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Les médias sociaux dans le cadre d'une recherche participative en santé auprès des Inuit du Nunavik

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Academic year: 2021

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Les médias sociaux dans le cadre d'une recherche participative en santé

auprès des Inuit du Nunavik

Mémoire

Marie-Claude Lyonnais

Maîtrise en santé communautaire – santé mondiale Maître ès sciences (M. Sc.)

Québec, Canada

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Les médias sociaux dans le cadre d'une recherche participative en santé

auprès des Inuit du Nunavik

Mémoire

Marie-Claude Lyonnais

Sous la direction de :

Christopher Fletcher, directeur de recherche Patrick Archambault, codirecteur de recherche

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iii

Résumé

Cette étude exploratoire vise à offrir une base d’informations entourant l’utilisation des médias sociaux dans le cadre d’une recherche participative en santé auprès des communautés Inuit du Nunavik. Des entrevues semi-structurées réalisées auprès d’une trentaine de Nunavimmiut (Inuit du Nunavik) et le contenu de six groupes et deux pages Facebook ont fait l’objet d’une analyse thématique pour mieux comprendre l’usage fait par les Nunavimmiut des médias sociaux, et déterminer les meilleures méthodes pour améliorer la communication dans le cadre d’une recherche participative. Les résultats démontrent que les médias sociaux, particulièrement Facebook, sont devenus des moyens de communication incontournables pour joindre et impliquer les populations dans un tel processus, mais qu’ils doivent s’inclure dans une stratégie globale intégrant les canaux de communication traditionnels. Il doit également y avoir une adaptation culturelle de la part des chercheurs lors de leur utilisation, en respectant les normes sociales et culturelles des Inuit, pour qu’il puisse y avoir une communication réussie, et obtenir ainsi des résultats de recherche probants correspondant aux besoins réels des communautés.

Mots-clés : Inuit, Nunavik, médias sociaux, recherche participative, santé, communication interculturelle, adaptation culturelle

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iv

Abstract

This exploratory study aims to provide information about the use of social media as part of a communication strategy within an Inuit community-based participatory health research (CBPR). Thirty semi-structured interviews conducted with Nunavimmiut (Inuit from Nunavik), as well as the content of six Facebook groups and two Facebook pages, were the subject of a thematic analysis. The goal was to better understand the use of social media by Nunavimmiut, and the best methods to improve communication within an Inuit CBPR. The results show that social media, especially Facebook, is an effective tool to reach and involve local people in the research process, but needs to be included in a broader strategy including traditional media. Researchers also need to culturally adapt their use of social media by respecting the social and cultural norms of Inuit to communicate successfully and generate more locally valuable research results.

Key words: Inuit, Nunavik, social media, community-based participatory research, health, cross-cultural communication, cross-cultural adaptation

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v

Table des matières

Résumé ... iii

Abstract ... iv

Liste des tableaux ... vii

Liste des figures ... viii

Abréviations ... ix

Remerciements ... x

Mise en contexte ... xii

Introduction ... 1

Chapitre 1. - La problématique ... 6

1.1 Le Nunavik ... 6

1.2 Internet ... 9

1.3 L’émergence et la montée des médias sociaux ... 10

1.4 L’appropriation culturelle des médias sociaux ... 12

1.5 Les définitions multiples de la santé ... 15

1.6 L’importance de la communication en santé ... 19

1.7 La recherche participative en santé... 20

1.8 Les compétences interculturelles ... 21

1.9 But de la recherche ... 23

1.10 Questions et objectifs ... 24

Chapitre 2. - Revue de littérature ... 26

2.1 L’utilisation des médias sociaux en santé ... 26

2.1.1 Autonomisation ... 28

2.1.2 Littératie ... 31

2.1.3Maintien relationnel ... 34

2.1.4 Soutien social ... 35

2.2 Les médias sociaux dans le cadre d’une recherche interculturelle ... 37

2.2.1 Compréhension du processus d’appropriation culturelle ... 38

2.2.2 Convivialité culturelle ... 39

2.3 Les médias sociaux et la recherche participative ... 40

2.4 L’éthique, la recherche et les médias sociaux ... 41

2.5 Synthèse ... 43

Chapitre 3. - Méthodologie ... 45

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vi

3.2 Modèle théorique de Kim ... 49

3.3 Population à l’étude et recrutement ... 51

3.4 Collecte de données... 53 3.5 Analyse ... 54 3.6 Considérations éthiques ... 56 Chapitre 4. – Résultats ... 61 4.1 Entrevues semi-dirigées ... 61 4.1.1 Technologie ... 63 4.1.2 Médias sociaux ... 65 4.1.3 Langues utilisées... 66

4.1.4 Médias sociaux et santé ... 69

4.2 Groupes/Pages Facebook ... 72 4.2.1 Aperçu général ... 73 4.2.2 Contenu analysé ... 75 4.2.3 Langues utilisées... 76 4.2.4 Utilisation générale ... 77 4.2.5 Utilisation en santé ... 80 4.3 Analyse thématique ... 82

4.3.1 Le rôle social des médias sociaux ... 82

4.3.2 Le rôle identitaire des médias sociaux ... 93

4.3.3 Le rôle des médias sociaux en santé ... 98

4.3.4 Le rôle des médias sociaux dans le cadre d’une recherche participative ... 105

4.3.5 Les barrières à l’utilisation ... 108

Chapitre 5. - Discussion ... 116

5.1 Une intégration culturelle, identitaire et communautaire ...116

5.1.1 Une appropriation réussie ... 117

5.1.2 Un rôle social multiple ... 119

5.2 Un outil de premier plan en santé ...124

5.3 Une éducation nécessaire ...126

5.4 La compétence communicationnelle : le modèle de Kim revisité ...127

5.5 Facebook : un rôle complémentaire à ne pas négliger lors de Qanuilirpitaa ...129

5.6 Forces et limites de l’étude ...134

Conclusion ... 137

Bibliographie ... 140

Annexe 1 – Grille pour les entrevues semi-dirigées ... 155

Annexe 2 – Formulaire de consentement ... 156

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vii

Liste des tableaux

Tableau 1. Pyramides démographiques Nunavik-Québec ... 7

Tableau 2. Déterminants sociaux de la santé ... 17

Tableau 3. Profil des participants à l’étude ... 62

Tableau 4. Connexion Internet des participants ... 63

Tableau 5. Appareils électroniques utilisés par les participants ... 64

Tableau 6. Médias sociaux utilisés par les participants ... 65

Tableau 7. Langues utilisées dans les médias sociaux par les participants ... 66

Tableau 8. Raisons de l’utilisation des médias sociaux par les participants (général) .... 68

Tableau 9. Utilisation des médias sociaux (santé) ... 69

Tableau 10. Raisons de l’utilisation des médias sociaux par les participants (santé) ... 71

Tableau 11. Aperçu des pages/groupes Facebook par et pour les Inuit ... 73

Tableau 12. Exemples de popularité... 74

Tableau 13. Langues utilisées (Facebook) ... 76

Tableau 14. Publications Facebook, sujets généraux ... 77

Tableau 15. Publications Facebook (santé) ... 80

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Liste des figures

Figure 1. Cadre conceptuel de la santé et de ses déterminants ... 16 Figure 2. Modèle d’adaptation interculturelle ... 49

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Abréviations

ACEI Autorité canadienne pour les enregistrements Internet

AINQ Association des Inuit du Nord québécois

APHA American public health association

ARK Administration régionale Kativik

ASPC Agence de santé publique du Canada

CAAN Canadian Aboriginal Aids Network

CBJNQ Convention de la Baie-James et du Nord québécois

GCIER Groupe consultatif interorganismes en éthique de la recherche

IHS Inuit Health Study

ILS Internet Live Stats

ITK Inuit Tapiriit Kanatami

INSPQ Institut national de santé publique du Québec

NTI Nunavut Tunngavik Inc

OMHK Office municipal d’habitation Kativik

OMS Organisation mondiale de la santé

ONSA Organisation nationale de la santé autochtone

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Remerciements

Tout d’abord, je voudrais remercier tous les participants de ce projet, le cœur même de cette étude. Votre générosité et votre ouverture m’ont touchée énormément. Nakuurmik pour ces belles rencontres.

À mon directeur, Christopher Fletcher, pour son soutien social indéfectible - émotionnel, matériel et instrumental -, sans qui ce projet n’aurait pu voir le jour. Que je sois à Québec, Montréal, Sherbrooke, Moncton ou au Nunavik, que ce soit par téléphone, Facebook ou lors d’un tour de Honda, il m’a épaulée et son bagage de connaissances et de compétences culturelles a été très précieux. Merci.

À mon codirecteur, Patrick Archambault, qui a lancé l’étincelle initiale de ce projet, qui a insufflé un peu d’esprit cartésien dans ce monde qualitatif, et a toujours été d’une aide inestimable pour me diriger dans les méandres de la présentation scientifique. Merci.

À la Chaire Louis-Edmond-Hamelin, à l’INSPQ et au CRCHUL de Québec. Sans votre appui financier et technique, rien de tout ceci n’aurait été possible. Merci.

À Gina Muckle et Caroline Moisan, pour l’extraordinaire opportunité offerte, l’accueil chaleureux dans un Nunavik frigorifié et frigorifiant de février et vos conseils fort appréciés. Merci.

Eva Laflamme, sans toi, une partie de ce projet n’aurait pas eu autant de succès. Merci de ton accueil et de ton appui, particulièrement dans un moment de détresse à l’aéroport.

À mon amie et alliée, Sarah Surusila, pour m’avoir offert généreusement ton amitié, ton caribou, ton talent pour mon confort vestimentaire et surtout, tous ces souvenirs à chérir toute une vie. Nakuurmik. À nos prochains projets!

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À Chantal Vinet-Lanouette, la force tranquille, celle qui m’a fait découvrir cette merveilleuse culture. Christine Dufour-Turbis, Gabrielle Bureau et toi, vous êtes mon club de mousquetaires qui a rendu cette maîtrise mémorable.

Papa et maman, pour les heures de gardiennage et pour m’appuyer dans tout, tout le temps (ou presque), depuis toujours. Merci, merci, merci.

Finalement, à ma petite famille. Jocelyn, Marek et Anya, vous êtes ma fondation, mes piliers. Même si ma tête (et parfois mon corps tout entier) n’était pas toujours à la maison, vous avez été compréhensifs, patients et votre appui a été inconditionnel. Dans cette maîtrise, il y a beaucoup de vous. Merci fois mille, je vous aime.

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Mise en contexte

Au cours de l’été 2017, une vaste enquête de santé s’est déroulée dans les 14 communautés du Nunavik. Le brise-glace Amundsen a sillonné les côtes du Nunavik pour accueillir à son bord les participants de Qanuilirpitaa, « Comment allons-nous maintenant? ». Qanuilirpitaa se veut la continuité de l’enquête de 2004 Qanuippitaa, « Comment allons-nous? », qui avait alors dressé le profil de santé des communautés Inuit. En tout, plus de 1300 participants ont pris part à cette enquête, soit des participants de la première cohorte afin de documenter l’évolution de l’état de santé, et une nouvelle cohorte jeunesse (16 à 30 ans). Par ailleurs, un nouveau volet communautaire s’est ajouté à l’enquête à la demande des Inuit, qui souhaitaient en connaître davantage sur leurs ressources et les forces des autres communautés. Ultimement, l’ensemble des informations recueillies servira à établir les priorités sanitaires de ces communautés, de même qu’à diriger le développement des prochaines stratégies régionales en santé et services sociaux.

L’ensemble de l’enquête Qanuilirpitaa s’inscrit dans une démarche participative, et son succès lors de la collecte de données dépendait de l’implication des communautés. Pour se faire, il était nécessaire d’utiliser des moyens de communication efficaces pour engager la participation. D’ailleurs, lors du Congrès Nordique 2017 à Montréal, la directrice de la Régie de la santé et des services sociaux du Nunavik (RSSSN), Dre Françoise Bouchard, mentionnait que « la communication est la clé pour intéresser les gens et les communautés dans cette recherche [Qanuilirpitaa] » (Bouchard, 2017). Or, la communication, dans le cadre de projets de cette envergure, représente un défi. Dans un rapport publié par le Centre de santé Inuulitsivik concernant l’élaboration de critères de qualité pour améliorer les soins de santé et les services sociaux des Inuit de la baie d’Hudson, l’une des conclusions tirées était que « si un seul aspect pouvait être amélioré dans les pratiques médicales et sociales du Nunavik, ce serait de concentrer les efforts sur la communication, qui est au cœur des malentendus engendrant le mécontentement des sujets interrogés » (Guignard et Daigneault-Clermont, 2012).

L’intégration des médias sociaux dans le cadre de Qanuilirpitaa semblait donc être une innovation intéressante, particulièrement pour toucher la cohorte jeunesse. D’ailleurs, dès le

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début des discussions entourant l’enquête régionale de santé, les communautés avaient mentionné que ce mode de communication était devenu un incontournable dans la population, et que les médias sociaux devraient faire partie du processus communicationnel au cours de l’enquête. Toutefois, la littérature entourant l’utilisation des médias sociaux dans un tel contexte était extrêmement mince, et les méthodes pour en faire un usage efficace étaient nébuleuses. C’est dans ce contexte que ce projet de maîtrise a été développé. Il visait principalement à apporter une base d’informations sur l’utilisation que font les Nunavimmiut des médias sociaux, particulièrement dans le domaine de la santé, afin que l’équipe de

Qanuilirpitaa ait des pistes de réflexion pour développer une stratégie de communication

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Introduction

La communication représente un élément indissociable de la santé communautaire et une préoccupation majeure, car elle intervient dans tous les aspects de la santé et du bien-être (ex. : prévention, éducation, promotion) (Rimal et Lapinski, 2009). Une communication en santé efficace permet d’agir adéquatement sur les problématiques vécues par les populations, réduisant du coup les inégalités de santé et améliorant la qualité de vie (Thomas, 2004). Toutefois, une mauvaise communication peut provoquer des effets indésirables et même agir à l’encontre du bien-être des populations (Rimal et Lapinksi, 2009). Il s’agit d’un défi important, car les écueils sont nombreux, la communication étant un processus dynamique non homogène. Tous les actes communicatifs sont moulés dans un contexte culturel, soutenu par les normes sociales, les expériences vécues et les relations interpersonnelles entre interlocuteurs, ce qui entraîne facilement des malentendus, particulièrement dans un contexte interculturel (Rimal et Lapinski, 2009; Zimanyi, 2012).

Ces mêmes constats s’appliquent pour la communication dans le cadre d’une recherche participative en santé auprès des Inuit du Nunavik. La communication est essentielle à la réussite d’une recherche, y compris pour ses retombées, mais les défis qu’elle soulève restent une préoccupation majeure pour les chercheurs. La capacité de ces derniers à communiquer adéquatement avec la communauté visée sera déterminante à leur adaptation au sein de cette communauté, ainsi qu’au développement de liens de confiance avec les Inuit (Stadler, 2013). L’obtention de résultats probants nécessite la participation active des communautés touchées par la recherche et une « inuitisation » du processus, afin qu’il se déroule en adéquation avec les particularismes de la population et leurs besoins. Une bonne communication facilite leur compréhension du projet, leur participation active et leur contribution (Stadler, 2013; Thomas, 2004). Or, l’absence de contextualisation culturelle peut mettre en péril la qualité et même l’éthique de la recherche (Richardson et al, 2017) : des facteurs sociaux, culturels, psychologiques, émotionnels et même géographiques peuvent entraîner malentendus et conflits, nuisant ultimement à l’ensemble du processus (Zimanyi, 2012).

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L’implication des Nunavimmiut, particulièrement dans le domaine de la santé, est pourtant d’une importance cruciale, car ils ont un rôle essentiel à jouer dans les orientations sanitaires de leur région. En plus d’offrir des données probantes liées à la réalité du terrain, un projet culturellement adapté permet de réduire les inégalités de santé et de développer l’autonomisation de la population visée (Guignard et Daigneault-Clermont, 2012; Israel et al, 2010; Macaulay, 1998). Cette autonomisation est d’ailleurs nécessaire chez les Inuit pour aider à renverser les impacts de la colonisation, qui se font encore trop ressentir au Nunavik au niveau des services de santé (Guignard et Daigneault-Clermont, 2012). Bien que ces services soient sous la responsabilité d’organisations dirigées par les Inuit depuis la Convention de la baie James et du Nord québécois (CBJNQ) (Secrétariat aux affaires autochtones, 1998), le système de santé occidental prime au Nunavik, et le savoir ancestral a été relégué au deuxième plan, entraînant une perte identitaire durement ressentie qui mine la santé de certaines populations (Richmond et Ross, 2009). En impliquant les communautés visées dans l’ensemble du processus, les résultats refléteraient leurs besoins réels et mèneraient à des résultats probants (Fletcher, 2003; Macaulay, 1998).

L’intégration des médias sociaux dans le cadre d’une recherche participative en santé auprès des communautés Inuit semble être une innovation intéressante pour améliorer la communication entre chercheurs et communautés, et favoriser ainsi le développement de stratégies efficaces en santé. Leur utilisation serait d’autant plus judicieuse que les médias sociaux sont en pleine explosion au Nunavik (National, 2014). Collignon (1996) rapportait que les communautés Inuit du Nunavik ont embrassé le monde virtuel dans leur quotidien à l’instar des générations précédentes, qui elles, avaient intégré la télévision et la radio à leurs habitudes de vie. Certaines études ont aussi démontré que les médias sociaux sont très populaires auprès des Nunavimmiut de tous âges, et qu’il s’agit d’une des meilleures façons de joindre les jeunes, en raison de leur engouement pour ce média (Blackburn, 2017; National, 2014; Pasch, 2008). Les médias sociaux ont d’ailleurs été utilisés avec succès dans le cadre de recherches participatives, particulièrement auprès de communautés situées en région éloignée ou présentant des défis interculturels (Ito et al, 2010; Kral, 2011; Rae, 2013). Ils permettent notamment d’abolir plusieurs barrières puisqu'ils réduisent considérablement les distances, les efforts et les coûts liés au recrutement, et offrent la possibilité d'une

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conversation en temps réel à n’importe quel moment, peu importe l’endroit. De plus, ils sont généralement faciles à maîtriser et leur utilisation est très polyvalente, pouvant s’effectuer sur n’importe quelle plateforme numérique (Bender, Cyr, Arbuckle et Ferris, 2017; La Torre, Miccoli et Ricciardi, 2014; Rae, 2013).

Avec le développement technologique, les interactions sociales ont évolué dans les médias sociaux. Ces derniers offrent désormais un contenu significatif et pertinent au niveau matériel et discursif, en représentant notamment la culture et l’identité des internautes qui construisent ce contenu (Miller, 2011; Wilson, 2014). Un avantage indéniable, puisque comme le soulignent plusieurs auteurs (Fletcher, 2003; Rae, 2013; Richardson et al, 2017; Stadler, 2013), les disparités culturelles nécessitent d’être prises en considération dans le cadre d’une approche participative et interculturelle. De plus, ils offrent une occasion de développer un dialogue ouvert et soutenu, ce qui peut atténuer la méfiance des participants envers les chercheurs et engranger une relation de confiance (Wilson, 2014; Rae, 2013). Kim, Izumi et McKay-Semmler (2008) et Chen (2012) soutiennent que les activités de communication par ordinateur, en raison de leur flexibilité et de leur facilité de partage, seraient aussi efficaces qu’une communication en personne dans un contexte d’adaptation interculturelle, et que cela pouvait agir positivement sur le développement de saines relations entre une communauté d’accueil et de nouveaux arrivants, à l’occurrence des chercheurs.

Toutefois, les médias sociaux représentent un défi, car il s’agit d’une nouvelle dimension dont les frontières éthiques ne sont pas encore clairement définies (Côté, 2012; Thoër, 2012). Ils ont amené la création d’un nouveau monde, soit le virtuel, où les notions de vie privée et de vie publique s’entremêlent et deviennent difficilement dissociables. Ce faisant, les médias sociaux se situent dans une zone grise, qui entraînent de nombreuses questions quant aux barèmes devant être utilisés (ou créés) pour les utiliser et les légiférer (Côté, 2012). Dans le cadre d’une recherche, particulièrement dans le domaine de la santé, ces aspects soulèvent des questions éthiques, notamment en raison des risques liés à la confidentialité et à la sécurité des informations et données transmises (Bender, Cyr, Arbuckle et Ferris, 2017). Le niveau de littératie numérique nécessaire pour sécuriser un profil sur un média social peut être un enjeu, pour certaines personnes, les rendant vulnérables à la divulgation

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d’informations qu’elles souhaiteraient garder confidentielles. Le recrutement de jeunes, entre autres, entraîne des difficultés liées au consentement parental. De même, la promotion de matériel lié à une étude touchant des mineurs peut soulever des questionnements sur le consentement donné par un participant (avait-il ou non la maturité nécessaire pour bien comprendre le sujet et les objectifs de l’étude?) (Denecke et al, 2015).

Cela dit, ils présentent plusieurs avantages et de vastes possibilités pour améliorer la communication et la participation dans le cadre d’une recherche participative. Or, très peu d’études se sont penchées sur l’utilisation des médias sociaux par les communautés Inuit, ou sur leur utilité dans le cadre d’une recherche participative en santé auprès de cette population. Le but de ce projet de maîtrise est donc d’apporter une base d’informations sur l’utilisation que font les Nunavimmiut des médias sociaux, particulièrement dans le domaine de la santé, afin d’alimenter la réflexion lors de l’élaboration d’une stratégie de communication avec des Inuit dans le cadre d’une recherche participative. Les objectifs visent à décrire l’utilisation des médias sociaux par la communauté Inuit du Nunavik, ainsi que leurs méthodes d’utilisation dans le domaine de la santé. Si cette étude s’est déroulée en filigrane de l’enquête de santé Qanuilirpitaa, il est important de préciser que les conclusions globales débordent de ce contexte et peuvent s’appliquer à n’importe quelle recherche participative dans un contexte interculturel.

Ce projet consiste donc en une recherche qualitative exploratoire, inspirée de l’ethnographie et de l’ethnographie virtuelle. Des entrevues semi-dirigées avec des Nunavimmiut, réalisées sur le terrain, et le contenu de pages et de groupes Facebook ont été utilisés pour réaliser une analyse thématique et décrire ce phénomène. La portion touchant l’utilisation d’entrevues semi-dirigées, une approche classique de la recherche qualitative, a été un choix dicté par le désir de comprendre en profondeur l’utilisation des médias sociaux par les Nunavimmiut. La décision d’utiliser une approche inspirée de l’ethnographie virtuelle a, quant à elle, été influencée par les travaux en recherche interculturelle de plusieurs ethnographes utilisant les médias sociaux.

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Ce mémoire présente tout d’abord la problématique de manière plus détaillée, pour bien comprendre le contexte particulier du Nunavik, ainsi que les buts et objectifs. Une revue de littérature fait ensuite une recension des écrits existants sur les thèmes d’intérêt pour cette recherche, soit l’utilisation des médias sociaux dans un contexte de santé, en recherche participative et en milieu interculturel. Le troisième chapitre aborde la démarche méthodologique, suivi par le chapitre concernant les résultats. Une discussion de ces résultats, ainsi que quelques pistes de réflexion sur l’utilisation des médias sociaux dans le cadre d’une recherche participative en santé sont présentées au chapitre 5. Finalement, la conclusion résume les constats globaux et suggère des avenues à suivre pour poursuivre la réflexion amorcée avec ce projet.

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Chapitre 1. - La problématique

Ce premier chapitre détaille d’abord le contexte particulier du Nunavik et les réalités propres à cette région, un préambule nécessaire à la compréhension globale de la problématique. Il aborde également les grands thèmes qui seront abordés dans cette recherche, en expliquant le contexte qui a mené à ce projet, et en quoi celui-ci est justifié. Le chapitre se termine en expliquant le but et les objectifs, et comment les résultats constituent des informations pertinentes pour améliorer la santé communautaire au Nunavik.

1.1 Le Nunavik

Le Nunavik est une région septentrionale québécoise située au-delà du 55e parallèle. Établie en 1975 dans le cadre de la CBJNQ (Secrétariat aux affaires autochtones, 1998), elle couvre une superficie de 660 000 kilomètres carrés et inclut plusieurs îles situées au large du continent. La région se divise en 14 villages comprenant moins de 1000 résidents (à l’exception de Kuujjuaq, de Puvirnituq, de Salluit et d’Inukjuak), qui sont parsemés le long de la baie d’Ungava, du détroit d’Hudson et de la baie d’Hudson (Société Makivik, 2015).

La population du Nunavik est composée à 90 % d’Inuit, ce qui représente 10 755 personnes (Statistique Canada, 2013), et le ratio homme-femme est près de 1:1 (Statistique Canada, 2006). La région regroupe environ 18 % des Inuit canadiens, et environ 20 % de sa population est situé à Kuujjuaq, le village le plus peuplé. Inukjuak (1500 résidents en 2001), Salluit (1241 résidents en 2001) et Puvirnituq (1457 en 2001) sont les trois autres communautés ayant le plus de résidents (Société Makivik, 2015). Les villages sont toutefois isolés entre eux; il n’existe pas de liens terrestres entre les différentes communautés ni avec le sud du Québec. L’avion, le bateau (pendant quelques semaines) et parfois la motoneige restent les seuls moyens de transport disponibles (Société Makivik, 2015).

Comme le démontre le tableau 1 (p.6), la population du Nunavik est très jeune : plus de la moitié des Inuit résidant au Nunavik ont moins de 25 ans, et l’âge médian se situait à 20,6 ans en 2011 (Statistique Canada, 2013). En comparaison, 29,5 % de la population non

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autochtone est âgée de moins de 25 ans et l’âge médian se situe à 41 ans (Statistique Canada, 2013). Le taux de personnes âgées est toutefois à la hausse depuis la fin des années 90, et ne cesse de croître. Elle devrait passer de 3 % (taux de 2011) à 8 % en 2031, selon des statistiques de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ, 2011).

Tableau 1. Pyramides démographiques Nunavik – Québec

Tiré du rapport « Le Nunavik en chiffres » de Duhaime, G., Lévesque, S. et Caron, A., 2015

Par ailleurs, les familles sont nombreuses. Les femmes ont en moyenne 3,2 enfants et les ménages comptent, en moyenne, 3,9 personnes (INSPQ, 2011). La croissance démographique est à la hausse depuis plusieurs années; Quaqtaq, par exemple, a connu une croissance démographique de 18,6 % entre 1996 et 2001 (Société Makivik, 2015).

Le coût de la vie est très élevé au Nunavik (13,1% de plus qu’au sud du Québec), alors que plus de la moitié des ménages sont à faible revenu, c’est-à-dire que leur revenu annuel avant impôt est inférieur à 75 % du revenu médian « ajusté » (Duhaime, 2017). De plus, le taux d’employabilité est de seulement 70 % (Statistique Canada, 2013). L’alimentation et le logement représentent de 60 à 70 % des dépenses de ces ménages (Duhaime, 2017), et la région est plombée par des problèmes d’insécurité alimentaire (Council of Canadian Academies, 2014) et d’habitation, la moitié des Inuit vivant dans des logements surpeuplés (Statistique Canada, 2013).

Le Nunavik reste une région peu scolarisée, même si le nombre de détenteurs de diplômes augmente. En 2011, le quart des Inuit détenaient un certificat, un diplôme ou un grade d’une

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école de métiers, d’un collège ou d’une université. Selon l’INSPQ, 10 % des personnes âgées de 25 à 64 ans détenaient un diplôme de niveau secondaire, 30 % étaient détenteurs d’un diplôme d’études postsecondaires (inférieur au baccalauréat) et 2 % avaient un niveau universitaire (2011).

L’inuktitut est une langue très vivante sur ce territoire. En 2011, 99 % des Inuit estimaient que leur langue maternelle était l’inuktitut et qu’ils pouvaient soutenir une conversation dans cette langue (Statistique Canada, 2013), et 86 % mentionnaient qu’il s’agissait de la langue la plus parlée à la maison (Duhaime, Lévesque et Caron, 2015). L’inukitut reste également la langue la plus utilisée sur le lieu de travail (plus de 57 %), suivie de l’anglais (33,8 %) (Duhaime, Lévesque et Caron, 2015). La Commission scolaire Kativik, responsable de toutes les écoles du Nunavik, bénéficie de dispositions spéciales à la loi 101 et détient le pouvoir d’adapter le curriculum scolaire à la culture Inuit. Ainsi, les cours se font dans la langue maternelle (inuktitut) jusqu’à la 3e année, année de transition au cours de laquelle les élèves reçoivent leur éducation à mi-temps en inuktitut et à mi-temps en langue seconde (français ou anglais, au choix des parents et de l’élève). Par la suite, l’école se déroule principalement en langue seconde (mis à part pour quelques cours de langue inuktitut, d’arts ou de culture Inuit) (Juteau, 2017). Environ 50 % des élèves choisissent le français comme langue seconde et 50 % l’anglais (Duhaime, Lévesque et Caron, 2015; Société Makivik, 2015).

Cela dit, l’inuktitut est d’abord et avant tout un langage oral, la notion d’écriture étant relativement nouvelle au sein de la culture Inuit. Ce n’est qu’au cours des années 1800 que les missionnaires ont développé un ensemble de caractères syllabiques permettant l’écriture en inuktitut, afin de permettre l’évangélisation des communautés Inuit par la lecture de la Bible. Par la suite, les premiers écrits concernant les activités quotidiennes des Inuit ont commencé à apparaître au début du XXe siècle, et le premier roman Inuit canadien écrit en inuktitut a été publié en 1987. Par conséquent, il n’existe que très peu de littérature Inuit (et celle-ci est très récente) (Fabbi, 2003). L’écriture n’est pas favorisée davantage pour s’informer; encore aujourd’hui, la presse écrite est peu populaire en raison des difficultés de distribution et il n’existe qu’un seul journal, le Nunatsiaq News, couvrant l’ensemble du Nunavik et du Nunavut.

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L’oralité est ainsi toujours très présente dans la culture Inuit, les règles sociales, les histoires et les traditions se véhiculant toujours d’une génération à l’autre par l’observation et l’enseignement. Les visites et la participation aux événements communautaires demeurent des moyens favorisés pour s’informer sur la vie des membres de la famille et des amis, et pour conserver les liens. La radio communautaire représente également un moyen de communication prisé, car elle permet de joindre instantanément l’ensemble de la communauté, en plus d’être un mode d’expression disponible pour tous (Pauktuutit, 2006). Toutefois, comme il en sera question dans les prochaines sections, l’avènement d’Internet a bouleversé ces habitudes en entraînant le développement de nouveaux moyens de communication, tels que les médias sociaux. Une modification des pratiques communicationnelles s’est opérée au sein des communautés, et ces plateformes sont devenues très populaires (Pasch, 2008).

1.2 Internet

L’utilisation d’Internet a connu un bond fulgurant en près de 25 ans. En 1995, moins de 1 % de la population mondiale avait accès à une connexion. En 2017, ce pourcentage était grimpé à 40 %, soit près de 3,5 milliards d’utilisateurs. Au Canada, environ 88,5 % de la population canadienne utilise activement Internet (ILS, 2016).

À l’instar de la population canadienne, le Nunavik est branché. Selon une analyse réalisée par National pour le compte de l’Office municipal d’habitation Kativik (OMHK), une très forte proportion de la population du Nunavik est connectée sur la toile, et toutes les tranches d’âge semblent utiliser Internet, le tiers le faisant à travers les appareils intelligents (National, 2014). Toutefois, les personnes plus jeunes, plus éduquées et vivant dans les centres plus peuplés (comme Kuujjuaq) sont plus disposés à avoir Internet dans leur demeure (Fletcher, 2011).

Il existe toutefois des différences majeures entre le réseau Internet du Nunavik et celui du sud du Québec, ce qui crée un fossé numérique important. Deux fournisseurs, l’opérateur

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public Tamaani et l’opérateur commercial XplorNet, desservent le Nunavik grâce à un réseau satellitaire. Depuis 2004, les 14 communautés ont accès à un service Internet, et depuis l’été 2016, Tamaani offre un réseau de fibres optiques permettant une connexion locale (M.-H. Caron, communication personnelle, 13 juin 2016). Ce réseau de fibres optiques n’est toutefois pas branché à celui des régions urbaines du sud du Québec et n’offre pas la même qualité de service. Néanmoins, il améliore la fiabilité et la stabilité du réseau. Le fournisseur a également changé de satellite et doublé la bande passante. Malgré toutes ces améliorations, le réseau apporte son lot de frustrations en raison de sa lenteur et de son instabilité (Alexander et al, 2009; McMahon et Mangiok, 2014). De plus, les difficultés technologiques ne permettent pas d’offrir une bande passante suffisante, dont les besoins sont à la hausse depuis quelques années en raison de l’augmentation de la consommation de vidéos en ligne et du développement technologique. À titre comparatif, la totalité de la bande passante de Kuujjuaq (334 Mo) équivaut à celle offerte pour deux demeures de Montréal (M.-H. Caron, communication personnelle, 13 juin 2016). Tamaani bénéficie de subventions importantes permettant de limiter le coût du service Internet. Malgré cela, son service mensuel de base, offrant une connexion de 512 kilobits par seconde, coûte 60 $ (Sabourin, 2015), un montant important pour des gens dont le salaire moyen brut est de moins de 30 000 $ par année (Duhaime, Lévesque et Caron, 2015).

Ces différences ne sont pas sans impacts. Christensen (2003) concluait que le développement sociétal des communautés Inuit était lié à la technologie et que la fracture numérique allait aggraver les inégalités entre les milieux bénéficiant d’une connexion adéquate et ceux ayant un faible réseau. De plus, même si le réseau du Nunavik devenait un jour équivalent à celui des zones urbaines, les coûts seraient toujours plus élevés, désavantageant les ménages à faible revenu (Christensen, 2003).

1.3 L’émergence et la montée des médias sociaux

Jusqu’au début des années 2000, les échanges sur Internet étaient plutôt à sens linéaire, soit d’un émetteur à un récepteur. Le web social, thème introduit en 2004 par Tim O’Reilly et qui regroupe « n’importe quels outil, plateforme ou technologie de l’information fonctionnant en

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réseau et dérivant son contenu et sa valeur principale de l’engagement de ses utilisateurs, auxquels il permet d’interagir » (Norman, 2012, p.57) a transformé la façon de communiquer entre les internautes. Désormais, les échanges sont facilités et le contenu peut être généré et partagé beaucoup plus aisément (Mano, 2014, Moorhead et al, 2013). Cette culture participative permet désormais d’atteindre une ou plusieurs personnes où qu’elles soient en temps réel, et de « commenter, de partager, de contribuer et de modifier le contenu existant » (Norman, 2012, p. 57).

Un « média social » se définit par une plateforme participative permettant à quiconque de partager de l’information et de publier du contenu sur le web. Le terme diffère de réseau social qui représente, pour sa part, l’ensemble du réseau formé dans le cadre d’un média social (Blanc, 2011). Les médias sociaux prennent plusieurs formes : les plateformes narratives comme les blogues, les micromessages de 140 caractères comme Twitter, les outils de rédaction collaborative comme Wikipédia, les plateformes de diffusion vidéo comme YouTube ou Viméo, les sites de partages de photos comme Instagram, Pinterest ou Flickr, les partages audio comme Soundcloud et les podcasts, et les plateformes polyvalentes comme Facebook ou LinkedIn (Norman, 2012).

L’utilisation des médias sociaux est en pleine explosion sur la planète et le quart de la population mondiale les utilise activement (ACEI, 2014). Depuis le lancement de différentes plateformes participatives au cours des années 2000 (Twitter, Facebook, YouTube, etc.), cette popularité ne cesse de croître, notamment avec la multiplication des petits appareils électroniques (tablettes, iPod, etc.) et l'utilisation de plus en plus répandue des téléphones cellulaires intelligents (Norman, 2012). Facebook reste le média social le plus largement utilisé à travers le monde : il a franchi le cap du milliard d’utilisateurs mensuels actifs en 2013, et en février 2017, ce chiffre était de 1,86 milliard, soit près du double de Twitter, son plus proche concurrent (Facebook, 2017). Le même constat de popularité s’applique au Canada : en 2016, 64 % de la population nationale avait un profil sur un site de réseautage web (TUAC, 2017) et le média social le plus populaire était Facebook, suivi (de loin) par YouTube, Twitter et Instagram. Ces derniers sont toutefois en hausse croissante auprès de la génération des milléniaux (McKinnon, 2016).

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Les Nunavimmiut sont également de grands consommateurs de médias sociaux, malgré le fossé numérique : 73 % des Inuit interviewés dans le cadre d’une enquête régionale affirmaient se rendre au moins une fois par jour sur les médias sociaux, et le faisaient surtout le matin, le soir et les week-ends (National, 2014). En 2008, une étude a également démontré que 96 % des jeunes Nunavimmiut utilisaient un média social (Pasch, 2008). Le gestionnaire du projet Nunavut Broadband Oana Spinu a par ailleurs rapporté que l’utilisation des médias sociaux était non seulement une activité populaire auprès des jeunes Inuit, mais également en forte émergence auprès des Inuit plus âgés, particulièrement dans les localités où le réseau est suffisamment fort (Taylor, 2011). Facebook, en particulier, fait fureur auprès des Nunavimmiut (Castleton, 2014; Hot, 2010; Letkemann, 2009; Taylor, 2011), suivi de près par YouTube.

Les médias sociaux, toujours selon l’étude de National, servent à discuter en temps réel avec d’autres internautes (16 % des répondants), à « aimer » du contenu en ligne (15 %), à écrire un commentaire ou un courriel (10 et 11 %), à partager un contenu (photo (12 %), commentaire ou article (10 %) et à consulter les pages des amis (11 %) (National, 2014). Après le succès de courte durée de MySpace, Bebo a longtemps été le média social le plus prisé des jeunes Nunavimmiut, notamment pour partager du contenu concernant la musique hip-hop (Hot, 2010). Aujourd’hui, ce média social a complètement disparu du paysage virtuel (Taylor, 2011), ce qui démontre l’évolution rapide des habitudes numériques des résidents, et l’évolution constante des médias sociaux (Fletcher et al, 2011).

1.4 L’appropriation culturelle des médias sociaux

Les individus naviguent à travers un quotidien modelé par leurs expériences, leur culture, leurs rites et leurs valeurs. Cette dynamique sociale est façonnée en fonction des personnalités individuelles et du groupe. À travers cette culture quotidienne, les acteurs sociaux se sont toujours approprié les technologies de l’information et de communication (TIC), au fur et à mesure que ces instruments se sont développés. Cet accaparement s’est fait en les adaptant à leurs besoins spécifiques et à leur contexte particulier; les TIC ont ainsi subi

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une appropriation culturelle des différents groupes sociaux. Dans le contexte de cette étude, l’appropriation culturelle s’explique par « des acteurs sociaux qui mènent le changement, en s’emparant de l’innovation technique pour en orienter les utilisations […] [ces] acteurs étant inscrits dans une culture – celle de leur classe sociale, de leur classe d’âge, de leur région, etc. » (Scardigli, 1994, p. 306-307). Les TIC présentent des visages différents selon la communauté qui les utilisent, et représentent un épiphénomène résultant des profonds changements sociaux survenus au fil des ans (Scardigli, 1994).

Comme toutes TIC, les médias sociaux ne démontrent pas une réalité universelle et une expérience humaine homogène (Coleman, 2010). Loin d’être un modèle de globalisation et d’homogénéisation, ils sont une plateforme exposant le particularisme des participants, forgée par la culture de ceux qui les utilisent (Miller, 2011). Les médias sociaux permettent de particulariser les phénomènes, les groupes socioculturels et identitaires qui sont actifs sur ces plateformes. À travers Facebook et autres, les internautes articulent leur mode de vie et leurs croyances, et ces moyens de communication deviennent une extrapolation de leur propre réalité. La circulation des informations expose au grand public les expériences des internautes participants, et ces publications sont modelées par leur culture et leur identité. Les médias sociaux sont au coeur de nombreux processus à connotation sociale, linguistique ou politique (Coleman, 2010), dans lesquels les interactions découlent d’une action collective et dont le contenu est coconstruit par les participants à l’échange (Marcoccia, 2012). Cette hétérogénéité, d’un point de vue anthropologique, « [est créé] par les utilisations particulières ayant été développées dans différentes régions par différentes personnes » (Miller, 2011). Miller estime que Facebook est un lieu virtuel personnalisé par l’individu et le groupe, que l’analyse du contenu permet souvent de déceler les véritables personnalités dans son contexte particulier, et que le média social se développe à l’image de la communauté qui le nourrit avec les liens qui s’y développent, les dynamiques sociales qui s’y déroulent et les références culturelles des utilisateurs. Coleman explique que « peu importe où et quand des individus et des groupes communiquent à travers les médias numériques, il y aura toujours circulation, réorganisation, délétion, traduction et refonte de toute une panoplie de représentations culturelles, d’expériences et d’identités [qui] ne peuvent jamais être déterminées à l’avance » (Coleman, 2010, p.487). D’ailleurs, même au sein d’une culture qui pourrait

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sembler homogène, il existe de nombreuses différences qui se reflètent dans le monde virtuel. Par exemple, les Inuit du Nunavik, du Nunavut, du Groenland et de l’Alaska présentent des différences sociales et culturelles qui sont reproduites en ligne (Christensen, 2003).

Au Nunavik, c’est d’abord et avant tout la radio communautaire qui a servi de moyen de communication de masse principal, parce qu’elle leur permettait cette appropriation culturelle. En 1973, l’Association des Inuit du Nord québécois avait déterminé que les besoins de communication (au sein d’une communauté, entre localités, entre le territoire et les communautés et entre le « Sud » et les communautés Inuit) représentaient leur priorité principale. L’instauration d’un circuit à haute fréquence et les stations de radiodiffusion locales ont découlé de ce besoin jugé essentiel par les communautés. La télévision avait été écartée car elle n’offrait pas de contenu en inuktitut à cette époque, et ne permettait pas la production de contenu local. Quant aux journaux, les difficultés liées au transport éliminaient la possibilité d’avoir un approvisionnement régulier en nouvelles fraîches, tout en ne permettant pas un accès instantané à l’information. La radio, quant à elle, présentait de nombreux avantages, le plus grand étant la possession et le contrôle entier par les communautés de ce moyen de communication (AINQ, 1974). En installant une antenne locale dans chaque communauté, il s’agissait également de la meilleure façon d’informer ses résidents en même temps, d’obtenir rapidement les dernières nouvelles en inuktitut, et le média était accessible à tous, même pour les personnes analphabètes (Hudson, 1975). Relativement peu coûteux comparativement à la télévision et techniquement moins complexe, le circuit haute fréquence permettait aussi aux communautés d’avoir une pleine autonomie sur la production de contenu local, en plus d’assurer une sécurité accrue lors des déplacements dans les terres. Les émissions pouvaient être rejouées à répétition, permettant à tous d’être également informés (AINQ, 1974).

La radio joue toujours un rôle crucial au sein des foyers, étant perpétuellement allumée en toile de fond (Racicot-Matta, Wilcke et Egeland, 2016). En plus de diffuser les informations relatives à la communauté, la radio sert entre autres à diffuser le bingo hebdomadaire et les campagnes de financement. Elle permet aussi à quiconque de faire un appel à tous ou une annonce en direct, et est utilisée comme outil pour faire de l’éducation, de la prévention et

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pour partager les connaissances des aînés (Racicot-Matta, Wilcke et Egeland, 2016). Mais si la radio communautaire conserve son rôle d’importance, et reste pour plusieurs Inuit le média de prédilection, les médias sociaux prennent de plus en plus de place. En ayant tous les avantages inhérents à la radio (instantanéité, appropriation culturelle, proximité) et même plus (pérennité du message dans le temps, diffusion de photos et de vidéos), les Inuit ont sous la main un outil qu’ils peuvent modeler à leurs besoins et adapter à leur culture (Castleton, 2014). Puisque les médias sociaux permettent de connecter les gens entre eux sur de vastes distances, il s’agit d’un média idéal pour le Nunavik (Christensen, 2003). À l’instar de la radio communautaire, ils servent désormais d’exposition au particularisme Inuit, d’outils de prise de parole, de communication et de reflet de la vie quotidienne pour ces communautés. Avec le développement technologique, les Nunavimmiut utilisent maintenant Facebook pour favoriser les liens entre les différentes générations et les différentes communautés, et garder contact avec les membres de la famille (Castleton, 2014; Dupré, 2011; Hot, 2010; Letkemann, 2009; Kim, Izumi et McKay-Semmler, 2008; Taylor, 2011). À travers ce média, les internautes présentent l’évolution de leurs enfants, inscrivent les éléments marquants de la vie et y trouvent un appui social (Wachowich, 2010). Mais au-delà de ce miroir du quotidien, les Nunavimmiut se sont approprié les médias sociaux comme lieu de partage culturel, comme une plateforme permettant d’y préserver leur langue et de maintenir un lien avec leurs racines autochtones lorsqu’ils sont à distance (Castleton, 2014; Hot, 2010; Taylor, 2011).

1.5 Les définitions multiples de la santé

La santé est un large concept, dont la définition diffère d’une culture à l’autre. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) décrit la santé comme « un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité » (OMS, 1946). Si cette définition holistique de la santé fait globalement l’unanimité, elle se décline pourtant différemment, selon les cultures. La notion autochtone de la santé, par exemple, englobe une dimension collective, où le bien-être de la communauté est intrinsèquement lié à celui de l’individu, et où le lien à la terre joue un rôle essentiel (Lorea-Gonzalez, 2014 ; Panelli et Tipa, 2007).

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Les déterminants sociaux de la santé sont donc aussi très variables. Ces déterminants représentent les circonstances dans lesquelles les gens évoluent, et qui ont un impact sur leur santé (OMS, 2008), fluctuent selon l’époque et l’environnement, et sont notamment définis selon la culture du milieu (Parnasimautik, 2014). L’Agence de santé publique du Canada (ASPC) a établi une liste de 12 déterminants de la santé, démontrés dans le tableau 2 (p.17), qui inclut notamment le revenu et le statut social, l’éducation et la culture (ASPC, 2016). Au Québec, l’INSPQ a défini un modèle conceptuel de la santé et de ses déterminants, illustré à la figure 1, qui regroupe quatre grandes catégories modelant la santé physique, mentale et globale de la population, afin d’avoir un outil de référence pour l’ensemble des acteurs en santé publique. Chaque catégorie comprend une multitude de déterminants ayant un impact sur la santé (INSPQ, 2010).

Figure 1. Modèle conceptuel de la santé et de ses déterminants (INSPQ, 2010)

Ces deux modèles de déterminants diffèrent de celui défini en 2014 par l’organisation Inuit Tapiriit Kanatai (ITK), listé dans le tableau 2 (p.17). ITK a élaboré cette liste dans le but d’avoir une ressource pertinente pour le développement d’activités en santé publique auprès des communautés Inuit du Canada, et d’avoir en main une référence pour toutes organisations oeuvrant dans le domaine de la santé (une première version, en 2007, avait d’ailleurs été soumise à l’OMS). L’objectif était de démontrer la nécessité d’avoir une approche holistique

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lorsqu’il est question de l’état de santé global des Inuit, plutôt que de l’aborder selon des indicateurs portant sur les déficits en santé (taux de mortalité infantile, suicide, etc.). Si les Inuit ont, entre autres, une espérance de vie plus faible que les autres Canadiens, de même qu’un taux de maladies infectieuses beaucoup plus élevé, l’organisation souligne que cela découle de l’environnement dans lequel ils évoluent. Selon ITK, la santé Inuit passe d’abord et avant tout par l’amélioration des conditions socioéconomiques des communautés, qui sont la cause de l’écart de santé entre Inuit et non-Inuit (ITK, 2014).

L’année précédente, la Société Makivik et l’Administration régionale Kativik (ARK), en collaboration avec la RRSSSN, la Commission scolaire Kativik, l’Institut culturel Avataq, le Fonds d’exploration minière du Nunavik et l’Association touristique du Nunavik, ont rédigé le Plan Nunavik (Parnasimautik, 2013). Ce plan visait à « proposer une vision du développement et des priorités du Nunavik sur un horizon de 25 ans dans des domaines tels que le logement, la santé, l’éducation, l’accès au territoire, la protection de l’environnement et de la faune, la culture, le tourisme, le bioalimentaire, les ressources non renouvelables, l’énergie, le transport, les communications et le développement des communautés ». Parnasimautik a également établi une liste de dix déterminants sociaux de la santé propre aux Inuit, également démontrés dans le tableau 2, qui se rapprochent davantage de ceux définis par ITK que par Santé Canada ou l’INSPQ (Parnasimautik, 2014).

Tableau 2. Déterminants sociaux de la santé Déterminants sociaux de la santé (Santé Canada) Déterminants sociaux de la santé (ITK) Déterminants sociaux de la santé (Parnasimautik)

Revenu et statut social Développement de la petite enfance

Culture, langue, identité

Réseau de soutien social Culture et langue Sécurité alimentaire

Éducation et alphabétisme Moyens de subsistance Famille

Emploi et conditions de travail

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Environnements sociaux Logement Justice et sécurité sociale

Environnements physiques Sécurité personnelle et sûreté

Coût de la vie et logement

Habitudes de santé et capacité d’adaptation personnelles

Éducation Éducation

Développement de la petite enfance

Sécurité alimentaire Développement et planification régionaux

Culture Disponibilité des services de

santé

Développements locaux et services

Patrimoine biologique et génétique

Bien-être mental Territoire

Sexe Environnement

Ces divergences au niveau des facteurs influant sur la santé d’un individu, bien illustrées dans le tableau 2 et la figure 1, démontrent que la santé est un concept influencé par un contexte culturel et que la compréhension d’une culture est primordiale pour arriver à des résultats probants dans le cadre d’une recherche interculturelle (Kim, Kee et Lee, 2015 ; Adelson, 2000). Kim (2001) expliquait qu’une intervention dans un environnement culturellement différent nécessite une adaptation de la part de « l’étranger », celui qui provient de « l’extérieur », et qu’il doit réussir à interagir adéquatement avec la communauté d’accueil. Dans ce contexte, « l’étranger » doit utiliser les référents et les normes sociales du milieu afin d’en arriver à une compréhension du milieu, et à une communication efficace.

Le défi est important, mais il est essentiel de le relever, car plusieurs experts estiment qu’une forte proportion de la population Inuit s’intéresse peu à sa santé et aux programmes de soins offerts en raison d’une « occidentalisation » des services ayant occulté la tradition (Richardson et al, 2017; Richmond et Ross, 2009). La santé de la communauté passait traditionnellement par la terre, une relation englobant une dimension culturelle, spirituelle, économique, politique et sociale, de même que par la communauté (Richmond et Ross, 2009), et ce savoir a été balayé par l’instauration d’un système de santé occidental. Cette

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perte identitaire est encore durement ressentie et mine la santé de certaines populations, car les structures sociales imposées perdurent, de même que les relations économiques inégalitaires Nord-Sud (Richmond et Ross, 2009).

1.6 L’importance de la communication en santé

La communication est au coeur de l’identité humaine, et est considérée d’ailleurs comme l’un de ses besoins fondamentaux (Rimal et Lapinksi, 2009). Dans le domaine de la santé, elle se définit comme « l’étude et l’utilisation de stratégies de communications interpersonnelles, organisationnelles et médiatiques visant à informer et à influencer les décisions individuelles et collectives propices à l’amélioration de la santé [et] s’exerce dans des contextes multiples » (Renaud et Rico de Sotelo, 2007, p. 32).

La communication en santé est une préoccupation majeure, car il s’agit d’un puissant moteur de promotion, d’éducation et de prévention, autant pour prévenir la maladie que pour améliorer la qualité de vie (Rimal et Lapinksi, 2009). Elle permet ainsi, lorsqu’utilisée de façon adéquate, de réduire les inégalités de santé en oeuvrant sur les problématiques bien définies (Thomas, 2004). Il ne s’agit toutefois pas d’une fin en soi, mais plutôt d’un élément intégré dans un contexte global, lorsque la santé est perçue comme une responsabilité collective (Renaud et Rico de Sotelo, 2007). La participation collective est d’ailleurs nécessaire pour l’obtention de pratiques optimales en santé, et la communication est au service de ces stratégies, en reflétant la pluralité des voix, des défis et des besoins (Renaud et Rico de Sotelo, 2007; Thomas, 2004).

La communication en santé, particulièrement lorsqu’il s’agit d’interventions à grande échelle sur des médias de masse, doit toutefois se faire en prenant en considération qu’il s’agit d’un processus complexe, soumis à de nombreux facteurs, et qu’il est impossible de définir une forme de communication unique, formatée pour tous. Elle s’est d’ailleurs particulièrement complexifiée avec le développement de la technologie. Le message est d’abord soumis à différentes formes d’exposition, qui en déterminent notamment la perception sociale et individuelle. Ensuite, le sens du message sera absorbé selon l’expérience et les connaissances de la personne, de même que les facteurs macrosociaux de la communauté vers laquelle il est

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dévolu (normes culturelles et sociales, entre autres). La perception et la compréhension sont également soumises à une multitude de facteurs. Finalement, la perception du message va varier dans le temps, en fonction de l’évolution des informations recueillies par le receveur (Rimal et Lapinksi, 2009). Il est donc essentiel de prendre en considération la culture, les différences sociodémographiques et les normes sociales pour réussir une communication adéquate (Thomas, 2004).

La communication en santé a souvent échoué au Nunavik, car les modèles utilisés pour établir des stratégies en santé communautaire ont souvent été développés à partir de principes occidentaux (Chino et Debruyn, 2006; Guignard et Daigneault-Clermont, 2012). Chino et Debruyn (2006) soulignent d’ailleurs l’importance de prendre en considération la culture, la langue et l’identité de la communauté visée par les programmes de santé, et de sortir de la perception occidentale lorsque le modèle doit s’appliquer à une communauté autochtone. En ce sens, même appuyée dans sa démarche par des Occidentaux, une communauté imposera alors ses modèles basés sur ses valeurs et ses priorités.

1.7 La recherche participative en santé

La recherche participative basée sur la communauté est une approche qui gagne en popularité dans le domaine de la santé depuis quelques années, et dont la pierre d’assise est l’implication communautaire. La méthode met l’accent sur l’engagement, et oblige le chercheur à faire preuve d’humilité culturelle (Redman, 2017). Les membres de la communauté visée sont impliqués non seulement dans la collecte de données, mais également dans tout le processus de la recherche. Cette approche vise à développer des interventions locales pertinentes et durables, afin d’améliorer les soins de santé dans une communauté (Rucinski, 2011).

Les avantages de la recherche participative seraient nombreux : meilleure acceptabilité sociale, meilleure collaboration, diminution du taux de refus de participation et développement de partenariats efficients pour apporter de véritables changements (Rucinski, 2011). En reconnaissant les forces propres à chaque partenaire impliqué dans le processus, et en intégrant pleinement le savoir local, la recherche participative permet d’obtenir des

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résultats probants et d’apporter un véritable changement social (Rucinski, 2011). De plus, cette méthode permettrait de réduire les inégalités sociales et d’améliorer la santé globale des groupes marginalisés/minoritaires, en renforçant l’engagement social et leur autonomisation (Brown-Speights, 2017; Wallerstein, 2010).

Par ailleurs, la recherche participative permettrait de rétablir des rapports de confiance avec des communautés ayant vécu des expériences douloureuses avec la recherche, ce qui est précisément le cas avec la population Inuit du Nunavik. La dominance des chercheurs occidentaux auprès des populations autochtones, qui a notamment servi au processus de colonisation, a laissé des séquelles (Richardson et al, 2017). Selon Smith (1999, p. 29), « en étant immergées dans un monde académique occidental utilisant des théories résolument occidentales […] les voix autochtones ont été complètement réduites à néant ».

L’engagement communautaire est essentiel à la réussite du projet, et il est primordial que le chercheur emploie des méthodes spécifiques au groupe visé pour que celui-ci soit partie prenante du processus (Brown-Speights, 2017).

1.8 Les compétences interculturelles

La recherche au Nunavik implique plusieurs difficultés évidentes, en raison de l’isolement des communautés, des coûts de transport très élevés et des problèmes d’accessibilité. Cette distance limite déjà les implications possibles sur le territoire pour établir des liens avec les communautés touchées par une étude. Toutefois, la nécessité de développer des compétences interculturelles représente un enjeu essentiel pour permettre le succès d’un projet.

La compétence interculturelle se définit de plusieurs façons, mais peut, entre autres, se décrire par un « processus réfléchi, dynamique, continu et interactif qui transforme les attitudes, les connaissances et les habiletés d’un individu/groupe pour parvenir à une interaction et une communication efficace dans des contextes culturels différents » (Ridings et al., 2008). Selon Richardson (2017, la culture ne doit pas être perçue comme une barrière au processus de la recherche, mais plutôt comme une partie intégrante de la méthodologie.

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Le développement des compétences interculturelles permet notamment de réduire les biais d’une étude, en permettant au chercheur d’adopter une attitude autocritique en cours de processus. La communication est aussi améliorée avec la communauté, qui se retrouve encouragée à s’impliquer activement dans le projet (Fletcher, 2017).

Dans son rapport publié en 2013 portant sur le rôle de la recherche au Nunavut à la suite de l’enquête de santé (IHS), Nunavut Tunngavik Inc (NTI) rapportait que les « Inuit profiteront davantage des effets positifs de la recherche s’ils sont, de même que les communautés, impliqués activement dans la prise de décision sur les éléments à être étudiés, le processus de la recherche et comment les résultats seront utilisés. Cette implication permettra d’offrir des résultats réellement efficaces pour les communautés, ce qui se traduira par des impacts positifs sur la santé et le bien-être de ces communautés » (NTI, 2013, p. 22). La grande majorité des projets de recherche classiques réalisés auprès des Inuit ont été encadrés et dirigés par des Qallunaat, (un lexique des termes inuktitut se trouve en Annexe 3) en raison du manque de chercheurs locaux ayant les compétences nécessaires. Bien que ces recherches soient nécessaires pour permettre aux communautés d’avoir les données nécessaires afin d’appuyer leur développement, il n’en reste pas moins que trop de chercheurs dirigent ces projets et interprètent les résultats selon leurs propres conceptions culturelles. NTI exigeait d’ailleurs, dans son rapport 2013, que les Inuit deviennent des partenaires à parts égales dans l’ensemble du processus de la recherche, y compris dans l’interprétation des données et la révision des résultats. L’organisation demandait également que des mesures soient prises pour assurer que les résultats soient accessibles à la communauté (NTI, 2013).

Il semble donc important de bien comprendre les différences culturelles du milieu étudié, car d’autres facteurs peuvent nuire au projet, notamment « la qualité du contact interculturel [qui] dépend en grande partie de la perception Inuit des chercheurs » (Bergé-Gobi, 2008, p.90). Il existe une certaine méfiance envers les chercheurs Qallunaat, selon la fréquence des visites des scientifiques dans les villages et les contacts interculturels. Certaines communautés ressentent ainsi une certaine « saturation » envers la recherche, consécutive à une présence continue de savants Qallunaat (Bergé-Gobit, 2008). Les communautés Inuit sont « parmi les communautés les plus étudiées au monde » (NTI, 2013, p.23), et les relations entre

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chercheurs et Inuit souffrent trop souvent d’un déséquilibre, les chercheurs retirant parfois de grands avantages de la recherche sans réel bénéfice pour la santé et le bien-être des communautés (NTI, 2013). De plus, les rapports historiques ont un effet sur les échanges interculturels. Que ce soit en raison des relents du colonialisme, des écoles résidentielles, des politiques d’acculturation, de la perception toujours actuelle d’une oppression des Qallunaat ou de l’imposition de cadres et d’infrastructures déconnectés de leur culture (tribunaux, DPJ, système de santé) (Bouchard, 2008), « vous [les chercheurs] devez vivre avec les impacts de l’histoire » (Nulukie, 2017).

Quelques professionnels de la santé allochtones ont réalisé l’essentiel de leur carrière au sein des communautés Inuit et s’y sont parfaitement intégrés, en apprenant notamment l’inuktitut. Néanmoins, la plupart de ces spécialistes y travaillent selon un modèle de « soins volants » (fly in- fly out), avec une rotation importante, et ne s’expriment pas dans cette langue. De plus, à l’exception des sages-femmes, la grande majorité des spécialistes de la santé au Nunavik sont allochtones. La région est ainsi confrontée à plusieurs difficultés inhérentes aux barrières linguistiques, d’autant plus qu’il n’existe pas une standardisation des thèmes médicaux de l’anglais/français à l’inuktitut, et que les spécialistes doivent également faire un effort de compréhension culturelle (Guignard et Daigneault-Clermont, 2012; Lévy et Deschênes, 2012).

1.9 But de la recherche

Après définition de la problématique et la revue de littérature (présentée au chapitre 2), il semblait nécessaire de mieux comprendre l'efficacité réelle des médias sociaux dans le domaine de la recherche participative en santé communautaire. Archambault et al (2013) concluaient d’ailleurs, à la suite d’une revue systématique, que de plus amples recherches sont nécessaires pour savoir comment les différents agents du domaine de la santé peuvent utiliser les différentes plateformes virtuelles collaboratives, et comment les rendre utiles. Les méthodes d'intervention les plus efficaces au sein des médias sociaux restent nébuleuses, d’autant plus que les possibilités sont multiples, que ce soit en s'intégrant à des groupes déjà existants, en démarrant un tout nouveau réseau ou en réagissant simplement aux

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commentaires publiés. Il reste également à définir comment l’intervention numérique peut gagner en légitimité et être reconnue auprès de la population (Archambault et al, 2013).

Cette étude s’est donc penchée sur l’utilisation que font les Nunavimmiut des médias sociaux, et sur le rôle qu’ils pourraient jouer pour améliorer la participation et la communication lors d’une recherche participative en santé interculturelle au Nunavik. Le but de cette étude est d’améliorer la compréhension de l’utilisation des médias sociaux par les Nunavimmiut, plus particulièrement dans le secteur de la santé, afin qu’ils puissent être utilisés efficacement lors d’une recherche participative.

Comme il fut mentionné dans l’introduction, bien que cette recherche ait été abordée dans l’optique de fournir des informations à l’enquête Qanuilirpitaa, les conclusions globales concernent toute recherche interculturelle souhaitant intégrer les médias sociaux dans un protocole. Puisque la communication représente l’élément central pour connecter, informer et éduquer la population sur des sujets liés à la santé, ce projet propose des pistes de solution qui vise ultimement à améliorer la communication en santé, et donc la santé communautaire au Nunavik.

1.10 Questions et objectifs

Ce projet s’inscrit dans une démarche novatrice puisque les écrits concernant l’utilisation des médias sociaux par les communautés du Nunavik sont peu nombreux. Quant à la littérature concernant l’utilisation des réseaux sociaux pour obtenir de l’information en santé, dans ces communautés, elle n’existe pas.

La question principale à laquelle il faudra répondre, est : « Comment les médias sociaux peuvent-ils être utilisés pour faciliter la participation de la communauté et la communication, lors d’une recherche participative en santé chez les Inuit? »

Pour y arriver, il faudra également répondre aux points suivants :

• Comment les médias sociaux sont-ils utilisés, de façon générale et dans le domaine de la santé, par les Nunavimmiut?

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• Comment le contexte économique, sociopolitique et culturel influence-t-il l’utilisation des médias sociaux par les Nunavimmiut?

Cette étude a donc comme objectif de fournir des outils afin d’alimenter la réflexion lors de l’élaboration d’une stratégie de communication avec des Inuit dans le cadre d’une recherche participative. Plus précisément, elle vise à atteindre les objectifs suivants :

1. Décrire l’utilisation des médias sociaux par la communauté Inuit du Nunavik;

2. Décrire les méthodes d’utilisation des médias sociaux dans le domaine de la santé par la communauté Inuit du Nunavik.

Figure

Tableau 1. Pyramides démographiques Nunavik – Québec
Figure 1. Modèle conceptuel de la santé et de ses déterminants (INSPQ, 2010)
Tableau 2. Déterminants sociaux de la santé Déterminants sociaux de la  santé  (Santé Canada)  Déterminants sociaux de la santé (ITK)  Déterminants sociaux de la santé (Parnasimautik)
Figure 2. Modèle d’adaptation interculturel (Kim, 2001)
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Références

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