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Osmose des modèles familiaux et droits de la personne

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Osmose des modèles familiaux et droits de la personne

PAPAUX VAN DELDEN, Marie-Laure

PAPAUX VAN DELDEN, Marie-Laure. Osmose des modèles familiaux et droits de la personne.

In: Besson, Samantha.. et al. Les droits de l'homme au centre . Genève : Schulthess, 2006.

p. 377-413

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:13065

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

(2)

I.

II.

OSMOSE DES MODÈLES FAMILIAUX ET DROITS DE LA PERSONNE

A.

B.

Introduction

par

MARIE-LAURE PAPAUX VAN DELDEN Docteure en droit, Université de Genève

L'osmose des modèles familiaux

Interrelations entre les droits de la personne et le droit de la famille Illustration du mouvement d'osmose

377

378 378 381 TIl. L'infiuence des droits de la personne sur les modèles familiaux

institutionnalisés 382

A. Du mariage 382

B. Des fiançailles 384

IV. L'inOuence des droits de la personne sur les modèles familiaux informels 387

A. Du concubinage 387

B. Du partenariat homosexuel 410

V. Conclusion 412

1. Introduction

Osmose des modèles familiaux et droits de la personne est un thème qui rend hommage à la famille, unité de droit comme de fait, prise dans son sens le plus large, chaleureusement vécue, choyée et encensée tant par les aspirations individuelles que collectives. Notre but principal est de déterminer l'influence' exercée par les droits fondamentaux, consacrés par la Constitution et le droit international des droits de l'homme, sur les modes d'organisation de la vie privée et familiale, en principe plus spécifiquement du ressort du droit privé 1 •

En harmonie avec la Charte de l'Union européenne, il y a au demeurant lieu de se référer dans la plus large mesure possible non plus aux droits de l'homme, mais aux droits de la personne.

l Voir en détail sur ce sujet la thèse de l'auteure soussignée: Papaux Van Delden M.-L., L'influence des droits de l'homme sur l'osmose des modèles familiaux, Helbing &

Lichtenhaho, Genève, Bâle, Munich 2002.

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De la démarche, consistant en particulier à délimiter les modèles familiaux en fonction de leur réglementation juridique, apparaît le phénomène que nous avons qualifié d'osmose, ce terme étant synonyme d'interpénétration et se définissant par l'influence réciproque. Dans un premier temps, nous cernerons d'une manière globale ce phénomène d'osmose des modèles familiaux, en mettant en exergue l'influence y relative des droits fondamentaux. Les différents modèles d'organisation familiale seront l'objet de nos deuxième et troisième chapitres relatifs respectivement à l'influence des droits de la personne sur les modèles familiaux institutionnalisés, à savoir le mariage et les fiançailles, pour traiter ensuite les modèles informels, qu'il s'agisse du concubinage puis du partenariat homosexuel, dont l'informalité pourra prendre fin dès l'entrée en vigueur de la loi sur le partenariat enregistré. Notre plan ne doit en conséquence pas se lire de manière linéaire mais davantage comme formant une boucle dans le mouvement du statut au contrat et inversement, l'informel devenant formel, alors que la reconnaissance de partenariats enregistrés rejoint une approche institutionnalisée. Ce mouvement circulaire témoigne d'ailleurs de l'osmose des modèles familiaux. Nou.

conclurons enfin sur la leçon que dictent les droits de la personne face à ce phénomène.

II. L'osmose des modèles familiaux

A. Interrelations entre les droits de la personne et le droit de la famille

Ce thème implique tout à la fois: droit international et droits internes, droit public et droit privé, sans oublier la sociologie juridique et politique. Les liens qu'entretiennent ces différentes matières attestent d'ailleurs également un phénomène d'osmose, caractéristique de nos réalités contemporaines sociales et juridiques, au point de s'imposer comme notre fil conducteur. Notre sujet pose également le problème des interrelations entre les droits fondamentaux, élément transcendent et fédérateur des sociétés modernes, et le droit de la famille, droit du statut et pilier culturel de chaque société. S'ajoute ainsi la contradiction fondamentale entre le caractère universel, inné des droits de la personne, et la relativité des droits et cultures familiales, la « famille» étant un concept de droit par essence artificiel, qui peut varier en fonction des domaines du droit dans un même système juridique. Les limites du consensus ont d'ailleurs été atteintes lors de l'élaboration de la Charte des droits

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fondamentaux de l'Union Européenne lorsqu'il a été question des droits au mariage et de fonder une famille, garantis fmalement selon les lois nationales 2 !

Les thèmes choisis ne sont en conséquence pas dociles à traiter, chacun étant conflictuel, qu'il s'agisse de la famille, en pleine mutation, ou des droits de la personne, dont l'invocation permanente peut être ambiguë.

Alors que le droit international des droits de l'homme garantit un standard de protection minimum, qui devrait théoriquement faire l'unanimité, il est au contraire en droit de la famille difficile de détenniner avec certitude les conditions nécessaires au respect des droits fondamentaux. La confrontation de ces thèmes doit de surcroît se faire plus particulièrement sous l'angle du droit comparé. Si dans un cadre mondialisé les problèmes humains sont partout les mêmes, chaque pays, chaque famille de droit les aborde à sa manière et cette diversité pose le problème politique et juridique des leçons dictées par les pays les plus tolérants et d'une nécessaire harmonisation par le biais de l'œuvre des droits fondamentaux, qui se trouvent au centre des préoccupations contemporaines sur l'évolution des droits de la famille.

1. Influence des droits fondamentaux sur la famille

La Convention européenne des droits de l'homme de 1950 (CEDH)3, dont les droits et libertés font partie intégrante de l'ordre juridique suisse et sont directement applicables, constitue l'instrument le plus emblématique du point de vue de la conception de la famille, de ses fondements et de son organisation. Le Préambule de la Convention se réfère de surcroît au

«développement>, des droits et libertés fondamentaux, indiquant d'emblée que son but n'est pas statique, mais au contraire dynamique. Le contrôle juridictionnel et donc contraignant de la Cour strasbourgeoise repose sur la notion de garantie collective, dans le sens où la Convention exprime le

« patrimoine commun» des démocraties occidentales, instrument d'harmonisation minimale du droit interne des Etats contractants. En sachant que le Tribunal fédéral n'a pas le pouvoir de revoir la constitutionnalité des lois fédérales, l'on comprend l'importance du contrôle de la conventionnalité des lois 4 et en dernière instance du jugement de la Cour européenne des droits de l'homme.

2 Art. 9 de la Charte, in : JOCE 2000/C 364/0 1.

3 Entrée en vigueur en 1953 et pour la Suisse le 28 novembre 1974 : RS 0.101.

4 Pratique coofirmée in: ATF 129 III 656, c. 5.1.

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D'une protection accordée au groupe familial, l'on assiste, sous l'impulsion des droits de la personne, au passage à une protection individuelle de ses membres, la personne primant sur la famille. Le contexte d'idéologisation profonde des droits de l'homme a en effet permis aux notions de dignité de la personne, de respect universel et effectif, de pénétrer les relations familiales.

Au cœur des droits fondamentaux impliqués dans notre problématique, à savoir le droit au mariage, le droit au respect de la vie privée et familiale, la liberté personnelle, l'interdiction de la discrimination, se trouve, selon à nouvean nn phénomène d'osmose, le droit à la libre recherche du bonheur. Il appartient alors à l'Etat de trouver des règles garantissant le libre épanouissement dans les relations interindividuelles. L'invocation des droits de la personne introduit toutefois paradoxalement le conflit potentiel au sein du groupe.

La question clef par rapport aux droits fondamentaux devient non plus seulement les rapports entre l'individu et l'Etat, mais également le rôle de l'Etat dans le règlement des relations interindividuelles, ce qui a été rendu encore plus explicite dans le cadre de la Convention internationale relative aux droits de l'enfant de 1989 (CDE)'. L'importance du droit public et en particulier du droit international des droits de l'homme sur la famille est ainsi devenue telle qu'il devient artificiel de traiter du droit de la famille sous l'angle restreint du droit interne. La dichotomie droit privé/droit public, droit interne/droit international, s'estompe dans un mouvement également osmotique.

2. Importance du droit public dans la définition de la famille

L'effacement des frontières entre droit privé et droit public est particulièrement illustré par l'importance du droit public dans la définition de la famille. La compréhension de la « vie familiale» développée par la jurisprudence strasbourgeoise peut ainsi être appelée à modifier les conceptions sur le plan interne, ce d'autant que la protection accordée aujourd'hni par l'art. \3 al. 1 Constitution fédérale (CF)6 correspond matériellement à celle de l'art. 8 CEDH7 A la base de la famille, la jurisprudence européenne place naturellement la «cellule familiale», constituée par un homme et une femme unis par le mariage ou entretenant une

'Entrée en vigueur en 1990 et pour la Suisse le 26 mars 1997: RS 0.107.

6 RS 1Ol.

7 ATF du 18 septembre 2003, 5P.257/2003, c. 2.1.

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relation stable": c'est dire si ces deux formes s'équivalent"! La réalisation d'une vie familiale dépend uniquement de l'existence de liens réels, effectifs et profonds, la cohabitation 10, la dépendaoce fmancière ou affective en étant des indices déterminants 11. Les termes «vie familiale» sont en conséquence interprétés d'une façon progressive, matérielle et non formelle, s'analysant même davantage comme une réalité de facto que de iure, et ce déjà daos la jurisprudence de l'ancienne Commission européenne des droits de l'homme.

Dans l'examen des effets du concubinage, la vedette en matière de désignation de la famille a de surcroît été ravie au droit civil par le droit public. La plupart des législateurs traitent en effet aujourd'hui du concubinage de manière ponctuelle, en majorité dans les domaines liés au droit public 12. La législation sociale a même aujourd'hui un rôle d'anticipation des valeurs qui seront ensuite consacrées par le droit civil. Il est certes plus facile d'entrer par la petite porte, démarche s'attachant à la résolution de problèmes concrets sans grand débat idéologique. Il revient en conséquence au droit public de rendre particulièrement effective l'osmose des modèles familiaux en reconnaissant des droits aux concubins.

B. Illustration du mouvement d'osmose

Le rôle central, de pivot, très emblématique du phénomène d'osmose, joué par les fiançailles en droit suisse doit être souligné. La conclusion des fiançailles naît d'une simple promesse de mariage, sans forme, sans témoin, qui peut même s'imposer aux fiancés sans que ceux-ci en aient conscience. Cette relation informelle un peu désuète, voire poussiéreuse, et pourtant institutionnalisée - la volonté de réglementer les fiançailles a été réaffirmée en Suisse en 1998 - fonctionne comme un rouage central entre l'institution

8 Pour une relation extraconjugale: ACEDH Johnston, A 112, p. 25, par. 555, requête n.

21173/93, G.A.B. v. Espagne du 30 août 1993 non publiée; pour une union libre: ACEDH Keegan, A 290, par. 44; cf. Coussirat-Coustère V., Famille et Convention européenne des droits de l'homme, in : Protection des droits de l'homme: mélanges à la mémoire de Rolv Ryssdal, Cologne 2000, p. 281,s, 284.

9 «La famille (à laquelle peut être assimilée la relation du couple hétérosexuel non marié mais cohabitant comme mari et femme) mérite une protection particulière dans la société) : DR 47, 274, 285.

10 Si la cohabitation est certes un élément important, il n'est pas à lui seul déterminant: DR 77-B, 108, 115; DR 72, 118,126.; DR 55, 224, 247. Voir également: ACEDH Kroon, A 297-C, par. 30.

11 DR 40, 196; DR 30,235; 7912/77, résumée in: EuGRZ 1981 118, N 91; DR 12, 32;

Digest III 89s, ct 91. Le lien de dépendance s'examine également dans un sens plus large:

DR 57, 287, 292.

12 Pour un aperçu de différent, droits étrangers: Papaux Van Delden (n.1), p. 349ss.

(7)

formelle du mariage et le coucubinage, commuuauté de fait, dont la présence sociale, à défaut de légale, ne peut plus être ignorée. Or, les fiançailles représentent en général, dans les circonstances actuelles où les fiancés forment une communauté de vie, un «mariage à l'essai)}, se confondant alors à la majorité des concubinages. Aujourd'hui la boucle est même fermée, les partenariats, objet de toutes les attentions, permettant aux uuions informelles de se doter d'uu caractère institutionnel.

Le concubinage est en conséquence le plus délaissé par la loi en Suisse. Et il s'agit ici des concubins hétérosexuels comme homosexuels, tant il est vrai que le partenariat enregistré, qui va entrer en vigueur au niveau fédéral, ne concernera que les couples qui se soumettront à uu enregistrement \3.

Resteront dans l'ombre du droit tous ceux qui n'auront pas fait cette démarche. La tendance à la réponse « mariez-vous », ou « partenarisez-vous », pourrait d'ailleurs s'alourdir, ce dans le but de refuser de déduire des effets à uue relation pourtant effectivement vécue. L'on peut même se demander aujourd'hui si le mariage, dont le nombre d'adeptes ne cesse de diminuer, ne retrouve pas quelque légitimité par la quête de reconnaissance des couples de partenaires de même sexe, consolidant son aspect institutionnel, délaissé par les couples hétérosexuels.

III. L'influence des droits de la personne sur les modèles familiaux institutionnalisés

A. Du mariage

Le mariage est par nature ambigu, en fait, acte social et/ou privé, en droit, institution et/ou simple contrat. La compréhension juridique du mariage était considérée dans la conception du droit romain classique comme uu contrat.

Les juristes modernes ont recherché uue autre explication au statut matrimonial. Le mariage devient alors uue espèce de corps social dépassant les volontés individuelles de ses membres, l'état d'époux pouvant être compris comme l'appartenance à uue commuuauté avant de représenter l'état de la personne. Le contrat répond au contraire aux tendances individualistes.

13 Cf. Loi fédérale du 18 juin 2004 sur le partenariat enregistré entre personnes du même sexe, LPart : RS 211.231; entrée en vigueur au ICI" janvier 2007. Cf. infra: partie IV, litt. B, ch. l.

(8)

1.

Institution ou contrat?

Le Christianisme imprégna le mariage d'une dimension institutionnelle, dont les Constitutions sont traditionnellement garantes. L'art. 14 CF, qui consacre le droit au mariage, ne se distance pas, selon la doctrine dominante, du modèle issu de l'ancienne Constitution fédérale, comportant une garantie individuelle du mariage greffée d'une garantie institutionnelle

'4.

L'art. 12 CEDH ne s'en démarque pas davantage" .

La garantie institutionnelle est pourtant de nos jours mise à mal. Sur la base de la notion d'individualisme, importée en parti~ de la conception des droits fondamentaux, le mariage à la carte se profile, le droit institutionnel cédant la place au droit contractuel, ce d'autant que le mariage est devenu une union souvent temporaire. Fruit de la volonté des parties à sa conclusion, le mariage lui échappe en effet de moins en moins s'agissant de ses effets et même des modes de sa dissolution. Avec l'avènement du divorce par consentement mutuel, le «mariage-contrab>, appelé à durer tant que les époux le désirent, tend à se substituer au <anariage-statu!». Si la famille d'aujourd'hui se situe en conséquence davantage dans le domaine privé, elle devient paradoxalement plus perméable aux droits fondamentaux, de par l'essor de la liberté individuelle notamment, point de mire de la réglementation du mariage, de sa formation jusqu'à sa dissolution. Certains en ont déduit la mort du mariage formel, devenu un concept inutile". Cette perception ne rend pas compte à notre sens du mouvement inverse, soit de la juridicisation progressive des modèles informels, attestant la convergence des évolutions dans un mouvement osmotique.

2. Libéralisation du mariage de l'étreinte étatique

Reflet des conceptions sur le droit de la famille, les conditions au mariage sont de plus en plus libérées de l'étreinte étatique et familiale, le droit de l'Etat à imposer des limites étant remis en cause, alors que le mariage glisse davantage dans la sphère privée. En droit suisse, les empêchements correspondent en conséquence avant tout aux deux interdits sociologiques

14 Message relatif à une nouvelle Constitution Fédérale du 20 novembre 1996, in : FF 1997 1 tss, p. 140 et 156. Contra: Aubert J.-F., in: Office fédéral de la Justice, La situation juridique des coup/es homosexuels en droit suisse, Problèmes et propositions de solution,

Beme.juin 1999, note 247,

15 DR 36, 130,151 infine.

16 Par ex.: Clive E., Marriage: An Unnecessary Legal Concept? in: Family Law, Part Two : Substantive Aspects of Family Law, Partnership, Oxford University Press 1994, p.

175ss; Hoggett B., Ends and Means. The Utility of Marriage as Legal Institution, in:

Marriage and Cohabitation in Contemporary Societies, Toronto 1980, p. 94s5.

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consacrés par la plupart des législations: l'interdiction de l'inceste et de la polygamie. Au le< janvier 2006, l'empêchement fondé sur les liens d'alliance avec l'enfant du conjoint a d'ailleurs été supprimél7. S'agissant de la capacité matrimoniale, toute exigence autre que celle de la capacité de discernement y relative devient difficile à soutenir eu égard au respect des droits fondamentaux 18. Ainsi, dans la mesure où l'interdit a le discernement nécessaire, le consentement du représentant légal au mariage, exigé par l'art.

94 al. 2 du Code civil (CC)19, ne devient qu'une formalité; celui-ci doit en effet donner son aval, au risque d'enfreindre les droits fondamentaux de l'interdit2o. De la pénétration des notions issues de la Constitution et du droit international des droits de l'homme en droit de la famille ressort ainsi qu'en matière de mariage, ce sont les interprétations les plus libérales qui sont soutenables.

La libéralisation de la capacité matrimoniale coÜJcide avec le mouvement de simplification de la procédure de conclusion et de dissolution du mariage, la tendance à la « déjuridicisation» étant particulièrement illustrée par la privatisation du divorce. Que le statut soit défini davantage par la volonté individuelle que déduit autoritairement de la loi est également patent par le biais de la privatisation du partage des tâches, délégué au couple (art. 163 CC). Le choix du nom, aujourd'hui partout privilégié sur une solution imposée par l'Etat au nom d'un intérêt public qui n'est plus considéré comme primordial21

, est un autre exemple du mouvement de privatisation du droit de la famille parallèle au recul de l'ordre public. Les règles sur le mariage sont en conséquence de plus en plus soumises à la question de savoir si leur protection vise l'institution ou davantage son essence, à savoir l'étroite communauté de vie qu'il implique.

B. Des fiançailles

Le principe d'une consécration législative, voire jurisprudentielle, des fiançailles ne va pas de soi. L'intérêt public à légiférer est discutable en ce domaine, l'obligation juridique imparfaite attachée à la promesse de mariage en étant le témoin. L'absence de pouvoir coercitif du contrat de fiançailles

17 Cf. nouveUe teueur des art. 95 al. 1 et 105 ch. 3 CC selon le ch. 8 de l'annexe à la LPart (RS 21l.231): confonne au demeurant à la décision de la Cour européenne des droits de l'homme dans l'affaire B. et L. c. Royaume-Uni, 36536/02, du 13.9.05.

"Papaux Van Delden (note 1), p. 48ss.

19 RS 210.

20 Papaux Van Deldcn (note 1), p. 55ss, 59.

21 Papaux Van Delden (note 1), p. 293ss et réf.

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(art. 90 al. 3 CC) fait au demeurant partie de l'essence même du droit fondamental de se marier, qui implique que toute l'ordonnance juridique des fiançailles soit dominée par un « dualisme d'astreinte et de liberté» 22.

Nombreux sont les législateurs qui ont supprimé une telle réglementation et, en aucun cas, ne l'ont réformée. Les fiançailles font en effet davantage partie de la spbère intime des intéressés. Elles ont d'ailleurs disparu de la loi sur le droit international privé. Dans la perspective de l'osmose des modèles familiaux, l'on notera avec intérêt que l'application par analogie des règles sur les effets généraux du mariage est alors proposée23

1.

Actualité et réglementation des fiançailles

D'aucuns se demandent si cette institution n'est pas tombée en désuétude, au regard de la quasi-absence de décisions jurisprudentielles récentes et du désintérêt parallèle de la doctrine. Lors des travaux préparatoires relatifs à la révision du Code civil, la nécessité de consacrer un chapitre aux fiançailles a été discutée24. Partie intégrante de notre tradition juridique, rapport social préexistant au mariage, il n'a pas été longtemps question d'y porter atteinte25. De cette consécration législative, plusieurs leçons peuvent être tirées. Tout d'abord, notre pouvoir législatif a quelques réticences à laisser la famille, au nom de son appartenance au domaine privé, hors de ses compétences. Ensuite, le caractère informel des fiançailles, qui peuvent être conclues dans l'intimité la plus absolue, et les obstacles y relatifs liés à la preuve, n'ont en rien effrayé notre législateur dans sa volonté de saisir ce lien familial particulier, et par nature provisoire.

2. Ebauche de solution pour les concubins?

D'aucuns dénoncent le concubinage comme étant une union dont l'existence n'apparaît qu'à l'instant de sa mort. Cette approche n'a pourtant pas retenu le législateur suisse qui ne se préoccupe des fiançailles qu'à leur rupture. Face à

22 Aehy P.~ Fiançailles L Notion-conclusion, FJS nQ 376, Genève 1942, p. 1.

23 Bucher A., Le couple en droit international privé, Helbing & Lichtenhahn, 2004, p. 37,

r:r.

76.

4 Favorable à leur suppression, par ex. : Hegnauer C., Breitschmid P., Grundriss des Eherech/s,4e éd, Stlimpfli, Berne 2060, par. 3.37.

25 Message du Conseil fédéral du 15 novembre 1995 concernant la révision du Code civil suisse (état civil, conclusion du mariage, divorce, droit de la filiation, dette alimentaire, asiles de famille, tutelles et courtage matrimonial), in: FF 1996 1 lss, p. 12 et 15. Voir également: Werro F., Concubinage, mariage et démariage, 5e éd., Stâmpfli. Berne 2000, p. 53, par. 162.

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un concubinage ignoré de la loi, l'application des dispositions régissant les fiançailles, tout comme celles relatives au mariage, se pose. Le Tribunal fédéral n'a jamais vraiment traité la question de savoir si les dispositions sur les fiançailles pouvaient s'étendre aux concubins2 •. Lors des débats au Conseil national relatifs à la révision du droit du divorce, une telle application analogique a d'ailleurs été proposée, en particulier s'agissant de l'action en restitution des présents, ce certes sans sUCCèS27Le juge devrait en tout cas s'inspirer des motifs qui ont guidé l'adoption des art. 91 et 92 CC dans le cadre de la dissolution du concubinage.

Des cas d'application de l'art. 92 CC offrent à notre sens de plus amples opportunités pour un débat non limité strictement aux fiançailles : le dommage subi suite à l'abandon d'un emploi peut ainsi donner lieu à une participation financière, de même que les dépenses d'un fiancé relatives aux frais de vacances communes, et celles occasionnées par l'hébergement du défendeur pendant dix-huit mois28 Afin que la liberté de se marier et plus largement la liberté individuelle ne soient toutefois pas entravées par une responsabilité à rallonge, le caractère correctif de l'équité opère en application de l'art. 163 al. 1 CC par analogie, ce qui souligne encore l'étroitesse des liens entre les différentes communautés familiales29. La limite maximale du dédommagement reste la couverture du dommage effectif, solution induite par les droits fondamentaux. Doctrine quasi unanime et jurisprudence admettent que <<l'intérêt positif" au contrat n'est pas couvert par l'art. 92 CC30De même, les indemnités de divorce tendent de moins en moins à couvrir les expectatives successorales dans l'idée de ne pas assurer le dommage positif issu de la désunion.

L'action relative à la restitution des présents a été maintenue dans le Code civil; il s'agit d'une particularité des fiançailles. Cette action illustre particulièrement la place de pivot des fiançailles entre le mariage, où il n'y a en principe pas lieu à restitution des présents, et le concubinage, face auquel toutes les hésitations et subterfuges sont envisagés par la doctrine31Dans la

26 Opposés à une telle application analogique: Grossen J.-M., Guillod, O., Le concubinage en droit suisse, in : Les concubinages en Europe: aspects socia-juridiques, dir. Rubellin- Devichi, Paris 1989, p. 296, et note 125.

27 Proposition d'Anita Thanei, faite au Conseil national en 1997, rejetée par 82 contre 48.

28 Respectivement: ATF 58 Il 6, IT 1933 1 88, le dommage pouvant donc couvrir, tant la perte éprouvée (damrrum emergens). que le gain manqué (Iucrum cessans); RSJ 1964 41 et ATF 791I l, IT 1954113.

29 Message 95

ces

(note 25), p. Iss, l'ensemble des circonstances slappréciera notamment au regard de la situation financière des partie, (cf. art. 163 al. 1 CC par analogie).

30 Montanari R., Verlobung und Ver/obnisbroch. Probleme aus dem VerlObnisrechl unler besonderer Beriicksichtigung von Artike/ 92 ZBG, St1!mpfli, Berne 1974, p. 164, 192"

notes 984s; Werro (note 25), p. 61, par. 208.

31 Développés, in: Papaux Van Delden (note 1), p. 107 et réf.

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mesure où l'on admet la restitution des présents entre concubins, et l'application par analogie de l'art. 91 CC est celle qui emporte le plus d'enthousiasme, l'exclusion des époux d'une telle possibilité, ce sur la base de leur statut, apparaît injuste. Un critère de distinction, fondé sur la durée de la relation, pourrait se révéler adéquat. La rupture d'une brève relation justifie en effet davantage la restitution des présents, à l'instar de la règle prévue pour les fiançailles, par définition relation provisoire, que lors de la dissolution d'une union de longue durée.

La réglementation des fiançailles n'est toutefois pas une réponse satisfaisante au concubinage, même si elle peut à notre sens en constituer une ébauche. Elle est déjà nécessairement lacunaire dans son approche essentiellement rivée sur la rupture de l'union. La leçon à en tirer est davantage que régir les fiançailles et ignorer le concubinage sont deux attitudes inconciliables.

IV. L'influence des droits de la personne sur les modèles familiaux informels

A. Du concubinage

Assurer l'égalité au sein du mariage n'a pas eu pour effet de diminuer le nombre de concubinages. Un tel raisonnement ne répond pas à la logique des sociétés post industrialisées qui se caractérisent par une désinsitutionnalisation. Les cultures occidentales ont en effet atteint un niveau de volontarisme individualiste qui pousse les couples à rechercher des modes alternatifs de vie commune, signe de modernité. L'effet éducatif du droit de la famille est un leurre. Celui-ci se doit en conséquence d'être le reflet de la réalité sociale et non pas un guide de conduite.

Il est certainement illusoire de penser que le concubinage se laisse définir de manière univoque. Le Tribunal fédéral a d'ailleurs souligné qu'il pouvait aIler

«du simple partage temporaire de la couche à la vie commune aussi 'classique' que celle d'un couple marié,,"- Pour cette autorité, le concubinage s'apprécie toujours en relation avec le mariage, et plus sa forme respecte les traditions, plus elle est susceptible d'engendrer des effets juridiques. Il doit s'agir d'une «communauté de toit, de table et de lib), stable et durable, que

32 ATF 106 V 58, 60.

(13)

.,

créent un homme et une femme en dehors du mariage" . Le Tribunal fédéral a toutefois élargi cette conception, dans le sens où les trois composantes précitées, qui peuvent également être présentées sous l'angle d'une communauté spirituelle, corporelle et économique, ne revêtent pas la même importance"'. La cohabitation peut par exemple faire défaut, dans la mesure où les partenaires vivent tout de même une relation stable et exclusive en s'accordant une assistance réciproque''. L'ensemble des circonstances de la vie commune entre alors en considération afin de juger la qualité de la communauté de vie, ce sur la voie de son assimilation au mariage. Le Tribunal fédéral a récemment confirmé cette orientation3". L'exigence d'une stabilité suffisante exclut en revanche la liaison passagère" . Le Tribunal fédéral a d'ailleurs posé la présomption réfragable qu'un concubinage est stable lorsqu'il dure depuis cinq ans (<< concubinage qualifié »)38. La stabilité constitue la pierre angulaire du concubinage en droit comparé également, comme dans la jurisprudence strasbourgeoise".

De cette quête de définition ressort que le concubinage ne représente pas une révolution de la vie à deux, mais correspond au contraire à une vision de la vie de couple qui ne differe guère du reflet matrimonial'". Il ne constitue de surcroît en rien une fracture, mais se situe dans la suite du mouvement transitant du statut au contrat, qui imprègne l'évolution en cours dans le droit du mariage. Le couple se construit spontanément en dehors de toute formalité, son essence étant la qualité intrinsèque de la relation qu'il scelle. Le présupposé choix de vie, alors qu'il s'agit rarement d'une décision mûrement réfléchie accompagnée en général d'une connaissance fort réduite de la situation juridique, n'est ainsi pas une base solide pour tirer des conclusions sur le but et l'intention des parties, et partant déduire ou non des effets de cette union.

33 ATF 124 III 52, 545, I f 19991168; 109 Il 15, If 19831601; 10811205, If 1982 1 571.

Werro (note 25), p. 40., par. 97.

34 ATF 11811 235, 238, I f 19941331, SJ 1992 590, qui précise ainsi l'ATF 11611 394, I f 19931 2.

35 Toutefois. in: ATF lA, 1 96/2000. c. 3, le Tribunal fédéral nie, de manière peu convaincante, ]a qualité de concubins aux intéressés au seul motif de l'absence de vie commune, tout en reconnaissant qu'ils vivent (teine langdauernde, gute und intensive Bezienung»,

36 ATF du 2 juin 2003, 5C.70/2oo3, FarnPra.ch 4 (2003) 905, n. 119.

3711 suffit parfois que la relation soit durable, sur ces notions: ATF 10711289, I f 1981 1 541; \0511247, SJ 1981 337; 10511241, SJ1981 28. Voir également: ATF 12911, I f 2003 1 208, dans lequel Je fait d'assimiler le concubin au beau-parent ne viole pas le wocipe d'égalité dans la mesure où le concubinage peut êtte considéré comme stable.

s ATF 129 III 257 (c. 2.4 non publié), FamPr'.ch 4 (2003) 685. Voir également: ATF du 12 mars 2001, in: Praxis 20 (2002) n. 149.

39 Par ex. : ACEDH Johnston, A 112, p. 25, par. 56. DR 9,57,92; Digest III 91s, 148s.

40 Papaux Van Delden (note 1), p. 123ss et réf.

(14)

Le concubinage, qui se caractérise notanunent par des relations amoureuses, une conununauté de vie, une certaine durée et stabilité, l'affirmation envers les tiers que les deux partenaires forment un couple, constitue en conclusion un mariage informel. Conunent alors ignorer un tel phénomène, qui n'a rien d'une affaire de mode? L'histoire enseigne la pérennité de certaines limites à l'autonomie de la volonté, dans le sens où la régnlation de l'organisation de la vie privée et familiale n'a que rarement été laissée à l'entière disposition des individus. Or, l'augmentation de la fréquence du concubinage, corrélative en partie au nombre dégressif de mariages et à la multiplication des divorces, impose une reconnaissance, an nom des droits fondamentaux de la personne, qui soit égale à l'enjeu social. Les concubins restent pourtant les mal aimés du législateur, et ce en particulier en Suisse. Du fait du silence de la loi, ils sont d'autant plus légitimés à se fonder directement sur leurs droits fondamentaux pour obtenir la reconnaissance de prérogatives juridiques.

1. De certains effets du concubinage: lacunes, injustices et remèdes

Il ne saurait être question de traiter l'ensemble des effets accordés ou refusés au concubinage4l Il s'agit de poser le doigt sur des problématiques particulières qui mettent en évidence l'osmose des modèles familiaux.

L'examen du traitement du concubinage par le droit suisse est par ailleurs l'objet de considérations critiques à la lumière des exigences des droits fondamentaux.

a) La relation entre les membres du couple i. De la notion de « famille»

Il n'existe pas dans l'ordre juridique suisse une définition standard de la

«famille », jamais réglementée conune un tout. La notion est au contraire mouvante, suivant les domaines du droit, tels que le droit privé, le droit fiscal, la police des étrangers ou la législation sociale. Le cercle des personnes visées diffère ainsi en fonction des buts de la réglementation en cause. Le concept de famille est à notre sens très large, préexistant au mariage lui -même; il doit pouvoir inclure les membres de la famille légale, les fiancés, et les membres de la famille hors mariage, soit les concubins, leurs enfants, même non reconnus. Ce point de vue est soutenu par le titre 9'm' de la deuxième partie du

41 Pour une approche détaillée, également sous l'angle du droit comparé: Papaux Van Delden (note 1), p. 208 - 385.

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livre du Code civil, intitulé «de la famille», qui comporte les art. 331 à 333 CC où l'élément caractéristique est le «ménage COmmUID), et non pas une institution telle que le mariage. Une notion large de la famille a d'ailleun; été dégagée de l'art. 331 CC, circonscrivant l'autorité domestique42Le droit civil laisse toujoun; à notre sens une place aux concubins par le biais de sa notion de famille, dont les tribunaux devraient tirer profit en harmonie avec les exigences du droit international des droits de 1 'homme 4J. Une famille à géométrie variable ignore au contraire la tendance de la jurisprudence strasbourgeoise à fondre toujours davantage unions formelles et informelles.

La jurisprudence suisse n'a pourtant pas une position cohérente sur le point de déterminer si le concubin fait partie ou non de la famille de son partenaire 44.

Le Tribunal fédéral a ainsi par exemple laissé indécise la question de savoir si, dans les assurances sociales, les termes souvent utilisés de « membre de la famille» incluent ou non les concubins 45. Les biens, dont le partenaire de l'assuré est propriétaire, ne sont pas couverts par l'assurance ménage, le concubin n'étant pas considéré comme membre de la famille. Le Tribunal fédéral a en revanche admis que le concubin d'une diplomate bénéficie des privilèges et immunités diplomatiques en sa qualité de membre de la famille, mettant l'accent sur les liens communs plutôt que sur le mariage, décision qui peut être saluée 46. Dans le domaine de la santé, les concubins semblent enfm être assimilés à des proches, soit aux personnes unies en fait par des relations personnelles intenses ou qui font ménage commun47 C'est en effet vers la ratio legis, consistant dans la sauvegarde des valeurs affectives qui sont fondamentales à toute cohabitation, que la législation doit tendre 48, et ce à notre sens quel que soit le domaine juridique appréhendé. Si l'assimilation n'est sans doute pas - encore - totale, il est néanmoins manifeste qu'union

42 Dans ce sens: Grossen, Guillod (note 26), p. 284; Hausheer H., in: ZBN 116 (1980) 99s; Sandoz S., Le législateur doit-il réglementer l'union libre?, in: Famille et Droit, Mélanges B. Schnyder, Fribourg 1995, p. 583 ss, p. 592.

43 Cf. supra~ partie II, litt. A, ch. 2. Contra: Sandoz S., Problèmes patrimoniaux des couples non mariés, in: Droit patrimonial de la famille, Symposium en droit de la famille 2004, dir. Pichonnaz / Rumo·Jungo, Schulthess 2004, p. 43 SS, p. 44.

M Papaux Van De1den (note 1), p. 236ss et réf.

4S ATF 121 V 125: la qualité de« membres de la famille de l'employeur !Tavailiant dans l'entreprise ») au sens de la LAA y est toutefois refusée aux concubins.

46 ASDI 1977 224s. Grossen, Guillod (note 26), p. 284, et note 78.

47 L'ATF 101 II 177, se réfère au <<partenaire qui partage la vie quotidienne du patient (qu'il soit hétéro ou homosexuel»)). Contra: décision zurichoise, in: RSJ 86 (1990) 421.

Voir également: ATF 1231112,127; 111 la 231; 101 II 177, lT 19761362.

48 Tercier P., Qui sont nos (proches»?, in: Famille et Droit, Mélanges B. Schnyder.

Fribourg 1995, p. 77955, p. 815, estime également juste d'assimiler au conjoint le concubin, p. 812, déduisant de l'existence d'un ménage commun la présomption de la qualité de proche. Nettement plus nuancée: Sandoz (note 43; 2004), p. 43s.

(16)

l""'"'"'" ..

conjugale et concubinage sont deux conceptions qUI se modifient et se rapprochent . 49

ü. La liberté contractuelle: vertus et limites

L'absence de reconnaissance du concubinage est souvent justifiée par les potentialités qu'offre aux concubins la liberté contractuelleso. Les conventions de vie commune sont toutefois rares en pratique. Il n'est au demeurant pas admis que les concubins créent entre eux contractuellement un statut matrimonial complet, ce notamment en raison de ['absence présupposée de relations personnelles juridiquement stabiessl. Les contrats sont par ailleurs susceptibles d'engendrer des lacunes et des abus. L'exercice de la liberté contractuelle se limite de surcroît au droit privé et ne saurait contraindre l'Etat notamment en matière fiscale ou sociale. Cet exercice est également limité par les droits des tiers, en particulier des enfants.

Dans le cadre d'une réflexion sur la liberté contractuelle, la question maintes fois posée aux tribunaux est celle de savoir si l'attribution d'un salaire malgré l'absence de contrat exprès se justifie, alors que la femme a travaillé dans l'entreprise de son partenaire. La jurisprudence a varié sur ce pointS2 Il semble maintenant admis que le concubinage ne puisse être tenu pour une circonstance qui exclurait par principe la rémunérations,. Cette interprétation peut d'autant moins être remise en question que l'idée d'une compensation pour les contributions extraordinaires fournies par un époux a été reconnue dans la loi (art. 165 CC). Le Tribunal fédéral admet d'ailleurs dans une mesure assez large l'application des principes régissant l'art.165 CC aux concubinss4 . A l'inverse, pour compenser une collaboration notablement supérieure de l'un des époux, la solution retenue par le Tribunal fédéral pour les cas de concubinage est soutenue en doctrine, à savoir l'application des règles de la société simple"! Les solutions recherchées tendent ainsi à être les

49 Le relevant: Pichonnaz P., Evolution récente vers une redéfinition juridique du mariage?, in: Questions familiales VOl l3ss, p. 13; Tercier (note 48), p. 805, et réf. note 21.

50 Papaux Van Delden (nOie 1). p. 239ss; Pichonnaz. Conventions el coup/es concubins, in : FomPra.ch 3 (2002) p. 670ss.

51 Dussy R. D., Ausgleichsanspriiche for Vermogensinvestilionen nach Auj10sung von Lebensbeziehungen, nach deutschem und schweizerischem Recht, Nouvelle littérature juridique, Helbing & Lichtenhohn, Bâle 1994, p. 49; Grossen. Guillod (note 26), p. 274.

" Sur les soubresauts de la jurisprudence : Papaux Van Delden (note 1), p. 245 et réf.

" ATF 109 II 228, JT 19841482, et ATF du 23 août 99, 4C.89/\999, FamPra.ch \ (2000),

\5\, n. Il, Pladoyer 6/99 59.

54 ATF 4C.89/1999, c. 30, 40, in: Die Praxis des Familienrechts 2000 151.

55 Weber D., Problèmes de droit des obligations. in: Cohabitation non maritale, 2.:mc partie, Actes du Colloque du 23.2.00, Genève 2000, p. \73.

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mêmes alors que les problèmes pratiques sont identiques, illuslrant le mouvement d'osmose des modèles familiaux.

b) La relation du couple avec ses enfants

Le droit de la filiation traduit la conception d'une société sur la famille. Or, traditionnellement, l'opposition entre mariage et union libre culmine dans les réglementations sur les relations entre parents et enfants. La construction législative de l'illégitimité était due à la faveur pour le mariage, mais les droits de l'enfant l'ont emporté sur la lutte contre les unions extra maritales. Le principe d'égalité des filiations, dont découle le droit pour les parents de ne pas se marier, s'impose, étant même farouchement défendu par la Cour strasbourgeoise. La législation suisse moderne met ainsi l'accent sur les bases communes à toutes les relations entre parents et enfants; le mariage en tant que critère de distinction y est dans l'ensemble balayé. Le législateur prouve ce faisant que le concept matrimonial n'est pas nécessaire pour cerner la famille.

Or, de la reconnaissance de la relation parentale découle la reconnaissance indirecte du concubinage, soit du lien qui unit les parents, et s'en suit un aplanissement de la différence entre époux et concubins. La distinction mariage/concubinage perd son impact à mesure de l'importance de l'enfant comme sujet de droit. L'institution légale de la parentalité - devenu un statut privilégié comme le mariage l'a été - est en passe de remplacer en importance le statut matrimonial.

i. L'établissement de la filiation

A la différence de la filiation maternelle, la filiation paternelle hors mariage n'est pas établie par le seul effet de la loi. Pour ne pas s'être uni par un lien légal à une femme, un homme non marié n'est pas susceptible, d'après le droit positif, d'être identifié de plein droit comme le père d'un enfant.

L'établissement de la filiation paternelle hors mariage suppose dès lors, soit' une reconnaissance volontaire, soit l'effet d'une décision judiciaire (art. 252 al. 2 CC). Dans la grande majorité des pays, que l'établissement de la filiation paternelle dépende de l'état civil reste le noyau quasi irréductible qui oppose encore mariage et concubinage'6. L'érosion de la présomption de légitimité est pourtant dénoncée, car cette présomption u'a de sens que si la paternité juridique coïncide avec la paternité dans les faits". Asseoir directement la présomption de paternité sur l'existence d'une vie familiale entre les parents

" Papaux Van Delden (note 1), p. 256s, et réf.

" Théry 1., Pacs. sexualité el différence de sexes, Esprit, oct. 1999, p. 158, parle d'une fiction de premier ordre.

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répond mieux à notre sens à la sécurité juridique de l'enfant et à celle des relations familiales. La Cour strasbourgeoise estime d'ailleurs que l'enfant s'intègre de plein droit dans la cellule familiale du simple fait de la naissance, sans que la formalité du lien unissant les parents n'entre en ligne de compte 58;

il incombe en conséquence à l'Etat d'autoriser aussi rapidement que possible la formation de liens familiaux légaux complets entre le père biologique et son enfant59Exiger la reconnaissance de l'enfant par le père alors qu'il vit une relation maritale avec la mère est de moins en moins tolérable avec l'institutionnalisation du concubinage, au nom du principe d'égalité des filiations, de non-discrimination sur la base de l'état civil et de l'égalité des sexes entre père et mère.

La loi sur la procréation médicalement assistée (LPMA)6o offre un exemple de traitement égalitaire partiel entre couples mariés et non mariés; cette réglementation est ainsi un précédent majeur à la reconnaissance directe du concubinage et de sa valeur, ouvrant la voie à l'assimilation des modèles familiaux. Elle réselVe en effet l'assistance médicale aux couples à l'égard desquels un rapport de filiation peut être établi (art. 3 al. 2 LPMA), et qui, en raison de leur âge et de leur situation personnelle, paraissent à même d'élever l'enfant jusqu'à sa majorité. L'on notera l'absence de référence au mariage pour délimiter le couple, ainsi que le renoncement à des exigences spéciales, telles qu'une vie commune d'une durée déterminée, pour désigner les concubins, rendant par ailleurs plus actuels que jamais les droits des pères naturels. La fécondation artificielle avec donneur est en revanche réservée aux couples mariés (art. 3 al. 3 LPMA); la législation s'aligne ce faisant de manière regrettable sur les exigences fixées en matière d'adoption61. Une telle restriction se justifie difficilement au regard des droits fondamentaux, en particulier des art. 8 et 14 CEDH, ainsi que 8 al. 2 CF, source dans la loi même d'une discrimination fondée sur le formalisme du lien parental en fonction des métbodes de procréation appliquées·'. Que l'adoption soit strictement limitée à deux personnes mariées ensemble, l'adoption conjointe restant de surcroît ouverte aux couples mariés qui se séparent ou divorcent

" Par ex.: ACEDH Marckx, A 31, p. 15,21, par. 31 et 45, Keegan, A 290, par. 44s, Kroon, A 297-C, par. 30, Elsholz, REC. OO-VIIl, par. 43, Hoffmann, REC. 01, par. 34;

Sommerfeld, REC. 01, par. 32, Sahin, REC. 01, par. 34, pour la famille naturelle.

Hokkanen, A 299-A, p. 15, par. 54, Olsson, A 130, par. 59 et Eriksson, A 156, par. 58, pour la famille juridique.

S9 Ce d'autant que le père biologique n'a pas de droit au regroupement familial tant que le père légal n'est pas désavoué, cf. ATF non publié du 22 juillet 1997, in: RSDlE 8 (1998) 505.

60 RS 814.90.

" Cf. Message du Conseil fédéral du 26 juin 1996, in : FF 1996 III 197, 245.

62 Doutant également de la constitutionnalité de cette inégalité de traitement au regard de l'art. 8 al. 2 CF, ce d'autant que l'art. 119 CF n'exige que le respect de la famille sans limitation aux couples mariés: Pichonnaz (note 49), p. 17.

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pendant l'établissement du lien nourricier de'un an exigé par l'art. 264 CC·3,

posera de même tôt ou tard un problème de compatibilité avec le droit international des droits de l'homme.

li. L'exercice de l'autorité parentale

S'agissant de l'autorité parentale, le législateur suisse n'a pas assimilé la situation des enfants sur la base de la réalité des schémas familiaux, mais par rapport à l'état civil des parents. Seuls des parents mariés bénéficient automatiquement de l'autorité parentale conjointe sur les enfants nés pendant le mariage, alors que l'autorité parentale appartient uniquement à la mère non mariée (art. 298 al. 1 CC). Qu'en cas de divorce, le maintien de l'exercice de l'autorité parentale conjointe des deux parents puisse être accordé, a toutefois rendu incompatible l'interdiction du transfert de l'autorité parentale conjointe aux parents non mariés vivant dans une relation stable similaire au mariage. Si le Code civil ne contenait pas, jusqu'au 1" janvier 2000, de dispositions spécifiques relatives aux enfants de concubins, l'art. 2988 CC doit aujourd'hui être salué. Au regard de l'alinéa 1 de cette disposition, les parents non mariés peuvent ainsi, mais senlement dans les mêmes conditions que les conjoints divorcés (art. 133 al..3 CC), demander à l'autorité tutélaire l'attribution de l'autorité parentale conjointe. Il s'agit de la réalisation de trois conditions, au demeurant très strictes: le dépôt d'une demande commune auprès de l'autorité tutélaire, compatible avec le bien de l'enfant, et liée à une convention sur la répartition de la prise en charge de l'enfant pour l'avenir et sur la contribution d'entretien". Alors que la situation factnelle d'un couple non marié se confond avec celle de parents mariés, l'assimiler à un couple divorcé laisse perplexe. Une telle solution revient, de surcroît, à fixer l'autorité parentale conjointe en tant qu'exception et non comme principe. Or, nous doutons de la compatibilité de cette approche restrictive en particulier avec les art. 3 et 18 al. 1 COB, qui posent clairement le principe visant à favoriser la responsabilité commune des deux parents·'. Il sied en tous de cas de présumer la compatibilité de l'autorité parentale commune avec le bien d'un enfant vivant avec ses deux parents dans le même foyer, afm d'éviter toute discrimination de l'enfant né hors mariage, prohibition notamment inscrite à l'art. 2 COB, et du père, qui subit sans motif pertinent un sort différent de celui de la mère du seul fait de leur choix de ne pas se marier, ce qui est

" ATF 126 RI 412.

64 Pour une analyse de ces conditions: Message 95

ces

(note 25), p. 132s. et Wirz A., Gemeinsame elter/iche Gewalt geschiedener und nicht verheirateter Eltern, Unter Berocksichtigung des deutschen, franz6sischen, englischen und scmveizerischen Rechts, Helbing & Lichtenhahn, Bâle 1995, p. l64ss.

65 De même: Bucher A., Aspects internationaux du nouveau droit du divorce. in : SJ 20001

\1 p. 445, note 57; Win (noIe 64), p. 1855.

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contraire à l'interdiction de la discrimination fondée sur le mode de vie au sens de l'art. 8 al. 2 CF. Que de la communauté de vie des parents doive découler l'autorité parentale conjointe émerge également des obligations inhérentes à la Convention européenne des droits de l'homme 66 •

La co-responsabilité dans l'exercice de l'autorité parentale conjointe, même obtenu par les couples non mariés à des conditions strictes et ce faisant critiquables - ce d'autant qu'en pratique les demandes d'autorité parentale conjointe apparaissent rares et coûteuses - dote néanmoins le concubinage d'un net relief juridique.

iii. Questions cboisies relatives au nom de famille

Un des signes les plus clairs que le législateur de 1976 n'a pas voulu prendre en considération le concubinage, peut être vu dans la règle selon laquelle l'enfant dont la mère n'est pas mariée acquiert son nom de famille (art. 270 al.

2 CC). Le premier raisonnement du Tribunal fédéral fut d'accorder assez facilement aux enfants de concubins le droit de porter le nom du père, ce dans le respect du droit à l'égalité entre naissances légitime et hors mariage, mais surtout afin de ne pas stigmatiser ces enfants 67. La jurisprudence ne manquait jamais de critiquer les concubins. L'intérêt de l'enfant l'emportait ainsi sur l'intérêt public à l'immutabilité du nom68CeUe jurisprudence ébauchait un statut spécifique de l'enfant de concubins, intermédiaire entre celui de l'enfant de conjoints et celui de l'enfant de mère célibataire69. Les juges de Mon Repos rejetèrent au demeurant toute approche plus originale, qui ne se calque pas sur le nom de l'enfant légitime 70. Notre autorité suprême est toutefois revenue sur ceUe conception, dont les connotations morales ne sont certes plus de mise; elle se fonde sur l'admission totale du concubinage et, en conséquence, sur l'absence du besoin de normaliser une situation qui n'a rien d'original ou d'exceptionneI7lLe Tribunal fédéral réintroduit ce faisant une différence de traitement fondée sur la naissance, dont la conventionnalité est douteuse; il devra, à notre sens, corriger à nouveau ceUe approche par trop rigide.

66 Dans ce sens également: Wirz (note 64). p. 121.

67 Par ex.: ATF 11911307,309, JT 199446; 10911177; \0811249, SJ 1983491; \07 II 289,291; \0511241,247, SJ 198129; 96 1 425; 95 11503.

68 Tel ne fut pas le cas de l'intérêt de l'enfant dont le père non marié avec la mère décéda:

ATF 115 " 307, SJ 1990 116, 119. De même, alors que les pareols ne vivaienl pas eosemble: ATF 117" 6, JT 1992 1 350 .

.. Dans ce sens: Grossen, GuiUod (note 26), p. 281, et note 67.

70 ATF 119 II 307, 310, SJ 199446, refusant à l'enfant de concubins de porter le double nom de ses parents.

71 ATF 121 III 145, 147, JT 1996655. Absence également de justes motifs, in: SJ 2000 1 393.

(21)

iv. Brèves considérations sur le droit des étrangers

Le souci d'assurer à l'enfant l'intégralité de ses droits ne devrait pas guider la décision des parents de se marier. Une telle solution n'est heureuse, ni pour les enfants dont les parents ne sont pas mariés, ni davantage pour le mariage lui-même, dont la dignité et la beauté ne sont pas défendues lorsque la loi, sous peine de sanction, oblige un homme et une femme à se marier:

l'institution n'est alors qu'un moyen de parvenir à leurs fins.

Or, en droit des étrangers, les sanctions à l'encontre des concubins sont cruellesn Dépourvu de la possibilité d'invoquer l'art. 7 de la loi fédérale sur le séjour et l'établissement des étrangers (LSEE)7J, le concubin étranger du ressortissant suisse est considéré comme une personne célibataire, de sorte que c'est l'ordonnance limitant le nombre des étrangers (OLE)74 qui est pertinente pour la question de son autorisation de séjour". Il ne s'agit de surcroît pas d'un droit à une autorisation de séjour et l'octroi d'une telle autorisation dépend toujours, même si les autorités fédérales apprécient le cas d'espéee avec tolérance, de l'autorité cantonale. Dans le présent domaine, le besoin d'assimiler le concubinage au mariage se fait en conséquence profondément ressentir, sans qu'une raison décisive justifie la discrimination opérée sur la base de l'état civil. Il convient d'envisager avec sérieux l'entrée légale du concubin en Suisse par le biais de l'art. 8 CEDH; alors que la famille defacta y est protégée, l'on ne voit guère comment lui refuser de se fonder sur les mêmes dispositions pour obtenir les mêmes droits que la famille de iure76Le champ d'application de l'art. 8 CEDH est ainsi assez large pour protéger des situations que les art. 7 et 17 LSEE négligent, offrant des garanties qui vont au-delà du droit interne suisse 77.

72 Sur l'ensemble de cette problématique: Papaux Van Delden (note 1), p. 297ss et réf.

n RS 142.20.

74 RS 823.21.

75 Voir les directives d'avril 2000 émanant de l'OFE relatives à l'interprétation des art. 36 et 13 lit. f OLE: eine bereits lOnger dauernde, intakte und ge/ebte Beziehung von in der Regel mindeslens vier Jahren. nachvol/z;ehbarer GriJnde die gegen ein Heirat sprechen, das Paar in der Schweiz zusammen wohnl, pour un couple sans enfant; avec enfant, il est encore requis que parents et enfant vivent ensemble et que les parents s'occupent conjointement de l'enfant et de son entretien, cf. Achermann A., Caroni M., Homosexuelle und heterosexuelle Konkubinatspaare im schweizerischen Ausliinderrecht, in: RSDIE Il 12001), p. 132s.

6 Pour pouvoir invoquer la protection familiale de l'art. 8 CEDH, la relation entre l'étranger et une personne de sa famille ayant le droit de résider durablement en Suisse doit être étroite et effective: ATF du 23 juillet 2003, 2A.621/2oo2, c. 4; voir également: ATF du 29 août 2003, 2A.37512oo3 et ATF du 4 juin 2003, 2A.254/2oo3.

77 L'art. 8 CEDH comble en ce domaine une lacune du droit suisse: Villiger M. E., Handbuch der Europaischen Menschenrechtskonvenlion (EMRK): unter besonderer

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