Chapitre 3
Milieux tabulaires
Si le sous-sol ´etait homog`ene, il n’y aurait pas de g´eophysique (voire de g´eosciences). Nous devons donc introduire un certain degr´e d’h´et´erog´en´eit´e dans le sous-sol si l’on souhaite aborder des situations r´ealistes. Une premi`ere approche consiste `a se repr´esenter la terre comme ´etant constitu´e de couches horizontales, chacune ayant son ´epaisseur et sa r´esistivit´e propres.
3.1 Solution du potentiel
En l’absence de source ´electrique et en milieu homog`ene, on sait que
∇ ·J~=σ∇ ·E~ = 0 (3.1)
σ ´etant non-nul, il en d´ecoule que
∇ ·E~ = 0 mais commeE~ =−∇V, on retrouve
∇ ·(−∇V) = 0 soit
∆V = 0 (3.2)
i.e. l’´equation de Laplace. Imaginons maintenant qu’on injecte du courant via une
´electrode. Si la r´esistivit´e du sous-sol ne varie que selon z, on con¸coit ais´ement que le potentiel ´electrique aura une sym´etrie cylindrique par rapport `a la verticale de l’´electrode.
Nous allons donc exprimer l’´equation de Laplace en coordonn´ees cylindriques, soit
∂2V
∂r2 + 1 r
∂V
∂r + ∂2V
∂z2 + 1 r2
∂2V
∂θ2 = 0 (3.3)
Evidemment, la sym´etrie cylindrique exclut toute d´ependance de V enθ, d’o`u
∂2V
∂r2 + 1 r
∂V
∂r + ∂2V
∂z2 = 0 (3.4)
Nous allons r´esoudre cette ´equation diff´erentielle par la bonne vieille m´ethode de s´eparation des variables,
V(r, z) = U(r)W(z). (3.5)
Substituons (3.5) dans (3.4) W∂2U
∂r2 + W r
∂U
∂r +U∂2W
∂z2 = 0 et divisons le tout par UW, on retrouve
1 U
∂2U
∂r2 + 1 Ur
∂U
∂r + 1 W
∂2W
∂z2 = 0 (3.6)
Cette ´equation sera r´esolue si 1 U
∂2U
∂r2 + 1 Ur
∂U
∂r =−λ2 (3.7)
et
1 W
∂2W
∂z2 =λ2 (3.8)
avecλ une constante arbitraire. Les solutions de (3.8) sont archi-connues
W(z) = C1e−λz +C2eλz (3.9)
o`uC1 etC2 sont des constantes arbitraires. De mˆeme pour (3.7)
U(r) = C0J0(λr) (3.10)
J0 est la fonction de Bessel d’ordre 0. En multipliant les soulutions pour W et U, i.e.
(3.9) et (3.10), on retrouve notre fonction de potentiel V
V(r, z) = U(r)W(z) =C0hC1e−λz +C2eλziJ0(λr) (3.11) On rappelle queλet les Ci sont des constantes arbitraires. (3.11) est solution de (3.6), mais toute combinaison lin´eaire de solutions sera aussi solution. Si on fait varier λ de 0 `a l’infini et en rendant les Ci fonctions de λ, on obtiendra une solution g´en´erale pour (3.6)
V(r, z) =
Z ∞
0
hΦ(λ)e−λz + Ψ(λ)eλziJ0(λr)dλ (3.12)
o`u Φ(λ) = C0(λ)C1(λ) et Ψ(λ) = C0(λ)C2(λ). Ces deux fonctions seront d´etermin´ees par la nature du probl`eme et ses conditions aux limites. (3.12) a le m´erite d’ˆetre compl`etement g´en´erale et applicable `a n’importe lequel probl`eme, en autant que la condition de sym´etrie cylindrique par rapport `a la verticale de la source de courant soit respect´ee.
Nous allons bricoler (3.12) encore un peu en y faisant apparaˆıtre le potentiel g´en´er´e par une source de courant (I) ponctuelle sur un demi-espace homog`ene (1.3) de r´esistivit´e ρ1 en coordonn´ees cylindriques
Vh(r, z) = ρ1I 2π√
r2+z2. (3.13)
On peut mettre (3.13) sous la mˆeme forme que (3.12) en faisant appel `a l’int´egrale de Lipschitz, `a savoir
Z ∞
0 e−λzJ0(λr)dλ = 1
√r2 +z2 d’o`u
Vh(r, z) = ρ1I 2π
Z ∞
0 e−λzJ0(λr)dλ (3.14)
On peut alors r´e´ecrire (3.12) sous la forme V(r, z) = ρ1I
2π
Z ∞
0
he−λz+ Θ(λ)e−λz +X(λ)eλziJ0(λr)dλ (3.15) Ici encore, Θ(λ) et X(λ) sont des fonctions arbitraires. Cette solution est valide pour toutes les couches du sous-sol. Ceci dit, Θ et X ne sont pas n´ecessairement les mˆemes pour toutes les couches. Si on a un dispositif de mesure `a la surface d’un milieu tabulaire, alors on aura un jeu de fonctions par couche et donc une solution par couche i, i.e.
Vi(r, z) = ρ1I 2π
Z ∞
0
he−λz+ Θi(λ)e−λz+Xi(λ)eλziJ0(λr)dλ (3.16) Nous devrons ensuite appliquer les conditions aux limites pour r´esoudre ce probl`eme.
Elles sont similaires `a celles discut´ees dans le Chapitre 5 de la partie EM.
3.2 Conditions-limites
De part et d’autre d’une interface s´eparant deux couches de r´esistivit´es diff´erentes `a une profondeur z =zi,
i. le potentiel ´electrique V est continu
Vi(z =zi) = Vi+1(z =zi) (3.17)
ii. la composante verticale de la densit´e de courant Jz est continue Jzi(z =zi) =Jzi+1(z =zi)
−1 ρi
"
∂V
∂z
#
z=zi
=− 1 ρi+1
"
∂V
∂z
#
z=zi
= (3.18)
De plus,
iii. Jz est nulle en z = 0 car la conductivit´e de l’air est nulle Jz(0) =−1
ρ1
"
∂V
∂z
#
z=0
= 0 (3.19)
iv. le potentiel est nul `a l’infini
V(z → ∞) = 0 (3.20)
3.3 Relation de r´ ecurrence de Pekeris
Nous sommes maintenant prˆets `a aborder le probl`eme du potentiel ´electrique dans un milieu tabulaire. Soit un courant I inject´e `a la surface d’un milieu constitu´e de N couches de r´esistivit´es ρi et d’´epaisseurs hi variables et d’un substratum de r´esistivit´eρN+1. L’interface entre la couche i et la couche i+ 1 est `a une profondeur zi.
AIR I
0 ?
ρ1, h1
z1
ρ2, h2 z2
· · · zN
ρN+1
Figure 3.1: Injection de courant sur un milieu tabulaire `a N couches.
Appliquons les conditions aux limites. La condition i. (3.17) nous dit qu’en z =zi les potentiels sont ´egaux:
Vi(r, zi) = ρ1I 2π
Z ∞
0
he−λzi+ Θi(λ)e−λzi+Xi(λ)eλziiJ0(λr)dλ
et
Vi+1(r, zi) = ρ1I 2π
Z ∞
0
he−λzi+ Θi+1(λ)e−λzi +Xi+1(λ)eλziiJ0(λr)dλ Soit, apr`es simplification
Z ∞
0
he−λzi + Θi(λ)e−λzi +Xi(λ)eλziiJ0(λr)dλ=
Z ∞
0
he−λzi+ Θi+1(λ)e−λzi +Xi+1(λ)eλziiJ0(λr)dλ Cette ´egalit´e sera toujours vraie si les termes entre crochets sont ´egaux, soit
Θi(λ)e−λzi+Xi(λ)eλzi = Θi+1(λ)e−λzi+Xi+1(λ)eλzi (3.21) La condition ii. (3.18) nous dit qu’en z = zi les composantes verticales de la densit´e de courant sont ´egales:
Jzi(zi) =−1 ρi
∂Vi
∂z z=zi
=Jzi+1(zi)
Jzi(zi) =−1 ρi
ρ1I 2π
Z ∞
0
h−λe−λzi−λΘi(λ)e−λzi +λXi(λ)eλziiJ0(λr)dλ et
Jzi+1(zi) = − 1 ρi+1
ρ1I 2π
Z ∞
0
h−λe−λzi−λΘi+1(λ)e−λzi +λXi+1(λ)eλziiJ0(λr)dλ Soit, apr`es simplifications suivant le mˆeme raisonnement que pour la condition i.
1 ρi
h(1 + Θi(λ))e−λzi−Xi(λ)eλzii= 1 ρi+1
h(1 + Θi+1(λ))e−λzi −Xi+1(λ)eλzii (3.22)
La condition iii. (3.19) nous dit qu’enz = 0 Jz est nulle Jz(z) =−1
ρi ρ1I
2π
Z ∞
0
h−λe−λz −λΘ1(λ)e−λz+λX1(λ)eλziJ0(λr)dλ
donc
Jz(0) =−1 ρi
ρ1I 2π
Z ∞
0 [−λ−λΘ1(λ) +λX1(λ)]J0(λr)dλ = 0 Soit
Jz(0) =−1 ρi
ρ1I 2π
Z ∞
0 [−1−Θ1(λ) +X1(λ)]J0(λr)λdλ= 0
Ce qui sera v´erifi´e si l’expression entre crochets est nulle. Regardons-la de plus pr`es: le premier terme provient en fait du potentiel que l’on obtiendrait pour un mlilieu homog`ene (cf.
3.14) et on ne va donc plus s’en pr´eoccuper car il satisfait forc´ement la condition (3.19). Les deux autres termes prennent en compte l’h´et´erog´en´eit´e du sous-sol. On petu les consid´erer comme des perturbations au potentiel homog`ene. Le courant reli´e `a ces perturbations doit aussi ˆetre nul en surface afin que la somme des courants homog`ene et h´et´erog´ene soit nulle.
On retrouve donc
−Θ1(λ) +X1(λ) = 0 soit
Θ1(λ) = X1(λ) (3.23)
Revenons un petit instant en arri`ere. Sachant ce qu’on sait maintenant, jetons un coup d’oeil `a l’´equation du potentiel ´electrique `a la surface, prenant (3.15) en z = 0
V1(r) = ρ1I 2π
Z ∞
0 [1 + Θ1(λ) +X1(λ)]J0(λr)dλ
= ρ1I 2π
Z ∞
0 [1 + 2Θ1(λ)]J0(λr)dλ D´efinissons la fonction K1(λ) = 1 + 2Θ1(λ). Il reste
V1(r) = ρ1I 2π
Z ∞
0 K1(λ)J0(λr)dλ (3.24)
(3.24) nous sera tr`es utile pour la suite. En effet, on voit que si on arrive `a calculer K1(λ) on aura r´esolu notre probl`eme car ce qui nous int´eresse (pour ce cours du moins!), c’est de calculer le potentiel en surface afin de pouvoir interpr´eter nos mesures ´electriques.
Enfin, la condition iv. (3.20) impose que V soit nul pour une profondeur infinie.
Prenant (3.15), on se rend compte que cette condition ne peut ˆetre remplie que si les effets de l’exponentielle eλz sont annihil´es. Pour ce faire, on doit avoir dans la derni`ere couche
XN+1(λ) = 0 (3.25)
Voil`a! On a fini de poser le probl`eme, reste `a le r´esoudre. Un peu de cuisine et quelques d´efinitions judicieusement choisies devraient faire l’affaire...
Ajoutons e−λzi de chaque cˆot´e de (3.21)
e−λzi + Θi(λ)e−λzi+Xi(λ)eλzi =e−λzi + Θi+1(λ)e−λzi +Xi+1(λ)eλzi Divisons par la condition (3.22), on retouve alors
ρie−λzi + Θi(λ)e−λzi +Xi(λ)eλzi
e−λzi + Θi(λ)e−λzi −Xi(λ)eλzi =ρi+1e−λzi + Θi+1(λ)e−λzi+Xi+1(λ)eλzi e−λzi + Θi+1(λ)e−λzi −Xi+1(λ)eλzi
ou
ρi1 + Θi(λ) +Xi(λ)e2λzi
1 + Θi(λ)−Xi(λ)e2λzi =ρi+11 + Θi+1(λ) +Xi+1(λ)e2λzi
1 + Θi+1(λ)−Xi+1(λ)e2λzi (3.26) Nous allons d´efinir une nouvelle fonction Ki(λ), telle que
Ki(λ) = 1 + Θi(λ) +Xi(λ)e2λzi−1
1 + Θi(λ)−Xi(λ)e2λzi−1 (3.27) Soit le mˆeme rapport que dans l’´equation pr´ec´edente, mais au-dessus de la couche i.
Pourquoi ce choix? Regardons ce qui se passe au-dessus de la couche i= 1, soit enz = 0:
K1(λ) = 1 + Θi(λ) +Xi(λ) 1 + Θi(λ)−Xi(λ)
or on sait que Θ1(λ) = X1(λ), d’o`u K1 = 1 + 2Θ(λ), tel que pos´e pr´ec´edemment. Ce choix n’est donc pas innocent!
Le cˆot´e droit de (3.26) est simplement ρi+1Ki+1(λ). Pour le cˆot´e gauche, divisons les num´erateur et d´enominateur de (3.27) par Xi(λ):
Ki(λ) =
1+Θi(λ)
Xi(λ) +e2λzi−1
1+Θi(λ)
Xi(λ) −e2λzi−1 Posons
Ψ(λ) = 1 + Θi(λ) Xi(λ) alors
Ki(λ) = Ψ +e2λzi−1 Ψ−e2λzi−1
Ψ = Ki+ 1 Ki−1e2λzi−1
Divisons aussi les num´erateur et d´enominateur du cˆot´e gauche de (3.26) par Xi(λ) ρi
1+Θi(λ)
Xi(λ) +e2λzi
1+Θi(λ)
Xi(λ) −e2λzi =ρiΨ +e2λzi
Ψ−e2λzi =ρi+1Ki+1 Rempla¸cons Ψ par sa valeur trouv´ee pr´ec´edemment
ρi(Ki + 1)e2λzi−1 + (Ki−1)e2λzi
(Ki+ 1)e2λzi−1 −(Ki−1)e2λzi =ρi+1Ki+1 (3.28) Divisons les num´erateur et d´enominateur du cˆot´e gauche de (3.28) par e2λzi−1
ρi(Ki+ 1) + (Ki−1)e2λ(zi−zi−1)
(Ki+ 1)−(Ki−1)e2λ(zi−zi−1) =ρi+1Ki+1 (3.29) Maiszi−zi−1 =hi, l’´epaisseur de la couche i. Posonspi =ρi/ρi+1, (3.29) devient alors
pi(Ki+ 1) + (Ki−1)e2λ(zi−zi−1)
(Ki+ 1)−(Ki−1)e2λ(zi−zi−1) =Ki+1 donc
Ki+1 =piKi(1 +e2λhi)−(e2λhi−1) (e2λhi + 1)−Ki(e2λhi−1) Rappel
tanhλhi = e2λhi −1 e2λhi + 1
En divisant les num´erateur et d´enominateur pare2λhi+ 1, on obtient Ki+1 =pi Ki−tanhλhi
1−Kitanhλhi et donc, enfin
Ki(λ) = Ki+1+pitanhλhi
pi+Ki+1tanhλhi (3.30)
Si on cherche K pour une couche donn´ee i, on a seulement besoin du K de la couche en-dessous et des propri´et´es de la couche i. Voil`a donc la relation de r´ecurrence qui nous permettra de remonter jusqu’`a K1 et ainsi r´esoudre (3.24). Il reste cependant un petit probl`eme: quid de la couche N + 1?
On sait par la condition iv. que XN+1 = 0. Reprenant la d´efinition de Ki (3.27), on voit que pour le substratum il reste
KN+1 = 1 + ΘN+1(λ)
1 + ΘN+1(λ) = 1(!!)
Cette approche du probl`eme tabulaire, la relation de r´ecurrence est connue sous le nom de relation de Pekeris, permet en fait de trouver le Ki de l’infini jusqu’au toit de la couchei.
A chaque fois qu’on passe deKi+1 `aKi, c’est comme si on ajoutait une couche de r´esistivit´e ρi et d’´epaisseur hi au-dessus de la pile...
Grˆace `a la relation de r´ecurrence, cette approche est tr`es facile `a programmer.
3.4 Exemple: dispositif Wenner
Nous avons parl´e de ce dispositif au chapitre pr´ec´edent. Il s’agit du dispositif pour lequel les
´electrodes sont ´equidistantes, avec les ´electrodes de courant `a l’ext´erieur et celles de potentiel
`a l’int´erieur.
La r´esistivit´e apparente est donn´e par ρaw = ∆V
I 2πa avec
∆V = ρI π
µ1 a − 1
2a
¶
qu’on peut aussi exprimer comme
∆V =f(a)−g(2a) avec
f(a) = ρ1I π
Z ∞
0 K1(λ)J0(aλ)dλ g(2a) = ρ1I
π
Z ∞
0 K1(λ)J0(2aλ)dλ d’o`u
ρaw = 2aρ1
·Z ∞
0 K1(λ)J0(aλ)dλ−
Z ∞
0 K1(λ)J0(2aλ)dλ
¸
(3.31) Un exemple de calcul de la r´esistivit´e apparente d’un milieu tabulaire pour un dispositif Wenner est illustr´e sur la figure 3.2. Le milieu est constitu´e d’une premi`ere couche de 100 Ω.m de 20 m d’´epaisseur, d’une deuxi`eme couche de 10 Ω.m aussi de 20 m d’´epaisseur et d’un demi-espace de 1000 Ω.m. Notez que l’augmentation de l’´ecart a revient `a augmenter la profondeur d’investigation.
0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 40
50 60 70 80 90 100
Wenner sur milieu tabulaire
a (m) ρ aw (Ω.m)
Figure 3.2: Exemple de variation de la r´esistivit´e apparente ρa en fonction de l’´ecart aentre les ´electrodes du dispositif Wenner.