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De l'hystérie à la révolte : l'observation médico-pédagogique des jeunes délinquantes en Belgique (1912-1965)

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Texte intégral

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Champ pénal/Penal field

Nouvelle revue internationale de criminologie

Vol. VIII | 2011 :

Le contrôle social des femmes violentes

Dossier

De l’hystérie à la révolte

L’observation médico-pédagogique des jeunes délinquantes en Belgique (1912-1965)

D AVID N IGET

Résumés

La violence féminine a longtemps été occultée dans les discours par les usages et les mésusages masculins de la force, associés à la virilité. Ces représentations s'avèrent particulièrement prégnantes s’agissant des jeunes : alors que la brutalité paraît être constitutive d’une masculinité en construction (et par là même normalisée), la violence des jeunes filles reste impensable, secrète, ou symptomatique de leur état pathologique.

Jusqu’à l'irruption des sciences du psychisme dans le champ judiciaire, les jeunes filles n’étaient que très rarement stigmatisées pour leur violence, ce qui atteste de leur difficile accès à l’espace public. L’entrée en scène des institutions d’ « observation médico-pédagogique » suscite une nouvelle perception de la violence féminine, qui s’incarne désormais dans la catégorie des « troubles du comportement ».

Le caractère très normatif de ces institutions stigmatisant le genre, l’âge et la classe sociale des jeunes placées sous la toise des experts de la personnalité laisse néanmoins s'échapper la voix des jeunes filles scrutées dans ces institutions, et ceci tant dans le registre de l’intime qu’à travers des stratégies de présentation de soi témoignant d'une volonté de reconnaissance sociale. Ces jeunes filles dont on pointe et suscite en même temps la violence au sein des institutions totales que sont les établissements d’observation, apparaissent comme des métaphores du changement social, signalant l’émancipation de la jeunesse dans les sociétés occidentales des années d’après-guerre.

Female violence has long been eclipsed in public discourses and representations by male misuse of force. This appears to be true especially in the case of youth behaviour:

whereas brutality in boys was constitutive of their rising manliness, violence in girls was supposed to be impossible, hidden or pathological. In accordance with their social status as subordinates belonging to the so-called “private sphere”, young women were not viewed as threatening social order. The rise of Child Guidance institutions in the juvenile justice system triggered a new perception of female violence. Violence on the part of girls was considered highly gender-specific; as such it entered the aetiology of

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deviant behaviour, under the category of “behaviour trouble”. Highly normative, gender, age and class-biased, the dossiers of the Belgian child guidance clinics in the fifties and sixties nevertheless allow the historian to hear the voice of the inmates, whose violence appear to be a testimony of the self, and even a desire for social recognition, at a time of changing status of youth and women in western societies.

Entrées d'index

Index de mots-clés : violence, genre, justice des mineurs, déviances juvéniles, expertise, psychiatrie, psychologie

Index by keyword : Juvenile justice, Youth Deviance, Expertise, Gender, Violence, Psychiatry, Psychology

Index géographique : Belgique Index chronologique : XXe siècle

Texte intégral

Appréhendée en 1949 après l’arrestation d’une bande de jeunes cambrioleurs, Juliette, 16 ans, est une « entôleuse ». Elle attire dans les ruelles sombres des hommes rencontrés en ville, pour les dépouiller de leurs biens en compagnie de ses complices. La brutalité de ces jeunes est décrite comme

« sauvage » par la presse qui relate l’événement ; un homme est « laissé pour mort sur le pavé ». Juliette, dont le comportement violent suscite l’émoi du juge des enfants de Bruxelles, est envoyée à Saint Servais, près de Namur, dans un Établissement d’observation de l’État. Là, sept mois durant, elle subit une expertise médico-pédagogique. Je n’ai de la charité que pour moi-même et pour ceux que j’aime, explique-t-elle froidement à l’éducatrice. Cette dernière reconnaît que Juliette « a eu une enfance malheureuse, connaissant la faim [et]

les coups », oubliant « dans la danse et les plaisirs, ses peines ». Victime de son milieu social, Juliette est diagnostiquée par le médecin-psychiatre et la psychologue comme « anti-sociale » et « paranoïaque », manifestant le

« besoin de rejeter toute autorité, de s’affirmer »1.

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Ce fait divers relève de phénomènes sociaux spécifiques à l’expérience de la violence chez les jeunes filles des classes populaires dans l’après-guerre : désaffiliation familiale et socialisation au sein d’un groupe de pairs, violences subies dans l’enfance, expérience corporelle de la séduction et de la violence des coups, confrontation avec les institutions de contrôle social et enfermement. En outre, il témoigne de la mise en forme d’un problème social par les discours médiatiques et experts : sauvagerie d’une violence non conforme à l’identité de genre (Davies, 1999), amoralité sexuelle, et, in fine, psychopathologie qui délégitiment l’affirmation identitaire de la jeune fille refusant la domination sociale et de genre dont elle est l’objet.

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En effet, la violence féminine a longtemps été occultée dans les discours par les usages masculins de la force, associés à la virilité. Ces représentations s'avèrent particulièrement prégnantes s’agissant des jeunes : alors que la brutalité paraît être constitutive d’une masculinité en construction et par là même normalisée (Grant, 2004) la violence des jeunes filles reste impensable, secrète, ou symptomatique de leur état pathologique. Jusqu’à l'irruption des sciences du psychisme dans le champ judiciaire, les jeunes filles n’étaient que très rarement appréhendées pour leur violence, ce qui atteste de leur difficile

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Comment la violence féminine juvénile est-elle réifiée et caractérisée par les technologies de l’expertise ? Est-elle catalysée par le dispositif institutionnel d’observation ?

Considérant que l’expression de cette violence relève de rapports de pouvoir, dans quelle mesure cette violence témoigne-t-elle des

résistances des jeunes filles envers l’autorité savante et institutionnelle ? accès à l’espace public (Odem, 1995).

Au début du XXe siècle, dans le sillage de la « défense sociale », nouvelle doctrine pénologique très influente en Belgique, la justice des mineurs fait appel aux sciences du psychisme pour prendre en charge la jeunesse à risque.

Introduisant un bouleversement complet de l’étiologie de la déviance, cette nouvelle approche préventive requalifie la notion de danger en dangerosité.

L’entrée en scène des institutions d’ « observation médico-pédagogique », chargées d’évaluer l’éducabilité des jeunes délinquants, suscite une nouvelle perception de la violence féminine, qui s’incarne désormais dans la catégorie des « troubles du comportement ».

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Cet article entend se pencher sur deux questions principales :

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L’étude des archives de l’institution publique d’observation de Saint-Servais près de Namur, révèle le caractère très normatif de ces institutions stigmatisant le genre et la classe sociale des jeunes placées sous la toise des experts de la personnalité. Les rapports médico-pédagogiques transmis au juge des enfants sont le résultat d’un travail de remise en ordre des notes d’observation, des résultats aux tests, de l’enquête sociale, des examens médicaux, mise en forme qui doit aussi faire sens au regard de l’histoire judiciaire souvent longue de la jeune fille sous observation. Cette mise en récit en dit autant de l’observé que de l’observant. Par la sélection, la troncature, l’interprétation de signes comme des symptômes, et enfin l’ordonnancement causal, fondé sur des techniques d’écriture narrative, l’expertise médico-pédagogique ne trahit pas seulement ses catégories de pensées, elle fabrique des cas (Tice, 1998). Cette démarche de prélèvement de l’information sur les biographies des jeunes est constitutive du savoir accumulatif des experts, savoir qui s’applique ensuite comme un pouvoir sur les jeunes (Foucault, 1994). Ce paradigme de la gouvernementalité, que Michel Foucault énonce comme la mise en forme des risques sociaux dans l’entreprise de conduite des conduites, éclaire d’un jour critique le rôle de l’expertise des sciences du psychisme dans les sociétés contemporaines (Foucault, 1980 ; Rose, 1999). Mais il convient également, pour l’historien, de déceler derrière ces cas, l’expérience sociale et la capacité d’action des jeunes filles insoumises, en s’appuyant sur les théories féministes et matérialistes, qui ont permis de penser les formes de résistance dans des contextes d’oppression de genre et de classe (Gordon, 1986).

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Cette étude porte sur l’expertise médico-pédagogique au sein de la justice des mineurs belge de 1912 à 1965, première séquence d’une législation de protection de la jeunesse qui consacre l’autonomie du juge des enfants dans le champ pénal, sans pour autant lui conférer d’attributions en matière de droit civil. Nous évoquerons la constitution d’un corpus doctrinal pénologique et scientifique redéfinissant la dangerosité féminine, qui donne naissance à la pratique de l’observation médico-pédagogique dans l’entre-deux-guerres, entre médicalisation de la délinquance juvénile et persistance d’une morale disciplinaire. Après-guerre, l’avènement de la psychologie place la

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Méthodologie

Ce travail repose sur l’exploitation des archives de l’Institution publique de protection de la jeunesse (IPPJ) de Saint–Servais2, unique institution publique belge à procéder, sur la période étudiée (1912-1965), à l’observation médico-pédagogique des mineures de justice. Outre les documents administratifs généraux (rapports annuels, états statistiques de la population…), ainsi que la documentation relative à la

méthodologie des tests psychométriques, nous avons exploité les registres d’entrée et de sortie, ainsi que les dossiers individuels d’observation. Ces derniers sont des documents complexes et relativement volumineux, comportant à la fois des documents relatifs à l’enquête judiciaire - qui inclut une enquête sociale -, des documents concernant les placements institutionnels successifs des mineures, puis les documents propres à l’observation : tests, questionnaires, examens médicaux, comptes rendus d’entretiens avec le personnel, notes des éducatrices, correspondance personnelle des mineures saisie ou transcrite par les soins de l’institution, et enfin, pièce maîtresse de synthèse, le(s) rapport(s) d’observation transmis au juge des enfants.

Notre échantillon qualitatif est constitué de l’ensemble des dossiers de jeunes filles nées en 1933 - les plus anciens conservés - et 1938, soit environ 3 mètres linéaires d’archives. Ces dossiers concernent des jeunes filles âgées de 12 à 21 ans, dont les années de séjour dans l’institution s’étalent de 1945 à 1959. Enfin, sont conservés dans les archives de Saint-Servais les mémoires de travail social des éducatrices de l’institution, qui représentent un observatoire de premier ordre pour analyser l’articulation entre pratiques de terrain et outillage conceptuel issu des sciences sociales, psychologiques et médico-psychiatriques mobilisé par les intervenant(e)s.

La dangerosité féminine au prisme d’une nouvelle rationalité socio- pénale

compréhension et la constitution du sujet au cœur de son entreprise, suscitant des résistances à cette technologie du soi (Burchell, 1996) chez les jeunes filles, entre violence manifeste et fureur intérieure. Si l’étiologie de l’expertise persiste à identifier dans la sexualité et la corporéité la source des pathologies, l’intelligence et les dispositions psychiques deviennent également déterminantes. La violence est aussi décrite comme un symptôme social, selon un nouvel agencement entre hérédité et environnement. Enfin, la révolution psychopharmacologique de la fin des années cinquante suscite un retour à la régulation médicale des comportements déviants.

La fin du XIXe et le début du XXe siècle est une période marquée par le développement de nouvelles disciplines scientifiques étudiant l’individu criminel : l’anthropologie criminelle et la criminologie, provoquant une véritable révolution pénale. Après avoir été longtemps écartée de la rationalité pénale, l’enfance devient alors un paradigme de ces nouvelles politiques, lesquelles se veulent de plus en plus « préventives » en investissant les ressorts de la socialité. En Belgique, ce mouvement de socialisation du droit est incarné par la doctrine de la défense sociale (Prins, 1910). Selon cette approche, la jeunesse délinquante et l’enfance en danger apparaissent comme des catégories

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Le jeune prévenu sera observé (...) à tous les instants de sa vie

journalière, et à son insu, en classe, au réfectoire, au travail, au jeu, au dortoir, explique le juge des enfants de Bruxelles4. Cette technique d’analyse puise dans la méthodologie des sciences naturelles, à l’instar de la médecine clinique depuis le XVIIIe siècle, consacrant ainsi la

souveraineté du regard (Foucault, 1963 ; Richardson, 1989). Mais contrairement au regard neutre du naturaliste, l’observation médico- pédagogique traque le déviant, l’irrégulier, selon une démarche calculatrice ne visant pas seulement à la description mais aussi à la conjecture sur le devenir de l’enfant.

Comme en sciences naturelles, à l’observation succède l’expérimentation.

Au regard global sur l’individu se superposent, au début du XXe siècle, des techniques d’identification et de mesure sérielles, déclinant ce regard selon des tests psycho-techniques pointus visant à mesurer les étapes du développement et à les référer à une norme. La première version de l’« échelle métrique de l'intelligence » paraît en 1905, et sera remaniée tout au long du siècle par de nombreux psychologues et pédagogues

jumelles, car la responsabilité pénale s’estompe devant la nécessité de gouvernement des risques sociaux (Ewald, 1986). De ce fait, la loi belge du 15 mai 1912 efface la distinction ancienne entre enfant victime et enfant coupable, au profit d’une évaluation de la dangerosité des situations sociales et d’un diagnostic individuel sur l’éducabilité de l’enfant. Conjuguée aux politiques sociales en plein essor d’une part et aux progrès des sciences de l’enfant3 d’autre part, la loi énonce des principes d’intervention nouveaux : elle impose l’étude préalable du milieu et de la personnalité du mineur, à l’aide de l’enquête sociale et éventuellement de l’examen médico-psychologique, de manière à établir un diagnostic, mais aussi un pronostic au sujet de l’enfant.

Cette attention portée par la doctrine de la défense sociale à l’individu plus qu’aux faits commis comporte explicitement une dimension prophylactique, et par là même, prophétique : il s’agit non plus de se prémunir contre un danger objectif, mais bien contre la dangerosité d’un individu, cette dernière était inscrite dans l’hérédité ou le milieu du mineur déviant. La notion même de violence est affectée par ce nouveau gouvernement du risque (Cauchie, Chantraine, 2006), et ce de trois manières. Tout d’abord, dans sa temporalité : la violence réside désormais beaucoup plus dans la menace que dans la matérialité de ses occurrences. Ensuite, dans sa généalogie : la violence ne relève plus du comportement individuel, mais est endogame, voire atavique.

Enfin, dans sa définition même : la violence ne se définit plus seulement par son intensité, mais par le statut de son auteur : précocité, répétition, perversité ; peu importe si les faits reprochés sont tout à faits mineurs.

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Déplaçant le regard de l’espace public vers la sphère privée, la figure de l’enfant incorrigible remplace celle de l’émeutier (Niget, 2008). En outre, la dimension prophylactique de la défense sociale, son attention portée à l’individu, l’investissement des ressorts de l’institution familiale, la volonté d’agir sur le corps social et sur les générations affectent la définition genrée de la délinquance et de la violence. Les jeunes filles sont désormais sous l’œil de la justice et de ses experts ; leur incorrigibilité, si elle reste nimbée du soupçon sexuel, se teinte aussi d’insoumission et de rébellion. In fine, leur statut de future mère, et bientôt de nouvelle citoyenne, invite les élites à discipliner leur comportement (Rose, 1998).

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Outil de la défense sociale, l’approche médico-pédagogique s’incarne alors dans la pratique de l’ « observation » et de l’expérimentation scientifique.

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(Ohayon, Carroy, Plas, 2006 ; Pâquet, Boivin, 2007). L’enfant apparaît comme une cible privilégiée de cette démarche. Cet être encore vierge offre à la science du comportement un terrain d’expérimentation fascinant, jugé suffisamment naïf pour rester transparent face au regard de l’expert. L’enfant est aussi une chair malléable qu’un traitement médico-social approprié pourrait encore ramener à la rectitude. Les résistances à ce dévoilement, manifesté notamment par les

adolescent(e)s plus âgé(e)s, sont interprétées comme de l’insoumission plus que comme un échec méthodologique des techniques d’observation (Tanenhaus, 2004, 130).

Depuis la fin du XIXe siècle, les sciences de l’enfant et de l’adolescent sont en plein essor. A la suite des travaux fondateurs d’Alfred Binet en France ou d’Edouard Claparède en Suisse, Ovide Decroly ouvre à Bruxelles des classes spéciales pour enfants « anormaux », véritable modèle européen. Il étend ensuite son expertise aux enfants de justice (Ruchat, 2003). La Belgique occupe alors une position d’interface entre influences francophones et anglophones dans le champ, en cours de renouvellement, de l’expertise sur l’enfance « irrégulière » (Vervaeck, 1936).

Entre science et morale : violence institutionnelle et incorporation disciplinaire

Si, dans le sillage de l’américain William Healy, plusieurs de ces travaux font état d’une approche beaucoup plus compréhensive de la délinquance juvénile, les études spécialisées sur la délinquance féminine font encore preuve d’un grand déterminisme (Cox, 2002 ; Lunbeck, 1995). Les études, influentes en Belgique et en France, de Sheldon et Eleanor Glueck, qui publient en 1934, Five Hundred Delinquent Women et One Thousand Juvenile Delinquents, témoignent certes d’une volonté de sophistication méthodologique, mais révèlent néanmoins un discours fortement genré et stigmatisant à l’égard des jeunes filles. Considérées comme novatrices, ces études très empiriques, présentant un vaste corpus de données collectées dans les prisons et écoles de réforme du Massachussetts, entendent donner une base statistique à la démarche de prédiction du récidivisme et du meilleur traitement, selon des méthodes actuarielles (Glueck, Glueck, 1934a, 241). Malgré ces préventions méthodologiques, les jeunes femmes y sont présentées comme socialement dangereuses, [with] early signs of such antisocial traits of character and behaviour (Glueck, Glueck, 1934a, 86).

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Ainsi, la convergence d’une nouvelle rationalité pénale, celle de la défense sociale, et des sciences de l’enfant donne naissance à un nouveau champ d’intervention, à la jonction du pénal et du social, qui contribue à redéfinir les cibles mêmes de l’intervention judiciaire : les comportements violents, même anodins, et les jeunes filles, qui ne bénéficient plus de la traditionnelle indulgence judiciaire. La part des filles traduites en justice est en effet plus importante que celle les femmes devant les tribunaux correctionnels, et les mesures judiciaires sont plus sévères pour les filles que pour les garçons, avec un recours plus fréquent au placement en institution (François, 2008b, 23-24, 56-61 ; Myers, 2006).

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Ratio entre le nombre de mises en observation et le nombre de mineur(e)s jugé(e)s (établissements publics et privés).

Sous cette influence, la pratique de l’observation médicale et psychiatrique des jeunes délinquants est précoce en Belgique. Le Règlement des écoles de bienfaisance de 1909 introduit cet examen, qui est repris dans la loi de protection de l’enfance de 19125. Les établissements publics d’observation de Mol, créé pour les garçons en 1913, et de Saint-Servais, dédié aux filles à sa création en 1919, sont spécialement bâtis à cette fin, et deviennent très vite des modèles européens, accueillant de nombreux visiteurs étrangers. Les institutions privées ne tardent pas à venir épauler les établissements publics et s’intéressent plus particulièrement à la prise en charge des filles.

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En effet, la question de l’indiscipline prend une part de plus en plus importante dans l’activité du juge des enfants, lequel est plus souvent saisi, en ce qui concerne les filles, par les parents eux-mêmes (De Koster, 2003, 100).

Dès lors, l’envoi temporaire dans ce type d’institution offrant un répit à la fois à la famille et au juge, apparaît d’une part comme une mesure d’évaluation individuelle et d’autre part comme une sanction. Il s’agit tout autant de mesurer l’éducabilité de la jeune prévenue que de la soumettre à une discipline institutionnelle, afin de neutraliser la révolte qu’elle a manifestée à l’égard de l’ordre familial. Mais l’observation devient aussi un outil de gestion des filières institutionnelles (on parle de « triage »). Lorsque le retour en famille est jugé inapproprié, il existe une gradation informelle entre institutions privées et publiques, selon la dangerosité supposée des jeunes délinquantes. Si les jeunes filles bien disposées peuvent être confiées aux Bon Pasteurs, voire aux

« homes » familiaux6, les plus récalcitrantes sont soit maintenues à Saint- Servais, qui comporte une École d’éducation de l’État, soit transférées à Bruges, qui ouvre une section disciplinaire en 1922 (Massin, 2009).

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Au sein de la justice des mineurs, cette pratique de l’observation n’est pas marginale : à partir des années 1920 et jusqu’en 1965, date de la refonte de la législation, le nombre de jeunes filles envoyées en observation chaque année oscille entre 150 et 200 pour la seule institution publique de Saint-Servais, et de 300 à 600 si l’on inclut les institutions privées, ce qui représente, après une phase de mise en place des institutions dans les années 1920, de 40 à 60 % du nombre de jugements annuels prononcés à l’égard des filles. Ce ratio faiblit au début des années 1960, en raison de l’augmentation rapide du nombre de jugements rendus par la justice des mineurs, qui fait désormais appel à des consultations de jour. Même si toutes les jeunes filles n’entrent pas en observation du fait d’une décision du juge, mais également à la demande de l’administration qui y est contrainte à chaque transfert institutionnel, il est intéressant de constater que le rapport du nombre de filles observées sur celui des filles jugées est plus important que pour les garçons. Si la justice intervient moins fréquemment à leur égard, puisque la part de filles signalées au Parquet entre 1913 et 1965 oscille entre 20 et 35% des affaires (François, 2008b, 23-24), l’expertise est en revanche plus souvent sollicitée dans le cas des filles. Leurs comportements déviants présentent plus fréquemment des symptômes psychiques aux yeux des intervenants.

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Source : Statistique judiciaire de la Belgique (1913-1965). Tableau « Mouvement de la population dans les établissements d’observation ».

La première époque de l’observation à Saint-Servais est marquée par une médicalisation croissante des pratiques éducatives à l’égard des jeunes filles

« irrégulières », une évaluation des acquis scolaires et le maintien d’une appréciation morale des comportements. On y refuse la technicité des tests psychotechniques, au contraire de certaines institutions privées7. Au regard des innovations scientifiques réservées aux garçons dans l’établissement de Mol, où l’on met en œuvre très tôt nombre de techniques de tests et d’entretiens (Rouvroy, 1921 ; De Koster, 2007), l’observation médico-pédagogique des filles semble confinée à une approche médicale symptomatologique, à une évaluation de leurs qualités de ménagère instruite et à une « comptabilité morale » issue de la culture carcérale du XIXe siècle. Cette approche est conforme à l’idée selon laquelle la cause originelle des déviances féminines réside dans l’amoralité. Elle témoigne aussi de la place moins grande de l’orientation professionnelle dans la rééducation féminine, au contraire des garçons dont on teste les aptitudes de manière à les affecter à l’activité la mieux adaptée, selon les canons de l’utilitarisme social qui régit alors le système.

L’absence de professionnalisation spécifique du personnel est aussi la cause de cette persistance de la morale au détriment de l’expertise. En dehors du médecin-psychiatre et des religieuses chefs de pavillon qui disposent du diplôme normal de l’enseignement moyen (Vervaeck, 1936, 903), les religieuses en charge de la surveillance des mineures ne bénéficient que d’une expérience de terrain, alors même que les premières écoles de travail social ouvrent dans les années 1920.

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Le rapport de force entre jeunes détenues et personnel est alors très frontal, selon une tradition toute carcérale dont l’ordre des religieuses est coutumier. Il s’agit de l’ordre des Sœurs de la Providence de Champion, qui, depuis 1837, a la charge de la prison pour femmes de Namur, à laquelle est annexé en 1864 un quartier spécial pour les jeunes délinquantes. Mme Baeckelmans, en religion Sœur Berchmans de Saint-Louis, est directrice de l’Établissement d’éducation de l’État de 1932 à 1946, date à laquelle les Sœurs de la Providence sont remplacées par les Filles de la Croix de Liège, ordre enseignant (Dupont- Bouchat, 2005, 248). Dans le rapport annuel de 1933, la directrice signale que

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Relever ces pauvres natures, en faire des êtres utiles à la famille, à la société et à la patrie, tel est le but que poursuivent les éducatrices attachées à notre établissement. Celui-ci N’EST DONC PAS, comme d’aucuns le croient encore aujourd’hui, ni un bagne, ni une prison où l’on vise premièrement à punir, où est établi le règne par la crainte et le châtiment.

NOUS USONS DE PÉNITENCES, quand la nécessité nous y oblige. Qui pourrait s’étonner qu’il faille guerroyer pour réformer la sauvageonne des grandes routes…, l’abandonnée des boulevards et des dancings…, l’indisciplinée indomptable que des mains malhabiles (…) ont profondément déformée.

« Le travail éducatif à tous les points de vue (hygiène morale, hygiène physique) se poursuit sans relâche (…) et si nous n’obtenons pas toujours les résultats obtenus, c’est parce que la plupart des enfants qui nous sont nombre de détenues ont un caractère grossier, [sont] intraitables et sont difficiles à dresser et restent une cause de désordre pour l’entourage. Malgré tout, un système pavillonnaire permettant une individualisation des régimes et la séparation des clans, allié à l’environnement champêtre, sont perçus comme des progrès par rapport à l’architecture carcérale de l’ancienne maison de Namur : « les scènes de vandalisme se raréfient d’année en année, il semble que cette accalmie est due au travail mouvementé en plein air, et dans un cadre reposant »8.

Les promoteurs de l’approche médico-pédagogique ont la conviction de réserver un meilleur sort aux jeunes filles, aussi bien sur le plan du traitement matériel que curatif, mais la presse est loin d’être aussi enthousiaste, dénonçant la discipline de fer qui règne dans la maison9. La directrice s’en justifie auprès de l’administration dans son rapport de 1937, empreint d’une conception très conservatrice du rôle des femmes dans la société :

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Cependant, poursuit la directrice, il ne s’agit pas de faire la paix avec le vice, et les sanctions sévères s’imposent aux jeunes filles dévoyées par la civilisation urbaine :

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Aussi, « toute la gamme des sanctions » est-elle utilisée, « jusqu’au simulacre de douche froide », pratique réservée aux filles10, à l’exclusion du fouet,

« système abrutissant les sujets ayant dépassé l’enfance »11. À la violence illégitime des jeunes filles, rétives à l’ordre régnant à Saint-Servais est imposé, selon la directrice, une violence légitime mesurée, pédagogie noire jugée nécessaire face à des êtres mus par leurs passions et non pas la raison.

L’hygiénisme et les pratiques de thérapie psychiatriques viennent alors relégitimer la pratique du châtiment corporel12 (quand bien même le corps n’est plus touché dans sa chair), conférant à la discipline de l’institution un caractère répressif.

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La seule véritable étiologie scientifique de la violence présente dans les discours des intervenants des années trente est d’ordre médical. Le poids des thèses héréditaristes sur la dégénérescence est persistant depuis la fin du XIXe siècle. Ces théories néo-lamarkiennes évolutionnistes, dont Morel avait posé le principal jalon, ont pour conséquence de lier biologie et morale, le « milieu » favorisant le vice13. Dans cette veine, le médecin-psychiatre de Saint-Servais déplore en 1938 les difficultés rencontrées dans la mission d’éducation des jeunes filles :

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confiées présentent des troubles du caractère, des tendances morbides et un déséquilibre, dus souvent à des tares héréditaires très lourdes »14.

L’avènement de la psychologie :

entre assujettissement et résistance

S’ajoutent à cette matrice héréditariste des considérations médicales sur les troubles hormonaux et les maladies nerveuses, promues par les neuropsychiatres comme le français Jacques Roubinovitch, et qui rencontrent un grand succès dans l’entre-deux-guerres (Roubinovitch, 1924 ; Bakker, 2010). Pour le médecin de l’institution, les « troubles glandulaires », dont l’hyperthyroïdie notamment, provoquent des « troubles nerveux » : les glandes influencent non seulement la vie végétative de l’individu, mais de nombreux types de déviations intellectuelles ou morales, explique-t-il. En résulte une instabilité psychique : l’émotivité est exagérée, ainsi que l’irritabilité, l’impressionnabilité [et] l’agitation fréquente15. La force de persuasion de ce discours des médecins experts réside dans sa capacité à associer biologie et biographie via l’hérédité pour expliquer les causes des déviations morales. Et s’il en résulte un véritable déterminisme social qui confine au fatalisme, la jonction avec les thèses eugénistes permet alors d’envisager la régénération des dégénérés par l’immersion dans un milieu sain (Nys, De Smaele, Tollebeek, Wils, 2002). Les jeunes filles, jugées plus perméables que les garçons aux influences d’un milieu malsain, apparaissent alors comme des sujets que l’institution peut sauver en les cloîtrant.

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Ainsi, personnel religieux et médical jettent, de concert, un regard stigmatisant, extrêmement genré, sur les jeunes filles dont ils ont la charge.

Malgré un apparat scientifique et technique lui procurant une légitimité nouvelle, l’expertise ne rejette pas la morale ; mieux, elle s’en nourrit. À certains égards, l’expertise scientifique permet de réactualiser sous un apparat neutre la régulation morale issue du XIXe siècle, marquée par une hégémonie de classe, de genre et de race, au sein de sociétés de plus en plus pluriculturelles et démocratiques (Valverde, 1995, 21 ; François, Niget, 2011).

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Après la Seconde Guerre mondiale s’amorce une période de rupture institutionnelle dans le domaine de la protection de l’enfance en Belgique.

Parmi les griefs adressés au système né avant la guerre de 1914, on invoque la nécessité d'assurer la professionnalisation des intervenants sociaux (François, 2008a). Cette évolution est sensible dans les institutions d’observation, et à Saint-Servais en particulier, avec l’entrée en scène de personnels laïcs diplômés rejoignant les éducatrices religieuses au sein de l’institution.

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La nouvelle directrice de l’observation est titulaire d’un doctorat en pédagogie, obtenu en 1934 à l’Université de Louvain, qui porte sur l’étude du« caractère » au sein d’un groupe d’adolescentes envoyées par le juge des enfants dans une institution pour débiles mentales (Veys, 1934). Elle institue pour les filles de véritables tests : QI, aptitudes pratiques, examen « psycho- neurotiques » mais aussi tests projectifs incitant l’élève à s’extérioriser. Elle introduit également des méthodes psychologiques : entretiens, observations in vivo, suivi clinique.

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En effet, ces années d’après-guerre voient éclore, dans les pays occidentaux,

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Très indépendante, la mineure éprouve une réelle difficulté à se plier à un règlement. [Elle] n’admet pas le principe du self-government et saperait facilement la part d’autorité des responsables.

la psychologie de l’enfant et de l’adolescent. Le déterminisme biologique de la première psychiatrie infantile est progressivement recouvert, pour former une étiologie hybride de la déviance, centrée sur un psychisme individuel modelé tant par la physiologie que par la psychologie. Si la psychanalyse freudienne reste longtemps à la porte des institutions de rééducation, ses méthodes reposant sur l’interprétation des représentations mentales entrent dans le répertoire des nouveaux experts (Bantigny, 2004). La psychologie apporte une possibilité nouvelle d’appréhender l’individu délinquant dans sa totalité, à travers l’étude de la « personnalité ». Pour une éducatrice citant le Dr William Healy, figure tutélaire de la psychologie infantile16, il s’agit ainsi de connaître l’enfant tout entier dans la situation toute entière (Van Loo, 1951, 103). Aussi, dans les archives, « l’histoire de vie », racontée par la jeune fille elle-même, occupe une place importante dans l’appréciation du caractère. Cette histoire de vie est pratiquée de deux manières à Saint-Servais : non directive, on invite la jeune fille à se raconter par écrit lors de ses premiers jours de résidence, et dirigée, grâce au questionnaire Woodworth-Mathews révisé par le Dr Heuyer (Pirard, 1949, 46-49).

Les institutions correctives adoptent, après-guerre, des objectifs de responsabilisation des jeunes délinquants, délaissant le fatalisme social hérité du XIXe siècle. Les cadres de l’institution proclament l’avènement du self government, qui est basé sur la spontanéité des enfants et sur une réduction efficace de l’autorité de l’éducatrice (Martino, 1955, 17). Grâce à cette

« abdication volontaire » de l’institution, inspirée de la pédagogie du philosophe allemand F.W. Foerster (Foerster, 1909), l’enfant apprend peu à peu à se gouverner lui-même, à se commander. Moins dirigiste, l’observation veut d’une part susciter la prise en charge individuelle et collective des jeunes délinquantes, mais doit, d’autre part, déterminer quel est leur degré d’autonomie, en tant que citoyennes et bonnes mères de famille. Les éducatrices évoquent ainsi la nécessaire éducation à la liberté, la formation professionnelle poussée, ainsi que le souci constant de préparer, de façon réaliste, nos jeunes filles à la vie telle qu’elle la retrouveront plus tard (Cheza, 1952, 21).

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C’est la raison pour laquelle l’orientation professionnelle et les loisirs, marqueurs de la socialité, sont pris en considération au sein même de l’institution, préparant à la vie libre. Trouver les conditions de son effacement plutôt qu’enserrer les jeunes dans ses hauts murs, voici la nouvelle posture de la rééducation, mais ce, à condition que les jeunes filles manifestent un comportement responsable (Wills, 2005). Dès lors, l’indiscipline n’est plus seulement perçue comme un manquement à la règle communautaire, mais comme un déni de soi-même. Certaines jeunes filles manifestent d’ailleurs la plus grande méfiance à l’égard de ce mouvement néo-disciplinaire :

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Signe du changement, on recommande son placement dans une institution plus souple, un « home »17. Dans les institutions, les jeunes filles résistent à ce principe de la responsabilisation par la création de codes propres, norme alternative qui allie à la fois des règles de la sociabilité juvénile « du dehors » (regroupement par âge et dispositions socio-culturelles, ici notamment

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Éclats de violence et fureur rentrée : au-delà du visible

wallonnes et flamandes), et des pratiques propres à la promiscuité de l’enfermement, qui aiguise le caïdat et les stratégies de protection (Myers, Sangster, 2001, 677).

Outre le fait que cette injonction à l’autonomie puisse sembler contradictoire pour des populations parfois fragilisées, l’évolution de l’expertise médico- psychologique vient aussi contredire la volonté affichée de responsabilisation.

En effet, le recours de plus en plus systématique aux « techniques projectives », dont le test de Rorschach est l’emblème, contribue à déresponsabiliser l’individu, dont le comportement est interprété comme le fruit de déséquilibres émotionnels profonds. La parole, et par là même, le libre-arbitre des individus deviennent sujets à caution, car ce n’est plus la volonté et la responsabilité qui comptent dans l’évaluation, mais les méandres du subconscient qui agissent, à couvert, dans le psychisme des jeunes. Ainsi, responsabilisation rime avec subjectivation à Saint-Servais, où les jeunes internes sont conviées à contrôler leurs affects et à planifier leurs projets de réinsertion, mais continuent de buter sur ce savoir expert opaque, qui les place en position de subordination et d’insécurité au sein de l’institution. Ces mutations disciplinaires ne consacrent pas la fin des violences institutionnelles, lesquelles glissent vers un registre plus symbolique censé garantir un ordre d’autant plus ferme qu’il est intériorisé par les détenues.

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Ces dernières, souvent, refusent cette ruse du pouvoir des experts, et manifestent sous différentes formes, des résistances à son égard. « Ghislaine crie facilement à l’injustice ; elle connaît les obligations et les devoirs de l’autorité et entend que celle-ci les observe… ». Refusant sa privation de liberté, la jeune fille entend retourner chez les siens pour se marier18. Face au jugement moral dont elles sont victimes, certaines affirment leur liberté de choisir leur style de vie : je marche la tête haute, on n’a rien à me reprocher, clame Camille, décrite comme un « caractère violent et colérique, allant jusqu’aux coups et menaces ». Si vous avez le droit de me dire ce que vous pensez, moi aussi je vous dirai ce que je pense de vous, se défend-elle19. Nombreuses sont les jeunes filles décrites comme très méfiantes à l’égard des tests qu’on leur fait subir. Ainsi, d’une jeune indisciplinée décrite comme « tyrannique », le rapport indique que « le test caractériel de Woodworth auquel l’élève a été soumise est sujet à caution tant elle s’y est prêtée de mauvaise grâce ; après plusieurs essais, elle refuse de répondre de crainte de livrer sa pensée »20. Contrairement à l’image de jeunes victimes de leur milieu qu’une prise en charge institutionnelle pourrait remodeler, les jeunes insoumises opposent des gestes et parfois des discours de résistance qui, intervenant dans un contexte normatif hégémonique, signalent néanmoins leur capacité d’action face à un système judiciaire et expertal discriminatoire (Lunbeck, 1987).

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L’écrasante majorité des filles envoyées en observation à Saint-Servais est initialement traduite en justice soit pour des affaires de mœurs, soit pour vol.

La sexualité irrégulière occupe une place fondamentale dans la définition de la déviance féminine (Blanchard, 2008 ; Niget, 2010). Cependant, à travers la

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« est une jeune fille très récalcitrante, insoumise, qui croit s’affirmer en brisant. [elle] reste toujours aussi vindicative et irascible, elle injurie tout le personnel. (...) c’est une forte tête, prompte à la critique, à la

révolte»21.

« est extrêmement gentille, prévenante, présentant certaines qualités d’adaptation formelle, quoiqu’on constate cependant que dès qu’elle se fâche, réagit, ou d’après les conversations qu’elle tient à ses compagnes,

figure de l’hystérique, la justice s’appuie depuis longtemps sur la médecine pour lier sexualité irrégulière et comportement violent. L’expertise déployée par les psychiatres et les psychologues approfondit cette question et contribue à dévoiler l’agressivité, ouverte ou latente, des jeunes filles sous observation.

Mais de la figure marginale de l’hystérique à la question centrale des « troubles du caractère », catégorie forgée par les sciences du psychisme, l’expertise contribue à objectiver la violence féminine en la généralisant à une population beaucoup plus étendue.

Les dossiers d’observation pointent fréquemment la très grande agressivité des filles placées en institution. Les scènes de fureur sont légion : assiettes brisées, travaux d’aiguille déchirés, fenêtres qui volent en éclats, insultes entre élèves et « révolte » contre le personnel, épisodes de claustration dans les chambres, et fugues fréquentes… (Alexander, 1995, chap. 3). Dans tous les cas, les épisodes violents sont interprétés à l’aune du caractère des jeunes filles.

Ainsi, Marie

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De la même manière, Éliane « s’affirme de façon brutale » ; « quand elle se sent vaincue, elle crie, trépigne, pleure, brise meubles et portes et ameute les alentours de véritables hurlements »22. Cette insoumission individuelle cherche fréquemment à susciter la rébellion collective : « Elle nargue l’autorité, dit-on de Margaux, chante, essaye d’obtenir l’approbation de ses compagnes », se glisse dans l’embrasure de sa fenêtre et « se promène alors sur la toiture de la loggia »23. Même chose de la part d’Andrée, qui « exerce une influence néfaste sur [ses compagnes] par son esprit critique et pessimiste et les excite à l’indiscipline et à la révolte »24.

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On note cependant la rareté des rébellions, dont on peut penser néanmoins qu’elles sont estompées dans les archives. En outre, la vindicte collective est neutralisée par les techniques de responsabilisation des élèves. À partir de 1954, l’institution met en place les « clubs », groupes formés par affinité, chargés de favoriser le développement d’amitiés saines (Martino, 1955, 23-28).

En réalité, il s’agit surtout d’un système de responsabilité collective, car le comportement répréhensible d’une vaut sanction pour toutes. Plus encore, le club est une première instance disciplinaire, puisque ses membres réunis sont sommés d’infliger des sanctions à celle des leurs qui a semé le trouble. Sous couvert de méthodes libérales, l’institutionnalisation du caïdat apparaît comme un puissant levier de pacification, mais s’avère également devenir un facteur de ségrégation pour les jeunes insoumises qui, en plus de subir le discrédit de l’institution, endurent le contrôle et la stigmatisation de leurs paires.

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À côté des éclats manifestes, la violence féminine est décrite par les éducatrices comme latente, souterraine, surgissant inopinément, ce qui en accentue le caractère pathologique. Cela est parfois associé à un défaut de parole que l’on souhaite compenser selon l’idée que le verbe apaise le geste25. Les causes en sont aussi les névroses ; ainsi, Léonie

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qu’elle médite et organise délibérément du négativisme (…), attitude oppositionnelle névrotique » qui la pousse à planifier des évasions, nouer des « amitiés particulières », et « exciter les esprits »26.

Étiologies sexualisées

Il peut enfin s’agir, aux yeux du personnel de Saint-Servais, de perversions se manifestant de manière insidieuse : « Extérieurement soumise et disciplinée, Georgette est trop lâche pour manquer ouvertement à l’autorité ». Le test de personnalité de Woodworth décèle en elle une « tendance perverse » : « la mineure reconnaît avoir du plaisir à faire souffrir. C’est dans l’expression de sa physionomie, lorsqu’elle est mécontente, qu’il est permis de constater cette tendance ; elle ne s’est pas encore révélée autrement »27. Latente, en ferment, la violence est mise à jour par le regard psychotechnique.

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Signe caractéristique et fortement genré de la description de la violence féminine, cette agressivité est souvent accompagnée d’une tendance à l’autopunition, révélée par les techniques projectives des tests psychologiques.

La réversibilité de la violence féminine est un sujet de préoccupation pour les intervenants : contrairement aux garçons qui agissent sur leur environnement, on pense que les filles, par inhibition excessive, sont susceptibles de retourner la violence contre elles-mêmes. Jugé pathologique, ce comportement peut aussi être interprété par l’historien comme un geste de résistance (Myers, Sangster, 2001, 676). Le suicide apparaît en filigrane dans plusieurs dossiers, sans qu’il soit toujours aisé de mesurer à quel point cette menace est le signe du désespoir ou une bravade : ainsi ces jeunes filles de menacer de se jeter par la fenêtre, ou de se poignarder en public28. De fait, rien ne distingue nettement le statut de victime de celui d’auteur de violences dans le regard porté sur les filles, lesquelles semblent agies par la violence de leurs émotions. Cette représentation de la violence féminine recoupe les discours profanes, selon lesquels la violence, agie ou subie, dénature les femmes, les corrompt. Les rapports d’observation signalent ces tendances « hystéroïdes [provoquant des]

variations de l’humeur (…) fréquentes [et] imprévisibles »29. Cette imprévisibilité est une menace pour l’institution, qui commence néanmoins, dans les années cinquante, à tenir compte des effets néfastes de l’enfermement sur le psychisme des jeunes (Cheza, 1952, 24-25), et à proposer, dans certains cas, des placements en semi-liberté pour desserrer l’étau : « un long internement ne paraît pas convenir à ce tempérament et amènerait, il faut le craindre, des réactions très violentes », est-il précisé dans le cas de Jenneke30.

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Au-delà de la discipline quotidienne, les experts de l’institution, le médecin- psychiatre, la pédagogue-psychologue dirigeant la section d’observation, ainsi que certaines assistantes sociales diplômées en psychologie, posent un diagnostic plus précis sur ces cas de violence. L’approche médicale ne semble pas se renouveler depuis l’entre-deux-guerres, et lie l’origine de certaines violences féminines à un trouble d’origine sexuelle : l’ « éréthisme » est fréquemment invoqué, décrivant « une excitation anormale » des organes sexuels influençant l’ensemble du comportement. Chez Ghislaine, cet

« éréthisme » s’accompagne d’une « nervosité générale » et « d’importantes irrégularités ovariennes », qui sont traitées, dès son arrivée, par des

« endocrines, sédatifs, [et du] repos »31. Le terme d’hystérie, très protéiforme,

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Les ‘existos’ (…) sont déjà périmés, explique en 1955 une éducatrice, mais l’action néfaste des Gide, des Sartre, des Simone de Beauvoir n’est pas pour autant stérilisée. (…) Une seule chose compte : la jouissance immédiate. (…) Nos jeunes filles sont toutes plus ou moins atteintes par cette vague de pessimisme et de sombre indépendance (Martino, 1955, 36-37).

« l’extérieur révèle une enfant beaucoup trop avancée pour son âge, elle n’a que 14 ans… Son maintien, sa coiffure, sa façon de parler dénote que le vice auquel elle s’est livrée, l’a vieillie non seulement au point de vue physique, mais a détruit chez elle bien des charmes que devrait avoir encore une enfant de son âge »34.

est encore utilisé dans les années 1950 et 1960 pour décrire les « crises de nerfs » des jeunes filles32. Est ainsi réactualisé, à travers une étiologie qui associe depuis le XIXe siècle causes cérébrales et origines « génésiques » de la pathologie dont le caractère est héréditaire, un lien entre féminité et troubles du comportement qui postule une infériorité constitutionnelle du corps féminin (Edelman, 2003 ; Coffin, 2000). Qui plus est, l’hystérie se révèle être un paradigme commun entre psychiatres et psychologues, ces derniers, après Freud et Pierre Janet, considérant qu’elle est une manifestation incontrôlée du subconscient. Ainsi synthétisé par les experts, le complexe hystérique peut déterminer l’ensemble des comportements de certaines jeunes filles et est identifié comme un facteur de dangerosité : « Nature essentiellement instable, lit-on de Marie, aux tendances hystériques très marquées, servie par une imagination féconde et romanesque » qui provoque des « crises d’allure hystéro-épileptiques ». Le médecin préconise un « traitement sédatif, [de l’]hydrothérapie et [une] psychothérapie »33. Dans ce cas comme dans d’autres, où l’imaginaire juvénile enfreint les normes dominantes de la retenue et du contrôle des affects, l’hystérie apparaît comme un artefact discursif pour affubler les jeunes révoltées d’une pathologie dont la nosographie reste absconse (Lunbeck, 1995, chap. 8).

L’origine sexuelle de l’instabilité psychique est tout aussi présente dans le discours des psychologues. Si l’approche psychologique semble a priori moins normative, le répertoire de ses investigations est très élargi, englobant l’ensemble des comportements juvéniles. Plus compréhensive, elle conserve néanmoins un tropisme moralisateur, avec en particulier la dénonciation de la frivolité et du « goût pour l’aventure » chez les filles. Ainsi, selon les psychologues, l’expérience affective et sexuelle procure un sentiment de liberté fallacieux, identifié comme de l’ « existentialisme », qui pousse au nihilisme et à la rébellion. Cette contestation des valeurs mâtinée de désillusion sur la nature humaine et de farouche indépendance caractériserait la jeunesse d’après-guerre, une attitude que le personnel de Saint-Servais interprète comme une forme de pathologie à la fois dépressive et enragée.

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Ce jugement porté sur le style de vie se reflète également à travers l’importance des apparences dans le regard porté sur les filles. L’hexis corporelle des jeunes filles est à la fois miroir et motif de leur déviance (Cox, 2002, 145-146). Ainsi, chez Angèle,

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Réminiscence d’une physiognomonie réfutée depuis la fin du XIXe siècle, ces croquis psychologiques des jeunes filles trahissent leur précocité, conjonction perturbatrice d’une maturation corporelle et d’une immaturité psychique

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« Renée est le type de la ‘poupée’ à tête vide » dont « les petits besoins constants projetés par les caprices, l’humeur, les fantaisies » ne trouvent

« pas satisfaction », ce qui en fait « un élément assez dangereux »35.

« Il importe de faire accepter à la jeune fille sa future maternité et de lui inculquer les notions morales élémentaires, développer en elle une attitude de bienveillance et le goût des petits préparatifs pour la naissance de son bébé »37.

« Les idées de travail, mariage, vie de famille ne trouvent guère place dans cet esprit léger. Marieke avoue ne pas aimer les enfants (…) : je ne veux pas mettre des malheureux sur terre », explique-t-elle38.

« joue au grossier personnage (…) se particularise par ses conversations malsaines et vulgaires, (… ) adopte des attitudes provocantes, lubriques, jure, siffle pendant de longues heures, rend la vie insupportable pour ses compagnes, intenable pour ses éducatrices dont la bonté l’irrite et la rend furibonde. Elle casse les portes, détériore les chambranles et jouit d’un plaisir diabolique »40.

provoquant un déséquilibre affectif :

Aussi, recommande-t-on, « la rééducation [qui] attirera l’attention de Renée sur la personne plutôt que sur le corps pour lequel elle porte un culte ». Le corps féminin est à ce point associé à la lascivité que la directrice n’hésite pas à dire, au sujet d’une jeune indisciplinée, sensuelle et dont l’instinct maternel semble à peu près inexistant, que son maintien manque de virilité36. Aussi, la gymnastique et l’effort physique font partie des thérapies prodiguées, aptes à viriliser le corps des femmes, jugé par nature faible et, de ce fait, pathologique.

Ainsi, maternité et virilité contribuent, derrière une apparente contradiction, à réguler une sexualité féminine toujours menaçante.

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Si leur sexualité est jugée compulsive, la maternité des jeunes filles est idéalisée et considérée comme une voie de salut. Dans certains cas, les intervenantes se réfèrent à une maternité future, et orientent le choix d’un époux respectable. Fréquents sont les cas de filles-mères que l’on encourage à se conformer à leur nouveau statut :

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A contrario, la figure de la mauvaise mère est associée à un stigmate de dangerosité, marque du refus du modèle patriarcal et de la discipline sociale :

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Ainsi, selon une posture caractéristique de l’après-guerre, la maternité est instrumentalisée pour canaliser le désir sexuel plutôt que de le refréner (Valverde, 1995, 25).

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Malgré une dénonciation du narcissisme féminin, l’empire des apparences dirige également le jugement des experts. Ainsi, le stéréotype de l’homosexuelle masculine et rustre, associé à un comportement violent, qui émerge dans les travaux criminologiques après la Seconde guerre39, est mobilisé sans aucune prévention. Angela vient d’une institution où sa force herculéenne et ses manières volontiers équivoques lui valurent le surnom de ‘l’homme’. À Saint Servais, elle

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Afin de corriger ces dispositions masculines, on préconise des exercices physiques et « des activités ménagères stéréotypées », rétablissement de la frontière du genre. Longtemps taboue dans les institutions de protection de la jeunesse, l’homosexualité apparaît explicitement dans le discours des

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« tombée au pouvoir d’une compagne intelligente mais perverse qui la pousse à braver l’autorité, menacer ses compagnes parmi lesquelles elle répand la terreur, tenter de s’évader. (…) Ne possédant aucune

possibilité, ni surtout aucune conscience, ses réalisations, ses activités sont clownesques. Eugénie reste nécessairement l’esclave de sa profonde débilité mentale »43.

« Elève intelligente, Jeannette est fière de sa supériorité. Assez imbue d’elle-même, elle affecte un air poseur et maniéré (…). Son air

dédaigneux ne plaît pas toujours à son entourage et suscite des difficultés pour la bonne entente du groupe » 45.

psychologues dans ces années 1950. Au-delà des apparences, les experts pensent déceler l’homosexualité « latente » grâce aux techniques projectives des tests. Considérée comme une pathologie mentale, l’homosexualité est ainsi facteur de désordre affectif, engendrant un sentiment de culpabilité qui provoque soit une autocritique violente, soit une agressivité extériorisée. Ainsi, Suzanne « est particulièrement provocante dans les amitiés particulières et dans ce domaine, si elle est prise sur le vif, elle devient furieuse… éclate de colère »41.

Mais la question des « troubles du comportement » n’est plus strictement sexualisée avec l’apparition des techniques médico-pédagogiques. La notion d’intelligence y devient centrale, puisque l’observation tire une bonne part de sa légitimité de l’application de tests psychométriques (Gould, 1983, 175-234).

Néanmoins, la mesure de l'intelligence comporte des implications très contradictoires. Dans de nombreux cas, la déficience intellectuelle est à l’origine du comportement incontrôlé : les « tendances schizoïdes », la difficulté à apprécier les codes de la socialité sont les manifestations de

« l’arriération ». La violence est à la fois la conséquence et la cause du handicap, puisque « l’impulsivité constitue un handicap quant au rendement » intellectuel, faisant obstacle au discernement42. Dès lors, la vie en institution peut s’avérer dangereuse, comme pour Eugénie,

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A contrario, relativement fréquents sont les cas où l’intelligence est un facteur d’agressivité, suscitant une réaction « narcissique » face au stigma que représente l’envoi dans une institution d’ « arriérés »44.

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Loin de chercher à promouvoir ses capacités intellectuelles, on recommande

« d’accoutumer Jeannette aux humbles besognes ménagères, d’occuper son esprit par mille soucis de la vie quotidienne ». En effet, rares sont les formations qualifiantes dispensées au sein de l’école. Tout au plus quelques élèves sont-elles invitées à passer un diplôme de confection, voire de sténo- dactylo.

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Enfin, dans certains cas, l’intelligence apparaît même comme

« préjudiciable »46. Pour des psychologues qui s’affranchissent progressivement des tests purement psychotechniques pour se tourner vers la psychanalyse, l’affectivité doit pouvoir s’épanouir en harmonie avec l’intelligence ; or, un trop grand contrôle de soi, suscitant des refoulements, peut engendrer un déséquilibre amenant à la violence. Dans le cas de Marie,

« Élève intelligente, nature entière d’un égocentrisme froid », « dure envers ses maîtresses et ses compagnes » qu’elle juge avec mépris et condescendance, l’internement prolongé fait craindre le pire, « des éclats qui seraient un réel danger »47.

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La violence comme symptôme social

Pour former la conscience morale de la femme, explique une éducatrice dans son mémoire de fin d’études, il convient donc, plutôt que de l’habituer et de la contraindre à une réflexion à laquelle elle répugne, (…) et qui, si elle n’a pas une intelligence adéquate, la conduira fatalement sur des voies erronées, de donner à la jeune fille un certain nombre de règles fixes dont elle ne doit pas s’écarter, de lui donner de bons modèles à imiter, de surveiller le milieu où elle recueille ses observations, où elle forme son idéal (Van Loo, 1951, 29).

L’étude de la personnalité, plus complexe et subjective que la mesure de l’intelligence, occupe une place de plus en plus importante dans le travail d’expertise. Des tests dits « projectifs », soumettant le sujet à des stimuli auxquels il doit répondre, lui présentant des situations ambiguës qu’il doit interpréter et qualifier, notamment sur un plan éthique, explorent spécifiquement cette question de l’émotivité, de l’anxiété, de l’agressivité, de la sociabilité des élèves48. Se dessine dès lors une nouvelle discipline, la

« caractériologie », qui pointe la violence ouverte ou latente, contre les autres ou « intropunitive », définie selon des facteurs de risque révélés par l’expertise.

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À côté de cette individualisation du diagnostic perdure un discours sur l’origine sociale de la violence. L’expertise porte sur le « milieu » familial et l’environnement social. Les experts utilisent de manière persistante la notion d’hérédité, synthèse des antécédents physiologiques et psychiques, mais encore influence du « milieu », laquelle est d’autant plus prégnante que la nature féminine est jugée très impressionnable.

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Infériorité d’âge, de sexe et de discernement se conjuguent pour justifier une pédagogie comportementaliste qui contraste avec les discours sur l’autonomie et la citoyenneté.

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L’enquête sociale et plus encore l’examen médico-psychologique révèlent des situations de violence familiale. Les mères sont fréquemment décrites comme

« nerveuses », « grossières », ou « brutales ». Et inversement, la violence des filles sur leur mère est récurrente dans les dossiers, telle Léonie qui menace de

« lui fendre la tête », rage généralement attribuée à une grande insécurité affective dont la responsabilité incombe aux mères qui ne jouent pas leur rôle d’éducatrices49. L’hérédité est alors d’autant plus facilement invoquée pour décrypter le comportement des filles qu’il y a homologie de sexe, la fille héritant naturellement des tares de la mère. Mais le père est aussi un fauteur de trouble pour ses enfants : la reproduction de comportements violents tient alors de l’imitation ; sa violence physique - et notamment sexuelle - engendre la violence chez sa fille victime. Par ces expériences brutales, explique une éducatrice, cette initiation absolument contre nature, l’enfant perd toute foi en l’autorité50. Cependant, les intervenants font relativement peu de cas des abus sexuels et des violences parentales. Malgré les accusations d’inceste, certaines jeunes filles sont décrites comme des « immorale(s) précoce(s) ». On cultive

« le sentiment maternel » des mères mineures victimes d’inceste pour les ramener dans le droit chemin51. Agnès, qui a été brutalisée par son père et

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