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Recherches sur les Diálogos muy apazibles (1608) de César Oudin

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Culture et histoire dans l'espace roman

 

5 | 2010

Enseigner les langues modernes en Europe

Recherches sur les Diálogos muy apazibles… (1608) de César Oudin

« Secrétaire Interprète du Roy ès langues Germanique, Italienne &

Espagnolle » Marc Zuili

Édition électronique

URL : https://journals.openedition.org/cher/8987 DOI : 10.4000/cher.8987

ISSN : 2803-5992 Éditeur

Presses universitaires de Strasbourg Édition imprimée

Date de publication : 1 décembre 2010 Pagination : 117-143

ISBN : 978-2-35410-029-2 ISSN : 1968-035X Référence électronique

Marc Zuili, « Recherches sur les Diálogos muy apazibles… (1608) de César Oudin », reCHERches [En ligne], 5 | 2010, mis en ligne le 17 décembre 2021, consulté le 25 janvier 2022. URL : http://

journals.openedition.org/cher/8987 ; DOI : https://doi.org/10.4000/cher.8987

Ce(tte) œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 International.

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n°5 / 2010 Culture et Histoire dans l’Espace Roman

de César Oudin, « Secrétaire Interprète du Roy ès langues Germanique, Italienne & Espagnolle »

1

MARC ZUILI

Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (Centre de recherche « E.S.R. ») et École Polytechnique (Palaiseau)

S

i l’hispaniste César Oudin est surtout connu pour avoir proposé, dès 1614, une traduction française de la première partie du Don Quichotte de Miguel de Cervantès, des pans entiers de son labeur en faveur de la diffusion et de l’enseignement de l’espagnol en France mériteraient d’être mieux explorés. C’est ce qui nous a conduit à réaliser cette étude portant sur l’une de ses publications didactiques, les Diálogos muy apazibles…, un recueil de dialogues bilingues hispano-français publié pour la première fois en 1608 et qui s’inscrivait dans une longue tradition pédagogique. Dans les lignes qui suivent, après une brève exposition de la vie et de l’œuvre de César Oudin, nous nous pencherons sur les principaux aspects de son volume de

1 Pour la localisation des ouvrages anciens cités dans la présente étude, nous avons utilisé les abréviations suivantes :

Amiens BM : Bibliothèque municipale d’Amiens ; Ars. : Bibliothèque de l’Arsenal, Paris ;

BM : Bibliothèque du British Museum, Londres ; BNE : Biblioteca nacional de España, Madrid ; BNF : Bibliothèque nationale de France, Paris ; BRB : Bibliothèque royale de Belgique ;

Chalons-en-Ch. BM : Bibliothèque municipale de Chalons-en-Champagne ; Rennes M. : Bibliothèque de Rennes Métropole ;

Toulouse BM : Bibliothèque municipale de Toulouse ;

Tours-BU Lettres : Bibliothèque de l’Université de Tours (Lettres).

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dialogues et analyserons les différentes facettes de son contenu. Cet article, qui prend appui sur les travaux de spécialistes de ce type d’ouvrages, les affine et les complète avec des données nouvelles. Il constitue donc une mise au point sur l’état actuel de nos connaissances à propos de ces Diálogos muy apazibles… qui furent à l’origine de plusieurs lignées de recueils du même type.

Vie et œuvre de César Oudin

César Oudin est sans doute l’hispaniste qui a le plus marqué la fin du xvie siècle et le premier tiers du siècle suivant. C’est à Louis Moréri et à son Grand dictionnaire historique, ou mélange curieux de l’Histoire sacrée et profane (édition princeps : Amsterdam-La Haye, 1697) que l’on doit la première – et brève – notice qui lui est consacrée :

OUDIN (César) : Secrétaire & interprète des langues étrangères, fils de Nicolas Oudin, grand prévôt de Bassini, fut élevé à la cours du roi Henri le Grand, lors même qu’il n’étoit encore que roi de Navarre. Ce prince l’employa en diverses négociations importantes en Allemagne & ailleurs : se servit de lui pendant les guerres civiles, & lui donna la charge de secrétaire

& interprète des langues étrangères, par lettres du 11. Février 1597. Il publia des traductions, des grammaires, des dictionnaires, pour les langues italienne

& espagnole, et mourut le premier d’Octobre 1625. (Moréri, 1759 [1697] : 151-152)

À ces lignes de Moréri il convient d’ajouter quelques indications supplémentaires.

Signalons tout d’abord que la famille Oudin, originaire de Champagne2, a appartenu à la religion protestante, César ayant vraisemblablement abjuré assez tôt, tandis que son frère, Pierre, qui se disait lui aussi « Interprète pour le Roi des langues étrangères », est demeuré fidèle à l’Église réformée jusqu’à sa mort, survenue en 16433.

2 Louis Moréri, comme on l’a vu, mentionne Bassigny, qui est un « petit pays de France, compris aujourd’hui dans le département de la Haute-Marne [et qui] appartenait, partie à la Champagne, partie à la Lorraine. Il a environ 80 km du Nord au Sud et 70 de l’Est à l’Ouest » (Bouillet 1878 : 185). César Oudin évoque d’ailleurs, dans la première édition de sa grammaire espagnole (1597) cette région qu’il qualifie de « pays de ma naissance » (Oudin 1597 : fol. 81v°).

3 Nous devons ces précisions à Eugène Haag et Émile Haag qui rapportent les faits suivants [s.v. Oudin (Rémi)] : « C’est aussi de la Champagne et peut-être d’une branche de la même famille [celle de Rémi Oudin] qu’était sorti César Oudin, fils du grand prévôt de Bassigny, qui fut élevé à la cour du prince de Navarre et qui rendit à Henri IV des services

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Pour ce qui est de sa vie familiale, on sait que César Oudin s’était marié une première fois avec Marie de la Vaquerie, qui lui donna trois enfants, Antoine (né le 26 février 1595), Ennemont (né le 17 août 1597) et Valentine (née le 12 octobre 1598)4. On verra plus loin l’importance du rôle qu’allait jouer son fils aîné, Antoine. À la mort de Marie de la Vaquerie, il songea de nouveau à prendre épouse : le samedi 8 février 1614, en l’église Saint- Germain-l’Auxerrois, il épousa Thomasse Basset5, avec qui il eut trois autres enfants : Philippe (né le 11 avril 1615), François (né 15 mars 1617) et Charles (né le 30 juillet 1622).

Il est certain que César Oudin a mené une existence à l’abri des besoins matériels grâce à sa charge de secrétaire interprète, grâce à la vente de ses publications (dont nous reparlerons) et grâce aux enseignements qu’il dispensait. Il disposait d’une fortune personnelle dont il fit profiter certains de ses parents, plus modestes que lui, comme l’attestent plusieurs actes notariés conservés au Minutier central des notaires parisiens (Archives nationales)6. D’autres pièces d’archives indiquent qu’en 1600 notre homme habitait à Paris, rue Saint-Étienne-du-Mont, et qu’il possédait à Ivry-sur- Seine plusieurs maisons et lopins de terres qu’il louait à des laboureurs. Dès 1601 il emménageait dans une nouvelle demeure, sans doute plus confortable, située dans la rue du Mûrier. Enfin, en 1607, César Oudin faisait exécuter des travaux dans une vieille et grande bâtisse, sise Grand-Rue du faubourg Saint-Victor, dans laquelle il comptait vraisemblablement s’installer.

D’un point de vue professionnel, César Oudin participa activement à la diffusion de l’espagnol en France par la publication de nombreux ouvrages

en récompense desquels le roi le nomma, en 1597, son secrétaire et son interprète pour les langues étrangères. Grammairien et lexicographe, César Oudin a laissé, ainsi que son fils Antoine, qui lui succéda dans sa charge, quelques ouvrages en partie traduits de l’espagnol et en partie originaux. » (Haag/Haag 1846-1859 : 59)

4 Malgré toutes nos recherches, nous n’avons pas pu trouver la date de naissance de César Oudin, pas plus que celle de son mariage avec Marie de la Vaquerie.

5 L’acte de ce mariage est conservé aux Archives nationales, série « Insinuations au Châtelet de Paris », Y 1555, f° 128. Ce précieux document, que nous avons consulté, nous apprend que Thomasse Basset avait été mariée précédemment avec un maître des postes de Soissons, depuis lors décédé, et qu’elle faisait partie de la suite de madame d’Halincourt.

Elle apportait à César Oudin une dot de 3 000 livres tournois. Le mariage fut célébré en présence de diverses personnalités, parmi lesquelles un conseiller secrétaire du roi, un avocat et un président au Parlement.

6 Nous devons la connaissance de ces documents à un article fondamental de Christian Péligry (Peligry 1987 : 31-47). Nous tenons à remercier vivement Monsieur Christian Péligry, actuel directeur de la bibliothèque Mazarine (Paris), de nous avoir très aimablement fourni des indications qui complètent celles figurant dans son article.

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destinés à des lecteurs parvenus à différentes étapes de l’apprentissage de cette langue.

Sa première réalisation fut, dès 1597, une Grammaire espagnolle qui connut de multiples rééditions : revue et augmentée par son auteur, puis, après la mort de ce dernier, par son propre fils Antoine, le volume connut 22 éditions, la dernière ayant été publiée en 1686. Cet ouvrage donna même lieu à une version en latin ainsi qu’à une autre en anglais7. Une Grammaire de ce type constituait alors le fondement essentiel de tout cours de langue espagnole.

Après avoir prouvé ses talents de grammairien, César Oudin se frotta à la parémiologie en publiant en 1605 (Paris, Marc Orry) un volume bilingue intitulé Refranes o proverbios españoles traduzidos en lengua francesa dont le sous-titre indiquait : « Proverbes espagnols traduits en françois par César Oudin, Secrétaire Interprète du Roi, & Secrétaire ordinaire de Monseigneur le Prince de Condé ». Une analyse du contenu de ce volume permet d’affirmer que son auteur avait puisé la plupart de ses matériaux dans un célèbre ouvrage de Hernán Nuñez intitulé Refranes o proverbios en romance qui fut publié pour la première fois à Salamanque en 15558. Le vif succès remporté par ces Refranes o proverbios españoles traduzidos en lengua francesa est attesté par l’existence de plus quinze éditions de ce livre parues entre 1605 et 1702. Avec cet ouvrage, Oudin souhaitait donner à ses lecteurs la possibilité de développer leurs connaissances linguistiques, syntaxiques et civilisationnelles à partir de proverbes espagnols accompagnés de leur traduction en français : il s’agissait d’une approche presque ludique, pour le moins divertissante, du castillan.

C’est en 1607 que César Oudin publia le Tesoro de las dos lenguas española y francesa (Paris, Marc Orry), ouvrage qui peut être considéré comme le chef-d’œuvre de la lexicographie bilingue franco-espagnole du xviie siècle

7 Il s’agit des ouvrages suivants : César Oudin, Grammatica hispanica, hactenus gallice explicata et aliquoties edita, auctore Caesar Oudino […], Coloniae, Apud Matthaeum Schmidts, 1607, in-16, ix-208 p. et César Oudin, A Grammar Spanish and English […]

Composed in French by Caesar Oudin and by him the third time corrected and augmented.

Englished and of many wants supplied by J. W. who hath also translated out of Spanish the five dialogues of Juan de Luna […] which are annexed to the Grammar, London, Edward Blount, 1622, in-8, xvi-303-i p.

8 Fernando Núñez de Toledo y Guzmán, Refranes o proverbios en romance que nuevamente coligió y glosó el comendador Hernán Núñez, Salamanca, Juan de Cánova, 1555, in-fol., vii - 142 f. Il existe de nombreuses autres éditions de cet ouvrage : 1578 (Salamanca, A. Lorenzana), 1602 (Valladolid, L. Sánchez), 1618 (Madrid, Juan de la Cuesta), 1621 (Lleida, L. Marescal), etc.

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et qui a donné lieu à de nombreuses études, parmi lesquelles celles de Louis Cooper (1960a ; 1960b ; 1962), Isolina Sánchez Regueira (1982), Brigitte Lépinette (1991 ; 2001), Robert Verdonk (1992 ; 1993), Marc Zuili (2003 ; 2004 ; 2006 ; 2008a ; 2008b) et Marie-Hélène Maux-Piovano (2008 ; 2009).

Ce dictionnaire remporta un tel succès qu’il fut réédité trois fois du vivant de son auteur (Paris, Vve Marc Orry, 1616 ; Paris, Adrian Tiffaine, 16219 ; Bruxelles, Hubert Antoine, 1625). César Oudin amplifia d’ailleurs son dictionnaire au fil des éditions en y intégrant des matériaux lexicographiques provenant essentiellement du Vocabulario de Germanía de Juan Hidalgo (éd. princeps : Barcelona, 1609) et du célèbre Tesoro de la lengua castellana o española de Sebastián de Covarrubias (éd. princeps : Madrid, Luis Sánchez, 1611). Lorsque César Oudin mourut, son fils Antoine, révisa totalement le contenu du Tesoro… et l’actualisa grâce à l’ajout de nouvelles entrées, la rectification de certaines traductions et l’élimination des expressions qui avaient vieilli. Ce nouveau volume fut publié en 1645 (Paris, Antoine de Sommaville, Augustin Courbé et Nicolas & Jean de la Coste). L’année 1660 vit encore paraître deux nouvelles versions de ce dictionnaire, l’une à Paris (nous en connaissons plusieurs tirages réalisés chez différents libraires-imprimeurs de la capitale10), l’autre à Bruxelles, sous les presses du libraire-imprimeur bruxellois, Jean Mommarte. Enfin, la dernière édition de l’ouvrage au xviie siècle eut lieu à Lyon, en 1675 (trois tirages parus simultanément chez A. Beaujollin, M. Mayer et J.-B. Bourlier & L. Aubin).

Depuis la première édition du Tesoro…, en 1607, jusqu’aux tirages lyonnais de 1675, soixante-huit ans s’étaient écoulés : la longévité exceptionnelle de ce dictionnaire est bien la preuve irréfutable du succès immense dont il a joui durant une très grande partie du xviie siècle.

Poursuivons avec les autres publications de notre infatigable hispaniste.

En 1608, César Oudin proposa à son public – et en particulier à ses élèves – un ouvrage intitulé Diálogos muy apazibles escritos en lengua española y traduzidos en francés. Dialogues fort plaisans escrits en langue espagnolle et traduicts en françois, avec des annotations françoises és lieux nécessaires pour l’explication de quelques difficultez espagnolles, le tout fort utile à ceux qui désirent entendre ladite langue. Une fois de plus, le succès remporté fut

9 La même année, un tirage quasiment identique a été fait par Pierre Billaine (seul change le nom de l’imprimeur-libraire sur la page de titre).

10 Parmi ces libraires-imprimeurs parisiens figurent Michael Bobin, Simond Le Sourd, Antoine de Sommaville, Estiennes Maucroy, Jean Dupuis, Louis Chamhoudry, Pierre Rocollet, Pierre Moet, Thomas Jolly, Jacques Villery, la veuve Edme Pepingué et P. Ménard.

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très grand, mais nous reviendrons plus loin sur ce texte, qui fait l’objet de la présente étude.

À côté de ces ouvrages purement didactiques, César Oudin édita plusieurs textes littéraires. Ainsi, il proposa à ses élèves de niveau intermédiaire et à tous ceux qui s’intéressaient à l’espagnol sans toutefois dominer totalement cette langue, trois textes français comportant en regard une traduction espagnole de son cru : il s’agissait de La conversion d’Athis et de Chloride. La conversión de Atis y Clorida de Nicolas Baudouin (1608), Les Épistres morales et consolatoires. Cartas morales y consolatorias d’Antoine de Nervèze (1610) et Le jugement de Pâris. El juyzio de Paris dont nous ne connaissons pas l’auteur (1612). En 1608, il proposa à ses élèves les plus avancés, ainsi qu’à tout lecteur dominant parfaitement le castillan, une édition en espagnol de deux textes littéraires très connus outre-Pyrénées, mais fort difficiles à trouver en France11, La silva curiosa de Julián de Medrano et El curioso impertinente de Cervantès. En 1611, Oudin, renouvela cette démarche en réalisant une édition en espagnol de La Galatea de Miguel de Cervantès, célèbre roman pastoral. Il fit encore de même en 1616 avec la version espagnole du vieux roman d’Héliodore d’Émèse, La historia de los dos leales amantes Teágenes y Chariclea, qui put ainsi circuler en France12. La publication de ces œuvres littéraires était très utile aux élèves qui les utilisaient car ils abordaient ainsi des textes authentiques, consolidant par ce moyen la connaissance qu’ils avaient de l’espagnol.

Le travail éditorial mené dès 1597 par César Oudin s’insérait sans nul doute dans un vaste projet cohérent pour l’enseignement et la diffusion de

11 À propos de la relative difficulté pour trouver alors en France une grande partie des ouvrages publiés en Espagne, nous disposons de l’étude d’Alexandre Cioranescu dans laquelle il nous précise que : « On lit beaucoup de livres espagnols en France, mais le commerce est mal organisé. Les librairies sont mal pourvues et il semble bien que la demande dépassait l’offre. Les livres italiens se trouvent plus facilement en librairie et, s’ils ne s’y trouvent pas, il est relativement facile de les faire venir, car le courant commercial est déjà établi, – ce qui n’est pas le cas pour le livre espagnol. […] Dans les catalogues des fonds de livres dont disposaient les libraires parisiens, la part réservée aux titres espagnols est minime, sinon inexistante. » (Cioranescu, 1983 : 140). Henri-Jean Martin, dans son travail sur les libraires parisiens au xviie siècle, nous confirme cette situation. Il souligne tout particulièrement l’irrégularité avec laquelle « les nouveautés littéraires publiées à Madrid ou à Séville, étaient connues dans notre pays » et il ajoute : « Sans doute de telles publications apparaissaient-elles souvent aux libraires français qui se rendaient dans ces villes […] d’une trop faible valeur marchande pour qu’il leur apparaisse intéressant d’en faire le trafic régulier. Si l’on ajoute que […] les libraires du Palais semblent n’avoir entretenu avec l’Espagne que des rapports indirects, par Rouen surtout, on conçoit qu’ils aient parfois pu se trouver mal informés des dernières nouveautés. » (Martin 1969 : 279).

12 L’ouvrage avait été traduit en espagnol au xvie siècle par Fernando de Mena.

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l’espagnol en France. Il est certain que cet auteur a planifié méthodiquement la rédaction d’un ensemble d’ouvrages complémentaires, couvrant ainsi les besoins des élèves de tous les niveaux, des débutants aux plus avancés. Au xviie siècle, il est le seul, à notre connaissance, à avoir pu mener à bien un programme de publications aussi complet. Tous ces éléments confirment donc l’opinion exprimée par Sabina Collet Sedola à propos de notre auteur : Pour cet ensemble de travaux linguistiques et littéraires, nous pouvons considérer César Oudin comme le plus important parmi les hispanisants et grammairiens français de son siècle. Il sut répondre avec adresse, mais surtout compétence, à l’engouement momentané des Français pour une langue et une culture dont ils ne savaient à peu près rien et qu’ils désiraient connaître […]. (Collet Sedola 1991 : 45-46)

Nous terminerons cette présentation de la vie de César Oudin en signalant qu’après une existence riche et bien remplie, celui qui fut secrétaire et interprète des langues étrangères de Henri IV puis de Louis XIII, secrétaire du Prince de Condé et auteur de nombreux ouvrages pour l’enseignement de l’espagnol, ce traducteur renommé, ce lexicographe, parémiologue et grammairien réputé, père d’une famille nombreuse, mourut le 1er octobre 1625 et fut enterré deux jours plus tard dans l’église de Saint-Nicolas-du- Chardonnet : selon Alexandre Cioranescu, « il devait avoir alors environ 65 ans » (Cioranescu 1983 : 127).

Les Diálogos muy apazibles… de César Oudin13

Quand, en 1608, paraît le recueil de César Oudin intitulé Diálogos muy apazibles escritos en lengua española y traduzidos en francés… (éd. princeps : Paris, Marc Orry), qui aurait pu prédire qu’il serait à l’origine d’une longue série d’ouvrages issus plus ou moins directement de lui ? Un tel succès, qui ne s’est pas démenti pendant une très grande partie du xviie siècle – soixante- sept ans séparent l’édition princeps de la dernière parution de ce recueil –, ne pouvait que susciter une grande curiosité pour ce livre, ne serait-ce que pour la place de choix qu’il occupe dans l’histoire des dialogues bilingues à visée didactique. Les lignes qui suivent reprennent et complètent les travaux de plusieurs spécialistes afin de faire le point sur les principaux aspects de ce texte. Notre bilan commence par un bref rappel de la longue tradition dans

13 Nous remercions notre collègue Éric Beaumatin (Université de Paris III-Sorbonne Nouvelle) qui nous a fait connaître un mémoire inédit réalisé par Walter Rosseau consacré à l’étude des Diálogos muy apazibles… de César Oudin : Rosseau 1969. Plusieurs aspects de ce travail novateur ont servi de point de départ à la présente étude.

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laquelle s’inscrit ce volume de dialogues. Nous présentons ensuite les sources auxquelles a puisé César Oudin pour le réaliser. Comme nous l’avons dit, les Diálogos muy apazibles… ont constitué à leur tour un modèle repris dans de nombreuses publications ultérieures qu’il nous a semblé indispensable de recenser ici. À la suite de ces premières considérations, notre étude propose un relevé exhaustif des différentes éditions du recueil de César Oudin, y compris des versions quadrilingues réalisées par son fils Antoine. Elle se poursuit par une présentation de l’évolution de son contenu au fil du temps, par une analyse du contenu thématique et lexical des dialogues que renferme l’ouvrage et par des remarques sur le « secret » dissimulé dans le huitième dialogue. L’ensemble, complété par une réflexion portant sur de la richesse lexicale et parémiologique du texte et par quelques considérations sur le style et la dimension culturelle de l’œuvre, s’achève sur une analyse de la qualité des traductions en français proposées par César puis par Antoine Oudin.

Rappel : les dialogues à visée didactique (Antiquité - XVIe siècle)

La tradition des dialogues à visée didactique est très ancienne puisqu’elle remonte à l’Antiquité classique, comme l’attestent les textes gréco-latins connus sous le nom d’Hermeneumata. Au Moyen Âge, cette tradition perdure tant pour l’apprentissage du latin que pour celui des langues vulgaires : à titre d’exemple, pour l’enseignement du français à des anglophones, citons le Tretiz pur aprise de langage, qui date de la fin du xiiie siècle et que l’on doit à Walter de Bibbesworth. Mais c’est à la Renaissance que ce genre connaît une expansion notable illustrée par deux ouvrages majeurs destinés à l’enseignement du latin, les Colloquia puerilia (1518) d’Érasme et la Exercitatio linguae latinae (1538) de Luis Vives, qui serviront de modèles à bien des livres postérieurs, y compris pour les langues vernaculaires. Dans ce domaine, il convient d’ailleurs de citer un recueil pionnier de dialogues bilingues flamand-français, le Vocabulaire de Noël de Berlaimont (1536)14 dont les éditions plus tardives – et elles furent très nombreuses – incluront jusqu’à huit langues dont l’espagnol. Les ouvrages de cette longue série contiennent non seulement des dialogues dans plusieurs langues, mais aussi

14 L’édition princeps de cet ouvrage date en fait de 1530, mais est aujourd’hui perdue.

L’édition la plus ancienne disponible de cette œuvre (1536) porte le titre complet suivant : Vocabulare van nyeus gheordineert. Ende wederom gecorrigeert om lichtelic francois te leeren lezen scriven ende spreken dwele gestelt is meestendeel bi personagien / Vocabulaire de nouveau ordonne & de rechief recorrige pour aprendre legierement a bien lire escripre &

parler francois & Flameng lequel est mis tout la plus part par personnaiges, Tantwerpen, Willem Vorsterman, 1536.

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divers éléments tels qu’un répertoire alphabétique de mots utiles, des règles de prononciation, des collections de maximes, sentences et proverbes, des tableaux de verbes conjugués, etc. C’est dans la droite ligne des ouvrages de ce type que vont s’inscrire les Diálogos muy apazibles escritos en lengua española y traduzidos en francés… de César Oudin.

La source des Diálogos muy apazibles… de César Oudin

Pendant de très nombreuses années, un doute a plané sur l’origine des dialogues de César Oudin. Selon les dires d’Antoine, son propre fils, il en aurait eu l’entière paternité. Pourtant cet avis n’était pas partagé par tous et, dès 1619, Juan de Luna évoquait à leur propos « […] unos diálogos hechos en Londres por un castellano » (Luna 1619 : 7). La polémique a perduré jusqu’à la fin du xixe siècle, époque à laquelle la piste londonienne est relancée par deux spécialistes, William I. Knapp et José María Sbarbi, qui affirment que César Oudin n’est pas le concepteur des dialogues qu’il a publiés.

Pour tenter d’y voir un peu plus clair dans la genèse de ces textes, il convient de rappeler qu’en 1591, un ouvrage de William Stepney intitulé The Spanish Schoole-Master vit le jour à Londres (R. Field for John Harrison, 1591). Ce volume contenait une série de sept dialogues très largement inspirés par ceux de Noël de Berlaimont. La même année, un autre Anglais, Richard Percyvall, éditait sa Biblioteca Hispánica (London, J. Jackson for R.

Watkins), volume qui se composait d’un dictionnaire anglais-espagnol et d’une grammaire espagnole. Huit ans plus tard, un professeur d’espagnol londonien, John Minsheu, publiant une refonte de la partie grammaticale de l’ouvrage de Percyvall sous le titre de A Spanish Grammar, first collected […]

by R. Percival […] now augmented […] by J. Minsheu (London, E. Bollifant, 1599), l’augmenta d’un appendice intitulé Pleasant and Delightfull Dialogues in Spanish and English, profitable to the Learner, and not unpleasant to any other Reader, qui renfermait sept dialogues en espagnol avec leur traduction anglaise, lesquels étaient différents de ceux de Stepney. Minsheu se dit d’ailleurs être l’auteur de ces nouveaux dialogues, ce qui ne semble pas être le cas : selon Brigitte Lépinette, « El autor español de los diálogos de Minsheu […] sería Alonso de Baeça » (Lépinette 2001 : 212). Ce personnage, fait prisonnier par les Anglais lors de la défaite de l’Invincible Armada aurait eu pour compagnons de captivité Pedro de Valdés et Vasco de Sylva, ceux-là même qui aidèrent Richard Percyvall à réaliser sa Biblioteca Hispánica.

Revenons maintenant à la fin du xixe siècle et aux prises de position de Knapp et de Sbarbi. Le premier affirma dans un ouvrage intitulé Concise

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Bibliography of Spanish Grammars and Dictionaries (Knapp 1891 : 3) qu’Oudin avait repris les dialogues de Stepney, tandis que le second qui, la même année, exposa sa position dans sa Monografía sobre los refranes…

(Sbarbi 1891 : 134-135), estimait que ces textes étaient issus de l’ouvrage de Minsheu. En 1900, face à ces diverses hypothèses, l’hispaniste français Alfred Morel-Fatio se contenta d’indiquer : « Je ne suis pas en mesure de trancher la question » (Morel-Fatio 1900 : 113, note 1). La consultation des volumes de Stepney et de Minsheu, auxquels Morel-Fatio n’avait vraisemblablement pas pu accéder, permet en fait de donner raison au philologue espagnol José María Sbarbi : ce sont bien les sept dialogues en espagnol de Minsheu qui ont servi de modèle à Oudin. Cela a été établi de façon certaine dès 1919 par un autre hispaniste français, Raymond Foulché-Delbosc, qui avait pu comparer les textes de Stepney, de Minsheu et d’Oudin. Foulché-Delbosc précise bien que César Oudin ne s’est pas seulement inspiré des dialogues de Minsheu, mais qu’il les a repris à l’identique, sans aucune mention explicite de cet « emprunt », et les a traduits en français (Foulché-Delbosc [sous le pesudonyme de Gauthier] 1919 : 74). Voici donc éclairci un point qui avait fait polémique durant de nombreuses années…

La « descendance » des Diálogos muy apazibles… de César Oudin

Les Diálogos muy apazibles… de César Oudin ont connu sept éditions entre 1608 et 1675. Celle de 1622 présente un intérêt majeur : l’auteur y adjoint un huitième dialogue, qu’il a, cette fois, réellement rédigé et sur lequel nous reviendrons.

Entre temps, en 1619, Juan de Luna avait réimprimé à Paris les sept dialogues originaux (déjà repris par Oudin), auxquels il avait ajouté cinq autres dialogues de son cru, l’ensemble étant accompagné d’une nouvelle traduction française. On peut raisonnablement penser que Juan de Luna, voulant profiter de la vogue que connaissaient alors les recueils de dialogues bilingues, avait beaucoup puisé dans celui de César Oudin, mais s’en était démarqué en l’augmentant, en proposant une nouvelle traduction française

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et en corrigeant parfois les lourdeurs du texte espagnol d’origine15. Il avait vu juste puisque son ouvrage connut cinq éditions, la dernière datant de 166016.

Plus tard, en 1626, Lorenzo Franciosini publia à Venise un recueil contenant les sept dialogues initiaux et le huitième composé par César Oudin, le tout accompagné de leur traduction italienne (Diálogos apazibles, compuestos en castellano, y traduzidos en toscano […] da Lorenzo Franciosini, Venetia, Giacomo Sarzina, 1626)17.

En 1650, Antoine Oudin reprit dans ses Dialogues fort récréatifs (Paris, Antoine de Sommanville), les huit dialogues bilingues figurant dans les précédentes éditions réalisées par son père, leur fit subir un « toilettage » et leur ajouta une traduction en allemand et en italien, ce qui leur permit de connaître ainsi une nouvelle diffusion sous cette forme quadrilingue qui rappelait fort certaines éditions multilingues du vieux Vocabulaire de Noël de Berlaimont.

15 Walter Rosseau, qui a comparé attentivement le texte espagnol des sept dialogues communs aux recueils de César Oudin et de Juan de Luna, estime que « souvent Juan de Luna cherche plus d’élégance en éliminant des répétitions, nombreuses dans l’édition de 1608 […] ou en écartant certains mots (comme pero, si, aora, pues) qui se trouvent à tout bout de champ dans l’édition de 1608 ». (Rosseau 1969 : 113-114). Et d’ajouter que

« Juan de Luna rend le style des Diálogos plus littéraire, mais il ne s’agit plus de celui de la langue parlée, riche en répétitions et en mots qui servent de bouche-trous ». (Rosseau 1969 : 114).

16 Voici le relevé de ces éditions :

Luna Juan (de), Diálogos familiares, en los quales se contienen los discursos, modos de hablar, proverbios y palabras españolas más comunes ; muy útiles y provechosos para los que quieren aprender la lengua castellana. Compuestos y corregidos por J. de Luna, cast[illan], intérprete de la lengua española. Dialogues familiers où sont contenus les discours, façons de parler, proverbes et mots espagnols plus communs ; utiles et profitables pour tous ceux qui veulent apprendre la langue espagnolle. Composez et corrigez par Jean de la Lune, interprète en icelle, Paris, Michel Daniel, 1619, in-12, 589-iii p.

BM : 627.a.21. ; BNF : X-14781.

Id., Diálogos familiares […], Paris, Michel Daniel, 1619, in-12, 464 p.

BNF : X-20145.

Id., Diálogos familiares […], Paris, Samuel Thiboust, 1621, in-12, 464 p.

Amiens BM : BL.2872 ; BNF : Z-17005(1).

Id., Diálogos familiares, por Juan de Luna, en los quales se contienen los discursos, modos de hablar, proverbios y palabras españolas más comunes […]. Con otros diálogos por César Oudin y un nomenclator español y francés, Bruxelles, Hubert Antoine, 1625, in-12, 106-260 p.

BNF : X-14782(2).

Id., Diálogos familiares […], Paris, Louis Chamhoudry, 1660, in-8, 329 p.

BNF : X-14780.

17 Cette édition de 1626 fut suivie de beaucoup d’autres, la dernière de la lignée ayant été publiée à Venise, en 1734.

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Enfin, en 1708, Francisco Sobrino donna à Bruxelles, chez François Foppens, une nouvelle édition de ce recueil, contenant cette fois les sept dialogues initiaux, le huitième dialogue de César Oudin et six dialogues supplémentaires dont on ignore s’ils étaient vraiment de lui (Dialogues nouveaux espagnols, expliquez en françois […] par François Sobrino, Brusselle [sic], François Foppens, 1708)18. Il est vrai que Sobrino n’entra pas dans ces détails et s’attribua la composition de la totalité des dialogues du volume en question :

Après avoir composé une Grammaire & un Dictionnaire en langue Espagnole

& Françoise, qui ont été approuvez des Savans, plusieurs personnes m’ont prié de travailler à un Dialogue, afin de donner au Public les trois livres nécessaires pour bien apprendre la langue Espagnole ; attendu que tous ceux qui ont ci-devant paru en ces deux langues, n’ont pas été du goût des gens qui en ont lu en d’autres. C’est pourquoi je me suis déterminé à composer celui-ci, pour faciliter aux curieux les moïens d’apprendre l’Espagnol dans sa perfection, puisqu’il contient des discours familiers & agréables, beaucoup de belles phrases et de proverbes Espagnols, clairement expliquez en François.

(Francisco Sobrino, cité par : Foulché-Delbosc [Gauthier] 1919, 76)

Relevé des différentes éditions du recueil de dialogues

Nous avons classé séparément les éditions contenant uniquement le texte de César Oudin (c’est-à-dire les sept dialogues qu’il a empruntés à Minsheu, et le huitième, de sa composition, qu’il a ajouté à partir de 1622) et celles réalisées plus tard par son fils Antoine (versions quadrilingues : dialogues en français et espagnol repris chez son père, accompagnés de nouvelles versions en italien et allemand qu’il a réalisées lui-même).

Éditions bilingues de César Oudin19

• Oudin César, Diálogos muy apazibles escritos en lengua española y traduzidos en francés. Dialogues fort plaisans escrits en langue espagnolle

18 Cet ouvrage eut aussi une nombreuse « descendance », la dernière édition connue étant celle réalisée en 1778 à Avignon.

19 Il existe à la BNE, sous la cote R/30490, une édition des Diálogos parue à Bruxelles chez François Foppens qui semble porter la date de 1604 (les chiffres romains employés sont mal imprimés, ce qui rend leur lecture incertaine). Cela pourrait, par conséquent, constituer une édition antérieure à celle que nous estimons ici être la princeps (1608). En fait, il est certain que la page de titre de ce volume est déficiente pour la simple raison que l’imprimeur-libraire bruxellois Foppens ne débuta ses activités qu’en 1637 : l’édition princeps du recueil de dialogues de César Oudin est donc, sans nul doute possible,

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et traduicts en françois, avec des annotations françoises és lieux nécessaires pour l’explication de quelques difficultez espagnolles, le tout fort utile à ceux qui désirent entendre ladite langue, Paris, Marc Orry, 1608, in-8, iii-167 p.

Ars. : 8 BL 32718 ; BNE : R/30490; BNF : 8-X-12473; Toulouse BM : Fa D 1719(2) Fonds ancien 2.

• Id., Diálogos muy apazibles escritos en lengua española y traduzidos en francés. Dialogues fort plaisans escrits en langue espagnolle et traduicts en françois, avec des annotations françoises […]. Le tout fort utile à ceux qui désirent entendre ladite langue, Bruxelles, Rutger Velpius et Hubert Antoine, 1611, in-12, ii-209-iii p.

Ars. : 8 BL 3320820 ; BNE : R/12974(2)21 ; BNF : Z-17996 ; BRB : II 34.676 A (RP).

• Id., Diálogos muy apazibles escritos en lengua española y traduzidos en francés. Dialogues fort plaisans escrits en langue espagnolle et traduicts en françois, avec des annotations françoises […]. Le tout fort utile à ceux qui désirent entendre ladite langue. Plus est adjousté un Nomenclator de quelques particularitez qui se présentent à tout propos, Paris, Pierre Billaine, 1622, in-8, vi-192-40 p.

BNE: R/245; BNF : X-14777 et R89581; Châlons-en-Ch. BM : AF 19210 Fonds ancien A.

• Id., Diálogos muy apazibles escritos en lengua española y traduzidos en francés. Dialogues fort plaisans, escrits en langue espagnolle et traduicts en françois, avec des annotations françoises és lieux nécessaires […]. Le tout fort utile à ceux qui disirent [sic] entendre laditte langue. Plus est adjousté un nomenclator de quelques particularitez qui se présentent à tout propos. Par César Oudin, secrétaire interprète du roi, &c., Bruxelles, Hubert Antoine, 1625, in-8, 260-ii p.

BNF : X-14782(2).

• Id., Diálogos en español y francés. Dialogues en françois & espagnol. Avec des annotations françoises és lieux nécessaires pour l’explication des quelques difficultez espagnolles. Avec un nomenclator de quelques particularitez qui

l’édition parisienne de 1608 que nous indiquons dans le présent relevé.

20 À la Bibliothèque de l’Arsenal (Paris), cet ouvrage fait suite, sous une même reliure et avec sa page de titre d’origine, à l’édition de 1612 (Bruxelles, Rutger Velpius et Hubert Antoine) des Refranes o proverbios de César Oudin.

21 Le volume conservé à la BNM présente la même caractéristique que celui de la Bibliothèque de l’Arsenal. En outre, il contient aussi, sous une même reliure, des Cartas en refranes de Blasco de Garay.

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se présentent à tout propos. Par César Oudin […], Bruxelles, François Foppens, 1663, in-12, 261-iii p.

BNE: R/18663; BRB : LP 5.642 A (RP).

• Id., Diálogos en español y francés. Dialogues en françois & espagnol. Avec des annotations françoises és lieux nécessaires pour l’explication des quelques difficultez espagnolles. Avec un nomenclator de quelques particularitez qui se présentent à tout propos. Par César Oudin […], Bruxelles, François Foppens, 1663, in-12, 272 p.22

BRB : II 13.882 A (RP).

• Id., Diálogos en español y francés. Dialogues en françois & espagnol. Avec des annotations françoises és lieux nécessaires pour l’explication des quelques difficultez espagnolles. Avec un nomenclator de quelques particularitez qui se présentent à tout propos. Par César Oudin […]. On a adjouté en cette nouvelle édition un traitté de l’orthographie espagnole, Bruxelles, François Foppens, 1675, in-12, 274-ii p.23

BNE : R/28250 ; BNF : X-20146 ; BRB : II 13.920 A (RP) ; Tours-BU Lettres : Fonds spécifique SRTL.

Éditions quadrilingues d’Antoine Oudin

• Oudin Antoine, Dialogues fort récréatifs composez en espagnol, et nouvellement mis en italien, alleman & françois, avec des observations pour l’accord & la propriété des quatre langues. Par Antoine Oudin, secrétaire interprète de Sa Majesté, Paris, Antoine de Sommaville, 1650, in-8, xii-544 p.

22 Ce volume, bien que publié la même année et par le même éditeur, est différent du précédent, comme on peut le constater par sa pagination. De plus, dans le titre du précédent ouvrage, le mot « particulari-tez » est coupé après la cinquième syllabe, alors que dans celui-ci il l’est après la quatrième : « particula-ritez ».

23 Précisons que le « traitté de l’orthographie espagnole », qui commence à la page 263 du volume, est traduit de l’espagnol (aucun nom de traducteur n’apparaît) et a pour auteur, comme cela est indiqué dans cette édition, le carme espagnol Jerónimo Gracián de la Madre de Dios (Valladollid, 1545 - Bruxelles, 1614). À propos de ce texte, Daniel M. Sáez Rivera rappelle que « el tratadillo de Gracián resulta interesante por ser poco conocido : no aparece en La Viñaza (1893) ni en la recopilación de Martínez Alcalde (1999) ni en la BICRES II de Niederehe (1999). Acerca del tratadillo […] hay que destacar lo siguiente : ortografía y caligrafía se interpenetran (Gracián era un gran peñolista), se trata de una cartilla práctica, se olvida la acentuación y faltan por señalar algunos signos ortográficos frecuentes como el acento, el apóstrofe, los puntos suspensivos, el calderón y el asterisco.

[…] Gracián escribió la obrilla en Flandes, donde se encontraba al final de su asendereada vida » (Sáez Rivera 2002 : 23). Signalons enfin qu’il existe une édition moderne de ce traité : Pacho 1987 : 331-354.

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BNF : X-14779 ; BM : 1568/2976 ; Rennes M : 88239 Rés.

• Oudin Antoine, Dialogues fort récréatifs composez en espagnol, et nouvellement mis en italien, alleman & françois, avec des observations pour l’accord & la propriété des quatre langues, Roma, Guillaume Hallé, 1664, in-8, x-543 p.

Ars : 8 BL 32719 ; BNE : R/11086.

• Oudin Antoine, Dialogues fort récréatifs composez en espagnol, et nouvellement mis en italien, alleman & françois, avec des observations pour l’accord & la propriété des quatre langues, Venecia, Paolo Baglioni, 1665, in-12, vi-545-iv p.

BNF : X-14783.

L’évolution du recueil de dialogues de César Oudin au fil du temps

L’étude serrée des différentes éditions des Diálogos muy apazibles… et de leur version quadrilingue intitulée Dialogues fort récréatifs… publiées entre 1608 et 1675 ne révèle pas des changements considérables quant à leur contenu.

Les éditions bruxelloises de 1611 et de 1625 allègent de quelques répliques le texte de la princeps sans justifier le motif de ces suppressions.

L’édition parisienne de 1622 comporte un huitième dialogue (sur lequel nous reviendrons plus loin) et dont il est désormais établi qu’il est de la plume de César Oudin. Ce nouveau dialogue figurera dans les éditions ultérieures de 1625, 1663 et 1675. La première version quadrilingue de 1650 voit quelques modifications du texte espagnol qui est « purgé de certaines saletez qui ne pouvoient estre bien seantes que dans la bouche de personnes de tres basse condition »24 (la formule est d’Antoine Oudin, maître d’œuvre du volume). Mais on remarque surtout qu’il a rafraîchi l’ancienne traduction française de son père et l’a modernisée en grande partie, sans toutefois apporter d’améliorations notables, puisque des inexactitudes sont même quelquefois introduites : « Je vous donne le François beaucoup plus moderne qu’il n’estoit auparavant » (Oudin 1650 : sans pagination), écrit-il. Toujours dans cette version de 1650, on constate des remplacements, des additions, des omissions et quelques modifications orthographiques qui n’affectent pas vraiment la teneur du texte d’origine. Tous ces changements seront maintenus dans les éditions postérieures. Au fil des éditions s’ajoutent

24 Oudin 1650 : sans pagination. Et de fait, certains termes se voient remplacés par des mots jugés moins vulgaires (suziedad se substitue à mierda ; perro remplace puto, etc.).

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parfois la présence de certains compléments, comme le Nomenclator25 qui apparaît dès 1622 ou, en 1650, le regroupement en fin de volume et sous le titre « Observations » de notes qui étaient éparses dans les éditions antérieures.

Des dialogues thématiques et un vocabulaire spécifique

Le premier des sept dialogues de l’édition de 1608, qui s’intitule « Premier dialogue pour se lever au matin, & les choses qui appartiennent à cela, entre un Gentil-homme appelé Don Pierre & son serviteur, & un sien amy nommé Don Jean & une nourrice »26 permet d’aborder le vocabulaire se rapportant aux vêtements masculins, à la nourriture, aux meubles, aux travaux domestiques et aux noms de certains métiers.

Le « Second dialogue, auquel se traitte d’acheter & de vendre des bagues

& autres choses, entre un Gentil-homme appelé Thomas & sa femme Marguerite, un marchand & un orfèvre »27 contient le lexique du commerce et des affaires, des bijoux, des vêtements féminins et de la vaisselle.

Le « Troisiesme dialogue d’un banquet entre cinq gentils-hommes amis appelez Guzman, Rodrigue, Don Laurens, Mendoce & Osorio, un Maistre d’Hostel ou Escuyer de salle, & un Page auquel se traitte de choses appartenantes à un banquet, avec d’autres discours & propos subtils »28 est consacré au vocabulaire des repas et à celui des jeux de cartes.

Le « Dialogue quatriesme entre deux amis appelez l’un Mora et l’autre Aguilar, un garçon qui tient des mules de loüage, & une tavernière, où il se

25 Il s’agit d’un texte sans nom d’auteur dont le titre complet est Nomenclator o registro de algunas cosas curiosas y necessarias de saberse, a los estudiosos de la lengua española.

Nomenclator ou mémoire de quelques choses curieuses & nécessaire à sçavoir, aux studieux & amateurs de la langue espagnolle. Ce texte, placé à la suite des dialogues, en fin de volume, a une nouvelle pagination (de 1 à 40 dans l’édition de 1622). Il offre au lecteur une liste de mots classés par thèmes. Les entrées sont en espagnol et la traduction française est donnée en regard.

26 Titre en espagnol : « Diálogo primero para levantarse por la mañana, y las cosas a ello pertenecientes, entre un Hidalgo llamado Don Pedro y su criado Alonso, y un amigo llamado Don Iuan y una ama ».

27 Titre en espagnol : « Diálogo segundo, en el qual se trata de comprar y vender joyas y otras cosas, entre un Hidalgo llamado Thomas y su muger Margarita, y un mercader y un Platero ».

28 Titre en espagnol : « Diálogo tercero de un combite entre cinco cavalleros amigos, llamados Gúzman, Rodrigo, Don Lorenzo, Mendoça y Osorio, un maestresala y un Paje, en el qual se trata de cosas pertenecientes a un combite, con otras pláticas y dichos agudos ».

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traitte des choses appartenantes au voyage, avec d’autres gracieux propos et facéties »29 rapporte le lexique des voyages (déplacements et hébergement).

Dans le « Cinquiesme dialogue, entre trois Pages appellez l’un Jean, l’autre François, & le troisiesme Guzman, auquel sont contenus les discours ordinaires que les Pages ont accoustumé de tenir les uns avec les autres »30 apparaît le vocabulaire concernant le métier de page.

Le « Dialogue sixiesme, qui se passa entre deux amis Anglois & deux Espagnols, lesquels s’assemblèrent en la Bourse ou au Change de Londres : auquel se traitte de plusieurs choses rieuses & de contentement : les Anglais sont, Egidius & Guillaume : les Espagnols, Diego & Alphonse »31 constitue, de par les personnages mis en scène et les lieux évoqués, une preuve de plus de la provenance anglaise de ce texte. Ce sixième dialogue procure essentiellement au lecteur les termes nécessaires pour tenir une conversation entre honnêtes gens.

Quant au « Septiesme dialogue, entre un Sergent, un Caporal, & un Soldat, auquel est traitté des choses appartenantes à la guerre, & des qualitez que doit avoir un bon Soldat, avec plusieurs dits gracieux & plaisants, &

autres bons contes »32, il offre le vocabulaire relatif à la vie militaire.

Enfin, à partir de l’édition parisienne de 162233 apparaît le « Dialogue huictième entre deux amis, l’un appelé Poliglote, & l’autre Philoxene ; auquel il est parlé de quelques particularitez, touchant le voyage d’Espagne, qui pourront servir d’advertissement à ceux qui auront la volonté de voir ce Royaume »34. Ce texte reprend, en le complétant, le thème du voyage, déjà

29 Titre en espagnol : « Diálogo quarto entre dos amigos llamados el uno Mora y el otro Aguilar, un moço de mulas y una ventera, trátase en él de las cosas tocantes al camino, con muy graciosos dichos y chistes ».

30 Titre en espagnol : « Diálogo quinto, entre tres Pajes, llamados el uno Iuan, el otro Francisco y el tercero Gúzman, en el qual se contienen las ordinarias pláticas que los Pajes suelen tener unos con otros ».

31 Titre en espagnol : « Diálogo sexto, que passó entre dos amigos Yngleses y dos Españoles, que se juntaron en la Lonja de Londres : en el qual se tratan muchas cosas curiosas y de gusto : son los Yngleses, Egidio y Guillermo : los Españoles, Diego y Alonso ».

32 Titre en espagnol : « Diálogo séptimo, entre un Sargento y un cabo de esquadra y un soldado en el qual se trata de las cosas pertenecientes a la milicia, y de las calidades que deve tener un buen Soldado, con muchos dichos graciosos y buenos cuentos ».

33 César Oudin, Diálogos muy apazibles escritos en lengua española y traduzidos en francés.

Dialogues fort plaisans escrits en langue espagnolle et traduicts en françois, avec des annotations françoises […]. Le tout fort utile à ceux qui désirent entendre ladite langue […], Paris, Pierre Billaine, 1622.

34 Titre en espagnol : « Diálogo octavo, entre dos amigos, el uno llamado Poligloto, y el otro Philoxeno, en el qual se trata de algunas cosas tocantes al caminar por España, las quales

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abordé dans le quatrième dialogue. Mais ce huitième dialogue contient un

« secret » : il est porteur d’informations sur César Oudin lui-même, comme nous allons le voir.

Le « secret » du huitième dialogue introduit à partir de l’édition de 162235 César Oudin, ne voulant pas se contenter d’une connaissance trop livresque de l’espagnol de son temps, avait projeté de se rendre en Espagne.

Il annonça ce voyage comme imminent dans la dédicace de la troisième édition de sa Grammaire espagnolle, publiée en 1610, puis indiqua, un an plus tard, dans l’avertissement de son édition de la Galatea (Paris, Gilles Robinot, 1611), que ce voyage avait eu lieu « el año passado » (Oudin 1611 : fol. xvi v°). Si l’on connaît donc avec certitude l’année au cours de laquelle il effectua ce voyage (1610), aucun document concernant son contenu ne nous était parvenu : quel était l’itinéraire suivi ? quelles impressions Oudin avait-il ressenties ? qui avait-il rencontré au cours de ce périple ? Mais le huitième dialogue introduit en 1622 allait nous donner la clé de ce mystère.

Comme on l’a dit, ce texte met en scène deux personnages, Poliglote et Philoxene, le premier relatant au second le voyage qu’il venait de faire au pays du Quichotte. C’est Antoine Oudin, fils de César, qui nous apprend, dans l’avis adressé « aux amateurs des langues estrangères » placé en tête de l’édition de 1650 de ses Dialogues fort récréatifs, que « ce Poliglote introduit dans le huictiesme [dialogue], n’est autre que CÉsar Oudin, qui raconte succintement le voyage d’Espagne, dont il estoit alors tout fraischement de retour » (Oudin 1650 : sans pagination). Ce passage a attiré l’attention du célèbre hispaniste français Raymond Foulché-Delbosc qui en a aussitôt déduit que « Poliglote peut n’être autre que César » (Foulché-Delbosc [Gauthier] 1919 : 75), révélant par ces mots le « secret » contenu dans ce huitième dialogue. Partant de cette indication précieuse, Christian Péligry a pu alors résumer et analyser en quelques lignes le voyage réellement effectué par César Oudin :

Il [Poliglotte, c’est-à-dire César Oudin] constate que la Navarre est d’une façon générale favorable aux Français, beaucoup plus que la Catalogne.

À propos de Santo Domingo de la Calzada, il évoque la légende du jeune Français pendu pour vol et retrouvé vivant par ses parents qui revenaient de Saint-Jacques-de-Compostelle. Il y a de belles librairies à Medina del Campo,

podrán servir de aviso a los que quisieren ver aquel reyno ».

35 Au sujet du « secret » contenu dans ce huitième dialogue, on pourra aussi consulter : Zuili 2007 : 537-549.

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note-t-il. Après avoir visité Ségovie où il admire la Maison de la monnaie, l’aqueduc romain et les draps, spécialité artisanale de la ville, il franchit la chaîne du Guadarrama pour arriver à Madrid. Mais quelle déception n’éprouve-t-il pas dans la capitale de l’Espagne ! La Cour ne trouve pas grâce à ses yeux. César gagerait volontiers que “nostre Roy de France dépense plus pour entretenir ses pages et valets de pied que celui d’Espagne pour payer tous ses officiers”. De là il se rend au Portugal par Alcalá de Henares, Tolède Mérida, Badajoz, et constate que bien peu de voyageurs circulent dans ce pays. “J’en rencontray davantage entre Orléans et Paris qu’en tout mon voyage d’Espagne.” Il traverse l’Andalousie, ne souffle pas un mot sur Séville, mais s’émerveille devant la mosquée de Cordoue. Puis il remonte à travers le royaume de Valence, atteint Saragosse et regagne la France en passant par Montserrat, Barcelone, Gérone, Perpignan, Salses enfin, ville frontière où il peste une fois de plus contre le système douanier espagnol.

(Péligry 1987 : 34)

C’est au cours de ce périple, qui avait duré six semaines environ (selon les dires d’Ambrosio de Salazar36), que César Oudin avait acheté différents ouvrages en castillan dont il allait, quelques années plus tard, tirer un grand parti en les éditant en France ou en les traduisant : il s’agissait du Don Quijote et de la Galatea de Cervantès, ainsi que du vieux roman d’Héliodore d’Émèse, La historia de los dos leales amantes Theágenes y Chariclea. Un tel voyage n’allait pas manquer d’ailleurs de donner à César Oudin une

« garantie de sérieux et de bon aloi, [ce qui] le plaçait bien au-dessus de ses nombreux concurrents » (Péligry 1987 : 34).

Un riche lexique présenté en situation

Ce qui saute aux yeux quand on lit les huit dialogues du recueil de César Oudin, c’est la grande richesse lexicographique de leur contenu. Des termes les plus généraux (les différents mets, par exemple) aux mots relevant d’un lexique beaucoup plus spécialisé (les grades militaires ou le vocabulaire relatif aux cartes à jouer), l’ouvrage couvre en peu de pages – 167 au total dans l’édition princeps dont la moitié est consacrée à la traduction française – l’ensemble des activités humaines. Même les injures et les termes grossiers y trouvent leur place, puisqu’ils reflètent une réalité sociale et linguistique indéniable : c’est ainsi qu’apparaissent les termes « hideputa » (fils de ribaude),

« vellaco » (poltron), « mierda » (merde), « cagajón » (bran), « culo » (cul) ou

« puto » (bougre)37. Il est clair que ce type de recueil était fait pour faciliter

36 « Aquellas seis semanas que estuvistes en España » (Salazar 1615 : 14).

37 Nous citons ces termes à partir de l’édition de 1622 des Diálogos muy apazibles… :

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l’apprentissage d’un vocabulaire diversifié, présenté en situation et relevant de plusieurs niveaux de langue, chaque dialogue constituant une scène de genre liée à des thématiques précises. On remarque d’ailleurs que certains termes parmi les plus usités – le lexique de la nourriture ou de l’habillement, par exemple – reviennent à plusieurs reprises au fil de l’ouvrage dans des dialogues différents : César Oudin utilise cette technique de la répétition pour mieux ancrer dans l’esprit de ses lecteurs ce vocabulaire de base qu’il juge indispensable. Ainsi, le mot « vaca » apparaît dans les dialogues 1, 3 et 4, « cebolla » dans les dialogues 3 et 4, « assado » dans les dialogues 1 et 3, tandis que les expressions « vino blanco » et « vino tinto » figurent dans les dialogues 1, 3 et 4, ce qui permet une assimilation progressive qui se fait tout au long de la lecture du volume38. Un tel ouvrage devait donc logiquement permettre à ceux qui possédaient déjà les rudiments de la grammaire espagnole de compléter ces connaissances par l’acquisition d’un vocabulaire étendu et riche.

Cette abondance lexicale fut d’ailleurs profitable à César Oudin lui-même.

En effet, en 1616, lorsqu’il publia une version enrichie de son Tesoro… de 1607, il prit le soin d’inclure une grande quantité de termes nouveaux : si certains proviennent à coup sûr du Tesoro de la lengua castellana o española de Sebastián de Covarrubias (1611)39 et du Vocabulario de Germanía de Juan Hidalgo (1609), Walter Rosseau a démontré que d’autres sont directement issus du recueil de dialogues de 1608. Pour ce chercheur, il ne fait donc aucun doute que « les Diálogos ont influencé l’élaboration de la version augmenté du dictionnaire de C. Oudin » (Rosseau 1969 : 60).

Une indéniable dimension parémiologique

Outre la présence d’un vocabulaire varié, le recueil de dialogues de César Oudin fait la place belle aux proverbes ou tournures proverbiales (proverbios, refranes, dichos, etc.) dont les Espagnols sont si friands. Walter Rosseau a calculé que « les Diálogos comportent au total 164 proverbes, phrases proverbiales ou phrases qui se basent sur quelque proverbe » (Rosseau 1969 : 64). Cela représente, en moyenne, une vingtaine proverbes ou de structures proverbiales par dialogue, ce qui est considérable. De plus,

« hideputa », p. 4 ; « vellaco », p. 22 ; « mierda », p. 24, p. 74 et p. 111 ; « cagajón », p. 73,

« culo », p. 73 ; « puto », p. 95.

38 Un relevé très complet de ces termes récurrents figure dans l’étude réalisée par Walter Rosseau : Rosseau 1969 : 39-40.

39 Voir Cooper 1960 : 366-397.

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cette abondance est bien la preuve que l’auteur initial de ces dialogues était un natif qui connaissait parfaitement des pans entiers de la culture de son pays : cela conforte l’hypothèse selon laquelle l’Anglais John Minsheu s’était attribué abusivement la paternité de ses textes dont on ignore encore qui en fut le réel auteur. Enfin, on pourrait trouver curieux que seuls vingt-et-un des 164 proverbes contenus dans le volume fassent partie de la collection publiée trois ans plus tôt par César Oudin sous le titre de Refranes o proverbios españoles traduzidos en lengua francesa (Paris, Marc Orry, 1605), mais cela confirme qu’il n’a pas composé le texte espagnol des dialogues de 1608 pour lequel il aurait été logique qu’il reprenne les matériaux parémiologiques qu’il avait lui-même réunis et publiés peu de temps auparavant…

Il est aussi intéressant de souligner que cet emploi massif de proverbes ou tournures proverbiales ne donne pas aux dialogues une apparence artificielle, pas plus qu’il ne contribue à une lourdeur excessive du texte : leur auteur a pris chaque fois le soin de les faire apparaître de façon naturelle dans la conversation et ils sont toujours utilisés à bon escient, s’intégrant parfaitement dans le déroulement logique de l’échange entre les personnages. L’utilisation de ces matériaux parémiologiques est faite très habilement et permet d’éviter la monotonie. En effet, si certains proverbes sont exprimés dans leur intégralité, il arrive aussi qu’ils soient divisés en deux parties, chacune d’elles apparaissant dans la bouche de deux interlocuteurs différents. Un autre procédé consiste à ne pas citer mot pour mot le proverbe, mais à intégrer certains de ses éléments au sein d’une phrase donnée. Enfin, il arrive que seule une partie d’un proverbe soit retenue ou encore qu’une forme modifiée d’un proverbe connu soit utilisée au sein d’un dialogue.

Tous ces éléments permettent donc d’affirmer que

L’auteur des Diálogos se montre parfaitement maître de la langue espagnole, étant capable d’utiliser et même d’adapter son matériel, le plus spécifique et le plus délicat, ses proverbes, selon les besoins de l’expression. Les proverbes sont donc vraiment intégrés dans le texte et n’apparaissent pas comme des citations gratuites. De plus, ils contribuent à créer l’impression d’une conversation naturelle et familière. (Rosseau 1969 : 81)

Un style relativement simple et un contenu à la fois populaire et culturel Cette mimésis d’une réalité conversationnelle confère aux dialogues du recueil de César Oudin un aspect naturel et un style qui en rendent la lecture assez plaisante. Certes, il ne s’agit pas d’une œuvre littéraire : ces dialogues sont avant tout des textes pragmatiques ayant des visées purement

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fonctionnelles, puisque destinés à enseigner la langue espagnole. Cela ne les empêche pas de contenir des répliques pleines de traits d’esprit, de boutades et de mots piquants. L’ironie, l’humour, les sarcasmes parfois, ne sont pas absents de ces textes dans lesquels le bon sens populaire occupe toujours une place de choix. Mais on peut y trouver aussi une certaine dimension philosophique, ainsi que l’atteste un passage du deuxième dialogue où les notions d’art et de nature sont mises en avant :

Mar(chand).– […] Je crois que vous estes pire que le Philosophe Démocrite, lequel ne trouva jamais chose au monde, qui n’eust quelque défaut.

Th(omas).– Et je le dis sans Démocrite moy, car il n’y a aucune chose parfaicte au monde.

Mar(chand).– Cela se doit entendre des choses naturelles, car en celles de l’art il y peut avoir perfection chacune en son espèce.

Th(omas).– Et puis que pensez-vous que ce soit que l’art, sinon l’imitatrice de la nature, & si en la nature il n’y a point de perfection, moins y en aura(-t)-il en l’art qui l’imite.

Mar(chand).– Pour moy Monsieur je ne suis pas Philosophe, ni ne veux disputer avec vous, je voudrois seulement que ma marchandise eust sa perfection quant au prix. (Oudin 1622 : 33-34)

Comme on le constate, même dans des passages de cet ordre, le style reste toujours simple, la syntaxe claire et le vocabulaire somme toute assez courant. Cette apparente simplicité n’empêche pas que le discours des personnages mis en scène dans ces dialogues soit très souvent émaillé de références savantes à la littérature espagnole : au fil des pages, on y rencontre des allusions à don Juan Manuel40, auteur du Conde Lucanor, à la fameuse Célestine41, ou encore à la Floresta española, recueil célèbre contenant des apophtegmes, des adages, des bons mots, des proverbes, des coplas d’origine populaire, ainsi que quelques récits littéraires courts, publié en 1574 à Tolède par Melchor Santa Cruz de Dueñas42. Les us et coutumes de l’Espagne ont aussi droit de cité au sein du volume. Ainsi, lorsque le terme « calabriada » apparaît dans l’un des dialogues, Oudin s’empresse de le gloser dans une note qu’il intercale au sein même du texte : « Ce mot Calabriada n’est pas françois, d’autant qu’on a point en France de cette sorte de breuvage, qui n’est autre chose qu’un vin sophistiqué & meslé de blanc & de rouge »

40 « Ce que disoit Don Jean Manuel, un petit son de patin. » (Oudin 1622 : 10)

41 « Nostre mère Celestine dit, que la lettre est corrompue, qu’au lieu de dire treze, il a dict trois. » (Oudin 1622 : 15)

42 « Voyez ce conte en la Floresta Española. » (Oudin 1622 : 75)

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