Éléments introductifs sur le Théorème de Dirichlet
FrançoisDEMARÇAY
Département de Mathématiques d’Orsay Université Paris-Sud, France
1. Introduction
Depuis l’époque antique reculée d’Euclide, il est bien connu que l’ensemble des nom- bres premiers :
P :=
p∈N: p>2, p premier
est de cardinal infini, bien que non connaissable mathématiquement en totalité. Pour un nombre entier quelconqueq >2et un nombre16`6q−1premier avecq:
1 = `∧q,
il est alors natural de s’imaginer aussi, après quelques expérimentations numériques con- fortantes, que la progression arithmétique infinie :
`+k q k∈N =
`, `+q, `+ 2q, `+ 3q, . . .
contienttoujoursune infinité de nombres premiers. Évidemment, lorsque`etqne sont pas premiers entre eux, tous ces`+kqsont multiples depgcd(`, q)>2, donc jamais premiers.
Dans la circonstance-limiteq= 1, avec` = 0ou1, l’ensemble : `+k k∈N = N ⊃ P
contient donc une infinité de nombres premiers. Le cas général s’énonce comme suit.
Théorème 1.1. [de Dirichlet]Si deux entiersq > 2et16 ` 6q−1sont premiers entre eux, alors il existe uneinfinitéde nombres premiers de la forme :
`+k q (k∈N),
i.e. :
∞ = CardP ∩
`+k q k∈N. Grâce au produit infini de fonctions holomorphes :
X∞ n=1
1
ns = Y
p∈P
1 1− p1s
,
valable pours∈CavecRes >1, Euler a démontré de manière élémentaire que : log 1
s−1+ O(1) = X
p∈P
1
ps (s−→1,Res >1),
1
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d’où il découle que :
∞ = lim
s&1
X
p∈P
1 ps, et enfin ∞ = P
p∈P 1
p, ce qui redémontre l’infinitude des nombres premiers. C’est ce raisonnement d’Euler que Dirichlet est parvenu à généraliser aux progressions arithmé- tiques quelconques
`+k q
k∈N.
Plus généralement, soitϕlafonction indicatrice d’Euler : ϕ(q) := Card
16`6q: `∧q = 1 .
Une deuxième version plus quantitative du théorème classique de Dirichlet sera obtenue au cours des raisonnements.
Théorème 1.2. Lorsques∈CavecRes >1tend vers1, on a : X
p∈P p≡`modq
1
ps = 1 ϕ(q)log
1 s−1
+ O(1),
indépendammentdu choix de16` 6q−1.
De cet énoncé découle immédiatement qu’il y a un nombre infini de nombres premiers congrus à`moduloq.
Pour être plus éclairant sur le plan intuitif, il se trouve que la proportion des entiers premiers congrus à`moduloq:
xlim→∞
Card
p6x: p∈P, p≡`modq
Card
p6x: p∈P .
tend asymptotiquement vers une limite indépendante de `. comme vont le dévoiler des énoncés plus avancés.
Tout d’abord, pour tout réelx>1, introduisons la fonction de comptage : π(x) := Card
p∈P: p6x .
La démonstration du théorème suivant, due indépendamment à Hadamard et à de la Val- lée Poussin, constitue l’une des plus belles pierres philosophales de l’alchime arithmétique au contact de l’Analyse Complexe.
Théorème 1.3. [des nombres premiers]Asymptotiquement lorsquex−→ ∞, on a : π(x) ∼ x
logx.
Mais alors, qu’en est-il de la répartition quantitative des nombres premiers congrus à
`modq? Introduisons à cet effet les diverses fonctions similaires de comptage suivantes : π x, `, q
:= Card
p∈P: p6x, p≡`modq , dont les comportements n’ont rien de chaotique.
Théorème 1.4. [de Dirichlet quantitatif]Asymptotiquement lorsquex −→ ∞, on a in- dépendamment de l’entier`premier avecq:
π x, `, q
∼ 1 ϕ(q)
x
logx.
2.Historique succinct 3
Comme corollaire immédiat de ce théorème, il vient : 1
ϕ(q) = lim
x→∞
Card
p6x: p∈P, p≡`modq
Card
p6x: p∈P .
Mentionnons qu’à notre époque si évoluée au plan technologique, étant donné trois nom- bres entiersa, b, c > 1premiers entre eux, le problème d’apparence simple de démontrer rigoureusement que la progression quadratique :
a+b k+c k2 k∈N
contient toujours une infinité de nombres premiers, est toujoursouvert !Avis aux amateurs de médailles !
2. Historique succinct
Mais avant d’entamer la démonstration du théorème de la progression arithmétique de Dirichlet proprement dit, signalons que Euler l’avait déjà démontré dans le cas où` = 1.
En 1735, à la suite d’une étude pour la résolution du problème de Mengoli, Euler intro- duit en effet certains produits infinis centraux dans l’étude des fonctions trigonométriques.
Deux ans plus tard, Euler découvre la formule maintenant célèbre : X∞
n=1
1
ns = Y
p∈P
1 1− p1s,
exemple paradigmatique de produit eulérien, formule-clé bien sûr redémontrée plus loin.
Les écritures en série ou en produit infini d’Euler sont celles que Riemann exploitera ultérieurement dans son étude approfondie de la fonction éponymeζ(s) :=P∞
n=1 1
ns. C’est la toute première fois qu’apparaît une information statistique sur la distribution des nom- bres premiers !
En 1785, Adrien-Marie Legendre énonce le théorème général de la progression arith- métique et croit le démontrer en 1808, mais un de ses lemmes cruciaux est erroné.
En 1837, Dirichlet démontre une première version de son théorème de la progression arithmétique, en supposant queqest premier. L’année suivante, il atteint le cas absolument général oùqn’est pas supposé premier. En 1841, il généralise sa démonstration à l’ensem- ble desentiers de Gauss :
Z(√−1) :=
a+√−1b: a, b∈Z .
Les démonstrations de Dirichlet sont d’un intérêt considérable en arithmétique. L’ap- port algébrique pour la théorie des nombres consiste essentiellement en un développe- ment de l’Analyse Harmonique, car Dirichlet avait déjà travaillé sur les découvertes de Joseph Fourier, et pour la démonstration de son théorème il utilise des méthodes très ana- logues, cette fois-ci sur des groupes abéliens finis, au lieu du groupe abélien géométrique S1 =
eiθ: θ ∈R . Jacobi aurait écrit au sujet de Dirichlet :
En appliquant les séries de Fourier à la théorie des nombres, Dirichlet a récemment trouvé des résultats atteignant les sommets de la perspicacité humaine.
Dans les mémoires mathématiques de Dirichlet, la théorie des caractères d’un groupe fini pour le cas abélien est pratiquement complète
De la Vallée Poussin a démontré la version quantitative suivante du théorème, conjec- turée par Dirichlet et Legendre, qui entrevoyaient expérimentalement l’équirépartition des nombres premiers dans les classes moduloq.
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Le nombre de nombres premiers inférieurs ou égaux à x, dans la progression`+k q,
est équivalent àϕ(q)1 logxx.
Ce théorème généralise le théorème des nombres premiers — lequel correspond au cas q= 1 — de la même façon que le théorème de Dirichlet généralise le théorème d’Euclide.
En 1998, Ivan Soprounov l’a redémontré en quatre pages (!), grâce aux raccourcis mis au point par Donald J. Newman en 1980 dans sa preuve remarquablement simple du théorème des nombres premiers, encore contractée par Don Zagier en 1997 à l’occasion du centième anniversaire du théorème des nombres premiers.
RÉFÉRENCES
1. NEWMAN, D.J. :Simple analytic proof of the prime number theorem, Amer. Math. Monthly87(1980), 693–696.
2. SOPROUNOV, I. : A short proof of the prime number theorem for arithmetic progressions, 4 pages, aca- demic.csuohio.edu/soprunov/pdf/primes.pdf/
3. STEIN, E. ; SHAKARCHI, R. :Fourier analysis. An introduction.Princeton Lectures in Analysis, 1. Princeton Uni- versity Press, Princeton, NJ, 2003. xvi+311 pp.
4. ZAGIER, D. :Newman’s short proof of the Prime Number Theorem, Amer. Math. Monthly104(1997), no. 8, 705–
708.