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L‘alliance Design et artisanat au service des localités

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L‘alliance Design et artisanat au service des localités

Neila Rhouma

To cite this version:

Neila Rhouma. L‘alliance Design et artisanat au service des localités. Design et Citoyenneté, Apr

2019, Mahdia, Tunisie. �hal-02547373�

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L‘alliance Design et artisanat au service des localités.

Neila / RHOUMA

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Résumé :

Selon la généalogie du design avancée par Midal en 2009, le design s’est depuis toujours penché sur les problèmes sociaux. De William Morris aux courants contemporains du design, ce secteur s’est toujours préoccupé de l’usager.

Du Bauhaus aux travaux de Victor Papanek, les écoles de design se sont constamment penchées sur les besoins sociaux. Porteur d’ingéniosité et d’inventivité, ils mettent en relation les besoins de l’individu et de la communauté (MOHALY-NAGY, 1993)et participent de la multiplication des possibilités du vivre ensemble et de leurs formalisations. Pareille approche vitaliste du design est au cœur de la société contemporaine confrontée à de nouveaux rapports au temps et à l’espace. Elle incite l’instauration de projets d’aménagement social intégrant la protection et la mise en valeur de l’environnement. Ces derniers sollicitent le design qui se réinvente en design social ou encore co-design intégrant un nouveau mode opératoire. Cette nouvelle manière de faire baser sur la coopération induit bon nombre de questionnements :

Le designer s’investit pour appréhender le monde de l’artisanat tout en collaborant avec les dépositaires du savoir-faire. Cela contribue-t- il réellement à la valorisation de l’artisanat ou engendre-t-il sa perte ?

Dans l’attention d’élucider cette problématique, l’entreprise sociale et solidaire nommée Kolna Hirfa sera ultérieurement présentée. Son activité sera analysée tant structurellement que méthodologiquement.

Mots clef :

Co-design, artisanat, tissage berbère, Tunisie

INTRODUCTION :

Selon la généalogie du design avancée par Midal en 2009, le design s’est depuis toujours penché sur les problèmes sociaux. De William Morris aux courants contemporains du design, ce secteur s’est toujours préoccupé de l’usager.

Du Bauhaus aux travaux de Victor Papanek, les écoles de design se sont constamment penchées sur les besoins sociaux. Porteur d’ingéniosité et d’inventivité, ils mettent en relation les besoins de l’individu et de la communauté (MOHALY-NAGY, 1993)et participent de la multiplication des possibilités du vivre ensemble et de leurs formalisations. Pareille approche vitaliste du design est au cœur de la société contemporaine confrontée à de nouveaux rapports au temps et à l’espace. Elle est également une nouvelle « calendarité et cardinalité » (Steigler, 2002). Notre manière d’habiter le monde, de « faire avec » (DE CERTEAU, L'invention du quotidien: 1; arts de faire, 1990) et d’appréhender la culture et les espaces intimes amène le designer à adopter une attitude écologique et éthique (MANZINI, 1992) où se mêlent et s’articulent l’équilibre des formes de vie, les richesses sensorielles et relationnelles et l’inventivité (LIZLER, 2014). Des projets d’aménagement social intégrant la protection et la mise en valeur de l’environnement sont élaborés. Ces derniers sollicitent le design qui se réinvente en design social ou encore co-design intégrant un nouveau mode opératoire. Ainsi, un nouveau type de design est ici insinué, non le design centré objet (Abras, Maloney- Krichmar et Preece ; 2004), mais plutôt centré humain (GIACOMIN, 2014); les lieux du design témoignent plus que jamais d’un design qui se livre à l’introspection pour recentrer ses enjeux et ses fondements. Sa visée projective, pleinement extensive et intentionnelle corrobore l’idée du monde comme un projet à réaliser (FINDELI, 2015) ensemble, en collaboration avec la société civile. Une collaboration qui peut être observé dans le travail de l ’entreprise sociale et solidaire Kolna Hirfa. Mais cette union ne se pose pas à nous sans problème : La réunion entre l’artisanat et le design ne provoquerait pas la perdition de l’artisanat traditionnel local ? Et si c’est le cas, comment revaloriser l‘artisanat sans le dénaturer ?

C’est ainsi que dans cet article, nous tenterons de répondre aux questions précédemment posées tout en analysant l’implication de l’entreprise sociale et solidaire Kolna Hirfa :

1 Doctorante à Aix Marseille Univ, CNRS, IDEMEC, Aix-en-Provence, France

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2 I. Présentation de la société KOLNA HIRFA :

Kolna Hirfa fut d’abord un projet, celui de Rania Mechergui. Cette biologiste de formation alors âgée de vingt-quatre ans, crée en 2014 la première entreprise sociale et solidaire (ESS) de Tunisie. Elle a pour objectif de faire fructifier le travail des femmes artisanes rurales de la région du Nord-ouest tunisien.

Kolna hirfa couvre trois gouvernorats : Jendouba, Kef et Siliana. Elle fut initiée par l'ONG Kolna Tounès

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. Son financement est lui multipartenarial. Il sollicite l’Organisation internationale pour la Migration (OIM), l’Union européenne et l’Office National du Tourisme Tunisien (ONTT).

D’abord il a fallu réunir les femmes artisanes via la formule d’entreprise sociale et solidaire puis les former en design produit afin de moderniser leurs confections.

C’est ainsi que Rania tisse des liens entre de jeunes designers comme Maher Arfaoui , Asma Zakrouna et Alexander Rekik et les artisanes. Loin de son domaine de prédilection, elle découvre tout comme les tisseuses le monde du design et ses contraintes.

Via cette nouvelle formule entrepreneuriale, ces femmes arrivent à accéder aux marchés et aux foires comme le salon national « zarbia ». Cette foire du tapis et des tissages est organisée par l’office national de l’artisanat pour la promotion des tissages ras et des Fibres végétales.

Dans ce nouveau contexte, les tapis berbères se retrouvent destinés à l’échelle nationale comme internationale. Ils sont surtout vendus à une clientèle tunisienne, mais aussi étrangère le plus souvent italienne et français. Les productions des artisanes sont proposées dans un point de vente tel que le show-room de Kolna Hirfa. Elles sont également destinées à une large commercialisation voire une exportation via l’élaboration d’un site e-commerce.

Le projet vient d’être intégré à un circuit de tourisme alternatif afin d’en faciliter la commercialisation.

Cela prend la forme de visite chez les artisanes pour présenter leur travail et leur mode de vie au plus près comme de randonnées ou de camping en pleine nature.

Cette stratégie de mise en valeur du produit est appliquée par Rania MECHERGUI qui organise des visites chez les productrices pour valoriser leur travail. Cette manière de faire permet également de tisser un lien entre le consommateur et les artisanes.

Rencontrer les tisseuses dans leur atelier et dans leur village parmi leurs tapis permet de concrétiser le fait qu’elles sont détentrices d’une histoire et d’un vécu authentifiant leur œuvre. L’authenticité est en effet traduite par le geste de sa créatrice et est valorisée dans la boutique sociale et solidaire de kolna Hirfa.

I.1. Kolna Hirfa, l’esthétique de ses produits et la signification sociale :

Le tapis dénommé berbère est une œuvre qui se dénote des autres styles. En effet, il est facilement remarquable par sa couleur chatoyante et son harmonie figurative. Il est aussi composé d’une symphonie de formes géométriques. Cette esthétique particulière créée par les tribus berbères fut néanmoins rejetée par certains Européens issus de la colonisation. Il lui reprochait le désordre de ses figures,l’absence de composition ou l’application d’une composition aléatoire (ou même sauvage), la violence de ses couleurs vives et l’irrégularité de sa bordure (RAMIREZ,Francis et ROLOT, Christian, 1995, p. 8). Le tapis a été négligé, car il ne leur renvoyait par les formules habituelles. Sa stylistique paraissait étrange et sauvage pour la majorité de ces étrangers. Ainsi, il dénigrait sa non-conformité et son dépassement des normes et code occidentaux.

Suite au rejet relatif de l’esthétique berbère et à la profusion des canons occidentaux sur tout le continent africain et en particulier au Maghreb, les designers interviennent pour la réhabilitation du tapis berbère dans se monde contemporain. Réhabilitation qui pourrait engendrer des changements esthétiques drastiques. C’est cette hypothèse qui sera dans ce cas traité.

2Kolna Tounis est un mouvement associatif citoyen qui réfléchit et agit dans le champ politique. Il a pour objectif de permettre l’élaboration de projets en interaction avec toutes les catégories sociales.

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3 II. Le corps des tapis KOLNA HIRFA :

Il parait évident de recourir à l’analyse de tapis conçu à Aîn Drahem, de sakiet sidi youssef, de kesra et rouhia afin de répondre au questionnement auparavant avancé. Cette analyse concernera un tapis conçu par les tisseuses de Aïn Drahem. Celle-ci peut se percevoir telle une analyse « neutre » comme l’évoque Molino dans son ouvrage le singe musicien. Le niveau neutre représente une description dénotative de l’œuvre sans prendre en considération les conditions de production, ni les outils et techniques utilisés et ni les conditions de perception de l’œuvre. Seul l’aspect formel est ici traité.

II. a. Analyse :

Le tapis dans ce cas présenté est un tapis berbère noué par Moufida BEN ARIF. Il mesure 0,7 mètre de largeur sur 1,40mètre de longueur. Le produit est bichromatique blanc et marron. La base de la tapisserie est écrue alors que le graphisme situé à son centre est marron foncé.

L’usage des teintes naturelles claires et foncées procure un effet de contraste au graphisme.

En effet, l’association de ces teintes est basée sur le principe de l’harmonie chromatique et du contraste du clair-obscur obtenu à partir de laine naturelle, non teinte. Dans ce nouveau contexte, les couleurs ne possèdent aucune symbolique a l’instaure des motifs qui vêtent le tapis.

Des triangles, des sortes de flèches et un poisson sont organisés de manière à définir un axe vertical qui se prolonge à l’extrémité de la composition. Les autres formes stylisent une étoile circonscrite dans deux autres losanges.

En effet, le tapis est orné par une seule composition graphique épicentre soumis au principe de symétrie centrale verticale et horizontale.

Les motifs qui la structurent ont été prélevés des tatouages de vieilles femmes de Aïn Drahem pour être ensuite utilisés dans la conception de compositions géométriques. C’est ainsi que plusieurs symboles tels que le triangle, le point, le losange, le papillon, la tête de bœuf et le poisson, etc. sont inconsciemment associés.

Figure 01 : Tapis de Aïn Drahem [Source : Neila RHOUMA. 2018]

Une préférence pour les productions de haute laine est perceptible. Cela est dû aux exigences des clients étrangers qui les associent à l’image du luxe et du confort. Ipso facto, cette catégorie de tissage devient la plus appréciée par les Européens. Elle est donc beaucoup plus produite suite aux quêtes d’exportations. Afin de satisfaire les goûts et attentes de l’Occidental, la tisseuse se retrouve également à reproduire des formes plus régulières et épurées représentées sur des fonds colorés, neutres ou plus fondus.

Cette nouvelle esthétique du tapis a la capacité de plaire à un grand nombre d’usagers. Sa

pérennité est assurée par la relative imitation des tapis traditionnels berbère. Tapis qui sont,

selon les propos de Gérard Genette dans son essai sur la « relation esthétique », les seules

belles créations capables de résister à l’effet du temps :

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4 « L'argument par la postérité est le plus ancien, car il remonte au moins à la doctrine classique. Il énonce que le temps (historique) opère de lui-même la distinction entre le bon grain et l'ivraie, et que, passé les engouements superficiels de la mode et les incompréhensions momentanées dues aux ruptures d'habitudes, les œuvres réellement (et donc objectivement) belles finissent toujours par s'imposer, en sorte que celles qui ont victorieusement subi. » (GENETTE, 1994, p. 128)

Il serait dans ce cas pertinent de s’intéresser sur le rapport que le tissage de Aïn Drahem entretient avec le folklore

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et la tradition.

III. Le concept rénovateur du tapis berbère de KOLNA HIRFA:

La coopération entre design et artisanat aussi appelé co-design voit le jour dans les années 90 avec l’émergence de la mode vestimentaire atteignant ensuite l’intérieur des habitations contemporaines.

Elle émerge d’un style ancestral issu de peuples étrangers et tribus lointaines, fusionné au stylisme occidental moderne et épuré.

Ce mouvement s’apparente au slow design qui se soucie du développement durable, du recyclage, utilisant un minimum de matériaux et adoptant un mode de fabrication fait main, non polluant. L’idée est donc de se replonger dans les sources originelles, à l’essence même des objets et de réapprendre à les apprécier à leurs justes valeurs. Via la réintégration de l’objet « populaire, associé au naturel, au vrai, au naïf, au spontané, à l’enfance » (DE CERTEAU, La Culture au pluriel , 1993, p. 53), il revendique le retour à un artisanat local et revisite les authentiques produits du terroir en les stylisant et les épurant.

Ce phénomène témoigne d’une juxtaposition de deux tendances antithétiques et complémentaires, celles de l’uniformisation et de l’authenticité à travers un retour au patrimoine qui s’étend à divers domaines tant matériels qu’environnementaux.

À l‘instard d’une affection pour les productions modernes, s’ajoute le goût pour le fait main et les produits du terroir conçus à domicile selon une tradition familiale. Cette ferveur pour le typique afflue au flux de la standardisation des pratiques et s'est accentuée lors de ses trois dernières décennies au bénéfice d'un processus de retour aux sources (BROMBERGER, 1979).

Ce type d’implication dépend non seulement de la maitrise de ce savoir-faire, mais également de l’évolution des goûts et des sensibilités qui ont progressivement convergé vers la mode ethnique et authentique.

Cette lubie de l’authentique engendre l’intégration des designers dans la conception du tapis comptant bien entendu parmi les agents capitaux du mouvement de ce produit. À l’origine, l’établissement d’une coopération entre ces derniers et les artisanes était voué à conserver l’héritage ancestral en le réintégrant dans les intérieurs contemporains. C’est ainsi qu’une forme de design social se met en place. En tant qu’activité créatrice contextualisée, le designer assure l‘adoption de l’individu à la société et à l’environnement. Habitué à travailler dans des situations d’incertitudes, le design social ou co-design adopte une attitude holistique et procède par modélisation complexe des situations de projets. Sa logique se nourrit de l’usage et non uniquement de l’expertise du concepteur qu’il est. Via l’écoconception, il implique toutes les parties pertinentes du projet afin que tous les acteurs puissent participer à la réorganisation de la situation et de l’environnement. En outre la collaboration avec les artisanes, les designers invitent également le consommateur à créer son propre tapis personnalisé à son image. Le consommateur a ainsi le choix d’agencer les couleurs, les symboles, la dimension ou la forme de son tapis à sa guise, faisant du produit une œuvre singulière. Selon la définition avancée par Kopytoff en 1986 : la singularisation représente un processus qui extrait le nouvel objet de la sphère des marchandises. C’est-à-dire que dans notre cas le tapis est singularisé, « démarchandisé » lorsqu’il 'intègre l’univers personnel et

3 Le folklore assure l’assimilation culturelle

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5 singulier de son nouveau propriétaire. Ce phénomène peut toucher tous les objets, pièce unique, création manufacturée ou industrialisée, mais il diffère selon sa nature. Cette définition de Kopytoff représente un continuum qui s’étend de l'objet le plus personnalisé, au plus standardisé. Ainsi, la singularisation revient à conférer une forme d’unicité au tapis même non personnalisé en se l'appropriant et l’intégrant dans la vie personnelle. En effet, ce qui fait l’unicité d’un produit, c'est l'histoire que le consommateur lui attribue, tisse autour de lui, et la manière avec laquelle il va l’associer aux autres objets. Ce tissage fait partie du quotidien de propriétaire tout en rappelant d’agréables souvenirs de rencontres et voyages. Le tissage est donc « naturellement » unique, malgré qu’il n’ait rien d'exceptionnel et qu’il peut être présent dans d’autres espaces.

Par son appropriation, le détenteur marque le tapis ou déteint sur le tapis au sens propre et figuré en l’assimilant à son histoire personnelle et édifiant la suite historique du tissage. C’est ce vécu, ce lien avec l’humain que les consommateurs recherchent à travers le produit artisanal.

Il est évident que l’actuelle tendance commerciale est au marché de la singularisation dans l’antre de la marchandisation, proposée de prime abord, comme une stratégie marketing. Ainsi dans tous les domaines confondus, le consommateur est incité à acquérir des produits uniques, mais aussi à participer à leur création. Le tapis « est ainsi vendu « à la carte », le consommateur, longtemps considéré comme un récepteur passif, pensant dicter aujourd'hui ses propres choix. Au caractère personnalisé de la production, s'ajoute une forme particulière de contact ente le distributeur et le consommateur, le premier s'adresse non pas au consommateur en général, mais à Monsieur Durand ou Madame Dupont : ce sont les mailings personnalisés. » (WARNIER Jean-Pierre et ROSSELIN Céline , 1996, p. 148)

Dans cette quête de personnalisation et de conformité aux attentes du consommateur, le designer engendre une dénaturation du tapis traditionnel berbère.

À l’image de l’exemple préalablement étudié, une opposition stylistique entre un style dit ancien et un style nouveau est observée. Différemment des unités artisanales traditionnelles, le tapis réintroduit dans l’espace industriel l’esthétique de jadis. Cela permet la coexistence de deux mondes antagonistes. Une autre expression berbère se dévoile sous un aspect épuré tant au niveau formel que chromatique. Ce conformisme annihilant progressivement l’acte créatif est soumis aux esthétiques normatives et scientifiques instaurées par Platon.

Celle-ci est reprise par les designers dans la relecture du tapis berbère, tout en l’associant au phénomène de retour à la tradition. Ils les métaphorisent selon l‘ordre dominant en les adaptant à ce nouveau registre. À un moindre usage, le processus d’uniformisation se retrouve dans l’accoutumance que les designers font de la culture populaire productrice de langage.

Ainsi, « les connaissances et symboliques imposées sont l’objet de manipulations par les pratiquants qui n’en sont pas les fabricateurs. » (DE CERTEAU, L'invention du quotidien: 1;

arts de faire, 1990, p. 54)

Cet usage illégitime du tissage traditionnel rappeler aux acheteurs potentiels la particularité et l’authenticité de la production locale. Dans ce cas, les designers exposent l’histoire d’une culture qui lui est inconnue. Il la narre afin de vendre son produit car son histoire est le signe de sa particularité, particularité recherchée par le consommateur et valorisée par le designer.

C’est pour cela que le tapis berbère est présenté comme étant le produit d’une tradition millénaire, dont la conception repose sur la transmission générationnelle de multiples savoir- faire, trace d'une mémoire collective.

La préservation du savoir-faire et de l’esthétique du tissage berbère n'est pourtant pas évidente

dans l'ensemble des régions tunisiennes. Bien au contraire, elle est souvent dénaturée,

défigurée par l’intervention d’artiste ou du designer. Nous pouvons dans ce cas citer

l’exemple de l’artiste et designer H’Midas WAHADA qui a collaboré avec l’office National

de l’artisanat de Gafsa pour redonner vie aux tapis locaux. Ce personnage emblématique du

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6 tissage tunisien intègre au tapis gafsi alors purement géométrique des formes anthropomorphes. Il transforme également les couleurs en faisant usage du principe des complémentaires.

Son intervention sur le tapis gafsi a complètement changé son image et l’a intégré sur la scène nationale comme internationale comme étant l’image de l’authentique tapis de Gafsa. Il le transforme même en emblème régional.

Cette situation dévoile le perpétuel conflit relationnel qui réside entre le tapis berbère destiné à la commercialisation et le tapis berbère originel et traditionnel.

CONCLUSION :

La nouvelle tendance de co-design engendre bien des changements. De la sorte, la réorganisation ancestrale du négoce a lentement évolué, donnant au designer un rôle actif dans la transformation des formes. De simple acteur, il est vite devenu le commanditaire du tapis, tentant d’orienter la production afin de satisfaire ses contraintes commerciales, contraintes transformant fondamentalement le tissage traditionnel berbère tant poétiquement qu’esthétiquement.

Ainsi il tente d’uniformiser la production de tapis et de l’adapter aux normes internationales.

Et dans sa quête de l‘acquéreur étranger, le designer présente le tapis berbère comme une preuve et trace des origines communes de l’Homme. En effet, certaines expériences ont démontré qu’en réorientant le patrimoine local, le designer pouvait extraire le tapis de son carcan passéiste et poussiéreux. À l’image du projet kolna Hirfa, il parvient à élaborer des stratégies adaptatives pour réinventer des procédures permettant au produit artisanat tunisien d’affronter les aléas du marché international.

Face à l‘obligation de satisfaire une collectivité d’entités disparates tant au niveau de leurs goûts que de leurs intérêts, le designer se voit impliquer dans la mutation du tapis berbère tunisien. C’est ainsi que le tissage berbère se voit subir une transformation au niveau de sa fonction symbolique substituée par une fonction pragmatique. Grâce à sa notion d’appartenance culturelle universelle et à son aspect folklorique, il se transforme en un objet purement esthétique et fonctionnel sans pour autant induire une once de spiritualité. Il perd totalement sa valeur symbolique et devient un produit associé aux marketings et à une stratégie commerciale. Ce programme relève d’une logistique étroitement associée au contexte industriel et urbanistique induisant une consommation de masse. Tout tissage de laine associé à des modes de vie modernes se retrouve uniformisé sous la pression des pratiques commerciales induites par les sociétés urbaines et industrielles apparues depuis la fin du XX

e

siècle. Cela a provoqué la mutation de l’objet artisanal unique et esthétique en un objet commun.

Un retour brutal aux traditions locales est alors observé, mais comme quelque chose qui est déjà étranger et qui sonne faux. Quelque chose qui est encore soi, mais déjà autre, apparaissant altéré dans les gestes de ces tisseuses rencontrées lords de visites organisées par Rania MECHERGUI. La poétique comme l’esthétique sont toutes deux bafouées. Ainsi, le graphisme qui lui est associé se transforme en un moyen de tisser un discours fonctionnaliste, aux tendances marketing. Un moyen de susciter un sentiment de beauté esthétique.

Il est donc possible de poser l’hypothèse que le perfectionnement des outils et leurs évolutions suite à la modernisation induisent une efficacité et une complexification du système symbolique. (LEROI-GOURHAN, 1964) Ce phénomène peut être assimilé à un processus d’harmonisation. Ce qui correspond à un passage du néant à l’absolu via en premier lieu une évolution physique succédé par des changements techniques et aboutissant à une transformation culturelle. L’art du tissage n’est pas une conséquence de cette harmonisation.

Elle n’est également pas perçue telle une superstructure de changements indépendante, mais

elle est un élément associé au processus de transformation et d’évolution.

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7 Néanmoins, le tapis tombe dans ce qui peut être assimilé à de la vulgarisation ou dégradation de la culture se dévoilant sous un aspect, partiel et caricaturé, de la revanche que les stratégies du pouvoir dominateur de production prennent sur les traditions vernaculaires. Ce phénomène en partie articulé par les designers nous mène à se poser la question suivante : Comment le design peut-il se réapproprier l’artisanat traditionnel et s’investir dans sa préservation sans pour autant l’altérer ?

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