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Convention de Lugano et contentieux bancaire

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Convention de Lugano et contentieux bancaire

KAUFMANN-KOHLER, Gabrielle

KAUFMANN-KOHLER, Gabrielle. Convention de Lugano et contentieux bancaire. In: Thévenoz, Luc. Journée 1995 de droit bancaire et financier . Berne : Staempfli, 1995. p. 55-89

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:14432

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Gabrielle Kaufmann-Kohler

Convention de Lugano et contentieux bancaire

La Convention de Lugano (ci-après «CL,,)l n'est plus une inconnue. Voilà bientôt quatre ans que nous la pratiquons'. Qu'a-t-elle apporté en matière"

de contentieux bancaire? Quelles nouveautés? Quelles difficultés? Quelles solutions? C'est ce que nous nous proposons d'examiner en sélectionnant certains aspects d'importance pratique. Auparavant, un rappel de quelques éléments de base pertnettra de mieux cadrer le sujet.

I. Eléments de base A. Objectifs

La CL est calquée sur la Convention de Bruxelles (ci-après «CB»)' conclue en 1968 entre les six Etats fondateurs de la CEE. La CB est fondée sur l'article 220 du Traité de Rome, selon lequel les Etats membres assureront

<da simplification des formalités, auxquelles sont subordonnées la recon- naissance et l'exécution réciproques des décisions judiciaires». But visé: la libre circulation des jugements. Pour que les jugements puissent circuler librement, autrement dit pour qu'un juge puisse exequaturer un jugement étranger sans poser de conditions (ou en posant un minimum de con di - tions), il faut auparavant établir un consensus sur les compétences accessi- bles aux plaideurs. En d'autres termes, il faut uniformiser les règles de com- pétence. La CB - et la CL, qui est son sosie - sont donc des conventions

J Convention concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en ma-

tière civile et commerciale du 16 septembre 1988 (RS 0.275.(1).

2 En vigueur dans les Etats suivants: Suisse, France et Pays-Bas dès le 1.1.1992;

Luxembourg dès le 1.2.1992; Grande-Bretagne dès le 1.5.1992; Portugal dès le 1.7.1992;

Italie dès le 1.12.1992; Suède dès le 1.1.1993; Norvège dès le 1.5.1993; Finlande dès le 1.7.1993; Irhmde dès le 1.12.1993; Espagne dès le 1.l1.l994;Allemagne dès le 1.3.1995 (manquent encore les Etats signataires suivants: Belgique, Danemark, Grèce, Autriche, Islande).

3 Convention concernant la compétence judiciaire et J'exécution des décisions en ma- tière civile et commerciale faite à Bruxelles le 22 septembre 1968, modifiée par la Con- vention du 9 octobre 1978 relative à l'adhésion du royaume du Danemark, de J'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, par la Convention du

25 ""Iobre 1982 relative à l'adhésion de la République hellénique et par la Convention

du 26 mai 1989 relative à l'adhésion du Royaume d'Espagne et de la République portu-

gaise, JOCE 1989 C 18912.

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dites doubles, qui règlent tant la compétence des tribunaux que l'exécution des jugements étrangers.

I;interprétation de la CB est confiée à la Cour de Justice des Commu- nautés Européennes (CJCE)" En vertu de son pouvoir d'interprétation, la CJCE a rendu depuis près de vingt ans un grand nombre de décisions, qui tout en ne concernant directement que la CB, sont indispensables pour la compréhension de la CL. Elles lient le juge suisse dans la mesure où elles ont été rendues avant la conclusion de la CL, le 16 septembre 1988, et elles sont censées le guider pour les décisions postérieures à cette dateS. D'une manière générale, la CJCE interprète les notions contenues dans la Conven- tion de manière autonome, en fonction des objectifs et du système conven- tionnels et non par renvoi au droit national des Etats contractants.

B. Champ d'application

Souvent escamoté,l'examen du champ d'application est pourtant nécessai- re, et difficile (ce qui explique probablement qu'il soit escamoté). Il se divi- se en quatre aspects: (1) le champ d'application dans le temps, (2) le champ d'application dans l'espace et quant aux personnes ou, selon la formule allemande plus concise, riiumlich-personlich, (3) le champ d'application quant à la matière et, enfin, (4) l'application dans les rapports avec d'autres conventions.

Les deux premiers aspects sont définis différemment selon qu'il s'agit d'établir la compétence d'un tribunal ou d'exécuter un jugement. En ma- tière de compétence, le critère-clé du champ d'application riium/ich- personlich est le domicile (non la nationalité) du défendeur (non du deman- deur). La CL s'applique donc lorsque le défendeur est domicilié dans un Etat contractant. Elle s'applique, en outre, même en l'absence de domicile du défendeur dans un Etat contractant, s'il y existe une compétence exclu- sive au sens de l'article 16 ou encore si des parties, dont l'une au moins est domiciliée dans un Etat contractant (il peut s'agir du demandeur), ont con- clu une prorogation en faveur d'un tribunal d'un Etat contractant (art. 17).

Quant à la matière, la CL s'applique à tous litiges de nature civile ou commerciale. Elle ne régit toutefois pas l'ensemble de la matière civile et commerciale; en effet, elle exclut de son champ certains domaines, en par- ticulier la faillite, le concordat et les procédures analogues ainsi que le droit

4 Protocole concernant l'interprétation par la CJCE de la Convention de Bruxelles, 3.6.1971, lOCE 1975 L 204/28.

S Protocole nO 2 sur l'interprétation uniforme de la Convention et déclaration des re- présentants des Gouvernements des Etats signataires de la Convention de Lugano qui sont membres de l'Association européenne de libre-échange, annexés à la CL.

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~'"

CONVENTION DE LUGANO ET CONTENTIEUX BANCAIRE 57

de la famille (sauf les obligations alimentaires) et les successions (art. 1 al. 2)6.

Pour prévenir d'éventuels conflits de con>emions, la CL contient un certain nombre de règles spécifiques (art. 54"" ss). Dans ce contexte, on retiendra uniquement ici que la CL remplace les conventions bilatérales d'exécution des jugements conclues par la Suisse pour les domaines qu'elle couvre. Une fois la CL en vigueur, ces traités ne s'appliquent donc plus qu'au droit civil exclu de la CL'.

Le tableau 1 qui suit (page 58) fait la synthèse du champ d'application de la CL sous forme de questions. Avant d'appliquer les règles de compé- tence ou d'exécution de la Convention à une espèce donnée, il faut avoir répondu par l'affirmative à toutes ces questions. A défaut, l'espèce n'est pas régie par la CL, mais par la LDIP ou éventuellement par une autre convention (à l'exclusion de toute autre règle de droit fédéral ou cantonal).

C. Système de compétence

La CL contient une réglementation exhausû>e de la compétence des tribu- naux pour tous litiges tombant dans son champ d'application. Les fors pré- vus par le droit national sont donc écartés. Cidée directrice est que les jus- ticiables domiciliés dans l'espace judiciaire européen sont tous soumis à des règles de compétence uniformes et peuvent prévoir où ils sont suscepti- bles d'être actionnés en justice à l'intérieur de cet espace. Le caractère ex- haustif de la réglementation conventionnelle de compétence est bien évi- demment aussi une condition du régime facilité d'exécution des jugements (pas de contrôle de compétence sauf exception; D. ci-dessous).

En quoi consiste ce système conventionnel de compétence? Il peut être schématisé sous la forme du tableau 2 qui figure à la page 59:

6 Sauf les pensions alimentaires, art. 1 al. 2 ch. 1 combiné avec art. 5 ch. 2.

7 Conventions bilatérales conclues avec des Etats signataires de la CL (I) ne s'appli- quant plus qu'au droit civil exclu de CL: Allemagne (RS 0.276.191.361), Espagne (RS 0.276.193.321), Italie (RS 0.276.194.541), Suède (RS 0.276.197.141), (2) encore inté- gralement en vigueur: Autriche (RS 0.276.191.632) et Belgique (RS 0.276.191.721).

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58 GABRIELLE KAUFMANN-KoHLER

Tableau 1

CHAMP D'APPLICATION DE LA CONVENTION DE LUGANO

Compétence Exécution

1. dans le temps (art. 54) L'action est-elle intentée après J'entrée en

vigueur de la Convention de Lugano dans l'Etat de jugement?

L'exécution est-elle demandée après J'enrree en vigueur dans les Etats de jugement et d'exécution?

1 et

L'action a-t-elle été intentée après l'entrée en vigueur dans l'Etat de jugement?

ou Art. 54 al. 2?

2. râumlich-personlich Le défendeur est-il domicilié dans un Etat

contractant (art. 2 et 4)?

ou

y a-t-il compétence exclusive d'un Etat contractant (an. 16)?

ou

y a-t-il prorogation d'un tribunal d'un Etat contractant emre parties dont l'une au moins est domiciliée dans un Etat contractant (art. 17; voir aussi art. 18)?

Exceptions: art. 4 et 21-23;

Question controversée: le litige doit-il avoir un lien avec plusieurs Etats contractants?

Le jugement émane-t-iJ d'un tribunal d'un

Etat contractant (an. 26 et 31)?

3. quant à la matière (art. 1)

Le litige est-il de nature civile ou commerciale?

et

S'agit-il d'une matière non exclue?

4. par rapport à d'alltres conventions (art. 54ter S5) La Convention de Lugano prime-t-elle sur d'autres conventions?

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Tableau 2: CONVENTION DE LUGANO: SYSTÈME DE COMPÈTENCE Compétence générale Compétences spéciales (<<allernatives) / «optionnelles); s'ajoutent

a

competence générale) Compétences «protectrices» (prévalent sur compétences générales et speciales, dérogation limitée) Compétences exclusives (prévalent sur compétences gènerales et speciales; pour art. 16, pas de dérogation)

w domicile du défendeur w exclusion des fors de droit national, notamment exorbitants options fondées sur proximité litige-tribunal: w contrats: lieu d'exécution -actes illicites: lieu du fait dommageable w exploitation d'une succursale: lieu de succursale -trusl: Etat de domicile du trust w autres compétences: notammment pensions alimentaires, conclusions civiles allouées au pénal 1 compétences dérivées: -pluralite de défendeurs. demande en garantie. ou intervention, demande reconventionnelle, jonction d'action contractuelle à actÎon reeJle immobilière assurances: -action contre l'assureur: divers fors -action de l'assureur: domicile du dHendcur w derogation limitée, notamment post-litige contuts conclus par des consommateurs: -action du consommateur: plusieurs fors -action contre le consommateur: domicile du consommateur -dérogation limitée, notamment postwlitige rés.Uant de localisation objutive: -droits réels immobiliers et baux d'immeubles: Etat de lieu de situation d'immeuble (exception pour locations de vacances) w validité, nullité, dissolution des personnes morales/décisions de leurs organes: Etat de siège de personne morale w validité d'inscription sur registres publics: Etal tenant registre -inscription, validité de brevets. marques, dessins et modeJes: Etat de dépôt, enregistrement -exécution des décisions: Etat du lieu d'exécution résultant de volonté des parties: -prorogation de for -entrée en matière sur le fond

art. 2-4 art. 5 art. 6 art.8-IO art. 1 1 art,12 art. 14 al. 1 et 13 art.14a1.2 art. 15 art, 16 1 1 art.

17 art 18

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Sans reprendre le tableau 2 dans les détails, retenons brièvement quel- ques éléments pertinents pour nos propos. La règle générale est celle - traditionnelle - du for du domicile du défendeur. Elle s'applique impérati- vement tant qu'un autre for au sens de la Convention n'est pas établi, à l'exclusion de tous chefs de compétence de droit national, y compris les fors de la validation du séquestre de l'article 4 LDIP et de la mainlevée provisoire.

En parallèle à la compétence générale, la CL prévoit aux articles 5 et 6 des compétences dites «spéciales», que nous préférons appeler alternatives ou optionnelles. Ces compétences offrent en effet une option au demandeur, qui peut agir soit selon l'article 2, soit selon les articles 5 ou 6. Elles présup- posent donc toujours un domicile du défendeur dans un Etat contractant.

1:article 5 introduit pour certaines matières la compétence d'un tribunal supposé particulièrement proche des faits du litige. 1: article 6 permet de regrouper devant un même juge des affaires distinctes mais liées.

Contrairement aux compétences des articles 5 et 6, les compétences exclusives s'imposent à l'exclusion - comme leur nom l'indique - de toute autre. On notera en particulier que la violation de l'article 16 doit être rele- vée d'office (art. 19) et est sanctionnée par la non-exécution du jugement (art. 28 al. 1).

D. Exécution

Toute la CL tend - on se souvient des termes de l'article 220 Traité de Rome, qui dictent la CB (A. ci-dessus) - à assouplir les conditions de re- connaissance et d'exécution' des jugements et à instaurer une procédure d'exequatur simplifiée.

Est susceptible d'exécution selon la CL toute décision entrant dans son champ d'application, qui est rendue par une juridiction (art. 25), non par un organe administratif, et qui revêt laforce exécutoire (art. 31).

Contrairement à la LDIP et aux conventions bilatérales d'exécution' la CL ne requiert pas l'autorité de la chose jugée'O Cela a notamment pour effet qu'en vertu de la Convention les mesures provisionnelles sont suscep- tibles d'exécution, à condition toutefois d'avoir été prononcées en procédu- re contradictoire". Il en va de même des jugements déclarés exécutoires à litre provisoire, tel par exemple le référé-provision du droit français.

8 En raison de son importance pratique, nous nous concentrerons ici sur l'exécution.

La reconnaissance est soumise aux mêmes conditions (art. 26).

9 Art. 25 lit. b LOIP et, p. ex. art. 1 ch. 3 Convention entre la Confédération Suisse et la République d'Autriche relative à la reconnaissance et à J'exécution de décisionsjudi- ciaires (RS 0.276.191.631).

'0 CJCE De Cavellde Cavel, 6.3.1980, R';. crit. 1980621, note DROZ.

" CJCE Deni/auleriCouchet, 21.5.1980, Rev. crit. 1980 80 l, note MEZGER, et tout ré- cemment Hengsl Import BV/Campese, 13.7.1995, affaire C-474/93 non encore publiée.

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CONVENTION DE LUGANO ET CONTENTfEUX BANCAIRE 61

La CL soumet l'exécution des jugements aux conditions suivantes.

Tout d'abord, le respect de l'ordre public (art. 27 ch. 1), condition qui jus- qu'à présent n'a guère fait obstacle à l'exequatur, parce que les matières couvertes par la CL y sont peu sensibles et que les pays membres partagent les mêmes conceptions fondamentales du droit et de la justice. Ensuite, deuxième condition d'exécution, le respect des droits de la défense en cas de procédure par défaut (art. 27 ch. 2). Le défendeur défaillant doit avoir été cité régulièrement et en temps utile. C'est là la cause la plus fréquente de refus d'exécution, qui a donné lieu à une série d'arrêts de la CJCEI2. Cons- tituent également des conditions d'exécution l'absence d'inconciliabilité du jugement avec une décision de l'Etat requis (art. 27 ch. 3) 13 ou d'un Etat tiers (art. 27 ch. 5)'4.

Quant au contrôle de la compétence du premier juge - condition clas- sique d'exécution des jugements étrangers reprise par la LDlplS - il est écarté, sauf exception. C'est là - avec la procédure simplifiée - l'innova- tion majeure de la CL dans le domaine de l'exécution. Les exceptions prin- cipales visent le cas où le premier juge a méconnu une régIe de compétence exclusive ou une règle de compétence protectrice en matière d'assurances ou de contrat de consommateurs (art. 28 al. 1)'6.

La CL prévoit une procédure d'exequatur unilatérale (art. 34 al. 1). Ce n'est que si le défendeur recourt contre la décision d'exequatur rendue à l'issue de la phase unilatérale, que la procédure devient contradictoire (art. 36). La décision d'exequatur unilatérale emporte l'autorisation de pro- céder à des mesures conservatoires (art. 39), sans que d'autres conditions, telle par exemple l'urgence, doivent être remplies 17. Le créancier peut deman- der l'exequatur même si le jugement fait l'objet d'un recours dans l'Etat d'origine ou que le délai de recours n'y est pas encore expiré (art. 38)'"'

'2 Cl CE Klomp.fMichel, 16.6.1981, Rev. crit. 1981 734, note MEZGER; Lancray/Peters, 3.7.1990, Rev. crit. 1991 167, note OROZ; Minalmet/Brandeis, 12.11.1992, Rev. crit.

199385, note OROZ; Sonntag/Waidman, 21.4.1993, Rev. crit. 199496, noteGAuDEMET- TAUON; Deni/auler etHengst (note II); Debaecker/Bouwmann, 11.6.1985, Recueil 1985

1779.

IJ C1CE HoffmannlKrieg, 4.2.1988, Rev. crit. 1988605, note GAUDEMET-TALLON; Solo Kleinmotoren/Boch, 2.6.1994, Recueil 199412247.

14 En outre, l'art. 27 ch. 4 prévoit un contrôle-limité- du droit appliqué par le premier juge à une question préalable de droit de la famille.

15 Art. 25 lit. a et 26 renvoyant aux dispositions sur l'exécution des décisions étrangères propres à chaque matière, p. ex. art. 149.

16 Autres exceptions: art. 28 al. 1 infine renvoyant à l'art. 59; art. 28 al. 2 renvoyant aux art. 54ter ch. 3 et 57 ch. 4; en matière de droit transitoire, art. 54 al. 2.

\7 C1CE Capelloni/Pelkmans, 3.10.1985, Rev. crit. 1987 130, note GAUDEMET-TALLON.

18 L'art. 38 parle de recours «ordinaire». Sur la définition de recours ordinaire, qui n' a rien à voir avec un recours ordinaire au sens de la procédure civile suisse, CJCE lndus- trial Diamond Supplies/Riva, 22.11.1977, Rev. crit. 1979433, note GAUDEMEr-TALLON.

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Dans ce cas, le juge de l'exequatur peut surseoir à statuer (art. 38 al. 1), ou subordonner l'exequatur à la constitution de sûretés (art. 38 al. 2), ou encore prononcer l'exequatur nonobstant le recours (art. 38 al. 1), par exemple parce qu'il est manifestement mal fondé et dilatoire.

La mise en oeuvre de la procédure unilatérale pose des problèmes par- ticuliers en Suisse à cause de la jonction entre exequatur et exécution forcée opérée dans le cadre de la procédure de mainlevée définitive, pour laquelle la LP requiert l'audition du défendeur (art. 84 LP). C'est pour tenter de concilier l'inconciliable (une procédure est contradictoire ou elle ne l'est pas) que le législateur genevois a édicté une réglementation spéciale à l'ar- ticle 472B LPCI9Sur la base de cette disposition, en pratique, la procédure unilatérale n'est utilisée que lorsque des mesures conservatoires sont requi- ses. Toutefois, la décision unilatérale est alors resournise à l'examen en pre- mière instance dans le cadre de la procédure de mainlevée. En l'absence de requête de mesures conservatoires, la procédure habituelle est suivie (exe- quatur et mainlevée en procédure sommaire contradictoire, puis appel). Le résultat est au mieux le statu quo, au pire un alourdissement de la procédure d'exequatur, en aucun cas la simplification recherchée par la CL. C'est fâ- cheux, mais probablement inévitable tant que le législateur fédéral ne mo- difie pas la LP pour tenir compte de la CL.

Il. De quelques compétences optionnelles

A. For du lieu d'exécution en matière contractuelle

r.:

art. 5 ch. 1 introduit une option de compétence en matière contractuelle au lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande'° C'est là une option fréquemment utilisée, parce qu'elle fonde souvent un for du demandeur. Elle est difficile d'application, ce que reflète le nombre élevé de décisions de la CJCE interprétant cette disposition21 .

r.:

obligation déterminante est celle «qui sert de base à la demande», et non pas la prestation caractéristique du contrat22Par exemple, dans un con-

Autres arrêts sur l'art. 38: CJCEBrennerolWendel, 27.11.1984, Recueil 19843971; van Dalfsenlvan Loon, 4.10.1991, Rev. crit. 1992 128, noteGAuDEMET-TALLON.

19 Autres dispositions cantonales d'application de la CL: RSDIE 1993337.

20 La LDIP connait également ce for, mais à titre subsidiaire (art. 113).

21 Not. CJCE {ndustrie Tessili {taliana Coma/Dunlop AG. 6.10.1976, Rev. crit. 1977 751, note GOTHDT 1 HOLLEAUX; Bloos SPRUBouyer, 6.10.1976. Rev. crit. 1977 756, note GOTHOT 1 HOLLEAUX; EjJer S.p.A.lKantner, 4.3.1982, Rev. crit. 1982570, note

GAUDEMET-TAlLON; Jakob Handte & Co/Société de traitements mécano-chimiques des surfaces, 17.6.1992, Rev. crit. 1992726, note GAUDEMET·TALLON; eus/om Made Commercial Ltd/Slawa Metallbau GmbH, 29.6.1994, Rev. crit. 1994692.

22 Sur cette notion, CJCEde BIDos (note 21); s'li y en a plusieurs, c'est la principale qui est déterminante, CJCE ShenavailKreischer, 15.1.1987. Rev. crit. 1987 798, note DROZ.

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CONVENTION DE LUGANO ET CONTENTIEUX BANCAIRE 63

trat de prêt, l'obligation caractéristique est celle du prêteur. En revanche, l'obligation «servant de base» à une demande en remboursement d'un prêt est celle de l'emprunteur.

Comment déterminer le lieu d'exécution de cette obligation? En vertu de la convention des parties si celles-ci ont fixé un lieu d'exécution, par exemple en prévoyant que les paiements en remboursement d'un prêt doi- vent être effectués au siège de la banque". A défaut d'accord, le lieu d'exé- cution est déterminé par le droit matériel applicable au contrat selon les règles de conflits de lois du juge saisi". En tenant compte de ces éléments, ont peut résumer de la manière suivante la démarche du plaideur qui cher- che à établir une compétence selon J'article 5 ch. 1:

1. La matière est-elle contractuelle?

oui non

j

autre chef ~ de

compétence

2. Quelle est ('obligation servant de base à la demande?

3. Celkxi définie, se mettre à la pl~e du juge que l'on envisage de saisir, et

4. AppUquer son dip

S. En application du droit matériel désigné par ce dip, déterminer le lieu d"exécution

---

s~1 se situe au lieu du tribunal envisagé, la compétence 5 ch.

est établie

,..

s'il se situe ailleurs, retour à la case 3 pour recommencer la démarche en se mettant à la place d'un autre juge envisageable

23 Cela présuppose que le droit matériel régissant le contrat admette la fixation conven- tionnelle du lieu d'exécution, comme le fait le droit suisse à ,'an. 74 al. 1 CO.

24 C1CE Tessili, de Bloos et Custom Made Commercial (note 21).

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Dans notre contexte, l'intérêt pratique de l'article 5 ch. 1 est qu'il crée un for du demandeur dans tous les cas d'action en paiement lorsque le droit applicable au fond prévoit qu'une dette d'argent est portable:". Tel est no- tamment le cas du droit suisse à l'article 74 al. 2 ch. 1 CO. Ainsi, la banque établie à Genève qui a fait un prêt à une société domiciliée dans un Etat contractant pourra agir en remboursement devant les tribunaux genevois, même en l'absence de clause d'élection de for, dans la mesure où le droit suisse est applicable".

C'est à cette conclusion qu'arrive un arrêt rendu par la Cour de justice de Genève le 17 août 199327Une banque de la place agissait en rembourse- ment de divers crédits" consentis à un débiteur qui depuis avait transféré son domicile à Paris. Il n 'y avait donc pas de for de l'article 2 à Genève. Les conditions générales de la banque n'avaient pas été produites, de telle sorte qu'une élection de for valable en faveur des tribunaux genevois ou un ac- cord sur le lieu d'exécution de l'obligation de remboursement n'étaient pas établis. Les tribunaux genevois étaient-ils pour autant incompétents? Non, car le droit suisse régissait le contrat'" et le droit suisse prévoit qu'une dette d'argent est portable au domicile du créancier. Résultat: l'obligation de rem- boursement devait être exécutée au siège de la banque à Genève, ce qui y ouvrait une compétence au sens de l'article 5 ch. 1 CL.

B. For de "acte illicite (art. 5 ch. 3)

I.:article 5 ch. 3 ouvre au demandeur créancier d'une prétention résultant d'un acte illicite, l'option d'agir au lieu «où le fait dommageable s'est pro- duit». En cas de dissociation entre le lieu de / 'acte et le lieu du résultat, le demandeur a une option dans l'option: il peut agir à l'un ou à l'autre

'O

25 Paiement portable not. en droit italien (sous réserve des ventes au comptant), néer- landais, portugais, anglais, suédois, grec, irlandais, islandais, danois; en revanche, paie- ment quérable en droit allemand, autrichien, belge, espagnol, français, luxembourgeois (sur le sujet voir not. Ole LANOO, «Die Aufgabe des Gerichrshofes und das System des Brûsseler Übereinkommens)), in CJCE (dir.),/nternationale Zuslàndigkeil und Urleil- sanerkennung in Europa, Berlin/Cologne (Heymann) 1993, p. 26.

26 En vertu d'une élection de droit (art. 116 LDIP) ou selon le rattachement objectif, la prestation caractéristique étant celle du prêteur (art. t 17 LDIP et ATf 1 t 8 Il 348,352).

27 RSDIE 1994 405-408.

28 Pour être complet, la banque avait obtenu un séquestre, intenté une poursuite en vali- dation et demandait la mainlevée de l'opposition. L'arrêt considère que la compétence pour la mainlevée est régie par la CL et, cela fait, admet sa compétence sur la base de l'art. 5 ch. 1.

29 La Cour applique l'art. 74 CO sans s'interroger sur j'applicabilité du droit suisse. En l'occurrence, cela ne porte pas à conséquence, car le droit suisse était certainement applicable, soit en vertu d'une élection de droit, soit du rattachement objectif.

JO Cl CE Bier/Mines de potasse d'Alsace, 30.11.1976, Rev. crit. 1977 568, note BOUREL.

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CONVENTION DE LUGANO ET CONTENTIEUX BANCAIRE 65

Le lieu du résultat est celui du résultat direct subi par la victime immé- diate. La CJCE en a tranché ainsi dans une affaire Dumez/Hessische Landesbank'i. Les filiales allemandes de deux entreprises françaises de construction étaient engagées dans un projet immobilier enAllemagne, projet financé par un consortium de banques allemandes mené par la Helaba. En cours de réalisation, les banques coupèrent les crédits au maître de l'ouvrage, ce qui entraîna l'arrêt des travaux, puis la faillite des filiales allemandes des entreprises françaises. Ces dernières agirent en France contre les banques allemandes pour obtenir la réparation de leur préjudice. Pour tenter de fon- der une compétence à leur siège, elles invoquèrent l'article 5 ch. 3 CB. A tort, dit la CJCE: l'article 5 ch. 3 est une exception au principe général du for du défendeur; il doit être interprété restrictivement de sorte à éviter une multiplication des compétences; il ne vise que le lieu où l'acte engageant la responsabilité a produit directement des effets dommageables à l'égard de celui qui en est la victime immédiate. Résultat: les sociétés françaises, vic- times par ricochet, devaient agir en Allemagne.

Quelle est l'étendue de la compétence dujuge saisi sur la base de l'ar- ticle 5 ch. 3? Couvre-t-elle les aspects contractuels du litige lorsqu'une même demande cumule des chefs de responsabilité contractuelle et délictuelle?

C'est la question qui se posait dans une espèceKalfelis/Bankhaus SchrodeiJ2

M. Kalfelis avait conclu avec la filiale luxembourgeoise de SchrOder, par l'intermédiaire du siège de Schrôder Allemagne à Francfort, un contrat por- tant sur des opérations boursières qui s'étaient soldées par une perte totale.

Il assigna tant Schroder Luxembourg que Schrôder Allemagne à Francfort et invoqua un concours de responsabilité contractuelle et délictuelle. Schroder Luxembourg souleva l'incompétence. Abstraction faite de l'existence d'un for des co-défendeurs)), si le juge de Francfort était compétent sur le seul fondement de l'article 5 ch. 3, pouvait-il examiner l'aspect contractuel de la demande? Non, répondit la CJCE, tout en admettant que cette solution en- traînait un morcellement peu pratique du litige, que le demandeur pouvait toutefois éviter en agissant au for de l'article 2.

)1 CJCE Dumez France el Trocoba/Hessische Landesbank (He/abaJ, 11.1.1990, Rev.

crit. 1990363, note GAUDEMET-TALLON.

12 Kalftlis/Bankhaus Schroder, Miinchmeyer. Hengsl, 27.9.1988, Rev. crit. 1989 112, note GAUDEMET-T ALLON.

33 L'arrêt porte également sur le lien requis entre les demandes dirigées contre des co- défendeurs pour qu'ils puissent tous être attraits au domicile de l'un d'eux selon l'art. 6 ch. 1. En l'occurrence, le lien existait, de sorte que les tribunaux allemands etaient com- pétents à l'égard de Schrôder Allemagne même en l'absence de tout for de l'art. 5.

(13)

C. For de la succursale (art. 5 ch. 5)

L'article 5 ch. 5 prévoit une compétence optionnelle au lieu de situation d'une «succursale, d'une agence ou de tout autre établissement» (ci-après

«établissement secondaire») pour toute contestation de tiers de nature con- tractuelle ou délictuelle34C'est là une règle de compétence bien connue" , dont l'importance pratique pourrait rester relativement limitée vu l'existen- ce des fors du lieu d'exécution et de l'acte illicite. Il n'appellerait donc guère de commentaires s'il n'était une jurisprudence troublante sur la no- tion d'établissement secondaire.

Une première série d'arrêts exigeait que, tout en revêtant une certaine autonomie pour des affaires traitées sur son territoire, l'établissement se- condaire soit soumis à la direction et au contrôle de sa maison-mère et sem- blait indiquer que l'apparence ne pouvait pallier l'absence de subordina- tion36. Bien que la jurisprudence n'en ait pas tiré cette conclusion, du moins expressément, certains auteurs en avaient déduit que l'établissement secon- daire ne pouvait pas être une entité juridique indépendante37

Un arrêt ultérieur Scholie GmbH/Parfums Rothschild Sàrl a cependant adopté une solution différente38. Schotte, société allemande, avait conclu un contrat avec Rothschild France, filiale à 100% de RothschildAllemagne.

Cette dernière était intervenue tant dans les négociations que dans l'exécution du contrat. Les lettres émanant de Rothschild Allemagne étaient signées de deux personnes, dont l'une était directeur des sociétés française et allemande et l'autre de la société française. Un litige ayant surgi à propos de l'exécution du contrat, Schotte assigna Rothschild France en Allemagne et la CJCE admit la compétence sur la base de l'article 5 ch. 5. Autrement dit, la société- mère était l'établissement secondaire de sa filiale!

Il est possible que cette solution ait été dictée par les circonstances particulières de l'affaire et ne puisse être généralisée. Il reste qu'il n'est pas exclu qu'une société-mère soit assignée au siège de sa filiale sur le fonde- ment de l'article 5 ch. 5 CL.

34 Somafer/Saar-Ferngas, 22.11.1978, Recueil1978 2183.

35 Art. 112 al. 2, 129 al. 1 et 21 al. 3 LDIP.

36 CJCE de BIDos/Bouyer, 6.\0.1976, Rev. crit. 1977 756, note GOTHOT! HOLLEAUX;

Blanckaert/Trost, 18.3.1981, Recueil 1981 819; Somajèr (note 34).

37 André HUET, «Chronique de jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes», Clunet 1979672; Jean-Marc BISCHOFF, «Chronique de jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes), Clunet 1982479.

38 SAR Scholie GmbH/Parfums Rothschild Sàrl, 9.12.1987, Rev. cril. 1988733, note DROZ.

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CONVENTION DE LUGANO ET CONTENTIEUX BANCAIRE 67

D. For en matière de trust (art. 5 ch. 6 avec référence à l'art. 17 ch. 2)

Le recours croissant au trust dans la pratique amène à examiner de plus près les règles de la CL en cette matière. 8examen est d'autant plus opportun que la tendance actuelle qui consiste à utiliser le trust pour détenir des en- treprises commerciales en activité accroît la responsabilité du trustee à l'égard du bénéficiaire et augmente donc les risques de litige.

Par le biais de la CL, le trust a fait son entrée dans le droit suisse". En effet, la Convention consacre à cette institution de Common /aw, certes fa- milière à nombre de praticiens, mais inconnue de nos textes40, deux dispo- sitions: les articles 5 ch. 6 et 17 ch. 2. La seconde n'est pas une compétence optionnelle, mais impérative (I.C. ci-dessus). Elle est néanmoins traitée ici, parce qu'elle met en oeuvre les mêmes notions que la première disposition.

8article 5 ch. 6 prévoit une compétence optionnelle dans l'Etat du domicile du trust pour les actions dirigées contre le fondateur, trustee ou bénéficiaire d'un trust constitué «soit en application de la loi, soit par écrit ou par convention verbale confirmée par écril>,. En droit anglo-saxon, le trust n'a pas la personnalité juridique. Il ne peut donc pas être assigné au for de son «siège» en vertu de l'article 2, mais uniquement au domicile du trustee. Or ce domicile peut ne pas avoir de lien avec le trust41 D'où l'intro- duction de l'article 5 ch. 6.

En raison de la systématique de la Convention (I.C. ci-dessus), il faut que tant le défendeur (seU/or, trustee ou bénéfi'Ciaire) que le trust aient leur domicile dans un Etat contractant. S'il faut rappeler ici que les centres off- shore des îles an gIa-normandes et de Gibraltar ne sont pas liés par la CL (art. 60 CL et art. 60 al. 3 ch. 2 CB), le fait qu'un trust soit créé selon le droit d'un de ces territoires ne signifie pas pour autant qu'il y est domicilié (3. ci- dessous).

I:article 17 ch. 2 consacre la validité d'une élection de for contenue dans l'acte constitutif d'un trust pour les litiges entre fondateurs, trustee et bénéficiaires, quand bien même, s'agissant d'une déclaration unilatérale, l'élément contractuel normalement requis pour la validité de l'attribution de compétence fait défaut. Pour que cette disposition s'applique, il faut que le tribunal élu et le domicile d'une des parties à l'action soient situés dans un Etat contractant.

39 Sur ce sujet, voir en particulier BERTI, Trust; Markus STIEGER, «Was bringt das Lugano- Obereinkommen fiir Trusts mit Berührung zur Schweiz?», L'expert comptable suisse 1992 202-205.

40 Voir, en paniculier, ATF 961188, dans lequelleTF a adapte l'institution du trust pour déterminer le droit applicable.

41 Rapport SCHLOSSE' , p. 106.

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Il s'agit-là de règles particulières qui n'ont pas leur équivalent dans la LDIP, de telle sorte qu'en dehors du champ d'application de la CL, le juge suisse ne peut reconnaître une élection de for unilatérale (art. 5 LDIP), ni admettre une compétence au domicile du trust (dans la mesure bien sûr où elle ne coïncide pas avec une autre compétence instaurée par la LDIP, par exemple le lieu de l'acte illicite ou du domicile du défendeur).

Quels sont les trusts visés par ces dispositions (1. ci-dessous)? Quelles sont les actions concernées (2. ci-dessous)? Comment déterminer le domi- cile d'un trust (3. ci-dessous)? Quelles conclusions pratiques peut-on tirer (4. ci-dessous)? Telles sont les questions principales que l'application de ces deux dispositions nous semble soulever.

1. Quels trusts?

Les dispositions sur Jes trusts ont été introduites lors de l'adhésion de la Grande-Bretagne et de J'Irlande à la CB en 1978. Selon le rapport d'expert établi à cette occasion, <dl y a trust lorsqu'une ou plusieurs personnes (les trustees) détiennent des droits de toute nature sous réserve de ne les exercer qu'au bénéfice d'une ou plusieurs personnes (les bénéficiaires) ou dans un but autorisé par la loi, de telle manière que les avantages économiques dé- coulant de ces droits profitent non aux trustees mais aux bénéficiaires (les- quels peuvent comprendre également un ou plusieurs trustees) ou encore à un autre objet du trusm'2 Ce même rapport précise que le terme «trusb> se réfère uniquement à l'institution caractéristique des droits du Royaume- Uni et de l'Irlande'J . Ce nonobstant, il nous semble que la notion de trust doit recevoir une interprétation autonome", de telle manière que les articles 5 ch. 6 et 17 ch. 2 s'appliquent également aux institutions d'autres droits qui répondent à la définition précitée ou à une autre définition que la CJCE viendrait à donner un jour".

42 Rapport SCHLOSSER, JOCE 1979 C 59/106.

43 Rapport SCHLOSSER, p. 107.

4'

Comme la matière contractuelle de l'art. 5 ch. 1 (CJCE Peters/ZNAV, Rev. crit. 1983 667, note GAUDEMET-TALLON, et CJCE Handte (note 21) ou la matière délictudle de l'art. 5 ch. 3 (CJCE Kalfelis note 32).

45 Ou même avis, BERTI, Trust, p. 230; voir aussi KAYE, pp. 616-617, qui envisage même que des figures contractuelles de droit civil remplissant les mêmes fonctions que le trust soient couvertes. Quoi qu'il en soit de cette dernière hypothèse, que nous excluons, le champ d'application de la CL devrait en tout cas couvrir, p. ex. le trust liechtensteinois, américain, la fiducie québécoise, la variation du trust reprise par le droit japonais. En- fin, peut-être, un jour la «fiducie améliorée)) que Luc THEVENOZ «(La fjducie, cendrillon du droit suisse», rapport à la SSJ, RDS 1995 Il 253-351) propose d'instaurer en droit suisse.

(16)

CONVENTION DE LUGANO ET CONTENnEUX BANCAIRE 69

En raison de son libellé, l'article 5 ch. 6 ne vise que les express trusts, à savoir ceux qui résultent de la volonté du seulor ou d'une disposition légale, à l'exclusion des constructive trusts et des implied ou resulting trusts4".

Par ailleurs, l'article 5 ch. 6 de même que l'article 17 ch. 2 ne couvrent pas les trusts relevant des matières exclues de la Convention au sens de l'article 1 al. 2, successions, régimes matrimoniaux, faillite, matières à in- terpréter de manière autonome et non par renvoi au droit national régissant le !rus!". I.:exclusion s'applique, tout d'abord, aux trusts créés par testa- ment (testamentary trusts )4S, par opposition aux trusts constitués entre vifs (trusts inter vivas, living trusts). Sont aussi exclus les marriage trusts, qui relèvent des régimes matrimoniaux4o• En revanche, les trusts aménageant l'exécution d'obligations alimentaires sont couverts par la Convention. Sont enfin exclus les trusts in bankruptcyO

Dans la mesure où un trust tombe dans le champ matériel de la CL et répond à la définition citée plus haut, la fonction que poursuit le trust est sans pertinence. Il peut notamment s'agir d'unprotective trust, d'un chari- table trust, ou d'un trust utilisé à des fins commerciales".

2. Quelles actions?

Les dispositions conventionnelles sur les trusts ne visent que les actions relevant des relations internes au trust. Elles visent donc des litiges entre trustees, par exemple sur l'étendue de leurs droits d'administration respec- tifs, ou entre personnes prétendant à la qualité de trustee, ou encore et sur- tout entre bénéficiaire et trustee'2. Ne sont pas couvertes les relations du

46 Rapport SCHLOSSER, JOCE 1979 C 59/107; sur les différentes catégories de trusts et leur signification, voir p. ex. David B. PARKER et Anthony R. MELLOWS, The Modern Law of Trusts, 6t éd., Londres (Sweet & Maxwell) 1994, ou Graham MOF'FAT, Trusts Law, 2e éd., Londres 1994; sur les fonctions des trusts, leurs équivalents en civillaw, voir p. ex. Dominique Aloïs DREYER, Le trust en droit suisse. Genève (Georg) 1981; Peter CZERMAK, Der express Trust in internat jona/en Privatrecht, Francfort s. M.lBeme (Lang) 1987; Jean-Paul BERAUDO, Les trusls anglo-saxons et /e droU français, Paris (LGDJ) 1992.

4' CJCE De Cavell de Cavel, 27.3.1979, Rev. crit. 1980621, note DRoz; Gouroain/Nadler, 22.2.1979, Rev. crit. 1979661, note LEMONTEV.

48 Rapport SCHLOSSER, JOCE 1979 C 59/106; SmGER (note 39), se demande si J'exclu- sion s'étend à un litige entre bénéficiaire et trustee après le décès du selt/or. Il nous semble que c'est le cas; rien ne permet de réintégrer un tel litige dans le champ de la CL.

Toutefois, KAYE. p. 614 selon lequel les testamemary trusts ne sont pas exclus si J'action concerne le trust (sa validité, son administration) et non le testament.

49 KAVE, p. 613.

50 La faillite instaure, en effet, une forme de trust sur les avoirs du débiteur; KAvE, p.614.

51 Pour un voting truSI, TGI Paris, 10.2.1993, Clunet 1993599, note KESSIDJ(AN.

52 Rapport SCHLOSSER, p. 106.

(17)

trust (qui passent par le trustee) avec des tiers. En d'autres termes, l'action intentée par le trustee à l'encontre de la banque gérant les avoirs du trust ne peut être introduite au domicile du trust'3. En revanche, l'action du bénéfi- ciaire contre la société agissant comme trustee peut l'être.

Même internes au trust, les actions réelles immobilières répondant à la définition donnée par la CJCE dans un arrêt Reichert/Dresdner Banlc5' doi- vent être intentées dans l'Etat de situation de l'immeuble, non pas au domi- cile du trust (art. 16 ch. 1). Dans une récente affaire concernant un resu/ting trust, la CJCE a toutefois estimé que l'action d'un soi-disant sett/or (et bé- néficiaire) tendant à faire déclarer qu'un tiers détenait un bien immobilier en tant que trustee n'était pas de nature réelle et ne relevait donc pas de l'article 16".

3. es/le domicile du trust?

La règle de l'article 5 ch. 6 repose sur l'idée que, sans avoir la personnalité juridique, le trust a un centre d'intérêt localisé que l'on a assimilé à un domicile. A l'époque, cette notion, empruntée aux conflits de lois, n'était pas bien établie en droit anglo-saxon". Elle n'y était pas inconnue non plus, puisque le rapport d'expert cite un auteur écossais qui retient les critères de ratlachement suivants pour la détermination du domicile du trust: la volonté du sett/or, le centre de gestion du trust, la résidence ou l'établissement du trustee, la situation des biens du trust, le lieu où les objectifs du trust sont poursuivis". Ces critères coïncident avec ceux de la Convention de la Haye du 1 er juillet 1985 sur la loi applicable au trust et à sa reconnaissance's.

Selon quel droit le domicile du trust doit-il être déterminé? L'article 53 al. 2 CL prévoit que le juge saisi détermine le domicile du trust par applica- tion de ses règles de droit international privé. Le juge suisse n'a pas de règles de D1P sur le trust. Que faire? En créer, répond le rapport d'expert".

Dans cet esprit, certains auteurs60 appliquent l'art. 21 al. 2 LDlp, considé- rant le trust comme un «patrimoine organisé" au sens de l'article 150 LDlp61

53 STIEGER (note 39), p. 203.

54 L:arrêt Retcher//Dresdner Bank, 10.1.1990, Rev. crit. 1991 151, note ANCEL.

55 Webb/Webb, 17.5.1994, Rev. crit. 1995 123, note BERAUDO; Peter KAYE, «Creation of an English ResuUing Trust of 1mmovab1es Held to Fall Out,ide Art. 16 (1) of the Euro- pean Judgments Conventiom), IPRax 1995 286.

56 Rapport ScHLOSSER, p. 106.

51 Rapport ScHLOSSER, p. 106.

58 Art. 6 et 7; la Suisse n'est pas partie à cette convention.

59 Rapport SCHLOSSER, pp. 107-108, qui précise qu'il y a, à cet effet, deux possibilités:

soit la règle du for précise que c'est le droit matériel dont relève Je trust qui détermine le domicile, soit la lex/ori détennine elle-même le domicile, qu'elle fixe en fonction de ses propres critères.

(18)

CONVENTJON DE LUGANO ET CONTENTIEUX BANCAIRE 71

D'autres semblent plutôt admettre que le domicile est détenniné par le droit matériel désigné par la règle de conflit suisse, qu'il s'agisse des règles

Sur

les sociétés ou de celles sur les contrats62.

Qu'en tirer? Chaque fois que le sert/or a désigné un droit, il faudrait que son choix prévale, ne serait-ce que parce qu'en pratique, il s'agira d'un droit qui connaît l'institution du trust6J Il appartiendra donc à ce droit de détenniner le domicile. En l'absence de choix du set/lor, plutôt que procé- der par la qualification de société ou contrat, toutes deux inaptes à refléter la vraie nature du trust, il faudrait ériger une règle de DIP prévoyant que le domicile du trust se situe là où il a son centre de gravité, à apprécier en fonction des critères énumérés dans le rapport d'expert et correspondant auX règles de droit applicable de la Convention de La Haye de 1985. Si la Suisse ratifiait cette convention, ce qui apparaît souhaitable à plusieurs égards, cette approche assurerait le concours des compétences judiciaire et législative64.

4. Conclusions pratiques

Sur la base des développements qui précèdent, il faut conclure que les dis- positions de la CL sur les trusts ne trouveront pas souvent une application concrète pour les raisons suivantes:

a. Un certain nombre de trusts de la pratique quotidienne ne tombera pas dans le champ matériel de la CL. La délimitation posera toutefois des diffi- cultés de qualification. Un trust créé entre vifs mais poursuivant des objec- tifs successoraux est-il couvert par la Convention? Que faire quand un trust poursuit plusieurs buts, par exemple l'exécution d'obligations d'entretien du vivant du seU/or et l'affectation de ses biens après sa mort? Le premier est couvert par la CL; le second ne l'est probablement pas (art. 1 al. 2 ch. 1).

Comme l'a fait le TF dans un autre contexte6', il faudra qualifier selon

60 SCHWANDER, p. 77; BRANDENBERO BRANOL, p. 234 note 688. Le Message du Conseil fédéral en matière de droit international privé du 10 novembre 1982 précise que «certai- nes formes de trusll> relèvent de l'art. 150 LDlP; FF 1983 1425. Sur la qualification du trust comme «patrimoine organisé», not. VISCHER in HEINI! KELLER! SIEHR ! ViSCHER 1

VOLKEN (dir.), pp. 1324-1326.

61 Cela aura généralement pour résultat de fixer le domicile du trust au lieu de son administration effective. S'agira-t-il de la résidence ou de l'établissement dutrustee ou, si la gestion des biens du trust est confiée à un tiers, du lieu de gestion des biens? On peut hésiter et cela dépendra du trust en question.

62 BERTI, Trust, pp. 233-234; BROGOINI, Problèmes, p. 42, qui évoque aussi la qualifica- tion réelJe.

63 Que cela soit sur la base de l'art. 21 al. 2, de l'an. 116 ou d'une règle à créer en se fondant sur la Convention de La Haye de 1985.

64 Dans le même sens, not. GAUDEMET-TALLON, p. 53; BERAUDO (note 46), p. 224.

65 ATF 11911167-173.

(19)

l'élément prépondérant, ce qui soulèvera encore des problèmes d'apprécia- tion.

b, Sous l'angle riiumlich-personlich, la CL s'appliquera à condition que le défendeur soit domicilié dans un Etat contractant, ce qui sera rarement le cas des actions contre des trust corporations (sous réserve peut-être des cas où, selon le droit national applicable au trust, est réputé trustee non l'entité ojJ-shore formellement désignée ainsi, mais l'établissement bancaire suisse qui agit comme trustee de fait accomplissant l'ensemble des obligations du trustee). La Convention s'appliquera également si' le for élu et le domicile du demandeur sont situés dans un Etat contractant. Cette situation sera ce·

pendant peu fréquente, car la grande majorité des trusts prévoit la compé- tence des tribunaux du pays dont le droit régit le trust.

Dans les cas qui passeront le test du champ d'application matériel et riium/ich-person/ich, la CL s'appliquera avec les effets suivants:

c. Elle validera les élections de fors unilatérales, de telle sorte que le tribunal élu devra se déclarer compétent et que tout autre tribunal d'un pays membre devra décliner sa compétence.

d. En l'absence d'élection de for, elle ouvrira une compétence au domi- cile du trust contre un défendeur domicilié dans un Etat contractant. Le domicile pourrait être considéré établi au lieu de situation et de gestion des biens, surtout si ces lieux coïncident.

e. Elle permettra évidemment aussi d'agir aux autres fors convention- nels (art. 2: action «contre le trust» au domicile du trustee; art. 5 ch. 3 for de l'acte illicite et art. 6 regroupement d'actions liées).

III. Election de for

A. Critères d'application, conditions de forme et de fond, effets L'article 17 CL prévoit la compétence exclusive du tribunal d'un Etat con- tractant «convenU» par des parties, dont l'une au moins a son domicile dans un Etat contractant. Quant au champ d'application dans l'espace, il faut donc que le domicile d'au moins une des parties et le for élu se situent dans un Etat contractant'" Dans le temps, l'article 17 s'applique à l'élection de for invoquée après l'entrée en vigueur de la CL, même si elle a été conclue avant67,

66 L'art. 17 requiert-i1- implicitement - un lien avec plusieurs Etats contractants? La CJCE n'a pas eu l'occasion de se prononcer et le TF a expressément laissé la question ouverte (ATF 119 Il 391,393); la doctrine est partagée. La réponse n'est probablement pas générale, mais dépend de la constellation for élu -domiciles - Etat(s) contractant(s) (en ce sens, BERNASCONII GERBER. pp. 56-68; sur le sujet voir aussi p. ex. KROPHOLLER, pp, 185-187).

67 CJCE Sanicenrral/Collin, 13.11.1979, Recueil 19793423,

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