• Aucun résultat trouvé

Le Léman, un lac endoréique?

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Le Léman, un lac endoréique?"

Copied!
8
0
0

Texte intégral

(1)

Article

Reference

Le Léman, un lac endoréique?

SESIANO, Jean

Abstract

Il y a 3000 ans, et probablement déjà antérieurement, lors d'un épisode naturel climatique favorable, l'évaporation à la surface du Léman a été supérieure à l'apport du Rhône au Bouveret et à celui des autres affluents. Le niveau du plan d'eau s'est abaissé d'environ 5 mètres. En conséquence, le Rhône à Genève a cessé de couler. Des habitations palafittiques ont alors été édifiées à l'emplacement de la rade genevoise. Un peu plus d'un siècle plus tard, suite à une péjoration du climat, le niveau du lac est remonté, forçant les habitants à abandonner leurs villages. Avec le changement climatique qui s'annonce,il est possible que l'on retrouve une situation semblable dans un futur pas si lointain.

SESIANO, Jean. Le Léman, un lac endoréique? Nature et Patrimoine en Pays de Savoie , 2021, no. 64, p. 17-21

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:154317

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

1 / 1

(2)

juin 2021 - n°64

La pollution lumineuse

dossier

(3)

sommaire

1

dossier

patrimoine - histoire

02

actualité

29 infos du réseau empreintes

29 n Musée du Chablais / Parc Naturel Régional du massif des Bauges / Association des Réserves naturelles des Aiguilles Rouges / CAUE de Haute-Savoie / Centre de la Nature Montagnarde / La Turbine Sciences

30 n 15 activités inédites et ludiques à vivre en famille en Haute-Savoie

32 n Musée de l'horlogerie et du décolletage de Cluses / Ecomusée du Lac d'Annecy / Asters, CEN74 / Art-Terre - CPIE Chablais-Léman / Géoparc Chablais / Maison de la mémoire et du patrimoine Janny Coutet

29

17 hydrologie n Le Léman, un lac endoréique ?

22 chronique naturaliste n Faucons crécerelles à Annecy-le-Vieux 08 aménagement n L'eau du Léman à Paris

26 formation n L'alpage de Grand Montagne, un alpage qui fait école !

sciences de la vie et de la terre développement durable

agriculture

17 08

26

p 12 à 16

Trop de lumière (la) nuit

n Pollution lumineuse, des enjeux multiples n Et si on éteignait en cœur de nuit ?

n Eclairons là où c'est nécessaire en adaptant l'intensité au besoin ! n Gare aux lumières blanches !

02 monument n Le Christ-Roi du Mont-Blanc 05 monument n Taninges : un site unique en Europe...

voire au-delà ! juin 2021 -

n°64

Une publication du Centre de la Nature Montagnarde

(4)

sciences de la vie et de la terre hydrologie

Le Léman, un lac endoréique ?

Une précision pour commencer : le terme endoréique se dit d’un plan d’eau, mer ou lac, qui reçoit des affluents, mais qui n’a pas d’émissaires. En d’autres termes, de l’eau y arrive, mais rien n’en ressort ! Cela peut paraître para- doxal, mais il suffit d’imaginer qu’une forte évaporation ou que des fuites compensent exactement ce qui arrive.

C’est ce qui se passe par exemple pour le premier cas avec le lac Baïkal, le lac de Van, la mer Morte, le lac Tchad, etc. Pour le second cas, on peut citer le lac Brenet, dans le Jura vaudois, ainsi que bien d’autres lacs karstiques, comme le lac de Flaine, le lac de Lessy ou le lac d’Anterne.

Donc, ou bien l’eau s’échappe vers le haut, dans l’atmosphère, ou bien vers le bas, dans le sous-sol ! Voyons ce qui a pu advenir au Léman, tout en précisant que sa géologie en forme de cuvette et sa profondeur rendent la seconde possibilité peu crédible.

Un lac issu de la fonte du glacier du Rhône

L'histoire du léman a été émaillée de catastrophes, dont celle de l'an 563 est remarquable à plus d'un titre (voir encadré 1 et NPPS n°43).

Mais, nous allons parler d’un autre phénomène qui, bien qu’il soit beau- coup plus calme et moins spectaculaire, a eu une importante incidence durant plusieurs siècles. Il s’agit des fluctuations importantes du niveau du Léman au cours des millénaires.

Il est maintenant bien établi que le glacier du Rhône, dont l’épaisseur atteignait au droit de Genève 600 à 700 m, lors du maximum de la der- nière période glaciaire, le Würm, il y a environ 24 000 ans, s’est retiré par à-coups, au fur et à mesure que le climat se réchauffait (Wildi, 1999 ; Wildi et al., 1998). Mais il est aussi vrai que, lors de l’avant- dernière période glaciaire, le Riss, la ville du bout du lac se confinait (déjà !), il y a de cela environ 140 000 ans, sous un kilomètre de glace, ainsi que nous le prouvent les nombreux blocs erratiques déposés au sommet du Salève par le glacier du Rhône.

Fig. 1 : La rade de Genève, au Bronze final (voir fig. 3). La station du Plonjon se trouve à gauche, celles des Pâquis, à droite. Au centre, en haut, la colline où se trouve actuellement la Vieille-Ville de Genève. En haut à droite, l’Arve. La végétation se compose d’une forêt de feuillus, avec des saules sur les rives exondées.

Les rives encore inondables sont couvertes de roselières (dessin de Y. Reymond)

Fig. 2 : Restes des pieux

de fondations des maisons plantés dans l’argile et envahis de moules zébrées à la station du Plonjon (photo P. Corboud).

On observe des témoins sembla- bles dans les stations savoyardes comme Thonon, Excenevex, Chens- sur-Léman, etc. (Billaud, 2020). Ces sites sont qualifiés de palafittiques

(5)

sciences de la vie et de la terre

18

hydrologie

Mais, revenons à ce glacier, alors en plein retrait. Vers 17 000 ans avant le pré- sent, il largue dans la rade de Genève deux gros blocs de granite, provenant de la partie orientale du massif du Mont-Blanc, en Suisse, dont l’un, la pierre du Niton, deviendra, en 1820, le point de départ de l’altimétrie suisse (Sesiano et al., 2011).

Le retrait continuant durant le Paléolithique supérieur, il y a 14 000 ans, la lan- gue du glacier se trouve dans le Bas-Valais (Fig. 3) Un vaste plan d’eau occupe alors l’emplacement du lac actuel, mais son niveau est d’environ 8 m plus haut que le niveau moyen actuel qui est d’environ 372 m au-dessus du niveau de la mer, la Méditerranée en l’occurrence (Corboud, 2019). La raison en est simple : le glacier, en se retirant, a abandonné à l’extrémité de la cuvette genevoise lors d’un stade de retrait, là où le Rhône s’échappe et où se trouve actuellement Fort l’Ecluse, des dépôts formés de sable, de gravier et de blocs de dimensions variées. Le barrage ainsi formé a retenu un lac qui s’étendait sur toute cette région comprise entre le Jura, le Vuache, le Salève et les Voirons, avant que, progressivement scié par le fleuve, le niveau du lac s’abaisse peu à peu, et que sa superficie diminue en conséquence.

Le climat poursuivant son réchauffement, le glacier du Rhône remonte vers sa source, dans le Haut-Valais. Tous les débris qui sont tombés sur les glaciers issus des vallées latérales, affluents du glacier du Rhône, ainsi que ceux qui sont arrivés directement des flancs de la vallée sur ce dernier, toute cette pierraille est déposée au front du glacier en recul et va être remaniée par les courants d’eau provenant de la fonte. C’est ce que l’on appelle du matériel fluvio-glaciai- re. Ces matériaux vont peu à peu remplir cette vallée qui a été approfondie par le glacier lorsqu’il l’occupait, alors qu’il était au mieux de sa forme. Nous l’avons mentionné dans l’introduction. Le delta formé à l’emplacement de l’embouchure du Rhône dans ce futur Léman va peu à peu progresser vers l’aval. Mais il faudra néanmoins des milliers d’années pour combler le creux qui s’étendait depuis Saint-Maurice jusqu’à l’embouchure actuelle, au Bouveret. D’où l’ho- rizontalité remarquable de cette portion des territoires vaudois et valaisan.

De l'Atlantique à l'Holocène, un climat fluctuant...

Il y a environ 6 000 ans, durant le Néolithique moyen et le Néolithique final, le climat devient très favorable et cette période est appelée Atlantique récent par les climatologues. Le niveau des lacs va énormément baisser, la limite des arbres s’élève fortement jusqu’à atteindre 2 400 m, ainsi que nous le montrent des troncs datés retrouvés à ces altitudes dans les Alpes autrichiennes et suisses. Ce sera la valeur la plus élevée trouvée durant l’Holocène ; dès cette époque, elle ne fera que s’abaisser pour atteindre l’altitude minimale d’environ 1 700 m, durant le Petit Âge Glaciaire, entre 1400 et 1850 de notre ère. En fait, durant tout l’Holocène, le climat ne fera que fluctuer (voir Sesiano, 2014).

...qui oblige les populations riveraines à s'adapter

Les habitants des pourtours lacustres ne vont faire que s’adapter aux fluctua- tions du climat. Des conditions climatiques favorables mèneront à une multipli- cation des établissements palafittiques (appelés villages lacustres autrefois), tandis qu’en altitude, les glaciers vont reculer. Et vice-versa.

Par exemple, à la fin du Néolithique et au début du Bronze ancien, au Subboréal, on observe une dégradation du climat, ainsi qu’au Bronze moyen, entre 1500 et 1300 av. J.-C. : cela poussera les habitants à s’éloigner des rives car le niveau lacustre monte. Inversement, durant des épisodes chauds et secs, le niveau des lacs du nord des Alpes, et du Léman en particulier, s’abaissera suffisamment pour permettre une colonisation de ses rives. On peut mentionner par exemple le Néolithique moyen, entre 3850 et 3400 av. J.-C. ; le Néolithique final, entre 3300 et 2450 av. J.-C. ; l’âge du Bronze ancien, entre 1800 et 1500 av. J.-C. ; et l’âge du Bronze final, entre 1085 et 850 av. J.-C. (Corboud, 2012).

A partir de 850 av. J.-C. (Subatlantique ancien ou premier âge du Fer), débute une phase froide qui va provoquer une transgression générale des lacs du plateau suis- se avec l’abandon de toutes les occupations littorales. Puis, d’autres fluctuations suivront, avec la période romaine, climatiquement favorable, ainsi qu’autour de l’an 1000 de notre ère, avec l’occupation des côtes du Groenland, suivi par le refroidis- sement du Petit Âge glaciaire et, enfin, l’épisode chaud que nous vivons actuelle- ment, dont la cause n’est plus naturelle, mais anthropique (voir encadré 2).

A l’époque qui nous intéresse, le peuplement humain se concentre autour des plans d’eau. Ces derniers fournissent une abondante nourriture et l’eau est à disposition pour les activités domestiques.

1 - Catastrophe sur le Léman

Tout amoureux des res naturae, les choses de la nature, a certainement entendu parler de cette grande vague qui a balayé le Léman il y a près de 1 500 ans. Ce phénomène est appelé improprement un tsunami, ce terme n’étant réservé qu’aux vagues engendrées par un séisme sous-marin.

Or, dans le cas présent, il s’est agi d’une montagne, le Tauredunum, dominant la tête du lac actuel, en Valais, mais proche de la frontière avec le Chablais, peut-être le Grammont, qui, sans que l’on puisse en préciser exactement les raisons, s’est affaissée en bloc en 563 de notre ère, dans la vallée du Rhône.

Cette dernière, lentement comblée par les sédiments déposés par le glacier du Rhône lors de son retrait, puis plus tard par le fleuve, présente un fond très plat. Ces sédiments, encore peu consolidés, ont été bousculés par la chute de cette énorme masse et ont été projetés vers l’amont et vers l’aval.

C’est cette dernière partie qui, s’engouffrant sur l’extrémité du Léman tout en déstabilisant le delta du Rhône, a engendré cette énorme vague. Bien qu’elle ait perdu progressivement de son énergie et de sa hauteur, elle a été encore assez importante à l’autre extrémité du Léman, soit à une centaine de kilomètres, pour submerger la basse-ville de Genève (Kremer et al., 2012).

2 - Comment dater ces événements ?

La précision de ces chiffres peut surprendre, mais plusieurs méthodes sont à disposition pour des datations.

On peut citer, entre autres, l’étude des pollens accumulés dans les sédiments des lacs de plaine ou préalpins (la palynologie), les cernes de croissance des bois retrouvés dans des tourbières, sur les rives des lacs ou dans des moraines glaciaires (la dendrochronologie), ainsi que les valeurs obtenues à l’aide du 14C dans des charbons de foyers préhistoriques ou dans des déchets de bois, gardant à l’esprit que les habitants de ces époques ont abandonné de nombreux objets archéologiques. Mais il est clair aussi que le style et la nature des objets retrouvés peuvent nous donner également de précieuses informations.

En outre, il est vrai que plus l’on s’ap- proche de l’histoire récente, plus les indices nous permettant de savoir quel- les étaient les conditions climatiques, la densité d’un peuplement, le mode de vie, les différents types de végétation dominant, etc., deviennent nombreux.

(6)

Durant le début de l’âge du Bronze, avec la découverte de la métallurgie et de l’alliage de cuivre et d’étain donnant ce métal, l’agriculture se développe. Mais, le climat devenant à cette époque plus frais et humide, les populations qui s’étaient établies sur les rivages lacustres ont tendance à s’en éloigner à cause de la montée des eaux (Richard et al. 2006). Ce ne sera pourtant que partie remise. Au Bronze final, (1080 à 850 av. J.-C.) c’est une période plutôt chaude et sèche qui se profile. Et cela va nous amener à l’explication du titre de cette communication. Le climat de cette époque est à ce point favorable qu’il va mener à une situation tout à fait inédite.

Pour ce faire, regardons un peu le bilan hydrique du Léman.

Le Léman : bilan hydrique

C’est le savant F.-A. Forel, établi à Morges, fondateur de la limnologie ou étude des lacs, qui a effectué le premier une étude remarquable et détaillée sur le Léman (Forel, 1892). En plus de décrire les phénomènes affectant ce lac et de chercher à les expliquer, il a décrit les stations palafittiques établies sur ses rives, se concentrant sur- tout sur celles autour de sa ville natale. Par contre, il ne remet pas en question le mythe romantique et fédérateur chez une Suisse en mal d’unité, alors en vogue à cette époque, de cités lacustres établies au-dessus des eaux.

Il s’est appliqué à faire un bilan hydrologique du Léman.

Nous ferons de même, mais avec les données actuelles.

<

Les apports

L’apport d’eau dans le Léman est le fait du Rhône à l’em- placement actuel du Bouveret, qui s’ajoute à celui d’autres cours d’eau dont, sur la rive française, la Dranse, le Foron et le Pamphiot pour les plus importants ; et sur la rive helvé- tique, la Veveyse, la Venoge, l’Aubonne, la Promenthouse, la Versoix et l’Hermance, également pour les principaux.

Pour le Rhône, il faut compter avec un débit moyen annuel de 182 m³/s, selon le Service hydrologique fédéral, pour la période 1935-2008, à la Porte du Scex. La somme des apports de tous les autres affluents se monte à 68 m³/s.

En d’autres termes, le Rhône représente 83 % de tous les apports, la Dranse, 9 %, et tous les autres, 8 %. On a donc un apport total de 250 m³/s, soit, en une année : 7,9 km³.

Dans les apports, il faut prendre en compte les précipita- tions qui tombent sur cette surface lémanique d’environ 583 km², soit une moyenne de 1 m/an. Donc un volume total de 0,58 km³ par an, valeur assez faible par rapport à l’apport total des cours d’eau.

On devrait encore tenir compte de la condensation. Elle a surtout lieu au printemps. Forel et les autres auteurs qui se sont penchés sur le Léman, l’ont jugée négligeable (p. ex.

Blavoux et al., 1962). Enfin, la quantité d’eau provenant de sources sous-lacustres est inconnue.

<

Les pertes

S’opposant à ces apports divers, il y a l’évaporation. A la surface du Léman, elle ne se produit que lorsque la dif- férence de température est maximale entre l’eau et l’air, c’est-à-dire en été et en hiver. Ce facteur est difficile à calculer, car il dépend d’un grand nombre de paramètres.

Parmi ceux-ci, la température de l’air et de l’eau, la force

Fig. 3 : La chronologie post-Würm, donnée afin de situer les époques dont on parle plus bas. La période qui nous intéresse est indiquée par une petite barre rouge, en haut à gauche (Gallay, 2008)

Fig. 4 : Plan actuel de la rade avec la nouvelle plage de Genève ; en rouge, la situation des occupations palafittiques au Bronze final, en vert celles du Néolithique final, de 2950 à 2600 avant J.-C. Le Léman s’arrêtait au NE, tout le reste en aval (bleu clair) était exondé.

La petite éminence sableuse entre Pâquis B et le

Plonjon est éphémère et d’origine dynamique (courants).

Equidistance des courbes : 0,5 m (carte P. Corboud)

(7)

sciences de la vie et de la terre

20

hydrologie

du vent, l’état hygrométrique de l’air, la saison, l’albédo, etc.

On trouve chez Magny et Olive (1981) une valeur de 0,5 m/an. Chez Blavoux et al. (1962), on trouve pour le lac 0,85 m/

an, avec des chiffres variant de 0,42 m à Montreux à 1,21 m/an à Lausanne. Si l’on compare la valeur de Magny avec l’apport annuel des affluents et des précipitations, soit 8,5 milliards de m3, on voit que cette évaporation soutire au Léman environ 1/15 de l’eau qui y arrive, ce qui est assez faible, mais pas négligeable.

On peut donc affirmer qu’en période cli- matique normale, celle que nous vivons actuellement, ce qui s’élève dans l’at- mosphère (évaporation) est bien infé- rieur à ce qui arrive dans la cuvette lémanique.

Etude du Banc de Travers

Or, des travaux menés au XIXe, puis durant tout le XXe siècle, complétés par ceux de P. Corboud et son équipe d’archéologues dès 2009, nous ont montré que la situation n’a pas toujours été celle que l’on observe aujourd’hui (Corboud, 2017). En effet, il existe un haut-fond dans la rade de Genève, appelé le Banc de Travers, dont la limite s’étend du port de la Société Nautique au début de la Perle du Lac.

Tous ces travaux ont mis en évidence l’occupation des rives du lac ainsi que de la rade en général, et donc du Banc de Travers, par des populations palafit- tiques, c’est-à-dire établies sur la terre ferme, au bord de l’eau.

Les recherches récentes, ayant béné- ficié de l’évolution des techniques de prospection et de datation, ont permis

de relever avec précision l’emplace- ment des pieux formant l’ossature des constructions. Avec, pour résultat, sur ce Banc de Travers, les restes de plusieurs villages, occupés à diverses époques entre 1085 et 850 av. J.-C., chacun comportant de quelques dizai- nes à quelques centaines d’habitants (Corboud, 2017).

Avec à la clef, une grande surprise et une grande interrogation : ce Banc de Travers se trouve entre 3 et 5 m sous le niveau actuel du lac. Et nous venons de dire que ces habitations ont été édifiées sur la terre ferme. Par voie de conséquence, le Banc de Travers n’était pas submergé à cette époque du Bronze final (Fig. 5).

Voyons comment cela est possible.

Un lac à niveau variable

Les fluctuations du climat font que le niveau du Léman varie. A l’époque qui nous intéresse, ce niveau pouvait varier entre -6 m et +3 m autour du niveau moyen actuel de 372 m. En périodes chaudes et sèches, le niveau du plan d’eau s’abaissait. On peut dire alors que c’est la composante continentale du cli- mat qui l’emportait, avec une régression des plans d’eau. Et vice-versa par péjo- rations climatiques, où c’est la compo- sante océanique qui prenait le dessus, accompagnée de transgressions. Il est clair que des raisons non-climatiques pouvaient aussi faire monter ce niveau.

Un gros éboulement des falaises de Saint-Jean, à l’exutoire du Rhône à Genève, par exemple (Corboud, 2012).

Le fleuve retenu aurait fini par scier le barrage ainsi constitué, mais selon son importance, cela aurait pu prendre des semaines ou des mois. C’est ce qui s’est passé, semble-t-il, à l’époque romaine.

Fig. 5 : Vue latérale de la rade asséchée, soit 4 m sous le niveau actuel du Léman, au Bronze final, vers 1000 av. J.-C.

Tout à droite, l’extrémité du Léman.

A 50 ou 100 m de sa rive, 4 ou 5 villages palafittiques, le plus important en bas à droite étant la station du Plonjon. Ils sont protégés des vagues du lac lors d’épisodes de bise

par des palissades de pieux.

L’étoile blanche signale l’emplacement des pierres du Niton (dessin de Y. Reymond)

3 - Un niveau régulé

Il est vrai que ces fluctuations sont presqu’invisibles actuellement à cause de la régularisation du niveau du lac. Elles étaient encore évidentes au début de la carrière de Forel puisqu’elles pouvaient atteindre ± 1,3 m. Dès 1884, avec l’équipement du pont de la Machine à Genève, remplacé en 1995 par le barrage du Seujet, le niveau du Léman a été maintenu artificiellement autour de 372 m, convention internationale helvético- française oblige.

(8)

La saison joue un rôle important. On remarque que les affluents dominent de mars à août, à cause de la fonte des neiges puis, peut-être, du capital glaciaire attaqué plus tard, d’où une montée du niveau du lac à cette épo- que : ils « remplissent » le lac, alors que c’est l’émissaire qui domine le reste de l’année avec une baisse du niveau, il

« vide » le lac. C’est donc la crue esti- vale du Rhône, par fusion de la neige et de la glace, qui va déterminer le niveau du Léman (voir encadré 3).

Démonstration

Tentons une estimation de la baisse du niveau du lac. Nous supposons une période climatiquement favorable durant plusieurs décennies : il y a diminution des précipitations et il fait chaud, la sécheresse s’est installée.

L’évaporation à la surface du lac ainsi que l’évapotranspiration sur tout le bassin-versant vont croître. Imaginons par exemple une baisse du niveau du Léman de 5 cm par an. Avec une super- ficie lacustre de 583 km², cela corres- pond à un volume d’environ 30 millions de m3 par an.

En prenant le débit moyen annuel actuel (1935-2008) du Service hydro- logique fédéral de l’émissaire (Rhône à Genève) de 250 m3/s, c’est un volume d’eau en transit d’environ 8 milliards de m3/an.

Le rapport entre ces deux volumes est de 0,004, soit un déficit en eau de 4 pour mille. Conclusion : une baisse durable et régulière de l’alimentation du Léman de quelques milliémes est capa- ble d’engendrer une baisse de niveau du lac de 5 cm par an. L’évaporation sur le lac que nous avons estimée plus haut, ainsi que l’évapotranspira- tion sur le bassin-versant ne peuvent qu’exacerber ce phénomène. Donc, une variation climatique sur quelques décennies, disons 50 à 60 ans, avec prépondérance d’années présentant une pluviométrie déficitaire peut mener à un abaissement du niveau du Léman de 2 à 5 m (Fig. 1 et 4).

Actuellement, cela ne se passe pas car, avec nos conditions climatiques, la pluviométrie est variable d’une année à l’autre, des années sèches succé- dant à des années humides, et vice- versa, ainsi que nous le montre la banque de données de l’Office fédéral de Météorologie et de Climatologie, MétéoSuisse, pour Genève, entre 1864 et 2017. Donc, nous vivons une situa- tion d’équilibre.

Cependant, l’archéologue Pierre Corboud, grand connaisseur des pala- fittes du Léman, signale qu’en 1921, une année exceptionnellement sèche,

le Léman a vu son niveau baisser de...

1,2 m ! En effet, la hauteur des préci- pitations annuelles à Genève a atteint 46 cm (dont 38 jusqu’à fin août, période habituelle de fonte) : c’est la moitié de la valeur habituelle. En 1920, elle attei- gnait environ 85 cm, contre 125 cm en 1922. Donc, des fluctuations normales autour d’une valeur moyenne.

Discussion

Le petit calcul effectué plus haut n’est qu’approximatif. En effet, il suppose une sécheresse qui s’établit sur tout le bas- sin-versant. Dans une atmosphère plus chaude, disons 2°C (cela ne vous rap- pelle rien ?) et sèche, l’augmentation de l’évaporation sur le lac que nous avons estimée plus haut, ainsi que l’évapo- transpiration sur le bassin-versant, ne pourront alors qu’être exacerbées. De plus, dans ce cas, c’est le capital gla- ciaire qui peut être affecté, avec une augmentation temporaire du débit de l’affluent, mais qui sera suivie d’un recul au niveau de la langue glaciaire, donc moins de fonte, donc moins d’apport, donc baisse encore plus marquée de l’apport hydrique au lac. En outre, le débit à l’exutoire à Genève va diminuer en cas d’abaissement du niveau du lac, car cela réduit la hauteur d’eau, donc la pression hydrostatique, menant à un ralentissement de la baisse du niveau lacustre, seul petit point positif !

Conclusion

La conclusion est la suivante : notre lac est en équilibre, et les chiffres, même approximatifs, nous l’ont montré, très en équilibre. Un changement climatique tel qu’il a affecté nos ancêtres du Bronze final, que cela soit ceux de Genève ou de toutes les stations palafittiques du pourtours lémanique, n’a été que tem- poraire, ne se manifestant que sur quel- ques siècles, puis tout est rentré dans l’ordre. Et cependant, ils ont dû quitter leurs lieux de peuplement, le Banc de Travers en l’occurrence (Fig. 2).

Mais, le point fondamental est que le changement climatique qui les a forcés à se déplacer était naturel. Or, aujourd’hui, c’est un changement causé par l’Homme qui est à l'œuvre. Et de grande ampleur. Alors, allez imaginer Genève sans le Rhône… sans compter tous les autres effets sur la Terre entière !

< Jean SESIANO

Hydrogéologue collaborateur, université de Genève - juin 2021

Remerciements

Un grand merci à Pierre Corboud pour la relecture consciencieuse de ce travail et ses nombreuses remarques constructives.

Bibliographie

Billaud Y. (2020). Suivi des stations palafittiques des lacs savoyards inscrites au patrimoine mondial de l’Unesco, campagne 2018. Drassm.

Blavoux B., B. Dussart, H. Maneglier et Cl.

Salvetti (1962). La région du Léman du point de vue hydrométéorologique. Le Globe, 102, pp 49-68.

Corboud P. (2019). La Rade de Genève, de la dernière glaciation à nos jours. La Plage N°3.

Corboud P. (2017). Genève, il y a 3000 ans : chronique d’une fouille dans le village préhis- torique de Plonjon. Gollion, Infolio, 103 p.

Corboud P. (2012). L’archéologie lémanique un siècle après F. A. Forel : quelques questions encore à résoudre… Arch. Sci.

Genève, 65, pp 237-248.

Forel F.A. (1892-1904). Le Léman : monographie limnologique. Trois tomes.

715 p. Ed. Rouge, Lausanne.

Gallay A, ed. (2008). Des Alpes au Léman : images de la préhistoire. 360 p. 2e édition.

Infolio Gollion éd.

Kremer K., G. Simpson et S. Girardclos (2012). Giant Lake Geneva tsunami in A.D.

563. Nature Geoscience N°5, pp 756-757.

Magny M. et P. Olive (1981). Origine clima- tique des variations du niveau du lac Léman au cours de l’Holocène : la crise de 1700 à 700 ans B.C. Archives suisses d’anthropolo- gie générale (Genève), 45, 2, 159-169.

Richard H., M. Magny et Ch. Mordant (2006).

Environnements et cultures à l’âge du Bronze en Europe occidentale. 7-11. Doc. préhistori- que N°21, éd. CTHS, Paris.

Sesiano J., C. Schnyder, P.-A. Proz, E. Gnos et U. Schaltegger (2011). Les Pierres du Niton revisitées : soubassement, minéralogie, datation et origine. Arch. Sci. Genève, 64, pp 81-90.

Sesiano J. (2014). Les glacières face au chan- gement climatique. Nature & Patrimoine en Pays de Savoie, publ. du Centre de la Nature Montagnarde, Sallanches, 44, pp 15-22.

Wildi W. (1999). Histoire glaciaire du Léman.

Archives ouvertes.unige.ch

Wildi W. et A. Pugin (1998). Histoire géologi- que du relief du bassin lémanique. Arch. Sci.

Genève, 51, pp 5-12.

Références

Documents relatifs

Non : comme toutes les ondes, les ondes sismiques se propagent sans transport de matière mais avec transport d’énergie.. 2.3 Une onde est longitudinale si la direction de

Deux bactéries sont classées dans la même espèce si elles présentent au moins 70% d’homologie.. Expliciter

On peut donc calculer un produit scalaire uniquement à partir des distances. T.Pautrel - cours: produits scalaires dans le plan - niveau

Philippe Morand, ancien conseiller d'Etat, président du dixain.. Gay Eugène, ancien président

Cherche comment l’homme, par ses activités (lesquelles), réduit encore la quantité d’eau douce disponible

circonstances bien déterminées. En effet, il ne peut être question de fœhn que s'il existe entre les deux versants des Alpes une différence de pression notable, la plus haute

Société va- laisanue des sciences naturelles, j'ai donné la liste des oi- seaux des plaines et des montagnes du Valais, en réponse à un article intitulé : Excursions ornithologiques

Geisendorf, Edil.à Cenevo.. SOUVENIR DE MONTREUX.. Imp Lemerder Pans. BEX. Mack, âVévey Echtem.. JJacoUel del et lith.. -VALLEE