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2 Langue de bois, vérité divine et secrets intimes : la communication hospitalière

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Langue de bois, vérité divine et secrets intimes :

la communication hospitalière

« Renseignements », « explications », « commémoratifs », « données », « opinions », « observations », « fables », « mensonges », « vérités » : ces termes désignent des objets variés qui, dans le complexe univers de l’hôpital, circulent sous forme écrite ou sonore, encombrent la surface des registres et feuilles de papier ou traversent l’atmosphère séparant les cordes vocales énonciatrices de quelques paires d’oreilles à proximité. Ces objets seront désignés ici sous le terme générique d’« information ». L’information, ou plutôt son échange – le dialogue, la communication – est un élément fondamental de toutes relations interindividuelles. Elle tient donc un rôle central dans les interactions cliniques : elle est dispensée par tous les acteurs hospitaliers, elle matérialise le lien organique qui les unit. Si elle se veut parfois neutre, elle est difficilement dissociable de l’émotion, elle bâtit ou fragilise les confiances. L’information est également un élément-clé du cadre éthique reformulé depuis quelques décennies dans le monde occidental autour du principe d’autonomie du malade. Ce n’est pas un hasard si, en France et en Belgique, les lois de 2002 relatives aux droits des patients affirment pour ceux-ci un « droit à l’information » non équivoque, bien qu’encore vaguement défini. En effet, pour que les malades puissent exercer leur volonté librement et définir eux-mêmes la forme de leur parcours thérapeutique, il est indispensable que leur soient communiquées des informations sur leurs diagnostics, pronostics, sur les diverses options thérapeutiques qui s’offrent à eux, sur le contenu et les risques des procédures qu’ils s’apprêtent à subir, etc. En miroir de la situation actuelle, ce chapitre s’interroge sur la façon dont l’information était gérée dans le passé, à l’intérieur d’une culture médicale qui ne privilégiait pas absolument l’autonomie des malades se soumettant à elle.

La communication entre les patients et les acteurs préposés à la prise en charge de ceux-ci dans le domaine médical et hospitalier a surtout intéressé les éthiciens, anthropologues et sociologues1. En histoire, elle a été abordée sous quatre angles principaux, isolés les uns des autres.

Sous l’angle de l’éthique médicale, cette problématique a donné d’abord lieu à des analyses essentiellement discursives, préoccupées de retracer, à travers la littérature déontologique et philosophique, l’évolution du traitement réservé à certains sujets d’éthique spécifiques tels que le secret médical, le consentement éclairé ou le mensonge thérapeutique2.

C’est en s’intéressant à la réalité historique de la relation thérapeutique que certains historiens ont également touché à l’objet qui nous intéresse. Ces derniers, à l’instar de Charles Rosenberg ou

1

En éthique, voir par exemple ces deux classiques : KATZ Jay, The Silent World of Doctor and Patient, Baltimore: The Johns Hopkins University Press, 2002 (1984); BEAUCHAMP Tom L. et FADEN Ruth R., A History and Theory of Informed Consent, Oxford et New York: Oxford University Press, 1986. En anthropologie, voir par exemple : FAINZANG Sylvie, La relation

médecins-malades: information et mensonge, Paris : Presse Universitaire de France, 2006. En sociologie, voir par exemple:

ROTH Julius A., « Information and the Control of Treatment in Tuberculosis Hospitals », in FREIDSON Eliot (ed.), The Hospital

in Modern Society, Glencoe, Ill.: Free Press, 1963, p.293-318, ou MARZANO Marco, « Lies and Pain: Patients and Caregivers

in the ‘‘Conspiracy of Silence’’ », in Journal of Loss and Trauma, 14, 2009, p.57-81.

2 Par exemple VILLEY Raymond, Histoire du secret médical, Paris : Seghers, 1986 ; DURAND Guy et al., Histoire de l’éthique

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Mary Fissell, ont fait la constatation d’un appauvrissement du dialogue patients-médecins au 19ème siècle, appauvrissement coïncidant avec l’avènement de la médecine moderne et hospitalière3.

Les historiens intéressés par l’évolution des pratiques et conceptions relatives à la mort dans le monde occidental se sont, quant à eux, penchés brièvement sur les particularités de la communication des médecins avec les mourants. Ainsi Philippe Ariès et Anne Carol ont mis en évidence une mise au ban progressive, dans le discours adressé aux malades, des mots de la mort.

Enfin, une série de travaux historiques plus récents sur les pratiques de consentement éclairé en médecine se sont attachés à mettre en lumière la participation occasionnelle des patients du 19ème siècle et du début du 20ème siècle aux processus de décision thérapeutique, une participation impliquant le partage effectif d’information par les soignants. Ces travaux, à l’instar de ceux de Sally Wilde et de Karen Nolte, se voulaient remise en question du paternalisme médical fréquemment associé à la médecine des siècles passés. Ce paternalisme, toutefois, n’y était jamais défini, si ce n’est par défaut, comme une absence de partage au sein de la relation thérapeutique.

Explorant à nouveau l’ensemble de ces questions, ce chapitre cherchera à connecter celles-ci entre elles et à les intégrer dans une perspective plus globale. Trois types d’information – ainsi que les pratiques de gestion informationnelles qui leur sont associées – seront principalement examinées ici: l’information anxiogène (essentiellement diagnostique et pronostique), l’information pastorale et l’information personnelle. Il sera beaucoup question de maladie grave, de mort et de mourants puisque, dans ces domaines de l’expérience hospitalière, l’enjeu de l’information – de sa circulation – est particulièrement élevé. Ce chapitre a également l’ambition d’exposer la complexité du paternalisme « soignant » de l’époque, qui ne peut être assimilé simplement à l’autorité absolue des médecins et à l’absence de communication entre les patients et ceux qui les entourent. Pour cela, il faudra tenter de comprendre quelles dynamiques sous-tendent le fréquent mutisme des médecins ; et quelles images nous renvoient les sources lorsque l’on considère les actions et les motivations d’autres acteurs historiques sur le terrain hospitalier.

1. Opacité et transparence

L’hôpital du 19ème siècle, dont la présence architecturale se prolonge encore largement sur le siècle suivant, apparaît de l’extérieur comme un monde relativement opaque. Si son imposante architecture intimide, ses lourdes façades de briques et de pierres lui donnent un air grave et

3 Selon Charles Rosenberg, patients et médecins, autrefois liés par une vision commune, ne partagent désormais plus le même

système de compréhension du corps et des mécanismes pathologiques, cf. ROSENBERG Charles E., “The Therapeutic Revolution: Medicine, Meaning and Social Change in Nineteenth Century America”, in Perspectives in Biology and Medicine, vol. 20(4), 1977, p.503. Selon Lachmund et Stollberg, les malades objectifiés et soumis à une routine rigide au sein des institutions hospitalières fraichement médicalisées font aussi l’expérience d’un nouveau « déficit de sens », conséquence de la parole absente des médecins, cf. LACHMUND Jens et STOLLBERG Gunnar, Patientenwelten: Krankheit und Medizin vom

späten 18. bis zum frühen 20. Jahrhundert im Spiegel von Autobiographien, Opladen: Leske + Budrich, 1995, p.172-174. La

parole du malade elle-même, concurrencée par de nouvelles technologies diagnostiques capables de « faire parler » directement le corps, se trouve de plus en plus dépréciée par des professionnels qu’une grandissante expertise rend sûrs d’eux et autonomes, cf. FISSELL, Mary E., « The Disappearance of the Patient’s Narrative and the Invention of Hospital Medicine », dans: WEAR Andrew and FRENCH Roger (eds), British Medicine in an Age of Reform, London and New York: Routledge, 1991, p.91-109. Seul Edward Shorter fait du début du 20ème siècle l’âge d’or de la relation thérapeutique et de la communication entre patients et médecins. Cette période, selon l’auteur, voit se combiner avantageusement une nouvelle révérence du public envers les professionnels de la médecine (confiance des patients) et un nouvel intérêt des médecins pour les causes psychosomatiques de la maladie, et donc pour la vie intérieure de leurs malades (écoute des médecins), cf. SHORTER Edward,

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mystérieux. A Bruxelles, les bâtiments administratifs de l’hôpital St-Jean sont protégés par la rythmique dissuasive d’une série de hautes grilles alors qu’un mur de plus de trois mètres cerne les pavillons de malades à flanc de rue. Assoiffées de lumière salubre, les larges fenêtres de ceux-ci s’ouvrent sur le ciel et les cours intérieures mais ne font pas aux alités la publicité de la rue, ni n’offrent aux badauds la possible satisfaction d’un rapide coup d’œil à l’intérieur du ventre de la pudique bâtisse. A St-Pierre, les vitres des rez-de-chaussée longeant les trottoirs publics, chargées notamment de faire le jour dans le quartier des enfants, sont en verre poli. L’hôpital est fermé à son environnement urbain, peu lisible de l’extérieur. Il est également difficile d’accès. L’entrée pour ceux qui ne sont pas membre du personnel s’y fait par une porte unique, placée sous les yeux avisés d’un portier et d’un concierge. Seules quatre heures par semaine (deux heures le jeudi et deux heures le dimanche) sont allouées aux visites des familles qui alors submergent les salles et les couloirs en des flots serrés que la direction a du mal à ordonner. La complexité des procédures et arrangements administratifs qui régissent les temps et espaces hospitaliers accentue également l’opacité de l’institution. Et c’est sans compter la presse de l’époque qui fait de celle-ci un monde de fantasme aux enceintes dissimulatrices, un vaisseau de mystère dont il faut surveiller l’équipage, infiltrer la machinerie et exposer les rouages4. Que ce soit, en outre, un lieu de mort, où le passage de vie à trépas s’effectue loin du contrôle des familles, ajoute à cette aura d’énigme et de suspicion.

Aux yeux du patient admis, soigné, logé à l’hôpital, l’intérieur dévoilé de l’institution ne relève que partiellement celle-ci de son opacité. L’administration et l’organisation hospitalières restent complexes et difficiles à saisir. L’information ne vient pas naturellement aux malades et c’est sans doute l’observation directe de leur environnement, des gestes et postures des soignants, ainsi que l’interaction avec d’autres malades et le personnel domestique, qui les éclaireront le plus distinctement sur la nature de l’hôpital et des évènements qui s’y déroulent. Car sous forme écrite – affiches, règlements, registres, plaquettes et billets de lit, journaux quotidiens, pamphlets, livres de la bibliothèque des malades – l’information est partiellement inaccessible : une partie est tenue hors de la vue des soignés, et ce qui est visible, rédigé majoritairement en français, reste plus ou moins incompréhensible pour l’importante proportion de la patientèle hospitalière illettrée ou non francophone5. L’information orale, que le patient reçoit de la bouche des soignants, du personnel administratif ou d’encadrement est, quant à elle, fragmentée (chaque acteur possédant seulement une partie de ce qu’il y a à savoir) et transmise partiellement (chaque acteur ne divulguant pas tout ce qu’il sait). Ainsi, ceux qui en savent le plus sur le statut médical individuel des patients – les médecins – ne communiquent pas forcément aux patients ce qu’ils ont déduit de l’observation des corps et de l’analyse des récits de maladie offerts à leurs oreilles. Une communication fragmentaire, attachée à – et justifiée dans – ses points occultes, est le propre d’une gestion paternaliste de l’information, gestion informationnelle que ce chapitre s’attache tout particulièrement à étudier.

L’agir paternaliste, on l’a vu, a pour objectif d’assurer le « bien » du malade. Mais avant d’assurer ce « bien », il faut le définir ; et pour le définir, il est nécessaire d’avoir en main toutes les cartes permettant d’appréhender, dans son ensemble, la situation du malade : de quoi celui-ci est-il

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Voir, par exemple, ces deux enquêtes dénonciatrices écrites par des journalistes s’étant introduits « incognito » dans les bâtiments de l’hôpital St-Pierre : « Une visite à l’hôpital St-Pierre », Le National Bruxellois, 21 juin 1895 ; « Hôpital Saint Pierre. Aspect General », Volksgazet van Brussel, 15 et 16 mai 1922.

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atteint ? Quel est son pronostic ? Quels seraient, dans son cas, les inconvénients, avantages de tel ou tel remède, de telle ou telle opération ?, etc. Puisque l’acte de définition lui-même, dans la logique paternaliste, appartient au soignant, il est inutile que ces cartes – les informations qu’elles contiennent – passent toutes sous les yeux du malade. Le rôle de ce dernier est de se laisser soigner, de s’abandonner, confiant, aux décisions des soignants. En effet, l’impératif moral central qui régit les pratiques informationnelles du milieu médical de l’époque n’est pas celui d’une transparence qui permettrait au patient d’effectuer de manière éclairée ses propres choix, mais bien un impératif de protection du malade et de ses intérêts. Si une législation claire règle les contours du secret médical dès le début du 19ème siècle, aucune loi, en revanche, ne fait l’obligation de divulguer quoi que ce soit aux malades et à leurs familles. C’est à chaque soignant individuel, dans chaque situation particulière, devant chaque patient individuel, que revient la tâche de définir et d’actionner les formes et contenus communicationnels qu’il trouvera les plus adaptés, les plus judicieux, mais aussi, s’il se conforme à la morale de l’époque, les plus bénins possibles.

Ce n’est pas un hasard si les législateurs du 19ème siècle et de la première moitié du 20ème siècle ont équipé les sujets malades du continent médical d’un droit à la protection des données privées mais pas d’un droit à l’information. La transparence n’est pas une vertu en soi : c’est le long processus de sa valorisation, prenant pieds dans le siècle des Lumières et évoluant parallèlement au lent processus de démocratisation des sociétés occidentales, qui nous la fait aujourd’hui apparaître comme telle6. Mais la société bourgeoise du 19ème siècle et de la première moitié du 20ème siècle, elle, est encore particulièrement attachée au secret. Le secret n’est pas qu’un instrument de pouvoir aux mains des élites politiques et économiques désireuses de poursuivre dans l’impunité leurs intérêts privés, il ne maintient pas dans l’ombre uniquement pour manipuler. Le secret préside aussi, au siècle de la révolution industrielle, à une délimitation affermie de la sphère privée, il est au cœur d’une pudeur plus farouche, il est contenu dans l’inviolabilité du domicile et de la correspondance (affirmées par les articles 10 et 22 de la Constitution belge de 1831), il est médical, confessionnel, il fait naître la confiance entre les individus7. A l’époque prise en compte par ce travail, la transparence d’ailleurs est marquée occasionnellement du sceau de l’amoralité : elle est exhibitionnisme qui blesse la bienséance bourgeoise, elle est trahison des secrets, elle dénoue la solidarité professionnelle. La déontologie fait par exemples aux praticiens un devoir de défense, par l’opacité, de l’honneur de la profession médicale. En effet, au tournant du 20ème siècle, il sera considéré comme amoral pour un médecin de lever le voile sur la cuisine interne de sa profession : de révéler aux yeux du public – notamment par voie de presse – les conflits et querelles qui divisent celle-ci, mais aussi de faire publicité au moment d’une consultation médicale de l’erreur d’un confrère ou d’un désaccord entre

6 Sur la vertu de la transparence et les sociétés modernes: CHAUBET François, « Langage et transparence en histoire »,

communication présentée au cours du séminaire Transparence et langages, organisé par le Groupe de recherche et d’application hospitalières (GRAPH), Les Arcs, 10-12 mars 2008. Disponible sur < http://www.le-graph.com/index.php/langage-et-transparence-en-histoire > (consulté le 27 octobre 2015). Selon Mireille Buydens, les raisons qui expliquent la « promotion moderne de la transparence » sont multiples (p.68). La disponibilité de l’information serait tout d’abord nécessaire au libre-échange et à l’ajustement de l’offre et de la demande. Le désir de la transparence aurait également crû au fur et à mesure que les savoirs se complexifiaient et le monde s’opacifiait. La transparence, la vérité, se présenterait aussi comme l’ultime valeur d’un monde en désenchantement. Enfin, la quête contemporaine de la transparence serait intimement liée au processus de dématérialisation technologique des sociétés modernes, cf. BUYDENS Mirelle, « La transparence: obsession et métamorphose », in Intermédialités, n° 3, 2004, p.51-77.

7 Sur ce sujet, voir ARIÈS Philippe et DUBY Georges (dir.), Histoire de la vie privée. Volume 4. De la Révolution à la Grande

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collègues8. A l’inverse, présenter au monde extérieur une façade toujours unie – en dissimulant mésententes, divergences d’opinion et fautes médicales – apparaîtra comme une manœuvre proprement morale, puisque celle-ci, en conservant à la profession la confiance du public, sauvegarde à la fois les intérêts des professionnels (qui continueront à être sollicités) et des patients (qui pâtiraient cruellement d’un manque de confiance envers leurs soignants, la confiance étant alors envisagée comme un facteur déterminant du succès thérapeutique). La médecine – profession libérale qui se théorise souvent dans le refoulement de son extension publique – se pense et se gère avant tout comme un domaine privé en droit de protéger des regards qui lui sont extérieurs les mécanismes de son intimité. On comprendra ainsi les difficultés ressenties et les réticences exprimées par les acteurs du monde hospitalier lorsque le public, au cours du 19ème siècle, se mettra à exiger de plus en plus bruyamment un droit de regard sur la gestion des institutions de la médecine civile, en vertu notamment du financement citoyen de celles-ci.

Que la médecine et l’hôpital donnent consistance à des mondes partiellement opaques, cela se confirme dans les archives hospitalières par l’observation de fréquents faits de non-communication. Une partie de ces « faits » sont le résultat d’erreurs humaines ou de défaillance du système de communication hospitalier, comme il en arrive encore fréquemment aujourd’hui. L’autre partie, en revanche, est l’expression de certaines habitudes de mutisme propres à l’époque étudiée, elles-mêmes le produit du plus large contexte explicité ci-dessus.

Un premier exemple illustre de manière tragique l’impénétrabilité de l’environnement auquel certains membres du public peuvent être confrontés lors de leur passage à l’hôpital, ainsi que la causalité complexe des zones opaques de la communication hospitalière. Le jeudi 2 mai 1912, une certaine dame M. se rend durant les heures officielles de visite auprès de son fils alité dans la salle 4 de l’hôpital St-Jean. Le trouvant « très mal déjà », elle accoste une infirmière « pour être un peu rassurée sur l’état de [l]a maladie [de son enfant] » mais celle-ci lui répond « évasivement [d’aller] voir Mr le docteur Huart, ou Mlle Gabrielle, qu’elle-même ne pouvait rien dire ». Ne trouvant pas les interlocuteurs indiqués, la dame M. interroge le concierge : celui-ci « à qui je faisais part de mes inquiétudes m’[a] plutôt reçue brutalement », écrit la parente, « en me disant qu’il était inutile que je sache ce que l’on pensait de l’état de mon fils pourvu qu’on le soigna ». Le lendemain, la mère inquiète revient à l’hôpital « afin de savoir, la visite médicale passée, comment Messieurs les médecins avaient trouvés mon fils et aussi pour être autorisée à le revoir ». Mais la réception que lui fait le bureau d’accueil la laisse désespérée : « Les employés m’ont renvoyées en me disant qu’ils n’avaient pas le temps, et du reste, qu’ils n’avaient personne pour aller prendre des nouvelles, afin de me renseigner », se plaint-elle auprès au Président du Conseil des Hospices, « j’ai eu beau supplier en grâce, la salle 4 où se trouvait mon fils étant cependant au rez de chaussée, et par conséquent bien proche du bureau de ces messieurs ; il ne m’a pas été possible de le revoir ni de rien savoir et cependant, que le malheureux rendait le dernier soupir presque à ce moment »9. De fait, le fils décèdera le vendredi même, sans avoir revu sa mère.

8

Voir par exemple : LE GENDRE Paul & RIBADEAU-DUMAS Henri, Traité de pathologie médicale et thérapeutique appliquée, tome I : Déontologie et jurisprudence médicale, Paris : A. Maloine & fils, 1920, p.327.

9 ACPASB, AG, n°124, dossier concernant « la plainte de Mme M., à charge des employés de l’hôpital St Jean », lettre de Mme

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La communication malaisée entre la dame M. et le personnel hospitalier, l’impossibilité de recevoir l’information qu’elle demande (y compris sous une forme visuelle via le contact direct avec son fils), est ici le produit de causes multiples. La première de ces causes est règlementaire, l’infirmière ne paraissant pas être autorisée à transmettre des informations médicales aux familles10. Une « erreur » de jugement de la part du chef de service en charge du malade est également à l’origine de la triste situation : en effet, celui-ci n’avait pas fait inscrire le nom du patient au « livre des moribonds », ce qui aurait permis à la mère de se rendre auprès de son fils mourant en dehors des heures et jours de visite réglementaires11. Il y a là en outre un problème structurel de manque de personnel qui a fait obstacle à l’envoi d’un garçon de bureau dans les salles pour se renseigner sur l’état du malade. Selon la dame M., la discrimination sociale pure et simple est une cause supplémentaire des difficultés rencontrées par elle. Dans sa lettre, celle-ci met en lumière la différence de traitement dont elle a été victime lors de sa venu à l’hôpital le vendredi : « Ce qui m’a révolté », écrit-elle, « c’est qu’une étrangère, qui s’est fait passer pour [l]a fiancée [de mon fils], à pu elle assister à ses derniers moments ; mais voilà elle avait « chapeau et toilette » que je n’avais malheureusement pas. »12. Le directeur de l’hôpital prétextera que l’« étrangère » s’était en réalité introduite dans l’établissement à l’insu du personnel. Il prendra néanmoins l’initiative de rappeler à ses employés que tout public, par « sa visite même à l’hôpital », est « intéressant » (qu’il faut s’y intéresser), ce qui laisse supposer une tendance parmi les membres du personnel à se désintéresser du type de personnes que représente la dame M., c'est-à-dire du public « sans chapeau »13. Comme l’illustre à de multiples reprises cette thèse, le dispositif hospitalier lui-même est basé sur des rapports sociaux asymétriques, ceux-ci influençant inévitablement les dispositions des acteurs soignants ou d’encadrement en matière de partage de l’information. Ces dispositions sont d’ailleurs révélées clairement par le concierge auprès duquel la dame M. ira chercher, en vain, un peu de réconfort. A la mère paniquée, celui-ci fait comprendre que ce n’est pas la peine de courir derrière les informations, de chercher, à travers les mots des médecins, à comprendre ce qui arrive à son fils, il faut se satisfaire de la certitude des soins donnés et faire confiance aux soignants.

L’absence d’une pensée de la transparence, en médecine, va de paire avec cette certitude qui est celle du concierge d’un inutile partage de l’information à ces patients et parents qui sont appelés à s’en remettre de toute façon aux décisions et aux actions des soignants et dont l’obéissance est souhaitée. Cette absence, comme on l’a vu, est également liée à la volonté de barrer au public l’accès des « coulisses » de la profession médicale, de cet espace privé, de cet entre-professionnels – espace d’écriture, espace décisionnel – où se discutent, se préparent, se conceptualisent, s’évaluent, se comptabilisent les actions soignantes.

Cette idée de l’inutilité d’un dialogue avec les membres de l’entourage du malade qui n’auraient pas la capacité de comprendre la matière médicale et dont on ne désire de toute façon pas un avis

10

Il n’apparaît pas clairement dans les sources si cette « infirmière » est une domestique ou une infirmière diplômée, puisque la terminologie à cette époque de transformation du personnel soignant présente d’incommodes chevauchements.

11

ACPASB, AG, n°124, dossier concernant « la plainte de Mme M., à charge des employés de l’hôpital St Jean », lettre du directeur de l’hôpital St-Jean au Conseil, Bxl, 17 mai 1912.

12

ACPASB, AG, n°124, dossier concernant « la plainte de Mme M., à charge des employés de l’hôpital St Jean », lettre de Mme C. M. à « Monsieur le Président », bxl, 9 mai 1912.

13 ACPASB, AG, n°124, dossier concernant « la plainte de Mme M., à charge des employés de l’hôpital St Jean », lettre du

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indépendant, ainsi que ce refus de laisser quiconque accéder aux coulisses de la profession, se traduisent par d’autres faits de non-communication au sein de l’hôpital. En 1887, Mathilde L., la mère d’un jeune garçon traité pour « peritonite tuberculeuse et maladie de cœur » au service des enfants à l’hôpital St-Pierre, rapporte au bourgmestre de la ville la façon dont le personnel médical et administratif l’a renvoyée d’interlocuteur en interlocuteur, jusqu’à la faire sortir de force de l’hôpital, lui refusant un dialogue qu’elle demandait avec une insistance dérangeante :

« […] le jeudi arrivé, je vais voir l’enfant il était dans une souffrance atroce je demande à la servante ce qu’il a […], elle me répond que depuis 15 jours qu’il ne prend plus rien et qu’il est toujours souffrant et que le Docteur dit que cela ce passera. Mr mais croyant cela je reviens le lendemain pour caussé à Mr le D. Tordeuse [Tordeus] pour les souffrance de l’enfant ce Mr n’était pas là, mais la sœur ce trouvait la elle me dit que je dois parlé au D. Brecks [Brecx] ce Mr très malhonnette et très grossier me dit que je dois pas m’occuper de cela et qu’il font ce qu’ils veullent […]. Mr le Bourgmestre j’ai écris au Directeur de l’hopital St Jean, de la façont com ils agit à l’hopital St Pierre, de me faire courrir comme ils ont fait, les docteurs me faire courrire chez le Directeur, le Directeur grossier et malhonnete m’envoye chez les employés et il

ce fiche de moi en disant que je dois allé chez les docteurs et les docteurs me vont chassé de l’hopital »14.

Ici, seule la servante a pris le temps de renseigner quelque peu la mère alarmée sur l’état de son fils. Comme c’était également le cas dans l’affaire précédente, les plus « modestes » acteurs hospitaliers (domestiques, concierge, employés) sont les premiers – et les plus importants – interlocuteurs des usagers de l’institution (patients et proches). Mathilde L. se verra par la suite confrontée non seulement à l’absence du chef de service (Dr Tordeus), mais aussi à la rebuffade de l’aide-clinique (Dr Brecx) et à un renvoi absurde et infructueux entre les médecins, le directeur de l’hôpital et les employés de bureau15. Les propos du Dr Brecx – adjoignant la mère de ne pas s’ « occuper de cela » et affirmant pouvoir faire « ce qu’ils veullent » – témoignent en outre du fait que le dialogue entre soignants et parents sur les questions de traitement n’est pas encouragé à l’hôpital, et que l’avis même des parents en la matière est considéré comme une donnée négligeable. Le fait que la mère soit apparue aux médecins comme une personne « exagérément difficile » qui « faisait des observations sur tout et à cause de tout » aura certainement contribué au mépris et au mutisme du personnel hospitalier à l’encontre de celle-ci16. La mise à la porte de Mathilde L., toutefois, doit être principalement attribuée à l’irrégularité de sa visite, effectuée en dehors des heures autorisées.

A côté de ces dialogues avortés, incomplets ou refusés, on trouve également dans les archives des refus d’accès à l’information médicale, notamment à certains documents médicaux ou administratifs. En avril 1887, par exemple, Michel S., incrédule devant le décès soudain et inexpliqué de son frère à l’hôpital St-Pierre, écrit à son tour au bourgmestre de la ville de Bruxelles pour le prier de « faire faire lumière » sur la nature de l’affection ayant causé « cette triste fin » : « Je suis allé à l’hôpital », précise en outre le frère vivant, « les infirmiers ont caché la feuille sur laquelle la maladie était écrite. […] Mon père voudrait savoir pourquoi on nous a caché ainsi tout ce que nous avons demandé »17. Malgré ces réclamations, Michel et son père n’obtiendront pas davantage d’explications

14 ACPASB, FDHSP, dossier 317, lettre (copie) de Mathilde L. à « Monsieur le Bourgmestre », Bxl, 23 nov 1887. Le Dr Tordeus

était le chef d’un des services de médecine de St-Pierre et le Dr Brecx, son aide-clinique.

15

Il faut signaler que dans une lettre de réponse, le directeur de l’hôpital St-Pierre assurera ne jamais avoir rencontré Mathilde L., celle-ci ayant sans doute prise une autre personne pour lui.

16

ACPASB, FDHSP, dossier 317, lettre du directeur de l’hôpital St-Pierre au Conseil (brouillon), Bxl, 27 juillet 1887.

17 ACPASB, AG, n°131, dossier n°10 concernant « S., Mathias (la plainte du frère de ce qu’on lui ait caché la cause du

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de la part du Conseil et de la direction18. En 1921, c’est une patiente renvoyée de l’hôpital St-Jean après avoir refusé une prise de sang qui demande à accéder à son billet de lit, afin notamment d’observer comment le chef de service allait justifier son renvoi: « je demandai […] ma feuille de lit pour savoir ce que Mr [le Dr] Stordeur avait mis comme cause de départ », écrit-elle, « ce qui m’a […] été refusé »19.

En 1887, quatre malades similairement expulsés de l’hôpital St-Jean se plaignent auprès du journal La Réforme d’avoir été mis à la porte « sans qu’on ait voulu leur donner la moindre explication »20. Aux patients ne sont pas toujours donnés les moyens de comprendre ce qu’il leur arrive. C’est ce dont se plaint également Alice Bron, infirmière et réformatrice belge, après avoir assisté en 1895 à une scène frappante dans l’hôpital d’une autre grande ville du pays ; un ouvrier peintre, après avoir chuté d’un échafaud, y avait été amené sur une civière. Bron écrit :

« il avait positivement l’air d’un fou, tant le visage était défiguré par l’angoisse, car il était aise de voir que ce n’était pas par la douleur : à côté de lui marchait sa femme qui sanglotait. L’interne, les sœurs, ni les brancardiers, personne ne songeait à calmer un peu ces pauvres gens, et au moment où l’on s’apprêtait à prendre le souffrant pour le mettre sur le lit, il cria : - Qu’est-ce qu’on va me faire !... – et la femme, à côté de lui gémissait comme un écho : « Qu’est-ce qu’on va lui faire ! … » Et personne ne leur répondait,

personne ne les écoutait, on affectait même de rien voir ni entendre »21.

De cet article, Bron fait un plaidoyer pour la prise en compte « morale » – psychologique – des malades d’hôpitaux ; elle met en lumière les vertus de la parole réconfortante qui, en informant, soulage et affaiblit les résistances. Si l’on ne peut pas exclure la possibilité que l’épisode décrit par Alice Bron soit exceptionnel, un autre témoignage laisse entrevoir une règle de silence adoptée consciemment et appliquée dogmatiquement par un acteur soignant de l’époque: selon le praticien Théodore Hauben, le docteur Jean Crocq – qui occupera la position de chef de service à l’hôpital St-Jean jusqu’en 1885 – « ne donnait jamais ni explication, ni consolation » à ses patients22.

Mais la plus significative indication de l’opacité du monde hospitalier est à rechercher sous une forme inattendue, au début de la période prise en compte par cette thèse. Dans les années 1870, en effet, les sources révèlent l’existence d’une sorte de marché noir de l’information à l’intérieur de l’hôpital St-Jean. A trois reprises entre 1877 et 1878, les surveillants de cet établissement se plaignent au directeur d’un patient ou d’un autre pratiquant la même activité suspecte : « lorsqu'un visiteur rentre dans la salle [le patient suspect] accompagne ce dernier au pres du lit du malade qui recoit la visite, donne alors des explications, et il a été constater [sic] qu'il recoit de l'argent des visiteurs[,] voilà

18 Le frère décédé s’était tranché les artères des deux poignets dans un estaminet St-Gillois, suite à une dispute avec sa

maîtresse, peu avant son admission à l’hôpital. Le directeur de l’hôpital St-Pierre déclarera avoir donné toutes les explications nécessaires sur les causes de décès au plaignant. Mais il est impossible de savoir ce qui a réellement été dit à celui-ci, si l’information était complète et ce que cherche encore à savoir Michel S. lorsqu’il écrit au bourgmestre.

19 ACPASB, AG, n°124, dossier concernant « la plainte de la malade V., Elisabeth, traitée à l’hôpital St Jean », lettre (copie) de

E. Van Obberghen à « Monsieur le Président », Schaerbeek, 8 décembre 1921. Le Dr Govaerts est un des cinq « aides » du service de médecine interne du Dr Verhoogen à l’hôpital St-Jean et le subalterne du Dr Stordeur, un des deux « assistants » de ce même service.

20

ACPASB, AG, n°113, dossier concernant « un article paru dans le journal ‘La Réforme’ au sujet du renvoi de l’hôp St Jean de quatre malades en traitement dans le service de M. le Dr Carpentier », article « Aux hospices », dans La Réforme du 7 novembre 1887.

21

Alice Bron, « nos hôpitaux » dans Le Peuple, 28 mas1895.

22

(9)

123

Mr le Directeur comment cet homme exerce ici un métier ».23 Cette discrète mention atteste de la difficulté pour l’entourage des malades d’être correctement renseignés. Lors des visites, les médecins sont absents, difficiles à trouver, ou peu disposés à faire des largesses de leur savoir, les domestiques se refusent à parler ou ne « savent » que partiellement, les employés de bureau sont accablés de travail, etc. Il n’est pas étonnant que les « autres » patients, occupants sédentaires des salles, variablement familiarisés avec l’institution hospitalière, vivant dans la proximité curieuse les uns des autres, soient une précieuse source de renseignements. Ce singulier commerce informationnel laisse d’ailleurs supposer que les malades ne sont pas entièrement démunis face à cette opacité institutionnelle et qu’ils peuvent, par l’observation et l’écoute, compiler des informations assez précieuses ou nombreuses pour être monnayées24. Peut-être les renseignements vendus aux familles et aux proches sont-ils liés au fonctionnement de l’hôpital, ou à l’état du malade, à l’évolution de son affection, à la teneur des traitements effectués en salle. Mais les patients informateurs sont peut-être aussi des traducteurs, traduisant du français au néerlandais – la langue parlée par la plupart des patients indigents – les propos des médecins et le contenu des plaquettes de lit. Pris en flagrant délit, les « vendeurs d’explications » seront renvoyés sur le champ, moins pour leur rôle d’informateur que pour leur marchandage illicite. Après 1878, la mention de ce trafic particulier disparaît, ce qui doit être en partie attribué au fait que les registres des surveillants, dès les années 1880, ne sont plus tenus avec autant de rigueur qu’auparavant et que nombreux faits de la vie hospitalière dorénavant leur échappent.

2. « La troupe des illusions et des songes » : l’information anxiogène et le

moral du malade

L’absence d’une régulation légale précise en matière de communication médicale (si l’on excepte à nouveau le secret médical) n’empêche pas certains types d’information de faire l’objet d’un discours déontologique spécifique. Sont alors formulées des règles morales auxquelles les médecins et autres soignants sont invités à se conformer, bien qu’ils n’y soient pas obligés. L’information anxiogène liée à la maladie grave et à la mort fait partie de ces réalités immatérielles qui ont été à même de stimuler, au cours des deux derniers siècles, la langue morale de la profession soignante. Dans le contexte de l’époque, la question profonde de la vérité – et de ses doubles négatifs, le mensonge et le silence – se voit abordée de manière résolument pragmatique par les médecins et les déontologues, dans une perspective moins philosophique que psychosomatique, attentive aux effets de la parole sur le corps et la santé.

A. Morale médicale, moral du malade

Par consensus presque général, la déontologie médicale du 19ème siècle et de la première moitié du 20ème siècle admet comme préférable qu’une personne atteinte d’une affection fatale ne soit pas mise au courant de son état. Un des premiers déontologues de langue française, Max Simon,

23

ACPASB, HSJ, n°4 (registre du surveillant De Gand), p.122. Les deux autres cas peuvent être trouvés p.72 et 244.

24 On peut tout au moins supposer que les informations monnayées, puisqu’elles concernent d’autres patients, ne sont pas

(10)

124

écrit déjà en 1845 : « La plupart des malades, atteints d’affections incurables, conservent jusqu’à la fin l’espérance de recouvrer la santé, et le médecin ne saurait sans cruauté détruire cette espérance, quelque peu fondée qu’elle soit. C’est même ici surtout qu’il doit peser chacune de ses paroles, dans la crainte qu’un mot imprudent ne révèle au malade l’affection grave dont il est atteint »25. Pour le médecin français Amédée Dechambre, dont les travaux déontologiques resteront longtemps une référence, « il est […] du devoir du médecin d’appeler au chevet de l’homme souffrant la troupe de ces vaines images que les Anciens faisaient sortir d’un palais d’ivoire, la troupe des illusions et des songes, et aussi du mensonge, puisque cette si laide chose est, le mot le dit, un songe de l’esprit. »26. Pour l’auteur, la vérité ne peut être révélée qu’en des circonstances particulières, notamment face aux rares « malades assez stoïques pour encaisser », ou pour intimider le patient récalcitrant27. En 1920, Paul Legendre, médecin de l’hôpital Lariboisière et initiateur des premiers cours de déontologie dans les Facultés de médecine parisiennes, donne même une formule prête à l’usage du médecin qui se trouverait questionné par son malade atteint fatalement : « Vous n’êtes pas en grand danger », pourra-t-on dire à celui-ci, « néanmoins votre situation est sérieuse, et il est utile que vous disposiez de toute votre énergie pour triompher de la maladie »28. Il faut amener alors le mourant à s’occuper de sa mise en ordre testamentaire et religieuse sans éveiller ses soupçons29.

Le médecin, d’ailleurs, doit prendre un ensemble de précautions, développer un arsenal de tactiques spécifiques destinées à protéger le malade de la connaissance de son mal et du pronostic qui y est attaché. A celui qui se rend en visite à domicile, il est rappelé constamment qu’il faut se garder de révéler des informations importantes à tout va, que le malade aux yeux fermés, ou au sortir de l’anesthésie générale, n’est pas toujours absent d’esprit30, que « les murs ont des oreilles »31. Les diagnostics et pronostics ne seront de préférence pas mis par écrit32 ; la température du patient lui sera dissimulée33. Lors d’une consultation avec un confrère, jamais son cas ne pourra être discuté devant le patient34. Il est également nécessaire de bien choisir à quel membre de l’entourage le diagnostic réel sera révélé et de porter son dévolu sur une personne qui pourra surveiller l’expression de son visage et y chasser les signes de découragement en présence du malade35. Si toute la famille est mise au courant, il est impératif de l’encourager à se tenir en garde contre les réflexions imprudentes qui trahiraient ce que l’on veut garder caché36. De plus, si le médecin doit procéder à un interrogatoire ou à des investigations particulières, il devra s’employer à « détourner par d’adroites

25 SIMON Max, Déontologie médicale. Des devoirs et des droits des médecins dans l’état actuel de la civilisation, Paris : J.B.

Baillière (libraire de l’Académie Royale de Médecine), 1845, p.313.

26

DECHAMBRE Amédée, « Déontologie », in Amédée Dechambre (dir.), Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales, série 1, tome 27, Paris : G. Masson, P. Asselin, 1882, p.539.

27 Ibid. 28

LE GENDRE Paul & RIBADEAU-DUMAS Henri, Traité de pathologie médicale et thérapeutique appliquée, tome I :

Déontologie et jurisprudence médicale, Paris : A. Maloine & fils, 1920, p.286-287.

29

Ibid.

30

EVERARD L., La santé du peuple, Bxl, 1890, p.109 ; DECHAMBRE Amédée, op.cit., p.457 ; LE GENDRE Paul & RIBADEAU-DUMAS Henri, op.cit., p.63.

31

LE GENDRE Paul & RIBADEAU-DUMAS Henri, op.cit., p.319.

32

Ibid., p.320.

33

BRON Alice, Comment nos malades devraient être soignés, Bruxelles : Henri Lamertin, 1903, p.20.

34

LE GENDRE Paul & RIBADEAU-DUMAS Henri, op.cit., p.318-319.

35 Ibid., p.238, 290.

(11)

125

explications la pensée des malades des soupçons que le mode d’exploration employé pourrait leur faire concevoir »37.

En 1928, le premier cours de déontologie à l’Université Libre de Bruxelles s’inspire abondamment des écrits de Legendre et de Dechambre (lui-même inspiré en partie par Simon). Son instigateur, Fernand Héger-Gilbert, s’il admet la nécessité de dire la vérité dans certains cas, se positionne néanmoins dans le sillage de ses prédécesseurs : « Il faut parfois savoir taire une partie de la vérité dans l’intérêt de celui qui souffre », annonce-t-il à ses étudiants ; ou « c’est être miséricordieux que de cacher au malade la mort menaçante »38.

Dans tous les cas, chez tous les auteurs, cette action de rétention de l’information est justifiée par la prise en charge de l’intérêt supérieur du malade. Mis au courant de son état, celui-ci perdrait espoir, cesserait de se battre, vivrait dans la cruelle attente de sa fin39. Pire encore, il mettrait lui-même fin à ses jours ou irait confier son corps et son âme aux mains de charlatans et autres vendeurs de remèdes miracles40. C’est l’ensemble de ces craintes qui tourmente doucement les soignants lorsque ceux-ci expriment leur volonté de ne pas « alarmer » ou « effrayer » un patient en lui annonçant la vérité. Il faut dire qu’au 19ème siècle, le « moral » du malade est perçu comme un facteur déterminant de la guérison. Le substantif « moral » désigne à la fois le caractère et l’état psychologique du souffrant, deux entités abstraites elles-mêmes inextricablement liées, dans les conceptions du temps, à la probité et au statut social de celui qui rencontre le médecin. Dès le début du siècle, les aliénistes français de la révolution psychiatrique (Pinel et Esquirol notamment) ont reconnu au « moral » une emprise déterminante sur les « propriétés vitales » des organes et une influence sur la guérison des maladies41. De cette reconnaissance, la médecine et la chirurgie se sont également imprégnées42. La pensée médicale de la causalité psychique – déjà présente dans théorie des « passions » au 18ème siècle – sera prolongée plus tard dans la théorie psychosomatique, qui elle-même acquerra une nouvelle dimension au contact de la psychanalyse dès la première moitié du 20ème siècle. Ainsi à l’époque couverte par cette thèse, on considèrera qu’un bon moral est nécessaire à la prolongation de la santé et de la vie. A l’inverse, le choc émotionnel, la souffrance ou l’abattement psychologique seront les causes de pathologies diverses : les maladies du cœur seront la conséquence des regrets causés par la perte d’un proche, l’émotion forte d’une femme enceinte la raison de la déformation de son fœtus (c’est la théorie des « impressions maternelles »), l’épilepsie

37

SIMON Max, op.cit., p.313.

38 HEGER-GILBERT Fernand, Manuel de Déontologie Médicale, op.cit., p.13. L’auteur prévoit des exceptions à la dissimulation

bienveillante lorsque la vérité est nécessaire à la bonne prise en charge par les malades de leur traitement et à la limitation d’un danger de contagion (en cas de tuberculose ou de syphilis, notamment).

39

Voir, par exemple : LE GENDRE Paul & RIBADEAU-DUMAS Henri, op.cit., p.110.

40

C’est l’argumentation développée notamment dans : Dr. GALLEMAERTS, « Faut-il cacher la vérité à ceux qui sont menacés de cécité », in La policlinique, vol. 1905, p. 56-57.

41

GAUCHET Marcel et SWAIN Gladys, La Pratique de l’esprit humain, Gallimard, Paris, 1980, p.318-330.

42

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126

sera le produit d’une frayeur subite, l’hystérie le fruit de l’amour contrarié, etc.43 A Bruxelles, à l’aurore du 20ème siècle, ces notions de causalité morale sont encore très vivaces.En décembre 1888, par exemple, le Dr Rommelaere cherche à éloigner des salles de médecine les ivrognes « dont le langage & le tapage exercent un effet très nuisible sur les malades ». Ces salles, explique-t-il, « sont occupées par des cas aigus (pneumonie, apoplexie, fièvre typhoïde, etc) chez lesquels des impressions vives & brusques peuvent déterminer des complications très graves »44. En 1900, le bourgmestre de Bruxelles ordonne pour les mêmes raisons que toutes les opérations de pansement soient effectuées en dehors des salles de malade. Peu de temps auparavant, l’élu communal avait assisté, choqué, à la pose, dans les dortoirs communs, de deux attelles à un ouvrier accidenté, souffrant horriblement et dont les hurlements s’entendaient depuis les couloirs. « Vous ne permettriez pas que le rétablissement des malades soit compromis par les émotions que des spectacles de cette nature doivent nécessairement produire sur eux ? », avait alors argumenté le bourgmestre45. Dans ce contexte, le souci de préserver le moral du malade, de lui épargner les chocs émotionnels, notamment liés à l’annonce de la mort prochaine, constitue non seulement un acte de compassion mais possède également un enjeu médical réel46.

En 1912, tous les médecins interrogés par l’écrivain français catholique Henry Bordeaux dans le cadre d’une enquête menée pour la Revue du Foyer prescrivent le mensonge au malade condamné comme un devoir d’humanité47. Le médecin belge Théodore Hauben expose sans embarras cette routine dissimulatrice. En 1883, il assiste à Bruxelles à l’agonie de son ami, l’écrivain flamand Henri Conscience : « Conscience, les yeux encore pleins d’espoir, m’interrogea anxieusement», raconte-t-il, « suivant ma coutume, je lui prédis la guérison par des paroles consolatrices, me privant de la prophétie facile de sa mort fatalement prochaine, gloire dont d’autres n’ont pas le courage de se frustrer auprès des malades ou de leurs proches, et que le Destin railleur dément, du reste, fréquemment»48. Acte de réserve et de bravoure, ce mensonge consolateur est aussi un acte de prudence médicale. Pour Hauben, l’incertitude diagnostique caractéristique de la médecine de son temps – produit d’une technologie diagnostique beaucoup moins performante que celle actuellement à notre disposition49 – est l’argument subsidiaire de ce refus personnel de se faire messager de la mort.

43 Voir, par exemple : YSABEAU Alexandre, Le médecin du foyer, Paris, 1891, p.8, 147,175-176 ; HAMAIDE Louis-Adolphe, De

l’influence des causes morales dans les maladies, Paris, 1861, p.22-23.

44

ACPASB, AG, n°131, dossier n°24 intitulé « mesure pour isoler les ivrognes admis à St-Pierre », note du Dr Rommelaere, Bxl, 4 décembre 1888.

45

ACPASB, AG, n°133, dossier concernant « la réclamation du Bourgmestre parce qu’une opération aurait été pratiquée dans une salle commune à l’un des blessés de l’accident de l’impasse Val des Roses », lettre de « l’Echevin FF. de Bourgmestre » de Bruxelles au Conseil, Bxl, 15 septembre 1900.

46

C’est également ce que Max Simon soutient en 1845 : « s’il est permis d’agir sur le moral par des modifications apportées à la constitution physique de l’homme, on peut également, quoique dans des limites plus restreintes, modifier le physique en agissant sur le moral. Ce n’est donc point seulement, parce que l’humanité le lui impose comme un devoir, que le médecin doit s’efforcer, dans ses relations professionnelles avec les malades, de les aider par ses consolations à supporter le poids de la douleur, il le doit également, au nom de la science, dont il est appelé à faire des applications, et qui lui montre que c’est là une partie importante de la thérapeutique rationnelle », cf. SIMON Max, op.cit., p.348.

47

PARANT Victor, La morale du médecin, coll. Etudes sur le syndicalisme médical, Paris : Asselin et Houzeau, 1914, p.38-39.

48

PICARD Edmond, Théodore Hauben médecin, une vie belge au XIXe siècle, récit d’un ami, Bruxelles : Veuve Ferdinand larcier, 1913 (2ème ed.), p.194-195.

49

Au tournant du 20ème siècle, une partie des techniques diagnostiques actuelles (microscopie, radiographie, analyses sanguine et urinaire, ECG, etc.) en étaient encore à leur stade rudimentaire. Il faudra en outre attendre la seconde moitié du 20ème siècle pour voir s’imposer une série de nouvelles procédures et technologies telles que l’électroencéphalographie, l’échographie, l’imagerie informatique, la scintigraphie, etc., ainsi que les gains nosologiques et diagnostiques du développement de la chimie et de la biologie cellulaire. Sur le perfectionnement de procédures et techniques diagnostiques au cours du 20ème siècle, voir

(13)

127

Dans son analyse des livres de consultations médicales françaises des 16ème, 17ème et 18ème siècles, Joël Coste met en lumière l’usage d’une véritable « langue de bois » médicale s’intensifiant fortement à la fin de la période couverte par son étude50. Il semble qu’au cours du 19ème siècle, les pratiques médicales aillent dans le sens d’une dissimulation de plus en plus appuyée. Pour Philippe Ariès, l’apparition de cette langue de bois, qu’il situe pour sa part à la fin du 19ème siècle, est la première étape d’un « processus d’inversion de la mort » – processus de refoulement progressif – qui culminera au milieu du 20ème siècle avec le confinement sanitaire de la mort au sein de la chambre d’hôpital51. Pour le sociologue David Armstrong, ce nouveau tabou de la mort n’indique pas un refoulement de la chose funeste mais plutôt une transformation du régime de production de la vérité, cause elle-même d’un déplacement du lieu de cette vérité : on passerait ainsi, dans la deuxième moitié du 19ème siècle, d’une vérité de la mort contenue dans la parole du mourant et de son entourage à une vérité de la mort contenue dans le discours sur le corps mort, objet d’une nouvelle parole scientifique, hygiéniste, statistique, médico-légale, etc.52 Ces deux interprétations ne sont pas irréconciliables, si ce n’est peut-être dans leur tonalité puisqu’Ariès voit cette transformation négativement alors qu’Armstrong cherche, par la relativisation historique de son sujet, à adopter une position neutre. On peut imaginer que ces deux mouvements de refoulement et de déplacement du discours se déroulent parallèlement l’un à l’autre. Dans le cadre bruxellois, la réserve des médecins, leur retrait d’un dialogue ouvert avec leurs patients mourants, apparaît clairement. Pourtant, à la même époque, le discours moral médical sur le malade moribond est plus que bavard et fait couler abondement l’encre des médecins déontologues.

Si l’on interroge à présent les conceptions des acteurs historiques eux-mêmes, cette progression vers le silence et la langue de bois signalerait tout autre chose encore : l’exercice d’une bonté accrue, c’est-à-dire une prise en compte plus humaine du malade, celui-ci devant jouir d’une protection de plus en plus affermie contre les émotions néfastes. Dans les hôpitaux, la volonté de dissimuler plus résolument la mort s’accompagnerait également de l’ambition d’aligner sur les pratiques de la médecine privée la gestion informationnelle en matière de pronostics et de diagnostics délicats : en effet, les malades de la médecine publique devraient pouvoir bénéficier de ces mêmes « attentions » et « protections » qui permettent d’épargner aux patients aisés l’émotion noire d’une fin de vie annoncée. Sans pouvoir l’affirmer à l’aide de preuves archivistiques, Anne Carole suppose que les patients pauvres des hôpitaux de l’avant-Seconde Guerre mondiale ne jouissent justement pas de ces protections ; ceci serait dû non seulement à une déconsidération des nécessités psychologiques des populations défavorisées (considérées comme étant psychiquement plus « grossières »), mais aussi aux conditions matérielles de l’hospitalisation (absence de relation privilégiée avec le médecin, réputation de « mouroir » de l’hôpital, exposés cliniques en présence du malade, etc.)53. Les

50

COSTE Joël Coste, « Les relations entre médecins et malades dans les consultations médicales françaises (milieu XVIe siècle-début XIXe siècle) », in BELMAS Elisabeth et NONNIS-VIGILANTE Serenella (dir.), Les relations médecin-malade. Des

temps modernes à l’époque contemporaine, Villeneuve d’Ascq : Presses Universitaires du Septentrion, 2013, p.31. Ceci

correspond plus ou moins à la chronologie établie par Anne Carole : l’historienne situe l’émergence du silence et du mensonge thérapeutique autour de la mort au tout début du 19ème siècle, cf. CAROL Anne, Les médecins et la mort, XIXe-XXe siècle, Paris : Aubier, 2004, p.18-19.

51

ARIÈS Philippe, L’homme devant la mort. Tome II. La mort ensauvagée, Paris: Editions du Seuil, Collection Points Histoire, 1985 (1977), p. 269-311.

(14)

128

améliorations et changements prônés par les médecins et les administrateurs de la bienfaisance bruxelloise dès la fin du 19ème siècle révèleront en effet un environnement pas toujours propice au secret de la mort, mais ceux-ci signaleront également une volonté d’offrir des protections nouvelles aux malades confiés à l’institution soignante.

B. Pratique hospitalière

Conséquence logique de la prescription de ce silence bienveillant autour des pronostics sombres, on rencontre au 19ème siècle une pratique courante d’euphémisation et d’occultation des diagnostics médicaux. Dans les hôpitaux publics bruxellois, la question de la communication de leur diagnostic aux patients s’impose subitement en 1889 alors que le Conseil Général des Hospices et Secours de la Ville de Bruxelles soumet une interrogation particulière aux chefs de service des hôpitaux St-Pierre et St-Jean placés sous son autorité : est-il envisageable, se demande-t-il, de supprimer les diagnostics inscrits sur les plaques de lits des patients?54 Jusqu’à cette date, un petit tableau noir était placé à la tête de chaque lit d’hôpital exposant notamment le nom de l’alité, sa religion, son régime alimentaire et l’affection dont celui-ci était atteint.55 Pour le Dr Tordeus, il n’y a aucune raison de modifier « l’ordre des choses actuel ». Il écrit :

« Je pense que tous les chefs de service ont l’habitude, lorsqu’il s’agit d’une affection grave ou de nature à effrayer le malade, d’employer, au lieu de termes à la portée du public, des expressions synonymes qu’il ne peut pas comprendre. Ainsi, on mettra carcinome du ventricule au lieu de cancer de l’estomac ; ou bien encore on [se] sert d’abréviations, de lettres initiales telles que F.T. pour fièvre typhoïde ; T.P. pour tuberculose pulmonaire. Les diagnostics qui figurent sur les planches sont généralement ceux qui ne peuvent effrayer les personnes qui les lisent, p. ex : embarras gastrique, pharyngite, etc., ou bien encore ceux dont on ne comprend généralement pas la signification ; peu de personnes, en dehors du monde

médical, savent ce que signifient les mots noma, […], échinocoque, néphrite ».56

D’autres chefs de service pensent toutefois que ces abréviations ne parviennent pas à dissimuler leur signification réelle et que « tous les synonymes ne trompent personne ».57 Selon les partisans de la suppression du diagnostic sur les planches et billets de lit, cette pratique hospitalière pose deux problèmes. Sans aucun doute, celui qui aura fait réagir de prime abord le Conseil est une possible violation du secret professionnel, les diagnostics étant, dans les salles communes, exposés à la vue des autres malades et de leurs visiteurs hebdomadaires58. Mais le deuxième argument en faveur de la suppression a trait à la communication du diagnostic au malade lui-même : « En admettant même qu’au début de cette suppression, on s’aperçoit de quelque inconvénient, cela ne serait rien en comparaison du lèse-humanité qu’il y a dans le fait qu’un malade peux [sic] en quelque

54

ACPASB, AGM, affaires médicales (série 1885-1895), dossier n°22 concernant « la question de savoir s’il faut maintenir sur la pancarte de lit l’indication de la maladie du patient », P.V. de séance du Conseil du 26 Juillet 1889.

55

Cette pratique semble avoir été en vigueur depuis les années 1830 au moins.

56

ACPASB, AGM, affaires médicales (série 1885-1895), dossier n°22, lettre du Dr Tordeus à « Messieurs » [Conseil], Bxl, 13 septembre 1889.

57

ACPASB, AGM, affaires médicales (série 1885-1895), dossier n°22, lettre du Dr Houzé à « Messieurs les Président et membres du Conseil général des Hospices de Bruxelles », Bxl, 31 juillet 1889.

58

(15)

sorte être édifié sur le sort qui l’attend, quand il lit sur sa p

cancer. », écrit le Dr Charon.59 « […] le moral des malades peut en être affecté Rommelaere60. Le maintien de ce système est «

Dans le contexte de l’hôpital, il est difficile de séparer clairement la question du secret médical et celle de l’information transmise aux malades. En cette fin de 19ème siècle, le dossier médical nominatif n’a pas encore fait son apparition dans les pratiques d’administration hospit

plupart des hospitalisés le sont dans de larges pièces communes. Il n’y a donc pas d’espaces isolés destinés à recueillir l’information individuelle. L’accès ouvert à celle

patients et sur les plaquettes de lit e

concernant d’autres malades. Protéger le secret médical exige par

hospitalisés d’accéder à l’information médicale en général, y compris à la leur propre.

information est pensée comme la propriété intellectuelle des soignants avant tout, et la propriété physique de l’hôpital62.

Cette illustration publiée dans

médico-administratifs dans lesquels sont conservées les informations personnelles des malades. Ces documents menaçants, aux mains d’un administrateur tout aussi menaçant, pèsent de tout leur poids sur un patient alité qui n’y pas accès.

En 1889, alors que les avis quant à la suppression de l’inscription des diagnostics sur les plaques et billets de lit sont partagés

59

ACPASB, AGM, affaires médicales (série 1885 août 1889.

60

ACPASB, AGM, affaires médicales (série 1885 du 9 août 1889 », Bxl, 9 septembre 1889.

61 ACPASB, AGM, affaires médicales (série 1885

membres du Conseil général des Hospices de Bruxelles

62

Que l’information médicale soit la propriété physique de l’hôpital est certifié par le fait que les registres médicaux et administratifs des hôpitaux ne peuvent être sortis de l’institution, même pas par un médecin qui désirerait les étudier chez pour la rédaction d’un travail, cf. ACPASB, AG, n°116, dossier concernant «

de savoir si M. le Dr Depage peut emporter chez lui des registres de l’hôpital Conseil, Bxl, 10 décembre 1900.

129

sorte être édifié sur le sort qui l’attend, quand il lit sur sa planche le diagnostic de tuberculose […] le moral des malades peut en être affecté », précise le Dr . Le maintien de ce système est « illégal et cruel » conclut le Dr Houzé61.

, il est difficile de séparer clairement la question du secret médical et celle de l’information transmise aux malades. En cette fin de 19ème siècle, le dossier médical nominatif n’a pas encore fait son apparition dans les pratiques d’administration hospit

plupart des hospitalisés le sont dans de larges pièces communes. Il n’y a donc pas d’espaces isolés destinés à recueillir l’information individuelle. L’accès ouvert à celle-ci dans les épais registres

et sur les plaquettes de lit en salles implique de fait un accès collatéral aux informations . Protéger le secret médical exige par conséquent d’empêcher les d’accéder à l’information médicale en général, y compris à la leur propre. tion est pensée comme la propriété intellectuelle des soignants avant tout, et la propriété

ette illustration publiée dans Le Petit Bleu en 1910, montre les larges registres administratifs dans lesquels sont conservées les informations personnelles des malades. Ces documents menaçants, aux mains d’un administrateur tout aussi menaçant, pèsent de tout leur poids sur un patient

En 1889, alors que les avis quant à la suppression de l’inscription des diagnostics sur les plaques et billets de lit sont partagés – cinq chefs de service y adhèrent, cinq autres s’y opposent,

ffaires médicales (série 1885-1895), dossier n°22, lettre du Dr Charon, à « Messieurs » [du Conseil], Bxl, 12

ffaires médicales (série 1885-1895), dossier n°22, lettre du Dr Rommelaere, « réponse à la circulaire n° […]

ffaires médicales (série 1885-1895), dossier n°22, lettre du Dr Houzé à « Messieurs les Président et membres du Conseil général des Hospices de Bruxelles », Bxl, 31 juillet 1889.

Que l’information médicale soit la propriété physique de l’hôpital est certifié par le fait que les registres médicaux et administratifs des hôpitaux ne peuvent être sortis de l’institution, même pas par un médecin qui désirerait les étudier chez

r la rédaction d’un travail, cf. ACPASB, AG, n°116, dossier concernant « la demande de M. le directeur de l’hôpital St Jean de savoir si M. le Dr Depage peut emporter chez lui des registres de l’hôpital », lettre du directeur de l’hôpital St

Figure 1

tuberculose ou de », précise le Dr

, il est difficile de séparer clairement la question du secret médical et celle de l’information transmise aux malades. En cette fin de 19ème siècle, le dossier médical nominatif n’a pas encore fait son apparition dans les pratiques d’administration hospitalière et la plupart des hospitalisés le sont dans de larges pièces communes. Il n’y a donc pas d’espaces isolés ci dans les épais registres de n salles implique de fait un accès collatéral aux informations conséquent d’empêcher les d’accéder à l’information médicale en général, y compris à la leur propre. Cette tion est pensée comme la propriété intellectuelle des soignants avant tout, et la propriété

En 1889, alors que les avis quant à la suppression de l’inscription des diagnostics sur les cinq chefs de service y adhèrent, cinq autres s’y opposent,

» [du Conseil], Bxl, 12

réponse à la circulaire n° […]

Messieurs les Président et

(16)

130

tous s’accordent néanmoins sur l’importance de dérober à la connaissance des malades graves l’identification précise de leurs maux. Si les planches de lit ne sont pas supprimées, une codification méthodique des diagnostics sensibles pourrait être établie. Pour satisfaire à cet objectif, le Dr Rommelaere teste le système de notation suivant :

« 1. Pour les tuberculeux, je note leur âge, en ayant soin de ne faire usage que de chiffres impaires ; pour le sujet de 40 ans, par ex., je marque 41.

2. Pour les cancéreux, je marque l’âge en ne faisant usage que de chiffres pairs.

3. Pour les affections du cœur, je marque I.M. (insuffis. mitrale) ou A.C. (aff. du cœur) ou H.V. (hypertrophie ventriculaire) ou D.C. (dilatation cardiaque). […]

4. Pour les albuminuries, je marque un chiffre quelconque entre 1 et 10.

5. Pour les autres affections, l’inconvénient du diagnostic réel n’est pas assez sérieux pour nécessiter des

indications spéciales »63

Une fois le Conseil plus ou moins rassuré sur la légalité de ses pratiques d’exposition diagnostique, l’idée de la suppression est abandonnée64. Et si le système de codification proposé par le Dr Rommelaere ne sera pas adopté, l’usage d’abréviations, lui, sera poursuivi : en 1910, un jeune étudiant en médecine – le futur Dr Armand Colard – fait encore mention à l’hôpital St-Pierre de la présence de diagnostics inscrits à la craie et « en abrévié sybillin » sur les pancartes de lit65.

Quelques mois après ce débat mobilisateur, les problèmes jumeaux de la circulation de l’information personnelle et de la visibilité de l’information préjudiciable au moral des malades alités en salle font à nouveau surface, cette fois-ci dans une requête adressée par le Dr Stiénon au Conseil en novembre 1890. Cette requête exprime le souhait du chef de service de voir mettre à la disposition des chefs de clinique une salle isolée, spécialement affectée à l’enseignement clinique. Selon Stiénon, le déroulement des leçons dans les salles de malades – espaces dans lesquels celles-ci se donnent pourtant depuis toujours – a soudainement le double inconvénient de compromettre le secret médical et de dangereusement ou inexactement renseigner le malade sur son propre état. Stiénon écrit : « le professeur de clinique se voit obligé, après avoir mis en relief les symptômes de la maladie, d’établir clairement le diagnostic, de décrire les lésions, d’en indiquer la gravité, de fixer le pronostic, de discuter le traitement. Il est incontestable que quelque soin qu’il prenne de voiler ce qui ne devrait pas être entendu, le patient et ses voisins peuvent parfois comprendre ou bien ils tirent des déductions erronées de ce qu’ils ont saisi et se livrent à des interprétations fâcheuses » 66. « La manière de procéder qui me paraîtrait la meilleure», suggère alors le chef de service, « serait celle-ci ; le sujet de la clinique serait transporté dans son lit ou autrement selon le cas, à la salle de clinique,

63

ACPASB, AGM, affaires médicales (série 1885-1895), dossier n°22, lettre du Dr Rommelaere à « MM. les Membres du Conseil général des Hospices », Bxl, 27 février 1890. L’« albuminurie » désigne la présence anormale d’albumine, une protéine sanguine fabriquée par le foie, dans les urines ; ce qui peut être le signe d’une variété d’affections dangereuses (inflammation des reins, maladies infectieuses, diabète, etc.)

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En réalité, les conclusions de l’« expert » légal du Conseil (qui n’est pas juriste mais fournit souvent au Conseil des résumés de la littérature légale sur l’une ou l’autre question de droit) sont assez ambigües en ce sens qu’elles soutiennent que « l’indica-tion, sur les pancartes de lit, de la nature de la malade n’est pas illégale mais que, dans certains cas, elle ne peut être faite qu’en violation du secret professionnel », cf. ACPASB, AGM, affaires médicales (série 1885-1895), dossier n°22, « Note pour le conseil » d’ Eugène Frankignoulle, Bxl, 28 juillet 1889.

65

COLARD Armand, Souvenirs du Vieux St-Pierre, Bruxelles : Editions Arsicia, Bruxelles, 1952, p.32.

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