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Sembrando Vida : l'organisation communautaire au service du développement national ?

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Master

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Sembrando Vida : l'organisation communautaire au service du développement national ?

BERTOLI, Max-Amaury

Abstract

Dans un contexte marqué par des inégalités aigues, une corruption importante et une absence de soutien gouvernemental à la petite production agricole, l'élection de López Obrador apparaît comme le symbole du changement pour les zones rurales mexicaines. Son projet politique prétend inverser la logique néolibérale dans laquelle le bien commun est subordonné aux intérêts individuels. Sembrando Vida, programme agroécologique d'appui aux agriculteur-trice-s de petite propriété et de renforcement l'action et l'organisation communautaire, devrait, selon son plan de développement, lui permettre de secourir les zones rurales1. Néanmoins, le récit politique du nouveau gouvernement, basé sur un fonctionnement indépendant de la société civile, ainsi qu'une désinstitutionalisation et centralisation de l'appareil public, détermine la réalisation de ce programme. Ce mémoire de master de socioéconomie, basé sur une période d'observation participante et différents entretiens avec des institutions actives dans les zones d'implémentation, propose une réflexion autour du potentiel réel de Sembrando Vida [...]

BERTOLI, Max-Amaury. Sembrando Vida : l'organisation communautaire au service du développement national ?. Master : Univ. Genève, 2020

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:137600

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Sembrando Vida : l’organisation communautaire au service du développement national ?

MAX-AMAURY BERTOLI – ENCADRÉ PAR SOLÈNE MORVANT-ROUX, PROFESSEURE MASTER DE SOCIOÉCONOMIE

JUIN 2020

Université de Genève – Institut de démographie et socioéconomie https://www.unige.ch/sciences-societe/ideso/

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Table des matières

Liste de abréviations ... 4

Remerciements ... 5

Résumé ... 7

INTRODUCTION Une crise de la connaissance ... 9

Vers un « paradigme de la relocalisation »... 11

Le développement durable comme solution à la crise écologique ... 13

CHAPITRE 1 Le néolibéralisme mexicain, échec d’un projet modernisateur ... 16

1.1 Idéologie, politique et morale néolibérales ... 19

1.2 Le néolibéralisme mexicain ... 22

1.3 L’échec du néolibéralisme ... 24

1.4 Méthodologie ... 28

1.4.1 Revue de la littérature, recherche d’articles de presse et analyse de documents officiels 28 1.4.2 L’observation participante : Tlaquimpa ... 29

1.4.3 Entretiens semi-directifs ... 32

1.5 Limites ... 33

CHAPITRE 2 Rompre à tout prix avec le passé ... 35

2.1 Le régime politique et de Bien-être mexicain ... 36

2.2 Eradiquer la corruption en centralisant l’appareil publique ... 38

2.3 Le projet politique de López Obrador ... 39

2.3.1 L’austérité républicaine ... 40

2.3.2 Les nouveaux délégués du gouvernement ... 41

2.3.3 Les programmes prioritaires ... 43

2.4 Sataniser les institutions de la société civile ... 48

2.4.1 Des communautés en mouvement ... 51

2.4.2 Faire « table rase » ... 53

2.5 Conclusion du chapitre ... 56

CHAPITRE 3 Un grand essai agroécologique pour le développement rural intégral ... 58

3.1 Le fonctionnement du programme ... 58

3.2 La narrative sous-jacente ... 61

3.3 La logique de la 4T dans Sembrando Vida... 67

3.4 Un exemple d’implémentation du programme ... 68

3.5 Effets Pervers ... 69

3.5.1 Inscription dans des réseaux préexistants ... 70

3.5.2 Phénomène d’exclusion ... 71

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3

3.5.3 Incitation de court-terme et usage du sol ... 73

3.5.4 Changement de l’usage du sol ... 75

3.6 Une dynamique d’ores-et-déjà en mouvement ... 77

3.7 Conclusion du chapitre ... 79

CHAPITRE 4 Une pierre angulaire d’une projet de développement ... 81

4.1 L’exemple des pépinières ... 81

4.2 Partir des nécessités locales ... 83

4.3 Bénéficiaires, institutions de la société civiles et ministères publics ... 86

4.3.1 Trois points de comparaison ... 87

4.3.1.a La gestion communautaire des zones forestières ... 87

4.3.1.b La commercialisation cafetière ... 88

4.3.1.c Le Revenu de Transition Écologique ... 89

4.4 Des sous-réseaux de coopération ... 91

4.5 Entre des objectifs de long terme et une dynamique de court terme ... 95

4.6 Quel potentiel de créer des coopératives ? ... 98

4.7 Quelles synergie sont envisagées avec d’autres structures ? ... 99

4.8 Vers une nouvelle organisation communautaire ... 103

4.9 Conclusion du chapitre ... 107

CONCLUSION GÉNÉRALE ... 108

Quelles alternatives ? ... 113

Références bibliographiques ... 116

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Liste de abréviations

4T La Cuarta Transformación

AMUCCS Asociación Mexicana de Uniones de Crédito del Sector Social CACs Comunidades de Aprendizaje Campesino

CCMSS Consejo Civil Mexicano para la Sivilcultura Sotenible CDMX La Ciudad de México

CeIBA Centro Interdisciplinario de Biodiversidad y Ambiente CEPCO Coordinadora Estatal de Productores de Café de Oaxaca

CIESAS Centro de Investigaciones y Estudios Superiores en Antropología Social CNH Comisión Nacional de Hidrocarburos

CONAFOR Comisión Nacional Forestal

CONANP Comisión Nacional de Áreas Naturales Protegidas CONEVAL Consejo Nacional de Evaluación de la Política Social CRE Comisión Reguladora de Energía

EZNL Ejército Zapatista de Liberación Nacional

GIEC Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat INEGI Instituto Nacional de Estadística y Geografía

JCF Jóvenes Construyendo el Futuro MIAF Milpa intercalada con arbóles frutales MORENA Movimiento Regeneración Nacional PEMEX Petróleos Mexicanos

RTE Revenu de transition écologique SAF Sistema agroforestal

SDN Servidor de la Nación SEBIEN Secretaría del Bienestar

SEDENA Secretaría de Defensa Naciónal

SEMARNAT Secretaría de Medio Ambiente y Recursos Naturales SENER Secretaría de Energía

SHCP Secretaría de Hacienda y Crédito Público STPS Secretaría del Trabajo y Previsión Social UNAM Universidad Nacional Autónoma de México

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Remerciements

Lorsque je me rendis au Mexique en juillet 2019 pour y passer mon dernier semestre en tant qu’étudiant et y réaliser la recherche sur laquelle se base ce travail, je n’avais de personne de contact ni à la Ciudad de México, ni dans aucun des Etats dans lesquels je me suis rendu par la suite. Malgré cela, de nombreuses personnes m’ont soutenu et épaulé dans cette recherche depuis Genève et/ou du Mexique et leur aide fût fondamentale. Je souhaite leur exprimer à toutes et tous ma pleine reconnaissance.

Mes premiers remerciements s’adressent à ma directrice de mémoire, Solène Morvant-Roux, pour son accompagnement dans ce projet, sa patience, sa confiance, ses conseils et sa grande disponibilité. Sans l’engagement dont elle a fait preuve, la réalisation de cette étude n’aurait pas pu être possible.

Je remercie également Isabel Cruz, directrice d’AMUCCS, pour le temps précieux qu’elle m’a accordé, pour ses recommandations et pour m’avoir mis en contact avec un grand nombre d’acteurs dont les témoignages sont recueillis dans cette étude.

J’aimerais remercier différents professeures et professeurs de l’UNAM, principalement Eugenia Correa Vázquez, Israel Banegas et Alfredo López Austin, pour leurs conseils précieux et leur intérêt.

Je tiens à exprimer ma reconnaissance à Blas, pour sa confiance et sa motivation inépuisable, et dont la rencontre m’a profondément marqué. Sans son grand soutien, ce projet aurait été bien différent.

Je voudrais également adresser mes sincères remerciements à la famille S., pour leur hospitalité et leur bienveillance, ainsi qu’à Chema, pour ses conseils et pour m’avoir intégré à sa famille et à ses proches.

Je remercie les membres de la communauté de Tlaquimpa pour leur accueil et leur aide, ainsi que leur curiosité et leur patience. J’ai une pensée particulière pour Efrain et sa famille, dont la gentillesse et la générosité m’ont intimement touché.

Ce travail n’aurait pas non plus pu être possible sans les personnes et institutions qui ont accepté de me rencontrer et de répondre à mes questions. Seules la CEPCO et la Red MOCAF sont nommées, les autres restant anonymes. Mes remerciements leur sont à toutes adressés.

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6 Je remercie également Sophie Swaton pour avoir accepté de participer à mon jury.

Je souhaite remercier le CIESAS, en particulier la doctora Magdalena Villareal, pour m’avoir permis de présenter ma rechercher et m’avoir proposé des remarques pertinentes.

Enfin, à Paul, Léa, Jhonatan, Sélim, Alba, Louis et Guillaume, pour leur soutien, leur intérêt et leur aide.

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Résumé

Dans un contexte marqué par des inégalités aigues, une corruption importante et une absence de soutien gouvernemental à la petite production agricole, l’élection de López Obrador apparaît comme le symbole du changement pour les zones rurales mexicaines. Son projet politique prétend inverser la logique néolibérale dans laquelle le bien commun est subordonné aux intérêts individuels. Sembrando Vida, programme agroécologique d’appui aux agriculteur- trice-s de petite propriété et de renforcement l’action et l’organisation communautaire, devrait, selon son plan de développement, lui permettre de secourir les zones rurales1. Néanmoins, le récit politique du nouveau gouvernement, basé sur un fonctionnement indépendant de la société civile, ainsi qu’une désinstitutionalisation et centralisation de l’appareil public, détermine la réalisation de ce programme. Ce mémoire de master de socioéconomie, basé sur une période d’observation participante et différents entretiens avec des institutions actives dans les zones d’implémentation, propose une réflexion autour du potentiel réel de Sembrando Vida d’affermir la territorialisation des communautés rurales mexicaines. Il s’inscrit dans l’approche de l’ontologie politique et considère les fonctionnements économiques tels que la réciprocité et la redistribution comme des moyens nécessaires à la transition écologique.

1 « Rescatar al campo » (López Obrador, 2018)

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« Donc si tu offres à ce jeune l’option et l’opportunité de découvrir ce que sont la durabilité et la rentabilité, alors son futur pourrait être de ne pas abandonner les zones rurales. Mais crée-lui les conditions et les moyens [idoines]. C’est un jeune comme n’importe quel jeune, comme toi, qui décides de venir au Mexique faire un master. Ou qui a voyagé dans je ne sais combien de pays, par plaisir.

Un jeune de n'importe quelle région éloignée de notre pays a aussi ces droits.

Mais s'il décide de rester, qu’il reste parce qu'il veut rester, pas parce qu’il doit rester. Pas parce qu'il en a besoin ou parce qu'il doit produire de quoi nous permettre de manger. Et s’il veut partir, qu’il soit libre de le faire. Qu'il puisse prendre ses décisions. Sinon, c’est comme si nous voulions qu’il ne reste que pour produire ce que nous allons manger demain. Donc nous devons le restreindre et le retenir de partir. Mais nous ne pensons pas à son développement, à son futur, à sa vie. Nous pensons à la nôtre. Donc je pense qu’à ce grand mouvement social, il lui manque soudainement beaucoup de social » (coordinateur d’une coopérative cafetière et union d’ejidos, Chiapas, ma traduction).

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INTRODUCTION

Une crise de la connaissance

La vision que l’on porte sur la crise écologique actuelle est en train de changer. On a longtemps considéré qu’elle était causée par un ensemble d’« externalités négatives » du système économique qu’il serait possible de corriger à travers de légères mesures préventives et/ou palliatives : quotas d’émission de gaz à effet de serre, taxes « écologiques » sur les vols commerciaux, réduction de l’utilisation de certains pesticides ou encore développement de technologies « ecofriendly ».

Néanmoins, depuis le rapport du Club de Rome (1972) et le premier Sommet de la Terre la même année, qui marquèrent le début d’une prise de conscience globale quant aux limites de la

« rationalité économique » et à la catastrophe environnementale (Leff, 1998) ainsi que l’établissement des premiers agendas internationaux relatifs à cette problématique, la situation ne fit qu’empirer. La destruction des écosystèmes est déjà largement avancée et le dernier rapport du GIEC estime qu’il faudrait réduire d’au moins 25% les émissions de 𝐶𝑂2 provoquées par l’activité humaine d’ici 2030 pour éviter un réchauffement supérieur à 2 degrés (GIEC, 2019).

La plupart des actions qui ont été entreprises depuis cette prise de conscience l’ont été dans une perspective rationaliste dans laquelle la science, la technologie et l’économie seraient les meilleurs moyens (et les uniques étant acceptables) pour trouver des solutions face au changement climatique. Cette perspective s’inscrit dans une vision du monde tournée vers le progrès et le développement et ancrée dans l’imaginaire de nos civilisations « modernes ». Dans celle-ci, la Nature est définie comme un ensemble de « ressources naturelles » et peut être utilisée de différentes manières afin d’atteindre le plus grand bonheur possible des populations humaines.

Etant donné l’insuffisance des impacts que ces actions eurent, cette vision a aujourd’hui perdu en crédibilité2. Faire jouer un rôle primordial à la science, l’économie et la technologie est nécessaire mais sera insuffisant pour sortir de la crise actuelle (Leff, 2015). Des voix plus

2 Le fait qu’elle soit malgré cela encore dominante actuellement renvoie alors à un questionnement sur les intérêts et les rapports de pouvoir sous-jacents favorables à cette conception et aux actions qu’elle légitime.

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10 radicales se sont alors élevées et se font entendre depuis des décennies, mettant en avant le fait que les destructions environnementales plongent leurs racines non seulement dans un ensemble de pratiques concrètes, mais également dans la conception du monde qui les justifient. Dans cette optique, « [l]a crise environnementale est une crise de la pensée et de l’entendement, de l’ontologie et de l’épistémologie, une crise de la rationalité scientifique et technologique par laquelle notre civilisation moderne a dominé la nature et « économisé » le monde » (Ibid, p.3).

Forts de ce constat, de plus en plus de mouvements ont proposé des ruptures plus complètes et questionné la place de l’humain dans son environnement. Or « [i]nterroger la place de l’être humain dans la nature, constater froidement les effets de son action, c’est être rapidement conduit à remettre en cause la place prépondérante qui lui est usuellement attribuée : celle, appuyée par une certaine interprétation de la Genèse, qui consacre l’Homme comme l’espèce dominante » (Swaton, 2020, p.18). Les projets de décroissance, les initiatives issues de l’écologie politique et de l’écoféminisme ou encore les mouvements citoyens tels que les grèves

« pour le climat » ou les Conferences of Youth (COY) défendent notamment des distanciations plus péremptoires avec le système économique actuel.

Dans ces perspectives, l’être humain est considéré comme un maillon supplémentaire d’une chaîne composée d’entités humaines et non-humaines et qui dépend des relations avec celles- ci. Il ne s’agit donc pas d’une crise purement écologique apparaissant dans le développement d’une histoire naturelle, mais d’une crise de la connaissance (Leff, op.cit.).

En repensant le lien entre l’Humain et son environnement, ces mouvements questionnent donc également l’uniformisation de cette relation sur laquelle repose le modèle de modernisation actuellement dominant. La réappropriation de ce rapport passe par la « proposition d’agencements socio-naturels très différents de ceux qui prévalent aujourd’hui » (Escobar, 2018, p.27). Dans cette optique, le renforcement de la territorialisation, définie comme un processus d’appropriation d’un espace géographique (Escobar, 2014), apparaît comme un élément essentiel à la défense des autres modèles de société et des autres modes de vie.

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11 Vers un « paradigme de la relocalisation3 »

Cette décentration du regard met en exergue le fait que nous nous situons à un « carrefour civilisationnel » (Ibid.) à partir duquel il est essentiel que les collectivités puissent affermir leurs liens avec leur environnement social et naturel. Cette nécessité d’une relocalisation rompt radicalement avec la volonté « d’unité, d’universalité, de généralité et de totalité » (Leff, op.cit., p.161) qui a caractérisé une grande partie des entreprises humaines œuvrant à la préservation de l’environnement, à l’image du protocole de Kyoto et du système d’échanges de permis d’émissions qui lui fût associé.

Dans cette « nouvelle » optique, le renforcement de l’action collective, de la coopération et des logiques fondamentalement extérieures à l’échange marchand (réciprocité / redistribution) est un élément primordial, car c’est à travers la consolidation des interrelations (entre humains mais également entre les humains et les non-humains) que des solutions pérennes pourront être trouvées à la crise écologique. Deux nuances doivent toutefois être apportées à ces affirmations.

Tout d’abord, si les pratiques susmentionnées (réciprocité/redistribution) doivent être considérées comme des moyens nécessaires à la transition écologique, elles ne représentent pas pour autant des fins en soi. Effectivement, bien qu’elles aient joué et jouent encore des rôles de protection face aux logiques marchandes et aux destructions que leur domination entraine (Polanyi, 1983), elles ont également constitué, contrairement à des idées fréquemment acceptées, des piliers du système économique capitaliste (Palerm, 1987, Crucifix, 2019).

Lorsque ce dernier se réapproprie ces deux pratiques économiques, il devient « un lieu d’artisanat, ou plutôt un lieu de capture du travail artisanal et de bricolage que réalisent les individus » (Crucifix, 2019, p.257).

Les économies coloniales reposaient notamment sur le travail agricole des populations indigènes (Mariategui, 1928, Palerm, 1987). L’organisation communautaire et les fonctionnements économiques variés de ces dernières étaient alors réduits à des facteurs de production, permettant une plus grande accumulation du capital (Rosas-Baños, 2013). Les pratiques de solidarité, de coopération, de réciprocité et de redistribution doivent donc elles- mêmes être situées dans une optique de territorialisation et d’autonomie pour qu’elles puissent réellement représenter des formes de résistances à la domination du marché et s’affranchir de la vision actuelle des problématiques écologiques et sociales.

3 Expression empruntée à Escobar (2014).

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12 Ensuite, dans une situation caractérisée par l’omniprésence d’interactions entre les sociétés, les économies, les espaces, les nations et les personnes, ce « paradigme de la relocalisation » ne peut se résumer à un retranchement et un rejet des interconnexions globales. La mondialisation, qui jusqu’à présent servit principalement à exacerber la pénétration croissante du marché mondial dans toutes les sphères sociales, devra être repensée afin de permettre une protection face à ses dynamiques.

Dans cette optique, Arturo Escobar (2014) oppose la globalisation actuelle, définie « comme une universalisation et un approfondissement de la forme dominante de l’euro-modernité » (p.63, ma traduction) à une globalité pensée comme un ensemble de conditions structurelles dans lesquelles les initiatives locales et localisées pourraient coexister et se pérenniser.

Reprenant la maxime zapatiste, cette seconde conception serait « un monde de lequel coexistent plusieurs mondes » (« un mundo donde quepan muchos mundos »).

De plus en plus de propositions s’inscrivant dans cette approche sont nées durant les dernières décennies. Des projets politiques nationaux, comme ceux d’Evo Morales en Bolivie ou de Rafael Correa en Equateur4, des mouvements communautaires et autonomes, tels que celui de l’EZNL au Chiapas ou de la ZAD (Zone-À-Défendre) à Notre-Dame-des-Landes et des projets régionaux de soutien aux initiatives de transitions écologiques, comme le Revenu de Transition Ecologique (RTE) ou le mouvement de Campesino a Campesino (MACAC), en sont des exemples probants.

Bien que de telles propositions apparaissent dans le monde entier, à diverses échelles et de différentes manières, leur quantité a explosé en Amérique Latine durant les dernières décennies.

Ce continent, qui de manière générale a été particulièrement influencé par la parole et les pratiques du développement matérialisées durant les dernières décennies en un ensemble de projets néolibéraux, s’est également réapproprié ces discours et, dans ce processus, engagé dans des chemins alternatifs à ceux-ci (Ibid.).

Ce travail étudie l’une des propositions latinoaméricaines les plus récentes de rejet de l’hégémonie néolibérale, à savoir celle d’Andres Manuel López Obrador, l’actuel président mexicain, en se focalisant sur l’un de ses programmes phares, Sembrando Vida.

4 Il conviendrait évidemment d’apporter un grand nombre de précisions et de nuances pour des projets de cette ampleur. Néanmoins, la référence continue de ces deux présidents au Buen Vivir s’inscrit dans une optique de territorialisation et renforcement de logiques locales, communautaires et coopératives.

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13 Le développement durable comme solution à la crise écologique

Le nouveau président accorde à la problématique environnementale une importance majeure par rapport à ses prédécesseurs. Toutefois, sa rhétorique se maintient dans une vision conventionnelle du développement : le retour de la croissance est l’objectif central de son programme et les différents secteurs économiques fondamentaux (production pétrolière, agriculture de petite échelle, éducation, santé, etc.) sont principalement décrits à travers leur contribution au développement national.

Les mégaprojets (megaproyectos) obradoriens (voir chapitre 2) doivent être mis en place pour les bénéfices économiques qu’ils apporteront et qui seront répartis entre mexicain-e-s5 dans leur ensemble, ceci bien qu’ils risquent d’engendrer de fortes destructions, autant sociales qu’environnementales, et que les critiques qu’ils subissent soient importantes, notamment en ce qui concerne leur caractère extractiviste6. Le développement national, qui représente un bien commun et un intérêt supérieur aux autres, relègue au second plan les revendications locales et justifie des conséquences environnementales qui risquent d’être désastreuses. L’explosion des mouvements indigènes, dont la rupture du cercle (el cerco) par l’EZNL en août 2019, limitant la présence des zones autonomes zapatistes (caracoles) à une certaine région du Chiapas depuis 19947, en réponse à la politique de López Obrador, illustre de manière évidente certaines problématiques engendrées par son projet.

Néanmoins, un programme de son plan de développement (2018) rompt avec cette vision.

Sembrando Vida, « programme de communautés durables », défend effectivement des objectifs de territorialisation grâce à une revalorisation des traditions agricoles précoloniales et un renforcement de l’autonomie des communautés rurales mexicaines. A travers un appui financier mensuel, une aide matérielle et un accompagnement technique et social (voir chapitre 3), ce programme souhaite offrir aux paysan-ne-s mexicain-e-s petit-e-s propriétaires8 la possibilité de diversifier leurs cultures, d’incorporer des pratiques agricoles propres à l’agroécologie et de

5 La rédaction de ce travail s’inspire des recommandations faites par différentes institutions, notamment par l’UNINE (https://www.unine.ch/epicene), pour l’usage d’un langage non discriminatoire.

6 https://www.infobae.com/america/mexico/2020/03/05/el-gobierno-de-lopez-obrador-estaria-destruyendo- manglares-para-construir-la-nueva-refineria-dos-bocas/,

https://elpais.com/internacional/2019/10/18/actualidad/1571433758_147688.html,

https://www.jornada.com.mx/ultimas/politica/2018/11/19/academicos-solicitan-a-amlo-que-no-construya-el- tren-maya-3020.html, https://www.jornada.com.mx/2019/10/17/cultura/a05n1cul, entre autres.

7 http://enlacezapatista-ezln.org.mx/2019/08/17/comunicado-del-ccri-cg-del-ezln-y-rompimos-el-cerco- subcomandante-insurgente-moises/

8 La grande majorité des propriétaires sont des hommes.

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14 renforcer l’organisation communautaire de leurs collectivités à travers la création de coopératives.

Sa narrative9 officielle prétend une rupture avec la conception néolibérale des politiques de soutien à l’agriculture (à savoir l’appui des grandes productions et la recherche de compétitivité) et avec une vision développementaliste, ne souhaitant pas imposer un certain développement mais offrant aux propriétaires de la majorité des terres agricoles, forestières, côtière et des montagnes, à savoir les communautés, les ejidos et les petit-e-s propriétaires (INEGI, 201710), différentes aides visant à leur permettre de se réorganiser selon des fonctionnements coopératifs. Cette étude questionne les impacts potentiels de ce programme.

Je m’interrogerai plus particulièrement sur les problématiques suivantes. Dans quelle mesure Sembrando Vida permet-il réellement de renforcer l’organisation et l’action communautaire des collectivités rurales mexicaines dans leur ensemble ? De quelle manière représente-t-il une politique de territorialisation ? Quels sont ses réels objectifs ? Quel rôle joue-t-il dans le projet global de développement national de López Obrador ? Ce travail s’articule autour de quatre axes de réflexion, chacun d’eux apportant des éléments complémentaires permettant une réflexion autour de ces différentes questions.

Le premier chapitre (1) pose les fondements théoriques de cette étude et détaille la méthodologie qui fût appliquée. Tout d’abord, le néolibéralisme et son imposition au Mexique y sont décrits, étant donné qu’ils représentent autant le contexte dans lequel le programme est instauré que des éléments théoriques et rhétoriques fondamentaux pour comprendre la proposition de López Obrador. Puisque cette doctrine représente l’idéologie développementaliste actuellement hégémonique, une réflexion sur les ontologies propres au développement et à la modernité est proposée.

Ensuite (2), une analyse du projet politique national de López Obrador est présentée. Comme le mentionne Solano & Lomeli (2013), « il n’est pas possible de déterminer les alternatives réelles de changements d’un régime de bien-être sans considérer simultanément autant les conditions imposées par la trajectoire historique suivie par celui-ci que les intentions tracées par qui veut le réformer » (p.57, ma traduction).

9 Le terme narrative (comme substantif) est utilisé à de nombreuses reprises dans ce travail. Il caractérise non seulement les axes centraux d’un projet (principalement politique), l’idéologie et la logique qui le sous-tendent ainsi que la narration qui en est faite.

10 Accessible à l’adresse https://www.inegi.org.mx/programas/ena/2017/default.html#Tabulados.

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15 Par conséquent, comprendre le personnage de López Obrador et les raisons de son élection est fondamental pour étudier son projet, ses objectifs, et, dans le cadre de ce travail, le potentiel de Sembrando Vida. Le regard est donc porté dans ce chapitre autant sur l’allocation budgétaire que sur la narrative sous-tendant la nouvelle politique, basée sur une centralisation opérationnelle, une désinstitutionalisation de l’appareil public et un fonctionnement indépendant et méfiant à l’égard des institutions de la société civile. Les trente nouveaux programmes prioritaires du gouvernement y sont présentés.

Le chapitre 3 (3) décrit en détail le fonctionnement de Sembrando Vida. Les informations récoltées durant mon observation participante à Tlaquimpa, communauté rurale de la Sierra de Puebla, ainsi que durant les onze entretiens réalisés au centre et sud du Mexique, mettent en évidence l’implémentation concrète du programme et les problématiques qu’elle soulève. Des phénomènes d’accaparation du programme par des réseaux préexistants, d’exclusion et d’incitation de court terme y sont développés.

En se basant sur la théorie et le contexte décrits dans le premier chapitre et les observations exposées dans les deux suivants, la dernière parie (4) ouvre un questionnement plus détaillé sur les impacts potentiels globaux que le programme pourra provoquer, en le considérant comme une pierre angulaire de la politique de López Obrador dans son ensemble. La réflexion se focalise sur les fonctions et les rôles de l’organisation communautaire et sur l’importance de celle-ci dans les zones rurales mexicaines, considérant que le soutien à la territorialisation est une condition nécessaire à la transition écologique et qu’il permet une amélioration des conditions de vie des collectivités.

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CHAPITRE 1

Le néolibéralisme mexicain, échec d’un projet modernisateur

« Amies et amis, c’est un jour historique et ce sera une nuit mémorable. Une importante majorité de citoyens a décidé d’initier la quatrième transformation de la vie publique du Mexique. »11. Ces mots marquèrent le début du mandat de Andrés Manuel López Obrador, président du Mexique depuis le premier décembre 2018. A la tête du parti MORENA (Movimiento Regeneración Nacional) qu’il crée 7 ans plus tôt, il gagne les élections en détrônant le PRI (Partido Revolucionario Institucional), qui hormis durant deux sextennats (2000-2006 et 2006-2012), fût à la tête du gouvernement mexicain depuis 1929.

Sa présidence sera, selon ses dires, la quatrième transformation (nom donnée à son mandat), que connaitra le pays12. Elle devra représenter la fin de la corruption, dénoncée par le nouveau président comme l’obstacle principal au développement national. Sa rhétorique est très claire : la situation dans laquelle se trouve le pays aujourd’hui est due aux politiques néolibérales et neoporfiristas13 imposées par ses prédécesseurs. L’Etat a été durant les dernières décennies mis au service des intérêts des plus riches, pillant les richesses appartenant au peuple et imposant une organisation politique et économique clientéliste, corrompue et antidémocratique. Les privatisations récurrentes, l’ouverture commerciale, la suprématie du marché et le retrait de l’Etat ont permis à certaines personnes d’accumuler des richesses excessives, provoqué une augmentation de la pauvreté, bloqué l’industrialisation du Mexique, freiné la croissance économique, causé d’importantes inégalités, réduit les opportunités d’emploi et, plus généralement, entrainé le pays dans une situation dramatique (López Obrador, 2018).

Les données disponibles confirment le constat du nouveau président tabasqueño sur la situation mexicaine : la corruption est importante, les inégalités élevées, l’économie dérégularisée et la pauvreté profonde (Bizberg, 2019, El Colegio de México, 2018, INEGI, 2019). Le plan de développement/Plan de Desarrollo (2018) de López Obrador prévu pour rompre avec cette

11 https://www.animalpolitico.com/2018/07/discursos-lopez-obrador/

12 Les trois premières représentent respectivement l’Indépendance du pays, qui eut lieu entre 1810 et 1821, la Réforme instaurée par Benito Juarez en 1861, séparant le pouvoir religieux du pouvoir politique, et enfin la Révolution de 1910 à 1917 qui mis fin au régime de Porfirio Diaz.

13 Therme se référant à la dictature libérale du président Porfirio Díaz destitué en 1911 durant la révolution mexicaine. L’expression met ainsi directement en évidence l’importance de la corruption au Mexique.

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17 situation annonce la mise en place d’un gouvernement post-néolibéral et un interventionnisme marqué. A travers une rhétorique si radicale, López Obrador se présente comme un leader de la gauche latinoaméricaine, en difficulté sur une grande partie du continent14 et avec laquelle il entretient des relations affirmées15.

Néanmoins, bien que López Obrador soutienne cette posture autant dans ses discours16 que ses écrits (López Obrador, 2018, 2019, Gobierno de México, 2018), plusieurs témoignages questionnent la radicalité effective de la nouvelle intervention gouvernementale. Javier Sicilia écrivain et militant mexicain, publia notamment plusieurs articles pour mettre en garde la population contre son adoration du leader révolutionnaire17, et José Fernández Santillán dans un article écrit par César Reveles y Eréndira Aquino dans Animal Pólitico18, nuance le caractère post-néolibéral du gouvernement de la 4T.

Si certaines mesures mentionnées par le nouveau président mexicain laissent en effet espérer un changement catégorique, notamment à travers un renforcement du marché intérieur, une plus grande intervention gouvernementale dans l’économie et une meilleure répartition des richesses (López Obrador, 2018, Gobierno de México, 2018) d’autres éléments ne s’éloignent pas autant des politiques néolibérales. L’austérité, le libre-échange et la désinstitutionalisation de l’appareil public, ainsi que la recherche de croissance, de productivité et de compétitivité (Gobierno de México, 2019) en sont quelques exemples.

Dans son nouvel ouvrage, Carlos Illades (2020) apporte certaines nuances pertinentes quant à la radicalité du nouveau projet politique : « Nous ne devons pas confondre (…) les bonnes intentions avec les faits, ni non plus minimiser la signification de la victoire de López Obrador » (Illades, 2020, p.4, ma traduction). En effet, l’élection de López Obrador représente d’une part la fin du tripartisme au Mexique (PRI, PAN, PRD), et symbolise d’autre part la première arrivée à la présidence de la gauche mexicaine19 rassemblée autour d’un nouveau leader issu du peuple

14 Effectivement, López Obrador est élu durant la présidence de Bolsonaro, Moreno, Macri ou encore Duque, alors que quelques années auparavant, une vague de président/e/s proposaient des projets politiques izquierdistas.

15 L’asile accordé à Evo Morales et certains députés de Raphael Correa permis notamment à López Obrador de défendre sa position politique au niveau international.

16 Voir notamment https://www.animalpolitico.com/2018/07/discursos-lopez-obrador/ et https://www.animalpolitico.com/2019/07/López Obrador-discurso-completo-zocalo-informe/

17 Voir notamment https://www.proceso.com.mx/577424/el-neoliberalismo-y-la-4t, https://www.proceso.com.mx/581372/el-lenguaje-travestido-de-la-4t et

18 https://www.animalpolitico.com/2019/02/neoliberalismo-López Obrador-politica-problemas/

19 Le PRI ayant été élu durant environ 80 ans, certains de ses présidents ont participé à l’imposition d’un régime

« de gauche » durant le 20ème siècle, notamment Lázaro Cardenas entre 1934 et 1940. Néanmoins, les projets

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18 et en faisant partie. Cependant, la lutte portée par López Obrador contre le néolibéralisme ne s’attaque pas aux mêmes structures que celles dénoncées habituellement par les gauches latinoaméricaines, à savoir le capitalisme, le patriarcat, la propriété privée ou encore la domination de classe. Selon lui, c’est la rupture du pacte social et moral entre le peuple, unique et homogène, et l’Etat, corrompu et empli de vice, qui a causé la décadence nationale (Illades, 2020).

Les réformes obradoriennes posent par conséquent l’honnêteté et le respect des valeurs démocratiques comme nouvel axe central du fonctionnement de l’appareil politique. Cela se traduit avant tout par l’éclatement de la distinction entre une classe politique élitiste, privilégiée et technocrate et la population mexicaine. Aucun-e des haut-e-s-fonctionnaires ne pourra gagner plus que le président lui-même, dont la rémunération a été réduite de manière draconienne, et leurs privilèges ont été abandonnés. Le projet post-néolibéral de l’autoproclamée Cuarta Transformación (4T dans la suite du texte) s’attaque également aux différentes institutions corrompues qui ont gangrénées le pays. Il se base sur un « Etat de droit » dans lequel tous les individus seront égaux et pourront participer au développement national.

Cependant, la radicalité de López Obrador ne doit pas réduire notre regard à une vision dichotomique de la politique, considérant d’une part le néolibéralisme et d’autre part les projets s’y opposant. La situation à laquelle le président fait face fut effectivement causée des politiques instaurées au Mexique depuis les années 80-90 et qui furent justifiées par une idéologie néolibérale (López Salazar, 2014, Baneras, 2008, Bizberg, 2019, entre autres). Néanmoins, les conséquences de l’imposition de cette doctrine s’éloignent radicalement des objectifs initialement fixés par les anciens gouvernements (notamment quant à la croissance économique, l’égalité d’opportunité ou encore l’accroissement de la productivité) (Ibid., King, 2006, Stanton, 2000, entre autres). De plus, comme le mentionne Yates & Bakker (2014), de nombreuses expériences post-néolibérales latinoaméricaines « présentent souvent des continuités avec le néolibéralisme » (p.83), autant sur le plan théorique que pratique.

Or l’approche de López Obrador définit précisément le néolibéralisme à travers l’imposition d’un néolibéralisme, à savoir le néolibéralisme mexicain, qu’il qualifie également de neoporfirista pour le haut taux de corruption qui le caractérise. En proposant une rupture avec les politiques des gouvernements précédents sans caractériser précisément leur idéologie sous-

politiques proposés par ce parti s’inscrivent dans une idéologie néolibérale depuis la fin du 20ème siècle (Sader, 2008).

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19 jacente, il risque de s’appuyer sur des programmes dont la logique intrinsèque reste propre à cette même doctrine ainsi qu’à ses axes et schèmes fondateurs. Afin d’analyser leur nature, les parties suivantes définissent successivement le néolibéralisme et les éléments caractéristiques du Mexique à l’aube de l’élection de la 4T.

1.1 Idéologie, politique et morale néolibérales

Le Colloque de Lippman (1938) représente l’évènement fondateur du néolibéralisme (Foucault, 2004, Amable, 2011), durant lequel furent exprimées les propositions qui forment depuis lors son essence. Constatant une crise du libéralisme, les participants du Colloque vont repenser cette philosophie et déconstruire certains de ses présupposés (Dardot & Laval, 2014). Amable (2011) divise la nouvelle doctrine en trois points de vue complémentaires : une idéologie (1), un projet politique (2) et un mode de vie (3).

La première (1) vise à une exacerbation du marché et de la logique de la compétition. Elle considère l’individu comme l’acteur principal du fonctionnement économique. Les structures collectives et la planification de l’économie par l’Etat sont donc questionnées car elles dérogent à ce principe et entravent la compétition. Le passage de l’échange, fondement de la pensée libérale, à la compétition représente un élément clef en soi. Si dans le premier les deux parties engagées sont supposées gagnantes, dans la seconde, il y a un gagnant et un perdant. L’effet de Trickle-Down devrait par la suite provoquer une augmentation du bien-être de toute la société.

Le marché est considéré, comme pour les libéraux, comme étant la forme de régulation optimale des interactions sociales, car il entraine la fixation des prix la plus juste et, in fine, une maximisation du bien-être (Amable, 2011, Dardot, 2013).

Néanmoins, contrairement à la pensée libérale, l’idéologie néolibérale ne voit ni dans la compétition ni dans le marché des principes naturels : « la concurrence, loin d'être cela, [est]

une structure, une structure dotée de propriétés formelles » (Foucault, 2004, p.137). Par conséquent, l’espace dans lequel va et doit se dérouler la compétition entre les individus doit être accompagné d’institutions et de régulations propres.

Le projet politique (2) ainsi engendré, contrairement aux idées fréquemment acceptées sur le néolibéralisme, ne préfère donc pas toujours un retrait de l’Etat. Au contraire, celui-ci peut être amené à jouer un rôle important à travers un interventionniste marqué, afin que la compétition

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20 puisse être menée de la meilleure des manières. Comme dans tout régime capitaliste, la propriété et le contrat doivent être assurés par l’Etat. Néanmoins, ce dernier doit à présent également intervenir afin de produire le changement institutionnel nécessaire à la destruction des structures collectives et à l’instauration dans les relations sociales des règles nécessaires au fonctionnement du marché et de la compétition (Dardot & Laval, 2014).

La portée de son intervention va donc au-delà de celle des régimes libéraux et du « laissez- faire ». Elle doit, afin de permettre une réalisation de son idéologie, apprendre à gérer des outils qui semblent de prime abord opposés à la régulation par le marché : les assurances sociales, les dépenses gouvernementales, les réglementations du travail, les impôts et même la nationalisation (Ibid.). Dardot (2013) qualifie ce rôle attribué à l’Etat d’ « interventionnisme de marché ». Reprenant la description de Foucault (2004), l’Etat devrait « (…) gouverner pour le marché, plutôt que gouverner à cause du marché » (Foucault, 2004, p.125). Par conséquent, l’intervention politique peut-être aussi importante que dans une politique planificatrice, seule changera sa nature (Miksch, 1949, cité par Foucault, 2004, p.139).

On remarque ici que l’idéologie néolibérale pose des principes qui vont se situer au-dessus de l’Etat : la concurrence et le marché sont les objectifs fixés à l’intervention publique et sont par conséquent dépolitisés (Yates & Bakker, 2014). Les problèmes posés à l’Etat sont supposés

« en dehors » des oppositions partisanes et ainsi des considérations morales et économiques (Amable, 2011). Ceci ouvre la possibilité que des partis se revendiquant « de gauche » restent dans ce même schéma.

Afin que le jeu économique soit juste, il est nécessaire que les individus aient les mêmes opportunités. Si cette condition est atteinte, alors l’issue de la compétition sera justifiée. Comme le mentionne Piketty (2019), « l’inégalité moderne est [supposée] juste, car elle découle d’un processus librement choisi où chacun a les mêmes chances d’accéder au marché et à la propriété, et où chacun bénéficie spontanément des accumulations des plus riches, qui sont aussi les plus entreprenants, les plus méritants et les plus utiles » (p. 24). C’est afin d’assurer cette égalité d’opportunités et d’accès à la compétition que l’Etat doit œuvrer.

Ce faisant, il instaure dans la société une morale et un mode de vie (3), qui doivent être incorporés par tou-te-s les citoyen-ne-s. Chaque individu doit rechercher la réalisation de son intérêt personnel et doit incorporer le fait que cette réalisation dépend de ses propres actions (Ibid.). La responsabilisation de l’individu, principalement face aux risques auxquels il est confronté, ainsi que la subjectivation autant de sa situation que de son parcours de vie,

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21 caractérisent donc la doctrine néolibérale. Dans ce cadre, chaque individu œuvrera de la manière la plus rationnelle possible afin d’atteindre son intérêt personnel (Amable, 2011).

Chaque personne est considérée comme un individu-entrepreneur, un individu-compétitif et un individu-productif. (Dardot & Laval, 2014). Il ne comptera que sur son autonomie et ses propres actions pour évoluer dans la société et agir sur le marché, subjectivant ses entreprises, son travail et sa compétitivité. Marx au contraire, comme le montre Foucault (2004) dans sa leçon du 14 mars, insiste sur la différence entre le-la travailleur-se et la force de travail. Le-la travailleur-se vend durant un temps donné sa force de travail, et une partie de la valeur produite par ce travail lui est soustraite. C’est d’ailleurs ce rapport de domination entre le capital et le prolétariat qui définit le fonctionnement capitaliste.

Les néolibéraux ne font pas de différence entre le-la travailleur-se et le travail et passent ainsi de la marchandise (la force de travail) au capital, faisant alors intrinsèquement partie du-de la travailleur-se (Dardot, 2013). On ne peut alors plus parler d’aliénation car le travail effectué et le-la travailleur-se ne sont qu’une même entité inséparable. L’individu-travailleur « apparaît comme étant pour lui-même une sorte d'entreprise » (Foucault, op.cit., p.131). Cette subjectivation profonde du travail et de l’entreprise entraine une subjectivation de l’issu de ceux-ci : l’individu voit dans son travail et son entreprise une image de lui-même. Par conséquent, et considérant le fait que la possibilité d’une telle subjectivation, tout comme la réalisation de la compétition juste et de l’autorégulation par le marché ne sont pas des processus

« naturels », l’Etat détient la légitimité d’intervenir afin de permettre aux individus de se

« réaliser » à travers la compétition et le marché.

Ces différents éléments caractérisent le néolibéralisme tel qu’il est défini dans son essence, dans sa théorisation. Néanmoins, l’instauration d’une telle idéologie donne lieu à des opérationnalisations et des résultats variables. C’est le passage du néolibéralisme aux néolibéralismes. L’imposition de cette doctrine au Mexique durant les 3-4 dernières décennies, décrite brièvement dans la partie suivante, représente une illustration pertinente de cette distinction.

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22

1.2 Le néolibéralisme mexicain

Les réformes néolibérales commencèrent à être implantées au Mexique à partir de 1982. De manière progressive depuis lors, le pays a observé une dérégulation croissante de son économie sur le plan financier (1), une orientation commerciale croissante vers l’extérieur, principalement vers les État-Unis (2) et une réduction des politiques sociales vers un type résiduel (3).

Les élément principaux de la nouvelle orientation de la politique financière mexicaine sont les suivants (1) : une dérégulation des taux d’intérêt, une simplification des contrôles de crédit, une transformation des dépôts obligatoires en un coefficient de liquidité finalement retiré, l’apparition de la banque universelle retirant la distinction entre la banque commerciale et la banque d’investissement, la privatisation des banques (nationalisée de 1982 à 1990), l’indépendance de la banque centrale, une augmentation et spécialisation croissante des intermédiaires financiers, l’acceptation des dépôts en monnaie étrangère, l’accroissement des activités financières mexicaines à l’étranger et à l’inverse, une augmentation croissante des interventions financières étrangères sur le sol mexicain, la participation étrangère dans le capital social des banques et institutions financières mexicaines et la réduction des barrières à l’expansion interne et externe des intermédiaires banquiers et financiers (Correa, 1999, Correa, 1994, Ortiz, 1994, Aspe, 1993, Bizberg, 2019, Mendez Morales, 1998, entre autres).

Ces réformes, comme l’affirme Guillermo Ortiz Martínez (1993), ancien directeur de la banque centrale du Mexique durant la présidence d’Ernesto Zedillo (1994-2000), « n’implique pas que [l’Etat] perde ou abandonne ses responsabilités ; au contraire, il les assume avec une plus grande fermeté et habilité, renforçant sa fonction rectrice de l’économie, en promouvant, conduisant et régulant, toujours en ayant comme objectif l’intérêt général, la libre activité des particuliers » (p.71, ma traduction). L’Etat impose ainsi, à travers ses réformes, une logique marchande aux institutions financières.

Concernant la stratégie commerciale (2), Bizberg (2019) détaille le passage d’une stratégie d’industrialisation par substitution d’importation à une économie orientée exclusivement vers l’extérieur et dépendant du marché international, essentiellement des Etats-Unis. De plus, la stratégie néolibérale mexicaine a forcé une intégration par le marché non seulement à travers l’ouverture commerciale aveugle, c’est-à-dire sans aucune protection des activités productives et commerciales internes (Mendez Morales, 1998), mais également à travers une privatisation massive des entreprises nationales et un abandon des subventions aux secteurs productifs

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23 (Bizberg, 2019). L’Etat a alors posé comme objectifs principaux une inflation nulle, une pression fiscale basse, une répression salariale visant à maintenir un avantage compétitif et le démantèlement des structures syndicales.

Enfin, le régime de bien-être mexicain (3) se caractérise d’un retrait de l’état et d’une politique corporative, focalisée et assistancielle : les assistances sociales sont faibles et dépendent de l’intégration professionnelles des bénéficiaires. L’absence de politique fiscale oblige l’Etat à réduire les prestations et à se tourner vers d’autres moyens de financement : la privatisation de certains secteurs et l’utilisation des ressources générées par les dernières entreprises publiques, à savoir celles liées à la production énergétique et pétrolière (Ibid., Baneras, 2008, Barba Solano

& Valencia Lomeli, 2013, López Salazar, 2013).

L’évolution de ces trois aspects eurent de nombreuses conséquences pour le Mexique : la prédominance des institutions bancaires et financières étrangères sur le pays, une faible possibilité de régulation des entreprises, une présence importante de monopoles et oligopoles (autant dans les secteurs productifs que financiers et bancaires20), une présence massive de capitaux étrangers, souvent libellés en dollar, une désindustrialisation, une dépendance du marché international, une pauvreté aigue et des inégalités considérables renforcées par une absence de mobilité sociale. L’abandon du secteur rural qui, délaissé par le gouvernement, ne put rivaliser avec des producteur-trice-s étranger-ère-s, oblige encore aujourd’hui le pays à importer massivement des denrées traditionnellement produites au Mexique (Bizberg, 2019, Mendez Morales, 1998, Aspe, 1993, El Colegio de México, 2018, entre autres).

En outre, l’omniprésence de la corruption dans le pays entrave une évolution de cette situation.

Tous ces éléments sont liés à l’instauration du néolibéralisme, mais ne sont pas originellement prévus par cette doctrine. Si « [c]haque société doit justifier ses inégalités (…) faute de quoi c’est l’ensemble de l’édifice politique et social qui menace de s’effondrer » (Piketty, 2019, p.24), le récit méritocratique et entrepreneurial néolibéral ne représente pas une structure idéologique permettant de légitimer la situation mexicaine en 2018.

20 Les 7 banques les plus importantes du pays, dont 5 sont étrangères, détiennent 79% des actifs et 81% des crédits en 2018 (https://www.tresor-economie.gouv.fr/Pays/MX/situation-economique-et-financiere-du- mexique-octobre-2018)

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1.3 L’échec du néolibéralisme

Ce décalage entre l’idéologie imposée et la réalité observable est partagé par l’ensemble du continent latinoaméricain. Si d’une part les objectifs fixés par les politiques néolibérales n’ont pas été atteints, l’imposition de ces dernières eu des conséquences dramatiques : « il n’y a possiblement pas un seul pays dans la région dans lequel le niveau d’inégalité [est] plus bas qu’il n’y a trois décennies ; au contraire, l’inégalité a augmenté dans de nombreux pays » (Ocampo, 2004, p. 74, cité par Escobar, 2010, p.8, ma traduction).

Cet échec du néolibéralisme y a entrainé un ensemble de processus anti-hégémoniques à travers la proposition par certains gouvernements de projets modernisateurs plus ou moins alternatifs au modèle capitaliste néolibéral (Blaser, 2007), dont l’élection de López Obrador est un des derniers exemples en liste. Ceux-ci forment, au 21ème siècle, la possibilité d’un renversement de l’idéologie néolibérale (Escobar, 2010). Néanmoins, ils n’ont jusqu’à présent pas réussi à provoquer un écartement pérenne de cette doctrine (Yates & Bakker, 2014).

Ces réponses n’ont toutefois pas été les seules à se développer. Effectivement, la « crise du néolibéralisme » a également renforcé / donné naissance à différents mouvements issus de la société civile et défendant des ruptures plus radicales. Les Zapatistes au Chiapas, certaines communautés autonomes de Oaxaca (Esteva, 2012), des mouvements indigénistes de Bolivie (Patzi, 2013), le Proceso de communidades negras (PCN) sur la côte pacifique colombienne (Escobar, 2014) ou encore la CONAIE en Equateur (Escobar, 2015) forment notamment cette

« nouvelle militance » (Sader, 2008), dont les revendications dépassent le rejet du néolibéralisme pour déconstruire la modernité et le développement en tant que tels.

Selon ces mouvements, le problème ne se situe pas essentiellement dans la persistance ou disparition du caractère néolibéral des projets politiques nationaux auxquels ils sont soumis mais dans la vision du monde qui les habite, c’est-à-dire dans l’ontologie moderne. Ils articulent par conséquent leurs luttes autour du droit à l’autonomie et à la territorialisation, deux conditions nécessaires à la défense de leurs propres ontologies, au sein desquelles les relations entre les humains et non-humains peuvent être pensées différemment. Plutôt que d’envisager que les sociétés humaines se développent dans la Nature, considérée comme un environnement autonome et extérieur dont les interprétations et utilisations peuvent varier (posture multiculturaliste), ils considèrent une existence basée sur un ensemble de relations et

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25 d’interdépendances entre tous les êtres (Blaser & De la Cardena, 2009). Ces ontologies21 sont dites relationnelles.

La notion de territoire que ces mouvements revendiquent ne représente donc non pas uniquement une base matérielle nécessaire à la survie des populations l’habitant, mais également un espace collectif « où les communautés développent leurs coutumes, leurs traditions, leurs manières de penser et de sentir, où la survie ethnique, historique et culturelle est garantie (…) » (PCN et chercheurs académiques, 2008, p.14, ma traduction). Il représente un espace-temps dans lequel se créent et recréent des relations entre les humains et les non- humain, engendrant des complémentarités nécessaires autant à la reproduction du monde humain que les mondes l’entourant (Escobar, 2013).

Les revendications de ces différents mouvements forment par conséquent des luttes politiques centrées sur des questions écologiques qui, comme le note Escobar (2018), « renvoie[nt] à un écart entre des visions différentes de la manière dont est composé le monde, autrement dit, à un enjeu ontologique » (p.25). Ces différentes postures nous renvoient au fait que La Nature n’existe pas en tant que réalité objective mais dépend des relations entre humains et non- humains qui la constituent, ainsi que des pratiques et discours qui la définissent (Blaser, 2009).

Cette idée rompt avec le multiculturalisme qui nous maintient dans le cadre de pensée de l’ontologie moderne : « Lorsque nous utilisons le concept de culture pour expliquer l’ontologie relationnelle, ce que nous faisons est réduire cette ontologie pour la faire rentrer dans une case avec l’étiquette de culture sans nous rendre compte qu’à travers ce processus nous ignorons cette autre ontologie, et nous imposons l’hégémonie la plus naturalisée : l’hégémonie épistémique » (Blaser et De la Cardena, 2009, p.7, ma traduction). Ce ne sont pas les interprétations qui varient, mais la conception-même de la réalité.

Abandonner le multiculturalisme brise un des dualismes fondamentaux de l’ontologie moderne : celui qui sépare la Nature et la Culture. Alors que l'Homme s'est longtemps identifié à la nature et y a vu « une disposition unifiant les choses les plus disparates » (Descola, 2005, p.11), sa transformation en un ensemble d'objets, dont les règles peuvent être observées de l'extérieur et dans lesquels l'Homme peut développer toutes sortes d'activités, n'est apparue que

21 La notion d’ontologie sur laquelle se base ce travail est définie par Escobar (2014) en trois points.

Premièrement, l’ontologie « se réfère à ces principes que les divers groupes sociaux maintiennent sur les entités qui existent réellement dans le monde » (p.95, ma traduction). Deuxièmement, les ontologies se réalisent à travers de pratiques concrètes. Troisièmement, elles se manifestent à travers de narratives qui décrivent le monde selon leurs principes.

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26 récemment, principalement en Europe22. Cette construction sociale, idéologique et pratique de la nature s'est ensuite cristallisée au cours du siècle des Lumières et affirmée davantage par la distinction toujours présente entre les sciences naturelles et humaines. Ce dualisme Nature/Culture, qui « organise le monde moderne et lui donne son mouvement » (Pignocchi, 2016, p.20), a réduit la nature à un ensemble de ressources naturelles, des « objets », que des individus peuvent utiliser de différentes manières.

Considérant, comme il l’est souvent mis en évidence depuis quelques décennies, que la résolution de la crise écologique et sociale actuelle nécessite une transition civilisationnelle profonde (Escobar, 2014, Leff, 1998, 2015), les revendications menées par les mouvements susmentionnés peuvent représenter des pensées disruptives visionnaires. Celles-ci ont inspiré des nouveaux cadres analytiques qui rendent possible un questionnement plus global sur les manières de faire la politique, rassemblé au sein de l’ontologie politique. Cette posture s’inscrit dans la vague de mouvements critiques de la notion de développement qui affirment que son imposition a mené jusqu’à présent à la destruction des environnements sociaux et naturels à travers l’expansion de l’économie de marché (voir Rist, 2001, Morin, 2002, Latouche, 2001, Latour, 1991, 2007, Escobar, 1995, 2014, Gonzales Vicente, 2017, entre autres).

Suivant ce constat, l’ontologie politique questionne le concept même de modernisation et plus seulement les différentes idéologies qu’elle a justifiées. Elle élargit ce faisant notre regard en situant le néolibéralisme dans une temporalité plus large afin de le concevoir comme une phase supplémentaire de la quête de la modernité dont l’imposition aurait commencé en Amérique Latine en 1492. Dans cette perspective, la crise de l’hégémonie de la modernisation néolibérale, à laquelle fait notamment référence López Obrador s’accompagne d’une crise de plus long terme, celle de la modernité23 (Blaser, 2007).

En s’opposant à la quête du développement et de la modernité, les luttes territoriales et ontologiques résistent à la construction d’un projet globalisateur, actuellement néolibéral, qui vise la génération d’Un Monde réunit sous une ontologie dualiste moderne unique. Elles se dressent contre une globalisation universalisante et promeuvent une convivance dans laquelle

22 Selon Descola, c'est en 1632 que la construction de la Nature en Europe a réellement commencé. Cette date fait référence à la publication des « Dialogues de Galileo sur les deux grands systèmes du monde » qui marque la première « objectivation de la réalité » qui sera par la suite profondément ancrée dans la perspective européenne.

23 La double crise à laquelle il est fait référence (du néolibéralisme et de la modernité) ne doit pas être comprise comme une rupture durable et totale avec ces deux hégémonies. Néanmoins, la proposition de mouvements localisés et de projets nationaux/régionaux s’en détachant met en évidence une tentative croissante de distanciation avec celles-ci, bien qu’elles restent encore dominantes.

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27 des différences radicales et une diversité ontologique peuvent exister (Escobar, 2014). En se basant sur la déclaration de l’EZNL24, Blaser et De la Cardena (2018) nomme cette globalité un plurivers : « des mondes hétérogènes qui se rassemblent comme une écologie politique des pratiques, négociant leur difficile cohabitation dans l'hétérogénéité » (p.4, ma traduction).

L’autonomie représente une condition nécessaire à la possibilité de l’existence d’un plurivers, étant donné qu’elle est indispensable à la proposition de changements émanant de l’intérieur des collectivités, et non de normes imposées par un savoir expert. Elle permet la production de savoirs propres et d’arts de vivre différents et territorialisés et ainsi des alternatives au développement et plus uniquement des modèles alternatifs de développement. Le droit au territoire, allant comme il l’est mentionné préalablement bien au-delà du droit à la terre, doit donc être renforcé afin que puissent se développer des ontologies particulières (Escobar, 2014).

Tout ce processus s’inscrit dans une décolonisation du savoir, remettant en question les connaissances expertes délocalisées imposées aux communautés, promouvant plutôt celles émanant directement de ces dernières.

Affermir d’une part l’autonomie et la territorialisation et d’autre part la production et reconnaissances des savoirs propre aux collectivités amène nécessairement la question de l’agencement et du dialogue entre les différentes visions du monde, ce à quoi s’affaire l’ontologie politique. S’inspirant de cette posture, ce travail souhaite questionner la politique mise en place par López Obrador, évaluant sa rupture non seulement avec le néolibéralisme mais surtout avec la recherche de modernité, ainsi que son potentiel renforcement de territorialisation et de discussion entre différentes ontologies. Un méthodologie en trois temps fut suivie pour répondre à ces questionnements.

24 « Beaucoup de mots sont parcourus dans le monde. De nombreux mondes sont créés. Beaucoup de mondes nous font. Il y a des mots et des mondes qui sont des mensonges et des injustices. Il y a des mots et des mondes qui sont véridiques et vrais. Nous, nous créons des mondes réels. Nous, nous sommes faits de mots vrais.

Dans le monde des puissants, il n'y a de place que pour les grands et leurs serviteurs. Dans le monde que nous voulons, il y a de la place pour tout le monde.

Le monde que nous voulons est un monde où plusieurs mondes se côtoient » (Quatrième déclaration de la selva Lacandona, 1996).

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