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ISSN Trente-quatrième année N 141 Juin 2013 (2 ème trimestre) 6 Euros

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Les Nouvelles Les Nouvelles

d’AFGHANISTAN d’AFGHANISTAN

Trente-quatrième année

N°141 Juin 2013

(2ème trimestre) 6 Euros

Economie Economie

Le secteur privé Le secteur privé

Education Education

L’accès des filles à l’Université L’accès des filles à l’Université

Mes Aynak Mes Aynak

Patrimoine en danger

Patrimoine en danger

(2)

SOMMAIRE N°141

Editorial

Site internet: www.afrane.asso.fr

Les Nouvelles d’Afghanistan

Adresse E-mail afrane.paris@gmail.com ACTUALITÉ

Peut-on croire en l’avenir?

par Françoise HOSTALIER 3

ÉCONOMIE

Le secteur privé en Afghanistan par Zia FARHANG 6 ÉDUCATION

L’accès des filles à l’Université, l’exemple de Djalâlâbâd

par Pilar MARTINEZ 10 Quelques données statistiques concernant l’accès à l’Université

par Étienne GILLE 15 Améliorer l’enseignement des sciences en développant la démarche expérimentale par Yann SOUPPART 17 SOCIÉTÉ

Aziza Khaïrandich

Militante pour les droits des femmes dans une société conservatrice 21 HISTOIRE

De la décennie de la constitution à la dé- cennie du processus de paix (1964-1973) par Kacem FAZELLY 23 ARCHÉOLOGIE

Mes Aynak ou le patrimoine sacrifié sur l’autel de l’économie

par Geoffrey SCHOLLAERT 27 DERNIERES NOUVELLES

Chronologie, brèves, bibliographie 31 Un ouvrage qui fera date

par Gilles ROSSIGNOL 36

Les Nouvelles d’Afghanistan

16, passage de la Main d’Or -75011 Paris Photo de couverture : Le site de Mes Ay- nak : au fond les installations chinoises pour l’extraction du cuivre. Au premier plan, des ouvriers de l’Institut afghan d’ar- chéologie sur l’un des sites bouddhiques.

Voir article pp. 27-30.

Attendre ?

I

nquiétude. Tel est sans doute le mot qui résume le mieux l’état d’esprit de tous ceux qui vivent en Afghanistan ou s’intéressent à sa situation. Bernard Bajolet, au moment où il quittait son poste d’ambassadeur de France à Kaboul, a exprimé sans fard la perplexité de beaucoup de diplomates devant cette situation difficile où la communauté internationale s’est elle-même plongée en synchronisant le départ des troupes étrangères et les prochaines élections présidentielles de 2014.

Beaucoup sont à juste titre inquiets, certains sont catastrophistes. Et tout le monde analyse ce qu’il aurait fallu faire, bien à l’abri du fait que personne ne pourra jamais savoir ce qui se serait passé si on avait agi autrement.

Le danger de l’inquiétude est d’engendrer une sorte d’attentisme. Il arrive assez souvent qu’on objecte à AFRANE, et c’est de plus en plus fréquent : à quoi bon construire des écoles si demain elles sont détruites! A quoi bon vivre, si c’est pour mourir! L’inquiétude peut engendrer le sursaut, comme la rési- gnation. On peut se demander si, dans certaines institutions internationales, le parti n’a pas été pris d’attendre de voir, plutôt que de s’engager.

Or attendre de voir, attendre pour définir des perspectives, pour décider par exemple de l’attribution de crédits, cela a nécessairement l’effet de ralentir le développement. Cela a surtout pour conséquence d’augmenter l’inquiétude.

D’augmenter le sentiment diffus dans la société afghane qu’une nouvelle fois la communauté internationale est en train de l’abandonner. Que si la situation vient à s’aggraver, les Afghans se retrouveront seuls.

Attendre est contreproductif. Et c’est un peu donner raison d’avance à ceux qui annoncent, parfois avec une forme d’autosatisfaction, le pire.

La boucle autoprédictive est ainsi bouclée. On annonce le pire, on en- gendre l’inquiétude et dans un premier temps l’attentisme, puis la désespé- rance. Et enfin l’effondrement, avant que de pouvoir proclamer : « on vous l’avait bien dit ».

Bien sûr, une autre boucle, vertueuse, est possible.

Nous donnons le témoignage dans les pages qui suivent d’une femme cou- rageuse qui n’attend pas, elle, des jours meilleurs pour s’engager. Il y en a comme elle des milliers, hommes et femmes qui construisent l’avenir. Ils atten- dent pourtant quelque chose : notre soutien, notre engagement.

Etienne GILLE 21 juin 2013

Les Nouvelles d’Afghanistan bénéficient d’une aide financière de l’ambassade de France en Afghanistan

(3)

Tenir compte du passé

Faut-il une fois de plus rappeler qu’après trente ans de guerre civile et la mise en place de l’un des pires régimes en ce qui concerne le droit des personnes et surtout des femmes, l’Afghanistan a été confronté, à marche forcée, à des me- sures d’adaptation aux normes de gestion occidentales et à l’arrivée d’un certain modernisme qui se sont heurtés à ses traditions, à sa culture et même à son histoire.

Durant toutes ces années de guerre, plus du quart de la population a migré ou a été déplacé et les retours se sont ra- rement bien passés : la communauté internationale a reconnu avoir négligé cet aspect. La plupart des grandes villes a été détruite, toutes les campagnes ont été minées, les cultures abandonnées… et il faut avoir la franchise de reconnaitre l’énorme travail qui a été accompli depuis 2002 pour re- construire les infrastructures, les habitations, les bâtiments administratifs et les structures économiques de base même si beaucoup reste à faire.

Mais malgré les très nombreux rapports et mises en garde, les institutions internationales n’ont pas été capables, ou n’ont pas voulu, mesurer l’immensité de la tâche et l’impos- sibilité pour une société si meurtrie, d’absorber les efforts de mise aux normes modernes ni tout l’argent consacré à plus ou moins bon escient à la reconstruction. C’est l’une des raisons de l’échec ressenti par la communauté internationale et du découragement de nombreux opérateurs : la barre était trop haute et les méthodes inadaptées.

Par ailleurs, sans véritable Etat de droit, sans justice no- tamment, aucun des crimes commis au cours de ces évène- ments tragiques n’ont pu être instruits et une grande partie de la population a un sentiment d’injustice renforcé par une tradition de règlements locaux des conflits, parfois de ma-

nière violente. Comment envisager la « grande réconciliation nationale » qui serait utile pour tourner la page de ces heures sombres, quand aucune instance ne peut la porter ?

Le développement économique qui pourrait stabiliser la population, donner un espoir et des perspectives à la jeunesse (45% de la population a moins de 15 ans…) et qui pourrait s’appuyer sur l’immense potentiel des ressources naturelles, tarde à émerger à cause de l’instabilité politique et de l’insé- curité, notamment juridique.

Même si, au fur et à mesure de mes visites dans ce pays (vingt-et-une depuis onze ans) je peux témoigner des progrès réalisés, force est de constater qu’il est souvent insupportable de voir tout ce qu’il reste à faire et tant de potentiels gâchés.

L’insécurité

L’évolution des conditions de sécurité semble être l’échec le plus visible de la contribution des forces étrangères qui ont pourtant payé un très lourd tribut pour lutter contre le terro- risme d’Al Qaïda et de certains Tâlebân, pour mettre en place les forces de police, pour former une véritable armée et les institutions nécessaires à la sécurité de la population.

Aujourd’hui, les attentats ciblés contre les forces étran- gères en cours de retrait diminuent et les forces de sécurité afghanes ou les institutions politiques (ministres, députés, etc.) sont les plus exposées aux exécutions programmées par les Tâlebân. La nouveauté est la mise en place d’une situation mafieuse, très fréquente dans les pays d’Amérique du sud par exemple, qui consiste à rançonner toutes les personnes ayant une situation (commerçants, hommes d’affaires, personnali- tés politiques, etc.) et à cibler d’éventuels étrangers (cas des deux Français enlevés en janvier 2013 et libérés quelques se- maines plus tard).

De même, les « coupeurs de routes » bien connus dans

* Ancienne ministre, ancienne parlementaire, présidente du Club France- Afghanistan qu’elle a créé.

Peut-on croire en l’avenir ?

par Françoise HOSTALIER*

Françoise Hostalier vient d’effectuer une mission, la 21ème depuis 2002, du 23 mars au 2 avril. Nous avons extrait de son rapport de mission quelques-unes de ses principales conclusions sur la situation politique et sécuritaire, ainsi que sa description de l’état actuel de certaines actions de la coopération française.

ACTUALITÉ

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certaines régions d’Afrique font leur apparition sur les si jo- lies routes afghanes ! C’est une situation inédite en Afgha- nistan où le voyageur avait en général été respecté, accueilli avec bienveillance et protégé. Cela n’a plus rien à voir avec des revendications politiques liées par exemple au retrait des troupes étrangères. Ces actions sont purement crapuleuses et ne pourront être conjurées qu’avec une police efficiente, une justice rapide et courageuse qui seront reconnues, respectées et soutenues par la population.

La double psychose qui semble naître en Afghanistan, entre la peur des attentats des Tâlebân et les crimes mafieux, risque de créer une nouvelle spirale d’instabilité : le senti- ment d’insécurité paralysant les initiatives et renforçant à son tour les risques d’insécurité (phénomène bien connu dans toutes les sociétés, y compris les banlieues françaises).

En ce qui me concerne, j’ai pris les précautions habituelles et je n’ai jamais eu l’impression d’être en insécurité. (…) Plusieurs de mes interlocuteurs se sont montrés inquiets pour l’avenir proche en matière de sécurité citant plusieurs fois la situation dans quelques provinces dont le Logar.

Croire en l’avenir

Comme toujours, la perception de la situation dépend de son propre état d’esprit et de sa propre histoire par rapport aux évènements.

Le scénario catastrophe est tout à fait possible. Il peut arriver, avant ou après le processus électoral d’avril 2014, une déstabilisation interne de l’Afghanistan, entretenue par des forces extérieures : le Pakistan suivant ce qui se passera après les élections du mois de mai 2013, l’Iran où tout peut arriver également, les Emirats qui jouent sur tous les ta-

bleaux, etc. Dans ce cas, il est très improbable que les forces internationales qui auront quitté ce pays dans la douleur et à grands frais financiers, y reviennent. La situation de chaos, de guerre civile, de partition du pays autour de chefs de guerre et surtout de caïds mafieux nouveau modèle, peut arriver. Cela pourra déclencher un phénomène domino dans toute la ré- gion et voir l’intervention de nouvelles puissances comme la Russie, l’Inde ou la Chine. Ces puissances régionales verront ainsi l’opportunité, de manière directe ou par relais afghans interposés, de régler d’autres problèmes soit anciens (la Rus- sie), soit politico-culturels (l’Inde) soit stratégiques pour bar- rer la route à des problèmes internes (la Chine, l’Ouzbékis- tan). Effectivement, me remémorant le drame des Balkans, je sais que le pire est possible…mais il n’est jamais certain !

Les axes des projets actuellement en cours sont : l’électrification, l’agriculture, la santé et la gouvernance (justice essentiellement).

Au niveau de l’électrification : la ligne de Mahmoud-e Raqi à Nid- jrab est achevée et la mise sous tension est imminente. Il restera à terminer la ligne de Nidjrab à Naghlou et toute la Kapisa sera électrifiée. Une partie de l’électricité vient d’Ouzbékistan mais une partie vient aussi du barrage qui a été remis en fonctionnement.

Dans le domaine agro-industrie : il y a le prolongement des actions déjà engagées dans l’horticulture (essentiellement les fruits et les grenades). Cependant le stockage et la conservation ne sont tou- jours pas résolus à ce jour. Les projets en matière de pisciculture et de coopératives agricoles n’ont pas abouti et sont donc remis en cause. Une école d’agriculture a été créée à côté de l’université d’Alberoni en Kapisa. Elle fonctionne en partenariat avec Sup-agro et l’IUT de Perpignan.

Au niveau de la santé, plusieurs hôpitaux dont ceux de Tagâb et Alasaï ainsi que quelques centres secondaires fonctionnent plutôt bien. Il y a des projets dans le domaine maternel et infantile avec l’IFME de Kaboul au niveau de la formation des sages-femmes, médecins et infirmiers mais aussi en ce qui concerne la prise en

charge de malades des familles démunies. Le Pôle en tant que tel est impliqué financièrement dans le projet de construction de la nouvelle maison d’accueil des familles (80 000€). Il y a des pro- jets de télémédecine avec les sept hôpitaux des huit districts de la zone.

En ce qui concerne l’éducation, il y a trois écoles en chantier et un centre de formation des maîtres à Nidjrab (construit par une entre- prise allemande). Le pôle finance une formation d’institutrices et de femmes professeurs de sciences.

Au niveau de la gouvernance et de la justice, la formation de fonc- tionnaires locaux dans le prolongement de la mission qu’avait conduite Gaït Archambaud est mise en place et concernera essen- tiellement le domaine de la coexistence de la justice informelle et de la justice d’Etat. Le but est aussi de soutenir les chouras en les

« professionnalisant » notamment dans le domaine de la médiation et du suivi de leurs décisions. Il n’est pas rare que des avocats participent au débat de certaines chouras. Il y a eu 102 chouras judiciaires qui ont résolu environ 150 litiges fonciers. En ce qui concerne la justice gouvernementale, des procureurs, des juges, des greffiers ont été formés à Kaboul et un tribunal a été construit

Quelques actions de coopération civile du Traité

Françoise Hostalier avec des responsables du projet d’urbanisme de Deh Sabz, la nouvelle ville de Kaboul. «La société afghane comprend aujourd’hui une classe moyenne urbanisée».

Photo DR

(5)

Le scénario positif me parait le plus probable. Les Afghans sont inquiets, donc conscients des enjeux et donc en capacité d’en appréhender les risques. Ils ne veulent plus de guerre civile, ils ne veulent plus de régime comme celui im- posé par les Tâlebân. Ils veulent la paix, un peu de dévelop- pement économique, un peu de modernisme et surtout l’es- poir d’un avenir meilleur pour leurs enfants que celui qu’ils ont eux-mêmes vécu.

Pour cela, à commencer par les hommes politiques que j’ai rencontrés, ils sont prêts à des concessions afin de permettre

la mise en place d’un pouvoir et de structures politiques d’union nationale et basés sur l’intérêt général.

Les porteurs de projets nationaux que j’ai rencontrés au ni- veaux économiques, politiques ou emblématiques (comme le projet Deh Sabz), les jeunes gens d’allure moderne qui s’ex- priment dans un anglais impeccable et qui ont l’ambition de carrières internationales, les personnalités (maleks, imams, membres de chouras, enseignants, femmes engagées) qui sont les forces vives de la société afghane, ont un dynamisme et un courage tout à fait incroyables. Plusieurs des personnes rencontrées m’ont fait remarquer qu’aujourd’hui pour la pre- mière fois de son histoire, la société afghane comprenait une classe moyenne urbanisée ce qui n’était jamais arrivé dans l’histoire de ce pays. Un autre Afghanistan existe que les ana- lystes n’ont pas encore identifié mais qui ne se laissera ni bâillonner, ni entrainer dans de folles aventures.

Mais si leur existence est certaine ainsi que leur capacité d’entrainement, leur mobilité l’est tout autant et le risque de les voir émigrer n’est pas exclu. Aussi, l’un des enjeux ur- gents aujourd’hui est de leur donner toute leur place et de les convaincre qu’ils seront au cœur du système qui peut se mettre en place pour un développement harmonieux de l’Afghanistan avec, cette fois, un soutien attentif et intelligent de la part de la communauté internationale.

La France, comme d’autre pays, a signé un traité bilatéral.

Il est indispensable que ces engagements soient respectés à la lettre, pour redonner confiance et engager la spirale positive.

L’Afghanistan peut devenir le pays modèle de la région par l’instauration d’un régime démocratique, par un dévelop- pement économique tirant profit de toutes ses ressources, par ses relations privilégiées avec tous les acteurs de la région, en étant, comme toujours à travers son histoire, le cœur de l’Asie centrale.

à Mahmoud-e Raqi. Le but est aussi que ces travaux expérimen- taux débouchent sur un projet de loi qui légaliserait ces procédures mixtes.

Mise en place du Traité pour la formation de la police

Lors de sa venue les 15 et 16 février à Kaboul avec le directeur de la gendarmerie nationale de l’époque, le général MIGNAUX, le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, avait pu rencontrer les 89 gendarmes encore présents et constater l’excellent travail réalisé par les 160 gendarmes qui se sont succédé depuis deux ans à Mazar-E-Sharif et au camp de Wardak. Les militaires français ont ainsi contribué à la formation de plus de 10 000 policiers afghans et surtout à celle des formateurs qui désormais sont en capacité de prendre le relais. L’ANCOP (Afghan National Civil Order Police, équivalent de notre gendarmerie mobile) devrait être totalement autonome en juin 2013.

Lors de ses rencontres avec le ministre de l’Intérieur afghan, Muj- taba Patang et le général commandant de l’ANCOP, Paikan Zamar- zaï, Manuel Valls a tenu à rappeler les termes du Traité et confirmé sa mise en place effective.

Actuellement un colonel de gendarmerie est placé comme conseiller auprès du général Zamarzaï et la coopération se passe très bien. A titre d’exemple, le conseiller a participé au montage du dossier d’achats d’équipements pour la police, d’un montant de 11 millions de dollars, en totale confiance avec les autorités afghanes.

Trois gendarmes sont insérés dans l’état major de l’armée afghane comme conseillers. L’un de leurs apports est, par exemple, en tant que gendarmes, de donner l’expertise française du bon usage des compétences et des forces. En effet, les inversions d’usages entre l’ANA et l’ANCOP sont nombreuses, qui placent les policiers en pre- mière ligne dans des actions militaires et l’armée afghane dans une position arrière de maintien de l’ordre. Ces situations ont pu se produire notamment du fait de l’insuffisance de formation de l’ANA alors que l’ANCOP semblait mieux préparée à des actions complexes et/ou dangereuses. Mais la bonne formation des dif- férentes forces doit permettre un usage approprié de leurs com- pétences. De plus, les formateurs français ont contribué à l’appro- priation de valeurs éthiques et de respect de l’Etat de droit dont il restera des traces dans le comportement des opérateurs afghans.

Ces méthodes ont particulièrement imprimé le comportement des forces afghanes dans le cadre des formations au contact quotidien des militaires français en Kapisa et Sarobi. L’action des gendarmes français a également permis aux différentes forces afghanes de collaborer entre elles en étant, par nature, un lien entre les do- maines purement militaire et policier.

La formation des officiers et des formateurs est satisfaisante mais il est important de continuer à les soutenir.

La commission mixte, prévue par le Traité pour programmer et as- surer le suivi des actions de coopération, a été mise en place. Déjà, une action de formation d’officiers de police afghans aura lieu pro- chainement à Saint-Astier.

ACTUALITÉ

Françoise Hostalier entourée de formatrices. «Un dynamisme et un courage tout à fait incroyables». Photo DR

(6)

Pour bien comprendre la place et l’importance de sec- teur privé en Afghanistan il nous faut avoir présent à l’esprit quelques points qui caractérisent la société afghane et expli- quent, peut-être, l’état d’esprit de la population vis-à-vis de l’économie de marché.

• Le premier point consiste dans le fait que l’Afghanistan, dès sa refonte en 1747, n’a connu que des situations troubles, soit parce que les Afghans faisaient la guerre dans des pays limitrophes, soit parce qu’ils faisaient la guerre entre eux et surtout parce qu’ils faisaient face aux invasions étrangères.

Ainsi en quelque 265 ans, la plus longue période de stabilité qu’a pu connaitre notre pays va de 1930 à 1978, c’est-à-dire à peine un demi-siècle !

• Le deuxième point qu’il ne faut pas oublier est que le premier contact du pays avec le monde moderne c’est fait dans la douleur. En effet, l’Afghanistan a subi les consé- quences de ce qu’on appelle «le grand jeu» et a fait donc face à plusieurs guerres colonialistes inhumaines.

Les deux points évoqués ci-dessus ont eu pour consé- quences :

• un isolement du pays et l’émergence d’un état de mé- fiance populaire notamment par rapport aux idées venues de l’Occident.

• un appauvrissement extrême accompagné d’une désor- ganisation sociale qui ont réduit les activités économiques à leur expression minimale.

La méfiance populaire

Aux deux points précédents, qui caractérisaient la so- ciété et l’économie afghane jusqu’aux années 30 du 20ème siècle, s’est greffée plus tard, durant les années 50 et 60 de ce

même siècle, une exacerbation des sentiments nationalistes, à l’instar de ce qui se passait dans beaucoup de pays de Tiers- Monde après la vague de décolonisation des pays afro-asia- tiques. Mus par leur méfiance historique vis-à-vis de l’Occi- dent et subissant la propagande des pays dit «progressistes», les Afghans ont identifié les tenants de l’économie libérale comme autant d’agents du capitalisme international désireux de spolier les richesses des pays faibles. De nos jours cette idée est encore assez présente dans les couches populaires afghanes qui voient dans les grands contrats miniers passés récemment avec les firmes internationales une sorte de dila- pidation de nos richesses.

L’économie moderne a fait son apparition en Afghanistan durant la première moitié du 20ème siècle. D’abord très ti- midement, durant le règne d’Amanullah (1919 – 1929), sous la forme de l’implantation de quelques petites unités indus- trielles par de riches commerçants, puis durant les années 30, sous l’impulsion d’un homme d’affaire qui créa, en as- sociation avec de riches commerçants, la première banque afghane et lança un programme d’investissement industriel et agricole. Bien que le programme en question n’ait été que partiellement réalisé, il a cependant fait la démonstration que dans le domaine économique le secteur privé est nettement plus efficace que le secteur public.

L’arrivée du Prince Daoud à la tête du gouvernement afghan dans les années 50 et la politique économique de type

«dirigé» qu’il adopta, brisa l’élan auquel on commençait à assister.

Il fallut attendre 1964 et la promulgation d’une nou- velle constitution garantissant les droits fondamentaux des citoyens ainsi que la séparation des pouvoirs et ce dans un Afghanistan stable et sécurisé pour assister à l’essor du sec- teur privé. Ce fut un moment où l’économie afghane tourna à plein régime et pendant lequel, selon Nancy et Richard Nevell2, la classe moyenne passa de quelques milliers à près de 100 000 personnes. C’est aussi à ce moment que pour la première fois les investisseurs étrangers se sont intéressés à l’Afghanistan.

Le secteur privé en Afghanistan

par S. Zia FARHANG*

Après 2002, sous l’influence des Etats-Unis, mais aussi en réaction contre les méthodes soviétiques, l’Afghanistan s’est engagé dans la reconstruction de son économie en se plaçant dans la logique du développement du secteur privé.

L’auteur replace succinctement ce développement dans son contexte historique et en analyse les réussites et les difficultés.

1

* Diplômé de l’Ecole Nationale des Travaux Publics de l’Etat à Paris. Vit actuellement à Kaboul où il a fondé un bureau de Conseil dans le domaine du bâtiment.

(7)

De nouveaux immeubles d’habitation dans le quartier de Kolola Puchta à Kaboul. Le secteur de la construction est entièrement dans les mains des entreprises privées. Photo DR

Cet élan reçut un coup d’arrêt lors du coup d’Etat de l’ex premier ministre, Daoud (1973), pour se briser complètement en 1978 à l’arrivée des communistes au pouvoir.

Dès lors, il faudra attendre la chute du régime tâleb en 2001 et l’avènement de l’ère actuelle pour assister au renou- veau des activités de secteur privé.

Des réussites notables

A l’arrivée de M. Karzaï au pouvoir, la grande nouveauté fut l’adoption du système économique dit «de marché libre».

Inscrit dans la constitution, ce système interdit à l’Etat de réaliser ses propres projets. Autrement dit l’Afghanistan dé- cida de confier sa reconstruction au secteur privé. Mais la réalité ne fut pas tout à fait conforme à l’esprit de la constitu- tion et l’Etat afghan ne prit aucune mesure spectaculaire pour booster le secteur privé. Pis encore, la privatisation d’innom- brables offices et autres sociétés étatiques, décidée en vertu de l’article 10 de la constitution, initiée en 2002, fut stoppée sous la pression des fonctionnaires employés par ces enti- tés qui craignaient des licenciements massifs. Néanmoins, compte tenu des opportunités offertes mais aussi en raison de l’enthousiasme des Afghans pour participer à la recons- truction de leur pays, le secteur privé prit (et prend encore) une part importante dans notre développement économique.

Sans vouloir en dresser une liste exhaustive, on peut citer à titre d’exemple:

• Les télécommunications (18 millions d’abonnements contre 29 000 en 2002).

• La création des banques (une vingtaine d’établissements

contre 3 en 2002).

• Les media (53 chaines de télévisions régionales, natio- nales et internationales, 128 stations radios et 952 publica- tions diverses).

• L’hôtellerie-restauration.

• L’aviation civile (12 compagnies aériennes dont 4 afghanes) desservent quotidiennement Kaboul et quelques autres grandes ville du pays).

• Le secteur de la santé (hôpitaux, cliniques, laboratoires etc.…).

• L’éducation (663 écoles et 36 universités privées).

• La construction (bâtiments, routes et voiries, diverses infrastructures).

• La logistique (principalement pour satisfaire la demande des troupes étrangères présentes dans le pays).

• Divers réseaux de distribution (le gaz, les hydrocarbures, les produits alimentaires)

Ce qui frappe quand on dresse la liste des «réussites» éco- nomiques afghanes est l’absence de deux secteurs phares : l’agriculture et l’industrie. La responsabilité en incombe à l’état du pays après la chute des Tâlebân, mais surtout au gouvernement actuel qui n’a pas su adapter la réglementation à la nouvelle donne économique et n’a pas réussi à créer un environnement favorable. L’existence de lois obsolètes (par exemple une durée maximum de trois ans pour une conces- sion des terres agricoles qui était en vigueur jusqu’il y a peu), l’absence de réseau (et de projets) d’irrigation ou encore l’ab- sence de facilités dans les zones industrielles (eau, électrici- té, réseau d’assainissement, etc.) ont découragé bon nombre d’investisseurs.

Cependant un autre phénomène aggrave les difficultés que rencontrent les industriels en Afghanistan. Il s’agit de l’ar- rivée illégale de marchandises depuis les pays limitrophes, notamment le Pakistan, dont le volume atteint plus de 3 mil- liards de dollars par an. Ces marchandises, très bon marché et de qualité médiocre, inondent le pays et handicapent for- tement son industrialisation. Cela rend la tâche des indus- triels très difficile. On ne compte plus le nombre de petites et moyennes entreprises qui ont fait faillite durant les dernières années.

Encourager les investissements

L’Afghanistan tente, tant bien que mal, de redresser la si- tuation. Une des premières mesures prises en ce sens fut la

ÉCONOMIE

Empaquetage des grenades, produit phare à l’exportation. Photo Tolo

Aéroport international de Kaboul. L’Afghanistan est relié au monde. Douze compagnies desservent quotidiennement Kaboul. Photo DR

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création d’un bureau d’encouragement des investissements appelé AISA (Afghanistan Investment Support Agency) qui a pour but de faciliter les procédures administratives et d’at- tirer les investisseurs. Très efficace concernant le premier point – en moyenne deux visites dans les bureaux d’AISA et huit jours d’attente suffisent pour la création d’une société -, AISA ne remplit toujours pas sa seconde mission. Selon les responsables de cet organisme les raisons de cet échec sont à rechercher dans l’absence des conditions nécessaires pour attirer les capitaux privés (la sécurité, les assurances, l’attri- bution du terrain, l’absence de facilités techniques).

Un autre effort consenti pour encourager les investisse- ments consiste en des facilités offertes sur le plan financier et fiscal sous forme d’une taxation de 20% sur les bénéfices (le plus faible taux pratiqué dans la région semble-t-il) et la pos- sibilité pour les étrangers d’ouvrir des comptes en devises, de transférer la totalité de leurs bénéfices ou encore le rapa- triement des sommes investies en cas de cessation d’activité.

Pour ce qui est des gros investissements, le gouvernement afghan a établi des domaines prioritaires, à savoir:

• Le secteur minier.

• Le secteur des transports.

• Le secteur de l’énergie.

• L’agriculture.

• Le secteur de la construction.

Le secteur minier est subdivisé en deux catégories : - Les mines de 1ère catégorie : cuivre, fer, gaz, pétrole, or

etc. destinées à des appels d’offre internationaux.

- Les mines de seconde catégorie : pierres semi-pré- cieuses, charbon, carrières de marbre etc. - exclusivement réservées aux investisseurs afghans.

Les appels d’offre, la transparence et l’application des contrats sont supervisés par la Banque mondiale, par l’orga- nisation EITI (Extractive Industries Transparency Initiative) et par le «groupe Marx» un consultant international spécia- lisé dans les investissements internationaux et le commerce global. Les concessions sont attribuées pour une durée maxi- mum de 30 ans. Le concessionnaire doit verser une taxe an- nuelle de 15% sur son chiffre d’affaires pendant la période d’amortissement et 55% de ses bénéfices au gouvernement afghan au-delà de ladite période.

Sur le plan environnemental, les projets miniers sont su- pervisés par la direction de la sauvegarde de l’environnement au sein du ministère des Mines.

- Concernant le secteur des transports, l’Afghanistan connait une certaine réussite pour ne pas dire une réussite certaine. Financés par les donneurs, les projets sont de plus en plus réalisés par des entreprises afghanes dont plusieurs dizaines sont désormais à même de prendre en charge la réa- lisation d’ouvrages parmi les plus complexes. Le nombre de kilomètres de routes asphaltées interurbaines construites du- rant les dix dernières années est d’environ 6 500 km avec un Siège de la Azizi Bank. Une vingtaine de banques sont actuellement présentes en Afghanistan,

contre trois en 2002. Photo DR

Des antennes de fournisseurs de téléphonie mobile dominent Kaboul. «18 millions d’abonnés contre 29 000 en 2002». Photo EAP

Mine de charbon dans le centre du pays. Photo Tolo Route reliant Hérat au centre du pays. «Au cours des dix dernières années, 6 500km de routes ont été asphaltées». Photo DR

(9)

1- Cet article vient en complément d’un article du même auteur publié dans notre précédent numéro et intitulé : « Les réussites économiques ».

2- The struggle for Afghanistan, Cornell University Press, 1988

ÉCONOMIE

coût moyen au km de l’ordre de 800 000 dollars. Pour ce qui est des routes stabilisées mais non-asphaltées, la longueur to- tale est de l’ordre de 15 000 km avec un coût moyen au km de l’ordre de 200 000 dollars. L’investissement réalisé est donc d’un peu plus de 8 milliards de dollars. Par ailleurs toutes les grandes villes ainsi qu’une bonne partie des villes moyennes ont été dotées d’installations aéroportuaires. Signalons éga- lement la construction du premier tronçon de chemin de fer afghan qui relie la ville de Mazâr-e-Charif au port fluvial de Hayratân.

- Le secteur énergétique constitue en revanche le plus grand échec du gouvernement. L’absence de projets hydroé- lectriques et l’achat d’électricité chez les voisins handicapent fortement le secteur privé à la fois par le prix élevé de l’élec- tricité et par l’incertitude quant à sa livraison continue.

- Le secteur agricole, longtemps handicapé par des lois obsolètes, commence à devenir attractif. En effet, le gou- vernement vient de réviser les conditions d’attribution des concessions agricoles. Ainsi, il est désormais possible d’ob- tenir une concession d’une durée de 90 ans pour des terres non irriguées et de 10 ans pour des terres irriguées. La sur- face maximum concédée à un particulier est de 50 hectares.

Pour les sociétés (afghanes et étrangères) la concession est accordée :

• Jusqu’à 300 hectares sur décision ministérielle.

• Jusqu’à 1000 hectares sur décision du conseil écono- mique.

• Et pour plus de 1000 hectares sur décision du conseil des ministres.

Les concessions accordées en terrain non irrigué béné- ficient d’une exemption fiscale allant de 2 à 8 ans selon la surface concédée.

- Enfin le secteur de la construction est en gros entière- ment laissé aux mains des entreprises privées.

De nos jours, l’Afghanistan officiel mise tout particulière- ment sur les richesses minières pour nous assurer un avenir radieux. Cependant notre démographie galopante (on prévoit le doublement de la population dans les vingt prochaines an- nées) et le chômage massif des jeunes qui pourrait en résulter donnent à penser que pour nous la véritable porte de sortie serait le développement du secteur privé lequel passe par un encouragement résolu des investissements.

Les errements

Notons qu’en plus des difficultés évoquées ci-dessus, une pratique administrative souvent désuète, la corruption et le comportement très procédurier et parfois arbitraire des fonc- tionnaires mais aussi le manque d’autorité de l’Etat qui dé- bouche sur la cartellisation d’un certain nombre de domaines économiques constituent également un sérieux frein à l’es- sor du secteur privé afghan. Les exemples suivants illustrent quelques-uns de ces propos :

• La remise en état du barrage de Naghlou (entre Kaboul et Djalalabad, sur la rivière Kaboul) devant porter sa capacité de production de 38 Mégawatts à 100 Mégawatts. Adjugé en bonne et due forme à un consortium russo-afghan en 2006 le projet fut bloqué par le ministère de l’Energie qui ne souhai- tait pas travailler avec la partie afghane du consortium. Les travaux ont finalement démarré le 30 octobre 2011 mais sans le partenaire afghan qui n’assurait pourtant que la sécurité et la logistique.

• Un projet agricole pilote (ADC – Afghan Development Company), étalé sur 15 ans, initié en 2002 par deux jeunes Afghans (propriétaires de deux entreprises prospères aux Etats-Unis), en association avec le ministère de l’agriculture.

Ce dernier mettait à leur disposition le terrain et recevait en échange 50% des bénéfices. En 2009, sous prétexte du non respect de code de passation des marchés publics (non ap- plicable à ce projet d’association), les entrepreneurs furent obligés de cesser leur activité sans la moindre compensation pourtant prévues dans l’accord initial.

• Le projet de construction de l’Ambassade d’Afghanistan à Islamabad dont le propre bureau de l’auteur du présent ar- ticle avait été l’adjudicataire en 2005 sur la base d’un appel d’offre international. Cependant pour des raisons obscures le projet, financé par la Banque mondiale, fut remis aux ca- lendes grecques pour être finalement confié il y a quelques mois à un bureau pakistanais.

• La remise en état d’une installation de production d’élec- tricité thermique qui, adjugé en bonne et due forme, fut blo- qué par le ministère de l’Energie. Le ministère en question avait décidé de le confier, après coup, à une autre société. Le donneur (l’Union européenne) refusa cette manière de faire et finit par renoncer au financement du projet.

Notons enfin que les investisseurs sont parfois confrontés à des difficultés créées par des acteurs étrangers. Ainsi les déboires d’un industriel afghan qui voulait implanter dans les environs de Kaboul, avec ses propres fonds, une usine de peinture pour bâtiment. Ayant contacté une des grandes firmes de la branche, il s’est fait invité à aller s’approvision- ner auprès du concessionnaire pakistanais de ladite firme en lieu et place d’une production locale !

En guise de conclusion voici le jugement de la Banque mondiale concernant l’état actuel des investissements en Afghanistan. Selon cet organisme, pour ce qui est des inves- tissements réalisés, sur 183 pays étudiés, l’Afghanistan oc- cupe la 160ème place et la dernière place pour ce qui est de la situation sécuritaire et de la protection des investissements.

Conditionnement de bouteilles de gaz. «Le secteur privé prend une part importante dans notre développement économique» Photo Tolo

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L’accès des filles à l’Université L’exemple de Djalalabad

par Pilar MARTINEZ*

Questionnés par la faible présence de filles à l´université de Djalâlâbâd, AFRANE a entrepris un travail d´identification des obstacles que peuvent ren- contrer les jeunes filles de Djalâlâbâd désireuses de poursuivre des études su- périeures. Voici un résumé des résultats de cette étude.

Pour mener à bien cette enquête, j’ai interrogé un échan- tillon de 130 filles issues de classes Terminales ou de trois facultés : économie, éducation, langues. J’ai interrogé aussi le Comité éducatif du lycée de garçons Esteqlâl, composé d’un représentant religieux (mollah), de représentants des parents d’élèves, d’élèves, de professeurs et du directeur du lycée. Je me suis entretenu aussi avec la directrice de la faculté d´Education, le directeur de la faculté de Médecine, cinq chefs d’établissement (filles et garçons), le chef des pro- grammes régionaux du département des Droits de l´Homme et enfin le chef des projets de l’association afghane « Women for Afghan Women ».

Il faut prendre cette analyse comme la présentation des points de vue personnels et partiaux d´un cercle réduit de per- sonnes, proches du milieu éducatif. Ils ne doivent donc pas être pris comme représentatifs de la société de Djalâlâbâd et encore moins de la société afghane.

Nous avons distingué dans les opinions recueillies trois catégories : les raisons d’ordre socioculturel, d’ordre poli- tique et d’ordre économique empêchant les filles d´avoir un accès normal à des études supérieures.

Critères socioculturels

Traditionnellement en Afghanistan, l´éducation des femmes n´a pas été considérée comme prioritaire, et notam- ment l`éducation de niveau supérieur. De même, le travail des femmes à l’extérieur de la maison n´est pas considéré comme nécessaire, les relations sociales et le soin de nourrir la famille incombant à l’homme, la garde des enfants et le travail domestique revenant à la femme.

Cette séparation des rôles continue d’être encore très enracinée, surtout en province et plus spécialement dans

certaines régions du pays. C’est le cas de Djalâlâbâd où les traditions sont renforcées par l’influence des intégristes d’obédience pakistanaise, qui prend parfois la forme d’une pression sociale importante plaçant les familles progressistes dans une position délicate. Celles-ci adoptent alors parfois des mesures concernant les femmes qui sont contraires à leurs principes, comme par exemple la restriction des mouvements en dehors de la maison ou l´obligation de porter le tchâderi (burqa). Les cas graves de harcèlement sont rares dans la ville mais ils persistent à la campagne, selon un responsable de la commission indépendante des droits de l’homme pour les provinces de l’Est.

Les besoins et l’honneur de la famille sont au-dessus des besoins de l’individu. Le choix d´une jeune fille de continuer ses études une fois sortie de l’école secondaire doit être pré- alablement validé par la famille, qui dépend dans la majorité des cas des grands frères, c’est-à-dire de ceux qui porteront le nom de la famille dans le futur et qui sont par conséquent sensibles à l’opinion publique.

Donner une certaine liberté aux femmes de la famille est encore vu par la tradition1 comme un signe de perte de pouvoir

* Pilar Martinez a travaillé comme volontaire au sein d’AFRANE durant l’automne 2012.

L’un des bâtiments de l’université de Djalâlâbâd. Photo DR

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des hommes, plutôt qu’un signe de modernité. L´honneur des familles réside en grande partie dans l’expression du contrôle exercé sur ses femmes. L´honneur des femmes réside dans leur chasteté. Cela implique qu’elles n’aient pas de relations avec des hommes en dehors de la famille et, dans des cas extrêmes, qu’elles ne soient pas vues à l’extérieur de la mai- son. Ce contexte entraîne une très lourde pression sociale sur des familles qui souhaiteraient l’indépendance de leurs filles, épouses ou sœurs, mais qui en même temps souhaitent pré- server leur réputation et assurer leur sécurité.

Selon les hommes interrogés les problèmes auxquels est confrontée une jeune fille dans les rues de Djalâlâbâd sont :

1- Être exposée au contact des garçons dans la rue, no- tamment que son nom soit connu des garçons et qu´ils parlent d’elle. Cela peut causer des problèmes à son frère qui devra alors défendre sa réputation et celle de la fa- mille.

2- Avoir « des relations noires » avec des hommes (c’est-à-dire des rapports sexuels en dehors du mariage).

Dans le meilleur des cas, la fille peut finir en prison, accu- sée d´adultère et, dans le pire, être tuée par sa famille pour rétablir son honneur. Selon le département des Droits de l´Homme à Djalâlâbâd il y a actuellement en prison douze cas de « délits sociaux » et dix-sept cas d´assassinats de femmes pour adultère présumé. La majorité de ces femmes sont emprisonnées ou tuées sans qu’il y ait de preuves qu’un adultère ait été commis, une grande partie d’entre eux étant d’ailleurs des viols.

3- Etudier ou travailler dans un contexte mixte. Sur ce point, il y a des avis pour et contre, mais ces derniers sont les plus fréquents. Toutes les personnes auditionnées sont d´accord sur le fait que la religion n´est pas opposée à la mixité mais qu’il s’agit plutôt de la tradition pachtoune qui réprouve le fait que les femmes soient en relation avec des hommes en dehors de la famille. C’est pour cette rai- son que même les familles qui se déclarent ouvertes li- mitent le choix de leurs filles à deux facultés : celle de pédagogie et celle de médecine, car ces deux disciplines donnent accès à un emploi où la mixité est réduite, que ce soit dans les écoles des filles ou dans les hôpitaux des femmes. Les autres disciplines sont de fait interdites pour la majorité des filles.

Etre recrutée au sein d’une ONG fait l’objet d’une inter- diction pour une fille pachtoune et les données suivantes mettent en évidence que des carrières dans l´économie, l´ingénierie ou l´informatique sont très mal considérées pour les femmes.

L´explication qui nous a été donnée par les membres du Comité éducatif du lycée Esteqlâl et les étudiantes in- terrogées est qu´une femme, du point de vue de la tradi- tion, ne doit pas être entourée d’hommes et encore moins d’hommes étrangers qui n´observeraient pas les règles de l´islam comme c’est le cas dans les ONG. Les Afghans travaillant dans la même organisation risqueraient alors de parler d’elles, ce qui pourrait avoir des conséquences sur sa réputation et sur l´honneur de sa famille.

D’autres limitations existent concernant la nature du travail susceptible d’être accompli par une femme : les femmes ne doivent pas occuper des emplois difficiles comme le droit ou l’ingénierie car cela implique en plus un nombre d’heures de travail important, leur laissant moins de temps pour s´occuper des travaux domestiques et des enfants.

Le travail de professeur ne prend que de deux à quatre

heures par journée, ce qui convient pour une femme qui a des obligations familiales. Le travail dans des hôpitaux est identique en termes de temps et, selon le Directeur de la faculté de Médecine de Djalâlâbâd, n´implique pas trop d´engagement de la part des femmes puisqu’en ce moment il n´y a aucune spécialiste dans les hôpitaux de Djalâlâ- bâd. En effet les médecins femmes travaillent comme in- firmières ou suivent les femmes pendant leur grossesse.

Les cas compliqués et la chirurgie sont pris en charge par des docteurs hommes.

Il n’y a que six postes dans toute la province pour les- quels les étudiantes de Médecine peuvent opter dans leurs stages, le reste étant réservé aux étudiants masculins. De temps en temps le gouvernement offre dix places de spé- cialistes dans les hôpitaux publics de Djalâlâbâd mais au- cune femme n’a pu y accéder ces dernières années. De même, il y a actuellement une place libre de professeur pour la faculté de Médecine mais aucune femme ne s’est présentée pour le poste. Selon le directeur de la faculté de Médecine, les étudiantes sont découragées par les bas salaires dans les hôpitaux, où les femmes sont en moyenne payées 80 $ par mois après avoir étudié pendant sept ans.

La majorité d´entre elles ne peuvent pas travailler dans des cliniques privées du fait de la mixité et du fait que celles-ci sont rares dans la région.

C´est ainsi très décourageant pour une jeune fille qui doit étudier pendant sept années la médecine ou quatre années la pédagogie tout en sachant que le salaire sera très bas. Il vaut donc mieux se marier et rester à la maison ou bien, si on ne se résigne pas, prendre des cours non universitaires comme les « Teacher training » pour devenir également professeur non spécialisé. Il s’agit d’ailleurs de l’option choisie par la majorité des filles bénéficiaires des classes préparatoires organisées par AFRANE, si elles n´arrivent pas à passer avec succès l´examen d´accès à l´université.

Ci-dessous les données obtenues à la faculté de Méde- cine :

Pour le cours 2011-2012, sur un total de 837 étudiants non gradués, 126 étaient des femmes. Partage des sexes par niveau :

Cours de Médecine Total des étudiants Nombre de femmes

Première année 164 35 (21%)

Deuxième année 150 24 (16%)

Troisième année 134 17 (13%)

Quatrième année 136 11 (8%)

Cinquième année 124 22 (18%)

Sixième année 54 7 (13%)

Spécialité 7ème année 75 10 (13%)

Etudiants diplômés 45 5 (11%)

Bien que la médecine soit l’une des deux carrières préfé- rées des familles des filles à Djalâlâbâd, le pourcentage des filles ne représente que 15% du total des étudiants de la faculté. Dans la dernière promotion sortie de la Faculté, seulement 11% des étudiants diplômés sont des femmes2. Dans la faculté d´Education, au cours de l´année 2011, il y avait 1892 étudiants au total dont 163 femmes. 42 femmes ont été diplômées. Selon la directrice de la faculté d´Education, le taux d´abandon dans cette faculté est très faible, de l’ordre de 2 à 6 cas par an, dû la plupart du temps DÉVELOPPEMENTÉDUCATION

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au mariage de la jeune fille. Il faut noter que ce cursus est de trois années moins long que celui de médecine. Une fille peut être diplômée professeur à 22 ans, âge limite mais raisonnable pour se marier à Djalâlâbâd, selon les entretiens réalisés.

4- Le risque d´être kidnappée, violée ou harcelée sur le chemin de l’université ou dans les foyers d’étudiantes.

Selon le Département des Droits de l’Homme, l’associa- tion Woman for Afghan Woman et les directrices de quatre écoles de filles, il n’y a que deux ou trois cas de viol dé- noncés chaque année mais tous s’accordent à dire que plusieurs cas ne sont pas rendus publics pour conserver l’honneur de la fille et de sa famille et pour ne pas avoir de problèmes à l’heure de lui trouver un mari. Néanmoins ces mêmes personnes assurent que ces risques, bien que réels, ne sont pas de nature à empêcher les filles d’aller tous les jours à l’université. Djalâlâbâd est une ville relativement sûre et ces arguments seraient des prétextes mis en avant par ceux qui ne veulent pas l’émancipation des femmes.

5- Le risque de se voir impliquée dans une attaque ou dans des démonstrations politiques. Dus à la situation politique du pays, ces risques sont toujours présents et in- quiètent surtout les familles qui habitent en dehors de la ville. La plupart des attaques se produisent sur les routes qui relient Djalâlâbâd à la campagne et dans des villages plus retirés. Elles restreignent les possibilités d´accès à l´université des filles provenant de la campagne. Au cours des derniers mois, quelques employés d’ONG étrangères se sont fait tuer ou kidnapper par des opposants au gou- vernement. Ce fait ne contribue pas à faire des ONG un lieu de travail souhaitable pour les femmes ; bien que les risques soient les mêmes pour les filles et pour les garçons, ils sont soulignés pour les femmes compte tenu de la pro- tection qui s’exerce sur elles.

La femme que l´on nous présente est dépendante, inca- pable de gérer sa vie et d’avoir des responsabilités en dehors de la vie familiale, incapable de se protéger elle-même et dont on se méfie. Quand on évoque la sécurité des femmes, on évoque les risques de la laisser seule à côté des hommes car elle sera trompée par eux (image d´une femme naïve) ou car elle se mettra à les séduire (image d´une femme mani- pulatrice). C’est pour cela qu’elle a toujours besoin de sur- veillance.

Si nous combinons cette image de la femme avec ce que nous disions plus haut sur la tradition où l´honneur des hommes d´une famille réside en grande partie dans le contrôle exercé sur ses femmes et où le fait de leur donner

une certaine liberté est considéré comme une perte de pou- voir, il apparaît que laisser les femmes aller à l´université ou travailler dans des contextes mixtes, ne compromet pas la sécurité des femmes mais le pouvoir des hommes. Aller à l´université semble dangereux et inutile car cela implique un travail professionnel ultérieur avec un haut niveau d’ex- position publique pour la femme titulaire d’un diplôme uni- versitaire.

Quelques données chiffrées

- Selon le Rectorat de Djalâlâbâd, 5% des étudiants de l´université de Djalâlâbâd sont des femmes. De 2007 à 2011 le pourcentage des femmes de cette université n´a pas changé.

Années Hommes Femmes Total %

2007 3746 201 3 947 5%

2008 4 646 222 4 868 5%

2009 6 562 350 6 912 5%

2010 8 127 557 8 684 6%

2011 10 779 607 11 586 5%

- En revanche, selon la directrice de la faculté d´Education, 80% des étudiants du « Teacher training » (cours de deux ans ayant pour but de former des instituteurs ou des professeurs non spécialisés) sont des femmes.

- Sur les 26 jeunes filles de Terminale de l´école audi- tionnée, 19 ont été autorisées à aller en facultés de Médecine ou d´Education. Sur les 7 filles restantes, 5 sont obligées de rester à la maison et de se marier après avoir terminé leurs études secondaires et 2 n´ont que le choix d´étudier pour être professeurs. Sur les 21 filles (19 + 2) qui peuvent suivre des études supérieures, 17 ont dit que leur choix est différent de ce que leur famille leur permet d´étudier : économie, journa- lisme, droit et informatique ont leur préférence.

- Sur ces jeunes filles 12 ne sont pas certaines d´être mariées au cours de leurs études universitaires et toutes ont l´espoir d´être mariées avec quelqu´un qui leur permettra d’étudier à l´université mais elles ne peuvent pas l´assurer.

- Sur les 78 étudiantes de la Classe préparatoire au concours d´accès à l´université gérée par AFRANE à Dja- lâlâbâd, 67 mettront Médecine comme l’un des trois choix de cursus dans l´examen du concours et 13 Education. 34 de ces filles disent vouloir des cursus différents de ceux que leurs familles leur permettent de suivre. Les plus désirés sont l´économie, l´ingénierie, le droit et l´informatique.

- Les 24 étudiants sur 26 des facultés d´éducation, écono- mie et langues qui ont répondu à notre questionnaire préfère- raient se marier avec une fille graduée à l´école (18 ans) et qui reste à la maison. 25 d´entre eux permettraient que leurs sœurs aillent à l´université et, pour 3 d’entre eux, dans des facultés différentes de celles de médecine et d’éducation.

Toutefois pour ces 3 étudiants qui ont indiqué l´ingénierie et l´économie comme cursus valides pour leurs sœurs, ce se- rait à la condition qu’il s’agisse d’universités réservées aux femmes. Les 26 ont répondu qu´ils n’épouseraient pas une fille employée dans une ONG, sauf 1 qui a dit qu´il n´aurait pas de problème si l´ONG observait les règles de l´Islam dans le sens d´avoir des endroits séparés pour hommes et femmes.

- Selon les membres du Comité éducatif du lycée Este- qlâl (dix hommes, mullah, professeurs, parents d’élèves, étu- diants, directeur d´école) et les 26 étudiants masculins des dif- Djalâlâbâd. Université de médecine. «Laisser les femmes aller à l’université compromet le

pouvoir des hommes». Photo Université de Djalâlâbâd

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DÉVELOPPEMENT

férentes facultés auditionnées, les emplois autorisés pour une femme sont les suivants : docteur, infirmière, sage-femme, professeur, couturière, tissage des tapis. Les autres emplois ne sont pas interdits mais ne sont pas recommandables pour la réputation d´une femme. Être employée du gouvernement ou d´une entreprise privée pose le problème de la mixité.

Aspects politiques

Il est constaté par le Département des Droits de l’Homme que les nouvelles générations de garçons exercent plus de violence contre les femmes que les générations précédentes, bien que les lois actuelles défendent les droits des femmes.

Cela peut s´expliquer par l´influence des différents régimes (soviétique, modjahedin et tâleb) vécus par chaque généra- tion, mais aussi par le rôle d’opposition dévolu à la culture islamique en tant que bloc s’affrontant au bloc occidental, chacun porteur de consignes radicales comme drapeau de bataille, qui font de la femme un instrument de propagande dans une « guerre » plutôt politico-économique.

Il ne faut pas oublier qu’un certain nombre de ces jeunes ont vécu au Pakistan comme refugiés et ont étudié dans des écoles islamiques parfois extrémistes. La politique, la reli- gion et la morale liée à la tradition, en ce qui concerne le trai- tement réservé aux femmes, suivent les consignes des Pach- tounes intégristes pakistanais. Les groupes de rebelles armés dans la zone, soutenus par le Pakistan, contribuent sans doute à la popularité de telles consignes parmi la population de la province de Nanagarhar.

Une autre raison qui peut s’ajouter, c’est qu’ils ont plus d’affinités avec leurs voisins pakistanais pachtounes qu’avec les politiciens de leur propre pays. Un certain nombre de ces politiciens sont des « Seigneurs de Guerre » coupables de nombreux crimes commis contre la population pendant la guerre civile et qui restent impunis grâce à une amnistie générale proclamée par le parlement afghan en 2007, qui n’a pris en considération ni l’opinion des victimes en particulier, ni celle du peuple en général. Les nouvelles lois sont faites, selon certains de nos interlocuteurs, par ceux qui occupent le pouvoir, qui ne représentent pas la population afghane et qui ne méritent pas son respect. En plus ils sont soutenus par la communauté internationale dont les principes seraient contraires, aux yeux de plusieurs, aux valeurs de l’Islam.

Bref, les lois seraient éloignées de la mentalité de la majorité de la population, surtout de celle des provinces.

En fait, la tradition est plus forte dans la vie quotidienne et peu de femmes expérimentent les droits que certaines lois

leur accordent, soit par ignorance, soit parce que considérées contraires à la tradition, soit par crainte des représailles des intégristes dans les villages de la campagne.

Néanmoins, comme nous venons de le dire, la loi na- tionale est favorable à la promotion de la femme et dans le domaine éducatif, le Ministère de l’Education met en place des politiques destinées à augmenter le nombre des femmes à l’université, par exemple les cours préparatoires pour le concours d´accès à l´université, gratuits et donnés dans les écoles de filles pendant l´été. Mais tant les familles, les étu- diantes, les professeurs d´école et d´université, que les asso- ciations en faveur des femmes qui ont été auditionnées et le Département des Droits de l´homme se rejoignent dans la critique faite au Ministère de l´Education pour son absence de politique vraiment utile pour la promotion universitaire des femmes dans la province. Ils proposent des mesures de discrimination positive dans l’attribution des places au concours d´accès à l’université, en réservant des places pour les femmes dans chaque faculté et en mettant en place des résidences et des transports publics exclusivement réservés aux femmes dans toute la province et spécialement à Djalâ- lâbâd.

Le Département des Droits de l’Homme et les deux di- recteurs de faculté auditionnés remarquent que les profes- seurs d´école ne motivent pas les filles et n´exercent pas un rôle de médiateur familial pour la promotion des filles. D´un autre côté, il y a dans les universités des professeurs oppo- sés à l´éducation des filles qui font tout leur possible pour les décourager et qui sont en grande partie responsables de l´abandon des études par les filles, surtout dans des facultés désignées traditionnellement comme masculines : économie, ingénierie, etc.

La corruption des jurys dans l´examen d´accès à l´uni- versité et le peu de places publiques qui se libèrent chaque année par rapport au nombre des étudiantes en Afghanistan, sont les problèmes les plus mentionnés comme freins à la promotion universitaire tant des hommes que des femmes.

Une autre question qui est ressortie des entretiens a été le manque de politiques d´aide aux femmes qui travaillent.

A Djalâlâbâd il n´y a pas d’écoles maternelles où laisser les petits enfants pendant que les mères sont au travail, ni de po- litiques d´encouragement aux entreprises pour employer des femmes. Lles femmes qui se décident à chercher du travail dans des entreprises afghanes se heurtent à de nombreuses barrières relatives au sexe. Les employeurs ne veulent pas des jeunes filles car elles quitteront leur travail en cas de mariage ou de maternité, elles rencontreront des problèmes pour sortir seules dans la rue, leur famille les empêchera de continuer à travailler une fois mariées ou mères, ou bien elles seront absentes quand leurs enfants seront malades. Toutes ces difficultés sont celles que rencontrent les femmes des autres pays et ne peuvent se résoudre qu’avec une forte vo- lonté politique de promouvoir l´accès des femmes au monde du travail.

Le fait que la loi soit favorable à la promotion des femmes, même si sa mise en pratique reste encore très faible, conforte cependant les familles progressistes de Djalâlâbâd dans leur effort d´aller contre la pression sociale et aidera peu à peu, nous l’espérons, à changer la mentalité des nouvelles générations, aujourd´hui influencées par des consignes et des normes sociales restrictives rendant difficile l´indépendance des femmes.

Eu égard à la situation politique actuelle en Afghanistan avec les troupes étrangères en train de quitter le pays dans ÉDUCATION

Djalâlâbâd. université de médecine. Cérémonie de remise de diplômes aux étudiantes. Photo Université de Djalâlâbâd

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un délai de deux ans, la majorité des réponses se situent dans l´espoir de négociations avec les Tâlebân. La directrice de la faculté d´Education pense qu’une solution pour conserver le droit des femmes à l´éducation, si jamais les Tâlebân ac- cèdent au pouvoir, sera de mettre en place des universités exclusivement réservées aux femmes. Le Département des Droits de l’Homme pour sa part a confiance dans la bonne gestion du gouvernement et dans la communauté internatio- nale pour conserver la démocratie dans le pays.

Aspects économiques

Même si les résultats de l´examen sont positifs, de nom- breux candidats sont admis dans des villes différentes de celle où ils habitent, en fonction du nombre de points obte- nus. Envoyer des fils ou des filles à l´université devient alors un luxe que peu de familles peuvent se permettre.

Une des questions communes tant aux filles qu’aux gar- çons à l’issue de l´école primaire (à Djalâlâbâd la majorité des enfants va à l´école primaire mais ce n´est pas le cas à la campagne où la grande majorité des filles reste à la maison) est qu´ils doivent aider leur famille. Un garçon peut gagner 1000 kaldar3 par jour en s’employant au bazar et les filles doivent se marier. Dans le mariage traditionnel pachtoune, la famille de la fille reçoit une quantité d´argent qui peut varier, en moyenne, entre 4 000 et 10 000 dollars. Cette pratique traditionnelle que certains qualifient de « vente des femmes

» est en train de diminuer dans tout le pays grâce aux cam- pagnes du gouvernement, mais cette diminution se voit ra- lentie dans des provinces pachtounes, comme c’est le cas à Djalâlâbâd où la tradition est fortement enracinée4. Quand une famille a besoin d´argent, marier une de ses filles est une solution très répandue.

Vu les réponses des garçons à la question relative aux jeunes filles qu’ils souhaiteraient épouser, on peut se deman- der si le fait qu´une fille continue ses études après le lycée ne fait pas baisser le montant de sa dot. Tous les garçons ont ré- pondu qu´ils préfèreraient épouser une fille après sa gradua- tion à l´école et qu´elle reste à la maison après le mariage. Par contre, quand on a posé directement cette question, toutes les personnes ont répondu que la somme payée pour une fille à l’occasion de son mariage dépendait du genre de famille et du genre de filles qui étaient recherchées.

On a demandé au Comité éducatif de l´école Esteqlâl quelles étaient les différences économiques auxquelles une famille devait faire face quand il y avait dans la maison une fille et un garçon demandant à aller à l´université et lequel, finalement, irait étudier au cas où il ne serait pas possible de payer les frais pour tous les deux :

1- Dans le cas où l´université est dans la ville où habite la famille : il n’y aura pas de frais universitaires mais il y aura des frais de transport s’il s´agit d´une jeune fille, qui seront évités s’il s´agit d´un garçon. En effet, la fille ne peut ni marcher seule dans la rue, ni prendre seule un taxi, ce qui double les frais de transport, tandis qu’un garçon peut aller à pied ou seul dans un taxi.

2- Dans le cas où l’université est dans une province diffé- rente ou lorsque la famille habite à la campagne : les frais de transport pour le long déplacement sont chers et, pour des raisons de sécurité, le trajet ne pourra se faire tous les jours. Donc il faudra se loger dans la ville ou dans la province où se trouve l´université. Si l’étudiante n´y a pas de famille ou de relations susceptibles de l’héberger, la

solution est un foyer pour étudiantes. Cette solution éli- mine de nombreuses familles, qui ne peuvent faire face aux dépenses de logement et de nourriture de leurs en- fants. Parmi celles qui ont des possibilités économiques, l´idée d´envoyer une fille seule loin de sa famille n´est pas très appréciée pour les raisons de sécurité. Alors que s´il s´agit d´un garçon, il n’y a pas de souci. Sur les 78 filles du Cours Préparatoire, 17 peuvent choisir d’aller à l´université à Kaboul, si elles ne trouvent pas de place à Djalâlâbâd, mais elle n´ont pas spécifié si c’est parce qu’elles ont de la parenté dans cette ville ou pas. En tout cas, seules trois filles sont autorisées à aller dans n´importe quelle province ; là où elles trouveront de la place, leur fa- mille leur permettra d´y aller.

3- Une autre option, ce sont les universités privées. Toute- fois le coût mensuel des universités privées à Djalâlâbâd est autour de 5000 af (80 euros), ce qui réduit le nombre des familles qui peuvent y envoyer leurs enfants. Seule- ment 10 des 78 filles du Cours Préparatoire ont répondu qu´elles iront dans des universités privées si elles ne trou- vent pas de place dans l’université publique.

Néanmoins, nous avons rencontré quelques cas de grands frères qui nous ont dit qu´ils travailleraient pour payer l’université privée à leurs sœurs si elles n´obtenaient pas une place publique, ainsi que des filles disposées à tra- vailler comme professeurs non qualifiés ou comme cou- turières pour se payer leurs études dans des universités privées.

Cet état d’esprit nous montre qu’aucun des obstacles évo- qués dans ce document n’est certain. Ni les aspects culturels, politiques, ni même économiques ne peuvent empêcher une femme afghane d’aller à l´université et de travailler là où elle veut, une fois ses études achevées. Seul l’appui de sa famille peut lui manquer. Ainsi que le dit la directrice de la Faculté d´Education à Djalâlâbâd : « Une femme, avec du talent et avec l’appui de sa famille, peut être ce qu´elle veut. Elle trou- vera des difficultés et des opposants et sa carrière sera beau- coup plus difficile que celle d´un homme, mais si sa famille et la loi sont avec elle, rien peut l´empêcher d´accomplir ses désirs et de se réaliser en tant que femme et en tant que pro- fessionnelle».

1- Beaucoup de mes interlocuteurs se sont référés à la tradition pachtoune.

Mais il faut noter qu’il n’y a pas que des Pachtouns à Djalalabad, mais aussi par exemple des Pachais, et que d’autre part, les traditions dont il est fait état ici se retrouvent également dans d’autres régions et d’autres ethnies.

2- On constate que le pourcentage de filles est supérieur dans les premières années. Ne disposant pas des données des années précédentes, nous ne pouvons dire si ceci est dû à une progression des inscriptions de filles ces dernières années, ou bien à une déperdition au fur et à mesure des années d’étude… et des mariages. Il faut noter par ailleurs que les élèves qui se sont inscrites en masse à l’école en 2002 et les années suivantes après le départ des Tâlebân parviennent seulement maintenant en classe Terminale. Il fau- dra voir si elles souhaiteront entrer à l’Université en plus grand nombre que leurs devancières. (NDLR)

3- Kaldar est le terme utilisé à Djalâlâbâd pour désigner la roupie pakista- naise, très utilisée localement.

4- Obtenir de l´argent pour marier une fille commence cependant à avoir une connotation négative. On attribue la pratique à des personnes non éduquées.

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