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Des différentes formes d'accouchements anonymes

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Master

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Des différentes formes d'accouchements anonymes

DOS SANTOS ANDRADE, Catia

Abstract

Le présent travail s'ouvrira sur un bref historique de l'abandon des nouveau-nés en Europe et une présentation des principales raisons conduisant une mère à abandonner son enfant (II).

En guise de réactions à l'abandon, chacune des trois formes « d'accouchements anonymes » sera présentée dans la partie suivante (III). Débutant par la définition de chacune d'elles, il s'agira ensuite de saisir les enjeux de leur introduction ou maintien dans la réglementation suisse. Quelle que soit la forme de l'abandon, celui-ci entraine une séparation entre la mère et son nouveau-né. Ce dernier, en grandissant, s'interrogera immanquablement sur l'identité de la femme qui lui a donné la vie. Dès lors, la problématique des « accouchements anonymes » est intrinsèquement liée au droit de l'enfant de connaître ses origines. La dernière partie portera donc sur les sources et la portée du droit à la connaissance de ses origines dans l'ordre juridique suisse (IV).

DOS SANTOS ANDRADE, Catia. Des différentes formes d'accouchements anonymes. Master : Univ. Genève, 2014

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:41230

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D ES DIFFÉRENTES FORMES D ACCOUCHEMENTS ANONYMES

Catia Dos Santos Andrade

Travail de séminaire

Semestre de printemps 2014 – 28 juillet 2014

Dans le cadre du séminaire intitulé « La protection de l’enfant »

Sous la direction de Marie-Laure PAPAUX VAN DELDEN

Professeure à l’Université de Genève

Manuela SAENZ DEVIA

Assistante

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Référence de l’image sur la page de garde :

http://www.la-communaute-du-gaullisme-identitaire.fr/s/cc_images/cache_2428542812.jpg?t=1367056299

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3

T ABLE DES MATIÈRES

I. I

NTRODUCTION 3

II. D

ES RÉACTIONS À L

ABANDON DES NOUVEAU

-

NÉS 5

1. De l’Antiquité à aujourd’hui : histoire et statistiques 5 2. Les principales raisons de l’abandon anonyme des nouveau-nés 8

III. D

ES DIFFÉRENTES FORMES D

ACCOUCHEMENT ANONYME 10

1. L’accouchement sous X 10

1.1. La définition « d’accouchement sous X » 10 1.2. Une forme d’accouchement prohibée en Suisse 11 1.2.1. L’établissement de la filiation maternelle et l’obligation légale

d’annoncer la naissance 11 1.2.2. Une problématique au cœur des débats parlementaires 12 1.2.3. L’argumentation des partisans et des opposants 13

2. L’accouchement dans la discrétion 16

2.1. La définition « d’accouchement dans la discrétion » 17 2.2. Une forme d’accouchement autorisée en droit suisse 17 2.2.1. Le blocage de la divulgation des données de l’Etat civil 17

a) La règle 17

b) Les dérogations 18

c) Un bilan du cadre juridique actuel 20 2.2.2. Une forme d’accouchement méconnue en pratique 21

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3. La « boîte à bébé » 23

3.1. La définition de « boîte à bébé » 23

3.2. Un phénomène croissant dans les cantons suisses 24

3.3. La boîte à bébé face aux critiques 24

IV. L

E DROIT DE L

ENFANT À CONNAÎTRE SES ORIGINES 27 1. Les sources du droit à la connaissance de ses origines 27

1.1. La Convention relative aux droits de l’enfant 27 1.2. La Convention européenne des droits de l’homme 28

1.3. Le droit constitutionnel suisse 30

1.4. Le droit civil suisse 31

2. Bilan : le droit de connaître ses origines face aux accouchements anonymes 33

V. C

ONCLUSION 34

VI. A

NNEXES 35

1. ANNEXE I :ANCIENNES LOIS FRANÇAISES 35

2. ANNEXE II :RAPPORT DE 1818 DE L’HÔPITAL DE GENÈVE 36

3. ANNEXE III :STATISTIQUES DE L’ASME RELATIVES AUX « ENFANTS DÉPOSÉS,

ABANDONNÉS OU TUÉS EN SUISSE (19962000) » 37

4. ANNEXE IV:RAISONS DE LA DÉCISION DE REMETTRE LENFANT ET PROFILS DES

MÈRES 38

5. ANNEXE V:RETRANSCRIPTION DE LENTRETIEN AVEC LA DIRECTION DE L’ETAT

CIVIL DU CANTON DE GENÈVE 40

6. ANNEXE VI : RETRANSCRIPTION DE LENTRETIEN AVEC LA DIRECTION DE

L’ETAT CIVIL DU CANTON DE VAUD 46

VII. B

IBLIOGRAPHIE 61

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I. I

NTRODUCTION

En juillet 2013, un nouveau-né a été trouvé dans les toilettes d’un centre commercial de la commune de Thoune, dans le canton de Berne. Le petit garçon, qui portait encore son cordon ombilical au moment de la découverte, n’était âgé que de quelques jours. Cet épisode démontre que, bien qu’ils soient rares, les abandons de nouveau-nés sont une problématique contemporaine. Dans le cas présenté, la mère a choisi l’option de l’abandon sauvage dans un lieu public, mais savait-elle seulement qu’il existait des alternatives à ce mode d’abandon?

Cette femme aurait, par exemple, pu se diriger vers un des hôpitaux suisses aménagés d’une boîte à bébé et y déposer son enfant. Au lieu d’accoucher seule et sans assistance médicale, elle aurait également pu accoucher dans un établissement hospitalier et y donner immédiatement le bébé en adoption tout en demandant la confidentialité de cette naissance.

Certes, cette possibilité est moins connue du public que ne le sont les boîtes à bébé, mais elle existe bel et bien en Suisse sous l’appellation « d’accouchement dans la discrétion ».

Finalement, si cette mère considérait la confidentialité insuffisante, elle aurait pu traverser les frontières françaises ou italiennes et demander à accoucher sous X dans un hôpital. Les alternatives à l’abandon sauvage existent, mais cela ne signifie pas qu’elles soient des solutions appropriées sur le long terme; à cet égard, se pose la question de savoir si ce nouveau-né aura l’occasion, un jour, de connaître la femme qui lui a donné la vie.

Les alternatives évoquées, soit la boîte à bébé, l’accouchement dans la discrétion et l’accouchement sous X, se regroupent sous l’appellation « d’accouchements anonymes ».

L’adjectif « anonyme » prête d’ailleurs à confusion. En effet, l’anonymat se définit comme l’état d’une personne dont le nom est inconnu; l’identité n’est pas seulement confidentielle, elle n’existe pas1. À l’inverse, le secret est synonyme de confidentialité et tend à conserver en lieu sûr des informations qui existent, mais qui, pour une raison ou une autre, doivent rester masquées2. Cette distinction est un préalable indispensable à la compréhension du présent travail. Parmi les trois formes « d’accouchements anonymes » présentées, l’une d’elles a trait à la confidentialité: l’accouchement dans la discrétion. Seules les institutions de la boîte à bébé et de l’accouchement sous X supposent un anonymat de la mère abandonnant son enfant; le caractère absolu de cet anonymat est, toutefois, atténué par certaines législations encourageant

1 FULCHIRON et al.,p. 137.

2 Ibid., p. 137; CAHEN, p. 24.

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la récolte de données lors d’un accouchement sous X. Dès lors, au fil des pages, ces termes seront à comprendre dans leur sens précédemment défini, et l’expression générique

« accouchements anonymes » sera évitée dans la mesure du possible, afin d’esquiver toute ambiguïté.

Les notions étant présentées, il sied également de préciser la thématique du présent travail.

Le sujet étant vaste et le nombre de pages limité, nous avons volontairement ciblé les problématiques de l’accouchement sous X et de l’accouchement dans la discrétion, aux dépens d’une brève présentation des boîtes à bébés. En outre, les réflexions porteront principalement sur l’enfant abandonné et la mère abandonnante, le père n’étant évoqué qu’à de rares reprises.

Finalement, la situation actuelle en Suisse sera prioritairement traitée, mais quelques incursions à l’étranger se justifieront, notamment à des fins statistiques.

Le présent travail s’ouvrira sur un bref historique de l’abandon des nouveau-nés en Europe et une présentation des principales raisons conduisant une mère à abandonner son enfant (II). En guise de réactions à l’abandon, chacune des trois formes « d’accouchements anonymes » sera présentée dans la partie suivante (III). Débutant par la définition de chacune d’elles, il s’agira ensuite de saisir les enjeux de leur introduction ou maintien dans la réglementation suisse. Quelle que soit la forme de l’abandon, celui-ci entraine une séparation entre la mère et son nouveau-né. Ce dernier, en grandissant, s’interrogera immanquablement sur l’identité de la femme qui lui a donné la vie. Dès lors, la problématique des « accouchements anonymes » est intrinsèquement liée au droit de l’enfant de connaître ses origines. La dernière partie portera donc sur les sources et la portée du droit à la connaissance de ses origines dans l’ordre juridique suisse (IV).

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II. D

ES RÉACTIONS À L

ABANDON DES NOUVEAU

-

NÉS

1. De l’Antiquité à aujourd’hui : histoire et statistiques

L’abandon d’un nouveau-né, qu’il ait pour finalité de mettre fin à la vie de l’enfant ou lui permettre d’être recueilli, est une pratique existant depuis toujours3. Durant l’Antiquité et l’Empire romain, il était toléré, et même recommandé, d’abandonner les enfants trop chétifs ou infirmes ainsi que les bébés non désirés4. Au cours des premiers siècles chrétiens, les curés de paroisse se sont donnés pour mission de sauver les enfants abandonnés; l’idée était de confier ces enfants aux établissements hospitaliers, mais face au refus de prise en charge de ces derniers, les ecclésiastiques entreprirent de recueillir eux-mêmes les enfants trouvés5.

En dépit des efforts déployés par l’Eglise, l’Europe du Moyen-Âge regorgeait d’enfants abandonnés, ceux-ci étant vendus aux riches et aux seigneurs en qualité d’esclaves, déposés sur les parvis des églises ou encore victimes d’infanticides6. Afin d’endiguer ces pratiques, diverses solutions virent le jour. En 1198, le Pape Innocent III a déclaré que les orphelinats devaient se doter de ruote per i trovatelli, dans lesquelles les femmes pouvaient laisser leur nourrissons sans décliner leur identité; ces « tours d’abandon », ancêtres des boîtes à bébé, se sont répandues dans toute l’Europe et ont subsisté jusqu’au XXe siècle7.

En France, dès le XIVe siècle, plusieurs établissements hospitaliers ont accueilli des enfants abandonnés et installé des maternités secrètes permettant aux femmes d’accoucher clandestinement, puis, à dater du XVIIIe siècle, des tourniquets, communément appelés

« tours » furent également placés dans les murailles des hospices afin de recueillir les nouveau- nés; le Décret impérial concernant les enfants trouvés ou abandonnés et les orphelins pauvres du 19 janvier 1811 déclara ces tours obligatoires dans chaque chef-lieu d’arrondissement8. En 1830, près de deux-cent-cinquante tours étaient aménagés sur le territoire français, dispositifs dans lesquels ont été déposés des dizaines de milliers d’enfants chaque année; les nombres sont estimés à quatre-vingt-mille en 1815 pour atteindre cent-trente-et-un-mille en 18339. Victimes

3 BALESTRA, Abandon anonyme, p. 1; BIDERBOST, p. 51s; MARCHAND/MENDELSOHN, p. 19 ss; PROVENCE, p. 6; WIESNER-BERG, Babyklappe und anonyme Geburt, p. 524.

4 BALESTRA, Abandon anonyme, p. 1; BIDERBOST, p. 52; PROVENCE, p. 1; SCHROOTEN, p. 155; WIESNER-BERG, Babyklappe und anonyme Geburt, p. 524.

5 PROVENCE, p. 2; SCHROOTEN, p. 155.

6 BALESTRA, Abandon anonyme, p. 2; BERREAU, p. 5; MARCHAND/MENDELSOHN, p. 19; PROVENCE, p. 2; SCHMIDT, p. 152; SCHROOTEN, p. 156.

7 AEBI-MÜLLER/HAUSHEER, p. 1;BIDERBOST, p. 52; MARCHAND/MENDELSOHN, p. 19 ss; PROVENCE, p. 2; SCHMIDT, p. 152; WIESNER- BERG, Babyklappe und anonyme Geburt, p. 525.

8 Décret N° 6478, émis par Napoléon le 19 janvier 1811. BIDERBOST, p. 52; CAHEN, p. 61; ENSELLEM, p. 37 s; MARCHAND/MENDELSOHN, p. 19 ss; PROVENCE, p. 3; SCHMIDT, p. 155; STEINER, p. 571; WIESNER-BERG, Babyklappe und anonyme Geburt, p. 525.

9 BALESTRA, Abandon anonyme, p. 2; PROVENCE, p. 4.

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8

de leur succès, ces boîtes à bébé furent supprimées par la « Loi du 27 juin 1904 sur le service des enfants assistés », et remplacées par les « bureaux ouverts » de l’Assistance publique; le but premier de ces bureaux d’admission était d’inciter la femme enceinte à garder son bébé en lui proposant conseils et soutien, mais elle pouvait également y déposer le nourrisson10. Puis, le 2 septembre 1941, l’adoption du Décret-loi sur la protection de la naissance fut significative:

l’accouchement sous X dans les maternités fut légalisé, permettant ainsi aux femmes d’y laisser leur nourrisson tout en accouchant dans des conditions sanitaires décentes et sans avoir à révéler leur identité; une telle légalisation tendait essentiellement à réglementer la maternité clandestine qui était déjà monnaie courante en pratique, mais elle offrait également une échappatoire à l’interdiction légale de la contraception et de l’avortement11.

TERME évoque brièvement la situation d’antan dans le canton de Genève. À l’époque où la ville de Genève était sous administration française, elle était, en tant que chef-lieu du département du Léman, également pourvue d’un hospice d’enfants trouvés et d’un tour. Ce dernier fut fermé en 1814, date à laquelle la ville de Genève devint indépendante. Dès lors, le nombre d’abandons de nouveau-nés déclina progressivement: le premier rapport de l’hôpital genevois faisait état de trois-cent-quatre-vingt-quatre enfants trouvés en 1798, nombre qui avait chuté à deux en 183612.

De manière générale, les données relatives au phénomène de l’abandon d’enfants en Europe demeurent déficitaires et sont réduites à des estimations; une carence qui s’explique par l’anonymat qui entoure ces actes d’abandon. Néanmoins, CAHEN, en citant une correspondance particulière échangée avec LEFAUCHEUR, et VILLENEUVE-GOKALP proposent quelques données en lien avec l’abandon des nouveau-nés et l’accouchement sous X en France: après une hausse durant la Seconde Guerre mondiale, le nombre annuel de nouveau-nés abandonnés a fortement diminué et a fluctué entre cinq-cents et sept-cents dans les années 1950; il a ensuite augmenté jusqu’à près de deux-mille au début des années 1970 avant de baisser à nouveau; évalué à un millier de naissances au milieu des années 1990, le nombre d’accouchements sous X est estimé à six-centre-quatre-vingt en 200913. La diminution du nombre d’abandons est due à plusieurs facteurs, tels que le développement des aides de l’Etat fournies aux mères dans le besoin, la

10 Cf. annexe I: Anciennes lois françaises, p. 35. CAHEN, p. 63 s; ENSELLEM, p. 41 s; MARCHAND/MENDELSOHN, p. 21; PROVENCE, p. 4;

SCHMIDT, p. 155; SCHROOTEN, p. 157; STEINER, p. 572; WIESNER-BERG, Babyklappe und anonyme Geburt, p. 525.

11 Cf. annexe I: Anciennes lois françaises, p. 35. CAHEN, p. 67; ENSELLEM, p. 57 s; MARCHAND/MENDELSOHN, p. 21 s; SCHMIDT, p. 155;

STEINER, p. 572.

12 Cf. annexe II : Rapport de 1818 de l’hôpital de Genève, p. 36. TERME, p. 165.

13 Études menées, respectivement, par Nadine LEFAUCHEUR, sociologue et précédemment chargée de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), et Catherine VILLENEUVE-GOKALP, chercheuse à l’Institut national français d’études démographiques (INED). CAHEN, p. 22 n. 3; VILLENEUVE-GOKALP, p. 135 ss.

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diffusion de la contraception médicale et la légalisation de l’avortement, ainsi qu’à l’évolution des mentalités traduisant un déclin de la stigmatisation des jeunes mères célibataires14.

En Suisse, l’Office fédéral de la statistique (ci-après: OFS) n’a effectué aucun recensement propre aux bébés abandonnés sur l’ensemble du territoire; une absence de données tangibles que BIDERBOST explique par la rareté des abandons de nouveau-nés dans ce pays15. À défaut de chiffres officiels, la fondation Aide suisse pour la mère et l’enfant (ASME) a établi des statistiques sur les bébés déposés, abandonnés ou tués entre 1996 et 2010; exploitées dans le cadre de la Motion FUCHS prônant l’installation d’une boîte à bébé dans le canton de Berne, le Conseil exécutif a, toutefois, précisé que ces données n’ont pas été formellement attestées16.

Bien que l’abandon de nouveau-nés soit un phénomène continuel dans l’histoire, le présent historique démontre que son augmentation ou diminution est fonction de l’époque, des mentalités, du soutien proposé aux mères concernées, et principalement du pays et de la législation. Deux solutions pragmatiques se sont répétées au fil des siècles sous différentes appellations: les boîtes à bébé et l’accouchement sous X. La finalité première de ces mécanismes était de lutter contre l’infanticide: les tours d’abandon permettaient de secourir le nouveau-né dès sa naissance, tandis que l’accouchement sous X assurait à la mère et son bébé des conditions d’accouchement et des soins adéquats17. Il sied de constater que, de nos jours, les Etats recourent à ces mêmes pratiques pour lutter contre l’infanticide et l’abandon de nouveau-nés; à titre d’exemple, l’Allemagne et la Suisse ont toléré la réouverture des boîtes à bébé, tandis que la France, le Luxembourg, l’Italie, l’Autriche et la République Tchèque autorisent une femme à ne pas révéler son identité à l’occasion de son accouchement18.

2. Les principales raisons de l’abandon anonyme des nouveau-nés

Les raisons conduisant une femme à abandonner son enfant sont assez semblables quelle que soit l’époque et le pays. L’abandon résulte rarement d’un choix, et bien plus de circonstances sociales et économiques indépendantes de la volonté des mères concernées19. Parmi ces raisons figurent le jeune âge de la femme, les pressions culturelles, la crainte du rejet

14 BALESTRA, Abandon anonyme, p. 2; NAU, Accouchement sous X, p. 1; STEINER, p. 580 ss; VILLENEUVE-GOKALP, p. 136.

15 BIDERBOST, p. 54; FUCHS, Motion (044-2012) du 22.02.2012, p. 2.

16 Cf. annexe III: Statistiques de l’ASME relatives aux « enfants déposés, abandonnés ou tués en Suisse (1996 – 2000). FUCHS, Motion (044- 2012) du 22.02.2012, p. 3.

17 BALESTRA, Abandon anonyme, p. 1 s.

18 MEIER/STETTLER, N 414 s; PEREIRA, N 4 s; SCHMIDT, p. 152 s; VILLENEUVE-GOKALP, p. 139; WIESNER-BERG, Babyklappe und anonyme Geburt, p. 522.

19 BALESTRA, Abandon anonyme, p. 1; MARCHAND/MENDELSOHN, p. 119; PROVENCE, p. 1; STEINER, p. 580.

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familial ou de la communauté, l’absence de conjoint ou le refus du géniteur d’assumer sa paternité, la naissance d’un enfant adultérin ou issu d’un viol, ainsi que des motifs liés à la santé d’un des géniteurs ou de l’enfant, à l’instar de troubles psychiques ou d’un handicap; à ces causes d’ordre social s’ajoutent le manque d’autonomie ou d’indépendance économique de la mère20. Plusieurs études, réalisées en France, confirment la réalité de ces motifs; la plus récente d’entre elles, réalisée par VILLENEUVE-GOKALP au sein de l’Institut national d’études démographiques (INED) et recensant des informations relatives aux femmes ayant accouché sous X entre 2007 et 2009, mérite une attention particulière21.

Les raisons et circonstances de la remise de l’enfant ont été établies sur la base de cinq- cent-trente et un questionnaires soumis aux femmes se présentant dans les établissements hospitaliers participant à la recherche pour y accoucher anonymement22. Organisés sous formes de tableaux, les motifs les plus fréquemment évoqués se rapportent principalement au père du bébé (43 %): la séparation du couple (24 %), le refus d’assumer la paternité (7 %), ou bien la crainte du comportement du père considéré violent ou délinquant (10 %); les difficultés économiques et sociales sont également alléguées par 28 % des femmes23. Parmi les motivations restantes, deux d’entre-elles méritent d’être ici soulignées: d’une part, les cas de relations forcées et d’inceste sont moins répandus que certaines idées préconçues tendraient à le faire croire, puisque seuls quatorze ont été signalés, dont aucun inceste. D’autre part, 84 % des femmes n’ont pris conscience de leur état qu’après la fin du délai légal de 12 semaines de grossesse au-delà duquel une interruption volontaire de grossesse en France devient impossible;

cette situation touche principalement les jeunes femmes qui n’ont jamais eu d’enfants24. Cette énumération n’est qu’exemplative, mais il sied de relever une absente parmi ces variables: les causes d’ordre psychologique et, notamment, les fantasmes d’infanticides et de maltraitance envers l’enfant; l’auteure, qui reconnaît qu’une fois sur dix, la remise de l’enfant pourrait s’expliquer par des problèmes de santé physique ou psychique de la mère, ne fait mention d’aucune situation où une femme aurait craint ou menacé de maltraiter ou de tuer sa progéniture25. Ces résultats corroborent ainsi les conclusions de LEFAUCHEUR minimisant la

20 AEBI-MÜLLER/HAUSHEER, p. 10; STEINER, p. 580; NAU, Accouchement sous X, p. 1; VILLENEUVE-GOKALP, p. 153 s.

21 CAHEN, p. 150 s; MARCHAND/MENDELSOHN, p. 118 s; NAU, Accouchement sous X, p. 2; VILLENEUVE-GOKALP, p. 140, 153 s.

22 VILLENEUVE-GOKALP, p. 153.

23 Cf. annexe IV : Raisons de la décision de remettre l’enfant et profils des mères. VILLENEUVE-GOKALP, p. 154.

24 Cf. annexe IV : Raisons de la décision de remettre l’enfant et profils des mères. VILLENEUVE-GOKALP, p. 155 s.

25 VILLENEUVE-GOKALP, p. 150, 154 s.

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11

variable psychique et battent en brèche la thèse de BONNET selon laquelle la décision de remettre l’enfant s’expliquerait principalement par des motifs d’ordre psychologique26.

Les motivations qui mènent à accoucher anonymement sont directement liées au contexte de la grossesse, raison pour laquelle VILLENEUVE-GOKALP tend également à dresser les « profils » des femmes accouchant sous X. Sur la base d’informations relatives à leurs caractéristiques et conditions de vies, récoltées auprès de sept-cent-trente-neuf femmes, trois profils principaux sont élaborés: 25 % sont des jeunes filles dépendantes de leurs parents et majoritairement en cours d’études; les femmes indépendantes, c’est-à-dire autonomes vis-à-vis de leurs père et mère et vivant dans un logement personnel, atteignent le même pourcentage;

les femmes seules en situation de précarité représentent 15 % et les 35 % restant correspondent à une catégorie « autres », laquelle regroupe des femmes qui échappent à toute classification.

Au vu des résultats de l’enquête, il convient de nuancer l’opinion selon laquelle les personnes recourant à l’accouchement sous X sont des jeunes filles vulnérables, délaissées par leur partenaire ou en proie à une situation précaire, puisque nombre de mères économiquement indépendantes et en couple y ont également recours; qui plus est, l’âge moyen des femmes interrogées était de vingt-six ans et le tiers avait plus de trente ans27.

Bien que les résultats présentés se rapportent à la situation en France, nous sommes convaincues que les circonstances pouvant mener une femme à abandonner son enfant sont, non seulement extraterritoriales, mais également indépendantes du mode d’abandon choisi:

l’option d’accoucher sous X ou dans la discrétion plutôt que de laisser le nouveau-né dans une boîte à bébé tient davantage aux pratiques autorisées ou tolérées par la réglementation nationale et aux conséquences juridiques y associées. Par ailleurs, l’accouchement sous X étant prohibé en Suisse, l’OFS suisse n’a pas réalisé d’enquête comparable28.

26 BONNET, p. 240ss; CAHEN, p. 151 ss (Cahen procède au compte rendu des propos tenus par LEFAUCHEUR lors du colloque « Pratiques professionnelles et difficultés juridiques liées à l’abandon et à la recherche des origines », réuni au Sénat le 27 mars 2000).

27 Cf. annexe IV: Raisons de la décision de remettre l’enfant et profils des mères. VILLENEUVE-GOKALP, p. 146, 152 s.

28 FUCHS, Motion (044-2012) du 22.02.2012, p. 2 s.

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III. D

ES DIFFÉRENTES FORMES D

ACCOUCHEMENT ANONYME

1. L’accouchement sous X

1.1. La définition « d’accouchement sous X »

L’accouchement sous X est la mise au monde d’un enfant par une femme qui, de par la loi, n’est pas tenue de révéler son identité, que ce soit à l’institution qui l’accueille ou aux personnes qui l’assistent; l’accouchement ayant lieu dans un établissement médical, des soins appropriés sont gracieusement dispensés au nouveau-né et à la parturiente29. Le nom de la génitrice ne sera pas inscrit sur l’acte de naissance de l’enfant et la filiation maternelle ne sera pas établie30.

Toute législation autorisant l’accouchement sous X prévoit un délai de rétractation pendant lequel la mère est autorisée à récupérer son nourrisson; à cet égard, certaines maternités attribuent un numéro d’immatriculation à la parturiente afin de prouver que tel enfant est le sien. Une fois le délai légal de rétractation échu, le nouveau-né sera donné à l’adoption, qui aura pour effet, dans la mesure où elle est plénière, de rompre les liens juridiques entre l’enfant et ses parents biologiques au profit des parents adoptifs31.

Les pays connaissant cette forme d’abandon légal ont tous précisé les modalités et les conséquences de cet accouchement dans leur législation, mais aucun droit positif ne consacre l’expression « accouchement sous X »; les mots « sous X » renvoient à un usage des hôpitaux:

seul le prénom ou le nom d’emprunt de la parturiente figure dans le dossier médical et sur l’acte de naissance de l’enfant, la lettre « X » étant apposée en lieu et place du nom32.

29 BORD et al., p. 68; COMITÉ CONSULTATIF DE BIOÉTHIQUE DE BELGIQUE, p. 2; ENSELLEM, p. 10; MARGUET, p. 2; MATHIEU, Accouchement anonyme, p. 28 s; MEIER/STETTLER, N 416; SCHMIDT, p. 153; VILLENEUVE-GOKALP, p. 135; WIESNER-BERG, Babyklappe und anonyme Geburt, p. 523.

30 COMITÉ CONSULTATIF DE BIOÉTHIQUE DE BELGIQUE, p. 2; ENSELLEM, p. 11; MATHIEU, Accouchement anonyme, p. 28 s; SCHMIDT, p. 153.

31 COMITÉ CONSULTATIF DE BIOÉTHIQUE DE BELGIQUE, p. 2; ENSELLEM, p. 11; STEINER, p. 574.

32 COMITÉ CONSULTATIF DE BIOÉTHIQUE DE BELGIQUE, p. 2; ENSELLEM, p. 9 s; MARGUET, p. 1; STEINER, p. 573; VILLENEUVE-GOKALP, p. 135.

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1.2. Une forme d’accouchement prohibée en Suisse

1.2.1. L’établissement de la filiation maternelle et l’obligation légale d’annoncer la naissance

Le droit suisse ne connaît pas l’accouchement sous X33. En vertu de l’art. 252 al. 1 du Code Civil suisse du 10 décembre 1907 (CC)34, le lien juridique de filiation maternelle s’établit automatiquement et impérativement au moment de la naissance de l’enfant; le droit suisse de la filiation consacre ainsi l’adage mater semper certa est selon lequel la mère est toujours certaine35.

Selon ce principe, même la femme qui accouche anonymement et qui abandonne son nouveau-né est considérée comme étant la mère de cet enfant sur le plan juridique; en effet, l’abandon ne suffit pas à mettre fin à la filiation maternelle, laquelle ne cesse qu’en cas d’adoption36. Toutefois, une telle situation présente des difficultés de fait, puisque l’anonymat entourant la naissance empêchera bien souvent d’identifier la mère et de constater la filiation37.

En outre, maintes dispositions de l’Ordonnance sur l’état civil du 28 avril 2004 (OEC)38 obligent à l’annonce de toute naissance intervenue en Suisse ainsi qu’à l’enregistrement des données d’identification de la mère et, le cas échéant, du père39. L’art. 34 lit. a-f OEC énumère les personnes tenues d’annoncer la naissance à l’office de l’état civil: les principaux concernés sont la direction de l’établissement hospitalier, dans la mesure où l’accouchement intervient dans une telle institution (art. 34 lit. a OEC), ainsi que les père et mère de l’enfant (art. 34 lit. b OEC). La naissance doit être déclarée dans les trois jours (art. 35 al. 1 OEC) et son enregistrement (art. 9 al. 1 OEC) portera sur les données énumérées aux art. 7 et 8 OEC, soit la date, l’heure et le lieu de la naissance (art. 7 al. 2 lit. a et art. 8 lit. e OEC), les noms et prénoms de l’enfant (art. 7 al. 2 lit. e et art. 8 lit. c OEC), ainsi que le lien de filiation (art. 7 al. 2 lit. l OEC) et l’identité des parents biologiques (art. 8 lit. l OEC). Afin d’assurer le respect de ces prescriptions, l’art. 35 al. 3 OEC, en lien avec l’art. 91 al. 2 OEC, infligent une sanction pénale aux personnes ou entités qui violent leur obligation légale d’annoncer la naissance.

33 BALESTRA, Abandon anonyme, p. 2; BORD et al., p. 51 s; MEIER/STETTLER, N 417; SCHMIDT, p. 154.

34 RS 210. Entrée en vigueur le 1er janvier 1912.

35 AEBI-MÜLLER, p. 567; BORD et al., p. 51 s; MEIER/STETTLER, N 39; SCHMIDT, p. 154; STAUFFER, p. 172; WIESNER-BERG, Babyklappe und anonyme Geburt, p. 528.

36 Sous réserve de l’adoption de l’enfant du conjoint (art. 267, al. 2 CC).

37 AEBI-MÜLLER, p. 567; BIDERBOST, p. 51 s; BORD et al., p. 51; MEIER/STETTLER, N 45 s; WIESNER-BERG, Babyklappe und anonyme Geburt, p. 528.

38 RS 211.112.2. Entrée en vigueur le 1er juillet 2004.

39 MEIER/STETTLER, N 417; PERRET, p. 179 ss; SCHMIDT, p. 154.

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Les quelques dispositions légales précitées attestent l’illicéité de l’accouchement sous X au regard du droit suisse actuel, constat qui ne sera que confirmé et étayé dans la suite du présent travail. Pourtant, ces dernières années des voix se sont élevées, en particulier sur la scène politique, en faveur de l’introduction de cette forme « d’accouchement anonyme » en Suisse40.

1.2.2. Une problématique au cœur des débats parlementaires

Le 27 septembre 2001, le Conseiller national Christian WABER dépose une motion, intitulée « Naissance anonyme, Miséricorde », sommant le Conseil fédéral de présenter les modifications législatives nécessaires, afin de permettre, en cas d’urgence, à une femme d’accoucher de manière anonyme dans un hôpital ou une maternité41. L’auteur de la motion propose d’adapter les dispositions légales en matière d’annonce et d’enregistrement des nouveau-nés, afin que le personnel médical, notamment, ne soit pas tenu de déclarer la naissance avant que la mère ait clairement demandé l’anonymat. En dépit de son classement en 2003, la motion WABER, réétudiée lors de la révision totale de l’OEC en 2004, aura donné l’impulsion nécessaire à la légalisation de l’accouchement dans la discrétion en Suisse42.

En mai 2005, la Conseillère nationale Josy GYR-STEINER dépose à son tour une motion intitulée « Droit d’accoucher de manière anonyme dans un hôpital »; son contenu s’apparente à celui de la motion WABER, à une nuance près: le strict anonymat serait atténué par la possibilité de consigner sous pli scellé l’identité de la mère, afin que cette dernière et son enfant aient les moyens de se retrouver s’ils le désirent43. Suite au décès de son auteure en cours de mandat, la motion est reprise sous forme d’une initiative parlementaire, en octobre 2008, par le Conseiller national Andy TSCHÜMPERLIN; le texte est néanmoins rejeté le 21 septembre 200944. À cette même date, le Conseil national refuse également de donner suite à l’initiative parlementaire WEHRLI, qui chargeait le Parlement de légiférer sur l’accouchement sous X45.

En dépit des interventions parlementaires de ces dernières années, le droit suisse n’a pas intégré pour l’heure l’accouchement sous X. Toutefois, le sujet demeure controversé et les

40 AEBI-MÜLLER, p. 544, 567; MEIER/STETTLER, N 417 n. 1002.

41 AEBI-MÜLLER, p. 544, 567; MEIER/STETTLER, N 417 n. 1002; SCHMIDT, p. 154; WABER, Motion (01.3479) du 27.09.2001, p. 1; WIESNER- BERG, Babyklappe und anonyme Geburt, p. 543.

42 Cf. infra, p. 14. SCHMIDT, p. 154; WABER, Motion (01.3479) du 27.09.2001, p. 1.

43 GYR-STEINER, Motion (05.3338) du 16.06.2005, p. 2; WIESNER-BERG, Babyklappe und anonyme Geburt, p. 543.

44 TSCHÜMPERLIN, Initiative parlementaire (08.493) du 03.10.2008.

45 MEIER/STETTLER, N 417 n. 1002; WEHRLI, Initiative parlementaire (08.454), p. 1 s; WIESNER-BERG, Babyklappe und anonyme Geburt, p. 521, 543.

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points de vue s’opposent sur le plan tant doctrinal que politique, ce qui laisse présager que le débat est loin d’être clos. Sans prétendre à l’exhaustivité, il sied de relever les arguments les plus pertinents.

1.2.3. L’argumentation des partisans et des opposants

Les raisons avancées en faveur de l’introduction de l’accouchement sous X relèvent essentiellement de la santé publique. Un accouchement en milieu hospitalier se veut protecteur de la santé du bébé et de la mère, puisque celle-ci sera accompagnée médicalement et enfantera dans un lieu salubre, évitant ainsi qu’elle ne donne la vie seule et qu’elle n’abandonne l’enfant dans la rue46. Les partisans vont jusqu’à évoquer la protection contre l’infanticide, en ce sens qu’une mère désespérée est susceptibles de céder à des pulsions meurtrières47. BONNET qualifie même de « geste d’amour » le choix de la mère d’accoucher dans un hôpital plutôt que d’abandonner l’enfant sur une voie publique; l’auteure opère, en outre, un rapprochement entre les femmes accouchant sous X et les mères ayant commis un infanticide, en ce sens qu’elles endurent le même désarroi psychologique48.

Les adversaires, et en particulier, le Conseil fédéral, insistent sur l’absence de données scientifiques prouvant que, dans les Etats qui l’autorisent, l’accouchement sous X contribue effectivement et efficacement à réduire le nombre d’abandons et d’infanticides; en outre, psychiatres et psychothérapeutes doutent que la proposition d’accoucher sous X puisse atteindre le groupe de femmes enceintes susceptibles de tuer leur enfant, car les graves troubles de la personnalité dont elles souffrent empêchent un comportement réfléchi propre à résoudre la situation dans laquelle se trouvent ces mères49. Par ailleurs, l’étude menée par VILLENEUVE- GOKALP n’a répertorié aucune situation où une femme aurait menacé de maltraiter ou de tuer sa progéniture50.

Une autre raison avancée par les défenseurs de l’accouchement sous X tient à la protection des droits fondamentaux de la femme. Ils soutiennent que la possibilité de taire son identité au moment de la naissance protège les droits de la parturiente à deux égards: d’une part,

46 AEBI-MÜLLER/HAUSHEER,p. 7; COMITÉ CONSULTATIF DE BIOÉTHIQUE DE BELGIQUE, p. 2; ENSELLEM, p. 181; GYR-STEINER, Motion (05.3338) du 16.06.2005, p. 2; STEINER, p. 577; WABER, Motion (01.3479) du 27.09.2001, p. 1.

47 COMITÉ CONSULTATIF DE BIOÉTHIQUE DE BELGIQUE, p. 3; ENSELLEM, p. 181, 207; SCHMIDT, p. 163; STEINER, p. 577; WABER, Motion (01.3479) du 27.09.2001, p. 1; WIESNER-BERG, Babyklappe und anonyme Geburt, p. 544.

48 BONNET, p. 248 ss.

49 COMITÉ CONSULTATIF DE BIOÉTHIQUE DE BELGIQUE, p. 2; GYR-STEINER, Motion (05.3338) du 16.06.2005, p. 2; SCHMIDT, p. 154;

WABER, Motion (01.3479) du 27.09.2001, p. 2.

50 Cf. supra, p. 7.

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l’anonymat, en offrant une solution à la situation conflictuelle de la mère en détresse, permet de sauvegarder sa vie privée et son intégrité corporelle; d’autre part, cette forme

« d’accouchement anonyme » s’accorde avec la liberté de tout en chacun de ne pas être parent51. Un argument de poids s’oppose à la protection des droits de la mère: la sauvegarde du droit fondamental de l’enfant à connaître son ascendance biologique52. À cet égard, le Conseil fédéral, dans ses avis relatifs aux motions WABER et GYR-STEINER, considère « que chaque enfant devrait juridiquement avoir une mère et un père », en ce sens qu’il ne devrait pas y avoir d’enfant « de personne »; le gouvernement insiste, en outre, sur le fait que le droit constitutionnel suisse, en conformité avec les conventions internationales, garantit le droit de connaître ses origines dont la mise en œuvre implique que l’identité de la génitrice soit connue53. Doctrine et scientifiques évoquent également des conséquences psychiques, en ce sens que l’ignorance de ses origines induit un traumatisme grave qui affecte le développement de la personnalité de l’enfant et empêche la formation de son identité, conduisant ainsi à une quête éperdue de soi54.

Psychologiquement, l’accouchement sous X tourmente également les mères qui y ont recours, lesquelles éprouveront toute leur vie durant la culpabilité d’avoir abandonné leur enfant; accoucher sous X, loin d’être un choix, est une tragédie personnelle imposée à la femme55. En France, d’ailleurs, une association, baptisée Mères de l’Ombre (AMO) et créée en juin 1998, réunit des femmes ayant accouché sous X; ces mères, habitées par les regrets, expriment désormais leur douleur et leur volonté de rechercher leur enfant56.

Finalement, les opposants soulignent que l’anonymat de la mère prive le père de sa paternité. D’une part, l’existence d’un lien de filiation maternelle est, sous réserve du cas de l’adoption, un préalable à l’établissement de la filiation paternelle selon le droit suisse (art. 252 al. 2 et art. 255 ss CC); d’autre part, en pratique, un père aurait de grandes difficultés à retrouver et identifier l’enfant, si tant est qu’il ait été informé de la grossesse57. Ainsi, la possibilité pour une femme d’accoucher dans l’anonymat organiserait l’inexistence du père biologique.

51 BALESTRA, Accouchement anonyme, p. 1; COMITÉ CONSULTATIF DE BIOÉTHIQUE DE BELGIQUE, p. 4; SCHMIDT, p. 163; STEINER, p. 578.

52 Cf. infra, p. 27 ss. BALESTRA, Accouchement anonyme, p. 1; COMITÉ CONSULTATIF DE BIOÉTHIQUE DE BELGIQUE, p. 3 s;

MEIER/STETTLER, N 374 s ; SCHMIDT, p. 163.

53 GYR-STEINER, Motion (05.3338) du 16.06.2005, p. 2; WABER, Motion (01.3479) du 27.09.2001, p. 2.

54 BORD et al., p. 66, 177; BÜCHLER/RYSER, p. 5; CAHEN, p. 24 s; COMITÉ CONSULTATIF DE BIOÉTHIQUE DE BELGIQUE, p. 3;

MARCHAND/MENDELSOHN, p. 41; MEIER/STETTLER, N 374; SCHMIDT, p. 163; WIESNER-BERG, Babyklappe und anonyme Geburt, p. 526.

55 AEBI-MÜLLER/HAUSHEER, p. 7; CAHEN, p. 24 s; COMITÉ CONSULTATIF DE BIOÉTHIQUE DE BELGIQUE, p. 4; MARCHAND/MENDELSOHN, p. 51 s; SCHMIDT, p. 163 s.

56 CAHEN, p. 24 s; MARCHAND/MENDELSOHN, p. 120 s.

57 COMITÉ CONSULTATIF DE BIOÉTHIQUE DE BELGIQUE, p. 4; ENSELLEM, p. 169; MARCHAND/MENDELSOHN, p. 82 s; MARGUET, p. 3;

MEIER/STETTLER, N 39.

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Les arguments allant à l’encontre de l’introduction de l’accouchement sous X dans le système juridique suisse sont de loin les plus convaincants. L’opposition du Conseil fédéral mérite, tout particulièrement, d’être saluée. Le gouvernement souhaite non seulement maintenir la conformité du droit suisse aux conventions internationales protégeant le droit de l’enfant à connaître ses origines biologiques58, mais également protéger les piliers fondateurs du droit de la filiation suisse, à l’instar du principe mater semper certa est. Autoriser l’accouchement sous X impliquerait une révision substantielle du droit de la filiation et non pas une simple

« adaptation » comme le suggéraient les interventions parlementaires de ces dernières années.

Qui plus est, une telle révision du droit civil impliquerait celle du droit constitutionnel suisse, puisque l’art. 119 al. 2 lit. g de la Constitution fédérale du 18 avril 1999 (Cst.)59 garantit à une personne l’accès aux données relatives à son ascendance. Quelle subtilité juridique autoriserait la coexistence de deux droits diamétralement opposés: celui de la femme d’accoucher en taisant son identité et celui de l’enfant à connaître ladite identité ?

Les interventions parlementaires de ces dernières années manifestaient un intérêt particulier pour le modèle français de l’accouchement sous X. En admettant qu’un dispositif juridique similaire soit proposé en Suisse, nous répondrions, qu’en sus d’être imparfait, il ne résoudrait guère les difficultés et contradictions précitées. En effet, en France, la possibilité d’accoucher gratuitement dans un établissement public ou privé, sans donner son identité, est inscrite dans le Code civil français60 et dans le Code de l’action sociale et des familles de 195661. En vertu de ces lois, une femme qui, lors de son accouchement, demande la préservation de son anonymat, est invitée à laisser, si elle l’accepte, des renseignements non identifiants, notamment sur sa santé et celle du père, les origines de l’enfant et les circonstances de la naissance. La parturiente est également informée de la possibilité de laisser, sous pli fermé, son identité, ou encore de la communiquer ultérieurement. Parallèlement, la Loi n°2002-93 du 10 janvier 2002 relative à l’accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l’Etat62 a institué le Conseil national pour l’accès aux origines personnelles (CNAOP), une instance officielle compétente pour recevoir les demandes de personnes recherchant leurs origines. Néanmoins, et nous rejoignons en cela les propos de nombreux auteurs, ce système est loin d’être satisfaisant63:

58 Sur les sources du droit de connaître ses origines, cf. infra, p. 27.

59 RS 101. Entrée en vigueur le 1er janvier 2000.

60 Art. 57 al. 1, art. 326 et art. 351 du Code Civil français de 1804.

61 Art. L 222-6 du Code de l’action sociale et des familles de 1956.

62 JORF du 23 janvier 2002 page 1519 texte n°2. Entrée en vigueur le 22 janvier 2002.

63 AEBI-MÜLLER, p. 565 s; BORD et al., p. 167 s; CAHEN, p. 119 s; COMITÉ CONSULTATIF DE BIOÉTHIQUE DE BELGIQUE, p. 2; MATHIEU, Accouchement anonyme, p. 28 s; MARCHAND/MENDELSOHN, p. 103 s; NAU, Accouchement sous X, p. 1 s; NAU, Case X, p. 1 s; SCHMIDT, p. 156 s; STEINER, p. 568 s.

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d’une part, le recueil de l’identité lors de l’accouchement n’est pas systématique et dépend de la seule volonté de la mère, puisque bien qu’elle soit incitée à laisser des détails sur son identité, rien ne l’y oblige. D’autre part, même si la mère venait à laisser son identité sous pli scellé, elle ne serait pas communiquée de plein droit à l’enfant; cette communication suppose que la mère consente à lever son anonymat lorsqu'elle est contactée par le CNAOP à la suite d’une demande d’accès aux origines de l’enfant. Force est de constater que la loi française offre à la femme un droit discrétionnaire de paralyser la recherche par un enfant de sa mère biologique, et par là même, se montre imperméable au besoin de l’enfant de connaître ses origines.

Ce bref exposé de la législation française tend à démontrer qu’elle n’est pas un exemple à suivre en Suisse. Plutôt que de répondre au phénomène de l’abandon anonyme en s’inspirant de modèles étrangers de l’accouchement sous X, les députés suisses devraient développer, et principalement, divulguer les solutions d’ores et déjà proposées par le droit suisse pour épauler une mère désirant dissimuler sa maternité et donner l’enfant à l’adoption, à l’instar du mécanisme de l’accouchement dans la discrétion.

2. L’accouchement dans la discrétion

2.1. La définition « d’accouchement dans la discrétion »

L’accouchement dans la discrétion, plus communément appelé « accouchement confidentiel » ou « accouchement secret », exige d’une femme qu’elle déclare son identité à l’institution qui l’accueille en vue de l’accouchement et, qu’en sus, elle fournisse des renseignements non identifiants, à l’instar de son état de santé, son âge, son origine ou encore le contexte de la naissance. Toutefois, ces informations seront conservées confidentiellement par une autorité afin d’éviter que des tiers y aient accès. Une levée ultérieure du secret est envisageable sous certaines conditions, étant précisé que le consentement de la mère n’en n’est pas une64.

Cette définition générale est modulée par les législations nationales autorisant ou envisageant la légalisation de l’accouchement dans la discrétion, la principale nuance ayant trait à l’inscription du nom de la mère sur l’acte de naissance de l’enfant et à l’établissement du lien de filiation maternelle. À titre d’exemple, ces dernières années diverses propositions de lois ont

64 BORD et al., p. 71; COMITÉ CONSULTATIF DE BIOÉTHIQUE DE BELGIQUE, p. 4; MARGUET, p. 4; MATHIEU, Accouchement anonyme, p. 28 ss; STEINER, p. 574.

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évoqué l’introduction de l’accouchement dans la discrétion en droit belge; d’après ces textes, le nom de la mère, bien que connu, ne devait pas figurer dans l’acte de naissance de l’enfant, excluant ainsi l’établissement juridique de la filiation65. En Allemagne, une loi autorisant l’accouchement confidentiel, entrée en vigueur le 1er mai 2014, ne prévoit pas non plus l’inscription du nom de la mère dans l’acte de naissance, les autorités compétentes n’étant informées que du pseudonyme utilisé durant la procédure66. Quant au droit suisse, qui connaît cette forme d’accouchement depuis le 1er juillet 2004, il maintient l’obligation d’établir le lien de filiation et d’enregistrer les données d’identification de la mère à l’office de l’état civil, lequel se chargera d’assurer leur confidentialité; la filiation maternelle ainsi établie s’éteindra lors de l’adoption plénière de l’enfant67.

Les chapitres suivants présenteront uniquement l’accouchement dans la discrétion tel qu’il est autorisé et pratiqué en Suisse.

2.2. Une forme d’accouchement autorisée en droit suisse

2.2.1. Le blocage de la divulgation des données de l’Etat civil

Dans sa prise de position sur la motion WABER, le Conseil fédéral a annoncé qu’il examinerait, dans le cadre de la révision totale de l’OEC, la possibilité pour une femme de

« faire mentionner dans le registre des naissances, avant l’inscription de l’adoption, l’interdiction de révéler les ascendants de l’enfant »; l’art. 46 OEC, dans sa version du 1er juillet 2004, constitue l’aboutissement de cette réflexion68.

a) La règle

L’art. 46 al. 1 lit. a OEC, intitulé « opposition à la divulgation », autorise l’autorité cantonale de surveillance à faire bloquer la divulgation de données personnelles à des particuliers, d’office ou sur demande, dans la mesure où la protection de la personne concernée l’exige ou lorsque cela est prévu par la loi. Une telle norme autorise, notamment, une mère qui

65 COMITÉ CONSULTATIF DE BIOÉTHIQUE DE BELGIQUE, p. 4; MATHIEU, Accouchement anonyme, p. 29 s.

66 Artikel 26 Gesetz zum Ausbau der Hilfen für Schwangere und zur Regelung der vertraulichen Geburt (SchKG), zuletzt geändert durch Artikel 7 G. v. 28.08.2013 BGBl. I S. 3458.

67 Cf. supra, p. 10 et infra chap. 2.2. BORD et al., p. 69; GYR-STEINER, Motion (05.3338) du 16.06.2005, p. 2; MEIER-SCHATZ, Interpellation (13.3418) du 11.06.2013, p. 1 s; MEIER/STETTLER N 417; PERRET, p. 179 s.

68 SCHMIDT, p. 154; WABER, Motion (01.3479) du 27.09.2001, p. 2.

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souhaite donner son enfant à l’adoption à s’opposer à la divulgation de l’inscription du registre des naissances aux particuliers ou aux autorités, garantissant ainsi la confidentialité des informations renseignées dans ledit registre; ce dernier a été remplacé, en 2004, par la base de données Infostar69. Étant question de protection des données, il est recommandé d’appliquer par analogie l’art. 20 de la Loi fédérale sur la protection des données du 19 juin 1992 (LPD)70 lors du blocage sur demande; ledit article exige de la femme concernée qu’elle rende vraisemblable un intérêt digne de protection et que la demande ne s’oppose à aucune obligation juridique de divulguer les informations en question, ni ne risque de compromettre l’accomplissement d’une tâche légale71.

La portée de l’art. 46 al. 1 lit. a OEC doit être précisée, en particulier, au vu des dérogations apportées par d’autres dispositions du droit de l’état civil.

b) Les dérogations

Tout d’abord, les art. 46 al. 3 OEC et 268c CC réservent expressément le droit de l’enfant adopté à obtenir des données relatives à l’identité de ses parents biologiques. Par le biais de ce renvoi, l’enfant adopté est en droit d’obtenir la divulgation des informations figurant dans la base de données Infostar, en particulier l’identité, le lieu d’origine et le domicile de la mère naturelle au moment de la naissance, alors même que celle-ci en avait demandé le blocage;

conformément à l’art. 268c al. 1 CC, l’enfant adopté majeur dispose d’un droit inconditionnel à obtenir ces données, tandis que la demande d’accès du mineur sera sujette à une pesée d’intérêts72.

Par ailleurs, autorités et doctrine sont très claires sur le fait que l’art. 46 al. 1 lit. a OEC vise l’opposition à la divulgation des données à « des tiers », non à l’enfant73; à cet égard, MEIER/STETTLER soutiennent, très justement, que l’enfant dont la mère aurait fait bloquer la divulgation des données personnelles, s’il n’a pas été adopté, a le droit de connaître sa filiation maternelle dans la même mesure qu’un enfant adopté74.

69 AEBI-MÜLLER, p. 562; MEIER/STETTLER, N 417; OFEC, Circulaire OFEC no 20.07.10.01 du 1er octobre 2007, p. 3; PERRET, p. 189;

SCHMIDT, p. 154.

70 RS 235.1. Entrée en vigueur le 1er juillet 1993.

71 PERRET, p. 189; SCHMIDT, p. 154.

72 Cf. Infra, p. 32. AEBI-MÜLLER, p. 562 s; GYR-STEINER, Motion (05.3338) du 16.06.2005, p. 2; MEIER/STETTLER, N 417; PERRET, p. 189;

SCHMIDT, p. 154.

73 AEBI-MÜLLER, p. 562 s; FENAZZI, p. 2; MATHIEU, Accouchement sous X, p. 28 s; OFEC, Circulaire OFEC no 20.07.10.01 du 1er octobre 2007, p. 3; PERRET, p. 189; STEINER, p. 574.

74 MEIER/STETTLER, N 417.

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