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Anne-Marie Lagrange

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Reflets de la Physique n° 49

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Anne-Marie Lagrange

Une astrophysicienne à l’Académie des sciences

F&P : Nous sommes dans votre bureau, à l’Institut de Planétologie et d’Astrophysique (IPAG), sur le beau campus universitaire de Grenoble. Anne-Marie, vous avez 53 ans, vous êtes ancienne élève de l’École polytechnique et astrophysicienne, directrice de recherche au CNRS. Votre brillant parcours, marqué par la découverte d’exoplanètes, vous a conduite à l’Académie des sciences, où les femmes sont encore très minoritaires. Pouvez-vous nous expliquer comment est née votre vocation scientifique ? Anne-Marie Lagrange (AML) : Je suis issue d’une famille très modeste de la région Rhône-Alpes. J’étais passionnée au lycée par les maths et la physique, mais dans ma famille il n’était pas habituel de faire des études supérieures. J’ai eu la chance d’avoir une professeure de français perspicace, qui m’a mise en contact avec le Rotary Club local. J’ai été alors très bien conseillée et encouragée à aller en classes préparatoires, pour faire des études plus poussées en mathématiques et en physique. De plus, le Rotary Club m’a attribué une bourse. En classes préparatoires, j’ai pu découvrir les métiers de la recherche scientifique, ce qui a motivé ma vocation pour la recherche.

F&P : Qu’est-ce qui a motivé votre orientation vers l’astrophysique ? AML : Je suis entrée à l’École polytechnique et j’ai découvert l’astrophysique grâce au cours d’option de Jean Audouze. Cette discipline, qui fait intervenir mathématiques, physique et chimie, et pour laquelle beaucoup est à découvrir, m’a passionnée. J’ai ensuite préparé une thèse à l’Institut d’Astrophysique de Paris sous la direction d’Alfred Vidal-Madjar. J’étudiais alors par spectroscopies UV par satellite et optique au moyen des télescopes de l’ESO, l’observatoire européen du Chili, un système très étonnant qui venait d’être découvert : un disque de gaz et de poussières autour d’une étoile, Beta Pictoris, située à 63 années- lumière de la Terre, dans la constellation du Peintre. Très tôt on a pensé que ce système avait un lien avec la formation des planètes, ce qui lui conférait une importance toute particulière.

F&P : Comment s’est déroulée votre carrière ?

AML : Après ma thèse, j’ai passé une année à Garching (Munich), siège de l’ESO. Au cours d’une mission d’observation au Chili, j’ai rencontré Pierre Léna qui développait un système d’optique adaptative qui a été déterminant pour la suite de mes travaux.

L’optique adaptative [1] permet de corriger les images rendues floues par la traversée de l’atmosphère terrestre par les rayons

lumineux et de les rendre plus nettes (amélioration de la résolution spatiale, un paramètre critique pour les observations en astronomie).

Dès lors, je me suis intéressée à cette technique, dans la perspective de découvrir et d’étudier des disques planétaires ou même des planètes extrasolaires.

Je suis venue ensuite à Grenoble dans le groupe d’astrophysique d’Alain Omont (groupe devenu ultérieurement le LAOG, Laboratoire d’Astrophysique de l’Observatoire de Grenoble), où j’ai eu un poste au CNRS (INSU). J’ai pu y constituer un petit groupe de recherche sur les systèmes planétaires extrasolaires.

Avec un étudiant, Jean-Luc Beuzit, nous avons développé un

« coronographe », destiné à bloquer la lumière d’une étoile pour simuler en quelque sorte une éclipse. Ce dispositif, couplé à l’optique adaptative, a permis de voir avec une très grande précision le disque de poussière autour de l’étoile Beta Pictoris (fig. 1). Avec deux autres étudiants, David Mouillet et Jean-Charles Augereau, nous avons modélisé une torsion interne du disque par l’effet gravitationnel dû à une planète. J’ai étudié particulièrement, avec mon équipe, des « planétésimaux » (« cailloux » de 1 km de diamètre), une étape de la formation des planètes.

Je me suis investie dans le projet du premier système d’optique adaptative sur le grand télescope de 8,2 m de diamètre VLT du Chili, au sein d’un consortium français regroupant l’Observatoire de Paris, le LAOG et l’ONERA. L’instrument NAOS a été opérationnel en 2001 et a permis d’obtenir les premières images directes d’objets de masse planétaire, avec mon ancien étudiant et collègue Gaël Chauvin. C’est en 2008 que, en réanalysant d’anciennes données obtenues en 2003, j’ai pu découvrir une planète autour de l’étoile Beta Pictoris (fig. 1). En 2002-2003 j’ai initié et porté le projet d’un successeur de NAOS, entièrement dédié à la recherche et l’étude des exoplanètes. Ce projet est devenu l’instrument SPHERE (responsable Jean-Luc Beuzit, IPAG), qui a vu sa première lumière en 2014.

F&P : Quelles responsabilités avez-vous eues au cours de votre carrière ?

AML : J’ai eu des responsabilités de gestion de la recherche, puisque j’ai été pendant plusieurs années Chargée de mission à l’INSU (Institut National des Sciences de l’Univers, CNRS), puis Directrice scientifique adjointe de cet institut entre 2004 et 2006. J’ai cependant tenu à poursuivre mes activités de recherche, ce qui a été possible grâce à l’efficacité de mon équipe.

Interview réalisée par Claire Schlenker, de la commission Femmes et Physique (F&P) de la Société Française de Physique, le 24 avril 2015, à l’Institut de Planétologie et d’Astrophysique de Grenoble.

Article disponible sur le sitehttp://www.refletsdelaphysique.frouhttp://dx.doi.org/10.1051/refdp/201649038

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Reflets de la Physique n° 49

4 Au sein et autour de la SFP

Interview

F&P : Comment avez-vous réussi à concilier vie familiale et vie professionnelle ?

AML : Cela n’a pas toujours été facile, notamment à cause des missions lointaines nécessaires en astrophysique. J’ai rencontré mon mari en classe préparatoire. J’ai eu mon premier enfant alors que j’étais élève à l’École polytechnique. J’étais alors une « extraterrestre », mais j’ai cependant été bien soutenue par le corps professoral.

J’ai suivi l’intégralité de mon cursus, dans les temps, à l’exception du stage ouvrier, mon enfant venant de naître. J’ai obtenu ensuite une bourse de recherche de l’École polytechnique. J’ai eu mon deuxième enfant alors que j’étais en DEA (Master 2 aujourd’hui).

Mon mari et moi avons pu mener de front famille et études grâce aux salaires dont nous bénéficiions et à un logement sur le campus.

Plus tard, j’ai pu m’imposer dans le monde de la recherche, un monde toujours très masculin et n’ai pas ressenti de barrage particulier.

Plus récemment, j’ai été bien accueillie à l’Académie des sciences.

F&P : Quels conseils donneriez-vous maintenant aux jeunes filles ? AML : Je leur conseillerais, si elles ont le goût des sciences dites

« dures », de ne pas se laisser influencer par les idées reçues. Il est certes plus difficile encore aujourd’hui pour les femmes de progresser dans les carrières, pour des raisons diverses. Mais je leur recommanderais d’être persévérantes !

Par ailleurs, je considère qu’il faudrait conseiller les éducateurs et les parents pour qu’ils encouragent les enfants talentueux, et principalement les filles, à s’engager dans ces études réputées difficiles. Les plaisirs procurés ensuite par les métiers scientifiques, en particulier ceux de la recherche, valent bien tous ces efforts. ❚

4 Parcours

En 2015, Anne-Marie Lagrange a 53 ans.

(anne-marie.lagrange@ujf-grenoble.fr)

• 1982 Entrée à l’École polytechnique.

Service militaire (1982-1983)

• 1986 DEA (Master 2) d’astrophysique, Université Paris VII

• 1988 Thèse d’astrophysique, Université Paris VII

• 1989 Chercheure postdoctorale à Munich, Garching, ESO (European Southern Observatory)

• 1990 Chargée de recherche au CNRS, Groupe d’astrophysique de Grenoble

• 1994 Médaille de bronze du CNRS

• 2004-2006 Directrice adjointe de l’INSU du CNRS

• 2004 Premières images directes d’objets de masse planétaire autour d’une étoile

• 2005 Prix Fondation Cino del Duca

• 2008 Détection directe d’une exoplanète autour de l’étoile Beta Pictoris

• 2009 Prix Dargelos de l’École polytechnique

• 2011 Prix Irène Joliot-Curie – Chevalière de la Légion d’honneur

• 2013 Élection à l’Académie des sciences

100 200 300 400 500

Échelle de luminosité (unité arbitraire)

600 700 800 900

0

0,5 seconde d’arc

[1] D. Rouan, Reflets de la physique n°47-48 (2016) 78-83.

1. Beta Pictoris. (a) Images de l’étoile Beta Pictoris (à gauche) et d’une étoile de référence (à droite), obtenues avec l’instrument NAOS sur le Very Large Telescope (VLT) au Chili.

Le signal de la planète autour de Beta Pictoris est noyé dans celui de l’étoile. (b) Images finales de Beta Pictoris, obtenues après avoir enlevé le signal de l’étoile par des méthodes numériques et en utilisant l’étoile de référence. La planète autour de Beta Pictoris apparaît comme un point lumineux en haut à gauche de chaque image, l’étoile se trouvant au centre. Les deux images correspondent à des méthodes un peu différentes de soustraction du halo de l’étoile.

a

b

Références

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