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LE DÉBAT SANS FIN

Dans le document SAVOIR ALLEZ (Page 42-46)

DE L’EXPÉRIMENTATION

ANIMALE

POLITIQUE

L’

expérimentation animale constitue-t-elle un moyen de faire progresser la médecine, ou, au contraire, s’agit-il de maltraitance ? Ces argu-ments opposés referont surface lors de la cam-pagne en vue de la votation sur l’initiative « Oui à l’interdiction de l’expérimentation animale et humaine – Oui aux approches de recherche qui favorisent la sécu-rité et le progrès », déposée le 18 mars 2019. Ce texte, que

le Conseil fédéral recommande de rejeter, se trouve dans les mains du Parlement. Les Suisses pourraient voter en 2022. Maître d’enseignement et de recherche à l’Obser-vatoire Science, Politique et Société, Fabienne Crettaz von Roten s’est intéressée à l’histoire de la controverse autour de l’expérimentation animale depuis les années 50, en Suisse. Elle a rassemblé un riche matériel dans un ouvrage paru récemment (références en p. 46). Tout en Observatoire Science, Politique et Société

unil.ch/osps

SEPTEMBRE 1981

Franz Weber dépose l’initiative « pour la sup-pression de la vivisection ».

Les signatures furent fa-cilement récoltées. Toute-fois, les Suisses rejetèrent ce texte à 71 % en 1985.

© Michel Euler / Keystone

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POLITIQUE

MARS 2019

Dépôt de l’initiative

« Oui à l’interdiction de l’expérimentation animale et humaine – oui aux approches de recherche qui favorisent la sécurité et le progrès ». Les Suisses pourraient voter sur ce sujet en 2022.

© Peter Klaunzer / Keystone

Allez savoir ! N° 75 Septembre 2020 UNIL | Université de Lausanne 45 observant une neutralité de mathématicienne – une

discipline dont elle est docteure –, la chercheuse souhaite

« nourrir le débat démocratique que nous allons avoir ».

Son livre fournit « des clés de réflexion aux personnes encore indécises ou en recherche d’informations ».

Certes, des sociétés protectrices des animaux furent créées en Suisse au milieu du XIXe siècle déjà, et les réflexions sur l’expérimentation existent depuis long-temps. Ces périodes ont toutefois été déjà bien étudiées, et « au sortir de la Seconde Guerre mondiale, un tournant s’opère : la science est favorisée puisqu’elle contribue à l’industrialisation et à la prospérité du pays, et donc in fine au bien commun », comme l’écrit Fabienne Crettaz von Roten.

Science triomphante...

Dans ce contexte de « science triomphante », deux cher-cheurs anglais publient en 1959 un ouvrage fondamen-tal, The Principles of Humane Experimental Technique. Ce document décrit les principes des « 3R » (remplacement, réduction et raffinement, lire en p. 46). Ces derniers, qui se sont diffusés dans la communauté scientifique au fil des années, guident et encadrent aujourd’hui de manière obli-gatoire la recherche sur le modèle animal, en Suisse et ail-leurs. En effet, ils ont été intégrés dans l’Ordonnance sur la protection des animaux.

Dans les années 50 et 60, si des discussions ont lieu parmi les chercheurs et les intellectuels au sujet du modèle animal, ce débat est encore très peu présent dans les médias, comme l’a constaté Fabienne Crettaz von Roten.

Dans son ouvrage, la chercheuse rappelle cette phrase présentée à l’entrée de l’Expo 64 à Lausanne : « L’étude et la recherche scientifique libre et désintéressée assurent le rayonnement spirituel de la Suisse. »

... et doutes

Toutefois, un mouvement de fond est en marche. L’anthro-pocentrisme, qui place l’Homme au sommet de l’évolution et assigne aux autres êtres vivants le rôle de servir ses intérêts, est battu en brèche. Dès les années 70, l’étholo-gie, dont les travaux mettent en lumière le comportement, le psychisme et la conscience d’eux-mêmes des animaux, connaît un essor. Publié en 1975, le livre du philosophe australien Peter Singer, Animal Liberation, constitue un jalon de l’antispécisme. Cet auteur étend le principe d’éga-lité entre Humains aux animaux.

« Peter Singer peut être qualifié de welfariste, nuance Fabienne Crettaz von Roten. Certes, il s’est élevé contre les expériences inutiles ou cruelles, comme par exemple celles qu’a menées Harry Harlow au sujet de l’attache-ment chez les singes à la fin des années 50. Mais il n’est pas abolitionniste. » En parallèle, les revendications paci-fistes et féministes prennent de l’ampleur. Les préoccu-pations grandissent au sujet de l’environnement, car

plu-sieurs pollutions spectaculaires marquent les esprits, comme l’accident de Seveso en 1976. En Suisse, la Loi sur la protection des animaux est acceptée par le peuple deux ans plus tard. Plusieurs scandales autour de l’éle-vage industriel choquent les esprits. En 1983, le philo-sophe Tom Regan publie The Case for Animal Rights. Cet auteur prône le véganisme, rejette la chasse, l’élevage et l’expérimentation animale.

Franz Weber s’en mêle

Dans notre pays, ces grands courants se traduisent par une spécialité locale : l’initiative populaire. En 1985, 1992 et 1993, le peuple va s’exprimer trois fois au sujet de l’ex-périmentation animale, au niveau fédéral. Si l’initiative abolitionniste « pour la suppression de la vivisection », lan-cée en 1980 par l’association Helvetia Nostra (donc Franz Weber) récolte facilement les signatures nécessaires, elle est repoussée par le peuple à 71 % (et par tous les can-FABIENNE CRETTAZ

VON ROTEN Mathématicienne.

Maître d’enseignement et de recherche à l’Observatoire Science, Politique et Société (Faculté des sciences sociales et politiques).

Nicole Chuard © UNIL

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tons) le 1er décembre 1985. Les cartes présentées dans l’ouvrage de Fabienne Crettaz von Roten mettent en lu-mière un certain röstigraben. « Les cantons ruraux, catho-liques et romands tendent à rejeter davantage l’initiative que les cantons urbains, protestants et alémaniques », écrit la chercheuse. Dans les grandes lignes, le texte sé-duit plutôt les femmes, les personnes de gauche ou les pos-sesseurs d’animaux domestiques.

Mais, comme le souligne Fabienne Crettaz von Roten,

« chaque initiative possède un cadrage différent ». Ainsi, un autre texte visant lui une limitation sévère de l’expé-rimentation animale est rejeté par les Suisses à 56 % en 1992, même si trois cantons et demi (tous alémaniques) l’ont accepté.

Trop de votations ?

Les scrutins s’enchaînent. Au niveau cantonal par exemple, les Zurichois acceptent l’institution d’un avocat des animaux en 1992. L’année suivante, le peuple rejette à nouveau une initiative abolitionniste. N’est-on pas là en présence d’une stratégie d’usure ? Fabienne Crettaz von Roten ne le pense pas. « Notre rapport à la nature et aux animaux se modifie au fil du temps. Certaines émissions télévisées des années 70, où l’on présentait les bénéfices de l’élevage industriel, font aujourd’hui frémir. » Ainsi, pour la mathématicienne, il est sain que la population dé-batte et s’exprime régulièrement. D’autre part, la Suisse est probablement le seul pays où la population peut voter sur l’expérimentation animale.

Les campagnes d’avant-votation constituent égale-ment le bon prétexte pour faire le point sur la compréhen-sion qui règne (ou non) entre les scientifiques et la société.

« Par exemple, certains chercheurs croient que la popula-tion est largement hostile à l’expérimentapopula-tion animale, ce qui est faux. Toutefois, il existe une forte différence d’ac-ceptation entre la recherche menée avec des rongeurs ou celle qui implique des chiens ou des singes », indique Fa-bienne Crettaz von Roten.

Depuis les années 70 en tout cas, les évolutions ju-ridiques en Suisse tendent vers une réglementation de plus en plus stricte de l’expérimentation animale. Il suf-fit de lire le chapitre 6 de l’Ordonnance sur la protection des animaux (disponible sur admin.ch) pour s’en rendre compte. Ainsi, sous la pression de l’évolution de la société, la condition des animaux s’améliore au fil du temps. Dans certains cas, l’impulsion vient plutôt du monde scienti-Les règles des « 3R » ont été publiées en 1959 par deux chercheurs, William Russell et

Rex Burch, dans The Principles of Humane Experimental Technique. Cela implique le remplacement, la réduction et le raffinement de l’expérimentation animale. En Suisse, ces principes doivent être appliqués par les chercheurs.

Le remplacement vise à obtenir le résultat recherché en l’absence de toute expérience ou intervention scientifique sur l’animal. Cela veut dire qu’une expérience n’est autori-sée que si les chercheurs font la preuve que le modèle animal est indispensable et que des résultats significatifs ne pourraient pas être obtenus en recourant à une créature de classe « inférieure » (des drosophiles au lieu de souris, par exemple). Cette notion recouvre les méthodes alternatives, comme l’utilisation de cellules (techniques in vitro), la modélisation informatique (in silico), etc.

La réduction signifie l’obtention d’un niveau d’information comparable à partir d’un moindre nombre d’animaux ou à obtenir davantage d’informations à partir du même nombre d’animaux. Le dépouillement de la littérature scientifique existante et le recours à des statisticiens permettent d’ajuster cette quantité au plus bas.

Le raffinement, enfin, recouvre les méthodes d’atténuation de la souffrance et du stress potentiels ainsi que l’amélioration du bien-être animal. Cela passe notamment par de bonnes conditions d’hébergement, l’utilisation d’antidouleurs ou des techniques d’expérimentation les moins invasives possibles. DS

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Basé à Berne, le Swiss 3R Competence Centre (3RCC) promeut la recherche, la formation et la commu-nication dans ce domaine (lire également Allez savoir ! 71, janvier 2019). swiss3rcc.org

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