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Academic year: 2022

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Texte intégral

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SAVOIR ALLEZ

NEUROBIOLOGIE

Comment notre cerveau contrôle la peur

22

JUSTICE

Les témoins peuvent mentir à leur insu 36

NUMÉRO

75 BALADE

Sous les pavés de Vevey, l’histoire ! 28

Le magazine de l’UNIL | Septembre 2020 | Gratuit

UN MONDE VIRTUEL CONSOMMATION

UNE POLLUTION BIEN RÉELLE

(2)

L’EXP VO US ÉRIEN CE

AVEZ DE

ASPIRATIO NS

ONT DES ILS

TandemPRO

Le service du réseau mettant en relation les alumni qui

pratiquent un métier avec celles et ceux qui souhaitent l’exercer.

unil.ch/alumnil

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Allez savoir ! N° 75 Septembre 2020 UNIL | Université de Lausanne 3

ISSN 1422-5220

IMPRESSUM Magazine de l’Université de Lausanne

No 75, septembre 2020 unil.ch/allezsavoir Éditeur responsable Université de Lausanne Une publication d’UNICOM, service de communication et d’audiovisuel

Quartier UNIL-Sorge Bâtiment Amphimax 1015 Lausanne Tél. 021 692 22 80 allezsavoir@unil.ch Rédaction en chef Jocelyn Rochat, David Spring ( UNICOM ) Création de la maquette Edy Ceppi ( UNICOM ) Rédacteurs Sonia Arnal Patricia Brambilla Lysiane Christen Mireille Descombes Élisabeth Gordon Virginie Jobé-Truffer Noémie Matos Sabine Pirolt Nadine Richon David Trotta Sylvie Ulmann Correcteurs Albert Grun Fabienne Trivier Direction artistique COBRA : Communication

& Branding Photographie Nicole Chuard Illustration

Romain Salomon ( p. 27 ) Couverture

© Getty Images / UNICOM Impression

Genoud Arts graphiques, Le Mont-sur-Lausanne Tirage

19 000 exemplaires Parution

Trois fois par an, en janvier, mai et septembre Abonnements allezsavoir@unil.ch ( p. 4 ) 021 692 22 80

LE MONDE @ CHANGÉ

L

es règles du jeu ont été dynamitées.

Après avoir révélé plusieurs de nos fragilités, le coronavirus a aussi révo- lutionné notre pratique des techno- logies numériques. Il est devenu un game changer, comme disent les Anglo- Saxons, un « bouleverseur » de son époque.

Jamais, jusque-là, nous n’avions autant compté sur l’informatique. Pandémie et confinement obligent, nous avons trans- formé nos appartements en succursales du bureau et des écoles. Les ordinateurs portables et autres smartphones ont fait office de nouveaux périscopes, indis- pensables pour garder le contact avec l’extérieur.

La connexion wifi a pris une impor- tance totalement inédite, que ce soit pour le télétravail, les vidéoconférences, les MOOCs, les « coronapéros » en ligne ou les séries TV que nous avons massivement visionnées sur Netflix et sur Disney+, sans oublier ces câbles qui ont été tirés un peu partout, pour alimenter en énergie cette surdose de numérique. Enfin, nous avons délocalisé nos achats sur Amazon, Galaxus, Zalando, LeShop et Coop@home, quand il ne s’agissait pas de récupérer des plats à l’emporter via des plateformes vir- tuelles comme Uber Eats et autres Just Eat.

Pourtant, cette ruée sur le numérique ne s’est pas accompagnée du recul cri- tique qui devrait logiquement découler d’une meilleure connaissance de ces nou- veaux outils. Et puis, par son omnipré- sence médiatique, le coronavirus a aussi contribué à atomiser quelques nouvelles d’actualités qui auraient pu lancer le débat sur les effets collatéraux de ces béquilles technologiques.

Ainsi, en février 2019, le Parlement euro- péen a demandé poliment (la résolution est non contraignante) et dans l’indifférence générale aux différents fabricants de télé- phonie mobile de s’entendre pour pro- duire un chargeur unique qui soit compa- tible avec tous les smartphones, quelles que soient leurs marques, histoire de mettre un terme à la pollution qui découle de la situa- tion actuelle. L’UE estime en effet que les cordons obsolètes de nos différents appa- reils électroniques constituent une pollu- tion de quelque 51 000 tonnes de câbles, chaque année en Europe.

C’est un exemple parmi d’autres du gas- pillage gigantesque et de la pollution mas- sive qui sont déjà provoqués par l’industrie numérique, qui n’a de virtuelle que le nom, puisqu’elle génére des déchets bien réels.

C’est un exemple parmi d’autres des bugs que l’on rencontre dans cette industrie très rentable, mais qui se révèle également « peu vertueuse », comme l’explique une profes- seure de l’UNIL en page 16 de ce numéro.

Pourtant, ces informations, et bien d’autres du même acabit, comme cette étude qui montre que le bilan carbone annuel de la seule entreprise Amazon (avant le coronavirus) équivalait à brûler 600 000 camions-citernes d’essence, n’ont pas déclenché le débat qu’elles méritent sur le rôle des entreprises numériques dans les changements climatiques. Apparemment, l’urgence n’est pas la même pour tous. À l’heure où la plupart des secteurs indus- triels, de la finance à l’agriculture, en pas- sant par les joueurs de tennis, sont tous sommés d’améliorer leur bilan carbone, il est incompréhensible que le numérique échappe à cette mise à jour. 

L’UE ESTIME

QUE LES CORDONS OBSOLÈTES DE NOS APPAREILS ÉLECTRONIQUES CONSTITUENT UNE POLLUTION DE 51 000 TONNES DE CÂBLES,

CHAQUE ANNÉE EN EUROPE.

JOCELYN ROCHAT Rédaction en chef

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NOM / PRÉNOM ADRESSE

CODE POSTAL / LOCALITÉ

TÉLÉPHONE E-MAIL

DATE ET SIGNATURE

JE M’ABONNE À « ALLEZ SAVOIR ! »

Pour s’abonner gratuitement à la version imprimée, il suffit de remplir le coupon ci-dessous et de l’envoyer par courrier à : Université  de Lausanne, UNICOM, Amphimax, 1015 Lausanne. Par téléphone au 021 692 22 80. Ou par courrier électronique à allezsavoir@unil.ch

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Allez savoir ! N° 75 Septembre 2020 UNIL | Université de Lausanne 5

SOMMAIRE

EN DIRECT DU CAMPUS L’actualité de l’UNIL : événements, recherche, prix.

PORTFOLIO Géologie, Vortex, archéologie.

RÉFLEXION Comment l’UNIL a traversé

l’épreuve de la COVID-19.

Par Nouria Hernandez, rectrice.

LIVRES Femmes, migrants,

cigarettes.

JUSTICE Mémoire : les témoins peuvent tous mentir à leur insu.

IL Y A UNE VIE APRÈS L’UNIL Martine Rebetez, au chevet

du climat suisse.

POLITIQUE Le débat sans fin de l’expérimentation animale.

CONSOMMATION Un monde virtuel, une pollution bien réelle.

6 12 16 22 27 28 35 36 41 42

NEUROBIOLOGIE Comment notre cerveau contrôle-t-il la peur ?

SAVOIR ALLEZ

Le magazine de l’UNIL | Septembre 2020 | Gratuit

!

48 53 54 60 62 63 65 66

OUVRE-BOÎTE Des levures sur-mesure pour des mousses locales.

ICONOGRAPHIE Nicolas Bouvier, la tête

dans les images.

HISTOIRE

Colombe, âne, dragon, c’est le zoo

chez les papes.

FORMATION CONTINUE Un pont entre la Suisse et la Chine.

LIVRES

Anthropole, montagne, patrimoine, poésie, Palmyre, Ancien Testament.

RECHERCHE Le yoga, un souffle de changement.

CAFÉ GOURMAND Penser notre époque.

Avec Nadja Eggert.

BALADE Sous les pavés de Vevey, l’histoire !

PSYCHOLOGIE Je rêve éveillé et c’est une maladie.

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MINÉRAUX

ET FOSSILES STARS D’INSTAGRAM

Le Musée cantonal de géologie à Lausanne met en avant ses tré- sors sur son compte Instagram.

« Cela nous permet notamment la diffusion de pièces trop petites ou trop fragiles pour être expo- sées », indique Gilles Borel, direc- teur du musée. Les photos et la plupart des légendes explicatives sont l’œuvre du minéralogiste Stefan Ansermet, chercheur asso- cié à l’UNIL. Certains de ces cli- chés, imprimés sur de grandes toiles, sont à admirer au musée, dont la présentation des exposi- tions permanentes a été embellie.

La prochaine exposition (dès le 25 septembre 2020) portera sur l’exotisme, en collaboration avec les musées de zoologie, d’archéo- logie et d’histoire. NOÉMIE MATOS 1) Cacoxénite (fibres dorées) dans une géode de quartz.

2) Fulgurites produites par l’impact de la foudre sur une roche.

3) Cristaux d’arsénopyrite.

4) Boule de quartz hyacinthe, en provenance de Valence en Espagne.

5) Cristallisation d’hématite noire métallique et de rutile jaune orangé disposé en épitaxie.

6) Oursin de l’Oxfordien supérieur, vieux d’environ 158 millions d’années.

7) Quartz artichaut d’un vert intense inhabi- tuel (ils sont plutôt incolores).

PHOTOS : STEFAN ANSERMET

INSTAGRAM : @MUSEE_CANTONAL_GEOLOGIE

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LE COLISÉE DES ÉTUDIANTS

Il a accueilli les athlètes des Jeux olympiques de la Jeunesse 2020, puis du personnel impliqué dans la gestion de la crise du coronavi- rus. Le bâtiment Vortex se prépare à recevoir de nouveaux habitants.

Dès la rentrée de septembre, ses 828 chambres et studios accueil- leront les étudiants des hautes écoles. Un supplément de loge- ments bienvenu dans une région où dénicher un toit à un prix rai- sonnable tient du sport de combat.

Conçu par le bureau d’architectes Dürig, cet édifice a été financé par la Caisse de pension de l’État de Vaud. Son diamètre extérieur dépasse 130 mètres, et sa hau- teur en atteint 27. Ces dimen- sions imposantes font paraître le métro m1, sur la droite de l’image, comme un modèle réduit de train.

Sur la gauche, on aperçoit des immeubles situés sur la commune de Chavannes-près-Renens.

A l’intérieur de Vortex, où le bois domine, une coursive longue de plus de trois kilomètres, à la pente douce, permet aux personnes qui ont de bonnes jambes de gravir les 8 étages qui mènent au sommet, pour profiter de la vue sur l’Ouest lausannois (oui, il y a aussi des ascenseurs). Ce Colisée du XXIe siècle, doté d’espaces com- muns au rez-de-chaussée et de deux restaurants, ne va pas tarder à s’animer. DS

PHOTO FABRICE DUCREST / UNICOM

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TRÉSORS DE

L’ALGÉRIE ROMAINE

Le site antique de Lambaesis (Lam- bèse-Tazoult) se trouve au nord-est de l’Algérie. Fondée en 81 après J.-C., cette vaste agglomération fut le camp de la IIIe légion Augusta jusqu’à sa dissolution en 238.

Outre des installations militaires, elle comportait un amphithéâtre, des arcs (comme celui élevé sous le règne de l’empereur Commode, ci-contre) et des bâtiments ci- vils, dont la somptueuse Maison de Phrixos et Hellé. La mosaïque (page de droite), qui date probable- ment de la fin du IIIe siècle, « est l’une des très rares représentations de ce mythe », explique Cédric Cra- matte, chercheur à l’Institut d’ar- chéologie et des sciences de l’An- tiquité. Cet archéologue a conduit des fouilles sur place en 2019 dans le cadre d’un programme dirigé par Amina-Aïcha Malek (CNRS-ENS, Pa- ris) et Youcef Aibèche (Université de Sétif 2). Le jeune homme nu de la mosaïque est interprété comme étant Phrixos, sur le point d’être sacrifié par un personnage barbu.

Aux pieds de ce dernier, Hellé (sœur de Phrixos) se tient dans une posture implorante. Au-dessus de cette scène dramatique, le bélier à la toison d’or vole au secours des jeunes gens. L’animal les sauve et les emmène vers l’Orient. Hélas, en chemin, Hellé tombe à la mer et se noie. L’un des anciens noms des Dardanelles, l’Hellespont, viendrait de cette légende. DS

PHOTOS CÉDRIC CRAMATTE

AU SUJET DU MYTHE DE PHRIXOS ET HELLÉ : DOI.ORG/10.3917/ARCH.082.0283

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12 Allez savoir ! N° 75 Septembre 2020 UNIL | Université de Lausanne

BRÈVES

Aujourd’hui, Allez savoir ! compte environ 13 000 abonnés, dont près de 9000 résident dans le canton de Vaud. Mais le magazine gra- tuit de l’UNIL séduit hors des frontières helvétiques, avec près de 900 lecteurs à l’étran- ger. Ces derniers se trouvent dans 72 pays, du Japon à l’Uru- guay. Nous comptons davan-

ON NOUS ÉCRIT PARFOIS DE LOIN

LES COULISSES D’ALLEZ SAVOIR ! RECHERCHE

ARCHÉOLOGIE

SITE

MARIER ANTIQUE ET NUMÉRIQUE

#ASAnumerica est un groupe de réflexion sur le recours aux nouvelles technologies dans les sciences de l’Antiquité, telles que la reconstitution virtuelle d’un temple à Palmyre, né d’une ren- contre entre trois chercheurs de l’Institut d’archéologie et des sciences de l’Antiquité (ASA), Pa- trick M. Michel, Dylan Bovet et Ariane Jambé. L’un des objectifs est de proposer des séances de travail autour des problématiques qu’implique l’utilisation de l’infor- matique, comme les systèmes d’information géographique ou la modélisation, dans les disciplines de l’ASA. NM

unil.ch/asanumerica et twitter.com/

asanumerica

AU FIL DE L’HISTOIRE DU RHÔNE

En décembre 2019, le canton du Valais, avec divers partenaires dont l’Institut de géographie et durabilité et le Centre interdis- ciplinaire de recherche sur la montagne (CIRM), a inauguré la Plateforme Rhône. Elle propose un bon nombre de ressources docu- mentaires sur les moments clés de l’histoire du fleuve. L’UNIL a contribué notamment à la réali- sation d’une carte interactive de plans historiques du cours d’eau, au moyen du générateur de catalo- gues en ligne CATIMA. La nouvelle base de données s’ajoute aux bases documentaires sur les Alpes vaudoises et valaisannes, gérées par le CIRM. NM

plateforme-rhone.ch

© Archives de l’État du Valais Fabrice Ducrest © UNIL

MICROBIOMES, UN NOUVEAU PÔLE DE RECHERCHE

Dans la nature et dans nos intestins, les bactéries forment des écosystèmes dont nous commençons à peine à mesurer l’importance pour notre santé et celle de l’environnement. Afin de percer le mystère de leur fonctionnement, le Fonds national suisse a confié à l’Université de Lausanne la création cette année d’un Pôle de recherche national. Intitulé Microbiomes, ce vaste réseau est dirigé par le prof.

Jan Roelof van der Meer, directeur du Départe- ment de microbiologie fondamentale de l’UNIL, en collaboration avec l’École polytechnique fédé- rale de Zurich.

Ce pôle est constitué d’une vingtaine d’experts issus des deux institutions ainsi que du Centre hospitalier universitaire vaudois, de l’EPFL et des Universités de Berne et Zurich. LC

tage de fidèles en France, au Canada ou en Belgique, pour des raisons évidentes de langue. En mars, la rédaction a reçu une lettre de demande d’abonnement de la part de Jean-Marie Kajangu. Assistant en gestion hôtelière, protoco- laire et tourisme à l’Institut supérieur des arts et métiers, cet enseignant vit à Cyangugu

(Rwanda), non loin du lac Kivu. Comme il l’écrit dans sa missive, « la culture n’a pas de frontière ». Nous ne pouvons qu’être d’accord avec lui. DS

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Allez savoir ! N° 75 Septembre 2020 UNIL | Université de Lausanne 13 Chaque année en novembre, le Service d’orien-

tation et carrières pilote une enquête télépho- nique auprès des personnes inscrites pour la première fois en bachelor à l’UNIL. Menée en collaboration avec la Fédération des associa- tions d’étudiant·e·s, cette démarche fournit de nombreuses informations sur les débutants. De plus, en tant que mesure d’accueil, elle les sen- sibilise aux particularités des études universi- taires, tout en les informant sur les structures à leur disposition.

En moyenne, une personne de première année est occupée à ses études environ 39 h 30 par semaine, dont 17 h 30 consacrées aux révi-

sions et au travail personnel. 61,5 % des débu- tants n’ont aucune difficulté d’adaptation et l’immense majorité est satisfaite de son choix d’études. 49 % travaillent en parallèle à leur cur- sus, en moyenne 7 h par semaine.

Si cette enquête aborde nombre de sujets sérieux, on découvre aussi que 55 % des étu- diants participent à la vie sociale, culturelle et associative du campus et que les réseaux sociaux ont la cote : 88,1 % possèdent un compte sur Instagram, 74,1 % utilisent Snapchat... et seulement 60,5 % sont encore sur Facebook, un pourcentage qui chute chaque année. DS Tous les résultats : unil.ch/soc/comment-allez-vous

UN PORTRAIT DES ÉTUDIANTS EN CHIFFRES

ENQUÊTE

88,1%

LA PART DES ÉTUDIANTS ACTIFS SUR INSTAGRAM

Les 75 000 mètres carrés de terres agricoles de l’UNIL et de l’EPFL ont été confiés à un collectif, suite à un appel d’offres. La jeune équipe choisie s’est engagée dans un pro- jet durable qui associe maraîchage, arbori- culture et élevage en cycle fermé, dans une perspective « bio » de micro-ferme modèle.

Plusieurs animaux, comme des chevaux, un âne, des brebis ou des cochons sont atten- dus sur le domaine. Devant l’Unithèque, une

surface de 27 000 mètres carrés accueillera des cultures de céréales anciennes, de sar- rasin, de pois chiches ou de lentilles. Des dizaines d’arbres fruitiers seront plantés, ainsi que des haies. Les produits pourront à terme être achetés à la ferme de Bassenges (à Écublens, en face du SwissTech Conven- tion Center) ou seront distribués en circuit court sur le campus. (RÉD.)

unil.ch/durable

LA CLÉ DES CHAMPS

AGRICULTURE DROIT

Quatre étudiantes en droit de l’UNIL, Inès Pinto Mon- teiro, Rina Iseni, Floriana Giacomello et Federica  Rella, ont remporté la finale du Swiss Moot Court. Il s’agit d’un concours de plaidoiries lors duquel douze équipes d’étudiants des universités suisses rivalisent de rhétorique devant un jury formé de juges, d’avocats et de professeurs de droit. L’événement a eu lieu au Tribunal fédéral de Lucerne en février dernier. L’éva- luation s’est faite sur la base de la pertinence des ar- guments présentés, ainsi que sur la force de persua- sion. Le quatuor gagnant de l’UNIL a été encadré par la professeure Anne-Christine Fornage et par ses as- sistants diplômés Catherine Kirchner, Arthur Grisoni et Damien Oppliger. (RÉD.)

swissmootcourt.ch

CHAMPIONNES DE LA PLAIDOIRIE

© Archives de la ville de Lausanne

© Alain Herzog / EPFL © Elias tticher

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14 Allez savoir ! N° 75 Septembre 2020 UNIL | Université de Lausanne

BRÈVES

CONFINEMENT ,

TÉLÉTRAVAIL ET SINGES

L’UNIL DANS LES MÉDIAS

CORONAVIRUS, PANDÉMIE ET... COVID-19

PASSAGE EN REVUE

1846

Le nombre d’articles que les chercheurs de l’UNIL et du CHUV ont fait paraître dans des revues scientifiques évaluées par les pairs, en 2020 (d’après Serval, au 31 juillet).

Comme le relève la rectrice de l’UNIL Nouria Hernan- dez dans sa chronique (lire en p. 27), la pandémie a sus- cité de nombreux travaux parmi les scientifiques confi- nés. Ces recherches, menées à chaud, offrent l’occasion de prendre un peu de recul face à la déferlante d’informa- tions délivrées en continu par les sites d’actualité, depuis quelques mois.

L’anthropologue Fanny Parise, chercheuse associée à l’Institut lémanique de théologie pratique, a piloté une en- quête en ligne auprès de 6000 personnes, en Suisse et en France. Riche d’enseignements au sujet de l’évolution de nos modes de vie ou

des nouveaux rites, CONSOVID-19 nous apprend entre autres qu’il existe quatre profils de confinés : les « naufragés » (qui

sortent peu), les « entre-deux » (pour qui le confinement est perçu comme un moment privilégié), les « travailleurs » es- sentiels (dont la charge mentale a augmenté et les condi- tions de vie se sont dégradées) et une minorité d’ « exilés » (confinés ailleurs que chez eux, ils privilégient l’entre-soi).

À découvrir sur anthropologieduconfinement.com.

Né de l’initiative de chercheurs et du Service Culture et Médiation scientifique de l’UNIL, le blog « Viral » (unil.ch/

viral) cherche à donner du sens à cette crise, en utilisant la carte de l’interdisciplinarité. Regroupées dans les caté- gories « apprendre du passé », « documenter le présent » et

« penser le futur », les contributions traitent aussi bien des épidémies dans l’Antiquité que de la crise écologique.

Mené par l’IDIAP, l’EPFL et l’UNIL, le projet Corona Ci- tizen Science (coronacitizenscience.ch) a inclus des ci- toyens au sein de recherches menées sur des sujets comme

« Vivre plus localement après le coronavirus ? Scénarios d’avenir pour les économies locales », la mobilité ou le tra- çage numérique, entre autres.

Photographies, témoignages, moments saisis sur le vif et analyses : le site covies20.com mêle les points de vue pour donner une image de la crise à grande échelle que l’huma- nité traverse.

Les nombreux projets lancés par l’UNIL, ou menés en collaboration avec l’institution, sont regroupés sur unil.ch/

viral/recherche. DS LIVRE

AU CŒUR DE L’ACTU

Chargé de cours en Fa- culté des lettres, Gilles Merminod examine en détail le parcours d’une nouvelle dans la rédac- tion de la Radio Télé- vision Suisse. En l’oc- currence, le crash à l’atterrissage du vol Ga- ruda Indonesia 200, le 7 mars 2007 : cet accident a fait 21 morts. L’auteur nous fait suivre presque minute par minute le traitement de cette in- formation par les journa- listes du média public.

Même si cet événement nous paraît lointain, il

« permet d’étudier le traitement d’un événe- ment inattendu – l’une des matières premières du travail journalistique – dans une situation de production qui contraint les praticiens à recon- sidérer leurs façons de faire l’information : ils ont à leur disposition des images amateur tour- nées au cœur de l’évé- nement et vont être amenés à les utiliser », comme l’écrit Gilles Mer- minod. Sa démarche, à la fois ethnographique et linguistique, s’avère bien utile pour mieux com- prendre comment et dans quelles conditions sont réalisées les news que nous consommons au quotidien. DS

HISTOIRE D’UNE NOUVELLE. 

PRATIQUES NARRATIVES EN SALLE DE RÉDACTION.

Par Gilles Merminod.  

De Boeck (2019), 300 p.

5558

Le nombre d’articles et d’émissions qui ont mentionné l’UNIL ou le CHUV dans les médias romands en 2020 (d’après la revue de presse Argus au 31 juillet). Sans surprise, les questions posées par la pandémie ont mobilisé les chercheurs de l’UNIL. Au-delà des aspects médicaux, l’impact de ces mois de semi-confinement sur la société a également intéressé les médias.

Ainsi, l’anthropologue Fanny Parise, chercheuse asso- ciée à l’Institut lémanique de théologie pratique, a pu pré- senter ses recherches, qui portent notamment sur les pro- fils des personnes confinées (lire ci-contre). Professeure à l’Institut des sciences sociales, Laurence Kaufmann s’est exprimée plusieurs fois au sujet des fake news et des théo- ries du complot, des thèmes qu’elle avait déjà abordés dans Allez savoir ! 72 (mai 2019). Sujet émergent, le télétravail a mobilisé l’expertise d’Isabelle Chappuis, directrice du Future Skills LAB. Comme la pandémie a engendré un certain ennui chez des personnes enfermées chez elles, Alexandrine Schniewind, professeure en Section de philo- sophie, a pu longuement traiter de ce sentiment désormais bien partagé dans M Magazine, le 14 avril.

Grâce au site Avis d’experts, fruit d’un partenariat entre la RTS et les Hautes Écoles romandes, de nombreuses interventions de scientifiques de l’UNIL dans les médias publics peuvent être retrouvées en quelques clics (avis- dexperts.ch). D’autres sujets ont pu se glisser entre deux virus. Comme par exemple l’étude menée par Erica van de Waal (professeure assistante au Département d’écologie et évolution) au sujet des singes vervet. Chez ces animaux, la dominance entre les sexes peut pencher du côté des femelles. Des travaux publiés dans la revue scientifique Frontiers in Psychology (14 mai 2020). D’autres recherches menées par la primatologue ont été présentées dans Allez savoir ! 72 (mai 2019). DS

© Keystone

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Allez savoir ! N° 75 Septembre 2020 UNIL | Université de Lausanne 15 À L’HONNEUR

LIVRE

La Suisse n’est pas devenue un haut lieu de l’olympisme en un jour. Dans cet ouvrage, Jean-Loup Chappelet ra- conte comment Lausanne, l’arc lémanique et le pays dans son entier sont devenus des places centrales du sport in- ternational depuis le début du XXe siècle. Si cette impor- tance induit des retombées économiques et sociales po- sitives, elle comporte également des dangers, quand des

scandales entachent la répu- tation des grandes organisa- tions, et par ricochet, risquent de nuire au pays qui les ac- cueille. Professeur honoraire à l’UNIL, l’auteur a été ré- compensé pour son engage- ment d’exception en faveur du sport suisse par l’Associa- tion Swiss Sport Managers, en mars dernier ( RÉD. )

L’OLYMPISME,

UN SPORT NATIONAL

RECHERCHE

QUI ES-TU, FOURMI VAUDOISE ?

Il y a un peu plus d’un an, l’UNIL, la Société vaudoise des sciences naturelles et le Musée de zoologie de Lausanne ont lancé l’Opération Fourmis, le premier recensement des fourmis vaudoises. Curieusement, les connaissances fiables sur la diversité et la distribution de ces animaux manquent sous nos latitudes. La population a joué le jeu, en dénichant des petites bêtes à travers tout le canton, kit de chercheur en poche. Ainsi, 601 myrmécologues bénévoles ont envoyé 6923 échantillons aux organisateurs de l’Opération fourmis. Plus de 70 espèces ont été identifiées et localisées, après un patient travail (en photo, formica rufa). DS Cartes, informations et résultats sur unil.ch/fourmisvaud

MÉDECINE, HISTOIRE, INSECTES ET CONSOMMATION

Dans le cadre de son programme d’encouragement de la relève dans le domaine de l’enseigne- ment supérieur et de la recherche, la Fondation Philanthropique Fa- mille Sandoz soutient Cleo Ber- telsmeier, professeure assistante au Département d’écologie et évolution. L’an passé, cette cher- cheuse a publié un ouvrage acces- sible à tous, Les guerres secrètes des fourmis, aux Éditions Favre.

Dans l’édition d’octobre 2018 (n°70) d’Allez savoir !, la biologiste nous avait parlé des fourmis inva- sives que l’on trouve en Suisse, comme par exemple la Tapi- noma magnum, présente en grand nombre à Cully et dans d’autres lo- calités vaudoises.DS

Fin 2019, le Conseil fédéral a nommé Anne-Christine Fornage à la vice-présidence de la Com- mission fédérale de la consomma- tion (CFC). Professeure à la Faculté de droit, des sciences criminelles et d’administration publique, elle enseigne le droit des obligations et le droit de la consommation. Ses recherches portent sur les déséqui- libres structurels dans les contrats de masse, en particulier dans le contexte de l’économie numéri- sée, la sécurité des produits et la responsabilité qui en découle ainsi que sur le droit des sûretés. Indé- pendante, la CFC peut être consul- tée par les Autorités fédérales pour les sujets relatifs à la politique en matière de consommation. FDCA

Maître d’enseignement et de re- cherche suppléant à la Section d’histoire de l’art (Faculté des lettres), Cyril Lécosse est lauréat du Prix du Jury de la Fondation Napoléon 2019. Ce chercheur est distingué pour son ouvrage Jean- Baptiste Isabey : Petits portraits et grands desseins (CTHS Éditions, 2018). Cet artiste (1770-1837) s’est fait un nom sous la Révolution et l’Empire. Il a suivi une forma- tion de peintre d’histoire dans l’ate- lier de Jacques-Louis David et fré- quenté l’école de l’Académie royale de peinture. Mais il s’est différen- cié en faisant de la miniature et du dessin fini ses spécialités. COMMU- NICATION LETTRES

unil.ch/labelettres

Comment l’organisation d’une so- ciété peut-elle réduire la transmis- sion de maladies ? C’est la ques- tion que va explorer Yuko Ulrich, maître assistante au Départe- ment d’écologie et évolution de la Faculté de biologie et de mé- decine, titulaire d’un « ERC Star- ting Grant 2019 ». Octroyée par le Conseil européen de la recherche, cette prestigieuse bourse est dé- diée aux jeunes chercheurs et chercheuses d’excellence. D’une hauteur de 1,5 million d’euros, ce montant lui permettra de créer une équipe et de financer des tra- vaux sur cinq ans. Le projet se concentrera sur des colonies de l’Ooceraeabiroi, une fourmi clo- nale sans reine. LC

© Pavlov/Dreamstime DR DR

Nicole Chuard © UNIL

© DR

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16 Allez savoir ! N° 75 Septembre 2020 UNIL | Université de Lausanne

Le numérique pollue bien plus qu’on l’imagine. Solange Ghernaouti, spécialiste en cybersécurité à l’UNIL, dévoile la face cachée de cette industrie « peu vertueuse ».

TEXTE JOCELYN ROCHAT

UN MONDE VIRTUEL,

UNE POLLUTION

CONSOMMATION

O

n n’y pense jamais quand on pianote sur son té- léphone mobile. Ça ne se voit pas quand on joue avec sa console ou qu’on branche son téléviseur sur Netflix. C’est également invisible quand on fait une recherche sur Google ou qu’on trouve une nouvelle opportunité professionnelle sur LinkedIn.

C’est toujours impossible à déceler quand on stocke ses photos de vacances dans le Cloud et qu’on regarde une

vidéo sur YouTube. Enfin, ça ne fait aucun bruit suspect quand on écoute une playlist en streaming sur Spotify.

Et pourtant, l’industrie numérique pollue.

À toutes les étapes de ces technologies virtuelles, chez tous les acteurs de ce monde invisible, il y a des impacts qui, mis bout à bout, finissent par peser lourd. Le nu- mérique pollue d’abord au moment de la fabrication des équipements. Il pollue encore avec l’utilisation des La Faculté des HEC

unil.ch/hec

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L’IMPACT DU NUMÉRIQUE

ON POLLUE PLUS AVEC SON SMARTPHONE QU’EN PRENANT L’AVION

Les données datent d’avant la crise de la COVID-19. Sources: The Shift Project / ericsson / Nature / Data Center Knowledge / Emissions Database for Global Atmospheric Research (EDGAR) / Mike Berners-Lee / Google / Digico- nomist / CNRS / Greenpeace / Statista / WEF / admin.ch / ITU / Direction générale de l’aviation civile (France)

Infographie: STÉPHANIE WAUTERS

Dans le monde, 4,54 milliards de personnes utilisent internet aujourd’hui.

Il existerait 19 milliards d’appareils connectés. En 2025, ce chiffre montera à 48 milliards...

Le numérique représente 4% des gaz à effet de serre dans le monde. Soit 1,7 fois plus que le transport

aérien.

4 %

2,4 %

CO2 généré par le visionnage de films et séries à la demande: c’est comme la Belgique.

CO2

millions de tonnes

100 80

millions de tonnes

18

CO2 généré par le vi- sionnage de vidéos pornographiques:

c’est comme la Roumanie.

CO2

58 k m

Distance parcourue en voi- ture équivalant aux 40 000 requêtes Google effectuées chaque seconde (Lausanne -

Genève = 63 km).

Distance parcourue en voiture équiva- lant à regarder une demi-heure de série

en streaming.

36,88

millions de tonnes Poids du CO2 généré par le bitcoin par année: c’est comme la Nouvelle- Zélande.

Un appareil 5G consomme 3 fois plus d’énergie qu’un

équipement 4G. La chanson «Despacito»

6,7 milliards de vues sur YouTube

=

11% de la consommation électrique de la Suisse

en 2018

125

Tours de la Terre en voiture correspondant aux 3,5 milliards de requêtes Google

effectuées par jour.

150

à

6300

m

En émissions de CO2, le nombre de vols

Paris-New York correspondant aux 3,5 milliards de requêtes

Google quotidiennes.

7

millions de tonnes

48,5

Déchets électroniques produits chaque année dans le monde (soit 5000 tours Eiffel).

Seuls 20% sont recyclés.

Il faut plus d’énergie pour diffuser une vidéo HD en streaming que pour fabriquer et envoyer un DVD.

25 min

Envoyer un email avec une pièce jointe de 1Mo, c’est comme allumer une ampoule de 60W pendant 25 minutes.

3X

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18 Allez savoir ! N° 75 Septembre 2020 UNIL | Université de Lausanne

réseaux, ces fameuses autoroutes de l’information.

Il pollue avec les data centers qui captent et conservent les données expédiées par tous les terminaux via les ré- seaux. Et, en fin de vie, les équipements numériques coû- teux deviennent des déchets extrêmement mal recyclés.

Un accélérateur du changement climatique

« La société civile s’est emparée de la thématique de la transition écologique. Les habitants s’informent sur le bi- lan carbone des moyens de transport. Ils (re)découvrent une alimentation plus saine et plus respectueuse de l’environnement, mais sommes-nous assez informés des enjeux et des conséquences de nos pratiques numé- riques ? », s’interroge Solange Ghernaouti, professeure à la Faculté des Hautes études commerciales de l’UNIL.

Selon la chercheuse qui intervient régulièrement sur le thème de la transition numérique et climatique et qui donne un cours intitulé « Ecologie et numérique », « nous ne savons pas à quel point la numérisation de la société et la fuite en avant technologique qui l’accompagne im- pactent notre environnement, poursuit l’experte en cy- bersécurité. Pourtant l’informatisation est un puissant accélérateur du changement climatique. »

Pour donner une idée des coûts énergétiques comme des besoins titanesques de cette industrie et de ses ser- vices, Solange Ghernaouti évoque volontiers « Google, qui n’est pas virtuel du tout, puisque cette firme déploie des infrastructures physiques, avec des fibres optiques, des satellites de communication et des data centers, ces centres de données qu’il faut alimenter et refroidir en permanence. Pour que tout cela fonctionne vingt-quatre heures sur vingt-quatre, ce géant a besoin d’environ 2,5 centrales nucléaires à lui tout seul ! »

Quel impact global ?

Des chercheurs ont essayé de mesurer l’impact global, non seulement de Google, mais de l’ensemble de cette industrie numérique. L’exercice ressemble à un épisode de Mission impossible. Il pose des questions souvent in- solubles, comme, par exemple, de savoir comment et à combien on évalue les allers-retours effectués par mil- liards de cartons expédiés et récupérés par les nouveaux géants du commerce en ligne que sont l’américain Ama- zon, le chinois AliExpress et l’allemand Zalando.

Les diverses tentatives de mesurer l’impact global du numérique ont donné des résultats sensiblement dif- férents. Ils dépendent beaucoup des indicateurs pris en compte. Certains ont tenu compte des gros besoins de cette technologie en ressources naturelles non renouve- lables (métaux rares). D’autres ont mesuré les gaz à ef- fet de serre générés (ce serait 3,8 % des émissions de toute l’humanité selon l’ADEME, voir l’infographie en p. 17).

D’autres encore ont observé la consommation d’électri- cité, en tenant compte des centrales nucléaires et des

centrales au charbon qui ont été nécessaires pour les produire (Greenpeace assure que le numérique accapare 10 à 15 % de l’électricité mondiale).

Certains se sont limités aux émissions mondiales de carbone (ce serait 1,5 % de l’ensemble, selon Carbon Brief). Et d’autres enfin ont combiné tout ou partie de ces données. Selon plusieurs de ces travaux, l’industrie numérique pollue déjà autant que l’aviation civile de la planète. Elle pourrait polluer demain autant que les au- tomobiles. Un seul point de consensus : les analystes s’accordent pour constater la « croissance explosive » du numérique et pour nous prévenir « de la nécessité de surveiller de près ces technologies et ces services » (Carbon Brief).

« Pour apprécier la place prise par le numérique, on peut aussi regarder autour de soi et constater qu’il y a de plus en plus d’écrans et de personnes connectées en per- manence », résume Solange Ghernaouti. À ce compte, on découvre que le numérique est déjà constitué de 34 mil- liards d’équipements (sans compter les accessoires tels que chargeurs, claviers, souris, caméras, clés USB, etc.) pour 4,1 milliards d’utilisateurs, ce qui représente une moyenne de 8 équipements par personne. La masse de cet univers serait déjà équivalente à 179 millions de voi- tures, assure Green IT, un think tank environnemental.

Petits objets, grosse consommation

Pour être complet, il faudrait aussi évaluer les objets connectés dont la croissance est exponentielle. Quasi inexistants il y a 10 ans, ils étaient déjà 19 milliards en 2019, et ils devraient passer à quelque 48 milliards en 2025. On s’attend également à une autre hausse impor- tante, celle des télévisions numériques, connectées à un boîtier/décodeur, qui vont passer de 525 millions en 2010 à 1,2 milliard en 2025. Comme cette évolution sera, la plupart du temps, accompagnée d’un doublement de la taille des écrans, cela devrait augmenter la contribu- tion déjà sensible des télévisions à l’empreinte globale du numérique.

La TV n’est pas la seule à avoir un impact environne- mental. La box discrète qui l’accompagne, et qui reste généralement en veille toute la journée, a une consom- mation électrique comparable à celle d’un grand réfrigé- rateur. Car la box TV consomme trois fois plus d’énergie que le téléviseur, quand la box internet consomme six fois plus, selon le magazine 60 millions de consomma- teurs, qui conseille d’éteindre ces installations quand il n’y a personne à la maison.

Blockchain, 5G, satellites...

« Et vous n’avez encore rien vu, promet Solange Gher- naouti. Parce qu’il faudra bientôt ajouter à cela l’usage imposé de technologies comme la blockchain, les crypto- monnaies, l’intelligence artificielle, la 5G, ou encore des

CONSOMMATION

« POUR APPRÉCIER LA PLACE PRISE PAR LE NUMÉRIQUE, ON PEUT REGARDER AUTOUR DE SOI ET CONSTATER QU’IL Y A DE PLUS EN PLUS D’ÉCRANS ET DE PERSONNES CONNECTÉES EN PERMANENCE. »

SOLANGE GHERNAOUTI

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Allez savoir ! N° 75 Septembre 2020 UNIL | Université de Lausanne 19 smart cities, de la santé connectée, avec de nouveaux sa-

tellites placés en orbite pour assurer les connexions. Au- tant d’évolutions technologiques qui vont rapidement ag- graver le problème, parce qu’elles sont gourmandes en énergie et en matières premières non renouvelables. »

La blockchain (un procédé de stockage d’informations non modifiables, ndlr.), par exemple, « consomme beau- coup de ressources physiques et énergétiques, précise la spécialiste de l’UNIL. Comme les autres usages du nu- mérique, cela dégage des gaz à effet de serre qui vont impacter le climat, et pourtant, cet aspect n’est jamais pris en compte quand on parle de positionner la Suisse comme une cryptonation, ou lors de l’un ou l’autre de ces projets d’innovation, dit de rupture, qui ont pourtant un impact climatique. »

L’absence de polémique sur le bilan carbone et éco- logique du numérique surprend à une époque où les compagnies aériennes, les multinationales de l’automo-

bile, les agriculteurs, les grandes banques, la finance et même les joueurs de tennis sont régulièrement sommés d’agir au nom de l’urgence climatique. Comment expli- quer que personne ne thématise « la honte » de changer son téléphone ou son ordinateur tous les deux ans ou celle de la surconsommation du numérique ?

« C’est parce que cette pollution est invisible, répond Solange Ghernaouti. Quand vous regardez un smart- phone, vous voyez un bel objet au design épuré, et vous ne voyez pas les mines de terres rares à ciel ouvert qu’il a fallu exploiter de manière très polluante pour produire les dizaines de métaux qu’il contient. Vous ne voyez pas non plus les moyens de transport qui ont été mobi- lisés pour leur faire faire plusieurs fois le tour de la pla- nète. Et vous ne voyez pas que ce téléphone a un fil à la patte, qui le relie à un réseau de câbles et de serveurs, à des systèmes d’informations et centres informatiques bien réels. »

Cobalt, néodyme, yttrium...

Avec une durée de vie d’un peu plus de 2 ans, nos télé- phones portables sont quasiment devenus des jetables.

C’est ennuyeux, parce que la fabrication d’un smart- phone représente 80 % de son empreinte environnemen- tale. En effet, ce petit appareil est un gros consommateur de ressources naturelles non renouvelables. Il contient entre 40 et 60 métaux différents, dont la liste rappelle les heures de cours passées à examiner le tableau de Mendeleïev. On y trouve du cobalt, du tungstène, du dys- prosium, du praséodyme, du néodyme, du gallium, du germanium, du thallium, du tantale, de l’indium, de l’yt- trium, mais aussi des métaux plus connus comme l’or, le cuivre, le zinc, le nickel, l’étain ou l’arsenic (voir l’in- fographie en p. 20).

Bon nombre de ces composants ont été extraits dans des terres rares, dont l’exploitation est régulièrement dé- noncée par des experts en environnement. Et pourtant, malgré la rareté de ces composants, le téléphone por- table, n’a qu’une durée de vie très limitée, et les fabri- cants rivalisent d’idées pour nous pousser à en changer le plus souvent possible.

« L’industrie numérique n’est pas vertueuse, regrette Solange Ghernaouti. Ces appareils sont fragiles et éner- givores. Ils sont connectés à des applications et plate- formes elles aussi énergivores qui travaillent aussi de manière invisible et en permanence, ce qui explique que la batterie soit vide à la fin de la journée », assure la spé- cialiste en cybersécurité de l’UNIL.

« Ce fonctionnement n’a pas de sens »

« L’économie du numérique est basée sur la captation constante des données des utilisateurs et sur l’impéra- tif de connexion permanente de ces derniers. La logique industrielle est de vendre des appareils de plus en SOLANGE

GHERNAOUTI Professeure à la Faculté des Hautes études commerciales.

Nicole Chuard © UNIL

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UN SMARTPHONE TRÈS MONDIALISÉ

QUELS MATÉRIAUX COMPOSENT CET APPAREIL ? OÙ SONT-ILS EXTRAITS ?

COQUE ÉCRAN

BATTERIE

ÉLECTRONIQUE

ORIGINE GÉOGRAPHIQUE DES COMPOSANTS MATÉRIAUX CONTENUS DANS NOS SMARTPHONES

Sources: lelementarium.fr, Compound Interest, Statista.

Infographie: STÉPHANIE WAUTERS

Magnésium Nickel

Métaux Terres rares Métalloïdes

Aluminium Aluminium Aluminium Indium

Nickel Lithium

Antimoine Silicium

Cuivre Gallium

Praséodyme Terbium Dysprosium Dysprosium

Néodyme Gadolinium Gadolinium Lanthane Terbium Yttrium Europium

Nickel

Silicium Or

Tantale Argent

Arsenic

Métalloïdes

(Sb) antimoine, (As) arsenic, (Si) silicium

Terres rares

(Dy) dysprosium, (Eu) europium, (Gd) gadolinium, (La) lanthane, (Nd) néodyme, (Pr) praséodyme, (Tb) terbium, (Y) yttrium

Métaux

(Al) aluminium, (Ag) argent, (Co) cobalt, (Cu) cuivre, (Ga) gallium,

(In) indium, (Li) lithium, (Mg) magnésium, (Ni) nickel, (Au) or, (Ta) tantale

Norvège

Chine

Indonésie RDC

Rwanda Maroc

Chili Pérou Mexique

Australie

Philippines Corée du Sud Si

Al, Ga, Mg, Au

Ni In

Al, Li, Au

Dy, Eu, Gd, La, Nd, Pr, Tb, Y Cu, Ni

Co, Ta

Ta As

Cu, Li Ag Ag

Dy, Eu, Gd, La, Nd, Pr, Tb, Y Sb, As, Si

Un smartphone n’est pas constitué que de plastique ou de verre. De nombreux métaux, métalloïdes et terres rares servent à sa fabrication. Ces dernières, qui ne sont pas si rares pour certaines, proviennent largement de Chine. Quant aux autres éléments, ils sont extraits un peu partout dans le monde.

Cobalt La planète compte

milliards 3,5

d’utilisateurs de smartphones

=

de la population 45 %

(21)

Allez savoir ! N° 75 Septembre 2020 UNIL | Université de Lausanne 21 plus puissants, et d’inciter à ne pas garder nos don-

nées dans la mémoire de nos appareils, comme on le fai- sait auparavant, mais de les transmettre et les expédier dans le nuage – le cloud, un mot trompeur qui dissimule une infrastructure bien réelle, source de pollution mas- sive. » Dans le même temps, parce qu’il n’y a pas de petit profit, les exploitants du nuage vont facturer le stockage des données aux utilisateurs.

Car le Cloud n’est pas plus virtuel ni propre que le reste de l’industrie numérique. Ce « nuage » désigne en réalité des installations de stockage généralement amé- ricaines, ou chinoises, ce qui peut aussi poser des pro- blèmes de sécurité.

Pour Solange Ghernaouti, « ce fonctionnement n’a pas de sens ! » Ce d’autant plus que ces appareils coûteux, polluants et fragiles, victimes d’obsolescence program- mée, ne font pas l’objet d’une économie circulaire adé- quate. On sait désormais que les mises à jour ont no- tamment pour mission de ralentir le fonctionnement des smartphones pour pousser le consommateur à en chan- ger le plus souvent possible. « Nombre d’équipements électroniques ont une durée de vie très limitée, et que fait-on des vieux ? Ils ne sont que très mal recyclés, alors qu’ils contiennent des métaux rares et précieux et que leurs déchets sont toxiques. »

Selon l’Union internationale des Télécommunica- tions, ce sont 435 000 tonnes de téléphones qui ont été mises à la poubelle en 2016, alors qu’elles contenaient jusqu’à 9,4 milliards d’euros de matières premières.

L’UIT a encore calculé qu’il y a désormais cent fois plus d’or dans une tonne de déchets électroniques qu’il n’y en a dans une tonne de minerai d’or.

Quant aux dizaines d’autres métaux qui composent un téléphone portable, beaucoup sont utilisés en très pe- tites quantités. Ils ont souvent été mélangés dans des alliages, et sont donc difficiles à recycler. À l’heure ac- tuelle, on estime à 20 % le pourcentage des métaux de nos ordinateurs et de nos portables qui sont récupérés.

Prolonger, recycler, préserver

Que faire ? « La première chose, c’est prendre conscience du problème, et de sensibiliser tous les acteurs, de se représenter la matérialité de nos usages numériques », répond Solange Ghernaouti. La spécialiste de l’UNIL conseille de « développer des pratiques cohérentes au re- gard des valeurs que nous souhaitons défendre, comme de prolonger la durée de vie des appareils, de recycler, de renoncer à certains services ou encore d’édicter et faire respecter par les entreprises des normes compatibles avec la préservation de l’environnement ». Une bonne nouvelle nous arrive de ce côté : l’industrie du smart- phone reconditionné (un appareil d’occasion qui a été re- mis à neuf avant d’être revendu) pèse désormais 10 % du volume total des ventes.

Solange Ghernaouti propose encore de mettre des consignes sur les appareils numériques pour améliorer leur recyclage. En revanche, la chercheuse de l’UNIL ne défend pas l’idée de taxer les géants du numérique, ou de voter des lois qui leur imposeraient des pratiques plus vertueuses en matière d’obsolescence. « Comment vou- lez-vous contraindre des opérateurs étrangers ? Ce n’est pas facile. Avant, il y avait des constructeurs en Europe, mais désormais, nous avons perdu la maîtrise de la fabri- cation des produits. »

Plus largement, Solange Ghernaouti attire l’attention sur de nouveaux cercles vicieux technologiques : « Plus on utilise du numérique, plus on produit de données, plus on a besoin de les stocker, plus ça coûte en ressources et énergie. Nous sommes de plus en plus dépendants, on substitue de plus en plus d’actions humaines par des ac- tions automatisées informatiques. Même dans les ré- seaux de distribution, pour tout ce qui touche à l’énergie, on a besoin d’informatique pour les faire fonctionner. On s’est mis dans une situation de verrou mortel, ou d’in- terdépendance cruciale. » Pour tenter de résoudre ces problèmes, la chercheuse de l’UNIL propose des pistes comme « la sobriété numérique ». Elle suggère de réflé- chir à ce qui est important et à ce qui ne l’est pas dans nos pratiques. « À l’heure des urgences climatique et nu- mérique, est-il vraiment nécessaire de faire une photo de son assiette et de la transmettre avant de manger ? Faut- il voir autant de vidéos ? Ne pas choisir entre les usages, c’est prendre le risque que la finitude des ressources nous contraigne drastiquement nos vies. »

L’écologie du numérique

Solange Ghernaouti propose aussi de réfléchir à une

« écologie du numérique ». Cela consiste à « repenser tous les processus de création, de fabrication et de consomma- tion du numérique, compatibles avec le développement durable et la maîtrise des risques et crises environne- mentales et écologiques. Faire et utiliser du moins pol- luant, opter pour du plus propre, de la décroissance, des designs moins addictifs. Les usages sont le produit d’un système. Il faut réglementer les mécanismes qui les gé- nèrent. L’auto-régulation comme le volontarisme des usa- gers ne suffisent pas. »

Solange Ghernaouti plaide enfin pour une réflexion globale : « Avec le solutionisme technologique, il y a peu d’anticipation, de vision à long terme. Il manque le recul nécessaire pour apprécier les impacts sociétaux. Je fais volontiers l’analogie avec l’amiante qui, après-guerre, ap- paraissait comme la solution miracle à beaucoup de pro- blèmes. Puis il y a eu des morts et des malades, on y a renoncé et on a désamianté. Peut-être faudrait-il en faire autant avec le tout numérique et commencer à se dénu- mériser, à se déFacebooker, déGoogliser, ... mais serait- ce encore possible et à quel prix ? » 

CONSOMMATION

« PLUS ON UTILISE DU

NUMÉRIQUE, PLUS ON PRODUIT DE DONNÉES, PLUS ON A BESOIN DE LES STOCKER, PLUS ÇA COÛTE EN RESSOURCES ET ÉNERGIE. »

SOLANGE GHERNAOUTI

(22)

PARALYSIE

Nous restons d’abord tétanisés devant un danger potentiel.

Ici, l’actrice Vera Miles, qui a bien raison d’avoir peur dans Psychose d’Alfred Hitchcock (1960).

© Archive Photo / Getty Images

NEUROBIOLOGIE

22 Allez savoir ! N° 75 Septembre 2020 UNIL | Université de Lausanne

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Pourquoi un bruit surgissant dans une maison isolée, la nuit, nous fait-il sursauter alors que pendant la journée, nous ne le remarquons même pas ? Pourquoi certaines personnes développent-elles la phobie des araignées, de l’avion ou des foules ? Que se passe-t-il dans notre cerveau quand nous avons peur ? Une équipe de l’UNIL a élucidé certains des mécanismes neurobiologiques à la base de cette émotion, ouvrant ainsi de nouvelles pistes pour traiter l’anxiété.

TEXTE ELISABETH GORDON

COMMENT

NOTRE CERVEAU

LA PEUR?

Allez savoir ! N° 75 Septembre 2020 UNIL | Université de Lausanne 23

(24)

24 Allez savoir ! N° 75 Septembre 2020 UNIL | Université de Lausanne

S

oudain, au détour d’un chemin, nous nous trou- vons face à un serpent qui nous paraît dangereux.

Aussitôt, nous restons figés par l’effroi. Puis nous évaluons la situation et réagissons, en prenant nos jambes à notre cou ou en faisant du bruit pour faire fuir l’animal menaçant. Nous avons eu une sacrée frayeur. Un sentiment tout à fait normal. « La peur est un signal d’alerte qui nous informe d’un éventuel dan- ger dans notre environnement », constate Ron Stoop, pro- fesseur associé à la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL. En ce sens, elle est indispensable à la survie de notre espèce », poursuit le responsable de l’unité de re- cherche sur la neurobiologie de l’anxiété et de la peur du Centre de neurosciences psychiatriques (rattaché au CHUV, à l’UNIL et à l’EPFL).

L’amygdale, une centrale d’alerte

Que se passe-t-il dans notre cerveau quand nous avons peur ? Au centre du processus se trouvent les amyg- dales. Il s’agit de « petites structures cérébrales en forme d’amande - ce qui leur a valu leur nom car en grec, amu- gdálê signifie “ amande ”, rappelle Ron Stoop. Elles sont si- tuées devant les oreilles, dans les deux lobes temporaux qui sont des centres d’intégration des différents types de mémoire chez l’être humain. » Elles se trouvent aussi juste devant l’hippocampe, « qui joue un rôle important dans tous les aspects émotionnels de la mémoire, dont la peur ».

C’est pourquoi les amygdales ont parfois été qualifiées de « noyaux de la peur ». En fait, elles ont d’autres fonctions – notamment dans la douleur – et le neurobiologiste pré- fère les qualifier de « centrales d’alerte de la peur ». Elles interviennent, explique-t-il, « lorsqu’une situation inat- tendue survient, qu’il s’agisse d’un événement positif, donc heureux, ou au contraire menaçant ».

Les deux parties de l’amygdale

Reprenons le cours de notre randonnée qui s’avérait pai- sible jusqu’au moment où nous avons rencontré le serpent.

Nos sens – en l’occurrence nos yeux qui ont vu le reptile et nos oreilles qui ont détecté un bruissement suspect dans les feuilles – envoient des signaux à l’amygdale. La par- tie centrale de cette structure, « qui est la plus ancienne du point de vue de l’évolution, s’active. Elle envoie alors des projections neuronales vers le tronc cérébral dans le- quel sont situés différents noyaux qui activent des réac- tions physiologiques », explique le chercheur de l’UNIL.

C’est pour cette raison que, sous l’influence du système nerveux parasympathique, notre respiration s’arrête, nos battements cardiaques ralentissent, notre système gas- tro-intestinal est affecté, etc. Nous restons tétanisés de- vant le danger potentiel.

Puis notre cortex intervient. Il analyse la situation et, si elle est vraiment menaçante, il nous incite à réagir en fuyant ou en affrontant le danger. La deuxième partie de

l’amygdale – dite basolatérale – entre alors en jeu. Elle in- hibe nos premières réactions physiologiques. Le système nerveux sympathique prend alors le relais et accélère notre rythme cardiaque et notre souffle, afin que nous puissions faire face à la situation. C’est lui aussi qui rend nos mains moites, ce qui nous permet de nous saisir plus facilement d’un bâton pour nous défendre. En effet, « de la même manière que l’on se mouille les doigts pour tour- ner les pages d’un livre, l’humidité des mains diminue les frottements avec l’objet que l’on prend ».

La « dame sans peur »

Lorsque ce mécanisme d’inhibition dysfonctionne, on ne parvient plus à contrôler ses frayeurs et l’on développe des phobies.

Cela peut atteindre des niveaux extrêmes comme chez une Américaine qui n’avait jamais peur. La « dame sans peur », comme on l’a surnommée, « portait sur l’un de ses

NEUROBIOLOGIE

RON STOOP Professeur associé à la Faculté de biologie et de médecine. Responsable de l’unité de recherche sur la neurobiologie de l’anxiété et de la peur du Centre de neurosciences psychiatriques (CHUV, UNIL et EPFL).

Nicole Chuard © UNIL

Le Centre de neurosciences psychiatriques chuv.ch/psychiatrie

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Allez savoir ! N° 75 Septembre 2020 UNIL | Université de Lausanne 25 gènes une mutation très rare qui provoque la calcifica-

tion complète des deux amygdales, droite et gauche », sou- ligne Ron Stoop.

Dans les années 90, des chercheurs néerlandais ont dé- couvert, en Afrique du Sud, des personnes ayant une mu- tation génétique similaire. « Il y a quatre cents ans, deux Allemands venus s’installer dans ce pays étaient porteurs de cette mutation qu’ils ont transmise à leur descendance.

Actuellement, on a dénombré au moins cinquante per- sonnes souffrant du même mal. Ces gens constituent une mine d’or pour la recherche. »

A leur grand étonnement, les scientifiques néerlandais qui ont étudié de près quelques-uns de ces individus ont découvert « qu’ils ressentaient de la peur, mais dans ce cas ils restaient figés plus longtemps et ils avaient plus de mal à éviter une menace que les personnes non malades, ex- plique Ron Stoop. Après avoir observé leur cerveau à l’aide de l’IRM, mes collègues ont découvert une lésion dans leurs amygdales basolatérales. » Celles-ci ne pouvaient donc plus inhiber l’activation des amygdales centrales.

Les neurobiologistes lausannois ont reproduit cette lé- sion chez des rats. Ils ont d’abord entraîné les rongeurs à éviter un danger. À l’aide d’un signal sonore, ils préve- naient les animaux qu’ils allaient recevoir un choc élec- trique - « plus la fréquence du son était élevée, plus grande était l’imminence de la menace », précise le chercheur. Les rats pouvaient alors déguerpir dans une autre partie de la cage où ils ne risquaient plus rien.

En entendant le signal, « tous les animaux se sauvaient, sauf ceux chez lesquels nous avions simulé une lésion dans les amygdales basolatérales analogue à celle trou- vée chez les Sud-Africains », constate le neurobiologiste.

Ce qui confirme la découverte des chercheurs néerlandais et « prouve aussi que le rat est un modèle animal valable pour étudier les mécanismes de la peur ».

L’ocytocine : l’hormone de l’amour

Mieux encore : les chercheurs lausannois ont réussi à faire disparaître la frayeur chez des rongeurs. « Le cerveau dis- pose de divers systèmes internes qui peuvent diminuer le niveau de la peur en cas de besoin », précise Ron Stoop.

Parmi eux figure l’ocytocine, un neuropeptide produit par le cerveau, plus précisément par l’hypothalamus. « Elle a été découverte il y a plus d’une centaine d’années et elle était d’abord connue pour ses effets sur l’accouchement et la lactation. » Cette hormone agit en effet sur les muscles lisses de l’utérus – ce qui augmente les contractions du- rant l’accouchement - et sur ceux de la glande mammaire – ce qui favorise la lactation. Un spray nasal à l’ocytocine est d’ailleurs commercialisé pour accroître la sécrétion de lait chez les jeunes mères.

Il est ensuite apparu que ce neuropeptide intervient dans l’empathie, dans l’attachement de la mère à l’en- fant, etc. Au point qu’il est souvent qualifié d’« hormone de l’amour ».

Mais il a d’autres fonctions. Après avoir constaté qu’il est relâché dans le sang, on a découvert, dans les années 70, « que les récepteurs sensibles à l’ocytocine dans les muscles lisses se trouvent aussi sur certaines cellules neuronales, explique le professeur associé de l’UNIL. Ce qui signifie que les neurones peuvent, eux aussi, être af- fectés par le neuropeptide. »

Un interrupteur de la peur

L’équipe lausannoise a identifié les neurones qui amènent l’ocytocine de l’hypothalamus vers l’amygdale et « montré qu’en les stimulant, on peut accroître la libération endo- gène d’ocytocine et diminuer ainsi la peur ».

L’une de ses expériences les plus spectaculaires a été menée, toujours chez des rats, à l’aide d’une méthode d’optogénétique. Les chercheurs ont d’abord modifié gé- nétiquement des neurones des rongeurs afin qu’ils de- viennent sensibles à la lumière bleue d’un laser. Sous son effet, ils relâchent de l’ocytocine dans l’amygdale.

Quand ils sont soumis à une menace, les animaux se figent. Mais il suffit alors d’allumer le laser pour que très vite (de deux à une vingtaine de secondes plus tard, se- lon les individus), les rats se remettent à bouger ; quand on l’éteint, ils s’immobilisent à nouveau. « De cette ma- nière, nous avons pu arrêter ou activer le comportement de frayeur chez les rongeurs », souligne Ron Stoop. Créer un interrupteur de la peur, en quelque sorte.

Par la suite, « nous avons constaté que toutes les réac- tions de peur n’étaient pas affectées par l’ocytocine. Cer- taines projections neuronales envoyées par l’amygdale vers le tronc cérébral et qui sont modulées par l’ocyto- cine agissent sur le comportement des rongeurs – ils se figent – d’autres sur les réactions physiologiques – elles provoquent une accélération du rythme cardiaque. » Cela a conduit le chercheur à se livrer à des interrogations

AMYGDALES

En rouge sur cette image, ces petites structures sont les centrales d’alerte de la peur.

Elles se trouvent devant l’hippocampe, qui joue un rôle important dans les aspects émotionnels de la mémoire.

© Keystone / Science Photo Library / Sciepro

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