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Histoire César : enfin la vérité sur son assassin

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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ISSN 1422-5220

Religion Le bœuf, l’âne, les Rois mages, l’étoile et la crèche... Toutes ces figures traditionnelles de Noël ont été inventées

M a g a z i n e t r i m e s t r i e l d e l ' U n i v e r s i t é d e L a u s a n n e - N ° 4 0 D é c e m b r e 2 0 0 7 - G r a t u i t

Biologie Polémique : à quels animaux

«étrangers»

la Suisse doit-elle accorder l’asile?

Economie En 2007, le

nouveau «péril jaune»

est informatique.

Faut-il avoir peur des Chinois?

Histoire

César : enfin la vérité

sur son assassin

(2)

L’autre débat sur l’asile

É D I T O

I

ls viennent de Corée, d’Amérique, d’Europe de l’Est ou bien du Sud. Ils rêvent de s’installer en Suisse pour profiter de la quiétude des lacs, des plaines, des forêts et des montagnes. Ils s’appro- chent de la frontière et ne sont pas les bienvenus. Pourtant,

malgré ces similitudes qui prêteraient à sourire, si le débat sur l’asile n’était pas aussi crispé, «ils» n’ont rien à voir avec des humains en détresse. Ces «envahis- seurs» – en biologie, le mot n’est pas connoté politiquement – sont des ani- maux exotiques.

Parmi ces «candidats à l’asile» d’un autre genre, on trouve des espèces fami- lières comme des écureuils et des tortues.

Il y en a de plus aristocratiques, comme les visons, et de plus suspects, comme les ratons laveurs qui avancent masqués. Il y a enfin des grenouilles, des couleuvres, des oiseaux, et surtout des insectes qui profitent de leur petite taille pour pas- ser la douane en douce.

Car, aux frontières, le filtrage a com- mencé. Les biologistes reprochent en effet à ces animaux envahisseurs d’en- trer en concurrence avec des espèces locales, de les affaiblir, et, parfois, de cau- ser leur extinction. Des associations d’amis des oiseaux recommandent déjà que l’on «canarde» les tadornes casarca, ces oiseaux d’eau belliqueux qui vien- nent de l’Est. Par ailleurs, des mesures ont été prises pour lutter contre la pro- lifération de certaines grenouilles et cou- leuvres. Et demain, les ratons laveurs arrivant d’Allemagne se retrouveront probablement dans le viseur des gardes- chasse suisses, comme vous le découvri- rez en pages 24 à 35.

A l’inverse de ces espèces refoulables, d’autres ani- maux qui ont possédé un pas- seport suisse par le passé, avant d’être chassés ou ex- terminés du pays, pourront revenir sous les applaudisse- ments d’une bonne partie de la population. Même s’ils causent des dégâts, la loutre, l’ours et le loup seront mieux accueillis que les candidats exotiques à l’asile.

Ce privilège n’est-il pas scandaleux?

Faut-il s’indigner de cette «immigration choisie», à la Sarkozy, que les Suisses s’apprêtent à pratiquer sur les animaux?

S’ils avaient la parole, les tadornes, les tortues de Floride ou les écureuils amé- ricains de Corée seraient enclins à le pen- ser. Auraient-ils raison pour autant? La réponse est clairement négative. On ne peut pas, à la fois, s’inquiéter des espèces inconnues qui disparaissent tous les jours dans la forêt amazonienne, et laisser s’éteindre, sous nos fenêtres, des animaux qui ont survécu jusqu’à aujourd’hui.

Cela dit, signalons à tous ceux qui seraient tentés de tirer une leçon poli- tique de ces histoires de tortues et de ratons laveurs, que la morale de cette fable moderne doit rester strictement animalière. Après nous avoir prouvé que l’arrivée d’animaux exotiques doit être surveillée de près, et combattue au besoin, la biologie, cette science facé- tieuse, nous dit exactement le contraire à propos des êtres humains. Dans ce cas, le brassage de populations qui s’opère au sein d’une même espèce est considéré comme un bienfait biologique, puisqu’il contribue à la diversité génétique des individus.

Jocelyn Rochat

Jocelyn Rochat Rédacteur en chef

Collaborateurs :Sonia Arnal, Michel Beuret, Geneviève Brunet, Pierre-Louis Chantre, Elisabeth Gordon Photographies :Nicole Chuard Infographie :Pascal Coderay Photos de couverture :Alain Delon dans le rôle de César, dans «Astérix aux Jeux olympiques» : Monopole Pathé, 2008

Correcteur :Albert Grun Concept graphique : Richard Salvi, Chessel Publicité :EMENSI publicité, Cp 132, 1000 Lausanne 7 Tél. 078 661 33 99 E-mail : emensi@bluewin.ch Imprimerie IRL

Editeur responsable : Université de Lausanne Marc de Perrot, secrétaire général Jérôme Grosse, resp. Unicom Axel A. Broquet, adjoint Florence Klausfelder, assistante Unicom, service de communication et d'audiovisuel - Université de Lausanne Amphimax - 1015 Lausanne

Magazine de l’Université de Lausanne : N° 40, décembre 2007 Tirage 27’000 exemplaires 48’400 lecteurs (Etude M.I.S Trend 1998) http://www.unil.ch/unicom/

page6524.html

(3)

Edito . . . .page 1 L'UNIL en livres . . . .page 4 Abonnez-vous,

c’est gratuit!

. . . . page 7

R E L I G I O N

Le Noël que nous

connaissons a été imaginé bien

après Jésus-Christ

. . . .

page 8

Sans fondement historique, les figures les plus populaires de Noël (la crèche, le bœuf et l’âne, les Rois mages et l’étoile) ne viennent souvent pas de la Bible. On les doit à d’astucieux écri- vains et à des textes apocryphes qui ont été écrits entre deux et six siècles après la Nativité! Les explications de deux chercheurs de l’UNIL.

M É D E C I N E

On sauve des prématurés

de plus en plus petits

. . . .

page 16

A la fin des années 1980, les pédiatres ne pouvaient rien faire pour un enfant né avant 28 semaines de grossesse. Aujourd’hui, la frontière entre la vie et la mort est à 25 semaines. Voilà qui en dit long sur les progrès réalisés. Désormais, les bébés qui voient le jour après la 32esemaine de gestation, ou qui pèsent plus de deux kilogrammes, ont un taux de survie identique à celui des enfants nés à terme. Et beaucoup moins de handicaps qu’on le

Le rendez-vous

A vos agendas : tous les mercredis soir, du 20 février au 12 mars 2008, entre 18 h et 20 h, aura lieu le tradi- tionnel Cours public de l’UNIL. La prochai- ne édition portera sur Internet et les nouvel- les technologies.

E-mails, téléphones mobiles et agendas électroniques influen- cent déjà nos compor- tements. Ces technolo- gies promettent un monde sans contrainte, où l’on pourra acheter, vendre, voir un film, s’informer, flirter, vo- ter ou même divorcer.

Un avenir qui séduit et effraie à la fois.

Ces conférences gra- tuites tenteront notam- ment de répondre aux questions suivantes : mon intégrité person- nelle est-elle garantie sur le Web? Les nou- velles technologies de la communication sont-elles un obstacle ou un pont entre les individus? L’amour est-il virtualisable? Le Web est-il une source d’information fiable ou un outil de désinfor- mation?

Le Cours public de l’UNIL sera animé par Jean-Philippe Rapp, avec la participation de nombreux cher- cheurs de l’Université de Lausanne.

Pour le détail, rendez-

© N. Chuard

Sommaire

B I O L O G I E

A quels animaux la Suisse

accordera-t-elle l’asile?

. . . .

page 24

Le retour du loup dans le canton de Vaud donne un coup de projecteur sur un phénomène de masse : l’arrivée de nombreuses espèces animales qui cherchent à s’installer dans les Alpes. Faut- il les laisser faire? Sinon, à quels visiteurs poilus ou plumés refuserons-nous l’asile? Ce sera le débat des prochaines décennies.

I N T E R V I E W

«La pression des

cadeaux de Noël peut être

d’une grande violence»

. . . .

page 36

Les Fêtes consacrent une période socialement très importante : la préparation et l’échange de ca- deaux. Un étrange moment, parfois embarrassant, qui renvoie à des pratiques anciennes et variées, qui vont du don désintéressé au cadeau «empoi- sonné». Deux chercheurs de l’UNIL décortiquent ce moment de grâce qui peut tourner à l’enfer dans une société marchande.

J. Rochat

Nativité, par Gérard de Saint-Jean, vers 1490, Londres, National Gallery, http://commons.wikimedia.org (détail)

L’ info que vous ne lirez que dans

«Allez savoir!» se trouve en pages 32-33. On y apprend com- ment un chercheur de l’UNIL a pu établir qu’un loup, qui a été écrasé par une voiture près de Munich, en Allemagne, avait préalablement laissé des traces génétiques à la fron- tière italo-valaisanne. Voilà qui démontre que l’animal a pu faire un trajet d’au minimum 250 kilo- mètres, en deux mois et en traver- sant très probablement la Suisse de part en part. Ni vu ni connu!

Le scoop

(4)

Q

ui croit encore que les sujets religieux ne font plus recette? A ces «hérétiques» impé- nitents, nous conseillons de taper les mots Römer (ou Roemer), Gog et Bush sur le moteur de recherche sur Internet Google. La dernière fois que nous avons fait l’exercice, il y a trois semaines environ, cette opération donnait plus de 1000

réponses. Autant de résultats qui témoignent du succès inter- national remporté par l’article intitulé «George W. Bush et le Code Ezéchiel», paru dans le N° 39 d’«Allez savoir!» *.

Les révélations de Thomas Römer, ce professeur de l’UNIL qui a été contacté en 1993 par l’Elysée afin qu’il éclaircisse les références bibliques du président des Etats-Unis, et qu’il per- mette à Jacques Chirac de comprendre ce que lui avait sug- géré son interlocuteur, ont été largement reprises.

Elles ont été signalées en Suisse (dans «Le Matin Dimanche»,

«La Liberté», «Le Courrier»), mais encore en France (dans

«Marianne») et au Québec (dans «La Tribune»). En Italie, l’article d’«Allez savoir!» a été intégralement traduit sur le site www.golemindispensabile.ilsole24ore.com, qui compte notamment Umberto Eco dans son comité de rédaction.

En poursuivant les recherches sur Internet, on découvre que c’est le compte rendu de notre article publié dans «La Liberté», qui a connu le plus de succès, grâce à sa reprise sur le site fran- çais www.rue89.com (fondé par des anciens journalistes de

«Libération», donc très lu par les confrères).

Cette variante courte a été très largement lue, reproduite et traduite. On a notamment pu la retrouver aux Etats-Unis (Salon.com, www.truthout.org, et même dans le «Conspiracy Times»), en Hollande («de Volkskrant») et en Israël. L’article a encore été très largement repris et commenté en Turquie, et il a été mentionné jusqu’en Iran et même aux Antilles néerlandaises...

Les échos internationaux de cet article lui valent de se placer parmi les titres d’«Allez savoir!» les mieux repris de l’histoire du magazine. Mais, quel que soit son succès, ce «Gog» n’éga- lera pas les retombées record d’un article paru en octobre 2000 dans «Allez savoir!» N° 18 **, qui était consacré à un vaccin antinicotine alors en phase d’élaboration à Lausanne.

Ce scoop avait lui aussi fait le tour du globe, en touchant également des chaînes de télévision suisse, allemande et même japonaise. Sans parler de la Une de l’Alémanique «Blick», deux jours de suite. L’occasion de rappeler que ce sujet antinicotine nous avait été soufflé par Axel Broquet, actuel responsable de l’information à Unicom, qui aura pris sa retraite quand vous lirez ce numéro. Qu’il soit remercié ici pour les treize années de soutien indéfectible qu’il a apporté à la préparation d’«Allez savoir!»

Jocelyn Rochat

E N A P A R L É !

Allez savoir !

H I S T O I R E

Le vrai visage de Brutus,

assassin de Jules César

. . . .

page 44

Marcus Junius Brutus était l’une des figures tra- giques de la série TV Rome. L’assassin de Jules César sera aussi l’une des vedettes comiques de l’adaptation au cinéma de la célèbre BD «Asté- rix aux Jeux olympiques». Dans ce film très attendu, qui sortira au début 2008, le «libérateur»

héritera du visage de Benoît Poelvoorde. Ridi- cule ou tragique, jaloux ou épris de démocratie, quel était le vrai visage de ce Romain légendaire, par Jupiter?

É C O N O M I E

En 2007, le nouveau «péril jaune»

est informatique

. . . .

page 54

Après l’Allemagne, les Etats-Unis et la Grande- Bretagne, voilà que la France se plaint d’attaques de cyberpirates chinois. Nos économies seraient- elles noyautées par les Asiatiques? Les réponses de deux enseignants de l’UNIL, une spécialiste de la cybercriminalité et un expert de la Chine.

L A V I E À L’ U N I L

DRMonopole Pathé Films

Gog offre un succès

planétaire à l'UNIL

(5)

L’ U N I L e n l i v r e s

Une pensée à temps et à contretemps

Théologien protestant, pionnier de l’œcuménisme, résistant au nazisme, conspirateur, témoin et martyr, Dietrich Bonhoeffer fait partie des acteurs et des pen- seurs essentiels du XXesiècle.

Dans Le «Prix de la grâce» (1937), il trace devant ses étudiants de l’Eglise confessante la voie d’une suivance (Nachfolge) qui fait du disciple du Christ, dans le texte biblique et dans la vie, un être d’écoute et d’obéissance critique.

L’«Ethique» (1940-1945), inache- vée, rend compte des raisons théologiques d’une action res- ponsable dans le monde. L’avant- dernier, s’il n’est jamais ultime, est toujours crucial, face aux réa- lités dernières. La foi et l’éthique peuvent conduire à la désobéis- sance politique, par delà les com- promis frileux et les radicalismes exaltés. «Résistance et soumis- sion» (lettres de prison post- humes), enfin, dit l’engagement et la lucidité du penseur devant les limites d’un langage religieux inadapté au monde moderne.

Quel sera le rôle de la pensée et de la croyance dans un monde

Objet classique, équations nouvelles Erosion du pouvoir des Etats, gouvernance multiniveaux, mon- tée en puissance des villes et des agglomérations sont autant d’illustrations de la complexité croissante des emboîtements et des superpositions de responsa- bilités entre les niveaux d’inter- vention publique. Entre recentra- lisation, sectorisation ou spécialisation des territoires, l’extrême diversité des situa- tions ne donne pas d’indications facilement interprétables sur le sens des transformations en cours. Une chose est sûre : elles mettent les politiques publiques

«à l’épreuve» des changements d’échelles.

Les différents travaux réunis dans cet ouvrage montrent comment ces déplacements de compé- tences entre l’Europe, les Etats

devenu majeur, mais dont les cataclysmes ne cessent de ques- tionner l’autonomie, la responsa- bilité et l’accueil d’une vraie transcendance, au cœur même de la vie? Par ses points forts et par ses failles, Dietrich Bonhoeffer nous ouvre des pistes surpre- nantes pour des lendemains de grâce et de gravité. Ed.

«Dietrich Bonhoeffer(1906-1945).

Autonomie, survivance et responsabilité»sous la direction d’Alberto Bondolfi, Denis Müller et Simone Romagnoli, Revue d’éthique et de théologie morale. Editions Cerf.

nationaux, les régions et les villes modifient les formes et les conte- nus de l’action publique aujour- d’hui. Ils font ainsi le point sur l’origine de ces changements et sur les effets qui en découlent.

Ed.

«Action publique et changements d’échelles : les nouvelles focales du politique»sous la direction d’Alain Faure, Jean-Philippe Leresche, Pierre Muller

& Stéphane Nahrath, Collection logiques politiques, L’Harmattan.

Figures de l’oubli Interrogé dans les relations para- doxales qui le lient à la mémoire, l’oubli suscite depuis bientôt dix ans les réflexions croisées des sciences humaines et de la cri- tique littéraire. S’inscrivant dans ce débat, ce numéro propose pour la première fois un parcours à tra- vers les figures de l’oubli au Moyen Age, jusqu’à la première Renaissance. Le domaine litté- raire ainsi défini offre un champ de réflexion privilégié dans lequel l’oubli est bien moins un objet de discours que l’enjeu de fictions et d’exemples qui le donnent à pen- ser et en exposent les valeurs. Un mouvement se dessine, de l’ou- bli momentané de Dieu dans l’œuvre comme moyen d’exalta- tion de la mémoire à l’oubli des autorités et du savoir comme condition nécessaire à la cons- truction de soi et au surgissement de l’écriture. Entre ces deux pôles, les figures rencontrées au fil des textes, aussi singulières que variées, font de l’oubli un fac- Qu’est-ce que la

théologie?

Quel est l’objet de la théologie ou sur quoi porte son interrogation et son discours? sur Dieu (c’est l’étymologie: théo-logie, discours sur Dieu ou sur le divin)? sur les croyances? sur l’humain? sur le monde ou le cosmos? Il y aura là bien des éléments à préciser, à délimiter, à articuler, aussi vrai que les différents points évoqués sont à la fois liés et peuvent être distingués de manière diverse.

Concrètement, la question de l’objet de la théologie entraîne, dans la foulée, celle des champs à travailler, mais elle va irrémé- diablement être accompagnée de celle du type de regard qu’on y porte, de la manière dont on met les choses en place, de la façon dont on balise le terrain ou que l’on met en perspective. Et c’est là que doit justement se préciser

et témoignent d’un désir de maî- trise : avec les recours qui sont les siens, la littérature tente de s’ap- proprier l’alternance fatale de la mémoire et de l’oubli pour en tourner les règles à son avantage et convertir l’érosion temporelle en un moteur de questionnement et de sens. Ed.

«Figures de l’oubli (IVe- XVIesiècle)»

Edité par Patrizia Romagnoli et Barbara Wahlen, Etudes de lettres 1-2, 2007.

le statut de la théologie et de ce qui est dit en théologie, ses limites, du coup, et sa portée pos- sible, la fonction de la théologie aussi, ainsi que sa pertinence : que fait-elle voir, et quel est son apport à une connaissance du monde, de l’humain et de ses dieux, ou à quoi sert-elle?

(Extrait du texte d’introduction)

«La théologie»par Pierre Gisel, Quadrige, PUF (Presses universitaires de France), 194 p.

(6)

L’ U N I L e n l i v r e s

Le mystère apocryphe L’intérêt est vif aujourd’hui pour cette littérature proche de la Bible, faite d’évangiles, d’actes des apôtres et d’apocalypses non retenus dans le canon. Pourquoi ces textes apocryphes, qui ont souvent pour objet des événe- ments évoqués ou des person- nages mentionnés dans la Bible, ont-ils été mis à l’écart et large- ment oubliés dans le passé?

Ont-ils été écrits pour concurren- cer les livres du Nouveau Testa- ment? Quel message religieux véhiculaient-ils?

Le lecteur se voit offrir ici de nom- breux extraits de textes et des explications qui en disent la por- tée, l’intérêt et... le charme.

Réédité après plusieurs années d’indisponibilité, cet ouvrage est considéré comme un classique dans un domaine suscitant tou- jours plus d’intérêt. Il présente l’Evangile de Thomas, l’Evangile

est évoquée notamment la filière gnostique à laquelle se rattache cet évangile apocryphe; la trahi- son de Jésus est interprétée com- me un mystère libérant par la mort le Jésus spirituel. Ed.

«Le mystère apocryphe, introduction à une littérature méconnue»avec des contributions de Frédéric Amsler, Rémi Gounelle, Eric Junod, Jean-Daniel Kaestli, Daniel Marguerat, Walter Rebell; Coll. Essais bibliques, Labor et Fides.

Les voix du cinéma Ce livre propose une réflexion his- torique et théorique sur la place et la fonction conférées à la voix, manifestation sonore foncière- ment humaine, au sein du me- dium machinique qu’est le ciné- matographe. En s’interrogeant sur la pratique de l’accompagne- ment verbal effectué lors des pro- jections «muettes» par un locu- teur live (le «bonimenteur â») à l’époque du cinéma des premiers temps, cet ouvrage rend compte des spécificités de l’oralité du cinéma parlé, et confronte la mé- diation qui s’opère au sein de ce dispositif aux principes de la voix enregistrée.

A travers l’examen de la voix- over, l’ouvrage traite non seule- ment de la matérialité de la voix et de son enregistrement, mais aussi des relations qui s’instau- rent entre les mots et les images.

En proposant une typologie des modes de synchronisation et en s’interrogeant sur la façon dont la signification est produite grâce à l’interaction du verbal et de l’iconique, il fournit des instru- ments utiles à l’analyse de films.

Cette dernière n’est d’ailleurs pas négligée, puisque certains films singuliers du point de vue du régime vocal font l’objet d’études approfondies qui viennent nour- rir la théorie, à l’instar du Roman d’un tricheur (Guitry), de La Fian- cée de Frankenstein (Whale), de Lola Montès (Ophuls) ou d’Hiro- shima mon amour (Resnais). Ed.

«Du bonimenteur à la voix-over.

Voix-attraction et voix-narration au cinéma»

par Alain Boillat, Editions Antipodes, 2007, 540 p.

Voyages mescaliniens de deux écrivains La démarche que Jacques Bru- chez a adoptée dans son étude sur les œuvres d’Aldous Huxley,

«Les portes de la perception», et d’Henri Michaux, «L’Infini turbu- lent», se distingue par son origi- nalité. (…) L’auteur essaie no- tamment de saisir la «motivation intime» des deux écrivains qui est

«celle de la création artistique».

Autour de ce thème se tissent

«d’autres fils qui vont nous conduire vers d’autres écrivains, des philosophes, et nos pas peu- vent dès lors aboutir dans divers domaines, ceux de l’art, de la poésie, de la psychologie, de la philosophie et même, pourquoi pas, de la foi», comme nous le lisons au passage intitulé Ecrire.

Dans les récits d’une expérience psycho-physio-médicale, expéri- Postures littéraires

Dans la modernité émerge et s’in- dividualise la figure de l’auteur, livré à la curiosité biographique d’un public croissant. Présent sur la scène littéraire, décrit et jugé par ses pairs comme par des ano- nymes, l’auteur assume désor- mais une présentation de soi qui constitue ce que nous nommons sa posture. Systématisée dans les recherches de Jérôme Meizoz depuis plusieurs années, reprise et discutée depuis par plusieurs spécialistes, cette notion s’avère stimulante pour comprendre non seulement le statut et les repré- sentations de l’auteur moderne mais aussi les transformations de ceux-ci et leur impact sur l’en- semble de la pratique littéraire.

Qui rend publics ses écrits impose une image de soi qui s’écarte souvent de ses coordon- nées civiles, comme en témoigne le recours au pseudonyme chez L.-F. Céline, Julien Gracq, Romain Gary ou San-Antonio. Le pseudo- nyme marque une nouvelle iden- tité énonciative, dont la validité et l’efficace se jouent sur la scène littéraire.

mentation concrète et utilitaire, l’auteur va dégager la présence d’une expérience transcendante qui peut conduire à la révélation de la spiritualité, sujet désinté- ressé et gratuit. (Extrait de la pré- face de Michèle Stäuble-Lipman Wulf)

«Henri Michaux et

Aldous Huxley. Deux expérience»

par Jacques Bruchez, Slatkine Erudition, 332 p.

En dix chapitres, cet ouvrage de sociologie littéraire propose une réflexion sur l’auteur et ses di- verses postures. Après deux cha- pitres de méthode, diverses études de cas sont proposées, de Rousseau à Stendhal, de Péguy à Ramuz et Giono, de Céline à Cin- gria sans négliger plusieurs ouvertures vers des écrivains contemporains comme Pierre Michon ou Michel Houellebecq.

Ed.

«Postures littéraires. Mises en scène modernes de l’auteur»

par Jérôme Meizoz, Slatkine Erudition, 2007, 210 p.

(7)

L’ U N I L e n l i v r e s

Anthropologie clinique en marche

De plus en plus, les psychologues et les psychiatres se réclament de l’anthropologie, comme s’ils crai- gnaient de ne plus être en prise sur l’homme concret, en souf- france d’existence. L’anthropolo- gie clinique, telle qu’elle est développée dans ce fascicule, les invite, selon le mot d’ordre du psychiatre et philosophe suisse Binswanger, à mettre l’homme en situation au cœur de leur savoir et de leur pratique. S’inspirant en particulier de l’anthropologie phénoménologique, de l’anthro- pologie culturelle, comme de l’an- thropologie politique, elle veut penser les fondements de la cli- nique psychopathologique et psy- chothérapeutique à partir d’une interrogation sur l’homme : quel est cet homme diagnostiqué et traité psychiquement par les cli- niciens? Celui-ci est-il pensable en dehors de son contexte de vie et d’appartenance sociale, et de sa conscience incarnée au monde?

Une telle démarche critique veut aussi aider les cliniciens à s’in- terroger sur les présupposés de leurs modèles et à les expliciter en vue d’un dialogue au-delà des cloisonnements d’écoles. C’est

précisément une des visées de cette publication : proposer «un lieu d’échange au service de l’hu- manité du patient».

Actes d’un colloque tenu à Lau- sanne en 2005 organisé par les professeurs Nicolas Duruz (psy- chologie clinique) et Raphaël Célis (philosophie), ce numéro spécial de «Psychiatrie – Scien- ces humaines – Neurosciences»

est enrichi de contributions de chercheurs qui collaborent depuis de nombreuses années avec l’équipe lausannoise. Ed.

«PSN, volume 5 supplément 1, 5.S1», Juin 2007, Springer Editeur.

UDC : anatomie d’un parti

Le «succès» politique de l’Union démocratique du centre (UDC) conduit le politologue à s’empa- rer scientifiquement d’un thème qui interpelle l’espace public suisse mais aussi les commenta- teurs et les chercheurs au-delà des frontières : la progression de la droite dite populiste en Europe, à laquelle l’UDC est souvent associée. Ce livre entend partici- per à ce débat. Il s’inscrit dans une sociologie des logiques plu- rielles (idéologiques, sociales et organisationnelles) qui caractéri- sent les partis politiques comme des phénomènes complexes. Il combine plusieurs angles d’at-

l’UDC, parti singulièrement con- troversé? Quelles sont les diffi- cultés liées à son étude? Com- ment expliquer sa capacité à se situer à la fois en posture de gou- vernement et d’opposition? Com- ment son action a-t-elle influencé et tiré parti des transformations du paysage politique suisse? Que doit la progression de l’UDC aux changements affectant le champ médiatique? Qui sont ses élec- teurs? Comment s’exprime sa propagande politique? Comment se décline la diversité de valeurs de ses militants?

Parler sereinement de l’UDC, peser son action dans le champ politique, analyser les soutiens que sont ses électeurs et mili- Paulhan, Ramuz et Roud

C’est pendant les années de l’entre-deux-guerres que la car- rière de C.F. Ramuz a pris son essor : son œuvre romanesque et les débats que ses textes susci- tent en matière de style et de

«bien écrire» lui assurent alors une place de premier plan dans le monde littéraire français.

De ce monde-là, Jean Paulhan est, dès cette époque, une figure éminente dont le jugement pèse lourd, et dont l’influence se déploie autant dans les cercles de l’édition que dans les pério- diques. Le commerce épistolaire entre les deux écrivains donne à voir la relation dissymétrique qu’ils entretiennent : à Paulhan qui cherche à le rallier à la NRF et aux Editions Gallimard, Ramuz oppose moult atermoiements, non sans recourir par ailleurs, et très régulièrement, aux services de son correspondant, dont il accepte aussi les sollicitations.

La trame du parcours éditorial du romancier se devine ainsi dans les lettres où les «affaires» pri- ment, mais où transparaissent également l’admiration et l’es- time réciproques.

Il en va de même dans la corres- pondance, moins fournie, que Paulhan a échangée avec Gustave Roud : entré en contact avec le poète lorsque ce dernier est le bras droit de Ramuz à la tête de l’hebdomadaire «Aujourd’hui», le

«patron» tentera à plusieurs re- prises, le plus souvent en vain, de l’impliquer dans des publications.

(Extrait de la présentation de l’ouvrage)

Jean Paulhan, C.F. Ramuz, Gustave Roud.

«Le patron, le pauvre homme, le solitaire.

Lettres, articles et documents»

Textes établis, annotés et présentés par Daniel Maggetti et Stéphane Pétermann, Editions Slatkine, 308 p.

«L’Union démocratique du centre : un parti, son action, ses soutiens»

par Oscar Mazzoleni, Philippe Gottraux, Cécile Péchu, Collection le livre politique, Editions Antipodes, 216 p.

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nique à Uniscope@unil.ch

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«L’Adoration des Mages», enluminure, Le Maître des parements de Narbonne, vers 1380, Paris, Bibliothèque nationale, http://commons.wikimedia.org

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R E L I G I O N

Le Noël que

nous connaissons a été imaginé

bien après Jésus-Christ S ans fondement historique, les figures

les plus populaires de Noël (la crèche, le bœuf et l’âne, les Rois mages et l’étoile) ne viennent souvent pas de la Bible. On les doit à d’astucieux écrivains et à des textes apo- cryphes qui ont été écrits entre deux et six siècles après la Nativité! Les explications de deux chercheurs de l’UNIL.

L

es trois mages? Une poignée d’as- trologues tardivement transformés en rois. Le 25 décembre? Une habileté politique. La grotte où se réunissent ber- gers et moutons pour adorer le nouveau- né divin? Un truc littéraire. Le bœuf et l’âne qui réchauffent le Messie de leur haleine bienveillante? Une astuce d’in- terprétation. En un mot comme en cent : les figures chrétiennes de Noël, qui ornent crèches d’églises et sapins fami- liaux, sont de pures constructions de l’imaginaire. Et qui plus est, d’un imagi- naire qui le plus souvent ne vient pas de la Bible.

Une naissance sans importance

Prenons le Nouveau Testament et ses quatre évangiles consacrés à la vie de Jésus : le plus ancien, l’Evangile selon Marc, ne contient pas un mot sur la nais-

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R E L I G I O N

L e N o ë l q u e n o u s c o n n a i s s o n s a é t é i m a g i n é b i e n a p r è s J é s u s - C h r i s t

composent leurs œuvres dans les années 50-70, ne s’interrogent absolument pas sur la naissance de Jésus, dit Frédéric Amsler, professeur assistant en Faculté de théologie et de sciences des religions de l’UNIL. Paul, dans ses épîtres, ne s’y intéresse pas. Marc commence par le baptême de Jésus, puis raconte son ministère, sa mort et sa résurrection. Ce n’est pas surprenant : le noyau dur de la foi chrétienne, à cette époque, c’est la mort et la résurrection. La naissance n’a pas encore de valeur christologique. Elle ne correspond à rien de symboliquement fort. Ce n’est que vers les années 80-90 que ce thème apparaît.»

Aucune trace de bœuf, ni d’âne, ni de grotte

Les débuts littéraires de la nativité du Christ restent néanmoins très timides.

Après avoir évoqué l’ange qui annonce à Joseph la naissance du fils divin, l’Evangile selon Matthieu se contente de situer la naissance du Christ à Bethléem, raconte brièvement l’histoire de mages venus d’Orient, d’une étoile qui les conduit au «lieu où était l’enfant», puis des trois cadeaux qu’ils apportent en signe d’adoration.

L’Evangile selon Luc est encore moins bavard. Il précise qu’à Bethléem Marie coucha son nouveau-né «dans une crèche», et raconte que des bergers s’en furent l’adorer, sans autre précision.

Aucune trace de bœuf, ni d’âne, ni de grotte, ni d’étable dans l’un ou dans l’autre de ces récits. Les mages de Mat- thieu ne sont ni rois ni dénombrés. Quant à la date de naissance du Sauveur, on ne la donne tout simplement pas. Chez Luc, Jésus naît pendant un recensement qui a lieu durant le règne d’un gouverneur de Syrie nommé Quirinius. Chez Mat- thieu, le Messie est contemporain du roi Hérode. Mais si l’on suit l’un ou l’autre

de ces repères, Jésus-Christ naîtrait, selon les cas, en + 6 de son ère ou en - 4 avant lui-même.

Ainsi vint la grotte

En vérité, il faut attendre le IIe siècle pour que la naissance du Christ prenne plus de place dans les écrits. En 180 apparaît un nouveau récit, le Protévan- gile de Jacques. Son auteur y développe librement ce que Luc et Matthieu n’ont qu’esquissé. Originellement intitulé Nativité de Marie, le texte raconte en détail l’histoire de cette dernière jusqu’à la naissance de son fils.

On y retrouve la figure des bergers, la présence de l’étoile, le passage des mages. Pour la première fois, la naissance de Jésus est située dans une grotte, dans laquelle Joseph et Marie s’arrêtent sur le chemin de Bethléem. Le texte s’attarde

aussi sur l’accouchement et ses suites, avec des détails un peu scabreux. Juste après la naissance de l’enfant divin, une sage-femme vérifie de sa main si Marie est encore vierge, comme il se doit lors- qu’on accouche d’un dieu.

Bien que taxé d’apocryphe par l’Eglise, le Protévangile de Jacques exerce une influence importante. Il nour- rit la première iconographie chrétienne et participe à l’effort d’élaboration de la doctrine chrétienne mené par les Pères de l’Eglise dès le IIe siècle. Chercheuse en théologie à l’UNIL, Emmanuelle Stef- fek insiste sur le rôle de certains d’entre eux pour les icônes de Noël : «Irénée, Justin puis Origène ont abondamment commenté la nativité de Jésus. Ils se sont avant tout occupés d’écrire des traités de théorie et de donner une portée symbo- lique forte aux histoires qu’ils connais-

© N. Chuard

Frédéric Amsler, professeur assistant en Faculté de théologie et de sciences des religions de l’Université de Lausanne (UNIL)

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Le bœuf et l’âne

Voilà peut-être l’une des plus belles constructions intertextuelles des Pères de l’Eglise. Du bœuf et de l’âne qui entourent l’enfant de Marie dans la paille de la crèche, on ne trouve pas un poil dans les quatre évangiles du canon. Il faut attendre Origène, au IIIe siècle, pour avoir une première évocation des deux bestiaux.

Sa trouvaille donne cependant une idée des méthodes que les fon- dateurs de la théologie chrétienne utilisent parfois pour justifier leur foi. Dans le bref passage de l’Evan- gile de Luc qui évoque la naissance de Jésus, on trouve le mot «man- geoire». Or voici que ce terme, exac- tement le même, se trouve dans l’Ancien Testament, précisément dans le livre d’Esaïe. Voici la phrase : «Le bœuf connaît son maître et l’âne la mangeoire de son proprié- taire.»

Peu importe que la naissance du Messie ne soit pas évoquée, ni avant ni après cette ligne. L’occa- sion est trop belle pour ne pas opé- rer un rapprochement fécond. Allé- goriste de haut vol, Origène décide que Jésus naît entouré des deux bestiaux. D’une part, c’est plus poé- tique. D’autre part, l’image permet au théologien de développer un rai- sonnement symbolique : «Dans son esprit, le bœuf représentait les chré- tiens et l’âne symbolisait les juifs, qui refusaient la nature divine de Jésus, dit Emmanuelle Steffek.

L’image de Jésus entouré des deux animaux montre ainsi l’allégeance de deux peuples, qui reconnaissent le Roi des juifs. Plus tard, on raconte même que les deux animaux se mirent à genoux devant le nouveau- né... Sauf erreur, cette image-là

Ni le bœuf ni l’âne ne sont mentionnés

dans les récits bibliques. Ils apparaissent au IIIesiècle ap. J.-C., avec un succès qui ne s’est jamais démenti depuis lors

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R E L I G I O N

L e N o ë l q u e n o u s c o n n a i s s o n s a é t é i m a g i n é b i e n a p r è s J é s u s - C h r i s t

saient. Mais en développant leur théolo- gie, ils ont aussi enrichi les récits d’élé- ments nouveaux.»

Tous des apocryphes

Il faut cependant plusieurs siècles sup- plémentaires pour que la scène de Noël trouve définitivement sa place dans l’or- thodoxie chrétienne. Au début du VIIe siècle apparaît en Occident un nouveau texte apocryphe, l’Evangile dit du Pseudo-Matthieu. Véritable réécriture du Protévangile de Jacques auparavant proscrit, il remet son contenu au goût du jour. Abondamment copié, diffusé dans tout l’Occident, il assoit définitivement les icônes de Noël dans les églises.

Le texte n’est pas intégré dans le canon, mais les prédicateurs puisent abondamment dans ses récits et ses images. Rien d’étonnant à cela pour Fré- déric Amsler : «Certains apocryphes pre- naient plus d’importance que les textes bibliques. Le Moyen-Age a d’ailleurs été un grand producteur d’apocryphes. On en compte des dizaines. Même si on ne

peut pas toujours la déterminer, leur influence est évidente.»

La liste des textes qui ont apporté leur grain de sel dans l’imagerie de Noël n’est ainsi pas terminée. Emmanuelle Steffek et Frédéric Amsler citent encore le Livre arménien de l’enfance, le Livre des cavernes, le Livre de la nativité de Marie, le Livre arabe de l’enfance de Jésus. Des textes apocryphes écrits entre le VIeet le Xe siècle.

Sus aux gnostiques!

Mais comment comprendre qu’un tel patchwork d’influences non bibliques se soit imposé comme une tradition offi- cielle? Frédéric Amsler et Emmanuelle Steffek avancent plusieurs explications.

«D’une part, les premiers théologiens chrétiens ont dû multiplier les arguments pour asseoir la nature divine de Jésus, dit Frédéric Amsler. D’autre part, à par- tir de cette théologie savante, le motif de la naissance de Jésus a connu en Occi- dent de tels développements populaires que les autorités ecclésiastiques n’ont pas

La crèche

Etait-elle étable ou grotte? Selon les pratiques, c’est l’un ou l’autre, ou les deux à la fois. L’Evangile selon Luc parle d’un enfant «emmailloté et couché dans une crèche». Mais ce dernier terme prête à confusion : «Le mot utilisé par Luc est très peu précis. Il prête à diverses tra- ductions et interprétations, dit Emma- nuelle Steffek. Il peut aussi bien dési- gner une simple mangeoire qu’un endroit où l’on postait les animaux de trait devant les auberges, ou qu’un caravan- sérail. Au XIIIe siècle, la Légende dorée de Jacques de Voragine, vaste compila- tion de textes à l’usage des Dominicains, donne encore une autre vision. Selon lui, la naissance du Christ a eu lieu «dans un passage public, entre deux maisons, ayant toiture, espèce de bazar sous lequel se réunissaient les citoyens soit pour converser, soit pour se voir...»

Alors, étable ou grotte? Finalement, c’est comme on veut. Mentionnée pour la première fois dans le Protévangile de Jacques (cf. texte principal), la grotte a un côté pratique : «Elle fait écho à la grotte dans laquelle on emmène Jésus après sa mort et avant sa résurrection, dit Emmanuelle Steffek. Elle crée un rap- prochement intéressant entre naissance et mort, début et fin. En quelque sorte, ça boucle la boucle.»

A noter que la crèche d’appartement n’existe que depuis le XVIIe siècle.

Auparavant, on n’en trouvait que dans les

Si l’on en croit l’histoire des bergers qui auraient quitté

la garde de leurs troupeaux pour adorer l’enfant, Jésus n’est pas né en décembre.

Parce que les pâtres de Palestine quittaient leurs pâturages en novembre et n’y revenaient qu’au printemps...

«L’Adoration des Bergers», par Giorgio de Castelfranco, dit Giorgione, vers 1500-1510, Washington, National Gallery of Art, http://commons.wikimedia.org

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© N. Chuard

Emmanuelle Steffek, chercheuse en théologie à l’Université de Lausanne (UNIL)

Le 25 décembre

Aucun texte biblique, ni même aucun texte apocryphe ne donne la date, ni le jour, ni la saison, ni l’année de la nais- sance de Jésus-Christ. Problème : quand faut-il donc fêter sa venue? Prenons comme repère l’histoire des bergers, qui quittent la garde de leurs troupeaux pour adorer le nouveau-né. Noël ne devrait donc pas être en décembre. Dès novembre, les pâtres de Palestine quit- tent leurs pâturages pour se protéger de l’hiver et ne reviennent pas avant le printemps...

La détermination de la date de Noël fut cependant loin de ce genre de rai- sonnement. Les tout premiers siècles chrétiens fêtent le baptême de Jésus le 6 janvier. L’Occident en serait toujours là (comme l’Orient) si l’empereur Constantin n’avait tranché par un savant calcul politique. Au début du IVe siècle, le souverain décrète qu’on fêtera la nais- sance du Christ en même temps que le solstice d’hiver, déjà célébré le 25 décembre par une fête païenne, celle de Mithra, le «Soleil invaincu» : «C’était très habile, dit Frédéric Amsler. Dans la théo- logie ancienne, Jésus-Christ est inter- prété comme «le soleil de justice».

Païens et chrétiens se sont donc mis à fêter le soleil en même temps.» De quoi réconcilier deux spiritualités ennemies.

Détail des «Histoires de la Vierge», une fresque de Gaudenzio Ferrari, vers 1533, Vercelli, Eglise de St. Cristoforo, http://commons.wikimedia.org

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R E L I G I O N

L e N o ë l q u e n o u s c o n n a i s s o n s a é t é i m a g i n é b i e n a p r è s J é s u s - C h r i s t

Les Rois mages

Au IVe siècle, Jean Chrysostome en comptait douze. Certaines fresques pa- léochrétiennes antérieures en montrent deux, quatre ou huit. Finalement, Ori- gène tranche au IIIe siècle : l’Evangile selon Matthieu dit qu’ils apportent trois cadeaux? Ils seront donc trois : «Cette option permettait de spéculer sur la sym- bolique de ce nombre, dit Emmanuelle Steffek. Les mages pouvaient représen- ter les trois âges de la vie, ou les trois races humaines connues à cette époque.

On les rapprochait aussi des trois anges qui annoncent à Abraham qu’il va avoir un enfant à 99 ans, ou des trois fils de Noé qui représentent l’ensemble de l’hu- manité, ou encore de la Trinité.»

Il faut cependant attendre le VIe siè- cle pour qu’ils reçoivent un prénom – Gaspard, Melchior, Balthazar – et deviennent rois et non plus seulement mages, c’est-à-dire des astrologues peu recommandables. Dans le Livre armé- nien de l’enfance, un texte apocryphe, il est clairement dit que les mages sont souverains de Perse, d’Arabie et d’Inde.

Dès cette époque, leur image prend une forme quasi définitive. Sur les fresques, vitraux, icônes et mosaïques, on voit dès lors un mage blanc, un mage asiatique et un mage noir. Ou un jeune homme, un homme d’âge mûr et un vieillard. Ou les deux à la fois.

«L’Adoration des Mages», par le Maître de Messkirch, vers 1538, Messkirch, Stadtpfarrkirche St. Martin, http://commons.wikimedia.org

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L’étoile

Dans les évangiles du Nouveau Tes- tament, on la trouve seulement chez Matthieu. Elle brille sans excès et conduit les mages vers l’enfant Jésus.

Les textes postérieurs lui donnent plus de brillance et surtout de signification.

Sous la plume des premiers Pères de l’Eglise comme Justin et Irénée, l’astre devient si lumineux qu’il dissipe les ténèbres des péchés et de l’ignorance :

«C’était une allusion aux péchés des juifs et à l’ignorance des païens», dit Emmanuelle Steffek. Les illustrations postérieures la remplacent parfois par une croix ou par un chrisme, soit le monogramme du Christ constitué des deux premières lettres de son nom.

Enfin, dans certains textes apocryphes du VIe siècle de la tradition syriaque, l’étoile apparaît aux Perses pour signa- ler la naissance de Jésus en pleine célé- bration de la Fête du feu. Comme pour le 25 décembre (cf. ci-page 13), païens et chrétiens se mélangent. Que de sym- boles...

vraiment eu d’autre choix que de les offi- cialiser peu ou prou.»

«L’Eglise devait se définir par rapport à une nébuleuse de courants qu’elle considérait comme déviants ou héré- tiques, rassemblés sous le terme de

«gnostiques», dit Emmanuelle Steffek. A l’époque des Pères de l’Eglise, tout était à construire. Une bonne partie des idées se sont élaborées jusqu’aux Ve et VIe siècles. Mais ce n’est qu’au milieu du Moyen-Age que récits et images se sont définitivement fixés.»

«Pas de fondements historiques»

Auteurs d’apocryphes et Pères de l’Eglise se sont ainsi livrés à des prodiges de subtilité pour prouver leurs croyances. «Ils relisaient les textes anciens comme des annonces de ce qui s’est passé ensuite, dit Frédéric Amsler.

Ils les interprétaient pour démontrer la naissance miraculeuse du Christ. Mais leurs commentaires faisaient dire à la Bible juive ce qu’elle ne disait pas à l’ori- gine. Leurs textes sont des interpréta- tions théologiques, évidemment sans aucun souci de fondements historiques.»

D’où, quelquesfois, des raisonne- ments qui paraissent aujourd’hui tirés par les cheveux : «Origène était un grand spécialiste de la construction allégorique, dit Emmanuelle Steffek. Il était capable de faire une lecture christologique de n’importe quel texte.» Il est vrai que sa méthode pour installer le bœuf et l’âne auprès de l’enfant Jésus tient de l’exploit (cf. page 11).

Ce qu’on ne saura jamais

Reste encore à savoir qui, des textes ou des croyances, était là en premier.

Bibliques ou apocryphes, les récits et autres traités n’ont peut-être pas le poids qu’on leur attribue, du moins dans la pro- duction d’images populaires comme celles de Noël.

«A l’origine, les textes n’ont fait que mettre des croyances par écrit, dit Fré- déric Amsler. Ensuite, les textes ont aussi suscité des pratiques, et aujourd’hui encore perdure un va-et-vient entre les pratiques et les récits ou contes de Noël.

Au moment où s’écrivent le Protévangile de Jacques ou le Pseudo-Matthieu, exis- taient sans doute déjà des pratiques reli- gieuses particulières liées à la nativité.»

Les traces de ces dernières sont cepen- dant presque inexistantes. On ne saura donc jamais exactement d’où viennent les rites de Noël... «Quoi qu’il en soit, conclut Frédéric Amsler, ils illustrent une étonnante capacité à créer un monde symbolique, dont même l’Occident semble encore avoir besoin...»

Pierre-Louis Chantre

«L’Adoration des bergers», par Angelo di Cosimo, dit il Bronzino (1503-1572), http://commons.wikimedia.org

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M É D E C I N E

On sauve des

prématurés de plus en plus petits

© N. Chuard

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A la fin des années 1980, les pédiatres ne pouvaient rien faire pour un enfant né avant 28 semaines de grossesse. Aujourd’hui, la fron- tière entre la vie et la mort est à 25 semaines.

Voilà qui en dit long sur les progrès réalisés.

Désormais, les bébés qui voient le jour après la 32 e semaine de gestation, ou qui pèsent plus de deux kilogrammes, ont un taux de survie identique à celui des enfants nés à terme. Et beaucoup moins de handicaps qu’on le croit.

Bonne nouvelle, quand on sait qu’un bébé sur 10 naissances est un prématuré.

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M É D E C I N E

O n s a u v e d e s p r é m a t u r é s d e p l u s e n p l u s p e t i t s

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ans quelle commune le premier bébé suisse de 2008 verra-t-il le jour? Comme chaque année, les paris sont ouverts. Ce qui est sûr, c’est qu’il aura une chance sur dix d’être un pré- maturé. Il y a une vingtaine d’années, cette nouvelle aurait été inquiétante. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.

La surveillance de la mère et du fœtus ainsi que la prise en charge des nouveau- nés avant terme ont fait de tels progrès que la mortalité et les séquelles ont consi- dérablement diminué. Tour d’horizon des préjugés à revoir avec le néonatologue Jean-François Tolsa et Yvan Vial, obs- tétricien, au CHUV.

Préjugé n° 1 : Tous les prématurés sont des enfants à haut

risque

Bien au contraire. Aujourd’hui, les bébés qui voient le jour après la 32ese- maine de gestation, ou qui pèsent plus de deux kilogrammes, ont un taux de sur- vie identique à celui des enfants nés à terme. Encore faut-il s’entendre sur les mots. Une naissance est dite «à terme»

lorsqu’elle se produit entre 37 et 42 se- maines de grossesse.

Tout bébé né à moins de 37 semaines accomplies est donc considéré comme prématuré. Sous ce terme se cachent tou- tefois des situations forts différentes, qui dépendent du stade de développement du fœtus. On l’imagine volontiers, la problé- matique n’est pas la même si l’accouche- ment a lieu dans une période assez proche du terme, entre la 32e et la 37esemaine de gestation, ou s’il se produit entre 28 et 32 semaines. On parle alors de «grand prématuré», et de «prématuré extrême»

quand le nouveau-né arrive après 24 à 28 semaines. «Il ne faut toutefois pas bana- liser les risques d’une naissance entre 32 et 37 semaines», précise Jean-François Tolsa, médecin-chef ad interim de la Divi- sion de néonatologie du CHUV.

La «limite de viabilité»

On peut aussi classer les bébés en fonction de leur poids à la naissance. Cet élément a «aussi une influence sur le pro- nostic», explique le spécialiste de néona- tologie. Mais ce facteur, qui peut être dû à un retard de croissance intra-utérin, est moins important que la durée de gesta- tion, période pendant laquelle on assiste à «la maturation des organes» du fœtus.

A partir de la 12esemaine et jusqu’à terme, ce dernier acquiert en effet ce que les médecins nomment son «individuali- sation physiologique» : dans l’utérus, il bouge, il fait des mouvements respira- toires, il règle sa circulation, il secrète des hormones, il avale et il urine. Vers la 25e semaine, ce processus est suffisamment

avancé pour que, dans certains cas, la vie extra-utérine soit possible. Les spécia- listes estiment toutefois qu’il s’agit là de la «limite de viabilité».

Amilia, ce «bébé miracle»

de 284 grammes

Certes, il est parfois possible d’aller au-delà, comme le montre la minuscule Amilia, née en octobre 2006, au Baptist Children’s Hospital de Miami. Ce «bébé miracle», selon les termes des médecins américains qui l’ont prise en charge, a vu le jour après 22 semaines de grossesse et, à sa naissance, elle ne mesurait que 24,1 centimètres, et ne pesait que 284 grammes!

«C’est l’exception qui confirme la rè- gle», commente Yvan Vial, responsable

Jean-François Tolsa, néonatologue au CHUV, privat-docent et maître d’enseignement et de recherche à l’UNIL

© N. Chuard

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de l’Unité échographie et médecine fœtale du CHUV. Ce n’est d’ailleurs sans doute pas un hasard si ce record a été enregis- tré aux Etats-Unis, car, dans ce pays, la

«pression médico-légale est importante»

pour maintenir en vie les patients, même dans des cas a priori désespérés, précise l’obstétricien. Amilia a eu de la chance car à cet âge-là, «la majorité des enfants décède ou garde des séquelles».

Préjugé n° 2 : Un grand prématuré

souffrira plus tard de graves handicaps

Une fois encore, tout dépend du degré de prématurité. Chez les enfants nés avant terme, la principale difficulté est

«l’adaptation du cerveau», explique Jean-François Tolsa. Cet organe ne doit souffrir ni d’un manque d’oxygène, ni

d’une insuffisance de perfusion sanguine – lesquels sont liés au développement des systèmes cardiovasculaire et pulmonaire.

Ce problème «est le même pour toutes les classes de prématurés, ajoute le méde- cin, mais les risques augmentent en fonc- tion du degré de prématurité».

Les enfants nés entre 22 et 23 se- maines ont ainsi un risque de décéder à la naissance estimé à environ 98 %. Mais ces cas sont tellement rares «que l’on n’a pas de chiffres exacts», souligne le spé- cialiste de néonatologie. En revanche, entre 24 et 28 semaines, 30 à 80 % des enfants survivent – un taux qui atteint 90 à 95 % entre 28 et 32 semaines et 97 % au-delà de 34 semaines.

Des progrès spectaculaires

On peut mesurer la vitesse des pro- grès accomplis lorsque Jean-François Tolsa précise que, pour ces prématurés

extrêmes, «entre 1980 et 2000, le taux de mortalité est passé, à Lausanne, de 60 % à 20 %». «Lorsque j’ai commencé ma car- rière à la fin des années 1980, renchérit Yvan Vial, les pédiatres disaient qu’ils ne pouvaient rien faire lorsqu’ils se trou- vaient face à un enfant né avant 28 semaines de grossesse. Aujourd’hui, on en est à 25 semaines.» Trois semaines de différence, cela peut paraître peu. Mais

«en termes de maturité de l’enfant, pré- cise l’obstétricien, c’est énorme et à ce stade, chaque jour gagné est un bon jour».

Reste la délicate question du devenir de ces enfants. «Lorsque le CHUV a ouvert son premier service de néonato- logie, dans les années 1960, on s’est posé la question», précise Jean-François Tolsa. Dès 1971, les professeurs Louis Samuel Prod’hom et André Calame ont ainsi créé une unité chargée de «suivre En octobre 2006, les images chocs de la minuscule Amilia font

le tour du monde (ici «Le Matin»). Né après 22 semaines de grossesse, ce «bébé miracle» ne mesure que 24,1 centimètres pour 284 grammes. Mais il a survécu

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M É D E C I N E

O n s a u v e d e s p r é m a t u r é s d e p l u s e n p l u s p e t i t s

l’évolution de ces enfants nés trop tôt;

c’était alors la première en Europe».

Peu de handicaps sévères

Les prématurés y sont régulièrement suivis à des âges clés : à 6, 12 et 18 mois, puis à 3, 5 et 9 ans. Grâce à cette sur- veillance, on peut aujourd’hui conclure que, «selon l’âge de gestation de départ, 3 à 5 % des survivants souffrent de han- dicaps sévères tels que des infirmités d’origine cérébrale ou de graves troubles du développement. C’est peu en absolu, constate le spécialiste de néonatologie, mais c’est encore trop et nous devons res- ter humbles et modestes.»

Quant aux handicaps dits «mineurs»

– troubles légers de la vision et de l’au- dition, troubles des apprentissages, etc.

– «on pensait auparavant qu’ils affec- taient 15 à 20 % des enfants. Aujourd’hui, on parle de 30 à 40 %.» La différence tient

sans doute essentiellement à la définition du trouble mineur, que Jean-François Tolsa juge «imprécise». Elle évolue en outre au cours du temps: un enfant consi- déré aujourd’hui comme hyperactif était, il y a vingt ans, tout simplement réputé turbulent.

Préjugé n° 3 : A l’adolescence, les prématurés ont des

difficultés d’apprentissage

Ce n’est pas ce qui ressort de la thèse de Barbara Monget, chercheuse à la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL qui a consacré son travail de doc- torat au devenir, à l’adolescence, des pré- maturés. Parmi les 246 enfants pesant moins de 1500 grammes (ce qui corres- pond généralement à ceux qui ont vu le

jour avant 28 à 30 semaines de gestation), nés aux CHUV et hospitalisés dans la division de néonatologie entre 1976 et 1981, elle en a examiné 105, qui ne souf- fraient d’aucun handicap sévère. Ils avaient alors entre 15 et 21 ans.

«Dans l’ensemble, souligne la jeune femme médecin, les anciens prématurés sont en bonne santé.» Certes, elle a constaté que «60 % de ces adolescents ont des troubles visuels mineurs et 27 % des troubles de la motricité fine ou gros- sière». Mais ils n’ont pas de difficultés majeures à l’école.

A 16 ans,

il n’y a pas de différence avec les autres élèves

Si, à dix ans, ils ont plus de retard sco- laire que la moyenne vaudoise, «à 16 ans, cette différence a disparu; par contre, ils sont moins nombreux à poursuivre des

© N. Chuard

Une infirmière prend soin d’un enfant prématuré, à la maternité du CHUV, à Lausanne, en octobre 2007. C’est vers cet hôpital que sont acheminées toutes les femmes de Suisse romande

(sauf les Genevoises) qui ont des grossesses à risque

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études supérieures entre 16 et 19 ans (24 % contre 35 % dans la population générale)».

Barbara Monget note aussi que dans leur grande majorité (93 %), ces jeunes

«ont une bonne estime d’eux-mêmes.

Comparés au groupe témoin, ils ont moins d’idées suicidaires, de comporte- ments déviants ou à risque et consom- ment moins d’alcool et de haschich.» Et le médecin de conclure : «Malgré des pro- blèmes somatiques et neurologiques plus fréquents, les anciens prématurés ont une insertion socioprofessionnelle satisfai- sante et estiment avoir une bonne qua- lité de vie.»

Préjugé n° 4 : C’est parce que les mères sont plus vieilles

que leurs enfants naissent trop tôt

Il est vrai que l’âge moyen des mères a augmenté en Suisse ces dix dernières années, passant d’environ 28 à 31 ans.

Cela «entraîne une augmentation des complications de la grossesse ainsi que le risque d’accoucher prématurément», constatent Yvan Vial et Jean-François Tolsa. Mais ce n’est là qu’un des nom- breux facteurs qui favorisent les nais- sances avant terme.

Parmi les diverses causes de la pré- maturité, le néonatologue cite d’abord

«les infections, bactériennes ou virales, principalement des voies génitales bas- ses». Mais il arrive aussi qu’une infec- tion rénale, urinaire ou même une sinu- site ou un état grippal conduisent à une inflammation pouvant engendrer des contractions de l’utérus.

A cela il faut ajouter les grossesses multiples : qu’elles soient naturelles ou qu’elles résultent d’un traitement de pro- création médicalement assisté, elles sont responsables d’environ un quart des nais- sances prématurées. Il faut aussi inclure certaines malformations ou syndromes du fœtus qui empêchent ce dernier de bien se développer : dans ces circons- tances, les médecins peuvent être con-

duits à provoquer, volontairement, l’ac- couchement avant terme.

Ils peuvent aussi être amenés à prendre cette décision dans d’autres situations. Notamment lorsque la mère a un utérus mal formé et qui «n’est pas assez souple pour se distendre normale- ment», comme le précise Yvan Vial. Sans compter, ajoute l’obstétricien, que cer- taines naissances prématurées sont dues au «stress» de la mère, ou à des «condi- tions socio-économiques» : il est bien connu qu’une femme qui est obligée de porter régulièrement de lourdes charges risque d’accoucher avant terme.

Préjugé n° 5 : La Suisse est l’une des championnes

des prématurés en Europe

C’est en effet ce qui ressort d’une étude publiée, en juillet dernier, par l’Of- fice fédéral de la statistique. Selon cette enquête, la Suisse, avec 9 % d’enfants nés avant terme, arriverait en deuxième posi- tion après l’Autriche.

Cette enquête provoque toutefois un certain scepticisme de la part de Jean- François Tolsa. Ce dernier remarque en effet que les conclusions de l’Office reposent sur une étude rétrospective incluant seulement 63 000 des quelque 72 000 naissances annoncées en 2004.

«Environ 13 % des données n’étaient pas suffisamment fiables pour entrer dans cette étude», ce qui en fausse partielle- ment les résultats.

Des données incomplètes

Surtout, le néonatologue du CHUV s’interroge sur les données de base uti- lisées pour mener cette enquête : «L’en- registrement systématique de l’âge de gestation pour toutes les naissances inter- venant en Suisse n’a commencé qu’au 1er janvier 2007.» On peut donc sérieuse- ment douter de la pertinence de ces sta- tistiques et sur le résultat de comparai- sons avec des pays qui, eux non plus,

«n’enregistrent pas les durées de gesta- tion».

«Ce n’est donc qu’à partir de 2008 que nous disposerons d’une statistique pré- Yvan Vial, obstétricien au CHUV, privat-docent et maître d’enseignement

et de recherche à l’UNIL

© N. Chuard

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M É D E C I N E

O n s a u v e d e s p r é m a t u r é s d e p l u s e n p l u s p e t i t s

cise sur le nombre de prématurés dans notre pays et que nous pourrons faire des comparaisons dans la durée. Attendons, avant de distribuer des médailles!»

conclut le médecin.

Entre 7 et 10 % de prématurés

En patientant, on en est réduit aux estimations selon lesquelles le taux de prématurés se situerait entre 7 % et 10 % en Europe occidentale. Au CHUV, cette proportion – qui est d’ailleurs restée qua- siment constante au cours des dix der- nières années – oscille entre 13 % et 15 %.

N’allez pas croire que l’hôpital vaudois est un champion en la matière. Ce taux élevé de prématurés s’explique simple- ment par le fait que ses services d’obs- tétrique et de néonatologie font du CHUV un Centre périnatal de référence.

C’est donc vers lui que sont acheminées toutes les femmes de Suisse romande qui

ont des grossesses à risque, à l’excep- tion de celles habitant dans le canton de Genève.

Préjugé n° 6 : Les médecins ont tendance à faire de

l’acharnement thérapeutique

Jean-François Tolsa tient à mettre les choses au point : «Certaines familles crai- gnent que l’on soit jusqu’au-boutiste. Ce n’est pas le cas, nous ne faisons pas d’acharnement thérapeutique.» Les mé- decins suisses peuvent en effet s’appuyer sur les recommandations éthiques de l’Académie Suisse des Sciences Médi- cales et de la Société Suisse de Néona- tologie. Celles-ci précisent que «sur la base des données actuellement dispo- nibles sur la mortalité et la morbidité à

long terme, la prise en charge des pré- maturés d’un âge de gestation inférieur à 24 semaines devra en règle générale se limiter à des mesures palliatives». Au- delà de 24 semaines, «la décision quant à la pertinence d’une prise en charge intensive incombe à une équipe de néo- natologie expérimentée».

Ces règles éthiques sont «une des qua- lités de notre système», souligne le méde- cin vaudois qui constate que dans d’au- tres pays, notamment aux Etats-Unis, le personnel médical soignant et les parents n’ont pas le choix.

Estimer les chances

Au CHUV comme dans les autres hôpitaux suisses, il revient donc aux soi- gnants d’estimer «raisonnablement» les chances et les risques de l’enfant. «Les discussions se font toujours dans le cadre d’équipes pluridisciplinaires, souligne

© N. Chuard

Ce médecin consulte sur écran les radiographies d’enfants prématurés, à la maternité du CHUV

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Yvan Vial. Aucun d’entre nous ne prend de décision dans son coin.» Ensuite,

«nous informons les parents des risques qu’encourt leur enfant et nous tenons compte de leur avis», poursuit Jean- François Tolsa. Mais, afin d’éviter aux parents le trop gros poids psychologique que représente une telle décision, c’est en général «nous qui la prenons».

Il arrive toutefois qu’un père et une mère refusent l’avis de l’équipe médicale, et lui demandent de continuer à traiter leur bébé. Corine Stadelmann-Diaw, infirmière clinicienne qui travaille depuis vingt ans au service de néonatologie du CHUV, se souvient de situations où «les parents s’étaient fortement opposés à l’ar- rêt des soins. Mais au bout de quelques

semaines, voyant que leur enfant n’allait pas mieux, ils ont demandé de pouvoir rediscuter avec l’équipe médicale. Ils avaient simplement besoin d’un peu plus de temps.»

«L’aspect difficile de notre métier»

Reste que, selon Jean-François Tolsa, prendre la décision de cesser de traiter un prématuré «représente l’aspect diffi- cile de notre métier. Il ne faut pas que cela arrive trop souvent.» Corinne Sta- delmann-Diaw souligne aussi qu’il est

«difficile d’être placé face au décès d’un individu qui est au début de sa vie». Mais, en contrepartie, l’infirmière éprouve aussi «de grandes satisfactions» dans son

travail, car, dit-elle, «nous avons de nom- breux retours des parents qui viennent nous voir pour nous montrer ce que sont devenus leurs enfants».

Car si les prématurés, dans les pre- miers jours ou semaines de leur vie, nécessitent un suivi médical, et même parfois des soins intensifs, dans leur majorité, ils deviennent ensuite des enfants comme les autres.

Elisabeth Gordon

© N. Chuard

Actuellement, on estime que le taux de prématurés se situerait en 7 % et 10 % des naissances en Europe occidentale.

Au CHUV, spécialisé en la matière, ce taux atteint 13 % à 15 %

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