1°" Année 1° Mars
1918
N°5La Von
de J'Àrménie
REÛUE BIJ
Paraissant le 1" et le 15 de
chaque
moisRÉDACTION ET ADMINISTRATION
30,
RueJacob,
Paris VI"+. +. +. Téléphone: Gobelins40.99 +. ++ »+
Le Numéro : 0 fr. 50
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France,
Un an 18 fr. -Etranger,
Un an 15 fr.Comité de Patronage de "LA VOIX DE L'ARMÉNIE
"M ALBERT THOMAS, ancien Minis- tre, Député.
Mie C. ANDRE, Présidente du Comité de
Propagande
des Amitiés Fran- eu-Etrangbres.M. le Général BALLLOUD, Inspecteur
çà
Egypteéraldeset enTroupes
Palestine.FrançaisesenMgr BAUDRILLART, Recteurde l'Ins-
trot
Culhoïisgm
de"Propagande
Françaiseà l'Etranger,MM PierreBERNUS, Publicisté, Cor+
réspondant du Journal de Genève.
BONET-MAURY, Professeur hono»
tairede l'Université de Paris, Pierre de BOUCHAUD, homme de
lettres. +
Emile BOUTROUX,
.
PaulFrançaise.BOYER, Directeur de l'Ecolede l'Académie des Langues Orientales vivantes.GeorgesGLEMENCEAU,Président
du ConseildesMinistresSénateur, DENYS
-
BaronFrançaise,LudovicCOCHIN,anciende CONTENSON,Ministre,de. l'AcadémieDéputé,
HenriCOULON,Avocat à la Courd'Appel.
CharlesDIEHL,de
l'Institut,
Profes-seurà l'Université de Paris.
PaulDOUMER,ancienPrésidentde Ja
Chambre
desDéputés,Sénateur.Emile DOUMERGUE,
Doyen.
de laFaculté libre de
Théologie
protes-tanteà Montauban,
E\iÿèn=
d'EICHTHAL,del'Institut,irecteur del'Ecole des Sciences
Politiques.
EtienneFLANDIN, Sénateur,
Anatole
FRANCE,
de l'Académie Française,MasGeorgesGAULIS, Publiciste.
Dr. H. Adams GIBRBONS, Docteur en
Philus<ävh1e,
auteurde « La Fonsdation de
l'Empire
Ottoman».Mgr GRAFEIN, Directeur de la Société
Anti-Esclavagiste. -
MM GUBRNIER, Député, ancienHaut Commissaire de
-
FrançaiseenGrande-Bretagne.
la République=P. HEROLD, Vice-Président de la Ligue des Droits de l'Homme.
Gustave
HERVE,
RédacteurenChefde *La Victoire".
C. JONNART;ancien Ministre, Sé- nateur,Présidentde la
Compagnie
.:du Canal de Suez.
Mgr LE ROY, Evèqued'Afinds.
MM:Raphaël:GeorgesLÉVY
del'Institut.Georges LEYGUES, Ministre de la Marine, Député.
F.MACLER, Professeur àl'École
Nationale des
Langues Orientalesvivantes.
A.
MEILLET,
ProfesseurauCollègede France.
J. de
MORGAN
ancienDirecteur Gé- néral desAntiquités
del'Egypte.
René PINON, Publicisté,Professeur àl'Écoledes Sciences
politiques
REBELLIAU, del'Institut,Conser-v£nteur
de laBibliothèquede l'Ins-titut.
Salomon REINAGH,de l'Institut, Louis RENAULT, del'Institut, Mi-
nistre Plénipoteatiaire, Professeur
à la Faculté de Droit.
Mure REVILLE,
Député.
G.SCHLUMBERGER,de l'Institut.
SENART,de l'Institut,
Mgr TOUCHET, Evêqued'Orléans.
M. Maurice VERNES, Président de la Section JReligieusede l'Ecole des Hautes Etudes.
SOMMAIRE
:L'Arménleet la Capitulation Maxi- maliste, par M. René L'Arménie et la Question des Watio-
nalités, par M. Proxor.
DOCUMENTS. Extrait du récent dis-
coursde M.
Balfour.-
L'histoire des Accordssecretsd'après L'Asie Fran-gaise.
"
REVUES ET JOURNAUX,
L'Année 1917et les problèmesd'Asie.
(L'Asie
Française).
Verslesnouveaux massacres. (Extrait du Times, du Near East et du
Figaro).
Nouvelles déclarations de Talat Pa- cha. (Le Journal deGenève).
L'Effort arménien «(Asie
Française,
le
Temps).
E
116 anvée 196 mars.
1918
xe5La voix de l'Arménie
REVUE BI-MENSUELLE
L'Arménie
et la capitulation maximaliste
Il y a une
espèce
d'hommes aussi criminels que lesmassacreurs Tures :ce sont les maximalistes russes
qui,
sachant de
quoi
les Turcssontcapables,
abandonnentle frontasiatique
et livrent à la fureur de leurs ennemis d'hier les Arméniens délivrés par les Russes. L'abominablecapitulation
de Lenineet de Trotski va coûterencore desflots de sang innocent : il est,
hélas,
trop facile de lepré-
voir. C'est le résultat
ordinaire,
- l'histoire en fait foi -des
prédications pacifistes
; elles amollissent les cœurs, endormentlespeuples
honnêtes etpréparent
la domina-tion des nations de
proie.
Les tyrans révolutionnaires
qui
ont livré laRussie, pieds
etpoings liés,
à sespires
ennemis etpréparé
sonasservissement
politique
etéconomique,
ont si bien sentieux-mêmes ce
qu'il
y avait departiculièrement
odieux àabandonnerles restes du
peuple
arménien à la vengeance desTurcs, qu'ils
ont rendu le décret officiel que nousavons commenté ici dans le numéro du 1°" février: nous enavions loué l'intention mais nous en mettions en doute l'efficacité ;ce n'était
là,
onpeut
lecraindre, qu'une
vaineLou 1tu:
ei atteinte ciel arlanir
138 La voix ps L'armÉNne
manifestation destinée à tromper
l'opinion
universelle ;tandis que le« gouvernement » maximaliste décrétait que
"
l'armée russe devait tenir le front d'Arménie
jusqu'à
cefet qu'une
armée arménienne soitorganisée,
les soldats$
russes, sans attendre la
permission, quittaient
le front et;
s'en revenaient
tranquillement
chezeuxpar bateauxou par i chemins defer,
nelaissant enArménie que lesquelques
bataillons arméniens
qui
servaient comme auxiliaires M dans l'armée russe, trop faibles encore pour opposer unerésistance efficace aux forces turques et
revendiquer
par les armes le droit de l'Arménie àla vieetàl'indépendance.
Les nouvelles les
plus
alarmantes nousparviennent
: enmêmetempsque leurs amis Allemands franchissaient l'an- cienne
ligne
de démarcation ets'avançaient
enRussie,
lesTures
s'avançaient
enArménie. A l'heure où nousécrivons,
ils seraient parvenussans résistanceà
Erzindjian
etàTrébi-zonde. Lesvilleset
bourgades
desvilayetsarméniensavaient
été
complètement
vidées de leurshabitants;
tout cequi
avait
échappé
au massacre età unedéportation qui
n'étaitque la forme lente de
l'assassinat,
s'était enfui enTranseau- casie russe, derrière les Russesvainqueurs,
ou en Perse ;cesmalheureux
réfugiés
étaientpeuà
peu revenus,confiants dans le courageetla solidité des soldats russes,quecesoientceuxdu Tsar ou ceuxde la
République.
Et voici que, de nouveau, sansque les Russes aient subi le moindre échecmilitaire,
sans que la force des Turcs se soit accrue, par 4la seule vertu démoralisatrice de la Révolution maxima- 4
liste,
ces malheureux se voient contraints de choisir entre une nouvelle fuite ou de nouveaux massacres.Ce que peuvent être les intentions des troupes turques, il est trop facile de le deviner. L'effondrement de la
puis-
sance russe ne peut
qu'exalter
leurorgueil,
leur fairecroire
qu'elles
ontremporté
des victoires et lespersuader
que les massacreurs n'ont aucun châtiment à redouter.
die
U'ARNÈNIE XT LA CAPITULATION NAXIALISTÉ 139 D'ailleursuneagence nous
informe,
deConstantinople,
àla date du 15
février,
que,depuis
ledépart
des troupes russes, les soldats Arméniensqui
occupent le territoireont commis des « atrocités » contre les
populations
musulmanes. La malice est, comme on
dit,
cousue de filblanc;
lesAllemands, chaque
foisqu'ils
sepréparent
àcommettre
quelque
actecontraireau Droit desgensetaux conventionsqui régissent
lapaix
etla guerreentre nationscivilisées,
d'abord accusent leurs adversaires du crimequ'ils
sepréparent
à commettre; aveceux, c'esttoujours
lemouton
qui
a commencé ! Les Turcs imitent maladroi- tement cet odieuxprocédé.
Leurcommuniqué
donne lefrisson ; il
s'agit
évidemment de faire oublier et dejusti-
fier
rétrospectivement
les massacrespassés
etdepréparer,
sous
prétexte
dereprésailles,
les massacres futurs. Décidé-ment l'ArménieetlesArméniens doivent
disparaître
de lasurface du
globe
: ainsi l'ont décidé les Turesetles Alle- mands, Peut-on du moinsespérer
que, derrièreles anciennes frontières del'Empire
russe, les débris des Arméniens pourronttoujours
trouver unrefuge
?Non, puisque
les conditions de
paix
que les Turco-Allemandsontimpo-
sées aux maximalistes et que ceux-ci ont
acceptées
sanssourciller,
comportent la cession aux Tures deBatoum,
Kars etArdahan,
c'est-à-dire, la frontière d'avant le traité de Berlin et la guerre de1877.
Ainsi une bonnepartie
de l'Arménie
qui
se trouvait en territoire russe retom-berait sous le
joug
ture. Ainsi en ont décidé les panger- manistes etl'Etat-major
allemand ; ils. veulentdisposer
d'unelibrecommunicationentrel'Anatolie turque,
qui
serasousle
protectorat allemand,
et laPerse,
l'Asiecentrale,
lesIndes,
le Turkestan. Les divisions turques s'avancent maintenant pour réaliserceprogramme; ellesvontchercher à établir une liaison avec les Tatares deTranscaucasie,
ennemis séculaires des Arméniens etdes
Géorgiens,
avec140 La VOIX DB U'armÉNIE
les
populations
musulmanes duCaucase,
et,par-delà
lesmontagnes
etpar-delà
laCaspienne,
avec lessept
millions de musulmans de la Russie du Sud-Estetaveclesgrandes agglomérations
musulmanes du Turkestan russe :Khiva, Boukhara, Samarkand, Tachkend, Merv,
aux nomspresti- gieux qui rappellent
lesexploits
duTchinguiz-Khan
et deTimour,
ancêtresethérosdupantouranisme. Déjà
destrou-blesgravessont
signalés
enPerse dans larégion
de Rechtetde Tabriz où les musulmans de race turque
s'agitent
à lafois contre les Perses Iraniens et contre les Arméniens.
La doctrine du
panturcisme
oupantouranisme,
inventéeou
rajeunie
par des savants Allemands(1)
peut séduirel'imagination
naïve d'un Enver ou d'unNazim,
elle n'esten réalité
qu'un
instrument deconquête
etdedominationaux mains des
pangermanistes
; ils'agit
d'achever le dé- membrement de la Russieet,commelesétats musulmans que l'on créerait paruneapplication mensongère
ethypo-
crite de ladoctrine dudroit des
peuples,
serontincapables
de se
régir eux-mêmes,
c'estl'Allemagne
et ses vassaux turesqui lesorganiseront.
Ainsi legermanisme
s'installeraau cœurde l'Asieaux lieuet
place
des Russes ; ilpénétrera
en Perse et en
Afghanistan
sous couleurd'émancipation
et, de là,
il agitera
les Indes pourenchasser lesAnglais (2).
Son action
s'étendra,
par les musulmans du Yun-nan et de laSibérie, jusqu'en
Chine. Le Mikadoetses ministressontdes hommes trop avisés pour n'avoir pas
déjà
aperçu lesperspectives
que l'effondrement russe donne aux ambi- tions allemandess'iln'y
est mis bon ordre. Il y alà,
pourtoutes les
puissances civilisées,
ungrand péril qui
menaceaussi bien les Indes que
l'Egypte
etl'Afrique
du Nord et(1)Tels lesArminiusVambéry.
(2)Le traité imposé aux maximalistés reconnaît l'indépendance de la Perseet del'Afghanistan.
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1FP LA -CAPITULATION MAXIMALISTE 141
qui
doitinquiéter
leJapon. L'Allemagne
fait de la Tur- ouie des Enver etdes Talaat l'instrument et lejouet
deses ambitions de domination
universelle;
mais on nejoue
pas sans
danger
avec le fanatismemusulman,
on neréveille pas
impunément
la férocitéturque;
l'arme est à deux tranchants et se retourne contre celuiqui
croit lamanier; l'Allemagne,
si elle réussissait dans sesprojets démesurés,
aurait elle-même unjour
à serepentir
desonimprudence. Adolphe
d'Avril termine son beau livre surle Traité de Berlin par ce
conseil,
formulé dans la vieillelangue
du droit : « adversus Mahomeriam æternavigi-
lantia esto ». La
sanglante
démonstration des massacresd'Arménie lui a
déjà
donnéraison;
il est criminel de laisser les discordeseuropéennes
procurer aux Turcs l'occasion de revanchesqui
prennentfatalement,
aveceux,
la
forme de la guerre sainteetdu massacre de popu- lations entières. Puissent les Arméniens et lesGéorgiens
du Caucase n'en pas faire la
trop prochaine expérience
!Voilà
pourquoi
nous voyons dans lecommuniqué
du15
février, qui prête
auxArméniens des «atrocités» contreles
musulmans,
un grave eteffrayant symptôme.
Envérité,
sous laplume
des Enver et desTalaat,
respon- sables des tortures et du massacre d'un million d'êtres humains sansdéfense,
- tortures etmassacresqui
durentencore, -cette
plainte apparaît
comme une macabre etsanglante plaisanterie.
Il estinutile de réfuter depareilles
inventions à moins que les Turcs ne
qualifient
d'atrocités lajuste réparation
dequelques-uns
des crimesprécédem-
ment
perpétrés,
telle que la revendication par les Armé-niens,
revenus dans leur pays, de leurs biensoccupés
arbitrairement par des musulmansTurcs,
Circassiens ouKurdes. Et si d'aventure un
Arménien, échappé
parmiracle aux massacres, revenait et, apprenant dans
quel
harem sa fillea été enferméeet violée par l'assassin de sa
142 LA VOIX DR L'ARMÉNIE
mère,
lareprenait,
serait-ce là une « atrocité », un san-glant outrage
audroit?Aussi
bien,
leplan politique
des Turcsapparaît-il
clairement. Le Comité Union et
Progrès
fera au besoinquelques
concessions auxAnglais
et auxFrançais
sur laquestion d'Arabie,
à larigueur
même surBagdad
et laSyrie,
maisgarder
l'Arménieetsupprimer
les Arménienssont des conditions nécessaires à la réussitedu
plan
pan-touranien,
tel que les Rohrbach et autres théoriciens del'expansion asiatique
allemande l'onttracéet tel quenousl'expliquions
dans notreprécédent
article avec M. Man-delstam et son livre pour
guides.
Les conditions de lapaix imposée
à la lächeté des maximalistes sontsignifica-
tives à cet
égard,
s'il est vrai que les Turcs aientexigé
l'évacuation
complète
de l'Arménie dans dix semaines et toutes facilités pour eux d'établir des rapports avec lesprovinces
voisines de laTurquie (il s'agit
évidemment des Tatareset des diversespopulations
musulmanes du Cau- case). Les bataillonsarméniens, qui
occupent. l'ancien front aux endroits lesplus dangereux,
sontdéjà qualifiés
de « bandes » et de «
brigands
» et vont être maintenant accusés d'être des rebelles contrequi
tous les moyenssont
permis.
«Attendu,
dit lecommuniqué
ture du15
février,
que les atrocités commises par les bandes enquestion
prennent touslesjours plus d'extension,
le com- mandant de notre armée du Caucase a reçu l'ordre deprendre
des mesures efficaces pourprotéger
contre cesactes
d'hostilités,
dans la zone évacuée par lesRusses,
lesbiens,
l'honneur et la vie de noscompatriotes
et pour maintenir la sécurité dans les territoires mentionnés. » Voilà commentlesTurcs,
alliés desAllemands, préparent
et annoncent un massacre
prochain.
Cependant,
Tures et Allemands, àBrest-Litowsk,
sesont rendus compte
qu'un
retour de l'Arménie sous leeme il
L'ARMÉNIE ET LA /CAPITULATION MAXINALISTE 143 joug ture demandait à être
préparé.
Les « neutres »pourraient,
eneffet, s'étonner
et protester. Aussi a-t-onentendu Djavid Pacha,
àBerlin, promettre
aux Arménienstant de félicités
qu'ils
oublieraient bien vite lespetits
malentendus de
1915.
En mêmetemps
leparti
turcqui représente l'opposition faisait,
enSuisse,
les avances auxArméniens dont nous avons
parlé
ici(1).
ABrest-Litowsk,
Hakki Pacha aparlé sympathiquement
des Arméniens eta même émis
quelques
regrets sur les excèsipassés,
maisil a bien
spécifié
que l'amélioration du sort desArméniens était unequestion
purement intérieure que les Turcsrégleraient
seuls. L'histoire prouvequ'en
effetonpeut s'en rapporterà eux!«
Soldats, disait
Kléber à ses troupesd'Égypte
en por-tant à leur connnaissance une sommation turque, on ne
répond
ù de telles insolences que par des victoires! » Et ilenfonçait
une armée turqueàAboukir. Saproclamation héroïque
devrait être miseà l'ordre dujour
de l'Entente.Les
plans
des Turcsinspirés
et soutenus par leurs maîtres Allemands ne doivent pas être réalisés; leursforces, d'ailleurs,
ne sont pas en rapport avec leurs ambi-tions;
leurs faciles succès sur les maximalistes leur ont faitperdre
lesensdes réalités.Déjà l'avantage
dugénéral Allenby
àJéricho est pour leurorgueil
un avertissement.Qu'un
mouvement en avantvigoureux
sedessine dans les arméesde Palestine et deMésopotamie
et l'on verra s'ef-fondrer les dernières armées que la
Turquie, épuisée
auservice des
Allemands, puisse
mettre enligne.
En Armé-nie même et au
Caucase,
lesArméniens et lesGéorgiens, qui
saventqu'ils
n'ont aucunquartier
à attendre des Turcs etqu'un
même sort lesattend,
sedisposent
àrésister. La
République
du Caucase estindépendante
et(1) N°2 p. 64-65
1440 LA VOIX DE
elle a le droit de résister pour son compte aux Turcs envahisseurs et massacreurs; elle a le droit de ne pas reconnaître le traité
qui
livre aux Turcs unepartie
deson territoire. Mais ses forces sont limitées et il im- porte que les Alliés
poussent
en avant l'arméeanglaise
de
Bagdad
pour établir àtemps
une liaison avec les élémentsqui,
en Perse et enArménie,
sont résolusà lutter contre les Turcs et à les arrêter.
Enfin,
il nousappartient
d'enappeler
àl'opinion
universelle de cette nouvelle condamnation des Arméniens arrachée à lapusillanimité
desmaximalistes;
même enAllemagne
il ya des hommes
prévoyants qui désapprouvent
les foliessanglantes
du-
Les- gouvernements
/
l'Entente ne devraient pas se lasserderépéter, après
delePrésident
Wilson,
que laquestion d'Arménie,
commecelles de
Syrie,
dePologne,
d'Ukraine ou deLithuanie,
est internationale et ne se
réglera
pas à huis clos entrecomplices.
Les neutres s'honoreraientens'associantàunetelle
protestation
: c'est leur intérêtqui
est enjeu. L'opi-
nion civilisée attend à bref délai des
gouvernements
alliésune déclaration
qui,
une fois deplus,
fasse retentir lavoix du droit et de l'humanité en face des
hypocrisies sanglantes
des Tures et des Allemands et desutopies déliquescentes
des révolutionnaires russes. Mais cetterevendication,
il fautl'appuyer
sur la force etl'étaÿer
par des victoires.
Rexé Pixox.
.
1 |
|
L'Arménie
et
la Question des Nationalités
Al'heure où la
question
desnationalitésse pose avecuneacuité de
plus
enplus accentuée,
où des résurrections oudes
regroupements
depeuples surgissent
à l'horizondiplo- matique,
il m'a paru d'un haut intérêtd'envisager
le pro- blème arménien sous lejour
de ceprincipe
des nationa-lités
qui
sera incontestablement leprincipe inspirateur
desnégociations
depaix quand
l'heure de celle-ci aura sonné.Certes,
la Justice seulesuffirait,
mesemble-t-il,
àcodi-fier
politiquement
leslégitimes aspirations
des Arméniensqui
ontpuisé
leur droit national dans lesplus tragiques
souffrances
qu'un peuple
aitendurées.Mais la Justiceestaffaire-tropsouvent-de sentiment.
Celle-ci doit être renforcée de la
logique
et donc de laraison.
Or,
en cequi
concerne la solution duproblème
arménien - et celui-ci
existe,
endépit
des Turcsjeunes
ou vieux- la
justice
et lalogique
sont d'accord.C'est ce que
je
vais essayer de démontrer. par (cesquelques réflexions,
volontairement écourtées enraison du cadre mesuré de cette revue dont le moindre bien que l'onpuisse
dire estqu'elle
est née à une minute oppor-tune.
Une nationalitéest constituée par divers élémentsassez
complexes
et queje
n'ai pas l'intentiond'analyser aujour- d'hui,
cetteanalyse
devant m'entraînertrop loin. Il en esttrois, cependant,
que-je
considère comme essentiels ;1°
L'originalité intellectuelle;
2° Lacapacité politique;
3° La valeur des facultés
économiques.
Si l'Arméniepos- sède ces troisqualités,
elle estcapable
de vivrenations»
La voix DE LartÉmE
lementet donc
elle
doit vivre nationalement.Envisageons
donc ces trois
points
de vue,après quoi
nous pourronsapporter
à notre étudeune conclusionqui,
pour mapart,m'apparaît
conforme audésir des Arméniens de redevenir arméniensintégralement
dans leurpatrie
reconstituée.L'Originalité
intellectuelle. -Lestyle,
c'est l'homme, a ditBuffon;
unpeuple, ajouterai-je, exprime
sapersonnalité
parsa littérature.
Je l'ai souvent écrit : ce par
quoi
s'affirme cetteorigi-
nalité
arménienne,
c'est parcemariage
harmonieux entrel'idéalisme occidental et la
pensée
orientale.L'intelligence
arménienne est un trait d'union
qui
relie le concept de l'Occident au concept de l'Orient et celadepuis qu'il
y a des Arméniensqui
pensent etqui
écrivent, c'est-à-diredepuis
les temps lesplus
lointains.Orientale,
elle l'est par ce quej'appellerai (les fresques
éblouissantes où seplaît
sapensée.
Un flotd'images,
richesà
l'excès, l'emporte
vers les rivesoù se dressent lesmirages
de la vieilleAsie, drapée
de voiles que soulèvelégèrement
la brise des réveries nonchalantes tendues vers les aurores éclatantes, lescrépuscules
étincelants et les nuitsphosphorescentes qui
font de l'Orient uneperpé-
tuelle fécrie de lumière.
Depuis
Nahabed Koutchakjusqu'à Djivani,
l'Orienttoutentier est inclus dansla littérature arménienne.
Et certes, d'autres littératures orientales lui sont, à ce
point
de vue,apparentées.
Mais voicil'originalité
: lapensée
arménienne ne se résout pas à se fondre dansl'unique
âmeorientale. Elle s'acommode peu du fatalismeasiatique qui
luiapparaît
comme infiniment inférieur à laconception
de la volontéagissante,
c'est-à-dire de laliberté humaine dont la notion relève de laphilosophie
occiden-tale. Le
grand
trouvère Koutchak a écrit: « Celuiqui ploie
sous lespeines
meurt avant sonjour.
»Et,
vous le savez, avec uneindomptable énergie,
lapensée
arménienne est restée droite sous les avalanchesL'ARMËNIE EP La QUESTION DRS NATIONALWÉS 147
répétées
des invasionssuccessivesqui
n'ontjamais
absorbéce
peuple
demeuré debout etqui
futtoujours
réfractaire à touteassimilation.Rappelez-vous
les belles chansons duvillage
de Kolthnetlesgrands couplets
de lavilled'Eghine,
etMoïse de Khorèneet la
poésie classique
etsurtout peut-être la littérature moderne
qui
n'estqu'un long
refraind'espoir
et un incessantappel
àl'énergie
féconde.Aussi
bien,
cette unité de lapensée
arménienne se ma-nifeste,
nonseulementen Arméniemême,
mais aussi danstous les pays du monde que durent
prendre
pour asile les penseurs arméniens chassés par les rafales des invasionset par les
tempêtes
destyrannies. Donc,
sur cepremier point qui
constitue unpeuple
:l'originalité intellectuelle,
lepeuple
arménienexprime
une individualitéqui
sera l'undes arguments les
plus
forts surlesquels
se fondera sonnouveau destin.
La
Capacitépolitique.
-Je suis de ceuxqui
pensent que lacapacité politique
d'unpeuple
est en fonction de sonindividualité intellectuelle. La transition entre mes deux
principes
m'est donc aisée. Lepeuple
arménien étant unpeuple
par sapensée,
il l'estipso facto
par sonaptitude
àsegouverner soi-même. Nation presque
toujours
sous unjoug,
l'Arménie n'a pu,évidemment,
laissers'épanouir
sesmerveilleuses facultés
politiques.
Mais ilnousestpossible, néanmoins,
d'en avoir une idée en considérant ce dont furentcapables
certainsgrands
Arméniens dans leurspatries d'adoption,
ou de résidence.Qu'il
me suffise derappeler
le rôle de toutpremier plan joué
enEgypte
par NubarPacha,
« le Cavour del'Orient »; par
Odian,
le brasdroit de Midhat Pachaqui
établit les bases de la constitution ottomane; par Malcom Khandont le nom demeure attaché à la
grande
réformede
Perse;
parEphrem
Khanqui
incarna la-
persane etqui
mérita d'être surnommé : « le Garibaldirévolution de l'Orient », et LorisMelikof,
l'un desplus grands géné-
rauxet
diplomates
de la Russie moderne. Je m'en tiensLa VOIX DR L'ARMÉNIE
àces
quelques exemples
queje pourrais multiplier
sije
voulais montrer l'action d'un
grand
-
nombre d'autresArméniens en Russieet ailleurs. Mais ceux-ci sont assez
illustres pour m'être suffisants.
Pour le
surplus, indiquerai-je
l'immenseorganisation qui
révèle ungénie politique profond
etqui s'élabore,
à l'heure
actuelle,
auxrégions
caucasiennes où une vie nouvelle vasurgir
des ruines sitragiquement
accumulées.La valeurdes
facultés économiques.
-Ce n'est pas seu- lement par son individualité intellectuelle et sacapacité politique
que lepeuple
arménien constitue une véritablenationalité,
c'est aussi par ses. merveilleusesaptitudes économiques.
Aux
Indes,
enChine,
les Arméniens furent, de tout temps, les fortesintelligences qui contribuèrent,
pourune part
prépondérante,
audéveloppement
du commerceetde l'industrie entre l'Orient etl'Occident.
A
Constantinople,
ungrand
nombre de beautésqui captivèrent
legénie
d'un Pierre Loti sont dues auxfacultés créatrices d'Arméniens.
Et, d'ailleurs, l'aptitude
commerciale arménienne n'est- elle paslégendaire
à travers le monde?Cetteréputation
a étéenregistrée
par des observateursparticulièrement qualifiés.
Dans son « Histoire du Commerce et de la
Naviga-
tion », Huet écrit : « Les Arméniens se servaient du
Tigre
et del'Euphrate
pourtrafiquer
avec la Perse. Ilsallaient à
Babylone,
lelong
del'Euphrate,
dans desbateaux de cuirs ronds et
légers.
La merCaspienne,
lePont Euxin fournissaientauxArméniens les marchandises
qu'ils
débitaienten Perse. Parlà,
non seulement le trafic du Nord se faisait enPerse,
mais encore celui des Indesetde la
Chine,
dont les marchandises descendaient dans la merCaspienne
par la rivière d'Oxus et, decette mer, en remontant le fleuveCyrus, s'approchaient
du PontEuxin
(Mer Noire)
d'où elles serépandaient
dans toutel'Europe
».|
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WARMÉNIE ET LA QUESTION DES 149
Pitton de Tournefort
portait
cejugement
sur lescom-merçants
arméniens,
en1718
: « Non seulement ils sont les maîtres du commerce duLevant,
mais ils ont unegrande
part à celui desgrandes
villes del'Europe.
»Dans son «
Voyage
dansl'Empire
Ottoman », Olivierécrit : « Ce sont les Arméniens
qui,
dansl'Empire Ottoman,
fontleplus grand
commerce etqui
lefontavecle
plus d'intelligence.
Ils sontpatients, économes,
infati-gables.
Ils ont desmagasins
et descorrespondants
par-tout. »
Il
m'apparaît
donc quepoint
n'est besoin d'insistersur ce côté de laquestion,
laréputation
commerciale des Arméniensétant, d'ailleurs,
commeje
le disaisplus
haut, de notoriété universelle.
Ainsi, intellectuellement, politiquement, économique-
ment, le
peuple
arménien réunit lesqualités
essentiellessans
lesquelles
une nationalité ne repose sur aucune baseprofonde.
Si
j'ajoute
combien cepeuple
est attaché par des affi- nités etdes lienspuissants,
àla civilisationoccidentale,
et,dans lacivilisation
occidentale,
à la culture latine et, dans la culturelatine,
augénie français, j'aurai démontré,
mesemble-t-il,
bienqu'en raccourci,
d'une part, lalégiti-
mité fondée deses
espérances
en une vie nationale enfin reconstituée et, d'autre part, l'intérêtprimordial qu'a
laFrance à cette
reconstitution, puisqu'en Orient,
l'Arménies'est
toujours affirmée,
enquelque
sorte, comme le pro-longement
de la France sous ses traitsoriginaux
et bienà elle. Et
puis,
n'est-ce pas, tous ses morts ont assez démontré combiendigne
elle estde la nouvelle viequ'elle
rêve et
qu'elle
doitreconquérir
aujour
durèglement
descomptes.
ExiLe Prexor.
DOCUMENTS
Extraits
du
Discours prononcé par M. Balfour
à la séance du 27
février
de la Chambre des CommunesEn
réponse
à uneinterpellation
de M.Holt, député,
M. Balfoura
prononcé
le 27 févrierexpiré,
unlong
discoursqui
constitueuneréplique
aux toutes récentes déclarationsdu chancelierallemand, lecomteHertling.
Nous détachons dece discours les passagessuivantsconcer- nantlesortdesnationalitésde
l'empire
ottoman:« Je reviensaux troisièmeet
quatrième principes
posésparleprésident
Wilson:-« Ce que l'on doit retenirde tous cesrègle-
ments territoriaux, ce sont les intérêts et les avantages des
populations auxquelles
ilss'appliquent.
» - Jedésireque la Chambrese rendecompte commentle comteHertling
entendappliquer
ceprincipe
-d'après
une traduction d'un para-graphe
desondiscourset enl'appliquant
à lapolitique
mon-diale. Il mentionnetrois pays dont il désire voir le retouraux
Tures :l'Arménie,la Palestineetla
Mésopotamie.
L'honorabledéputé
croit-il que les intérêtset les avantages despopulations
deces contrées auraient été consultés
lorsqu'elles
seraient ren-dues à leurs maîtres tures? Le comte
Hertling
nous accused'avoir été animés de desseins purement ambitieux
lorsque
nous avons
conquis
laMésopotamie
etlors de laprise
deJéru- salem; etje
supposequ'il
considère la Russie d'autrefoiscommeayant été animée de
desseins
purementambitieuxlors-
qu'elle
aoccupé
l'Arménie. Mais c'est laTurquie qui
est€ i
i i
nocuments
entréeen guerre et nous acherché
querelle
avec des intentions purementambitieuses.L'Allemagne
lui avaitpromis
laposses- sion del'Egypte.
C'était pours'emparer
del'Egypte
et attiréefortement parcet
appât qu'elle
ajoint {ses
forces à celles despuissances
centrales. Enquoi
aurait-on consulté lebonheur,
les avantagesetles intérêts despopulations d'Egypte
en laissantconquérir
ce pays par les Turcs? Les Allemands, dans leurrecherche du
plus grand
bonheur de cespopulations,
auraientreplacé l'Egypte
sous lepire joug
que le monde aitjamais
connu; ils voudraient, s'ils le
pouvaient,
détruirel'indépen-
dance arabe; ilsvoudraient, s'ils le
pouvaient,
remettrele paysqui
est le centre de sipieux
intérêts- la Palestine-sous lerégime
de ceuxqui
l'ont rendu stérilependant
tous cessiècles,toutcommeilsont rendu stériles tous les territoiresauxquels ilsont
imposé
leur domination. »(Applaudissements).
L'historique des Accords secrets d'après
«L'Asie Française
»Nouscroyonsutile de
reproduire,
à titredocumentaire,
l'his-torique
suivant,émanant d'une source aussi autorisée que la Revue L'Asie Française, de ces « AccordsAsiatiques
» inter-"
venusentreles Puissances alliéesau cours de l'année
1916,
que d'aucuns se sont.plû
à dénommer « lesaccords. secrets ».. Ontrouveradanscet
historique
desrenseignementsetdeséclaircis-sements
relatifs
àl'origine,
au sensetà laportée
decesaccords.Ces éclaircissementsviennent au bon moment,alors que dans les articles
publiés
oùreproduits
dansnotreRevueonrencontrede
fréquentes
allusionsàcesaccords: ils aideront du resteles lecteurs àserendreuncompteexactdelaposition diplomatique
de la
question
arménienne dansunepériode
où la Convention dont ils'agit
semblaitavoirlecaractèred'unrèglement défi-
nitif.
LA VOIX DB L'ARMÉNIE
A la fin de novembre,les maximalistesontadresséau monde
un« décret »de
paix.
A cetteoccasion,
M.Trotsky
prononçaun discours
public
danslequel
il disait : « Tous les traitéssecretsde laRussie serontbientôt
publiés...
»Immédiatement,
les organesmaximalistes,
l'Isvestia, la PravdaetlaZnamia Troucopubliaient
lestraités secretspassés pendant
laguerre entre les gouvernements alliés et la Russie.Une
grande partie
d'entreeuxavait trait à l'Asie, Aucun d'ail- leursn'étaitinconnu,
du moinsdans
sasubstance,
dupublic qui s'occupe
de.questions
extérieures. Le chancelier allemand les avaitdéjà analysés
etdénoncéscomme desinstrumentsd'impé-
rialisme dans son interview du 28
juillet
et son discoursdu 21 août.
.
Chacun savait donc les tractations
auxquelles
la demandede laRussie dese faire reconnaître
Constantinople
donnèrentlieu.
C'est le4 mars
1915
que le gouvernement russe, apprenantl'attaque qui
sepréparait
contre lesDardanelles,
fitconnaîtreaux ambassadeurs de France et
d'Angleterre
àPetrograd
ledésir d'annexer
Constantinople,
le littoral occidental du Bos-phore,
la merde Marmaraetles Dardanelles ainsi que le terri- toirede la Thracejusqu'à
laligne
Enos-Midia et la rive orien-taleentre le
Bosphore
et unpoint
à fixer sur legolfe
d'Ismidainsiqueles îles de lamerde Marmara et les îles d'Imbroset
deTénédos
qui
sontdevantl'entrée des Dardanelles dans lamerEgée.
Lesgouvernements de Paris et de Londresrépondirent qu'ils acceptaient
à la conditionqueConstantinople
deviendraitunportfrancetque les droits de la Franceetde
l'Angleterre
enAsie-Mineureseraient reconnus. Et c'estalors
qu'eurent
lieu desnégociations
à la suitedesquelles
les droitsspéciaux
de laFrance sur la
Syrie
furent reconnus non seulement par la Russie, maisencore parl'Angleterre qui,
desoncôté,
se faisaitreconnaître une
sphère
d'influenceenMésopotamie
ainsiquelapossibilité
d'établir un port à Caïffa avec un chemin de fer reliant cepoint
de la côte de la Méditerranée à la Méso-potamie.
.
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