4 ) ; HumusiMA et
INOUE(ig6 4 ). Mais,
ces deuxderniers
auteurs ontcomparé dé plus
l’intensité des échanges respiratoires
chezdeux espèces : Apis mellifica I,.
etApis
ce-rana
F., au
cours dudéveloppement larvaire
etnymphal, puis chez
les adultes.Les relations
entrel’intensité respiratoire
et lesconditions alimentaires
chez leslarves d’A!is mellifica
ontfait l’objet d’études
récentes.C’est ainsi
queS HUEL
et DIXON
(rg5 9 )
ont pu établir une corrélation entre laquantité
de gazcarbonique rejetée
par
les larves
etla composition de différents régimes alimentaires soumis
àcelles-ci.
Fn
mesurantla consommation d’oxygène de larves âgées de trois jours, élevées
surgelée royale, RF MB oi,i)
et H.ANSER(r 9 6 4 )
ontobservé
que leslarves qui
sedévelop- paient
ultérieurement enreines avaient
uneconsommation d’oxygène beaucoup plus
élevée
quecelles qui étaient destinées
àdevenir des ouvrières.
I,e problème
concernant leséchanges respiratoires
chez les Bourdonsn’a jamais
été abordé.
J’ai donc entrepris
une série de mesures de la consommationd’oxygène
chez les larves de Bombus au cours
des différents stades, afin de
comparerle niveau
etles variations des échanges respiratoires
avec ceuxdéjà observés
chezApis mellifica,
en tenant
compte qu’il
existe uneorganisation sociale différente dans
lesdeux
genres.CONDITIONS
EXPÉRIMENTALES
I Matériel
biologique
La croissance larvaire a été suivie dans deux colonies de
B01l/bus terrestris,en
conditionsd’élevage spontanées.
La croissance de H01l/bus teyrestris comporte
cinq
stades bien déterminés, permettant la connais-sance certaine de
chaque
intermue.rlprès
leuréclosion,
leslarves,
au nombre de 6 à 16 parcellule,
demeurent
groupées ; puis
àpartir
ducinquième
ou sixièmejour,
elles tissent un mince cocon soyeux,toujours
u l’intéricttr de la cellule larvaire. Les larvespoursuivent
leur croissancejusqu’à
la mue nym-uhale, les
cocons formant une massecompacte. La
durée de la vie larvaire est de onzejours
environ.I
t
période
où lesexpériences
ont étéréalisées, chaque
coloniecomprenait
2s5 à 30
ouvrières. Lestempératures
il l’intérieur des nids oscillaient entre 22et 28°C.2
. Méthode d’étude
Les mesures
respirométriques
sont effectuées à l’aide del’appareil
deWarburg
et de manomètresdifférentiels de Summerson à volume co istant. Le gaz
carb-)iii l ue dégagé
par les insectes est absorbé par une solutiun de potasse( 0 ,6 millilitre)
a io p. ioo,di!po>ée
dans le réservoir latéral dechaque
fiole. l,es fioles ont une
capacité
voisine de 15 ml. Latempérature
du bainthermostatique
est main-tenue constante à
2 g°C.
Leséchanges
gazeux sont mesuréspendant
unepériode
de troisheures,
iiraison d’une lecture toutes les heures. Dans les calculs de la consommation
d’oxygère, j’ai
utilisé laconstante du
récipient
pour le gaz étudié,d’après l’équation
det MB R E tT,Bt’RR[s
et STAUFFER(:<)6l) :
Dans cette constante, on tient compte du volume du
récipient,
du volume del’animal,
de latempé-
rature absolue.
Al’intérieur de
chaque fiole,
les larves demeurent dans leur cellule cireuse - - ouverte -ou bien reposent sur unfragment
de leurcellule,
afin d’être maintenues dans des conditions aussi naturelles quepossible.
Les
expériences
sont effectuées à lapénombre
ettoujours
à la mêmeheure,
defaçon
à éliminerles oscillations diurnes
possibles
dans la consommationd’oxygène.
Des essaispréliminaires
sur leséchanges respiratoires
des larves - à l’obscurité ou en éclairement naturel - n’ont montré aucunemodification sensible de l’intensité
respiratoire.
Les larves sont
pesées
à la fin dechaque expérience
defaçon
à réduire au minimum le maniement des insectes avant les mesuresrespirométriques.
A
l’exception
des larves du dernier stadequi
ont une taille suffisante pour êtredisposées
indivi-duellemcnt dans
chaque fiole,
il est nécessaire - pour les larves de- quatrepremiers
stades - deconstituer des lots de
cinq individus,
afin de permettre des mesures de consommationd’oxygène
avecune
1>récisic»i
satisfaisante.J’ai
utilisé pourchaque
lot des animaux extraits de la même cellule lar-vaire,
depoids
très voisins. Lesprélèvements
de larves sont effectués dans des couvées différentes.Il était
important,
afin depouvoir dégager
les variations de la consommationd’oxygène pendant
la
croissance,
de neprélever
que des larves se trouvant à un même staded’intermue,
suffisammentéloigné
des remaniementscaractéristiques
de la mue..
1
me suis donc efforcé deprélever
des larves à unepériode
où celles-ci étaientsupposées
avoircompensé
par un nouvel apport de nourriturel’appauvrissement
dû auxdépenses
de la mueprécé- dente,
et où les animaux n’avaient pas encore commencé lestockage
des réserves devantpermettre
a mue suivante.
RÉSULTATS
Les différentes
valeurs de la consommationd’oxygène
des larvesd’ouvrières
de Bombus terrestyis sontrapportées
dans le tableausuivant,
etexprimées
en fon-ction du stade larvaire
et dupoids
moyen des larves.J’ai
calculé les moyennesde poids
et
de consommation d’oxygène
pourdes
groupesde larves, afin de
montrer l’évolution de laconsommation d’oxygène
à l’intérieur dechaque
stade.Sur
lafigure
i sontreprésentées
les valeurs de la consommationd’oxygène
par larve en fonctiondu poids
moyende
groupes de larves àl’intérieur
dechaque
stade(exprimées
enmicrolitres d’oxygène
parlarve
et parheure).
On constatequ’il
y aaugmentation
de la consommationd’oxygène
enrapport
avec la croissancepondérale.
Sur
lafigure
2, on aporté
en abscisse lepoids
des larves des différentsstades,
et en
ordonnée
la consommationd’oxygène. L’allure générale
de l’ensembledes
points suggère
unerégression curvilinéaire plutôt
quelinéaire. En
effetl’ajustement
par
la
méthode des moindres carrés à une courbeparabolique permet
de testerl’influence
du termedu second degré quand
on adéjà
tenucompte de la régression
linéaire. La corrélation
est trèshautement significative,
comme le montrede façon équivalente
le test F ou le coefficient decorrélation,
autrementdit,
il existe une très forte corrélation entre laconsommation d’oxygène
et la croissancepondérale
deslarves, dans
les limites étudiées.Le rapport
des variances est hautementsignificatif (F = i i 7 c),C) 5 )
pour larégression de
x, et x2, etsignificatif (I! = 3.!,g8)
auseuil
i p. 100 pour larégression de x
2 après avoir
tenucompte
de xl.La figure 3
montre leniveau
de laconsommation d’oxygène
des larves d’ouvrièresdes différents stades, rapportée
aupoids frais
desindividus (exprimée
enmicrolitres
d’oxygène
parmilligramme
et parheure). La consommation d’oxygène
parmilli-
gramme de
poids du
corpsdiminue progressivement
aufur
et à mesurede l’accroisse-
mentpondéral des larves,
cequi
revient à dire que lesplus
grosses larves consomment moinsd’oxygène
par unité depoids
que lesplus petites.
DISCUSSION -
CONCLUSIONS
I,a
méthode deWarburg
nous apermis d’obtenir
uneévaluation périodique des échanges respiratoires des larves d’ouvrières de
Bombusterrestris
auxdifférents stades.
La détermination de
la consommation moyenned’oxygène pendant l’intermue
a
nécessité plusieurs expériences
pourchaque stade
larvaire.Il
estévident
quela
croissance nepeut
se dérouler normalementsi
lesinsectes
sontmaintenus dans
les fioles durantplusieurs jours. En effet,
chezl’espèce
Bombusterrestvis, chaque
larvereçoit
dela part de
la reineet, plus taid, des ouvrières,
unenourriture liquide régur- gitée, constituée d’un mélange de pollen
etde miel. Au fur
et à mesuredu développe-
ment, chaque larve,
isolée dans son proprecompartiment,
estalimentée
à travers unpetit orifice pratiqué
au sommetde
la cellulecireuse, jusqu’à
unephase proche de
lanymphose. D’autre part,
leséjour prolongé dans
uneatmosphère dépourvue
de gazcarbonique peut perturber l’animal (C ALVET
etP RAT , i 95 6). Cependant, des épreuves comparatives permettent
de ne pas tenircompte
de ce facteur.Certaines variations de la consommation
d’oxygène, observées
dans letableau, peuvent s’expliquer
par le fait que des groupes de larves ont étéprélevés,
pour un mêmestade larvaire,
dans des couvéesdifférentes,
ou bien à unepériode proche
d’unentue.
En effet, des éléments
nousmanquent
encore,permettant de caractériser
exac- tement lesstades d’intermue
chez les Insectes. Bienqu’il existe
unevariation
relati-vement
petite
dans la durée dudéveloppement
larvaire des diversescouvées,
iln’est cependant
pas exclu que l’onpuisse observer
des différences sensibles dansl’intensité
respiratoire
des larves enrapport
avec lacouvée,
notamment entre lesouvrières
nour-rices
et les butineuses.Il convient de
rappeler
que chez lesBourdons,
la taille des ouvrières estvariable, mais
cepolymorphisme
estessentiellement fonctionnel. Chez
laplupart
desespèces
de
Bourdons,
les ouvrières lesplus petites prodiguent leurs
soins à laprogéniture, accomplissent
des travauxménagers, tandis
que la récolte deprovende — nectar, pollen —
et ladéfense
du nid incombent auxouvrières
deplus grande taille. La répar-
tition
des ouvrières
endeux
groupes, ou sous-castes - les nourrices etles butineuses
- ne traduit pas
toujours de façon évidente
les fonctionsprécises
des ouvrières detaille différente. En effet, il existe
ausein
d’unecolonie,
tousles intermédiaires
entre lesouvrières les plus petites
et lesplus grandes,
de telle sorte que lesactivités de
cesdifférents
individus nepeuvent
être déterminéesqu’en fonction
de leurphysiologie
et de leur
comportement.
Une
étude plus approfondie des échanges respiratoires,
enparticulier des
mesuresde quotient respiratoire, des
larvesde Bombus pourrait peut-être permettre de dégager
un critère
mesurable du polymorphisme des imagos. Chez Apis n l i’llificti, MEi. AM p v
etW ILI .
IS
ontmontré
que leséchanges respiratoires
étaientplus importants
chez leslarves destinées
àdevenir
des reines que chezcelles
devant donner des ouvrières.D’après ALZ!V,
leslarves
mâlesd’A!is rnellifaca
consommentdavantage d’oxygène
que les
larves ouvrières,
àpoids égal.
Des
conditions expérimentales différentes,
relatives à latempérature,
au staded’évolution de la colonie,
nepermettent
pasd’établir des comparaisons
bienprécises
avec les données
obtenues chez Apis mellifica. La plupart des
auteurs n’ontconsidéré
que les
températures
moyennes :32 °C. (A LLEN ,
HUKUSDIA etIwonr;), ou 35 °C. (ME-
LAMPY et
M TL LI, IS , S HUEL
etDrxox), qui
coïncident à peuprès
avecl’optimum
dedéveloppement des abeilles,
maisil
estdélicat
de comparer desrésultats
chezdes insectes où
larégulation thermique
socialejoue
ungrand rôle (fig. !).
Des
expériences
surl’évolution
deséchanges respiratoires
des larvesd’ Apis
nrelli-fica
et de Bombus enfonction
de latempérature, permettraient
d’observer si l’intensitérespiratoire
des larves suit lesoscillations de
latempérature dans le
même sens ; car, chez lesadultes d’A!is naellifica,
il a été montré(H HUSNER
etRoTH, i!)63)
que laconsommation d’oxygène augmentait quand
latempérature
diminuait. Il convienten
effet de rappeler
que cephénomène
est enrelation
avec larégulation thermique
dela ruche.
Des
précisions semblent également nécessaires
concernantla période d’expéri-
mentation,
et parconséquent la
naturede
l’alimentationproposée
aux larves. PAR-HON
(igog)
a pu mettre enévidence
chez l’Abeille desmodifications
deséchanges
nutritifs
etspécialement
deséchanges respiratoires pendant les différentes saisons.
Reçu
pourpiiblication
ciiiuillet 19 68.
SUMMARY
!’;VOLl :
TION OF THE i’vNiilNtP’it<J&dquo; OF OXYGEN 1)URJN<§ THE LARVAI. D1SVELOPMEN’C OF « ItOJiI3US TERRESTR)S n I,. WORKERS
The author studies the evolution of the
consumption
of oxygcnby
the worker larvae of 7!);!&!i!lei),estris at the different stages of
development.
Experiments
were carried outusing Warburg’s appliance
and Summerson constant-volume differential pressure gauges, at a temperature of2jOC.
The results show an increase in the
respiratory exchanges
in relation to the increase inweight.
liowever,
as the larvae increase inweight,
so theconsumption
of oxygen per unit ofweight
of thebody progressively
decreases.The curve of the larvae’s
consumption
of oxygen versus increase inweight
shows certain ana-logies
with the curves obtained withA pis mellzjiw, despite
differentexperimental
conditions and atricky interpretation
of the results because of the thermalregulation
pattern of these insects.REMERCIEMENTS
J’adresse
mes remerciements ’1 M. le Professeur 1,1,, Bb;KKU(Faculté
des Sciencesd’Orsay; :
pour l’aide
qu’il
m’aapportée
dans la rédaction de ce mémoire.Je
remercieégalement.
M.
Aarroux,
Directeur du Service de Biométrie de 1’1. !V, lt.A.,
poursa précieuse
contribution àl’interprétation statistique
des résultats.RÉFÉRENCÈS BIBLIOGRAPHIQUES
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