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Madame Julie Lavergne Jeune fille

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Madame Julie Lavergne

Jeune fille

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Ch. Cordonnier

Silhouettes familiales

MADAME

JULIE LAVERGNE

JEUNE FILLE

d'après sa correspondance inédite

PARIS

Edit. Jacques Vautrain

16, Avenue de Breteuil Librairie Saint-Paul 6, Rue Cassette

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A la mémoire de ma sœur, dont le passage ici-bas fut bien court, mais d'influence si bienfaisante.

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CHAPITRE I LES PREMIERS PAS

Parmi les talents dont s'enorgueillit à bon droit la littérature du XIX siècle, celui de M Julie Lavergne mérite incontestablement une estime toute particulière. Son nom est synonyme de grande dé- licatesse dans la pensée et d'une rare distinction dans le style. Son œuvre d'admirable conteuse a fait la joie de beaucoup.

Fi donc, me direz-vous, une conteuse ? Estimez- vous les contes, ce genre mi-sérieux, mi-badin, irréel au demeurant, issu d'une imagination vaga- bonde et s'adressant à d'autres imaginations plus soucieuses de se complaire dans le rêve que de se fixer dans la réalité de l'existence?

Entendons-nous. Ecrire des contes pour l'ex- clusif plaisir de faire des récits et d'amuser le pu- blic peut paraître futile. Mais il y a d'autres fa- çons d'envisager ce genre et Julie Lavergne le comprît à merveille.

Ne nous arrive-t-il pas en effet d'entretenir en nous des idées chères ? Ces idées, nous les dispu- tons au temps, ce dévastateur universel, nous

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essayons de les faire prévaloir dans l'opinion d'au- trui. Peine perdue. Le temps poursuit sa course et les autres tiennent à leurs pensées dans la me- sure au moins où nous tenons aux nôtres. Alors, si nous les revêtions d'une forme vivante? Sous ce vêtement d'emprunt elles auraient chance de du- rer. Si nous rendions cette forme attrayante par ses vertus, émouvante par ses luttes, malheureuse ou du moins incomprise dans ses dévouements? si nous la mêlions à une de ces intrigues trop habi- tuelles à nos vies traversées, n'aurions-nous pas l'espoir de la faire accepter aux intelligences de nos semblables, rebelles aux abstractions mais sen- sibles aux vérités agréablement présentées? Serait- ce alors inutilité ou profit?

Ou bien, sans en avoir l'air, si nous dressions en face du public un personnage qui lui semblera de rêve mais dont la réalité répond pour nous à un souvenir enchanteur du passé, de nos affections, de nos espérances, surtout si ce passé, ces amours, ces espérances sont avouables; si nous redonnions ainsi l'être à ce que nous avons aimé, sans qu'ils s'en doutent, les lecteurs communieraient par une aventure inattendue aux plus intimes mouvements de notre cœur. Ce serait pour nous une joie pro- fonde. Et pour eux, petits ou grands enfants, tou- jours sensibles aux émotions, ne serait-ce point une histoire profitable? Elle instruirait, elle occuperait des pensées souvent errantes, elle ferait sourire.

Mon Dieu, serait-il mal d'apporter ces allègements à l'humanité besogneuse?

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Dans ces cas divers ne sont-ils pas dignes de notre admiration, de notre reconnaissance, nos fai- seurs de contes ?

Le mérite au surplus de Julie Lavergne fut d' a- voir su accumuler longtemps dans sa vie les im- pressions profondes avant de nous les communi- quer. Comme une artiste, — elle le fut si jeune elle était soucieuse de ne perdre aucun détail, afin d'enrichir sa palette. Elle observait les êtres, étu- diait les caractères, notait les incidents, analysait les nuances, contemplait à loisir, en s'en impré- gnant, la vie des personnages mêlés à la sienne.

Puis, une fois cueilli tout son butin, elle l'emporta à l'atelier où elle lui fit subir, sous l'influence de son esprit et de son cœur les transformations déli- cieuses, source pour nous des joies les plus pures.

Ainsi la réalité leur donna naissance, la litté-

rature leur ajouta sa poésie, son âme sut en tirer

la leçon morale. Pendant 27 ans en effet la tâche

d'épouse et de mère occupa toute sa pensée. Elle

restait paisiblement chez elle, soignant l'éducation

de ses enfants, tenant les livres de compte, écrivant

des lettres d'affaires, attendant le retour de son

mari, et s'offrant au monde des relations, toujours

superficiel, comme une âme assez terre à terre,

peu voisine de l'idéal. C'était pourtant l'époque où

lentement s'amassait en elle le monde de souvenirs,

de vérités, qui rempliront ses contes. Elle atten-

dait l'heure de leur donner une forme. Cette heure

vint, quand les enfants eurent grandi et se furent

éloignés; elle le dira elle-même en termes tou-

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chants dans la dédicace de ses « Neiges d'an- tan ». Une autre fois elle ajoutera : « Vous m'a- vez demandé où je prenais ces contes. Où je les prends? Je les prends où je les trouve et ils éclo- sent pour moi dans un champ, dans un nuage, dans une fleur ».

Ainsi successivement elle écrivit : les Neiges d'antan, les Légendes de Trianon, les Chroniques Normandes, les Jours de Cristal, les Chroniques de Montbriant, le Chevalier de Trélon et les Stuarts en France, les Chroniques parisiennes, l'Arc-en- Ciel, les Contes français, les Captifs de Jumièges, les Fleurs de France, les Récits normands, le Sa- vant à l'école, la Maison de porcelaine, les Légen- des de Fontainebleau, les Etincelles, pour ne par- ler que de ses contes proprement dits et sans faire mention des Nouvelles données à « la Femme et la Famille », à « la Semaine des Familles » et à

« l'Illustration pour tous ».

C'est un assez joli bagage littéraire.

Sa vie, passée près d'un mari : Claudius La- vergne, artiste et chrétien, dont l'âme vibrait à l'unisson de la sienne, embellie par la naissance de sept enfants, fut traversée par des souffrances tout intimes. Elles la purifièrent et la firent monter à des hauteurs respectables. Elles affinèrent aussi son esprit et communiquèrent à sa plume une no- blesse de touche et une émotion très prenante.

Un fils au cœur particulièrement délicat, doublé

d'une intelligence remarquable et d'un goût litté-

raire puisé à bonne école, a écrit la vie de sa mère.

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En des accents inimitables, définitifs, il lui a élevé un monument digne d'elle. Poème ? Cantique? ou fresque? Les trois à la fois. On aime à en parcou- rir les pages. On aimerait surtout, avant d'admi- rer le tableau, à en étudier l'ébauche. Les pre- mières années d'une vie, l'âge où la fleur se forme dans le silence mystérieux du bouton, seraient in- finiment éloquentes. Mais les initiés seuls, mais les familiers seuls peuvent pénétrer le secret de ces germinations. Les autres resteront toujours des pro- fanes et devront se contenter de contempler l'œu- vre achevée; à moins que les privilégiés dont je parlais ne les introduisent dans un sanctuaire jus- qu'alors respectueusement fermé.

Nous eûmes ce bonheur.

La main filiale a recueilli pieusement toute la correspondance de jeune fille de M Julie La- vergne. Et ce trésor de prix nous fut confié, avec la bienveillante autorisation d'y pouvoir puiser à pleines mains. Nous avons donc suivi pas à pas le développement des facultés de cette enfant douée de façon prodigieuse. Il est vrai : près d'elle la Providence avait placé un guide de première valeur. Son père, M. Georges Ozaneaux, Inspec- teur général de l'Université, voulut faire bénéficier d'abord sa fille de ses talents. Il la suivit dans les détails de son éducation, la façonna, l'instruisit et trouvant en elle un esprit répondant admirable- ment à sa sollicitude, la mena où nous le verrons.

C'est donc cette formation morale d'une jeune

fille que nous voulons essayer de décrire. L'œuvre

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nous a paru infiniment attrayante. Puissent ces lignes ne point déprécier dans l'esprit des lecteurs le modèle délicat qui leur donna naissance.

Julie Ozaneaux naquit à Paris le 19 décembre 1823.

Elle trouva en naissant un milieu familial par- ticulièrement heureux.

Chez elle on avait de la vie et surtout des ver- tus domestiques une très haute idée, réclamant pour leur acquisition une initiation lente, intelli- gente, prolongée. Les parents, par leurs exemples, leurs conseils en doivent être, M. Ozaneaux le redira souvent à sa fille, les premiers agents.

L'ambiance universelle qu'elle trouva en ve- nant au monde eut aussi une influence sérieuse sur son âme, 1823 : il devait, semble-t-il, faire bon de naître à cette époque. Si les quinze premières années du siècle avaient été singulièrement ensan- glantées, depuis quelque temps le monde se repo- sait d'interminables luttes. Enfin on respirait en paix.

Pie VII était mort le 24 août et Napoléon l'a- vait précédé de deux ans dans la tombe. Ils em- portaient avec eux le souvenir des querelles poli- tiques et religieuses, sources d'affolement pour les nations et de désolation pour les consciences.

L'Europe venait de s'organiser — du moins elle le croyait — solidement par les traités de 1815.

Chez nous la restauration de la monarchie sé-

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culaire laissait pressentir comme un renouveau de la gloire attachée aux gestes du passé. La crise sociale était à ses débuts, différentes écoles s'ou- vraient pour la résoudre; elles y mettaient tant d'ardeur et de bonne volonté ! Nul ne doutait de l'échéance prochaine où des conclusions heureuses pacifieraient les esprits. La littérature montait vers la splendeur; elle en atteindra l'apogée vers 1830.

L'Eglise avait ses défenseurs. Sa doctrine allait retrouver le chemin du peuple avec : les Missions de France inaugurées par le Père Rauzan, l'Abbé Legris-Duval, Charles de Forbin-Janson. L'Abbé de Lamennais, cette même année 1823, jetait au vent du siècle son Essai sur l'Indifférence, appor- tant encore par ses accents puissants un soutien admirable aux efforts des missionnaires. De nou- velles congrégations se fondaient; la plupart res- tauraient par leur titre (Marianites, 1816; Petits Frères de Marie, 1816; Maristes, 1823; Oblats de Marie, 1820) et par leurs pratiques le culte légendaire de la France à la Reine des Cieux. La Compagnie de Jésus était reconstituée pour l'Eglise Universelle depuis le 7 août 1814 et ren- trée en France depuis 1815. La Congrégation des Dames du Sacré-Cœur, fondée en 1800, celle des Dames de Nazareth en 1822, avec tant d'autres se mettaient à pétrir de nouveau, de délicatesse et de foi, la jeunesse féminine; les anciens ordres reprenaient leur tâche interrompue par la Révolu- tion. L'enseignement catholique s'imposait par les faits et entreprenait cette lutte mémorable d'où de-

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vait sortir en 1850 la conquête de la liberté. Et si l'esprit irreligieux persistait dans le corps universi- taire, malgré la présence à sa tête depuis 1822 de Mgr Frayssimous, la jeunesse des écoles essayait de réagir contre les idées voltairiennes.

1823, c'était le moment où Jouffroy réunissait quelques élèves d'élite dans son appartement de la rue du Four. Là, il leur parlait du beau, du bien moral, de l'immortalité de l'âme, de quelque autre de ces vérités, alors presque nouvelles, du christia- nisme. A ce moment aussi Vigny, Soumet, Victor- Hugo, Nodier formaient dans le fameux salon de l'Arsenal les premières réunions d'où devait éclore le mouvement romantique. Royer-Collard voyait poindre l'avènement d'une nation nouvelle et Gui- zot avait loué : « cette jeune génération, l'espoir de la France, que la Révolution et Bonaparte n'avaient ni brisée, ni pervertie » (Thureau-Dan- gin, Correspondant du 25 mars 1876, p. 938). Le XIX siècle à ses débuts promettait plus qu'il n'a tenu; mais en ces premières années il donnait droit à tous les espoirs. On vibrait à ses essais, on applaudissait à ses premiers succès. L'air était plein des bruits de luttes déjà triomphantes.

M. Ozaneaux par sa situation était au premier rang pour en ressentir les émotions, pour les com- muniquer autour de lui.

Tout de suite les exemples, plus tard les con-

seils, en un mot une éducation complète préparè-

rent l'enfant qui venait de naître à tenir avec hon-

neur le rôle réservé par la Providence.

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Georges Ozaneaux, son père, avait alors 28 ans.

Né à Paris en 1795, il avait dans l'Université parcouru tous les degrés. Le prix d'honneur de philosophie, obtenu par lui au Concours général de 1812, avait attiré l'attention sur son nom. En- tré premier à l'Ecole normale supérieure, cette même année, — à l'âge de 17 ans, — il avait parcouru avec succès tout le cycle d'un enseigne- ment qui marque d'une empreinte ineffaçable ceux qui en ont bénéficié. Universellement respecté pour sa haute intelligence et sa conscience profession- nelle à laquelle s'ajoutaient de solides convictions religieuses, il était professeur agrégé de philoso- phie au Collège royal Charlemagne quand naquit sa fille Julie. Il ne tardera pas à obtenir de l'Uni- versité la situation plus honorable à laquelle lui donnaient droit ses aptitudes.

Presque à la même époque, et alors que tout entier à ses affections familiales, il s'oubliait lui- même, mettant de côté toute ambition pour se con- sacrer à sa femme et à son enfant; deux faits, l'un personnel, l'autre d'ordre politique, faillirent trans- former sa carrière. Tout à son honneur, ils méri- tent d'être rappelés.

A cette époque Louis-Philippe encore duc d'Orléans, vivait à Neuilly, se tenant volontaire- ment à l'écart de toute intervention politique, gar- dant une juste mesure entre l'opposition dont il partageait les principes et la royauté dont il vou- lait la grandeur. Il aimait à s'entourer, mécène gé-

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néreux et intelligent, de tous les beaux esprits de l'époque. Il se préoccupait aussi d'assurer à ses fils : le duc de Nemours et le principe de Joinville, une éducation conforme à leur situation exception- nelle. Il avait remarqué le jeune professeur et en avait entendu faire beaucoup d'éloges. Pourquoi ne se l'attacherait-il pas? Il lui proposa donc de devenir le précepteur de l'un des deux princes, celui à qui il se serait cru susceptible de faire plus de bien. Le choix était honorable; la réponse n'é- tait pas moins délicate, et G. Ozaneaux hésitait.

Le duc d'Orléans voulut lui faciliter les choses et l'invitait fréquemment pour lui fournir dans l'inti- mité d'une vie à laquelle il le mêlait, le moyen d'étudier le caractère des deux enfants.

Un avenir brillant s'offrait donc à G. Oza- neaux; il n'avait qu'à donner son assentiment. Il ne put se résoudre à le faire. Il apprécia en son âme la vie, heureuse, honorable qui s offrait et regarda d'autre part le foyer familial, qu' il aurait dû, au moins pour le moment, quitter. Ceci l' em- porta sur cela. Avec reconnaissance, et avec loyauté, il expliqua au duc d' Orléans, le motif de son refus. Celui-ci s'émut de la détermination, re- gretta davantage le jeune professeur, mais eut la grandeur d'âme de ne pas insister. Il lui garda même une amitié précieuse.

M. Ozaneaux de son côté professa pour le prince un attachement, qui ne se démentit point.

Quand les événements firent du duc d 'Orléans, le roi Louis-Philippe, le professeur fut des premiers

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à s'en féliciter. Et plus tard, il lui consacra dans son « Histoire de France » ces lignes éloquentes :

« Louis-Philippe, comme Napoléon, à la fin du siècle dernier, comme Hugues Capet à la fin du dixième était le seul homme, qui put en ce mo- ment, sauver la France, parce que comme eux, il était l'expression vivante des besoins et des idées de son époque. Sans parler de sa raison supé- rieure, formée par une longue expérience des hom- mes et des choses, de ses vertus domestiques, qui inspiraient à tous une estime profonde, l'heureux mélange qu'on trouvait en lui de la dignité de prince et des habitudes d'un citoyen, les souvenirs de sa jeunesse vouée à la défense du pays et à la cause d'une sage liberté donnaient au pays des garanties certaines pour le maintien des institu- tions libérales ».

Il gardera ces sentiments toute sa vie. De là sans doute naquirent et se développèrent dans l'âme du père d'abord et dans le cœur de la fille ensuite les préférences monarchiques dont sa cor- respondance donnera souvent les marques.

L'autre fut d'un ordre plus général. On était en 1828. La Grèce asservie à la Turquie depuis les traités de 1815, avait été opprimée dans sa foi, sa nationalité, ses habitudes par l'Etat sangui- naire, que l'imprudence européenne lui avait donné pour maître. Elle s'était révoltée contre son vain- queur et les souvenirs de son passé glorieux, l'é- nergique résistance faite jadis, continuée depuis, à l'oppression de l'Islam, avaient provoqué l'en-

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thousiacme, et suscité des soutiens, grâce à la plume de Chateaubriand, de Lord Byron. Ce der- nier avait même pris les armes pour appuyer son plaidoyer. Georges Ozaneaux se sentit plein d'a- mour pour cette nation qui se débattait, ne voulant pas mourir. Son âme d'humaniste lui rappela les gloires de la Grèce antique.

Celle -ci, la Grèce des temps modernes, semblait vouloir la renouveler dans le désespoir d'une ré- sistance qui avait plus d'un point de contact avec celle de Léonidas.

Il écrivit un drame en vers intitulé : « Les der- niers jours de Missolonghi » ; demanda à Hérold de composer la musique de l'ouverture et des choeurs, sollicita le concours de Lockroy et Beau- vallet, deux acteurs célèbres en ce temps et donna sa pièce à l'Odéon. Ce fut un succès éclatant.

Allait-il se lancer dans le théâtre où il semblait déjà fêté? Ou bien, tout en gardant la chaire de philosophie qu'il occupait alors à Louis-le-Grand, emploierait-il ses loisirs à composer d'autres dra- mes ? La question se posa dans son esprit. Les évé- nements se chargèrent de la solutionner.

La révolution de juillet 1830 l'éloigna de Pa- ris, le mettant ainsi dans l'impossibilité morale de songer à autre chose qu'à sa fonction d'enseigne- ment. Il avait à ce moment 35 ans et trois enfants Julie, née en 1823, Clotilde née en 1826, Lucien né en 1829. En septembre 1830, il était nommé recteur de l'Académie de Bourges. A peine ins-

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tallé, il était envoyé à Clermont-Ferrand où il ne fit que passer; en 1831, il était recteur à Tou- louse; en 1835, il revenait à Paris avec la Légion d'honneur et le titre d'Inspecteur général des étu- des, consécration d'une carrière toute vouée à l'œuvre primordiale de l'enseignement.

Si l'administration reconnaissait ainsi le mérite de M. Ozaneaux, quel bienfait pour Julie d'avoir pour précepteur un homme de cette valeur. Quand s'éveillant à la vie elle trouvera près d'elle cette intelligence et ce cœur pour guider son esprit et diriger ses pas, il y aura tout de suite de la part de l'un une vigilance éclairée — fruit et bienfait de l'expérience, — et l'autre répondra à ses soins avec une telle spontanéité que l'œuvre d'habitude laborieuse de l'éducation prendra très vite, nous

allons le voir, les allures d'une marche rapide vers les sommets.

La mère de Julie : Catherine-Lucie Sproit était née à Lille en 1 799. Elle avait deux frères : César et Jean. Le premier mourut jeune et laissa une fille, Joséphine, que Jean recueillit à la mort du père. Le second, Jean, eut comme enfants : Félicie et Eugène. Les cousins et cousines de Ju- lie tinrent une grande place dans sa vie. Leurs noms passent souvent dans ses lettres en termes très affectueux. Pourtant l'ironie, qui lui était fa- cile, souligne parfois d'une façon caustique les défauts de ces natures apparemment frustes, sur- tout si on les compare à la sienne. Disons-le à leur décharge : ils n'eurent pas, comme elle, la

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faveur de trouver près d'eux, une intelligence ex- ceptionnelle. Elle les aurait certainement affinés.

Le 12 avril 1833, elle écrivait à sa Bonne-Maman Sproit : « Je voudrais bien aller à Lille pour em- brasser mon petit cousin Eugène. » Dans la même lettre, elle ne se gênait pas pour faire amicalement la leçon à sa grand'mère : « Tu nous oublies, tu ne nous écris pas; cela fait beaucoup de peine à maman, aussi je t'écris pour te reprocher ta pa- resse. » L'audace est de tous les âges.

A vrai dire, dans la formation morale de Julie, la mère apparaît à peine. On la devine plus qu'on ne l'aperçoit, s'effaçant presque totalement devant la forte personnalité de son mari. On la sent toute à son œuvre de l'intérieur. Partout présente, et partout discrète, elle ressemble à nos anges gar- diens, toujours agissants et toujours invisibles, rem- plissant leurs rôles doucement et inlassablement.

Ainsi elle embellissait son foyer d'amour et de dévouement, Lorsque plus tard, épouse et mère, Julie cherchera un modèle, d'instinct elle se rappel- lera cette mère qui en silence avait façonné son âme. Elle lui donnera par l'amour reconnaissant et le deuil qu'elle portera de sa mort les plus en- viables témoignages d'estime et d'affection. Pour l'instant, l'enfant profite de son courage et de son dévouement, car sa naissance avait coûté cher à cette jeune maman de 24 ans, et l'allaitement se faisait au prix de souffrances atroces provoquées par de douloureux abcès. Pourtant, nous dit M. Ozaneaux, dans son journal : « Jamais elle

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n'eut la pensée d'éloigner son enfant de son sein;

elle a fait son devoir avec courage, avec plaisir;

et la joie qui venait de son enfant et l'amour pour cet être faible qui n'était bien que dans ses bras, semblaient anéantir le sentiment de ses douleurs.

« Le temps a emporté les maux, il en effacera le souvenir, et la grandeur du sacrifice disparaîtra aux yeux de celle qui l'a supporté; c'est pourquoi j'écris ces lignes, je veux que ma fille connaisse un jour les bienfaits de sa mère. »

Elle ne les a pas ignorés, et s'en est montrée toute sa vie profondément émue. Ainsi le père et la mère s'unissaient dans le seul amour qui compte pour ceux qui savent l'apprécier : l'amour marqué par les sacrifices. Le père avait accepté ceux de l'extérieur qui visaient sa carrière; la mère atten- tive aux soins de l'intérieur, immolait son repos, ses aises, quelque peu de sa santé pour le déve- loppement de son enfant. C'est avec des gestes comme ceux-là que l'on assure l'avenir. Et il n'y aurait aucune exagération à prétendre que si Julie Ozaneaux fut plus tard l'épouse et la mère que l'on sait, elle en puisa le secret, très jeune, dans ces années, où pour ne pas la quitter le père res- tait au foyer et où la mère lui donnait son lait avec amour, mais douloureusement.

C'est aussi par son père que nous savons les im- pressions que procura au jeune ménage l'arrivée de cette enfant. Il aimait à noter au jour le jour les divers sentiments procurés à son âme par les événements quotidiens. Une naissance, une pre-

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mière naissance surtout, dans un foyer où l'on ai- mait à embellir par les pensées de la foi, les cir- constances ordinaires, devait provoquer des accents émouvants.

Nous nous reprocherions de retrancher un seul mot à cette peinture que nous a laissée son père des émotions qui s'agitaient en son cœur pendant la journée d'attente et à l'instant où des cris d'en- fant lui annoncèrent la naissance attendue.

La voici :

19 décembre 1823.

« Julie est née cette nuit, à deux heures. Il est bien cruel d'être époux dans ces moments : l'ima- gination ne peut pas s'arrêter sur l'espérance. On ne voit que des souffrances, on en rêve de plus affreuses encore; et la mort semble là, demandant une victime.

« Le mal a commencé dans la nuit du 17 au 18. Pendant la journée, j'ai couru dans la ville, cherchant à me distraire d'une inquiétude qui ne soulageait rien, et dont l'aspect était un mal de plus. J'ai prié à Saint-Germain-l'Auxerrois pour mon enfant, pour sa mère, à la place même où je priai pour mon père, pour Julie. Une frayeur su- perstitieuse s'était emparée de moi; je me disais : ces prières ne furent point exaucées, mon père et Julie ont succombé; cette place est fatale...

« Le soir, à 7 heures, j'ai couru comme un

fou sur les boulevards; ils étaient déserts; la lune

se levait sur le cimetière où Julie repose. Les gé-

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missements de mon amie semblaient me poursuivre et aucune pensée consolante ne venait me sourire.

Je suis revenu à pas précipités... toujours des souf- frances aiguës. J'interrogeais tous les visages, et les regards n'exprimaient que l'attente.

« A minuit, après de longs combats entre le désir de rester et le besoin de m'éloigner, je me suis jeté sur un lit. J'ai dormi, ou plutôt j'ai rêvé deux heures. Je m'éveille tout à coup, je regarde à ma montre, et je m'élance, dans une angoisse inexpri- mable. Au moment d'ouvrir la porte fatale, j'é- coute : toutes mes facultés, mes sens sont absorbés par ce silence; tout à coup j'entends un cri d'en- fant...

« Il n'est pas de mots pour exprimer ce que j'éprouvai. Celui de bonheur ne signifie rien : c'était quelque chose hors de cette vie; et s'il est une langue pour peindre ces sentiments, celui-là seul peut la parler qui nous les a donnés, et pour la comprendre, il faut les éprouver.

« Aussi je ne raconte pas ces émotions; j'in- terromps ceux qui m'en parlent; je crains d'en voir profaner la pureté par l'expression triviale de nos joies ordinaires.

« J'ai embrassé ma bien-aimée, dont les traits étaient abattus par la douleur, tandis que ses yeux rayonnaient de bonheur et de tout l'éclat d'une nouvelle existence. C'est alors qu'une femme est un être supérieur; c'est alors qu'on sent le véri- table amour et qu'on devine le secret de la nature.

« Qu'elle était jolie, cette enfant qui essayait

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la vie; ses lèvres semblaient faites pour le sourire, ses yeux étaient sereins, rien n'avait encore altéré ses traits. Mais elle venait d'entrer dans le monde où l'on souffre, et la douleur s'est jetée sur sa nou- velle proie. Son visage s'est décomposé, elle a connu le mal.

« J'ai déposé le premier baiser sur le front de ma Julie, j'ai béni mon enfant. Puisse cette béné- diction l'accompagner jusqu'à son dernier jour, puissent les vœux que j'ai faits pour elle se réa- liser.

« Si Dieu te conserve à tes parents, qu'il te les conserve aussi; jusqu'au jour où tu n'auras plus besoin d'eux. Qu'ils puissent te donner des vertus, seule richesse de la vie!

« Que ton union ressemble à la mienne.

« Que tes enfants te respectent, te chérissent, comme tu dois nous respecter et nous chérir un jour.

« Que les belles années de ton enfance et de ta jeunesse ne lèguent à tes vieux ans que des souve- nirs de bonheur et d'amour.

« Et qu'à ta dernière heure, ton regard soit aussi serein qu'il le fut à ta première. »

Il la suivra ainsi pas à pas dans la vie. A l'heure où elle est, le développement n'est évidem- ment pas considérable. Beaucoup d'étrangers, en s'approchant d'un enfant au berceau découvrent surtout un petit être tremblant et vagissant. Les parents perçoivent les détails d'une croissance, im-

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perceptible pour les autres : les membres qui s af- fermissent, la santé qui s'impose peu à peu à l'existence, l'intelligence qui doucement s'ouvre à la lumière. M. Ozaneaux surveille tout cela et nous en rend compte avec une précision où peut- être le cœur parle plus haut que les faits. Le 23 décembre 1823, l'enfant avait cinq jours, son père note sur son carnet :

« Ses traits sont réguliers, ses yeux grands et bleus, ses cheveux noirs, sa bouche bien faite; le tour de son visage est charmant; elle a l'air d'un petit ange. Ses membres sont bien proportionnés.

ses petites mains sont mignonnes, ses pieds déli- cats.

« Le 20, Julie a fait sa première sortie, par un temps affreux; on l'a portée à la mairie, bien enveloppée. Elle n'a pas crié une fois. On l'a en- registrée (N° 708) sous les noms de Cécile-José- phine-Julie. Elle est Française.

« Depuis ce moment elle continue à se bien porter; elle dort bien. Plus d'une fois déjà je l'ai endormie dans mes bras; j'aime à partager ces premiers soins avec ses deux grand'mères et la garde. La maman seule en jouit peu, parce qu'elle est dans son lit, et qu'on ne veut pas la fatiguer, mais bientôt elle possédera sa fille; nous voulons qu'elle doive à nous seuls tout ce qui doit contri- buer à son bien-être.

« Julie sait déjà comparer et distinguer quel- ques sensations; elle a le sentiment de la cause,

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Cum licentia Ordinarii + ANDRÉ DE LA VILLERABEL

Archev. de Rouen Rouen, le 5 décembre 1932

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